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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 8 février 2024, n° 23/00934

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Limay Epices (SAS)

Défendeur :

SCI Les Campanules

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme De Rocquigny du Fayel

Conseillers :

Mme Igelman, Mme Scharre

Avocats :

Me Koerfer, Me De la Ferte, Me Drouard

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de …

24 janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié en date du 20 avril 2021, la SCI Les Campanules a consenti une promesse de vente à la SAS Limay Epices portant sur un bien immobilier situé [Adresse 3] (Yvelines), moyennant un prix principal de 230 000 euros.

La promesse a été assortie d'un terme prévu le 23 juillet 2021 à 16 heures et d'une indemnité d'immobilisation à hauteur de 23 000 euros, à raison de 10 000 euros à verser dans les 15 jours de la signature de la promesse et un surplus de 13 000 euros dans le délai de 8 jours suivant l'expiration du délai de réalisation de la promesse.

À titre de condition suspensive, il était prévu un financement de concurrence de 225 000 euros.

La société Limay Epice s'obligeait par ailleurs à déposer les dossiers de demande de prêt dans un délai de 15 jours calendaires à compter de la signature de la promesse et à en justifier à la première demande du promettant. La condition suspensive était réputée réalisée en cas d'obtention d'un ou de plusieurs accords définitifs de prêt, au plus tard le 22 juin 2021 et devait être portée à la connaissance du promettant dans un délai de 5 jours suivant l'expiration du délai.

À défaut, le promettait avait la faculté de mettre le bénéficiaire de la promesse en demeure de lui justifier sous 8 jours la réalisation ou la défaillance de la condition.

Les 15 et 24 juin 2021, le notaire a demandé à la société Limay Epices de justifier l'obtention de son offre de prêt.

Le 24 juin 2021, la société Limay Epices n'avait toujours pas obtenu une offre de prêt.

Par avenant au contrat, la société Les Campanules a accepté de voir proroger les effets de la promesse de vente .

Le 7 juillet 2021, la société Limay Epices n'avait toujours pas obtenu une offre de prêt.

Le 7 juillet 2021, le notaire a transmis un avenant au contrat prorogeant les délais de validité de la promesse et de la condition suspensive de prêt.

Le 28 juillet 2021, la société Limay Epices a transmis un refus de crédit de la Banque Populaire de France.

Le 7 août 2021, le notaire a interrogé la société Limay Epices concernant l'obtention d'une éventuelle offre de prêt. La société bénéficiaire a invoqué avoir consulté un autre établissement bancaire.

Le 27 août 2021, le notaire a rappelé à la société Limay Epices qu'en l'absence d'offre de prêt, la société Les Campanules entendait mettre fin à la promesse de vente dans la mesure où l'ensemble des délais étaient dépassés.

Le 28 août 2021, le notaire a transmis un nouvel avenant au contrat prorogeant les délais jusqu'au 18 septembre 2021.

Dans ce délai, la société Limay Epices n'a transmis aucune demande de crédit.

Les 29 septembre et 14 octobre 2021, le notaire a transmis deux nouvelles prorogations de la promesse de vente à effet du 20 octobre 2021 puis du 22 novembre 2021.

La société Limay Epices a transmis un refus de crédit de l'agence Empruntis.

Par lettre recommandée en date du 10 décembre 2021, Maître [B] a constaté la caducité de la promesse de vente et a précisé que la société Les Campanules réclamait l'attribution du séquestre de 23 000 euros.

Par lettre recommandée en date du 1er février 2022, la demande a été réitérée.

Par lettre recommandée en date du 1er février 2022, la société Limay Epices a refusé de libérer le séquestre.

Par acte d'huissier de justice délivré le 6 mai 2022, la société Les Campanules a fait assigner en référé la société Limay Epices aux fins d'obtenir principalement la condamnation de la société Limay Epices au versement de l'indemnité d'immobilisation à concurrence de la somme de 23 000 euros et l'ordre donné à, Maître [E] [B], notaire à [Localité 4], séquestre par application des dispositions de la promesse de vente , de se libérer entre les mains de la société Les Campanules.

