TA La Guadeloupe, 2e ch., 21 février 2024, n° 2200281
LA GUADELOUPE
PARTIES
Demandeur :
Guadeloupéenne de distribution (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gouès
Conseillers :
Mme Le Roux, Mme Sollier
Avocat :
Me Tricot
Rapporteur :
Mme Sollier
Rapporteur public :
M. Sabatier-Raffin
Vu la procédure suivante :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 2200281 le 2 mars 2022, la SAS la Guadeloupéenne de distribution, représentée par Me Tricot, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 4 janvier 2022 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance lui a infligé une amende administrative de 56 000 euros pour manquements au I de l'article L. 441-10 du code de commerce et au II de l'article L. 411-11 de ce code, et a décidé la publication, pour une durée de trois mois, de cette sanction administrative ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 4 janvier 2022 méconnaît le principe du contradictoire et les droits de la défense ;
- la durée de publication de la sanction prescrite par la décision du 4 janvier 2022 n'a pas été respectée ;
- le communiqué de la sanction ne fait pas référence à la révision à la baisse du montant de l'amende initiale ;
- les factures de la société TTOM n'auraient pas dû être prises en compte ;
- le montant de l'amende prononcée est disproportionné compte tenu de ce que 80 % des factures n'ont souffert que d'un retard de paiement de moins de cinq jours ;
- la société requérante sollicite le droit à l'erreur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens tirés de ce que la durée de publication de la sanction a été dépassée, de ce que le communiqué de la sanction ne fait pas référence à sa révision suite au recours hiérarchique exercé et du droit à l'erreur sont inopérants ;
- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 10 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 1er décembre 2023.
II. Par une requête, enregistrée le 31 octobre 2022 au tribunal administratif de Poitiers, puis transmise et enregistrée sous le n° 2201243 au greffe du tribunal administratif de la Guadeloupe le 10 novembre 2022, la société La Guadeloupéenne de Distribution, représentée par Me Tricot, demande au tribunal :
1°) d'annuler le titre de perception émis à son encontre le 16 février 2022 par la direction des créances spéciales du Trésor à l'effet de recouvrer l'amende de 56 000 euros dont elle a fait l'objet en application de l'article L. 441-16 du code de commerce, ainsi que la décision du 6 septembre 2022 par laquelle la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a rejeté son recours administratif préalable ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la compétence de l'auteur de l'acte attaqué n'est pas démontrée ;
- il n'est pas établi que le bordereau du titre de recettes ait été signé par l'émetteur ;
- le titre de perception est insuffisamment motivé ;
- il est irrégulier dès lors qu'il mentionne un délai de recours erroné ;
- il est irrégulier dès lors qu'il ne mentionne pas le redevable final de la somme déclarée ;
- il méconnaît le principe du contradictoire dès lors qu'il a été émis alors que l'amende du 4 janvier 2022 infligée à la société n'était pas devenue définitive ;
- il est illégal dès lors qu'il a été pris en exécution de la décision du 4 janvier 2022 qui est illégale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2021, le directeur des créances spéciales du trésor demande à être mis hors de la cause.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de la mention erronée du délai de recours est inopérant ;
- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sollier,
- les conclusions de M. Sabatier-Raffin, rapporteur public.
Les parties n'étaient ni présentes, ni représentées.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS la Guadeloupéenne de distribution (LGD) a fait l'objet, le 21 août 2019, d'un contrôle mené par la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la Guadeloupe tendant à vérifier le respect des dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement interentreprises pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2018. A l'issue de ces opérations, le directeur de de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la Guadeloupe a prononcé à l'encontre de l'intéressée une amende administrative de 58 000 euros pour manquements au I de l'article L. 441-10 du code de commerce et au II de l'article L. 411-11 de ce code, et a décidé la publication, pour une durée de neuf mois, de cette sanction administrative. Par une décision du 4 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, saisi d'un recours hiérarchique, a réduit le montant de l'amende prononcée à 56 000 euros et la durée de publication de cette sanction à trois mois. Par ailleurs, le 16 février 2022, la direction des créances spéciales du Trésor a émis à l'encontre de la société un titre exécutoire en vue du recouvrement de cette amende. Par la requête n° 2200281, la société LGD demande l'annulation de l'amende qui lui a été infligée le 4 janvier 2022, et, par la requête n° 2201243, elle demande l'annulation du titre exécutoire émis à l'effet de son recouvrement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n°s 2200281 et 2201243 ont été présentées par la société LGD. Elles présentent à juger des questions connexes et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 4 janvier 2022 :
En ce qui concerne la régularité de la sanction
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce : " I. ' L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre () IV. ' Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende () ".
4. En l'espèce, il ne résulte ni des dispositions précitées, ni d'aucun autre texte que l'administration est tenue de mentionner, lors de la publication d'une sanction administrative, l'exercice d'un recours hiérarchique contre cette dernière et, le cas échéant, de la décision prise à l'issue de celui-ci. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que le communiqué publié sur le site de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes aurait dû faire état de la réduction de l'amende qui lui a été accordée à la suite de l'exercice de son recours hiérarchique.
5. En deuxième lieu, si la société requérante soutient qu'elle n'a pu exposer pleinement ses éléments d'explication, il résulte de l'instruction, et notamment des propres écritures de la requérante, qu'à l'appui du recours hiérarchique qu'elle a exercé contre la décision du 8 septembre 2021, elle a transmis les documents qu'elle estimait utiles. Par suite, le moyen tiré du non-respect du principe du contradictoire et des droits de la défense doit être écarté.
