Livv
Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 25 janvier 2024, n° 23/03293

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brancher Graphic (SAS)

Défendeur :

Pixelo (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme De Rocquigny du Fayel

Conseillers :

Mme Igelman, Mme Scharre

Avocats :

Me De la Ferte, Me Cals

T. com. Chartres, du 3 mai 2023

3 mai 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Pixelo a pour activité le commerce de gros de produits d'imprimerie. Elle a pour associé principal M. [W] [G].

La SAS Brancher Graphic a une activité similaire de distribution de produits et matériels pour l'industrie des arts graphiques et est présidée par M. [I] [X].

Fin 2021, M. [X] s'est entretenu avec M. [G] et lui a proposé de prendre la direction commerciale du pool graphique qu'il souhaitait constituer. M. [G] a accepté la proposition.

Parallèlement, les parties sont convenues que les stocks dont disposait la société Pixelo seraient transférés sur le site de la société Brancher Graphic. Cette dernière avait la possibilité d'acquérir les stocks à un prix préférentiel dans le but de les revendre à sa clientèle.

Les rapports et les projets liant M. [X] et M. [G] n'ont pas été formalisés par écrit.

En 2022, la société Brancher Graphic a commencé à proposer à sa clientèle les stocks de la société Pixelo.

Le 24 mars 2022, la société Pixelo a édité une première facture à l'attention de la société Brancher Graphic, d'un montant de 116 767,43 euros TTC.

Constatant que les prix de certaines commandes étaient erronés, la société Pixelo a émis le 19 juillet 2022 une facture rectificative réclamant un montant supplémentaire de 97 247,59 euros.

Le 22 juillet 2022, une dernière facture d'un montant de 23 621,71 euros a été émise.

La société Blancher Graphic a réglé une partie de ces sommes à hauteur de 180 873,53 euros, laissant subsister un reliquat de 56 863,20 euros.

A la fin de l'année 2022, la collaboration entre M. [X] et M. [G] a pris fin.

Par courriels en date des 13, 19 décembre 2022 et 2 janvier 2023, la société Pixelo a demandé à la société Brancher Graphic de régler le montant de sa dette.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 février 2023, la société Pixelo a mis en demeure la société Brancher Graphic de régler le solde restant dû de 56 863,20 euros.

Par acte d'huissier de justice délivré le 23 mars 2023, la société Pixelo a fait assigner en référé la société Blancher Graphic aux fins d'obtenir principalement sa condamnation au paiement d'une provision de 56 863,20 euros TTC correspondant au solde restant dû sur les factures n° 465 et 468, majorée des intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 10 février 2023 et sa condamnation au paiement d'une provision de 5 000 euros à valoir sur les dommages et intérêts.

Par ordonnance réputée contradictoire rendue le 3 mai 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Chartres a :

- constaté la non comparution de la société Brancher Graphic bien que régulièrement assignée et appelée, ni personne pour « lui elle » (sic),

- condamné la société Brancher Graphic à payer à la société Pixelo la somme de 56 863,20 euros à titre de provision, majorée des intérêts légaux à compter du 10 février 2023,

- condamné la société Brancher Graphic à verser à la société Pixelo la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Brancher Graphic aux entiers dépens, lesdits dépens liquidés pour ceux exposés à ce jour à la somme de 40,66 euros, en ceux non compris les frais de signification de l'ordonnance et de ses suites s'il y a lieu,

- constaté que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration reçue au greffe le 17 mai 2023, la société Brancher Graphic a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 6 septembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Brancher Graphic demande à la cour, au visa des articles 1302, 1302, 1353, 1582 et 1583 du code civil et L. 110-3 du code de commerce, de :

'- infirmer en toute ses dispositions l'ordonnance rendue le 3 mai 2023 par le président du tribunal de commerce de Chartres, RG n°2023R00019 ;

statuant à nouveau :

- juger que la société Pixelo ne justifie pas de l'existence d'une obligation de paiement à la charge de la société Brancher Graphic au-delà de la somme totale de 165 138,46 euros TTC, celle-ci ayant été réglée ;

- juger que les demandes de la sociétés Pixelo se heurtent à une contestation sérieuse ;

- débouter la société Pixelo de l'intégralité de ses demandes ;

et à titre incident :

- juger que la société Brancher Graphic a indûment versé en excès à la société Pixelo la somme de 15 735,07 euros TTC ;

- juger le caractère totalement abusif de la procédure initiée par la société Pixelo, motivée purement par une intention de nuire manifeste ;

- juger la société Pixelo à verser à la société Brancher Graphic une provision d'un montant de 15 735,07 euros TTC ; (sic)

