Livv
Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 2, 22 février 2024, n° 23/02693

DOUAI

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Poin-Sept (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbot

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

Avocats :

Me Dewattine, Me Wecxsteen, Me Besson

TJ Boulogne-sur-Mer, du 31 mai 2023, n° …

31 mai 2023

Par un acte authentique du 28 juin 1963, M. et Mme [T] ont consenti à M. [E] un bail portant sur un immeuble à usage mixte, commercial et d'habitation, situé [Adresse 3], devenu [Adresse 2].

Le 1er mars 1967, le bail a été cédé à la société Gosse & Gournay.

Le bail a été renouvelé entre M. et Mme [T] et la société Gosse & Gournay par plusieurs actes successifs :

- le 22 novembre 1979, avec effet rétroactif au 1er juillet 1972,

- le 24 février 1983, avec effet rétroactif au 1er juillet 1981,

- et le 25 novembre 1993, entre les ayants droit de M. [T] et Mme [T], avec effet rétroactif au 1er juillet 1990, jusqu'au 30 juin 1999.

Depuis lors, le bail s'est poursuivi par tacite reconduction.

Par un acte du 27 juin 2007, la société Maintenance et génie climatique (la société MGC) a acquis l'intégralité des parts sociales de la société locataire Gosse & Gournay.

Le 23 avril 2016 la SCI Phi-Ray a acquis l'immeuble donné à bail.

Par un acte notarié du 30 octobre 2020, la SCI Phi-Ray a cédé cet immeuble à la SCI Poin-Sept (la SCI).

Le 13 mars 2023, la SCI a assigné la société MGC en référé, devant le président du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer, en résiliation du bail et en réparation du local loué.

Par une ordonnance de référé du 31 mai 2023, ce juge a :

- constaté la résiliation de plein droit du bail commercial au 19 février 2023 ;

- ordonné l'expulsion de la société MGC ;

- réglé le sort des meubles restés dans les lieux ;

- rappelé le sort réservé aux meubles meublant par les articles R. 433-1 à R. 433-6 du code des procédures civiles d'exécution ;

- fixé l'indemnité d'occupation au montant du loyer et des charges acquittés au titre du dernier mois précédent la résiliation du bail, soit janvier 2023, outre le remboursement de la taxe foncière ;

- condamné la société MGC à payer cette indemnité d'occupation, en précisant que le montant des loyers et charges déjà payés pour la période postérieure au 19 février 2023 serait à déduire des sommes dues au titre de l'indemnité d'occupation ;

- dit sans objet la demande d'injonction de communiquer l'acte de vente entre la SCI Phi-Ray et la SCI Poin-Sept ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société MGC tendant à la condamnation de la SCI à réaliser les travaux nécessaires en raison de la vétusté de l'immeuble ;

- condamné la société MGC aux dépens et au paiement d'une indemnité procédurale de 1 500 euros ;

- rejeté les demandes de la société MGC au titre de ses frais et dépens.

Le 13 juin 2023, la société MGC en a relevé appel, en critiquant l'ensemble des chefs de dispositif.

La société MGC a quitté les lieux loués en juin 2023, après que la SCI lui a délivré, le 7 juin 2023, un commandement de quitter les lieux avant le 20 juin 2023.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Par ses premières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 septembre 2023, la société MGC a demandé à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions (listées dans le dispositif des conclusions) ;

Et statuant de nouveau ;

- rejeter l'ensemble des demandes de la SCI ;

En conséquence,

- rejeter la demande de la SCI tendant à la résiliation de plein droit du bail au 19 février 2023 ;

- prononcer la résiliation du bail aux torts exclusifs de la SCI ;

Par conséquent,

- condamner la SCI à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner la même au paiement d'une indemnité de procédure de 4 500 euros, ainsi qu'aux dépens.

Elle conteste les manquements aux stipulation du bail qui lui sont reprochés.

Sur les manquements aux obligations d'entretien et de réparations locatives qui lui sont imputés, elle soutient que l'ensemble des désordres constatés relève de la vétusté, et donc de l'obligation de délivrance du bailleur ; celui-ci doit donc faire réaliser les travaux nécessaires. Il convient par conséquent de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a considéré que les travaux exigés par la SCI excédaient manifestement les obligations locatives et a rejeté la demande visant à constater l'acquisition de la clause résolutoire.

