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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 27 février 2024, n° 23/07771

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

BM Louis Blans (SCI)

Défendeur :

Takeo Team (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze

Avocats :

Me Garban, Me Dutreuilh, Me Claudel, Me Volfinger

T. com. Paris, du 17 févr. 2023, n° 4406…

17 février 2023

FAITS ET PROCÉDURE:

La société Takeo team, qui a pour dirigeante Mme [H] [U], exploitait un fonds de commerce de restauration, acquis le 3 septembre 2021, de la société Noda en liquidation judiciaire. Le 3 septembre 2021, un avenant au renouvellement du bail commercial, consenti le 26 mars 2016, a été conclu entre la SCI BM Louis Blans et la société Takeo team actant la substitution de celle-ci à la société Noda.

La SCI BM Louis Blans a délivré plusieurs commandements de payer à la société Takeo team, dont le dernier en date du 29 juillet 2022. Le CIC, garant au titre d'une garantie à première demande, a payé, le 2 août 2022, la somme due.

Le 6 septembre 2022, la SCI BM Louis Blans a vainement délivré à la société Takeo team un commandement aux fins de reconstitution de la garantie à première demande. Le 27 octobre 2022, elle a assigné la société Takeo team en acquisition de la clause résolutoire et, par ordonnance du 4 janvier 2023, le juge des référés a constaté l'acquisition de la clause résolutoire.

Par jugements des 19 janvier et 17 février 2023, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Takeo team puis converti la procédure en liquidation judiciaire, la SELAFA MJA étant désignée successivement mandataire puis liquidateur judiciaires.

Le 24 janvier 2023, appel de l'ordonnance constatant l'acquisition de la clause résolutoire a été interjeté par la SELAFA MJA alors mandataire judiciaire.

Par ordonnance du 6 avril 2023, le juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce au profit de Mme [R] [F] agissant pour le compte d'une société à constituer au prix de 60.260 euros. La société B5, cessionnaire, a été immatriculée et est intervenue dans l'instance d'appel de l'ordonnance constatant l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial.

Par déclaration du 25 avril 2023, la SCI BM Louis Blans a fait appel de l'ordonnance autorisant la cession du fonds de commerce en intimant le liquidateur judiciaire, la société Takeo team et Mmes [U] et [F].

La société B5 est intervenue volontairement.

Par arrêt du 14 novembre 2023, la cour d'appel de Paris a constaté la caducité de la déclaration d'appel de la SELAFA MJA ès qualités interjeté à l'encontre de l'ordonnance du juge des référés du 4 janvier 2023.

Par dernières conclusions n° 3 remises au greffe et notifiées par RPVA le 18 décembre 2023, la SCI BM Louis Blans demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, d'annuler la cession, de désigner un expert judiciaire aux fins d'état des lieux, de constat d'éventuels désordres et d'évaluation du coût des travaux et remises en état, d'ordonner après la tenue de l'expertise la restitution des clés et des lieux avec remise en état des locaux suite aux travaux réalisés à compter du 12 mai 2023, au besoin ordonner l'expulsion de tous occupants sous astreinte, ordonner au liquidateur judiciaire de régler les indemnités d'occupation dues depuis le 19 janvier 2023 suivant le dispositif de l'ordonnance de référé du 4 janvier 2023 et les factures qui lui ont été adressées, en toutes hypothèses de débouter la société Takeo team représentée par son liquidateur et la société B5 de l'ensemble de leurs demandes, de condamner la société Takeo team représentée par son liquidateur à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner le liquidateur à lui payer la somme de 3.000 euros sur le même fondement, de condamner la société B5 à lui payer la somme de 3.000 euros sur le même fondement, de condamner la société Takeo team représentée par son liquidateur et la société B5 aux dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct, de condamner le liquidateur aux dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct.

Elle expose qu'elle s'est opposée à plusieurs reprises à la cession du fonds de commerce envisagée en arguant de l'acquisition préalable de la clause résolutoire, que la société B5 était prête à lui remettre les clés après l'arrêt de la cour d'appel mais qu'elle a elle-même constaté des désordres affectant les locaux.

