Livv
Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 2, 22 février 2024, n° 23/02878

DOUAI

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

AFZ (SCI)

Défendeur :

Asten Santé à Domicile (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbot

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

Avocats :

Me Leupe, Me Le Roy, Me Lafon

TJ Dunkerque, du 1 juin 2023, n° 23/0004…

1 juin 2023

Par un acte du 15 janvier 2018, la société Béci a consenti à la société Alsaperf un bail commercial portant sur un local situé à [Localité 5], pour un loyer annuel de 23 500 euros hors taxes et hors charges, payable trimestriellement, soit 5 875 euros par mois hors taxes et hors charges.

Ce contrat prévoyait qu'un surloyer de 74 500 euros, destiné à amortir des travaux d'aménagement spécifiques à l'utilisation des locaux par le preneur, devait être payé par des versements trimestriels de 2 069,46 euros hors taxes pendant toute la durée du bail, payables en même temps que les loyers, et qu'en cas de cession du fonds ou du droit au bail, le preneur devrait verser au bailleur le solde du surloyer dû à cette date.

Par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 novembre 2020, réceptionnée le 2 décembre 2020, la société Alsaperf a notifié à la société Beci son intention de céder le bail commercial à la société Asten santé à domicile (la société Asten), en transmettant le projet d'acte de cession de son fonds.

Par une lettre recommandée du 9 décembre 2020, la société Beci a autorisé cette cession du droit au bail à plusieurs conditions, et notamment le versement par la société Alsaperf, au plus tard au jour de l'acte réitératif de cession de fonds, du solde du surloyer dû à cette date.

Par un acte notarié du 15 décembre 2020, la société Beci a vendu à sa filiale, la société AFZ, un ensemble immobilier incluant le local commercial objet du bail en cause.

Par un acte du 30 avril 2021, auquel la bailleresse n'a pas été partie, la société Alsaperf a cédé à la société Asten son fonds de commerce. Cet acte indique notamment que le cédant ne doit au bailleur aucun arriéré, en particulier au titre du surloyer qui a été payé par le cédant le même jour.

Le 6 mai 2021, la société Alsaperf a informé la société AFZ de ce que la cession avait été signée le 30 avril 2021 pour une application au 1er mai 2021.

Le 24 octobre 2022, la société AFZ a mis en demeure la société Alsaperf de lui payer la somme totale de 63 634,53 euros correspondant à sa créance au titre du surloyer, de l'assurance, du loyer du mois d'avril 2021 et de la taxe foncière.

Le 2 décembre 2022, les sociétés AFZ et Asten ont résilié amiablement le bail, moyennent le versement, par cette dernière, d'une indemnité de résiliation anticipée de 6 700 euros et d'une somme de 5 046 euros au titre des sommes dues.

Le 2 janvier 2023, la société AFZ a assigné les sociétés Asten et Alsaperf en condamnation solidaire à lui payer une provision de 63 594,53 euros TTC en principal, au titre du solde du surloyer.

Le 3 février 2023, la société AFZ a réassigné la société Alsaperf, afin que le délai de quinze jours prescrit par l'article 754 du code de procédure civile soit respecté.

Les instances ont été jointes par le président du tribunal judiciaire de Dunkerque.

Par une ordonnance de référé du 1er juin 2023, ce juge a :

- condamné la société Alsaperf à payer à la société AFZ, à titre provisionnel, la somme de 63 594,53 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 3 février 2023 ;

- débouté la société AFZ de ses demandes plus amples ou contraires [et donc rejeté la demande de condamnation en ce qu'elle était aussi formée solidairement contre la société Asten] ;

- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné à titre provisionnel la société Alsaperf aux dépens.