Et sur le manquement à la destination des lieux loués qui lui est imputé, elle fait valoir que :

- lorsqu'elle a acquis l'immeuble, la SCI savait que l'ensemble des locaux était utilisé comme bureaux. Cela ressort d'une attestation ;

- l'entreposage des équipements de chauffage et de climatisation, ainsi que des matériaux permettant leur installation, résulte directement de son activité commerciale. Cet entreposage ne constitue donc pas une activité connexe ou supplémentaire soumise à autorisation du bailleur ;

- de plus, il était d'usage que les locaux des étages servaient de bureaux pour les besoins de l'activité commerciale ;

- lors de l'acquisition du 23 avril 2016, il était affirmé par le vendeur que la destination de l'immeuble demeurée inchangée, alors même que des bureaux étaient déjà présents aux étages. La présence des bureaux dans la partie supérieure de l'immeuble n'a donc jamais été assimilée à une modification de la destination des lieux loués ;

- lors de la vente à la société Phi-Ray, celle-ci a visité les lieux, où les bureaux étaient présents dans le local loué depuis 1984, et était parfaitement informée du changement de destination des lieux, qu'elle n'a d'ailleurs jamais remis en cause. Or, l'accord du bailleur pour un changement de destination des lieux peut être tacite. Les époux [T], puis leurs ayants droit ne se sont jamais opposés au changement de destination des lieux. Ainsi, lorsqu'elle-même, la société MGC, a acquis la société Gosse & Gournay en juin 2007, les bureaux au 1er étage existaient déjà depuis 23 ans. Lors du dernier renouvellement du bail du 24 février 1983, les parties n'ont donc pas acté par écrit ce changement, dont le bailleur était informé ;

- la SCI a acquiescé à ce changement de destination des locaux et ne peut désormais remettre en cause ce fait établi depuis de très nombreuses années simplement pour échapper au paiement de l'indemnité d'éviction et récupérer les locaux pour ses besoins personnels.

Il est donc demandé la réformation de la décision entreprise et le rejet de l'argumentation de la SCI concernant la prétendue modification de la destination des lieux loués sans autorisation du bailleur.

La société MGC conteste la mise en oeuvre de la clause résolutoire du bail, en raison de l'absence de manquement à ses obligations issues du bail. Ainsi :

- l'entretien courant de l'immeuble n'aurait pu remédier à sa vétusté depuis de nombreuses années. La SCI se prévaut de sa propre turpitude en lui reprochant à elle-même, preneur, de ne pas effectuer les travaux, alors que ceux-ci, résultant de la vétusté, incombent au bailleur ;

- et, s'agissant de la modification de la destination des lieux, il était d'usage que les locaux situés aux étages servent de bureau et elle exploite une activité de vente d'appareils de chauffage, climatisation et d'installation de ces équipements, conformément au bail.

Par ailleurs, la société MGC précise que la SCI a fait exécuter l'ordonnance entreprise en lui délivrant, le 7 juin 2023, un commandement de quitter les lieux avant le 20 juin suivant. Elle a dû retrouver un local en urgence, la bailleresse ayant voulu exploiter le local pour ses besoins personnel, sans verser d'indemnité d'éviction. Il convient donc de constater la résiliation du bail aux torts exclusifs de la bailleresse et de condamner celle-ci au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par ses conclusions notifiées par la voie électronique le 17 octobre 2023, la SCI a demandé à la cour de :

- juger irrecevables, comme nouvelles, les demandes de la société MGC tendant au prononcé de la résiliation du bail à ses torts et à sa condamnation au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;

- dire bien jugé, mal appelé ;

- confirmer l'ordonnance entreprise des chefs ci-dessus rappelés ;

« Statuant à nouveau » (sic),

- constater la résiliation de plein droit du bail au 18 février 2023 ;

- ordonner l'expulsion de la locataire ;

- prévoir la remise ou l'entreposage des meubles se trouvant dans les lieux, avec sommation de les retirer dans un certain délai sous peine de leur mise en vente aux enchères publiques ;

- fixer l'indemnité d'occupation au montant du loyer et des charges du dernier mois, soit janvier 2013, outre le remboursement de la taxe foncière ;

- dire que la demande d'injonction de communiquer l'acte authentique de vente est sans objet ;

- dire n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant à sa condamnation à réaliser les travaux dans l'immeuble ;

- condamner la société MGC aux dépens, au paiement d'une indemnité de procédure de 1 500 euros et aux dépens ;

Si la cour estimait recevables, comme non nouvelles, les demandes de la société MGC de résiliation du bail à ses torts exclusifs et de condamnation à 30 000 euros de dommages et intérêts :

- dire n'y avoir lieu à référé sur ces demandes ;

- rejeter l'ensemble des autres demandes de la société MGC ;

- condamner la société MGC au paiement d'une indemnité de procédure de 2 500 euros, ainsi qu'aux dépens d'appel.

