Décisions
CA Paris, Pôle 5 - ch. 11, 23 février 2024, n° 23/10389
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 11
ARRET DU 23 FEVRIER 2024
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/10389 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHYXR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juin 2023 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2022055219
APPELANTS
Monsieur [X] [W] [T]
[Adresse 2]
[Localité 3]
né le 27 Mai 1997 à [Localité 7]
S.A.S. [X] & CO
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 917 546 343
représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Assistée de Me François-Xavier QUISEFIT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.S. BOLT INFLUENCE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 6]
[Localité 5]
immatriculée au RCS de MEAUX sous le numéro 853 689 248
représentée par Me Stéphanie COEN, avocat au barreau de PARIS, toque D1746
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Caroline GUILLEMAIN, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Denis ARDISSON, Président de chambre,
Mme Marie-Sophie L'ELEU DE LA SIMONE, Conseillère,
Madame CAROLINE GUILLEMAIN, Conseillère,
Qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCEDURE
M. [X] [W] [T] est un « influenceur », exerçant une activité de communication sur internet via les différents comptes dont il est titulaire sur les réseaux sociaux.
Il a créé la SAS [X] & Co, immatriculée le 15 juillet 2022, ayant pour objet social la gestion d'image de talents évoluant dans le domaine du divertissement, la mise en place d'une stratégie d'influence pour promouvoir des marques commerciales et la création de contenu telle que la réalisation de sketchs humoristiques publiés sur les réseaux sociaux.
La SAS Bolt Influence est une agence spécialisée dans la création de campagne de marketing d'influence sur les réseaux sociaux.
Le 24 mars 2021, M. [W] [T] a conclu un contrat de représentation exclusive, d'une durée d'un an, avec la société Bolt Influence. Aux termes de cette convention, M. [W] [T] a concédé à la société Bolt Influence, désignée comme son « représentant personnel et exclusif » , la gestion de sa participation aux campagnes de marketing sur les réseaux sociaux.
Ce contrat a été renouvelé, le 17 janvier 2022, pour une durée de deux ans.
Par courriel du 10 juin 2022, M. [W] [T] a notifié à la société Bolt Influence la résiliation immédiate du contrat aux torts exclusifs de cette dernière
Suivant exploits des 3 et 10 novembre 2022, la société Bolt Influence a fait assigner M. [W] [T] et la société [X] & Co devant le tribunal de commerce de Paris, afin qu'il leur soit fait injonction de communiquer la liste des prestations réalisées depuis le 1er juin 2022, les factures correspondantes et les éléments comptables permettant la détermination de leur chiffre d'affaires, et de les voir condamner au titre de la rupture brutale anticipée du contrat
Estimant que la convention liant les parties devait être requalifiée en contrat de travail, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont soulevé in limine litis une exception d'incompétence matérielle au profit du conseil des prud'hommes de Meaux. Ils ont demandé au tribunal de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de la décision du conseil des prud'hommes de Meaux, à qui il serait demandé, par la voie d'une question préjudicielle, de qualifier le contrat litigieux et, subsidiairement, de décliner sa compétence et de renvoyer le dossier devant cette juridiction.
Par jugement en date du 5 juin 2023, le tribunal a :
- Débouté la SAS Bolt Influence de sa demande au visa de l'article 78 du code de procédure civile, M. [W] [T] et la SAS [X] & Co n'ayant pas conclu au fond ;
- S'est déclaré compétent ;
- Dit que le greffe procéderait à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties ;
- Dit qu'en application de l'article 84 du code de procédure civile, la voie de l'appel était ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification ;
- Rejeté la demande de sursis à statuer ;
- Dit l'action recevable à l'encontre de la SAS [X] & Co ;
- Condamné solidairement M. [W] [T] et la SAS [X] & Co à payer à la SAS Bolt Influence la somme de 4.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté M. [W] [T] et la SAS [X] & Co de toutes leurs autres demandes ;
- Condamné solidairement M. [W] [T] et la SAS [X] & Co aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquides à la somme de 125,96 € dont 20,78 € de TVA ;
- Ordonné le renvoi de l'affaire à la prochaine audience de procédure de la 15ème chambre du 15 septembre 2023 à 14 heures et fait injonction à M. [W] [T] et à la SAS [X] & Co de conclure au fond pour cette audience.
Par déclaration du 21 juin 2023, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont formé appel des chefs du jugement, aux termes desquels le tribunal s'était notamment déclaré compétent pour connaître du litige et avait rejeté la demande de sursis à statuer.
Par requête du même jour, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont sollicité l'autorisation d'assigner à jour fixe la société Bolt Influence, qui leur a été accordée aux termes d'une ordonnance du 4 juillet 2023.
Suivant exploit du 27 juillet 2023, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont fait assigner à jour fixe la société Bolt Influence devant la cour d'appel de Paris pour l'audience 6 décembre 2023.
Dans leurs dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 28 novembre 2023, ils demandent à la cour, sur le fondement des articles 16 et 78 du code de procédure civile, et des articles L. 1411-1, L. 7123-1 et L. 7123-2 du code du travail, de :
« Déclarer recevable l'appel régularisé par Monsieur [X] [W] [T] et la société [X] & Co le 21 juin 2023 contre le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 5 juin 2023.
Infirmer le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 5 juin 2023 par lequel ce dernier a :
- rejeté la demande de question préjudicielle et l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur [X] [W] [T] et la société [X] & Co ;
- condamné ces derniers à verser la somme de 5 000 euros à la société Bolt Influence en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société [X] & Co.
Puis, statuant à nouveau sur ces points :
In limine litis, sur l'incompétence matérielle du Tribunal de commerce de Paris au profit du Conseil de Prud'hommes de Meaux :
Prendre acte de l'exception d'incompétence matérielle du Tribunal de commerce de Paris au profit du Conseil de Prud'hommes de Meaux soulevée par Monsieur [X] [W] [T] et la société [X] & Co.
