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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 27 février 2024, n° 22/00247

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Aux Saveurs du Jardin (SARL), Comptoir Central du Froid (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

Mme Bourdon, M. Graffin

Avocats :

Me Apollis, Me Feres, Me Limouzin, Me Fombonne

T. com. Beziers, du 29 nov. 2021, n° 202…

29 novembre 2021

FAITS, PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

Par acte authentique en date des 9 et 10 juillet 2009, Mme [D] [M] épouse [V] a donné à bail commercial à la SARL Aux saveurs du jardin un local situé [Adresse 6] à [Localité 7] pour une durée de neuf années, à compter du 10 juillet 2009.

Le bail a été consenti moyennant un loyer annuel hors charges de 9009,64 euros payable trimestriellement et d'avance le premier jour de chaque trimestre.

Le bail prévoit que le local loué communique avec le local voisin, faisant l'objet d'un bail au profit du même preneur concomitamment et qu'à la fin du bail et sur simple demande du bailleur, le preneur s'engage à remettre les locaux dans leur état d'origine, à savoir':

- reconstruction du mur mitoyen du rez-de-chaussée et du 1er étage,

- reconstruction de l'escalier.

En effet, par acte authentique du même jour, la société Aux saveurs du jardin et Mme [V] ont conclu également un bail commercial pour une durée de 9 années portant sur des locaux mitoyens, situés [Adresse 5] avec la même clause concernant la communication des locaux avec le local voisin et l'engagement du preneur de remettre les lieux dans leur état d'origine (hormis la reconstruction de l'escalier).

Ces locaux ont été vendus par acte authentique du 31 décembre 2013 à la SCI Campredon (l'acte précisant que l'acquéreur est informé de l'absence d'escalier pour accéder aux étages et rappelant que le preneur des deux baux relatifs aux locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble vendu et de l'immeuble contigu, qui communiquent entre eux, s'engage à reconstruire le mur mitoyen du rez-de-chaussée et du premier étage).

Par actes d'huissier en date des 9 mai 2019, 17 octobre 2019 et 25 août 2020, Mme [V] a fait délivrer à la société Aux saveurs du jardin des commandements de payer visant la clause résolutoire.

Saisi par acte d'huissier en date du 27 janvier 2021 délivré par Mme [V], le président du tribunal judiciaire de Béziers a, par ordonnance de référé en date du 6 avril 2021 :

- Constaté l'acquisition de la clause résolutoire du contrat de bail conclu entre les parties le 10 juillet 2009,

- Ordonné en conséquence, l'expulsion dans les délais légaux de la SARLU Aux saveurs du jardin, ainsi que tout occupant de son chef, si besoin avec le concours de la force publique, d'un serrurier et de déménageurs,

- Condamné provisionnellement la SARLU Aux saveurs du jardin à payer à Mme [D] [M] épouse [V] la somme de 8 414 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés à la date du 31 janvier 2021,

- Condamné la SARLU Aux saveurs du jardin au paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 750 euros à compter du 1er février 2021 et ce jusqu'à la libération effective des lieux,

- Rejeté la demande de délais de paiement,

- Condamné la SARLU Aux saveurs du jardin au paiement de la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Le 2 septembre 2021, un procès-verbal de reprise des lieux a été établi.

Entre-temps, la SARL Comptoir central du froid, associée unique de la société Aux saveurs du jardin, a décidé la dissolution avec liquidation amiable de cette société à compter du 31 mars 2020 par une assemblée générale extraordinaire du même jour, M. [R] [K] étant désigné comme liquidateur amiable (annonce publiée le 8 avril 2020) et une dissolution sans liquidation dans les conditions de l'article 1844-5 du code civil à compter du 1er juin 2021 (annonce publiée le 14 juillet 2021).

