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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 23 février 2024, n° 23/13698

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Sport Concept France (SAS)

Défendeur :

Société Civile de Breviande

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

Mme Le Cotty, M. Birolleau

Avocats :

Me Moisan, Me Genéty, Me Pauck, Me Loichot

TJ Meaux, du 5 juill. 2023, n° 23/00097

5 juillet 2023

Par acte en date du 22 janvier 2021, la société civile de Bréviande a donné à bail commercial à la société Sport Concept France des locaux, situés [Adresse 2], à [Localité 3] (Seine-et-Marne), pour l'exploitation, notamment, d'une salle de sport, pour une durée de neuf ans à compter du 1er avril 2021 et moyennant un loyer annuel de 38.350 euros hors charges et hors taxes.

Des loyers étant demeurés impayés, le bailleur a, par acte du 23 mars 2022, fait délivrer au locataire un commandement, visant la clause résolutoire insérée au bail, de payer la somme de 32.445,20 euros en principal, puis, par acte du 23 janvier 2023, l'a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux aux fins de constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail, ordonner l'expulsion de la locataire et la voir condamner au paiement, à titre provisionnel, de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.

Par ordonnance contradictoire rendue le 5 juillet 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux a :

constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 24 avril " 2023" ;

ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de l'ordonnance, l'expulsion de la société Sport Concept France et de tout occupant de son chef des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 3] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;

dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de deux mois à l'expiration duquel il sera procédé à la mise en vente aux enchères publiques des biens paraissant avoir une valeur marchande, les autres biens étant réputés abandonnés, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;

fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation due mensuellement par la société Sport Concept France, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à la somme de 4.221,29 euros toutes taxes comprises et charges incluses ;

condamné par provision la société Sport Concept France à payer à la société civile de Bréviande la somme de 58.859,78 euros au titre du solde des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation dus au 13 juin 2023 ;

condamné la société Sport Concept France aux dépens et à payer à la société civile de Bréviande la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des autres parties.

Par déclaration du 31 juillet 2023, la société Sport Concept France a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Par dernières conclusions remises et notifiées le 23 octobre 2023, elle demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

à titre principal,

- dire n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes formulées par la société civile de Bréviande ;

- rejeter la demande d'acquisition de la clause résolutoire formée par la société civile de Bréviande ;

- débouter la société civile de Bréviande de l'intégralité de ses prétentions ;

- la condamner à lui régler la somme de 100.000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis subséquemment à l'inexécution contractuelle des obligations du bailleur ;

à titre subsidiaire,

- l'autoriser à consigner les loyers qui resteraient éventuellement dus au bailleur et ce, de façon échelonnée sur un délai de 24 mois, à hauteur de 500 euros par mois pendant les 23 premiers mois et le solde des sommes, qui resteraient dues, le 24ème mois, et dire que le point de départ du délai de 24 mois ne pourra intervenir qu'à compter de la remise effective des clés d'accès du portillon et d'une attestation justifiant de la mise en conformité des portails et d'une attestation justifiant de la réparation de la porte d'accès au lot, de la porte sectorielle et du skydome ;

- ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire ;

à titre reconventionnel et en tout état de cause,

- ordonner la remise sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à compter de la décision à intervenir, par la société civile de Bréviande des clés d'accès au portillon, d'une attestation de mise aux normes des portails, d'une attestation de réparation de la porte d'entrée et de la porte sectorielle des locaux et du skydome ;

- condamner la société civile de Bréviande à lui régler la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance outre la somme de 5.000 euros au titre de la procédure d'appel, en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel avec faculté, pour ceux d'appel, de recouvrement direct au profit de la SELARL d'avocats Baechlin Moisan.

Par dernières conclusions remises et notifiées le 20 novembre 2023, la société civile de Bréviande demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise ;

- débouter la société Sport Concept France de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Sport Concept France à lui verser la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ainsi qu'aux dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

SUR CE, LA COUR,

L'article 835 du code de procédure civile dispose : 'Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.'

Sur la délivrance des locaux

La société Sport Concept France invoque, au soutien de l'existence d'une contestation sérieuse sur la demande de provision présentée par la société civile de Bréviande, l'exception d'inexécution liée au manquement du bailleur à son obligation de délivrance conforme tenant à des non-conformités des locaux loués et à la fermeture de la porte d'entrée du local et des portes sectorielles.