Renvoyer le présent dossier au Conseil de Prud'hommes de Meaux aux fins de trancher la question préjudicielle de qualification en contrat de travail ou non de la convention litigieuse.
Ordonner au Tribunal de commerce de Paris de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de Prud'hommes de Meaux relative à la qualification du contrat ayant lié Monsieur [X] [W] [T] et la société Bolt Influence.
Dire que la procédure reprendra son cours à la mise en état dès la transmission de la décision qui sera rendue par la juridiction prud'homale, ce à l'initiative de la partie la plus diligente.
Simultanément, si la Cour d'appel de Paris s'estimait compétente pour trancher la nature du contrat liant Monsieur [X] [W] [T] et la société Bolt Influence :
Décliner la compétence matérielle du Tribunal de commerce de Paris au profit du Conseil de Prud'hommes de Meaux.
Renvoyer le dossier devant le Conseil de Prud'hommes de Meaux.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société [X] & Co :
Déclarer irrecevable l'action de la société Bolt Influence à l'encontre de la société [X] & Co, en l'absence d'intérêt à défendre de la société [X] & Co au titre des prétentions formulées par la société Bolt Influence à son encontre.
En tout état de cause,
Condamner la société Bolt Influence à régler à Monsieur [X] [W] [T] et à la société [X] & Co la somme de 5 000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. »
Dans ses conclusions, communiquées par voie électronique, le 3 décembre 2023, la société Bolt Influence demande à la cour, au visa des articles 544 et 545 du code de procédure civile, L. 121-1 et L. 721-3 du code de commerce, L. 1411-4 et L. 8221-6 du code du travail, 31, 32 et 88 du code de procédure civile et de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, de :
« A titre principal
DECLARER IRRECEVABLE l'appel de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS [X] & CO sur le chef du jugement rendu le 5 juin 2023 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il n'a pas posé de question préjudicielle et rejeté la demande de sursis à statuer
DECLARER IRRECEVABLE l'appel de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS [X] & CO sur le chef du jugement rendu le 5 juin 2023 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a dit que l'action à l'encontre de la SAS [X] & CO est recevable
A titre subsidiaire,
REJETER la demande de sursis à statuer de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS
[X] & CO JUGER que l'action de la SAS BOLT INFLUENCE est recevable à l'encontre de la SAS [X] & CO
JUGER que l'action de la SAS BOLT INFLUENCE est recevable à l'encontre de la SAS [X] & CO
En tout état de cause,
CONFIRMER le jugement rendu le 5 juin 2023 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions
En conséquence,
JUGER que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du litige introduit par la SAS BOLT INFLUENCE à l'encontre de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS [X] & CO
REJETER la demande de sursis à statuer de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS
[X] & CO
JUGER que l'action de la SAS BOLT INFLUENCE est recevable à l'encontre de la SAS [X] & CO
CONDAMNER solidairement Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO à payer à la SAS BOLT INFLUENCE la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
DEBOUTER Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO de leurs demandes
ajoutant,
CONDAMNER solidairement Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO à payer à la SAS BOLT INFLUENCE la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNER solidairement Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO aux
dépens de la présente instance d'appel.
Dans l'hypothèse d'une évocation, RENVOYER les parties à une audience ultérieure pour conclure sur le fond, ENJOINDRE Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO
de conclure sur le fond à cette audience, et dans ce cas réserver les dépens. »
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel
Exposé des moyens
Invoquant les dispositions des articles 544 et 545 du code de procédure civile, la société Bolt Influence fait valoir que l'appel immédiat à l'encontre des décisions de refus du tribunal de commerce de poser une question préjudicielle à la juridiction prud'homale et de surseoir à statuer est irrecevable, dès lors que ces chefs de rejet n'ont pas tranché le litige et n'ont pas mis fin à l'instance. Elle estime, pour le même motif, que la décision du tribunal ayant déclaré recevable l'action introduite à l'encontre de la société [X] & Co n'est pas susceptible d'appel immédiat.
Les appelants répliquent qu'il est possible, en application de l'article 545 du code de procédure civile, d'interjeter appel immédiatement d'une décision tranchant un incident, indépendamment du jugement sur le fond, dans les cas spécifiés par la loi, et que l'article 83 du même code qui permet d'interjeter immédiatement appel d'une décision par laquelle le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige constitue précisément l'un de ces cas spécifiques. M. [W] [T] précise qu'il a saisi le conseil des prud'hommes de Meaux, par requête déposée le 9 juin 2023.
Réponse de la cour
L'article 544 du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023, applicable aux faits de la cause, dispose :
« Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal.
Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l'instance. »
L'article 545 du même code, en vigueur à la même date, prévoit que « Les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel indépendamment des jugements sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi. »
Il est constant que lorsque le tribunal de commerce, devant lequel l'instruction ne relève pas du juge de la mise en état, écarte une fin de non-recevoir, la voie de l'appel n'est pas ouverte au défendeur, une telle décision ne mettant pas fin à l'instance. En l'occurrence, l'appel immédiat à l'encontre du chef du jugement ayant écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la société [X] & Co est ainsi irrecevable, le tribunal ayant ordonné un renvoi de l'affaire, afin qu'il soit conclu sur le fond.
Pour un motif identique, la décision de refus du tribunal de poser une question préjudicielle à la juridiction prud'homale n'est pas susceptible d'appel immédiat (Soc., 27 février 2013, n° 11-26.864), pas plus que le rejet consécutif de la demande de sursis à statuer.
L'appel dirigé à l'encontre du chef du jugement selon lequel le tribunal s'est déclaré compétent sans statuer sur le fond du litige est inversement recevable, en application de l'article 83 du code de procédure civile, ce qui, au demeurant, n'est pas formellement contesté, étant souligné que la cour, en tant que juridiction d'appel du conseil des prud'hommes de Meaux et du tribunal de commerce de Paris, est nécessairement compétente pour qualifier le contrat litigieux.