Saisi par acte d'huissier en date du 12 août 2021 délivré par Mme [V] aux fins d'opposition à la dissolution sans liquidation et à la condamnation de la société Aux saveurs du jardin à une provision de 30'000 euros au titre des travaux à réaliser, le tribunal de commerce de Béziers a, par jugement du 29 novembre 2021':

- Débouté la société Aux saveurs du jardin, M. [R] [K] et la SARL Comptoir Central du Froid de leur exception d'incompétence au profit du tribunal judiciaire de Béziers ;

- Constaté que la dissolution sans liquidation de la société Aux saveurs du jardin cause un préjudice à Mme [V] créancière de ladite société ;

- Donné acte à Mme [V] de ce qu'elle ne sollicite plus que la somme de 47 000 euros au titre des réparations à titre global et forfaitaire ;

- Condamné la société Aux saveurs du jardin au paiement de la somme de 47000 euros au titre des travaux à réaliser à Mme [V] ;

- Condamné la société Aux saveurs du jardin, M. [R] [K] et la SARL Comptoir Central du Froid au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue le 14 janvier 2022, les sociétés Aux saveurs du jardin et le Comptoir central du froid ont relevé appel de ce jugement.

Elles demandent à la cour, en l'état de leurs conclusions du 19 janvier 2023, au visa des articles 1844-5 alinéa 3 du code civil, R.211-3 et R.211-4 du code de l'organisation judiciaire, 524 et 700 du code de procédure civile, de':

- débouter Mme [V] de sa demande de radiation de la décision dont appel pour défaut d'exécution ;

- In limine litis, infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé être compétent pour statuer sur les demandes formulées par Mme [V] de condamnation de la société Aux saveurs du jardin à payer une quelconque somme au titre de la remise en état du local et de l'indemnité d'occupation ou à constituer de quelconques garanties en renvoyant la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Béziers,

- A titre subsidiaire, infirmer le jugement querellé :

- en ce qu'il a retenu que la dissolution sans liquidation de la société Aux saveurs du jardin avait causé à Mme [V] un préjudice et en conséquence condamné celle-ci à verser à l'intimée la somme de 47.000 euros au titre des travaux à réaliser ;

- en ce qu'il a solidairement condamné M. [R] [K] au paiement des dépens et frais non compris dans les dépens prévus par l'article 700 du code de procédure civile,

- En tout état de cause, condamner Mme [V] à payer à la société Aux saveurs du jardin et à la société Comptoir Central du Froid la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de la présente instance.

Au soutien de leur appel, elles font essentiellement valoir que :

- la société Aux Saveurs du jardin était dans l'impossibilité manifeste d'exécuter la décision, eu égard à ses difficultés financières depuis 2019,

- la demande en paiement au titre de la remise en état des locaux relève du statut des baux commerciaux, seul le tribunal judiciaire étant compétent,

- toutes les demandes étaient indivisibles et relevaient du tribunal judiciaire,

- la dissolution sans liquidation n'a pas causé de préjudice à Mme [V], puisque l'obligation de procéder à une remise en état n'est pas fondée (le mur mitoyen n'existait pas'; il ne peut leur être demandé de le construire et la propriétaire de l'autre fonds s'y oppose) et aucun état des lieux du local n'est produit,

- l'indemnité d'occupation a été payée et les frais de reprise des clefs (frais d'huissier) ne constituent pas des dépens.

Par conclusions du 3 mai 2022, formant appel incident, Mme [V] sollicite de la cour, au visa de l'article 524 du code de procédure civile et des articles 1844-5 alinéa 3 et suivants du code civil, de'voir :

- Ordonner la radiation de l'affaire en l'absence d'exécution du jugement,

- Confirmer le jugement,

- Constater que la dissolution sans liquidation de la société Aux Saveurs du jardin lui cause un préjudice en sa qualité de créancière de ladite société,

- Ordonner à la société Aux saveurs du jardin le paiement de la somme de 47020 euros au titre des travaux à réaliser,

- Subsidiairement, ordonner la constitution de garanties à hauteur desdites sommes,

- Condamner la société Aux saveurs du jardin, M. [K] [R] et la société Comptoir Central du Froid au paiement de la somme de 3'000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.'