Le 23 juin 2023, la société AFZ a relevé appel de cette ordonnance en intimant uniquement la société Asten et en limitant les chefs critiqués à ceux :

- la déboutant de sa demande de condamnation de la société Asten au paiement d'une indemnité provisionnelles de 63 594,53 euros,

- et disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

PRETENTION DES PARTIES :

Par ses conclusions notifiées par la voie électronique le 30 août 2023, la société AFZ demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

' rejeté sa demande de condamnation de la société Asten au paiement d'une provision de 63 594,53 euros, outre les intérêts ;

' dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et, en lieu et place :

- condamner à titre provisionnel la société Asten à lui payer, solidairement avec la société Alsaperf, les sommes de :

' 63 594,53 euros TTC au titre des loyers, charges et solde du surloyer du bail du 15 janvier 2018, cédé par acte notarié du 30 avril 2021, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

' 40 euros au titre des frais de relance ;

- condamner la société Asten à lui payer une indemnité de procédure de 3 000 euros ;

- rejeter toute demande plus ample ou contraire de la société Asten ;

- condamner la société Asten aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl Leupe Verhoeven Dhorne.

En fait, elle fait, d'abord, valoir ces éléments :

- la cession intervenue entre les sociétés Alsaperf et Asten a emporté transfert du bail, qui est demeuré annexé à l'acte, et dont les principales caractéristiques ont été rappelées, notamment l'existence d'un surloyer et la clause de solidarité entre cédant et cessionnaire, citée in extenso ;

- à la date de la cession du fonds, la société Asaperf devait encore la somme totale de 63 594,53 euros au titre du solde du surloyer (56 674,94 euros), de sa quote-part d'assurance (134,45 euros), du loyer du mois d'avril 2021 et de la régularisation (5 155,60 euros) et du prorata de la taxe foncière (1 629,54 euros) ;

- alors que la société Alsapert avait indiqué qu'elle payerait dès la mainlevée du séquestre du prix de vente, tel n'a pas été le cas.

Ensuite, la société AFZ, qui précise critiquer l'ordonnance entreprise uniquement en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande dirigée aussi contre la société Asten, reproche au juge des référés d'avoir estimé que l'acte de cession du bail au profit de la société Asten ne lui était pas opposable à elle, AFZ, une telle appréciation excédant ses pouvoirs juridictionnels et étant erronée.

Elle fait ainsi valoir que la société Asten ne peut sérieusement se dire victime d'une fausse déclaration de la société Alsaperf et que son obligation à la dette n'est pas sérieusement contestable, et ce sur deux fondements possibles :

- d'abord, la solidarité (article 1313 du code civil). En l'espèce, en tant que cessionnaire, la société Asten est devenue partie au bail et, en conséquence, garante solidaire de toutes les obligations du cédant conformément à l'article 12 du bail, qui stipule expressément une garantie générale du passif du cédant. En outre, lors de la résiliation amiable de ce contrat, le 2 décembre 2022, la société Asten s'est engagée à respecter toutes les clauses du bail, en précisant que son article 12 resterait applicable et, dès lors, que la société Asten resterait garantie solidaire du cédant pour toute somme restant due par celui-ci. L'acte de cession du fonds de commerce stipule également cette solidarité. La solidarité n'est donc pas contestable ;

- ensuite, la cession de contrat (articles 1216, 1327, 1327-1 et 1327-2 du code civil). L'accord à la cession de contrat par le « cédé » peut être antérieur à la cession et aucun texte n'exige la participation du cédé à l'acte de cession, le « cédé » pouvant prendre acte de la cession intervenue. En l'espèce, il n'est pas douteux que la cession du fonds de commerce intervenue entre les sociétés Alsaperf et Asten emporte cession du bail commercial. Le fait que le règlement des arriérés de loyer annoncé le jour de la signature de la cession ne soit pas intervenu est indifférent. Elle-même, AFZ, avait donné son accord à la cession de sa dette locative et la société Asten n'a jamais conditionné son acquisition au règlement, par la société Alsaperf, d'un arriéré locatif. Il appartenait à la société Asten d'être plus prudente en exigeant de la société Alsaperf la preuve du paiement. En ne le faisant pas, elle a fait preuve d'une légèreté blâmable.