- juger la société Pixelo à verser à la société Brancher Graphic une provision d'un montant de 10 000 euros au titre de la procédure abusive diligentée par la société Pixelo ; (sic)

- condamner la société Pixelo à verser à la société Brancher Graphic la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

et enfin sur l'appel incident formé par la société Pixelo :

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté la société Pixelo de sa demande tendant à ce que la société Brancher Graphic soit condamnée à lui verser une provision de 5 000 euros à valoir sur dommages-intérêts. '

La société Brancher Graphic demande l'infirmation intégrale de l'ordonnance critiquée et forme une demande incidente en remboursement de la somme de 15 735,07 euros ainsi qu'une demande de réparation pour procédure abusive.

Elle reconnaît que les factures n° 460 et n° 468 étaient dues puisque rattachées à des bons de commandes réels, et soutient que la facture n° 465 ne correspond à aucun bon de commande qu'elle a édité ; qu'elle a donc réglé la somme dont elle demande l'allocation par provision alors qu'il s'agissait d'une surfacturation ; qu'il appartient à la société Pixelo de verser aux débats des bons de commandes distincts de ceux qu'elle verse pour justifier des sommes supplémentaires réclamées.

Elle reproche à l'intimée d'arguer d'erreurs dans les bons de commande, pour ensuite lui imposer des nouveaux prix modifiés, sans diffuser aucun bordereau de prix unitaire.

Elle conteste quant à elle tout erreur dans les bons de commande, expliquant que lorsque le prix unitaire fait référence à une seule plaque (issue d'un paquet), la désignation commerciale adopte un code « Un. » et que lorsque le prix unitaire fait référence au paquet entier, c'est le code « Un.Un. » qui est indiqué.

Elle soutient donc qu'il n'y a pas eu d'erreur lorsque était mentionné un prix unitaire correspondant à une plaque.

A titre surabondant, elle avance que dès lors que la société Pixelo a accepté les bons de commande, la vente est parfaite et la société demeure engagée au prix convenu ; que s'il existait réellement une erreur de prix, il lui appartenait de faire preuve de vigilance en temps utile et de contester le prix indiqué avant de le facturer.

*

Dans ses dernières conclusions déposées le 3 novembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Pixelo demande à la cour, au visa des articles 873 du code de procédure civile, 1104 et 1582 du code civil, de :

'- infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande de Pixelo tendant à ce que Brancher Graphic soit condamnée à lui verser une provision de 5 000 euros à valoir sur dommages et intérêts,

statuant à nouveau sur ce point :

- condamner la société Brancher Graphic à verser à la société Pixelo une provision de 10 000 euros à valoir sur dommages et intérêts,

- la confirmer pour le surplus

- débouter la société Brancher Graphic de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Brancher Graphic à verser à la société Pixelo la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Brancher Graphic aux entiers dépens d'appel. '

La société Pixelo intimée sollicite la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a condamné la société Brancher Graphic à lui régler une provision d'un montant de 56 863,20 euros.

Elle expose qu'il s'est avéré que nombre de bons de commande émis par la société Brancher Graphic comportaient des bases de prix erronées, des paquets de 30 ou 50 plaques offset étant, par exemple, commandés au prix d'une seule plaque, de sorte que son comptable a édité une facture rectificative (n° 465, rectifiant la n° 460) d'un montant 97 247,59 euros.

Elle précise que sur les trois factures n° 460, 465 et 468, d'un montant total de 180 873,53 euros, persiste une dette de 56 863,20 euros, dont elle a réclamé en vain le paiement à plusieurs reprises à l'appelante.

Elle ajoute qu'il n'existe aujourd'hui plus de contestations sur les factures n° 460 et 468 et que le signalement des erreurs commises dans la facture n° 460 ayant donné lieu à l'émission de la facture n° 465 résulte d'une remise par la société Brancher Graphic de la facture n° 460 avec mention des prix erronés.

Elle prétend que dans un premier temps l'appelante n'avait contesté ni la validité des cessions intervenues, ni leur prix, sans toutefois régler sa dette, et que pour la première fois à hauteur d'appel dans ses conclusions n° 2, elle soutient avoir entendu passer des commandes à l'unité.

Pour sa part, elle fait valoir que les plaques offset ne sont jamais vendues à l'unité, ainsi qu'en atteste le distributeur Atécé.

Par ailleurs, elle objecte que l'explication « tortueuse » de la société Brancher Graphic sur les codes « Un. » et « Un.Un. » ne résiste pas à l'analyse des pièces produites par l'appelante elle-même.