La société civile de Bréviande soutient qu'elle n'a pas manqué à ses obligations de délivrance et de jouissance paisible des locaux loués et que, notamment, la société Sport Concept France avait accès aux locaux pour exploiter son activité.

Aux termes de l'article 1719 du code civil, le bailleur doit délivrer la chose louée au preneur et lui assurer une jouissance paisible des lieux loués. L'article 1728 du même code oblige le preneur à payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus.

Le locataire ne peut toutefois refuser de payer le loyer en invoquant l'exception d'inexécution que lorsqu'il se heurte à une impossibilité totale d'utiliser les lieux.

Il est constant que les locaux loués ont été mis à la disposition de la société Sport Concept France qui les a exploités. La locataire n'établit pas avoir été dans l'impossibilité absolue d'utiliser les locaux conformément à leur destination :

- ni du fait de dysfonctionnements, en 2022, du système de fermeture des portails, alors même qu'elle reconnaît que les portails principaux étaient ouverts de 7 heures à 18 heures, que le bail ne prévoit aucune prescription en matière d'ouverture des accès, qu'elle admet avoir disposé de la clé du boîtier électrique renfermant le moteur de ces portails et qu'elle ne conteste pas les constatations d'huissier du 26 mai 2023 à 18h10 aux termes desquelles 'les portails d'entrée et de sortie sont toujours ouverts tant en entrée qu'en sortie ; des voitures les franchissent sans difficulté.' (pièce Bréviande n°12) ;

- ni du fait des problèmes d'ouverture du skydome, de fuites d'eau, de fermeture de certaines portes et de raccordement à internet.

En tout état de cause, si les désagréments occasionnés par les désordres affectant le bâtiment loué ne peuvent être ignorés, il n'apparaît pas que ceux invoqués par la locataire aient été d'une gravité telle qu'ils aient fait obstacle à l'exploitation des locaux, laquelle a généré un chiffre d'affaires de 80.100 euros entre avril 2021 et décembre 2022 (pièce Sport Concept France n°41). La société Sport Concept France ne justifie ainsi d'aucune exception d'inexécution qui aurait pu permettre de la dispenser de régler les loyers dus. Ainsi que l'a retenu le premier juge, la contestation de la société Sport Concept France fondée sur l'article 1719 du code civil ne présente pas de caractère sérieux.

Sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences

L'article L.145-41 du code de commerce dispose : 'Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.'

Le bail en date du 16 août 2011 prévoit en son article 14.1 'Clause résolutoire' : 'Il est expressément convenu qu'à défaut de paiement à son échéance exacte d'un seul terme de loyer (...) et un mois après un simple commandement de payer ou une sommation d'exécuter restés sans effet et contenant déclaration par le bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, le présent bail sera résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, sans qu'il soit besoin de remplir de formalités judiciaires et nonobstant toutes consignations ou offres réelles postérieures au délai ci-dessus.'

Par acte du 23 mars 2022, le bailleur a fait signifier à la société Sport Concept France un commandement, visant la clause résolutoire contractuelle, de payer la somme de 32.692,89 euros en principal.

La société Sport Concept France invoque la nullité du commandement de payer tirée de la mauvaise foi, dans la mise en oeuvre de la clause résolutoire, du bailleur dont l'inertie a fait obstacle à la jouissance paisible des locaux.

Il convient de rappeler qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de prononcer la nullité du commandement de payer, son irrégularité, à la supposer établie, ne pouvant que constituer une contestation sérieuse sur sa validité de nature à faire obstacle à la demande tendant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire.

La société Sport Concept France n'établissant pas que les dysfonctionnements invoqués aient fait obstacle à l'exploitation des locaux, elle ne peut valablement invoquer la mauvaise foi du bailleur dans la délivrance du commandement de payer, de sorte que la contestation soulevée sur la validité du commandement de payer ne présente pas de caractère sérieux.

En l'espèce, il est constant que les causes du commandement de payer du 23 mars 2022 n'ont pas été intégralement réglées dans le délai d'un mois imparti par cet acte, de sorte que la clause résolutoire était acquise au 24 avril 2022.

Sur la demande de délais de paiement

Il résulte de l'article L. 145-41 du code de commerce précité que le juge peut accorder des délais de paiement et suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire.