La société AFZ ajoute que la société Asten ne peut plaider sa propre turpitude pour échapper au paiement de sa dette, dès lors que :

- elle était parfaitement informée de l'existence du surloyer : celui-ci est prévu par le bail qui lui a été transféré et l'arriéré correspondant a été mentionné dans une correspondance du bailleur du 9 décembre 2020, annexée à l'acte de cession ;

- le mensonge commis par la société Alsaperf le jour de la signature ne peut lui être opposé à elle, AFZ. La société Asten a été particulièrement imprudente de ne pas vérifier le paiement de l'arriéré de surloyer, alors même, d'une part, qu'elle-même, AFZ, avait renoncé à intervenir sous l'expresse réserve d'une prise en compte de ses demandes de modifications concernant la régularisation des impayés, d'autre part, qu'elle était absente lors de la signature de l'acte de cession et, enfin, que la garantie solidaire exigeait une vigilance particulière à l'égard du cédant en raison de la situation d'impayés révélée avant cette signature ;

- elle de est bonne foi. Il ne peut lui être reproché de n'avoir pas agi contre la société Asten immédiatement, dès qu'elle a eu connaissance de la cession de fonds, la société Alsaperf n'ayant cessé de prétendre que le paiement interviendrait dès la levée du séquestre. Le fait que plusieurs mois se soient écoulés entre l'acte de cession et la présente action ne suffit pas à établir une mauvaise foi du bailleur.

Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er décembre 2023, la société Asten demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a retenu la seule condamnation de la société Alsaperf à titre provisionnel,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires de la société AFZ, dont sa demande de condamnation solidaire formée contre elle, Asten, à payer la dette de la société Alsaperf ;

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau :

- condamner la société AFZ à lui payer la somme de 6 014,58 euros au titre des frais exposés en première instance, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même au paiement de la somme de 6 000 euros à titre d'indemnité de procédure, en appel, ainsi qu'aux dépens.

Elle fait notamment valoir qu'entre le 1e mai 2021 (date d'effet de la cession du bail) et le 2 décembre 2022 (date de la résiliation amiable du bail), la société AFZ ne l'a pas informée d'un quelconque défaut de paiement du surloyer par la société Alsaperf. Elle n'en a été informée que deux ans après la cession du bail, n'ayant pas non plus eu connaissance de la mise en demeure adressée à Alsaperf le 24 octobre 2022.

Elle estime que plusieurs contestations sérieuses s'opposent à sa condamnation au paiement d'une provision à la société AFZ.

' A titre principal, le contrat de cession est inopposable à la société AFZ, ce qui prive sa demande de tout fondement. En l'espèce, le bailleur a subordonné son autorisation à la cession du droit au bail qu'à la condition que la société Alsaperf verse, au plus tard le jour de la signature de l'acte de cession de fonds, le solde du surloyer. Or, tel n'a pas été le cas. Seul l'accord sur le paiement de la dette du preneur aurait rendu valable la renonciation du bailleur à intervenir à l'acte de cession. Comme le soutenait la société AFZ dans ses conclusions de première instance, l'acte de cession du fonds - dont le droit au bail est un élément - lui est donc inopposable, de sorte qu'il doit être considéré que la société Alsaperf est restée partie au bail commercial, et qu'elle-même, Asten, n'y a jamais été partie et n'est, dès lors, pas tenue par les obligations de ce bail, notamment par la clause garantie solidaire prévue à l'article 12.

C'est à tort que la société AFZ soutient désormais qu'ayant donné son accord anticipé à la cession, l'acte de cession lui serait opposable, puisqu'elle reconnaît elle-même, dans ses écritures d'appel, que le bailleur a conditionné son consentement au règlement du solde des loyers et du surloyer dès décembre 2020.

' A titre subsidiaire, le contrat de cession conclu entre les sociétés Alsaperf et Asten met à la charge exclusive de la société Alsaperf l'obligation de payer au bailleur toute dette locative antérieure à la cession, tel qu'il résulte de l'article 2 de ce contrat. A supposer que l'acte de cession signé le 30 avril 2021 soit opposable à la société AFZ - ce qui n'est pas le cas -, son article 2 serait alors pleinement opposable à la société AFZ. En l'espèce, la dette de surloyers de la société Alsaperf étant antérieure à la cession, seule cette société est tenue de la payer, et ce même si une clause de garantie solidaire existe.

