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Décisions

CA Pau, 2e ch - sect. 1, 27 février 2024, n° 21/01201

PAU

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

MJD (SCI)

Défendeur :

Cetraid (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pellefigues

Conseillers :

M. Darracq, Mme Guiroy

Avocats :

Me Tortigue, Me Thibaud

TJ Bayonne, du 11 mars 2021, n° 21/1201

11 mars 2021

FAITS- PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

Par acte authentique du 26 mai 1999, la société civile immobilière MJD a donné à bail commercial d'une durée de 18 ans, à effet au 1er janvier 1999, à la société BAB investissement, aux droits de laquelle vient la société par actions simplifiée Cetraid, deux parcelles non-bâties, cadastrées DE n°[Cadastre 2], formant les lots 19 et 20 de la zone d'aménagement concertée du quartier [Adresse 5], à [Localité 3], pour une superficie totale de 9544 m².

Le bail précise que la locataire réalisera à ses frais, risques et périls les travaux projetés objet d'un permis de construire délivré le 3 mars 1999 par le maire d'[Localité 3].

La locataire a fait édifier un bâtiment industriel de 2280 m² destiné à son activité de traitement et de recyclage de déchets.

Par acte du 21 juin 2016, la bailleresse a fait délivrer un congé avec offre de renouvellement proposant de porter le loyer annuel, en dernier lieu d'un montant de 19.464 euros HT, à la somme de 160.000 euros HT à compter du 1er janvier 2017.

Selon acte du 23 avril 2017, la locataire a accepté le principe du renouvellement du bail mais moyennant un loyer annuel de 21.410 euros.

Par jugement du 17 mai 2018, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Bayonne a :

- dit que les constructions édifiées par la locataire au cours du bail expiré ne pourront être prises en compte pour la fixation du loyer que lors du second renouvellement

- dit que le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2017 doit être fixé en fonction de la valeur locative du terrain selon les termes de l'article R 145-9 du code de commerce

- avant dire droit, ordonné une mesure d'expertise sur la valeur locative des biens loués confiée à Mme [H].

Par jugement du 11 mars 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bayonne a :

- rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise

- fixé à la somme de 21.410,40 euros HT le loyer « révisé » du bail liant les parties

- dit que le loyer ainsi fixé est exigible depuis le 1er janvier 2017

- condamné en tant que de besoin la société Cetraid à verser à la SCI MJD le différentiel entre les loyers versés depuis le 1er janvier 2017 et ceux dus tels que fixés avec intérêt légal à compter de la présente décision

- s'est déclaré incompétent sur les demandes reconventionnelles

- laissé à la charge de chacune des parties ses autres dépens et frais irrépétibles

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 8 avril 2021, la SCI MJD a relevé appel de ce jugement.

Par arrêt du 26 septembre 2022, la cour de céans a :

- infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise de Mme [H],

- prononcé la nullité du dit rapport d'expertise

- avant dire droit, ordonné une nouvelle expertise confiée à M. [F]

- sursis à statuer sur la fixation du loyer du bail renouvelé

- réservé les dépens et les demandes faites en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'expert judiciaire a clôturé son rapport d'expertise le 30 mars 2023, en proposant une valeur locative annuelle de 66.000 euros HT à compter du 1er janvier 2017.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 décembre 2023 ;

A l'ouverture des débats, et par mention au dossier, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture et fixé la clôture au 9 janvier 2024, à la demande de l'intimée et avec l'accord de l'appelante qui a indiqué ne pas vouloir répliquer aux dernières conclusions de son adversaires.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 16 juin 2023 par la SCI MJD qui a demandé à la cour de :

- voir fixer la valeur locative annuelle à la somme de 148.000 euros, hors charges, hors taxes + TVA à compter du 1er janvier 2017

- ordonner le paiement de l'arriéré de loyer depuis le 1er janvier 2017, outre les intérêts de retard au taux légal sur chaque échéance mensuelle

- ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil

- condamner la société Cetraid à lui payer lesdites sommes, outre une indemnité de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* Vu les dernières conclusions notifiées le 21 décembre 2023 par la société Cetraid qui a demandé à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris

- à titre subsidiaire, de lui donner acte de ce qu'elle accepte la nouvelle valeur locative proposée par l'expert [F], et ce d'autant qu'elle avait déjà proposé de payer ce loyer à l'amiable

- condamner la SCI MJD à lui payer une indemnité de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive

- dans tous les cas, condamner la SCI MJD à lui payer une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

sur le prix du bail renouvelé au 1er janvier 2017

L'expert judiciaire a d'abord recherché la valeur vénale des parcelles louées.