A titre liminaire, elle prétend que sont irrecevables les demandes nouvelles présentées par la société MGC devant la cour, en application de l'article 564 du code de procédure civile. Ces demandes ne peuvent pas non plus être considérées comme reconventionnelles au sens de l'article 567 du code de procédure civile, faute de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant. Elles sont la conséquence de ce que la société MGC ne s'est pas opposée à l'exécution provisoire de l'ordonnance et a quitté les lieux. Ces demandes auraient dû être présentées dès l'instance en référé.

Sur le fond, la SCI invoque contre la société MGC plusieurs infractions aux règles du bail commercial, qui justifient la résiliation du bail :

- d'abord, un manquement à ses obligations d'entretien, de réparations locatives et de jouissance paisible. Sur ce point, le premier juge n'a pas fait une exacte appréciation des faits, en retenant que les travaux à réaliser constituaient de grosses réparations. Le précédent propriétaire avait déjà attiré l'attention de la société MGC sur le défaut d'entretien du bâtiment. Le bail stipule notamment que le preneur doit faire refaire toutes les peintures et enduits extérieurs au moins une fois tous les trois ans. La société MGC a repris les obligations du précédent locataire, qui occupe les locaux depuis le 1er mars 1967. Elle est donc responsable des gros travaux rendus nécessaires par défaut d'entretien et du non-respect de l'obligation de réparations locatives ;

- ensuite, un manquement à la destination des lieux. En effet, le local loué abrite exclusivement des bureaux et sert de lieu de stockage ; aucune vente au détail à la clientèle n'y est réalisée. Les étages abritent des bureaux et une réserve de matériel, alors que, selon le bail, ils étaient destinés exclusivement à l'habitation personnelle du preneur. C'est donc à bon droit que le premier juge a constaté un manquement à ce titre. Contrairement à ce que soutient la société MGC, le bailleur n'a jamais eu connaissance de ce changement de destination.

Au vu de la réalité et de l'ampleur des infractions au bail, la mise en oeuvre de la clause résolutoire stipulée au bail est fondée. En effet, la mise en demeure prévue par le contrat a été délivrée au preneur le 23 août 2022 et un rappel délivré par acte d'huissier le 18 janvier 2023, en vain, ainsi qu'en atteste un constat d'huissier du 6 mars 2023.

En réplique à l'argumentation adverse, la SCI ajoute que le défaut manifeste d'entretien autorise la résiliation du bail. Le locataire ne peut se décharger de l'entretien courant. Les constats démontrent le non-respect de cette obligation. La clause obligeant à la réfection des peintures et enduits n'a pas non plus été respectée, alors qu'elle a pour objet d'éviter le vieillissement prématuré et le « sentiment de bâtiment laissé à l'abandon » qui en résulte en l'espèce. La mise en demeure officielle du 18 avril 2022 rappelant l'obligation de procéder aux réparations locatives est restée lettre morte, de même que le commandement du 18 janvier 2023, qui rappelle l'obligation de respecter la destination du bail.

La SCI s'oppose aux demandes nouvelles formées par la société MGC en faisant valoir que ces demandes excèdent la compétence du juge des référés. En effet :

- ce juge ne peut condamner une partie à des dommages et intérêts ;

- en outre, la demande formée s'assimile à une demande en paiement d'une indemnité d'éviction, qui requiert une appréciation de la valeur du fond que seule une expertise pourrait déterminer.

***

Le 12 décembre 2023 à 10h57, la société MGC a notifié par la voie électronique des conclusions n° 2, dans lesquelles elle demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions (listées dans le dispositif des conclusions) ;

Et statuant de nouveau ;

- rejeter l'ensemble des demandes de la SCI ;

En conséquence,

- rejeter la demande de la SCI tendant à la résiliation de plein droit du bail au 19 février 2023 ;

- prononcer la résiliation du bail aux torts exclusifs de la SCI ;

Par conséquent,

- condamner la SCI à lui payer la somme de 111 408,55 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner la même au paiement d'une indemnité de procédure de 4 500 euros, ainsi qu'aux dépens.