En conséquence :

- soit l'acte de cession n'est pas opposable à la société AFZ, comme l'a retenu le premier juge, auquel cas la société Alsaperf est demeurée l'unique cocontractante d'AFZ et les stipulations du bail lui sont inopposables à elle, Asten ;

- soit l'acte de cession est opposable à la société AFZ, comme le soutient celle-ci, auquel cas les stipulations de cet acte ont pour effet de faire d'Alsaperf l'unique débitrice des sommes réclamées au titre du loyer et de ses accessoires.

Dans les deux cas, les demandes formées à son égard par la société AFZ sont infondées, de sorte que l'ordonnance entreprise doit être confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de condamnation solidaire formée par l'appelante.

' A titre encore plus subsidiaire, l'acte de résiliation du bail exclut toute éventuelle garantie solidaire de sa part à elle, Asten. Le protocole de résiliation amiable conclu le 15 janvier 2018 entre elle-même, Asten, et la société AFZ, prévoyait qu'elle devait respecter les clauses et conditions du bail seulement jusqu'au 31 décembre 2022. Or, la société AFZ n'a introduit son action en référé que le 2 janvier 2023, lorsqu'elle-même, Asten, n'avait plus l'obligation de respecter l'article 12 du bail. En signant le protocole d'accord valant résiliation, la société AFZ a donc expressément renoncé à agir contre elle, Asten, au titre de la garantie solidaire prévue à l'article 12.

' A titre infiniment subsidiaire, la mauvaise foi et la négligence fautive de la société AFZ dans la mise en oeuvre de la clause de garantie solidaire la prive du droit de s'en prévaloir, et les arguments développés par la société AFZ sont insuffisants à rapporter la preuve de sa bonne foi.

MOTIFS :

Il résulte de l'article 835 du code de procédure civile qu'en matière de référé, le président du tribunal judiciaire peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

Il convient d'examiner successivement les deux moyens soulevés par la société AFZ à l'appui de sa demande de condamnation provisionnelle en ce qu'elle est formée contre la société Asten, cessionnaire, le cédant, la société Alsaperf, n'étant pas partie à l'instance d'appel dès lors que le premier juge a accueilli la demande de provision formée contre cette dernière société.

1°- Sur le premier moyen tenant à l'applicabilité de la clause de solidarité du bail

Le premier moyen soulevé par la société AFZ à l'appui de sa demande de provision repose sur le postulat suivant : la société Asten, cessionnaire, est devenue partie au bail et, en conséquence, garante solidaire de toutes les obligations de la société Alsaperf, cédant, conformément à l'article 12 du bail.

En droit, par l'effet de la cession du bail, le cessionnaire devient un nouveau locataire du bailleur et acquiert tous les droits et obligations du preneur cédant issus du bail cédé.

En matière de baux commerciaux, il résulte d'une jurisprudence constante que la prohibition des clauses d'interdiction de céder le bail à l'acquéreur du fonds de commerce, édictée par l'article L. 145-16 du code de commerce, ne s'applique qu'à une interdiction absolue et générale de toute cession, et non à de simples clauses limitatives ou restrictives. Sont ainsi licites les clauses limitatives telles que la clause d'agrément du cessionnaire par le bailleur (v. par ex. : Com., 16 févr. 1959, Bull. n° 81 ; Civ. 3e, 2 oct. 2002, n° 01-02035, Bull. n° 192), ou encore la clause de solidarité ou de garantie solidaire entre cédant et cessionnaire, comme la clause de « solidarité inversée », selon laquelle le cessionnaire est garant des sommes dues par le preneur à la date de cession du bail (v. par ex. Civ. 3e, 31 mai 1994, n° 92-20952 ; Civ. 3e, 11 avril 2019, n°18-16121, publié).

La cession réalisée sans respecter une clause prévue au bail s'analyse en une cession irrégulière qui est inopposable au bailleur et peut entraîner la résiliation du bail par la faute du locataire, voire justifier la mise en oeuvre de la clause résolutoire stipulée dans le bail. Toutefois, les cessions irrégulières peuvent être couvertes par l'agrément tacite du bailleur, lequel résulte généralement à la fois du quittancement des loyers au nom du cessionnaire et de circonstances démontrant que le bailleur a traité directement avec le cessionnaire.

Lorsqu'un contrat est inopposable, celui-ci est valable entre les parties mais les tiers peuvent l'ignorer et faire comme s'il n'existait pas.