A cette fin, il a retenu 7 termes de comparaison, dont la moyenne brute, avant toute correction, fait ressortir un prix moyen de 271,27 euros.

Le prix de chaque terme de comparaison a fait l'objet de 8 coefficients correcteurs, numérotés de 1 à 8, définis au regard des caractéristiques des parcelles louées, et, successivement appliqués au prix déterminé par le dernier coefficient, faisant ressortir un prix moyen rectifié des parcelles louées d'un montant de 115,70 euros, soit une valeur des parcelles de 9544 m² x 115 euros arrondis = 1.097.560 euros, arrondie à 1.100.000 euros.

Ensuite, l'expert a appliqué à cette valeur un taux de rendement de 6 %, faisant ressortir une valeur locative annuelle de 66.000 euros.

L'appelante reproche à l'expert [F] non seulement d'avoir retenu une méthode d'application des coefficients d'adaptation inconnus de la pratique et sans l'expliquer dans sa réponse à son dire n°3, mais aussi le manque de pertinence des coefficients appliqués alors que :

- en retraitant ces derniers, on obtient une valeur locative annuelle de 148.000 euros HT

- ou, en faisant la moyenne des coefficients retenus par l'expert [F], on obtient une valeur locative de 141.613,87 euros.

Cela posé, l'appelante ne remet pas en cause les sept termes de comparaison cités par l'expert [F] ni le prix de référence moyen de 271,27 euros, avant tout retraitement tenant compte des spécificités des parcelles louées.

En outre, il résulte des dispositions de l'article R. 145-9 du code de commerce que le prix du bail des terrains est fixé en considération de ceux des éléments qui leur sont particuliers, eu égard à la nature et aux modalités de l'exploitation effectivement autorisée.

En l'espèce, les parcelles louées doivent être évaluées comme un terrain nu, constructible mais non-viabilisé, la locataire ayant procédé aux travaux de raccordements aux réseaux, situé dans une zone UE1 comportant des activités de commerce, d'hôtellerie, de bureaux, artisanales ou industrielles dite zone de [Adresse 5].

Si la clause de destination du bail liant les parties est « tout commerce », les parties sont convenues ab initio d'affecter les parcelles à l'exploitation d'une activité de traitement de déchets, à charge pour la locataire de réaliser, à ses frais, risques et périls, les travaux de construction du bâtiment industriel pour la collecte, le traitement et le recyclage des déchets, installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), soumise aux dispositions du code de l'environnement.

La clause d'accession prévoit que, en fin de bail, les améliorations réalisées par la locataire resteront la propriété de la bailleresse, sans indemnité pour la locataire.

L'intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris, qui a retenu son offre en raison de la carence probatoire de la bailleresse, mais sans justifier son analyse ni remettre en cause les conclusions de l'expert [F].

Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'expert [F] a entièrement répondu à son dire n°3 en justifiant les 8 coefficients correcteurs retenus ainsi que sa méthode d'évaluation « au regard de la singularité du cas d'espèce et du cadre judiciaire » (page 30 dernier § du rapport d'expertise).

A cet égard, la cour rappelle que le juge des loyers apprécie souverainement la méthode d'évaluation qui lui paraît la mieux appropriée au cas d'espèce.

Sur le plan théorique, la méthode de l'expert [F] a le mérite d'objectiver les facteurs précis et mesurables de valorisation ou de dépréciation des termes de comparaison, ne générant aucune redondance d'une pondération sur des valeurs déjà pondérées.

In fine, les coefficients correcteurs aboutissent à une décote de 57,35 % du prix moyen de référence de 271,27 euros, décote dont la pertinence est soumise à la discussion des parties, l'appelante se prévalant d'un avis d'un autre expert, M. [K], qui a été examiné par l'expert judiciaire.

En l'espèce, le coefficient 1 (différence de prix en zone UEI et IAUe) n'a appelé aucune critique, l'avis [K], cité par l'appelante, ayant approuvé la méthode expertale.

Le coefficient 2 (réajustement des prix au 1er janvier 2017) : l'expert judiciaire a justement relevé que l'avis [K] était incohérent.

Le coefficient 3 (emplacement) n'a pas appelé de critique particulière.

Le coefficient 4 (configuration) : l'expert judiciaire a justement relevé que la configuration de la parcelle est irrégulière et peu rationnelle pour la construction d'un vaste ensemble avec parkings et circulations de véhicules, d'autant que la façade de 25 mètres sur la rue [Adresse 6] est étroite par rapport à la superficie des parcelles et réduit la visibilité des lieux, et alors que, par ailleurs, les parcelles sont situées en seconde ligne, n'étant pas visibles depuis la voie publique, au détriment d'une exposition recherchée par des enseignes prestigieuses ou sensibles à leur image de marge.