Ont été jointes à ces conclusions quatre nouvelles pièces (n° 6 à 9).

Par des conclusions notifiées par la voie électronique le même jour à 13h23, la SCI demande à la cour de :

- vu les articles 15, 16 et 135 du code de procédure civile, ordonner le rejet des conclusions n° 2 et des pièces numérotées 6 à 9 signifiées par la société MGC à 3 heures de la clôture de l'instruction du dossier ;

- statuer comme il a été indiqué dans ses premières conclusions du 17 octobre 2023 (v. supra) ;

- et [à titre infiniment subsidiaire], si les conclusions d'appelante n° 2 et les pièces n° 6 à 9 n'étaient pas écartées à raison de la tardiveté de leur communication, et si les demandes présentées dans ces écritures n'étaient pas également considérées comme nouvelles :

' dire n'y avoir lieu à référé sur de telles demandes,

' rejeter l'ensemble des demandes de la société MGC,

- condamner la société MGC aux dépens et au paiement d'une indemnité procédurale de 2 500 euros.

Le 19 décembre 2023, jour de l'audience, la SCI a notifié par la voie électronique des conclusions procédurales dans lesquelles elle demande :

- vu les articles 15, 16 et 135 du code de procédure civile, ordonner le rejet des conclusions n° 2 et des pièces numérotées 6 à 9 signifiées par la société MGC à 3 heures de la clôture de l'instruction du dossier ;

- condamner la société MGC aux dépens.

Par un message notifié aux parties par la voie électronique le 2 janvier 2024, la cour les a invitées à faire valoir leurs observations uniquement sur le point suivant : si les conclusions et pièces signifiées le 12 décembre 2023 par la société MGC étaient déclarées irrecevables, comme le demande la SCI, la cour envisage de déclarer d'office irrecevables les dernières conclusions signifiées par cette SCI le 12 décembre 2023, pour les mêmes raisons : la tardiveté de leur communication au regard de la date de clôture, en application des articles 15 et 16 du code de procédure civile.

Par une note en délibéré notifiée à la cour et à son contradicteur le 9 janvier 2024, par la voie électronique, la SCI est convenue de ce que, si les conclusions signifiées le 12 décembre 2023 par la société MGC étaient déclarées irrecevables, les siennes, signifiées le même jour, devraient également l'être, pour les mêmes raisons.

Par une note en délibéré notifiée par la voie électronique le 11 janvier 2024, la société MGC a conclu n'y avoir lieu d'écarter des débats son dernier jeu d'écritures, pour les motifs qu'elle développe dans cette note.

La SCI y a répliqué par une nouvelle note en délibéré notifiée par la voie électronique le 12 janvier 2024, en indiquant confirmer son souhait de voir écarter les dernières conclusions de la société MGC.

MOTIFS :

A - Sur la recevabilité des conclusions et pièces notifiées le 12 décembre 2023

A titre liminaire, il convient de rappeler que la note en délibéré autorisée par la cour avait uniquement pour objet de recueillir les observations des parties sur la question relative au sort des dernières conclusions signifiées par la SCI le 12 décembre 2023.

La note en délibéré transmise par la société MGC le 11 janvier 2024 ne se conformant pas à cet objet strictement délimité, il ne sera pas tenu compte des observations qu'elle contient.

***

En droit, le principe de la contradiction, qui constitue l'un des principes directeurs du procès civil et s'applique au juge comme aux parties, est réglementé aux articles 14 à 17 du code de procédure civile.

L'article 15 de ce code dispose ainsi que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

Il en résulte, en procédure écrite, que si sont en principe recevables les conclusions et pièces communiquées avant l'ordonnance de clôture, sont toutefois irrecevables les écritures et pièces qui n'ont pas été déposées en temps utile, une communication tardive empêchant en effet l'adversaire d'y répondre, au mépris du principe de la contradiction.

L'appréciation du caractère tardif du dépôt des conclusions et pièces relève du pouvoir souverain des juges du fond.