Sur la qualification du contrat
Exposé des moyens
Les appelants soutiennent que la convention conclue entre M. [W] [T] et la société Bolt Influence doit être requalifiée en contrat de travail, de sorte que le conseil des prud'hommes a une compétence exclusive et d'ordre public pour connaître du contentieux relatif à son exécution. Ils prétendent, plus précisément, que M. [W] [T] réalisait des prestations, en tant que salarié, en qualité de mannequin, telle que cette activité est définie par l'article L. 7123-2 du code du travail. Ils expliquent que l'intéressé prêtait son image pour réaliser une présentation normée et contrôlée par l'annonceur, laquelle était exclusive de toute liberté d'interprétation au regard des instructions précises et contraignantes qu'il recevait, souvent sous la forme de feuilles de route ou de « briefs », assorties d'un calendrier de publication. Subsidiairement, ils revendiquent le statut d'artiste interprète, prévu par l'article L. 7121-3 du code du travail.
La société Bolt Influence réplique que l'activité de mannequin diffère de celle d'influenceur, telle qu'elle est désormais définie par la loi du 9 juin 2023. Ils soulignent que les prestations de M. [W] [T] n'étaient pas réduites à la seule utilisation de son image, comme mannequin, mais que celui-ci était libre de déterminer la manière dont il présentait les produits ou les services à son public, selon son propre style et le ton qui lui semblait adaptés. Elle considère que M. [W] [T] n'est pas non plus fondé à revendiquer le statut d'artiste-interprète, dès lors qu'elle ne lui dictait en aucun cas le rôle qu'il devait jouer. Elle prétend inversement que les relations entre les parties étaient de nature commerciale.
Réponse de la cour
Le contrat dit de « représentation exclusive », conclu entre les parties, stipule que l'influenceur exerce une activité de communication sur Internet et qu'il est titulaire d'un ou plusieurs comptes sur les réseaux sociaux, qu'il dispose d'un certain niveau de notoriété et de visibilité sur Internet et qu'il est en mesure de relayer des messages pour développer l'image de marque ou la connaissance des produits et/ou services proposés par des sociétés commerciales (article 1.3). Il prévoit que l'influenceur concède à la société Bolt Influence, à titre exclusif, la gestion de sa participation aux Campagnes Instagram et TikTok auxquelles il participera individuellement ou collectivement, et qu'il confie à la société Bolt Influence, à titre exclusif, la mission de manager de la gestion de ses activités et de sa carrière (articles 4.1 et 4.2).
Le contrat attribue, par ailleurs, à la société Bolt Influence une mission de manager (article 5.1). Il est précisé, que l'influenceur la désigne à ce titre comme son représentant personnel et exclusif et qu'il lui donne mandat et pouvoir d'agir pour lui et en son nom, avec mission de :
- définir avec lui l'orientation de sa carrière professionnelle et de le représenter lors des négociations avec un Annonceur ou une Agence Média visant à l'engager pour la réalisation d'une Campagne ;
- définir les termes financiers et commerciaux de tous contrats se rapportant à sa carrière, l'influenceur étant seul habilité à signer ceux-ci ;
- s'assurer de la bonne exécution des accords conclus.
Selon ses termes, la société Bolt Influence assure également une mission d'apporteur d'affaires (article 5.2).
Il y est indiqué, en substance, que la société Bolt Influence percevra, en contrepartie des services rendus, une rémunération forfaitaire fixée à 30 % du chiffre d'affaires brut hors taxes réalisé et encaissé par l'influenceur au titre de ses activités, à l'exclusion des Campagnes qu'elle aura réalisées pour le compte de ses clients Annonceurs ou Agences Média et des placements professionnels (article 6.1).
Les parties sont, en outre, convenues que la société Bolt Influence verserait à M. [W] [T], à sa demande, une avance sur Chiffre d'Affaires à venir pour les Campagnes conclues, préparées et/ou exécutées, mais non encore payées par l'Annonceur ou l'Agence Média (article 7).
Enfin, la convention stipule expressément qu'aucun lien de dépendance quelconque et/ou de subordination n'est institué entre la société Bolt Influence et l'influenceur, ce dernier disposant d'une pleine autonomie dans l'organisation de ses activités et de son emploi du temps, d'un droit de regard sur l'opportunité de sa collaboration aux Campagnes, ainsi qu'à leur contenu et de la liberté de participer à tout projet artistique (article 9.3).
L'activité de M. [W] [T] est ainsi clairement définie, dans le contrat litigieux, comme une influence commerciale s'exerçant par la diffusion de contenus sur les réseaux sociaux où il jouit d'une certaine notoriété. Elle correspond à la formulation, qui figure désormais à l'article 1 de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023, quoique non applicable aux faits de la cause, qui définit l'activité d'influence commerciale par voie électronique, comme étant l'activité exercée par les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d'une cause quelconque.
Le contrat liant l'influenceur et son agent ou l'annonceur est, suivant les cas d'espèce, susceptible de recevoir diverses qualifications, relevant du droit commercial ou du droit du travail, en fonction des prestations attendues et des modalités de leur réalisation, étant rappelé que le juge n'est pas tenu par la qualification donnée par les parties à leurs relations contractuelles.
L'existence d'un contrat de travail suppose l'existence d'un lien de subordination juridique, exclusif de toute autonomie dans la réalisation de la prestation délivrée.
Pour qualifier le contrat litigieux, il convient, par conséquent, de vérifier concrètement la nature des relations qui liait les parties.
- Sur le statut de mannequin
L'article L. 7123-2 du code du travail dispose :
« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n'est exercée qu'à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »
L'article L. 7123-3 du même code précise : « L'exercice de l'activité de mannequin est conditionné à la délivrance d'un certificat médical. Ce certificat atteste que l'évaluation globale de l'état de santé du mannequin, évalué notamment au regard de son indice de masse corporelle, est compatible avec l'exercice de son métier (...). »
Enfin, en vertu de l'article L. 7123-3, tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un mannequin est présumé être un contrat de travail.