Le coefficient 5 (superficie) : l'expert judiciaire a justement relevé que le prix au m² des terrains cités en référence d'une superficie moyenne de 2070 m² ne saurait être appliqué sans coefficient à un terrain de 9544 m², la valeur du prix du m² décroissant à proportion de l'accroissement de la superficie de la parcelle.

Le coefficient 6 (coût des travaux d'origine) : l'avis [K] est erroné sur l'état de viabilisation des parcelles avant leur mise en location. En outre, le principe d'une décote est pertinent au regard de l'état de friche des parcelles louées, de leur situation en léger surplomb et du relief d'origine nécessitant d'aplanir la surface.

Le coefficient 7 (pollution des sols) : l'avis [K] considère que le coefficient de minoration doit être ramené de 20 à 15 % dès lors que l'exploitant bénéficie des autorisations ICPE constitue une valorisation des parcelles et que le risque de pollution est contrôlé ; selon l'appelante, le terrain industriel loué avec une capacité de traitement de plus de 60.000 tonnes de déchets traités, n'a pas d'équivalent zone de [Adresse 5], de sorte que l'expert devait valoriser le terrain au regard de l'exploitation effectivement autorisée.

Mais, si les autorisations ICPE sont susceptibles de valoriser le fonds de commerce exploité par la locataire, elles n'ont aucune incidence sur la valeur locative des parcelles.

Et, s'il est exact que l'exploitant final devra supporter le coût des travaux de dépollution du site, soit au titre de son obligation légale de remise en état des lieux, soit au titre de son obligation contractuelle de restitution, le potentiel d'exploitation permis par les parcelles louées se trouve neutralisé précisément par la charge des obligations qui incombent au locataire.

En outre, il doit être tenu compte de la clause d'accession qui transfère la propriété des améliorations réalisées par la locataire au profit de la bailleresse, sans indemnité.

Le coefficient 7 (facteurs locaux de commercialité) : contrairement à ce que suggère l'avis [K], la minoration des facteurs locaux de commercialité, lesquels ont survalorisé les termes de comparaison, rectifiés au 1er janvier 2017, ne fait pas double emploi avec l'obtention d'une autorisation ICPE.

En outre, l'expert judiciaire a justement relevé que les facteurs locaux de commercialité qui ont valorisé les biens cédés, ne présentaient pas d'intérêt pour l'activité autorisée sur les parcelles, de sorte qu'il était pertinent d'appliquer un coefficient de minoration de ce chef.

En définitive, la cour approuve le principe des coefficients correcteurs retenus par l'expert judiciaire, le taux final de 57,35 % étant en relation avec les éléments particuliers des parcelles louées, eu égard à la nature et aux modalités de l'exploitation effectivement autorisée.

Par conséquent, infirmant le jugement entrepris, le prix du bail renouvelé sera fixé à la somme de 66.000 euros hors charges, hors taxes, la TVA étant en sus.

La cour rappelle que :

- le juge des loyers ne prononce pas de condamnation au paiement du loyer mais se borne à en fixer le montant ; sa décision constitue un titre exécutoire

- en l'absence de convention contraire sur les intérêts, les intérêts dus sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer en cours ou provisionnel courent à compter de la délivrance de l'assignation introductive d'instance en fixation du prix, lorsque le bailleur est à l'origine de la procédure, en l'espèce le 17 novembre 2017, et à compter de la notification du premier mémoire en défense lorsque c'est le preneur qui a saisi le juge, et à compter de la date d'exigibilité des échéances postérieures à ces dates

- les intérêts échus pour une année peuvent être capitalisés

Il sera fait masse des dépens de première instance et d'appel, en ce compris des frais d'expertise [H] et [F], et il sera dit que ces dépens seront partagés par moitié entre les parties.

Les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Vu l'arrêt du 26 septembre 2022,

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions déférées à la cour,

et statuant à nouveau,

FIXE le prix annuel du bail renouvelé au 1er janvier 2017 à la somme de 66.000 euros, hors charges, hors taxes, la TVA en sus,

DIT que la société Cetraid devra régler les intérêts à compter du 17 novembre 2017 pour les échéances échues avant cette date, et à compter de la date d'exigibilité des échéances postérieures, courus sur la différence entre les échéances dues et celles réglées, et que ces intérêts échus pour une année pourront être capitalisés,

FAIT masse des dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire [H] et [F], et dit que les dépens seront partagés par moitié entre les parties,

DEBOUTE la SCI MJD de ses demandes plus amples,

DEBOUTE les parties de leurs demandes fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure civile.