Par ordonnance contradictoire rendue le 24 janvier 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a :

- condamné la société Limay Epices à payer à la société Les Campanules la somme provisionnelle de 23 000 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation,

- autorisé Maître [N] [B], notaire à [Localité 4], en sa qualité de séquestre, à libérer la somme de 23 000 euros entre les mains de la société Les Campanules,

- condamné la société Limay Epices à payer à la société Les Campanules la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Limay Epices aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 9 février 2023, la société Limay Epices a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 20 mars 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Limay Epices demande à la cour de :

'- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 24 janvier 2023 en ce qu'elle a condamné :

- la société Limay Epices à payer à la sci Les Campanules, la somme provisionnelle de 23 000 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation,

- la société Limay Epices à payer à la sci Les Campanules, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en conséquence et statuant à nouveau,

- condamner la sci Les Campanules à procéder au remboursement au profit de la société Limay Epices, de la somme de 23 000 euros qui lui a été réglée, suite au prononcé de l'ordonnance de référé en date du 24 janvier 2023,

- condamner la sci Les Campanules à payer à la sas Limay Epices, une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la sci Les Campanules aux entiers dépens tant de premièreinstance que d'appel.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 5 avril 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Les Campanules demande à la cour, au visa de la promesse de vente , de la jurisprudence, des pièce versées aux débats et des articles 217, 1221, 1231-1 et 1315 du code civil et 700 du code de procédure civile, de :

'- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Versailles en date du 24 janvier 2023,

- condamner la sas Limay Epices à payer à la sci Les Campanules au paiement la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la sas Limay Epices aux entiers dépens,'.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La société Limay Epices sollicite l'infirmation de l'ordonnance du 24 janvier 2023 en toutes ses dispositions.

Elle fait en substance valoir que la société Les Campanules a été informée dès le 28 juillet 2021 d'un refus de prêt et a ensuite accepté à plusieurs reprises de proroger le délai de dépôt de prêt et a fortiori, le délai d'obtention d'un éventuel crédit immobilier, de sorte qu'elle a de facto renoncé à la protection que lui offrait la mention selon laquelle le bénéficiaire de la promesse devait justifier avoir déposé une demande de prêt dans un délai de 15 jours.

La société Les Campanules intimée sollicite quant à elle la confirmation de l'ordonnance critiquée en toutes ses dispositions.

Elle rappelle que s'agissant d'une promesse de vente immobilière sous condition suspensive, il appartient à l'acquéreur ou au bénéficiaire de la promesse de démontrer que la défaillance de la condition suspensive d'obtention du prêt ne lui est pas imputable et considère qu'en l'espèce, la société Limay Epices échoue à rapporter cette preuve.

Ainsi, elle soutient que l'appelante n'a jamais apporté la preuve de ses diligences conformément aux stipulations contractuelles, pas plus qu'elle n'a indiqué quelles informations avaient été fournies aux banques pour ses demandes.

Elle relève que le dernier avenant de prorogation de la promesse de vente expirait le 13 novembre 2021 et que dans ce délai, la société Limay Epices n'a justifié d'aucun élément ; que les pièces adverses n° 1 et 2 (attestation de demande de prêt de la Banque Populaire Val de France en date du 27 mai 2021 et courrier de la Banque Populaire Val de France en date du 28 juillet 2021) concernent une 'SCI Maniam', qui n'est ni associée, ni dirigeante de la société Limay Epices ; que ces documents concernent une même demande, mais dont l'une vise un montant de crédit de 222 500 euros et l'autre 230 000 euros alors que la promesse prévoyait une condition suspensive d'obtention d'une offre de crédit pour un montant de 225 000 euros maximum ; que le seul document au nom de la société Limay Epices correspond à un refus du courtier Empruntis du 22 novembre 2021, sans qu'il soit possible de déterminer la teneur de la demande de prêt faite.

Elle considère donc dans ces circonstances que la condition suspensive de crédit est réputée défaillie, et la promesse et ses avenants réputés frappés de caducité de plein droit, de sorte qu'il convient de faire application des dispositions contractuelles relatives au sort de l'indemnité d'immobilisation.

En réponse à l'argument adverse d'une renonciation de sa part à cette indemnité en raison des prorogations, l'intimée relève qu'elles n'ont été octroyées qu'en raison des déclarations de la société Limay Epices auprès du notaire, dans lesquelles elle laissait sous-entendre qu'elle avait déposé des dossiers dans les conditions prévues par la promesse de vente et chacun des avenants ; que ce n'était manifestement cependant pas le cas.

Elle souligne que la société Limay Epices ne saurait tirer profit de la patience dont a fait preuve son promettant pour se défaire de ses obligations et que le fait de proroger le délai d'une promesse ne vaut pas renonciation au bénéfice de l'indemnité d'immobilisation.

Sur ce,

L'article 835 alinéa 2 du code de procédure prévoit que le président du tribunal judiciaire peut dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision : celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle et la cour est tenue d'appliquer les clauses claires du contrat qui lui est soumis, si aucune interprétation n'en est nécessaire. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L'article1304-3 du même code prévoit que :

La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement.

La condition résolutoire est réputée défaillie si son accomplissement a été provoqué par la partie qui y avait intérêt.

En application des dispositions de l'article 1353 du même code, c'est au débiteur de l'obligation qu'il appartient de démontrer qu'il a sollicité un prêt conforme aux caractéristiques prévues dans la promesse.