En l'occurrence, l'absence de certificat médical détenu par M. [W] [T] est susceptible d'établir tout au plus le non-respect des dispositions du code du travail, mais ne permet pas, en tant que telle, d'écarter le statut de mannequin qu'il revendique. Les conditions d'application de ce statut doivent néanmoins être réunies.
Il y a lieu de relever, tout d'abord, que M. [W] [T] se présente, dans ses écritures, comme un créateur de contenu.
Contrairement à ce qu'il prétend, l'intéressé ne se contentait pas, en pratique, de prêter son image pour réaliser une prestation normée et contrôlée par l'annonceur, exclusive de toute liberté d'interprétation.
M. [W] [T] devait effectivement appliquer des feuilles de route contenant certaines instructions ; il recevait ainsi des « briefs » contenant, selon l'article 2.5 du contrat, l'ensemble des caractéristiques de la Campagne, telles que la désignation des produits ou services à promouvoir, les réseaux sociaux concernés, les contraintes et exigences relatives aux contenus Influenceur et les éventuels contenus Annonceur à publier ou relayer. Cependant, au vu des captures d'écran qu'il produit, il est manifeste que l'influenceur, qui créait des mises en scène, en fonction de choix créatifs, demeurait libre de réaliser des vidéos selon son propre style et de déterminer la manière selon laquelle il présentait le produit.
Autrement dit, ces mises en scène ne se limitaient pas une reproduction de son image ou à des poses comme modèle, au sens de l'article de L. 7123-2 du code du travail.
Il apparaît, ensuite, que M. [W] [T] disposait d'une totale liberté choix quant à la réalisation des Campagnes qui lui étaient proposées par la société Bolt Influence, et qu'il a pouvait ainsi refuser d'y participer (comme en témoigne, une réponse donnée, dans un message SMS, à propos de la marque DCM Jennifer).
Ainsi que l'a relevé le tribunal de commerce, M. [W] [T] ne peut, par ailleurs, valablement prétendre qu'il recevait une rémunération mensuelle, fixe et forfaitaire d'un montant de 1.800 €, s'apparentant au versement d'un salaire, alors que cette avance mensuelle était déduite des sommes qu'il facturait postérieurement, conformément aux stipulations de l'article 2.4 du contrat.
Il suit de là qu'aucun lien de subordination avec la société Bolt Influence n'apparaît caractérisé, les stipulations du contrat étant en cela conformes avec les conditions de fait dans lesquelles M. [W] [T] exerçait son activité.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que M. [W] [T] n'est pas fondé à prétendre qu'il était lié par un contrat de travail, en considération du statut de mannequin, prévu par les dispositions susvisées.
- Sur le statut d'artiste-interprète
L'artiste-interprète est défini, par l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, comme étant la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes.
L'article L. 7121-3 du code du travail précise que tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n'exerce pas l'activité qui fait l'objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce et des sociétés.
Il résulte des explications précédentes que M. [W] [T] n'avait aucun rôle prédéfini à jouer ni aucun texte à dire, dans le cadre des vidéos, mais qu'il créait lui-même des mises en scènes, afin de promouvoir les produits. Comme il a été dit, aucun lien de subordination n'est, par ailleurs, caractérisé, dans les faits, à l'égard de l'influenceur. Un tel lien ne saurait, en tout état de cause, être déduit de la mission contractuellement dévolue à la société Bolt Influence d'assurer la négociation des contrats pour son compte, alors que M. [W] [T] lui avait donné mandat à cet effet.
En conséquence, il y a lieu de dire que M. [W] [T] n'est pas fondé non plus à se prévaloir d'un contrat de travail en lien avec le statut d'artiste-interprète.
- Sur la nature commerciale des relations entre les parties
L'article L. 721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.
L'article L. 121-1 du même code précise que "Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle."
Selon l'article L. 110-1, 6°, dudit code, toute entreprise de fournitures est réputée acte de commerce.
Dans les faits, M. [W] [T], en tant qu'« influenceur », exerçait une activité consistant à diffuser, à titre habituel, des messages de promotion publicitaire de produits, qu'il concevait et réalisait sous une forme humoristique, dans le cadre de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, en contrepartie d'une « rémunération » prévue dans le contrat, versée par la société Bolt Influence pour le compte de l'Annonceur. Une telle activité, telle qu'exercée dans le cas présent, revêt ainsi la nature d'acte de commerce.
La SAS [X] & Co est elle-même une société commerciale.
Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement du tribunal de commerce s'étant déclaré compétent pour connaître du litige.
Sur la demande d'évocation
L'article 88 du code de procédure civile dispose que, lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.
En l'occurrence, aucun élément de la cause ne justifie de priver les parties du double degré de juridiction, étant précisé que celles-ci n'ont pas encore conclu au fond. Il n'apparaît donc pas d'une bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, en évoquant l'affaire. La demande formée à ce titre par la société Bolt Influence sera donc rejetée.
Sur les autres demandes
M. [W] [T] et la société [X] & Co succombant au recours, la cour les condamnera aux dépens de l'appel, ainsi qu'à payer à la société Bolt Influence une indemnité de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En l'absence de condamnation solidaire prononcée à titre principal à l'encontre des appelants, il n'apparaît pas justifié d'assortir de la solidarité leur condamnation aux dépens et aux frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y AJOUTANT,
DECLARE irrecevable l'appel immédiat de M. [X] [W] [T] et la SAS [X] & Co à l'encontre des chefs du jugement ayant écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la SAS [X] & Co, refusé de poser une question préjudicielle à la juridiction prud'homale et rejeté la demande de sursis à statuer,
DIT n'y avoir lieu à évocation de l'affaire,
RENVOIE la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Paris pour la reprise de l'instance,
CONDAMNE M. [X] [W] [T] et la SAS [X] & Co aux dépens de l'appel,
CONDAMNE M. [X] [W] [T] et la SAS [X] & Co à payer à la SAS Bolt Influence la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la SAS Bolt Influence portant sur le bénéfice de condamnations solidaires.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 11
ARRET DU 23 FEVRIER 2024
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/10389 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHYXR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juin 2023 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2022055219
APPELANTS
Monsieur [X] [W] [T]
[Adresse 2]
[Localité 3]
né le 27 Mai 1997 à [Localité 7]
S.A.S. [X] & CO
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 917 546 343
représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Assistée de Me François-Xavier QUISEFIT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.S. BOLT INFLUENCE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 6]
[Localité 5]
immatriculée au RCS de MEAUX sous le numéro 853 689 248
représentée par Me Stéphanie COEN, avocat au barreau de PARIS, toque D1746
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Caroline GUILLEMAIN, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Denis ARDISSON, Président de chambre,
Mme Marie-Sophie L'ELEU DE LA SIMONE, Conseillère,
Madame CAROLINE GUILLEMAIN, Conseillère,
Qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCEDURE
M. [X] [W] [T] est un « influenceur », exerçant une activité de communication sur internet via les différents comptes dont il est titulaire sur les réseaux sociaux.