Elle soutient que l'ordonnance de référé du 4 janvier 2023 étant définitive, le bail a été résolu avant le jugement d'ouverture de la procédure collective, qu'en outre le gel des poursuites induit par l'ouverture de la procédure collective ne s'appliquait pas en l'espèce, s'agissant d'une résolution du bail fondée sur le non-respect d'une obligation de faire, c'est-à-dire fournir une garantie à première demande, et non d'une obligation de paiement, qu'en conséquence la cession, qui porte sur un bail qui n'existe plus, est sans objet.

Elle invoque par ailleurs l'état des locaux pour demander une expertise judiciaire, l'expulsion, après expertise, de tous occupants si les clés n'étaient pas rendues spontanément.

Elle fait valoir que le liquidateur judiciaire n'a pas réglé les indemnités d'occupation du 19 janvier au 16 février 2023 ni celles à compter du 7 avril 2023, qu'il a enfreint l'ordonnance d'autorisation de la cession en remettant les clés du local au candidat repreneur qui a entrepris des travaux malgré l'interdiction qui lui en était faite dans l'ordonnance du juge-commissaire. Elle ajoute que le liquidateur judiciaire avait une obligation de résultat pour apprécier si le bail objet principal de l'offre de cession était susceptible de se poursuivre alors qu'une ordonnance de référé en avait constaté la résolution et qu'il avait également une obligation de résultat dans la surveillance des locaux qu'il a pourtant négligée.

Par dernières conclusions n° 2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 janvier 2024, la SELAFA MJA ès qualités demande à la cour d'infirmer partiellement l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a autorisé la cession et de la confirmer concernant les engagements pris par le repreneur à compter de son prononcé en cas de confirmation de l'ordonnance de référé du 4 janvier 2023, statuant à nouveau d'ordonner la remise des clés à la date du procès-verbal de constat de difficultés de remise des clés le plus récent à partir de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 novembre 2023, de rejeter la demande de désignation d'un expert judiciaire, de rejeter la demande de paiement d'indemnités d'occupation à son encontre, de rejeter les demandes de condamnation des sommes de 3.500 euros et de 2.000 euros à son encontre, de débouter l'appelante de toutes ses autres demandes, de dire que les dépens seront à la charge de la SCI BM Louis Blans.

Elle soutient que l'appel de l'ordonnance de référé ayant constaté l'acquisition de la clause résolutoire ayant lui-même été déclaré caduc, l'ordonnance du 6 avril 2023 ne peut plus produire ses effets et devra être infirmée, que cette ordonnance, exécutoire en application de l'article R. 661-1 du code de commerce, n'est pas critiquable car elle respecte l'ensemble des clauses du bail commercial et que ledit bail n'était pas résilié dès lors que la procédure d'appel était pendante, que son infirmation devra être partielle, les engagements pris par le repreneur concernant les loyers, charges et travaux durant l'exploitation du fonds sous sa responsabilité, comme prévu à l'acte de cession, devant être maintenus.

Elle s'oppose à la demande d'expertise judiciaire, la dévolution de l'appel ne pouvant s'étendre aux conséquences hypothétiques de l'infirmation demandée et une demande d'expertise judiciaire étant infondée avant remise des clés, fait observer que l'expulsion a déjà été ordonnée par la décision du juge des référés et souligne que depuis l'arrêt d'appel du 14 novembre 2023, le bailleur lui-même s'oppose à la remise des clés.

Elle fait enfin valoir que le bailleur est à ce jour couvert de l'intégralité de ses arriérés de loyers, des loyers courants, du dépôt de garantie de substitution et qu'il bénéficie d'une garantie à première demande, que la SCI BM Louis Blans a été impliquée à chaque étape du processus de cession et en a été informée, que c'est de son propre chef qu'elle a accepté des paiements reçus et qu'elle en a refusé d'autres de même que la garantie à première demande, que l'éventuelle créance d'indemnité d'occupation doit d'abord être déclarée au passif de la liquidation, qu'en outre l'acte de cession notifié au bailleur prévoit que l'acquéreur assume les risques et charges de la période d'exploitation du fonds de commerce à compter de l'ordonnance et jusqu'à l'expiration des recours et que la somme de 7.038,40 euros reste acquise au bailleur ainsi que les paiements de loyers, charges et autres frais assumés par le repreneur depuis l'ordonnance autorisant la cession.

Par dernières conclusions n° 2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 21 décembre 2023, la société B5 et Mme [F] demandent à la cour de prendre acte que la société B5 s'en rapporte à la sagesse de la cour et d'écarter toute condamnation à l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la société B5.