La société Sport Concept France sollicite la possibilité de régler sa dette en 24 mensualités et, par suite, la suspension des effets de la clause résolutoire.

Il ressort cependant des comptes provisoires de la société Sport Concept France arrêtés au 31 décembre 2022 (pièce Sport Concept France n°41), correspondant à son premier exercice social, que celle-ci a connu une perte de 86.256 euros, pour un chiffre d'affaires de 80.100 euros et des charges d'exploitation de 165.685 euros. La locataire ne fait état d'aucune perspective de retour à une situation bénéficiaire, n'a procédé à aucun remboursement partiel, en sus du loyer courant, de sa dette - laquelle n'a cessé d'augmenter, passant de 32.445,20 euros au 18 mars 2022 à 81.883,51 euros au 27 octobre 2023 - et ne justifie dès lors pas de sa capacité à apurer sa dette dans le délai proposé. L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté sa demande de délais ainsi que sa demande subséquente de suspension des effets de la clause résolutoire.

Elle sera également confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail, avec toutes conséquences de droit, dont l'expulsion de la société Sport Concept France et sa condamnation au paiement d'une indemnité provisionnelle d'occupation égale au montant du loyer qui aurait été dû si le bail s'était poursuivi, outre les charges.

Sur la demande de provision au titre des loyers

La société civile de Bréviande conclut à la confirmation de la décision déférée en ses dispositions relatives à la condamnation de l'appelante au paiement d'une provision de 58.859,78 euros au titre du solde de loyers et de charges arrêté au 13 juin 2023.

La société Sport Concept France conteste ce montant en ce que :

- le bailleur ne justifie ni des appels de charges, ni des régularisations des charges ;

- la créance ne prend pas en compte la franchise de 10 mois de loyers, de 38.350 euros TTC, correspondant au manquement du bailleur à son obligation de délivrance durant 10 mois ;

- les pénalités de retard ne sont pas dues dès lors que les locaux font encore l'objet de nombreux désordres ;

- les frais de rappel facturés en décembre 2021 ne sont pas justifiés.

Ne sont toutefois sérieuses devant la cour :

- ni la contestation relative aux provisions pour charges dont les montants ont été déduits, par le premier juge, de la provision réclamée ;

- ni celle concernant la franchise de loyer pour retard dans la délivrance du bien, alors que les locaux ont bien été mis à la disposition de la locataire ;

- ni celle portant sur les pénalités de retard, lesquelles ne figurent pas sur l'extrait de compte produit par la société civile de Bréviande au soutien de sa demande de provision (pièce Bréviande n°13) ;

- ni celle relative aux frais de rappel dont la prise en compte, prévue par l'article 20 'Modalités de règlement' du bail, n'est pas sérieusement contestable.

Sur la demande reconventionnelle de la société Sport Concept France

La société Sport Concept France sollicite :

- la condamnation de la société civile de Bréviande au paiement d'une provision de 100.000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices occasionnés par l'inexécution des obligations contractuelles du bailleur, lesquelles ont entraîné une perte d'abonnements et de contrats de vente de machines de sport ;

- la remise par le bailleur, sous astreinte, des clés d'accès au portillon, d'une attestation de mise aux normes et remise en état de fonctionnement des portails, et d'une attestation de réparation de plusieurs portes et du skydome.

Elle ne justifie toutefois pas du préjudice commercial allégué, n'établissant pas que les pertes de contrats invoquées résultent directement des dysfonctionnements affectant les locaux, ni, en tout état de cause, aient occasionné une perte de marge à hauteur de la provision de dommages et intérêts réclamée.

Par ailleurs, au regard de l'acquisition de la clause résolutoire depuis le 24 avril 2022, les demandes de la société Sport Concept France relatives à la remise par le bailleur des clés d'accès au portillon, d'une attestation de mise aux normes et de remise en état de fonctionnement des portails, et d'une attestation de réparation de plusieurs portes et du skydome sont sans objet comme l'a retenu le premier juge.

L'ordonnance entreprise sera confirmée sur ces points.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.

Au regard des circonstances de la cause, la société Sport Concept France supportera les dépens d'appel.

L'équité commande de la condamner à payer à la société de Bréviande la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Condamne la société Sport Concept France aux dépens d'appel ;

La condamne à payer à la société civile de Bréviande la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.