Il a créé la SAS [X] & Co, immatriculée le 15 juillet 2022, ayant pour objet social la gestion d'image de talents évoluant dans le domaine du divertissement, la mise en place d'une stratégie d'influence pour promouvoir des marques commerciales et la création de contenu telle que la réalisation de sketchs humoristiques publiés sur les réseaux sociaux.
La SAS Bolt Influence est une agence spécialisée dans la création de campagne de marketing d'influence sur les réseaux sociaux.
Le 24 mars 2021, M. [W] [T] a conclu un contrat de représentation exclusive, d'une durée d'un an, avec la société Bolt Influence. Aux termes de cette convention, M. [W] [T] a concédé à la société Bolt Influence, désignée comme son « représentant personnel et exclusif » , la gestion de sa participation aux campagnes de marketing sur les réseaux sociaux.
Ce contrat a été renouvelé, le 17 janvier 2022, pour une durée de deux ans.
Par courriel du 10 juin 2022, M. [W] [T] a notifié à la société Bolt Influence la résiliation immédiate du contrat aux torts exclusifs de cette dernière
Suivant exploits des 3 et 10 novembre 2022, la société Bolt Influence a fait assigner M. [W] [T] et la société [X] & Co devant le tribunal de commerce de Paris, afin qu'il leur soit fait injonction de communiquer la liste des prestations réalisées depuis le 1er juin 2022, les factures correspondantes et les éléments comptables permettant la détermination de leur chiffre d'affaires, et de les voir condamner au titre de la rupture brutale anticipée du contrat
Estimant que la convention liant les parties devait être requalifiée en contrat de travail, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont soulevé in limine litis une exception d'incompétence matérielle au profit du conseil des prud'hommes de Meaux. Ils ont demandé au tribunal de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de la décision du conseil des prud'hommes de Meaux, à qui il serait demandé, par la voie d'une question préjudicielle, de qualifier le contrat litigieux et, subsidiairement, de décliner sa compétence et de renvoyer le dossier devant cette juridiction.
Par jugement en date du 5 juin 2023, le tribunal a :
- Débouté la SAS Bolt Influence de sa demande au visa de l'article 78 du code de procédure civile, M. [W] [T] et la SAS [X] & Co n'ayant pas conclu au fond ;
- S'est déclaré compétent ;
- Dit que le greffe procéderait à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties ;
- Dit qu'en application de l'article 84 du code de procédure civile, la voie de l'appel était ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification ;
- Rejeté la demande de sursis à statuer ;
- Dit l'action recevable à l'encontre de la SAS [X] & Co ;
- Condamné solidairement M. [W] [T] et la SAS [X] & Co à payer à la SAS Bolt Influence la somme de 4.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté M. [W] [T] et la SAS [X] & Co de toutes leurs autres demandes ;
- Condamné solidairement M. [W] [T] et la SAS [X] & Co aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquides à la somme de 125,96 € dont 20,78 € de TVA ;
- Ordonné le renvoi de l'affaire à la prochaine audience de procédure de la 15ème chambre du 15 septembre 2023 à 14 heures et fait injonction à M. [W] [T] et à la SAS [X] & Co de conclure au fond pour cette audience.
Par déclaration du 21 juin 2023, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont formé appel des chefs du jugement, aux termes desquels le tribunal s'était notamment déclaré compétent pour connaître du litige et avait rejeté la demande de sursis à statuer.
Par requête du même jour, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont sollicité l'autorisation d'assigner à jour fixe la société Bolt Influence, qui leur a été accordée aux termes d'une ordonnance du 4 juillet 2023.
Suivant exploit du 27 juillet 2023, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont fait assigner à jour fixe la société Bolt Influence devant la cour d'appel de Paris pour l'audience 6 décembre 2023.
Dans leurs dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 28 novembre 2023, ils demandent à la cour, sur le fondement des articles 16 et 78 du code de procédure civile, et des articles L. 1411-1, L. 7123-1 et L. 7123-2 du code du travail, de :
« Déclarer recevable l'appel régularisé par Monsieur [X] [W] [T] et la société [X] & Co le 21 juin 2023 contre le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 5 juin 2023.
Infirmer le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 5 juin 2023 par lequel ce dernier a :
- rejeté la demande de question préjudicielle et l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur [X] [W] [T] et la société [X] & Co ;
- condamné ces derniers à verser la somme de 5 000 euros à la société Bolt Influence en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société [X] & Co.
Puis, statuant à nouveau sur ces points :
In limine litis, sur l'incompétence matérielle du Tribunal de commerce de Paris au profit du Conseil de Prud'hommes de Meaux :
Prendre acte de l'exception d'incompétence matérielle du Tribunal de commerce de Paris au profit du Conseil de Prud'hommes de Meaux soulevée par Monsieur [X] [W] [T] et la société [X] & Co.
Renvoyer le présent dossier au Conseil de Prud'hommes de Meaux aux fins de trancher la question préjudicielle de qualification en contrat de travail ou non de la convention litigieuse.