6. En troisième et dernier lieu, la circonstance que la durée de la mise en ligne du communiqué sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ait dépassé les trois mois relève des conditions d'exécution de la mesure de publication et reste, par suite, sans incidence sur sa légalité. En tout état cause, en se bornant à produire une capture d'écran non datée du site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la société requérante n'établit pas que la publication de la sanction ait excédé le délai imposé par la décision attaquée. Par suite, le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne le bienfondé de la sanction
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 440-10 du code de commerce : " I.- Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues ne peut dépasser trente jours après la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. / Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours après la date d'émission de la facture. / Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois après la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. / En cas de facture périodique au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours après la date d'émission de la facture. () " Et, aux termes de l'article L. 441-11 du même code : " () II.- Le délai de paiement, par tout producteur, revendeur ou prestataire de services, ne peut dépasser : / () 5° Trente jours après la date d'émission de la facture pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane ; () ".
8. En l'espèce, si la société requérante soutient que les factures de la société TTOM devaient être exclues du périmètre de contrôle dès lors que celle-ci appartient au même groupe de sociétés qu'elle, le non-respect de la réglementation des délais de paiement est punissable même si l'infraction a été commise au sein d'un même groupe de sociétés. Au surplus, la requérante n'établit pas, par la seule production du rapport annuel de l'année 2021 du groupe CAFOM, que le bilan de la société TTOM serait intégré dans les comptes de la société CAFOM et qu'elle appartiendrait ainsi au même groupe que la société requérante. Par suite, le moyen doit être écarté.
9. En second lieu, aux termes de l'article L.441-16 du code de commerce : " Est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale, le fait de : / a) Ne pas respecter les délais de paiement prévus au I de l'article L. 441-10, au II de l'article L. 441-11, à l'article L. 441-12 et à l'article L. 441-13 ; () ".
10. En l'espèce, il résulte de l'instruction que pour la période de contrôle de facturations considérée, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018, soit une période de trois cent soixante-cinq jours, et sur les cent treize factures étudiées, soixante-neuf, soit 61,1 %, ont été réglées en retard, dont quinze avec un retard inférieur ou égal à douze jours, onze avec un retard de treize à vingt-quatre jours et trente-six avec un retard supérieur ou égal à vingt-cinq jours. Le montant cumulé des factures payées en retard s'est élevé à 179 499,67 euros pour les factures relevant du secteur du transport et des opérations de transit, et à 226 913,87 euros pour les autres. Par ailleurs, selon le procès-verbal du 4 décembre 2020 et les termes mêmes de la décision attaquée, le retard moyen pondéré s'élève, respectivement, à 63,99 jours pour les manquements constatés à l'article L. 441-11 II du code de commerce, et à 22,83 jours pour les manquements constatés à l'article L. 441-10 I du même code. Ainsi, le gain annuel en besoin de fonds de roulement de la société requérante du fait de ses retards de paiement, qui est égal à la somme des produits du montant cumulé des factures payées en retard par le retard moyen pondéré divisée par la durée de la période contrôlée, s'établit à 44 505,67 euros. Le montant de l'amende infligée représente 9,5 % du chiffre d'affaires réalisé sur l'exercice 2021 et 22,2 % du résultat net du même exercice après redistribution de dividendes, chiffré à 252 400 euros. Si la société requérante soutient que les retards de paiement constaté sont, pour la majorité d'entre eux, limités à quelques jours, il résulte de ce qui a été dit précédemment que moins d'un quart des factures concernées ont été réglées avec un retard inférieur ou égal à douze jours. En outre, cette circonstance est sans incidence sur les conséquences que ses retards de paiement répétés sont susceptibles d'emporter sur la situation financière de ses créanciers et sur l'atteinte à l'ordre public économique qui en résulte. Toutefois, eu égard à la différence entre le gain annuel en besoin de fonds de roulement que la société a dégagé en raison de ses retards de paiement et le montant de l'amende en cause, la société LGD est fondée à soutenir que la sanction de 56 000 euros qui lui a été infligée est excessive. Par suite, le montant de l'amende doit être ramené à la somme de 44 000 euros, laquelle n'est pas disproportionnée dans les circonstances de l'espèce eu égard à la matérialité des faits, à la finalité de protection du consommateur et au plafond de l'amende qui pouvait être prononcée de 75 000 euros pour une personne morale.
En ce qui concerne le droit à l'erreur
11. Aux termes de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet, de la part de l'administration, d'une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d'une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué. / La sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude. / Les premier et deuxième alinéas ne sont pas applicables : / 1° Aux sanctions requises pour la mise en œuvre du droit de l'Union européenne () ".
12. Il résulte de ces dispositions que la tolérance qu'elles prévoient ne s'applique pas aux sanctions requises pour la mise en œuvre du droit de l'Union. La réglementation française relative aux délais de paiement, en particulier l'article L. 441-16 du code de commerce, vise à mettre en œuvre les objectifs de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Ainsi, la société requérante ne peut utilement se prévaloir du droit à l'erreur consacré par les dispositions citées ci-dessus.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la décision du 4 janvier 2022 du ministre de l'économie des finances et de la relance doit être annulée en tant qu'elle inflige à la société requérante une amende supérieure à la somme de 44 000 euros.
Sur les conclusions à fin d'annulation dirigées contre le titre de perception du 16 février 2022 :
14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 et 13, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que le titre de perception émis le 16 février 2022 d'un montant de 56 000 euros doit être annulé.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros qui sera versée à la société LGD au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 4 janvier 2022 du ministre de l'économie des finances et de la relance est annulée en tant qu'elle inflige une amende administrative supérieure à la somme de 44 000 euros.
Article 2 : Le titre de perception d'un montant de 56 000 euros émis le 16 février 2022 par la direction des créances spéciales du Trésor est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à la société la Guadeloupéenne de distribution une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête n° 2200281 est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SAS la Guadeloupéenne de distribution et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.