En l'espèce, dans l'avis de fixation notifié aux parties par la voie électronique le 14 septembre 2023, la cour a fixé la clôture de la procédure au mardi 12 décembre 2023 à 14 heures et l'audience de plaidoiries une semaine après, le 19 décembre 2023 à 9h30.

Bien que la SCI lui ait notifié ses conclusions d'intimée le 17 octobre 2023, la société MGC lui a notifié de nouvelles conclusions le 12 décembre 2023 à 10h57, soit deux mois après la réception des conclusions de l'intimée et, surtout, trois heures avant la clôture annoncée aux parties trois mois auparavant.

Or, dans ces conclusions du 12 décembre 2023, la société MGC a augmenté sa demande indemnitaire, évaluée à 30 000 euros dans ses conclusions initiales du 20 septembre 2023, à 111 408,55 euros, en développant à l'appui une argumentation totalement nouvelle (cf. pp. pages 16 et 17) dans laquelle elle procède à un chiffrage de l'indemnité d'éviction dont elle s'estime créancière, ainsi que des frais accessoires, en incluant l'indemnité de rupture conventionnelle convenue avec l'une de ses salariées qui a refusé la modification de son lieu de travail. A l'appui, la société MGC a produit des nouvelles pièces, numérotées 6 à 9 dans son bordereau annexé aux conclusions litigieuses, et qui comprennent, notamment, le nouveau bail conclu par la société MGC et le reçu pour solde de tout compte régularisé avec la salariée précédemment évoquée.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la SCI n'a pas été mise en mesure de répliquer utilement à cette nouvelle argumentation ni d'examiner utilement la valeur et la portée des dernières pièces communiquées par la société MGC.

Dans ces conditions, les conclusions et pièces notifiées par la société MGC le 12 décembre 2023 doivent être déclarées irrecevables.

Par voie de conséquence, sur le moyen relevé d'office par la cour, à propos duquel les parties ont été invitées à faire parvenir leurs observations en délibéré, seront également déclarées irrecevables les conclusions notifiées par la SCI le 12 décembre 2023 après celles de la société MGC, ci-dessus déclarées irrecevables.

B- Sur les demandes de la société Poin-Sept

A titre liminaire, la cour observe, d'abord, que bien qu'ils aient été visés dans sa déclaration d'appel, la société MGC ne critique pas, dans ses conclusions jugées recevables, les chefs suivants de la décision entreprise :

- celui disant que la demande d'injonction de communiquer l'acte authentique de vente entre la SCI Phi-Ray et la SCI Poin-Sept est sans objet :

- et celui disant n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société MGC tendant à la condamnation de la SCI à faire réaliser les travaux dans l'immeuble.

Ces chefs seront, dès lors, confirmés.

Ensuite, il convient de relever que si, dans le dispositif de ses conclusions d'appel du 17 octobre 2023, la SCI demande à la cour de « statuer à nouveau » sur l'ensemble des chefs de dispositif de la décision entreprise, les demandes qu'elle présente ensuite correspondent exactement à chacun des chefs de dispositif de la décision dont appel. C'est dire que la société Poin-Sept demande, en réalité, la confirmation totale de cette décision, sauf à demander que la résiliation du bail soit constatée au 18 février 2023, et non au 19 février 2023 comme l'a retenu le premier juge.

***

En droit, si le bail commercial contient une clause résolutoire de plein droit, le juge ne peut écarter cette clause et refuser de constater la résiliation dès lors que l'obligation non respectée est prévue au bail et que sa sanction est visée par la clause résolutoire.

Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, la clause résolutoire de plein droit ne peut produire effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux, lequel doit être délivré par acte extra-judiciaire (Civ. 3e, 21 déc. 2017, n° 16-10583, publié) et mentionner ce délai, à peine de nullité.

Par ailleurs, il résulte de l'article 1728 du code civil que le preneur est tenu d'user de la chose selon la destination qui lui a été donnée par le bail, l'article 1729 précisant que, si le preneur emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, le bailleur peut faire résilier le bail.

Le bailleur peut avoir connu le changement ou l'extension d'activité sans que cette tolérance soit créatrice de droits, mais son autorisation du changement ou de l'extension de l'activité exercée dans les lieux peut être implicite et résulter des circonstances de fait.