Ordonner au Tribunal de commerce de Paris de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil de Prud'hommes de Meaux relative à la qualification du contrat ayant lié Monsieur [X] [W] [T] et la société Bolt Influence.
Dire que la procédure reprendra son cours à la mise en état dès la transmission de la décision qui sera rendue par la juridiction prud'homale, ce à l'initiative de la partie la plus diligente.
Simultanément, si la Cour d'appel de Paris s'estimait compétente pour trancher la nature du contrat liant Monsieur [X] [W] [T] et la société Bolt Influence :
Décliner la compétence matérielle du Tribunal de commerce de Paris au profit du Conseil de Prud'hommes de Meaux.
Renvoyer le dossier devant le Conseil de Prud'hommes de Meaux.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société [X] & Co :
Déclarer irrecevable l'action de la société Bolt Influence à l'encontre de la société [X] & Co, en l'absence d'intérêt à défendre de la société [X] & Co au titre des prétentions formulées par la société Bolt Influence à son encontre.
En tout état de cause,
Condamner la société Bolt Influence à régler à Monsieur [X] [W] [T] et à la société [X] & Co la somme de 5 000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. »
Dans ses conclusions, communiquées par voie électronique, le 3 décembre 2023, la société Bolt Influence demande à la cour, au visa des articles 544 et 545 du code de procédure civile, L. 121-1 et L. 721-3 du code de commerce, L. 1411-4 et L. 8221-6 du code du travail, 31, 32 et 88 du code de procédure civile et de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, de :
« A titre principal
DECLARER IRRECEVABLE l'appel de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS [X] & CO sur le chef du jugement rendu le 5 juin 2023 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il n'a pas posé de question préjudicielle et rejeté la demande de sursis à statuer
DECLARER IRRECEVABLE l'appel de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS [X] & CO sur le chef du jugement rendu le 5 juin 2023 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a dit que l'action à l'encontre de la SAS [X] & CO est recevable
A titre subsidiaire,
REJETER la demande de sursis à statuer de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS
[X] & CO JUGER que l'action de la SAS BOLT INFLUENCE est recevable à l'encontre de la SAS [X] & CO
JUGER que l'action de la SAS BOLT INFLUENCE est recevable à l'encontre de la SAS [X] & CO
En tout état de cause,
CONFIRMER le jugement rendu le 5 juin 2023 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions
En conséquence,
JUGER que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du litige introduit par la SAS BOLT INFLUENCE à l'encontre de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS [X] & CO
REJETER la demande de sursis à statuer de Monsieur [X] [W]-[T] et de la SAS
[X] & CO
JUGER que l'action de la SAS BOLT INFLUENCE est recevable à l'encontre de la SAS [X] & CO
CONDAMNER solidairement Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO à payer à la SAS BOLT INFLUENCE la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
DEBOUTER Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO de leurs demandes
ajoutant,
CONDAMNER solidairement Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO à payer à la SAS BOLT INFLUENCE la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNER solidairement Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO aux
dépens de la présente instance d'appel.
Dans l'hypothèse d'une évocation, RENVOYER les parties à une audience ultérieure pour conclure sur le fond, ENJOINDRE Monsieur [X] [W]-[T] et la SAS [X] & CO
de conclure sur le fond à cette audience, et dans ce cas réserver les dépens. »
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel
Exposé des moyens
Invoquant les dispositions des articles 544 et 545 du code de procédure civile, la société Bolt Influence fait valoir que l'appel immédiat à l'encontre des décisions de refus du tribunal de commerce de poser une question préjudicielle à la juridiction prud'homale et de surseoir à statuer est irrecevable, dès lors que ces chefs de rejet n'ont pas tranché le litige et n'ont pas mis fin à l'instance. Elle estime, pour le même motif, que la décision du tribunal ayant déclaré recevable l'action introduite à l'encontre de la société [X] & Co n'est pas susceptible d'appel immédiat.
Les appelants répliquent qu'il est possible, en application de l'article 545 du code de procédure civile, d'interjeter appel immédiatement d'une décision tranchant un incident, indépendamment du jugement sur le fond, dans les cas spécifiés par la loi, et que l'article 83 du même code qui permet d'interjeter immédiatement appel d'une décision par laquelle le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige constitue précisément l'un de ces cas spécifiques. M. [W] [T] précise qu'il a saisi le conseil des prud'hommes de Meaux, par requête déposée le 9 juin 2023.
Réponse de la cour
L'article 544 du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023, applicable aux faits de la cause, dispose :
« Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal.
Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l'instance. »
L'article 545 du même code, en vigueur à la même date, prévoit que « Les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel indépendamment des jugements sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi. »
Il est constant que lorsque le tribunal de commerce, devant lequel l'instruction ne relève pas du juge de la mise en état, écarte une fin de non-recevoir, la voie de l'appel n'est pas ouverte au défendeur, une telle décision ne mettant pas fin à l'instance. En l'occurrence, l'appel immédiat à l'encontre du chef du jugement ayant écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la société [X] & Co est ainsi irrecevable, le tribunal ayant ordonné un renvoi de l'affaire, afin qu'il soit conclu sur le fond.
Pour un motif identique, la décision de refus du tribunal de poser une question préjudicielle à la juridiction prud'homale n'est pas susceptible d'appel immédiat (Soc., 27 février 2013, n° 11-26.864), pas plus que le rejet consécutif de la demande de sursis à statuer.
L'appel dirigé à l'encontre du chef du jugement selon lequel le tribunal s'est déclaré compétent sans statuer sur le fond du litige est inversement recevable, en application de l'article 83 du code de procédure civile, ce qui, au demeurant, n'est pas formellement contesté, étant souligné que la cour, en tant que juridiction d'appel du conseil des prud'hommes de Meaux et du tribunal de commerce de Paris, est nécessairement compétente pour qualifier le contrat litigieux.