En pages 10 et 11 de la promesse unilatérale de vente signée entre les parties le 20 avril 2021, est stipulée une condition suspensive d'obtention par le bénéficiaire, la société Limay Epices, d'un prêt.

Pour l'application de cette condition, il était convenu au titre des caractéristiques financières des prêts devant être obtenus que leur montant total soit d'un maximum de 225 000 euros.

Le bénéficiaire de la promesse s'obligeait par ailleurs à déposer « le ou les demandes de prêts dans un délai de quinze jours calendaires à compter de la signature des présentes, et à en justifier à première demande du promettant par tout moyen de preuve écrite ».

Il était ensuite prévu que :

« La condition suspensive sera réalisée en cas d'obtention d'un ou plusieurs accords définitif de prêts au plus tard le 22 juin 2021. Cette obtention devra être portée à la connaissance du promettant par le bénéficiaire au plus tard dans les cinq (5) jours suivant l'expiration du délai ci-dessus.

A défaut de réception de cette lettre dans le délai fixé, le promettant aura la faculté de mettre le bénéficiaire en demeure de lui justifier sous huitaine de la réalisation ou de la défaillance de la condition.

Passé ce délai de huit jours sans que le bénéficiaire ait apporté les justificatifs, la condition sera censée défaillie et les présentes seront caduques de plein droit, sans autre formalité, et ainsi le promettant retrouvera son entière liberté mais le bénéficiaire ne pourra recouvrer l'indemnité d'immobilisation qu'il aura, le cas échéant, versée qu'après justification qu'il a accompli les démarches nécessaires pour l'obtention du prêt, et que la condition n'est pas défaillie de son fait ; à défaut, l'indemnité d'immobilisation restera acquise au promettant. »

Etaient ensuite indiquées les déclarations du bénéficiaire, ainsi que les dispositions de l'article 1304-3 du code civil susvisées, précisions faites que :

« Par suite, toute demande non conforme aux stipulations contractuelles quant au montant emprunté, au taux et à la durée de l'emprunt entraînera la réalisation de la condition suspensive ».

Enfin, l'acte mentionnait les démarches incombant au bénéficiaire afin de pouvoir bénéficier de la protection de la condition suspensive.

La société Limay Epices, bénéficiaire de cette promesse, produit un document daté du 27 mai 2021 émanant de la Banque Populaire Val de France, qui atteste d'une demande de prêt d'un montant de 222 500 euros en cours d'étude.

Toutefois, cette attestation concernant le dépôt d'une demande de prêt effectué par la 'SCI Maniam', elle ne saurait permettre à la société Limay Epices de justifier qu'elle aurait respecté ses engagements.

Selon acte notarié du 25 juin 2021, les parties sont convenues de la prorogation de la date limite d'obtention du prêt au 15 juillet 2021, toutes les autres stipulations relatives à la condition suspensive étant reproduites dans les mêmes termes que ceux de l'acte du 20 avril 2021.

La société Limay Epices verse un document de la Banque Populaire Val de France établi le 28 juillet 2021, notifiant un refus d'octroi, d'un prêt d'un montant de 230 000 euros, sollicité par la SCI Maniam, qui ne correspond donc ni dans son montant, ni pour le bénéficiaire, aux caractéristiques de la promesse de vente , telle que modifiée par l'avenant en date du 15 juillet 2021.

Les parties ont ensuite régularisé 4 autres avenant, de rédaction identique au premier, afin de reporter le délai d'obtention du prêt respectivement au 7 août, au 11 septembre, au 20 octobre, puis enfin au 13 novembre 2021.

Or le seul document communiqué par la société Limay Epices pour démontrer s'être conformée à ses obligations est un courrier émanant du courtier Empruntis, qui lui est bien adressé, daté du 22 novembre 2021, mais qui ne mentionne ni la date du dépôt de la demande de prêt, ni le montant sollicité.

Dans ces conditions, force est de constater que la société Limay Epices ne justifie pas avoir accompli les démarches nécessaires à l'obtention du prêt objet de la condition suspensive selon les modalités contractuellement convenues, de sorte qu'il convient de considérer que la condition a bien défailli de son fait et que l'indemnité d'immobilisation est à l'évidence acquise à la société Les Campanules.

L'ordonnance querellée doit en conséquence être confirmée en ce qu'elle l'a condamnée à payer à la société Les Campanules la somme provisionnelle de 23 000 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation et a autorisé le notaire, en sa qualité de séquestre, à libérer cette somme entre les mains de l'intimée.

Sur les demandes accessoires :

L'ordonnance doit être également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Limay Epices ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Les Campanules la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance du 24 janvier 2023 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Limay Epices à verser à la société Les Campanules la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile appel,

Dit que la société Limay Epices supportera les dépens d'appel.