Enfin, il résulte des articles L. 145-9 et L. 145-12 du code de commerce que le bail commercial renouvelé est un nouveau contrat (v. not. : Com., 17 février 1998, n° 95-13296, publié ; Ass. plén., 7 mai 2004, n° 02-13225, publié ; 3e Civ., 13 mai 2009, n° 08-15564, publié), de sorte que lui est applicable la loi nouvelle entrée en vigueur antérieurement au renouvellement. A l'inverse, le bail qui se poursuit par tacite reconduction est le même contrat qui se prolonge au-delà du terme fixé et pour une durée indéterminée à laquelle chaque partie peut mettre fin, sans condition de temps.

En l'espèce, la société MGC, qui justifie avoir acquis les parts sociales de la société preneuse Gosse & Gournay par un acte du 27 juin 2007, ne conteste pas que, depuis le 12 avril 2017, elle vient aux droits et de cette société, radiée du RCS depuis cette dernière date selon les indications non démenties de la SCI Poin-Sept (v. ses conclusions, p. 3). Cela est si vrai que l'appelante demande l'application, à son profit, des règles bénéficiant au preneur à bail commercial, confirmant ainsi qu'elle estime elle-même posséder cette qualité.

Il résulte des pièces versées aux débats par la société bailleresse Poin-Sept que le bail initial a été conclu par un acte notarié du 28 juin 1963 et renouvelé à trois reprises, à chaque fois pour une durée de neuf années :

- une première fois, par un premier acte notarié des 19 et 22 novembre 1979 à compter du 1er juillet 1972,

- et une deuxième fois par un acte du 24 février 1983, à compter du 1er juillet 1981,

- et une troisième et dernière fois par un acte notarié du 25 novembre 1993, à compter du 1er juillet 1990 et jusqu'au 30 juin 1999.

Le nouveau bail renouvelé en 1993, à compter du 1er juillet 1990, s'étant tacitement reconduit à compter du 1er juillet 1999, il n'est pas soumis aux textes du statut des baux commerciaux tels que modifiés par la loi Pinel de 2014.

Chacun des actes de renouvellement ci-dessus listés précise que le renouvellement du bail est consenti « aux mêmes charges, clauses et conditions que celui précédent », de sorte que, s'agissant des obligations respectives des parties, et à l'exception d'une légère modification du commerce autorisé dans les lieux (voir ci-après), sont applicables au nouveau contrat issu du dernier renouvellement de 1993, tacitement reconduit depuis le 30 juin 1999, les stipulations du bail initial de 1963.

La SCI bailleresse demande la résiliation de plein droit du contrat de bail, en application de la clause résolutoire du bail, en invoquant ces deux manquements : un manquement du locataire à son obligation d'entretien et un manquement du locataire à la destination des lieux loués.

S'agissant du second de ces manquements, le bail de 1963 stipule, concernant la destination des lieux :

- dans la clause intitulée « Désignation » (p. 1), que l'immeuble est à usage de commerce et d'habitation comprenant :

« 1°- Locaux à usage de commerce qui sont :

Au sous-sol : garage, atelier, magasin et chaufferie ;

Au rez-de-chaussée : magasin et bureaux ;

2°- Locaux à usage d'habitation qui sont :

Au premier étage : cuisine, salle d'eau, salle à manger et une chambre,

Au deuxième étage : cuisine et trois chambres,

Grenier au-dessus,

Cour sur terrasse au-dessus, atelier et garage. »

- et dans le paragraphe 3, que « les locaux loués sont exclusivement destinés :

ceux du sous-sol et du rez-de-chaussée à l'exploitation d'un commerce de vente d'appareils de chauffage, appareils électroménager, appareils et matériel de radio et télévision, meubles,

et ceux des étages à l'habitation personnelle du preneur.

Le preneur ne pourra, sous aucun prétexte, modifier, même momentanément, cette destination, ni changer la nature du commerce exploité dans les locaux du sous-sol et du rez-de-chaussée. »

Ce bail de 1963 contient, par ailleurs, une clause résolutoire ainsi rédigée :

« A défaut par le preneur d'exécuter une seule des charges et conditions du présent bail - qui sont toutes de rigueur - ou de payer exactement à son échéance un seul terme de loyer, le présent bail sera, si bon semble au bailleur, résilié de plein droit et sans aucune formalité judiciaire, un mois après une simple mise en demeure d'exécuter ou un simple commandement de payer contenant déclaration par ledit bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause et demeuré sans effet pendant ce délai. »