Sur la qualification du contrat
Exposé des moyens
Les appelants soutiennent que la convention conclue entre M. [W] [T] et la société Bolt Influence doit être requalifiée en contrat de travail, de sorte que le conseil des prud'hommes a une compétence exclusive et d'ordre public pour connaître du contentieux relatif à son exécution. Ils prétendent, plus précisément, que M. [W] [T] réalisait des prestations, en tant que salarié, en qualité de mannequin, telle que cette activité est définie par l'article L. 7123-2 du code du travail. Ils expliquent que l'intéressé prêtait son image pour réaliser une présentation normée et contrôlée par l'annonceur, laquelle était exclusive de toute liberté d'interprétation au regard des instructions précises et contraignantes qu'il recevait, souvent sous la forme de feuilles de route ou de « briefs », assorties d'un calendrier de publication. Subsidiairement, ils revendiquent le statut d'artiste interprète, prévu par l'article L. 7121-3 du code du travail.
La société Bolt Influence réplique que l'activité de mannequin diffère de celle d'influenceur, telle qu'elle est désormais définie par la loi du 9 juin 2023. Ils soulignent que les prestations de M. [W] [T] n'étaient pas réduites à la seule utilisation de son image, comme mannequin, mais que celui-ci était libre de déterminer la manière dont il présentait les produits ou les services à son public, selon son propre style et le ton qui lui semblait adaptés. Elle considère que M. [W] [T] n'est pas non plus fondé à revendiquer le statut d'artiste-interprète, dès lors qu'elle ne lui dictait en aucun cas le rôle qu'il devait jouer. Elle prétend inversement que les relations entre les parties étaient de nature commerciale.
Réponse de la cour
Le contrat dit de « représentation exclusive », conclu entre les parties, stipule que l'influenceur exerce une activité de communication sur Internet et qu'il est titulaire d'un ou plusieurs comptes sur les réseaux sociaux, qu'il dispose d'un certain niveau de notoriété et de visibilité sur Internet et qu'il est en mesure de relayer des messages pour développer l'image de marque ou la connaissance des produits et/ou services proposés par des sociétés commerciales (article 1.3). Il prévoit que l'influenceur concède à la société Bolt Influence, à titre exclusif, la gestion de sa participation aux Campagnes Instagram et TikTok auxquelles il participera individuellement ou collectivement, et qu'il confie à la société Bolt Influence, à titre exclusif, la mission de manager de la gestion de ses activités et de sa carrière (articles 4.1 et 4.2).
Le contrat attribue, par ailleurs, à la société Bolt Influence une mission de manager (article 5.1). Il est précisé, que l'influenceur la désigne à ce titre comme son représentant personnel et exclusif et qu'il lui donne mandat et pouvoir d'agir pour lui et en son nom, avec mission de :
- définir avec lui l'orientation de sa carrière professionnelle et de le représenter lors des négociations avec un Annonceur ou une Agence Média visant à l'engager pour la réalisation d'une Campagne ;
- définir les termes financiers et commerciaux de tous contrats se rapportant à sa carrière, l'influenceur étant seul habilité à signer ceux-ci ;
- s'assurer de la bonne exécution des accords conclus.
Selon ses termes, la société Bolt Influence assure également une mission d'apporteur d'affaires (article 5.2).
Il y est indiqué, en substance, que la société Bolt Influence percevra, en contrepartie des services rendus, une rémunération forfaitaire fixée à 30 % du chiffre d'affaires brut hors taxes réalisé et encaissé par l'influenceur au titre de ses activités, à l'exclusion des Campagnes qu'elle aura réalisées pour le compte de ses clients Annonceurs ou Agences Média et des placements professionnels (article 6.1).
Les parties sont, en outre, convenues que la société Bolt Influence verserait à M. [W] [T], à sa demande, une avance sur Chiffre d'Affaires à venir pour les Campagnes conclues, préparées et/ou exécutées, mais non encore payées par l'Annonceur ou l'Agence Média (article 7).
Enfin, la convention stipule expressément qu'aucun lien de dépendance quelconque et/ou de subordination n'est institué entre la société Bolt Influence et l'influenceur, ce dernier disposant d'une pleine autonomie dans l'organisation de ses activités et de son emploi du temps, d'un droit de regard sur l'opportunité de sa collaboration aux Campagnes, ainsi qu'à leur contenu et de la liberté de participer à tout projet artistique (article 9.3).
L'activité de M. [W] [T] est ainsi clairement définie, dans le contrat litigieux, comme une influence commerciale s'exerçant par la diffusion de contenus sur les réseaux sociaux où il jouit d'une certaine notoriété. Elle correspond à la formulation, qui figure désormais à l'article 1 de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023, quoique non applicable aux faits de la cause, qui définit l'activité d'influence commerciale par voie électronique, comme étant l'activité exercée par les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d'une cause quelconque.
Le contrat liant l'influenceur et son agent ou l'annonceur est, suivant les cas d'espèce, susceptible de recevoir diverses qualifications, relevant du droit commercial ou du droit du travail, en fonction des prestations attendues et des modalités de leur réalisation, étant rappelé que le juge n'est pas tenu par la qualification donnée par les parties à leurs relations contractuelles.
L'existence d'un contrat de travail suppose l'existence d'un lien de subordination juridique, exclusif de toute autonomie dans la réalisation de la prestation délivrée.
Pour qualifier le contrat litigieux, il convient, par conséquent, de vérifier concrètement la nature des relations qui liait les parties.
- Sur le statut de mannequin
L'article L. 7123-2 du code du travail dispose :
« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n'est exercée qu'à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »
L'article L. 7123-3 du même code précise : « L'exercice de l'activité de mannequin est conditionné à la délivrance d'un certificat médical. Ce certificat atteste que l'évaluation globale de l'état de santé du mannequin, évalué notamment au regard de son indice de masse corporelle, est compatible avec l'exercice de son métier (...). »
Enfin, en vertu de l'article L. 7123-3, tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un mannequin est présumé être un contrat de travail.