Elles soutiennent que la caducité de la déclaration d'appel prononcée le 14 novembre 2023 aboutit à rendre définitive la résiliation du bail commercial prononcée le 4 janvier 2023 de sorte qu'elles n'ont plus intérêt à défendre dans la présente instance et s'en rapportent.

La déclaration d'appel et les premières conclusions d'appelante ont été signifiées le 30 mai 2023 à personne morale à la société Takeo team représentée par son liquidateur judiciaire et par remise de l'acte à l'étude de l'huissier à Mme [U]. Elles n'ont pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 janvier 2024.

SUR CE,

Sur la cession du fonds de commerce :

Il est acquis au débat que le bail commercial grâce auquel la société Takeo team exploitait son activité a été résolu à compter du 7 octobre 2022, date d'acquisition de plein droit de la clause résolutoire constatée par l'ordonnance du juge des référés du 4 janvier 2023, l'appel de cette ordonnance ayant été déclaré caduc par arrêt du 14 novembre 2023.

Le juge-commissaire a autorisé la cession de gré à gré du fonds de commerce de la société Takeo team le 6 avril 2023, après que le bail commercial a été résolu.

Ayant été mis fin au bail commercial, élément essentiel du fonds de commerce, avant que le juge-commissaire ne statue, la cession de gré à gré du fonds de commerce de la société Takeo team ne pouvait être autorisée. L'ordonnance du juge-commissaire sera donc infirmée.

Sur les engagements pris par Mme [U] et la société B5 :

Les engagements pris par Mme [U] à laquelle s'est substituée la société B5 l'ont été en contrepartie de la cession du fonds de commerce. Cette cession n'étant pas autorisée, ces engagements ne peuvent être maintenus comme le demande la SELAFA MJA ès qualités quand bien même ils auraient été exécutés. L'ordonnance du juge-commissaire doit ainsi être infirmée en toutes ses dispositions et la SELAFA MJA ès qualités déboutée de sa requête.

Sur les autres demandes :

La cour est saisie, par l'effet dévolutif de l'appel, de la seule requête de la SELAFA MJA ès qualités et il n'appartient pas à la cour, statuant sur une ordonnance du juge-commissaire prise en application de l'article L. 642-19 du code de commerce, de faire procéder à une expertise judiciaire afférente à l'état des locaux, aux travaux réalisés et au coût de remise en état, ni d'ordonner le paiement d'indemnités d'occupation ni d'ordonner une expulsion, la cour constatant au demeurant que la SCI BM Louis Blans dispose de l'ordonnance du juge des référés qui a ordonné l'expulsion de tous occupants et fixé le montant d'une indemnité d'occupation et que les paiements attendus relèvent des règles propres à la liquidation judiciaire mises en œuvre par le liquidateur. Il n'appartient pas non plus à la cour de définir les conditions de restitution des clés au bailleur en conséquence du rejet de la demande d'autorisation de la cession du fonds de commerce. La SCI BM Louis Blans sera en conséquence renvoyée à mieux se pourvoir, de même que la SELAFA MJA ès qualités s'agissant de sa demande de restitution des clés à la date du procès-verbal de constat de difficultés de remise des clés le plus récent à partir de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 novembre 2023.

Sur les demandes accessoires :

Les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure collective. L'équité commande de ne pas faire droit aux demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour statuant par défaut,

Infirme l'ordonnance du juge-commissaire du 6 avril 2023 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déboute la SELAFA MJA ès qualités de sa requête et dit n'y avoir lieu d'autoriser la cession du fonds de commerce de la société Takeo team à quiconque ;

Y ajoutant,

Renvoie la SCI BM Louis Blancs à mieux se pourvoir s'agissant de ses demandes de désignation d'un expert judiciaire, en paiement d'indemnités d'occupation, en restitution des clés après des opérations d'expertise judiciaire, en expulsion de tous occupants ;

Déboute la SELAFA MJA ès qualités de sa demande de maintien des engagements pris par Mme [F] et la société B5 ;

Renvoie la SELAFA MJA ès qualités s'agissant de sa demande de restitution des clés à la date du procès-verbal de constat de difficultés de remise des clés le plus récent à partir de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 novembre 2023 ;

Déboute la SCI BM Louis Blancs et la SELAFA MJA ès qualités de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.