Si l'acte de renouvellement de 1979 indique que « ce bail en renouvellement est consenti et accepté (...) aux mêmes charges, clauses et conditions que celui précédent » et que l'immeuble loué est à usage « de commerce et d'habitation », il précise toutefois que les bailleurs « donnent en outre (...) l'autorisation à la société preneuse d'utiliser les locaux commerciaux loués pour l'exploitation d'un fonds d'électricité générale, sanitaire et chauffage central. »

Les actes de renouvellement de 1983 et de 1993 n'ont, quant à eux, apporté aucune modification concernant les obligations des parties, la destination des lieux et la clause résolutoire, telles que rappelées ci-dessus.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'intention des parties aux baux successifs, en ce inclus le dernier applicable au présent litige, était que les locaux loués soient à usage mixte : à usage de commerce en ses sous-sol et rez-de-chaussée - l'acte de 1979 n'ayant que modifié l'objet du commerce autorisé dans cette partie des locaux loués - et à usage d'habitation concernant les étages.

Or, la SCI bailleresse fait valoir que le local loué abrite exclusivement des bureaux, qu'aucune vente au détail n'y est réalisée et que ce local sert également de dépôt, alors que le bailleur n'a jamais eu l'intention d'autoriser cet entreposage, un local de stockage ne faisant l'objet d'aucun entretien, à la différence d'un point de vente.

De fait, la société MGC ne conteste pas qu'elle ne réalise aucune vente au détail au rez-de-chaussée ni n'utilise les étages à usage d'habitation comme le prévoit le bail, puisqu'elle soutient que, lorsque la SCI a acquis l'immeuble, elle savait que l'ensemble des locaux était utilisé comme bureaux (v. ses conclusions, p. 11) - ces éléments sont d'ailleurs corroborés par les constats d'huissier versés aux débats par la SCI.

Cependant, il ne ressort pas des pièces versées aux débats, notamment de l'attestation produite par la société MGC (v. sa pièce n° 4) et de l'acte du 23 avril 2016 par lequel la société Phi-Ray, précédent bailleur, a acquis l'immeuble donné à bail, que la SCI, ou tout autre précédent bailleur, auraient acquiescé, fût-ce tacitement, au changement de destination des locaux afin que ceux-ci puissent être utilisés par le locataire exclusivement comme bureaux. Au contraire, cet acte du 23 avril 2016 indique, dans la partie « désignation des biens », que l'immeuble vendu est « à usage de commerce et d'habitation », et détaille la destination de chaque niveau concerné, du sous-sol jusqu'au grenier, ne mentionnant l'existence d'un bureau qu'au niveau du rez-de-chaussée (cf. p. 4 de l'acte).

La société MGC a été mise en demeure de se conformer à la destination des lieux prévue dans le bail par un acte d'huissier du 18 août 2022, puis par une lettre recommandée, émanant du conseil de la SCI, reçue le 26 août 2022. Enfin, cette société s'est vu signifier, le 18 janvier 2023, un commandement visant la clause résolutoire, dont la validité n'est pas contestée, lui donnant un mois pour respecter la destination des lieux telle que prévue par le bail. Ce commandement est demeuré infructueux.

La modification de la destination des lieux loués, sans autorisation du bailleur, constitue un manquement au regard des obligations du bail et justifie, à elle seule, la mise en oeuvre de la clause résolutoire du bail, qui est intervenue dans le respect des formes légalement requises.

Ces seuls motifs suffisent à confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté la résiliation de plein droit du bail, sans qu'il y ait lieu, par conséquent, de statuer sur l'autre manquement invoqué par la SCI et tenant à l'obligation d'entretien incombant au locataire.

Alors que, dans le dispositif de l'ordonnance entreprise, le premier juge a constaté cette résiliation de plein droit au 19 février 2023, la SCI demande, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail au « 18 février 2023 » et, « statuant de nouveau », le constat de la résiliation à cette même date. A l'évidence, le dispositif de ces écritures est affectée d'une simple erreur matérielle sur ce point, la SCI entendant, en effet, demander la confirmation pure et simple de l'ordonnance entreprise, ce que confirme, au demeurant, la circonstance que les motifs de ses conclusions d'appel ne comportent pas la moindre critique relative à la date de constat de la résiliation du bail retenue par le premier juge.