En l'espèce, le bail commercial litigieux stipule, à l'article 9.1 de la partie I, que le preneur doit verser au bailleur un surloyer de 74 500 euros, payable en plus du loyer sur toute la période, par versements trimestriels fixes et non indexés de 2 069,46 euros HT, en remboursement des travaux d'aménagement spécifiques réalisés par le bailleur. Cette clause précise que :

« En cas de cession de fonds de commerce ou de son droit au bail, le preneur devra verser au bailleur, le jour de la vente, le solde restant dû à cette date. »

Par ailleurs, l'article 12 de la partie II du bail intitulée « Dispositions générales », relatif à la cession du bail, stipule à la fois une clause d'agrément du cessionnaire par le bailleur et une clause de solidarité entre cessionnaire et cédant, rédigées en ces termes :

« Il est en outre interdit au preneur de céder ou d'apporter son droit au présent bail à une société si ce n'est à un successeur de son fonds de commerce.

Dans tous les cas, la cession ou l'apport ne pourra être réalisé qu'après qu'un projet ait été communiqué au bailleur par lettre recommandée avec accusé de réception et que le cessionnaire ait reçu son agrément. Le bailleur devra faire connaître ses observations dans le mois de la notification qui lui en est faite.

Le bailleur devra également avoir été appelé à la signature de l'acte de cession ou de l'apport ; un exemplaire original de la cession ou de l'apport dûment enregistré devra être remis au bailleur pour lui servir de titre.

Le preneur restera garant solidaire du ou des bénéficiaires du bail à la suite des cessions ou apports, pour une durée de trois ans à compter de la prise d'effet de la cession ou de l'apport, conformément aux dispositions de l'articles de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, quelle que soit la nature des sommes dues au bailleur, de même, le ou les cessionnaires ou le ou les bénéficiaires de l'apport resteront garants solidaires du cédant pour toute somme qui resterait due par celui-ci. Cette clause devra impérativement être reproduite dans la cession ou l'apport. »

A l'occasion de la cession de son fonds de commerce, intervenue par un acte du 30 avril 2021, la société Alsaperf a cédé ce bail à la société Asten.

En première instance, la société AFZ a soutenu que les erreurs ou omissions de cet acte de cession ne lui étaient « pas opposables », le bailleur - auquel elle succède et qui était alors la société Beci - n'ayant pas été partie à l'acte (v. le résumé de ses prétentions, p. 3, §1, de l'ordonnance entreprise).

Désormais, en cause d'appel, la société AFZ soutient :

- d'un côté, que par sa lettre du 9 décembre 2020, la société Beci - précédent bailleur - a autorisé la cession du bail par la société Alsaperf à la société Asten « à plusieurs conditions », parmi lesquelles le paiement du surloyer prévu au bail au plus tard le jour de l'acte réitératif de cession, cette condition n'ayant pas été remplie, au point que c'est elle qui fonde, en partie, l'action engagée par la société AFZ afin d'obtenir le paiement d'une provision correspondant au solde du surloyer (v. p. 3 de ses écritures) ;

- de l'autre, qu'elle est fondée à agir contre la société Asten, cessionnaire du droit au bail, sur le fondement de la clause de solidarité stipulée à l'article 12 du bail.

Il s'ensuit qu'outre que la position soutenue en appel par la société AFZ est contraire à celle qu'elle avait adoptée en première instance - ce qui paraît méconnaître le principe de l'Estoppel, cette argumentation recèle, en tout état de cause, une contradiction interne : un bailleur ne peut à la fois soutenir que son agrément à la cession du bail - et donc l'opposabilité de la cession à son endroit - était subordonné à la réalisation d'une condition qui n'a pas été remplie au cas présent et, dans le même temps, agir contre le cessionnaire du bail en paiement d'une provision fondée sur une clause du bail, une telle action impliquant que le bailleur considère lui-même que la cession lui est opposable en dépit de l'absence d'agrément du cessionnaire.

Cette contradiction s'explique, en réalité, par l'incertitude tenant à la portée de la lettre du 9 décembre 2020 que la société Beci (précédant bailleur) a envoyée à la société Alsaperf (preneur d'origine) en réponse à la lettre de cette dernière lui demandant l'autorisation de transférer le bail à la société Asten à l'occasion de la cession de son fonds.