L'intimée sollicite ensuite le débouté de l'appelante de sa demande reconventionnelle de provision en raison d'un prétendu trop-versé qui n'existe pas au vu de la démonstration de facturations de prix erronés.

Enfin, elle demande l'infirmation de l'ordonnance attaquée en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de provision à valoir sur les dommages et intérêts en raison de la résistance par la société Brancher Graphic au règlement de sa dette avec une mauvaise foi caractérisée, et demande sa condamnation à lui verser la somme de 10 000 euros à ce titre.

*

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023.

Motivation

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Aux termes de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

En application de ce texte, le montant de la provision qui peut être allouée en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Aux termes de l'article du 1353 du code civil, c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En vertu de l'article L. 110-3 du code de commerce, la preuve en matière commerciale peut se faire par tous moyens.

Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être exécutés de bonne foi.

Selon l'article 1582 alinéa 1 du même code, la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer.

Les parties s'accordent pour dire qu'aucun écrit n'a été formalisé pour encadrer leurs relations contractuelles, mais que celles-ci se déroulaient de la façon suivante :

- l'écoulement du stock dont la société Pixelo était propriétaire était confié à quatre commerciaux de la société Brancher Graphic, sous son label ;

- lorsqu'un des produits concernés était commandé par un client de la société Brancher Graphic, un bon de commande adressé à la société Pixelo était édité, et la marchandise était alors expédiée au client de la société Brancher Graphic ;

- la société Brancher Graphic éditait ensuite sa facture à son client ;

- la société Pixelo établissait par la suite sa facture sur la base des bons de commande de la société Brancher Graphic.

En l'espèce, la société Pixelo a édité le 19 juillet 2022 à destination de la société Brancher Graphic une facture n° 465 visant les produits de la facture n° 460 émise le 24 mars 2022 qui selon elle avaient fait l'objet d'erreurs de prix.

La société Pixelo verse aux débats une copie de cette facture comportant de multiples modifications manuscrites des prix unitaires de divers produits commandés, revus parfois à la baisse, mais également à la hausse, dont elle affirme, sans être démentie par la société Brancher Graphic aux termes de ses conclusions, qu'il s'agit d'un signalement et de corrections faites par l'appelante elle-même.

Par ailleurs, alors que la contestation élevée par la société Brancher Graphic consiste à dire qu'il existait des commandes de matériels à l'unité, cette assertion, dont elle n'avait jamais fait état avant ses dernières conclusions déposées dans la présente instance, est contredite par un écrit émanant d'un représentant de la société Atécé et déclarant en substance qu'il est impossible de vendre une « plaque offset » à l'unité et que toutes les ventes se font par paquets de 30 ou 50 unités.

En outre, les explications de l'appelante consistant à dire que l'ambiguïté résulterait des codes « Un. » et « Un.Un. » figurant dans ses bons de commandes ne sont pas cohérentes au regard d'autres indications figurant dans les bons de commande (comme par exemple « U1NN », « U4NN »...) et qui ne sont pas expliquées.

Au surplus, s'agissant par exemple de la commande BG 21275 ayant donné lieu à rectification du fait d'un prix unitaire de 5,18 euros au lieu de 155,40 euros, que l'on retrouve dans les factures de la société Pixelo sous l'intitulé « Plaque Trilian Kodak 811X1055 Epaisseur 0.30 ' Paquet 30 », le produit est bien indiqué dans le bon commande de la société Brancher graphic comme concernant un paquet de 30, sous l'intitulé : « PQ Trilian 0,30 811X1055 X 30 Un. » (souligné par la cour), ce dont il résulte que le code 'Un.' ne saurait désigner une plaque à l'unité.

Ainsi, il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société Pixelo établit avec suffisamment d'évidence la légitimité de la facture correctrice n° 465, et donc l'existence d'un impayé de la société Brancher Graphic à hauteur de la somme de 56 863,20 euros.

L'ordonnance querellée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a ainsi jugé.

Corrélativement, il convient de dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société Brancher Graphic au titre de prétendues surfacturations, inexistantes comme il vient d'être analysé.

Elle sera également déboutée de sa demande au titre de la procédure abusive, la demande de la société Pixelo prospérant.

De même, la mauvaise foi qui accompagnerait la résistance de la société Brancher Graphic n'étant pas caractérisée, notamment au vu des conflits parallèles opposant les parties, l'ordonnance dont appel sera confirmée en ce qu'elle a débouté la société Pixelo de sa demande à ce titre.

Sur les demandes accessoires :

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Brancher Graphic ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Pixelo la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance du 3 mai 2023,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes des parties,

Condamne la société Brancher Graphic à verser à la société Pixelo la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que la société Brancher Graphic supportera les dépens d'appel.