Par voie de conséquence, l'ordonnance dont appel doit également être confirmée en ce qu'elle a ordonné l'expulsion de la locataire, réglé le sort des meubles meublants et fixé le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle au montant du loyer et charges.

L'ordonnance sera seulement infirmée en ce qu'elle condamne la société MGC au paiement de cette indemnité d'occupation sans préciser qu'il s'agit d'une condamnation provisionnelle, l'article 835 du code de procédure civile, sur lequel se fonde l'ordonnance entreprise, n'autorisant le juge des référés qu'à accorder une provision (v. not. Civ. 3e, 11 mars 2021, n° 20-13639, publié).

C- Sur les demandes formées par la société MGC

1°- Sur la recevabilité des demandes de la société MGC, contestée par la SCI Poin-Sept

En droit, il résulte de la combinaison des articles 70 et 567 du code de procédure civile que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel à la condition de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En cause d'appel, la société MGC forme deux demandes non présentées au premier juge :

- la résiliation du bail aux torts exclusifs de la SCI ;

- et, en conséquence, la condamnation de la SCI à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La cour estime que ces demandes, qui concernent le même bail que celui dont la SCI a demandé, devant le premier juge, la résiliation de plein droit avec toutes les conséquences qui en découlent, s'analysent en des demandes reconventionnelles et présentent un lien suffisant avec les prétentions d'origine du bailleur.

Ces demandes sont, dès lors, recevables.

2°- Sur le bien-fondé des demandes de la société MGC

S'agissant de la demande de prononcé de la résiliation du bail aux torts exclusifs du bailleur (v. le dispositif des conclusions d'appel) formée par la société MGC sans précision quant à la date de cette résiliation, la cour l'interprète, au vu des conclusions d'appel de l'appelante (cf. p. 14), comme signifiant que le prononcé de la résiliation judiciaire du bail est demandée à la date de l'arrêt et seulement dans l'hypothèse où serait écartée la résiliation de plein droit du bail par le jeu de la clause résolutoire.

Or, la cour confirmant l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté de la résiliation de plein droit du bail, en application de la clause résolutoire, cette première demande est sans objet.

Cela entraîne, dès lors, le rejet de la demande de dommages et intérêts présentée par la société MGC elle-même, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, comme une conséquence de sa demande de la résiliation du bail aux torts exclusifs du bailleur.

Ce n'est donc qu'à titre surabondant qu'il sera ajouté qu'outre la circonstance qu'au vu des conclusions de la société MGC, telles qu'interprétées par la cour (p. 14, § 4), cette société n'articule aucune faute précise contre la SCI à l'appui de sa demande indemnitaire, en tout état de cause, le juge des référés n'est pas compétent pour allouer des dommages et intérêts et ne peut qu'allouer une provision à valoir sur des dommages et intérêts dont le principe n'est pas sérieusement contestable (v. par ex. Civ. 2e, 10 nov. 1998, n° 96-17087, publié), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

D- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La succombance de la société MGC justifie la condamnation de cette dernière aux dépens et au paiement d'une indemnité procédurale.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Déclare irrecevables les conclusions et pièces notifiées par la société Maintenance et génie climatique le 12 décembre 2023 ;

- Déclare irrecevables les conclusions signifiées par la SCI Poin-Sept le 12 décembre 2023 ;

- Confirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle prononce la condamnation de la société Maintenance génie climatique au paiement d'une indemnité d'occupation sans préciser qu'il s'agit d'une condamnation provisionnelle ;

Statuant de nouveau de ce chef :

- Dit que la condamnation de la société Maintenance génie climatique à payer à la SCI Poin-Sept une indemnité d'occupation est prononcée à titre provisionnel ;

Y ajoutant,

- Déclare recevables les demandes de la société Maintenance génie climatique tendant au prononcé de la résiliation du bail aux torts exclusifs de la SCI Poin-Sept et à la condamnation de celle-ci à des dommages et intérêts ;

- Dit sans objet la demande de la société Maintenance génie climatique tendant au prononcé de la résiliation du bail aux torts exclusifs de la SCI Poin-Sept ;

- En conséquence, rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société Maintenance génie climatique ;

- Condamne la société Maintenance génie climatique aux dépens d'appel ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Maintenance génie climatique et la condamne à payer à la SCI Poin-Sept la somme de 2 500 euros ;