En l'occurrence, l'absence de certificat médical détenu par M. [W] [T] est susceptible d'établir tout au plus le non-respect des dispositions du code du travail, mais ne permet pas, en tant que telle, d'écarter le statut de mannequin qu'il revendique. Les conditions d'application de ce statut doivent néanmoins être réunies.
Il y a lieu de relever, tout d'abord, que M. [W] [T] se présente, dans ses écritures, comme un créateur de contenu.
Contrairement à ce qu'il prétend, l'intéressé ne se contentait pas, en pratique, de prêter son image pour réaliser une prestation normée et contrôlée par l'annonceur, exclusive de toute liberté d'interprétation.
M. [W] [T] devait effectivement appliquer des feuilles de route contenant certaines instructions ; il recevait ainsi des « briefs » contenant, selon l'article 2.5 du contrat, l'ensemble des caractéristiques de la Campagne, telles que la désignation des produits ou services à promouvoir, les réseaux sociaux concernés, les contraintes et exigences relatives aux contenus Influenceur et les éventuels contenus Annonceur à publier ou relayer. Cependant, au vu des captures d'écran qu'il produit, il est manifeste que l'influenceur, qui créait des mises en scène, en fonction de choix créatifs, demeurait libre de réaliser des vidéos selon son propre style et de déterminer la manière selon laquelle il présentait le produit.
Autrement dit, ces mises en scène ne se limitaient pas une reproduction de son image ou à des poses comme modèle, au sens de l'article de L. 7123-2 du code du travail.
Il apparaît, ensuite, que M. [W] [T] disposait d'une totale liberté choix quant à la réalisation des Campagnes qui lui étaient proposées par la société Bolt Influence, et qu'il a pouvait ainsi refuser d'y participer (comme en témoigne, une réponse donnée, dans un message SMS, à propos de la marque DCM Jennifer).
Ainsi que l'a relevé le tribunal de commerce, M. [W] [T] ne peut, par ailleurs, valablement prétendre qu'il recevait une rémunération mensuelle, fixe et forfaitaire d'un montant de 1.800 €, s'apparentant au versement d'un salaire, alors que cette avance mensuelle était déduite des sommes qu'il facturait postérieurement, conformément aux stipulations de l'article 2.4 du contrat.
Il suit de là qu'aucun lien de subordination avec la société Bolt Influence n'apparaît caractérisé, les stipulations du contrat étant en cela conformes avec les conditions de fait dans lesquelles M. [W] [T] exerçait son activité.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que M. [W] [T] n'est pas fondé à prétendre qu'il était lié par un contrat de travail, en considération du statut de mannequin, prévu par les dispositions susvisées.
- Sur le statut d'artiste-interprète
L'artiste-interprète est défini, par l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, comme étant la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes.
L'article L. 7121-3 du code du travail précise que tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n'exerce pas l'activité qui fait l'objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce et des sociétés.
Il résulte des explications précédentes que M. [W] [T] n'avait aucun rôle prédéfini à jouer ni aucun texte à dire, dans le cadre des vidéos, mais qu'il créait lui-même des mises en scènes, afin de promouvoir les produits. Comme il a été dit, aucun lien de subordination n'est, par ailleurs, caractérisé, dans les faits, à l'égard de l'influenceur. Un tel lien ne saurait, en tout état de cause, être déduit de la mission contractuellement dévolue à la société Bolt Influence d'assurer la négociation des contrats pour son compte, alors que M. [W] [T] lui avait donné mandat à cet effet.
En conséquence, il y a lieu de dire que M. [W] [T] n'est pas fondé non plus à se prévaloir d'un contrat de travail en lien avec le statut d'artiste-interprète.
- Sur la nature commerciale des relations entre les parties
L'article L. 721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.
L'article L. 121-1 du même code précise que "Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle."
Selon l'article L. 110-1, 6°, dudit code, toute entreprise de fournitures est réputée acte de commerce.
Dans les faits, M. [W] [T], en tant qu'« influenceur », exerçait une activité consistant à diffuser, à titre habituel, des messages de promotion publicitaire de produits, qu'il concevait et réalisait sous une forme humoristique, dans le cadre de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, en contrepartie d'une « rémunération » prévue dans le contrat, versée par la société Bolt Influence pour le compte de l'Annonceur. Une telle activité, telle qu'exercée dans le cas présent, revêt ainsi la nature d'acte de commerce.
La SAS [X] & Co est elle-même une société commerciale.
Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement du tribunal de commerce s'étant déclaré compétent pour connaître du litige.
Sur la demande d'évocation
L'article 88 du code de procédure civile dispose que, lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.
En l'occurrence, aucun élément de la cause ne justifie de priver les parties du double degré de juridiction, étant précisé que celles-ci n'ont pas encore conclu au fond. Il n'apparaît donc pas d'une bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, en évoquant l'affaire. La demande formée à ce titre par la société Bolt Influence sera donc rejetée.
Sur les autres demandes
M. [W] [T] et la société [X] & Co succombant au recours, la cour les condamnera aux dépens de l'appel, ainsi qu'à payer à la société Bolt Influence une indemnité de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En l'absence de condamnation solidaire prononcée à titre principal à l'encontre des appelants, il n'apparaît pas justifié d'assortir de la solidarité leur condamnation aux dépens et aux frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y AJOUTANT,
DECLARE irrecevable l'appel immédiat de M. [X] [W] [T] et la SAS [X] & Co à l'encontre des chefs du jugement ayant écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la SAS [X] & Co, refusé de poser une question préjudicielle à la juridiction prud'homale et rejeté la demande de sursis à statuer,
DIT n'y avoir lieu à évocation de l'affaire,
RENVOIE la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Paris pour la reprise de l'instance,
CONDAMNE M. [X] [W] [T] et la SAS [X] & Co aux dépens de l'appel,
CONDAMNE M. [X] [W] [T] et la SAS [X] & Co à payer à la SAS Bolt Influence la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la SAS Bolt Influence portant sur le bénéfice de condamnations solidaires.
LE GREFFIER LE PRESIDENT