En effet, cette lettre du 9 décembre 2020, émanant du représentant légal de la société Beci, est libellée comme suit :

« DECLARE, au nom et pour le compte de la société Beci [...] :

Autoriser la cession du droit au bail commercial précité aux charges et conditions actuelles au profit de la société Asten [...], sous réserve du respect des obligations contractuelles du preneur cédant, et notamment sous réserve du versement par la société Alsaperf [...], au plus tard au jour de la signature de l'acte réitératif de cession de fonds de commerce, du solde restant dû à cette date du montant du surloyer prévu à l'article 9.1 des conditions particulières du bail [...].

Agréer la société Asten [...], acquéreur, en qualité de nouveau locataire en lieu et place de la société Alsaperf [...], cédant.

Renoncer à intervenir à l'acte de cession du droit au bail au profit de l'acquéreur et à être appelé à sa signature, sous réserve de la prise en compte des modifications, ajouts suivants dans l'acte réitératif de cession de fonds de commerce [...] avant la signature : [...]. »

Or, tel qu'indiqué précédemment, il est acquis que, contrairement à la déclaration en ce sens contenue dans l'acte de cession du 30 avril 2021 (page 6), la société Alsaperf n'a pas payé au bailleur le solde du surloyer, ce qui justifie d'ailleurs que l'ordonnance entreprise condamne cette société à payer une provision incluant ce surloyer - ce chef de dispositif n'étant pas critiqué en appel et étant donc revêtu de l'autorité de la chose jugée au provisoire.

En l'état de la non-réalisation de cette condition, et dès lors que l'existence d'un agrément tacite n'est pas alléguée, il existe une contestation sérieuse tenant à l'interprétation de la lettre du 9 décembre 2020 s'agissant du point de savoir si la société Béci a, ou non, donné un agrément ferme à la cession au profit de la société Asten, et, partant, une contestation sérieuse sur l'opposabilité au bailleur de la cession de fonds, incluant cession du droit de bail, intervenue le 30 avril 2021 entre les sociétés Alsaperf et Asten.

L'existence de cette contestation sérieuse rend incertaine la transmission des droits et obligations issus du bail à la société Asten, cessionnaire, dans ses rapports avec le bailleur, de sorte que la société AFZ, celle-ci n'est pas fondée à demander l'application de la clause de solidarité stipulée à l'article 12 du bail à l'égard du cessionnaire.

2°- Sur le second moyen tenant à la cession du contrat de bail

Le contrat de bail litigieux a été conclu le 15 janvier 2018, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016. Est donc applicable à ce bail l'article 1216 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance précitée, qui réglemente la cession d'un contrat.

Aux termes de ce texte :

« Un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l'accord de son cocontractant, le cédé.

Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l'égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu'il en prend acte.

La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité. »

L'article 1216 du code civil pose essentiellement deux conditions à la cession de contrat : un écrit et le consentement du cédé, sauf disposition légale ou convention contraires.

C'est ce que corrobore la lecture du rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance du 10 février 2016 (cf. JORF n°0035 du 11 février 2016), qui précise notamment, à propos de ce texte :

« L'article 1216 définit ainsi la cession de contrat comme la cession de sa qualité de partie au contrat par le cédant, et énonce les conditions de validité de cette cession : le contrat ne peut être cédé qu'avec l'accord du cocontractant, conformément à la jurisprudence, et la cession doit faire l'objet d'un écrit. Cette définition permet aux parties à un contrat d'envisager la cession du contrat dès sa conclusion : en effet l'accord du cédé pourra intervenir à l'avance, y compris dans le contrat lui-même, ou au moment de la cession. Si le cédé n'intervient pas à l'acte pour consentir à la cession (parce qu'il aura donné son consentement à l'avance), celle-ci devra lui être notifiée, ou il devra en prendre acte, pour qu'elle lui soit opposable. [...] »

En l'espèce, le cocontractant cédé est le bailleur d'origine, la société Beci, aux droits de laquelle vient la société AFZ.