Elle expose en substance que':

- le jugement n'a jamais été exécuté,

- le tribunal de commerce est compétent pour statuer sur l'opposition des créanciers à une opération de dissolution-fusion, sur le fondement de l'article 1844-5 du code civil,

- la dissolution sans liquidation est frauduleuse en ce qu'elle vise à la priver de tout versement alors qu'il existe une dette locative (arriérés d'indemnités d'occupation, les lieux ayant été libérés le 2 septembre 2021 et n'ayant pas été remis en état),

- l'attestation de la SCI propriétaire des locaux contigus a été rédigée par sa gérante, qui est l'ancienne concubine du gérant de la société Aux saveurs du jardin.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 août 2023.

MOTIFS de la DECISION :

1- sur la demande de radiation fondée sur les dispositions de l'article 524 du code de procédure civile

En application des dispositions de l'article 524 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, comme en l'espèce, l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 27 janvier 2021, seul le conseiller de la mise en état, lorsqu'il est désigné et saisi, est compétent pour statuer sur une demande de radiation fondée sur l'inexécution du jugement dont appel, à l'exclusion de la cour.

Il en résulte que la demande de radiation, formée par Mme [V] est irrecevable.

2- sur la compétence

Le tribunal de commerce était saisi d'une demande d'opposition à la dissolution sans liquidation de la société Aux saveurs du jardin suite à la décision de son associé unique, la société Comptoir central du froid, par Mme [V], se considérant comme un créancier, susceptible d'être lésé par cette dissolution, dans le cadre du bail commercial l'ayant liée à la société dissoute.

Outre que l'examen de cette prétention ne relève pas de l'application du statut des baux commerciaux, régi par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, les dispositions de l'article R. 236-8 de ce même code, dans leur version antérieure au décret n°2023-430 du 2 juin 2023, désignent le tribunal de commerce comme compétent pour statuer sur les oppositions formées par un créancier.

Il en résulte que l'exception d'incompétence matérielle soulevée par les sociétés Aux saveurs du jardin et Comptoir central du froid doit être rejetée.

Le jugement sera confirmé.

3- sur l'effet dévolutif

Selon l'article 954 du code de procédure civile, pris en son alinéa 2, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Le dispositif des conclusions de l'appelant, remises dans le délai de l'article 908, doit comporter, en vue de l'infirmation ou de l'annulation du jugement frappé d'appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d'appel ne peut que confirmer ledit jugement.

En l'espèce, les sociétés Aux saveurs du jardin et Comptoir central du froid, appelantes, se sont bornées, dans leurs conclusions en date du 22 mars 2022, à conclure à l'infirmation du jugement (à titre subsidiaire) en ce qu'il les a condamnées, ainsi que M. [K], à payer diverses sommes à Mme [V] et aux dépens, sans formuler aucune prétention, dans le dispositif de ces conclusions, sur les demandes tranchées par le premier juge, et à solliciter une condamnation sur le fondement des articles 696 et 700 du code de procédure civile.

Eu égard aux dispositions de l'article 16 de ce code, il convient de prononcer la réouverture des débats afin que les parties puissent échanger sur le moyen tiré de l'absence d'effet dévolutif en application combinée des articles 908 et 954 de ce code, relevé d'office par la cour.

Il sera, dans l'attente, sursis à statuer sur l'ensemble des demandes restant à juger et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Déclare irrecevable la demande de radiation, fondée sur les dispositions de l'article 524 du code de procédure civile,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SARL Aux saveurs du jardin et la SARL Comptoir central du froid,

Avant dire droit, ordonne la réouverture des débats,

Invite les parties à conclure sur le moyen tiré de l'absence d'effet dévolutif des conclusions d'appel des sociétés Aux saveurs du jardin et Compter central du froid en application combinée des articles 908 et 954 du code de procédure civile à l'exclusion de tout autre, avant le 21 mai 2024,

Sursoit à statuer sur les chefs de demandes non tranchés,

Renvoie la cause et les parties à l'audience collégiale du 11 juin 2024 à 14 heures, avec nouvelle clôture des débats le 28 mai 2024,

Réserve les dépens.