Or, il ne résulte d'aucune des pièces versées aux débats que la société Beci aurait donné par avance son accord à la cession du bail. En effet, d'une part, le bail du 15 janvier 2018 contient, en son article 12 ci-dessus reproduit, une clause d'agrément du cessionnaire par le bailleur préalablement à toute cession. D'autre part, pour les raisons explicitées ci-dessous en réponse au premier moyen, la rédaction de la lettre du 9 décembre 2020 fait naître une contestation sérieuse sur le fait que la société Beci aurait consenti à la cession du bail au profit de la société Asten. Dès lors, l'affirmation de la société AFZ selon laquelle elle aurait donné son accord à la cession de sa dette locative avant la conclusion du contrat de cession de fonds (v. ses conclusions p. 9) est sérieusement contestable.

Faute d'accord donné par le bailleur préalablement à la cession du bail, ne sont donc pas applicables les formalités simplifiées prévues par l'article 1216 qui subordonnent l'opposabilité de la cession au bailleur cédé à la simple notification de cette cession ou à la prise d'acte de cette cession par le bailleur.

Par ailleurs, il n'est ni soutenu ni établi que la société Beci aurait consenti à la cession du bail au moment de la conclusion du contrat de cession de fonds. De fait, l'acte de cession, auquel la société Beci n'a pas été partie, ne contient pas l'accord de celle-ci à la cession du bail.

Par conséquent, c'est en vain que la société AFZ, venant aux droits de la société Beci, demande, en application des règles gouvernant la cession de contrat, la condamnation de la société Asten au paiement du solde de la dette locative.

En définitive, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le surplus des moyens opposés par la société Asten et l'argumentation en réplique développée sur ces points par la société AFZ, il convient de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a « débouté la SCI AFZ de ses demandes plus amples ou contraires », ce chef de dispositif global incluant, au vu des motifs de l'ordonnance entreprise (cf. p. 5), le rejet de la demande de provision formée contre la société Asten au titre de la dette locative comme le rejet de la demande de provision correspondant aux « frais de relance » de 40 euros.

A titre surabondant, il y a lieu de relever qu'il existe d'autres contestations sérieuses :

- l'une tient au point de savoir si, par sa lettre du 9 décembre 2020 ci-dessus évoquée, le bailleur n'a pas entendu réclamer le paiement du solde du surloyer au seul cédant (la société Alsaperf), à l'exclusion du cessionnaire (la société Asten), puisqu'il avait conditionné la cession à ce paiement par le cédant et tenait pour acquis que ce paiement serait effectif au plus tard au jour de l'acte de cession. Ainsi, l'article 2 du contrat de cession, selon lequel le cédant déclare qu'il restera seul responsable du paiement de « tout loyer, charges, taxes et accessoires dont l'origine serait antérieure au jour de l'entrée en jouissance », traduirait alors, dans les rapports entre les cédant et cessionnaire, l'intention du bailleur telle qu'elle avait été comprise par eux. Il est d'ailleurs symptomatique de constater qu'il résulte des pièces produites qu'avant l'introduction de la présente instance en référé, en janvier 2022, le bailleur n'avait réclamé le paiement de sa dette qu'à la société cessionnaire Alsaperf, et jamais à la société Asten ;

- l'autre contestation sérieuse porte sur le montant des autres sommes réclamées, à titre provisionnel, en plus du surloyer, soit une quote-part d'assurance, le loyer du mois d'avril 2021 et une partie de la taxe foncière, puisque la société AFZ n'en justifie pas au moyen des pièces versées aux débats.

Dès lors, le montant de l'ensemble des sommes objet de la demande de condamnation à titre provisionnel est sérieusement contestable, ce qui s'oppose de plus fort au rejet de cette demande.

3°- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant, la société AFZ sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société Asten une indemnité de procédure, au titre de la première instance et de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

- Confirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Asten santé à domicile ;

Statuant de nouveau du chef infirmé,

- Condamne la société AFZ à payer à la société Asten santé à domicile la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance ;

Y ajoutant,

- Condamne la société AFZ aux dépens d'appel ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société AFZ et la condamne à payer à la société Asten santé à domicile la somme de 3 000 euros au titre de l'instance d'appel ;