CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 février 2024, n° 21/05674
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
A Finestra (SAS)
Défendeur :
Castes Industrie (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bodard-Hermant
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Etevenard, Me Remy, Me Jeannez
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS A. Finestra exerçait, jusqu'à sa liquidation judiciaire prononcée par jugement du tribunal de commerce d'Ajaccio du 10 juillet 2017 sur conversion du redressement judiciaire ouvert à son bénéfice le 22 février 2016, une activité de vente et de pose de menuiseries extérieures.
La SAS Castes Industrie est spécialisée dans la fabrication et la conception de produits de menuiserie pour l'aménagement et la décoration intérieure et extérieure. Elle est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur la marque "La Boutique du Menuisier" et gère, pour les besoins de son activité, un réseau de distributeurs et de déposants.
Par acte du 13 décembre 2011 conclu pour une durée de deux ans tacitement renouvelable par tranches annuelles, la SAS Castes Industrie a concédé à la SAS A. Finestra, à titre exclusif sur un territoire déterminé, le droit de vente aux particuliers de ses fenêtres et portes d'entrée ainsi qu'une licence sur sa marque "La Boutique du Menuisier" en contrepartie, notamment, d'une obligation d'approvisionnement exclusif.
Éprouvant des difficultés économiques, la SAS A. Finestra n'a pas réglé six factures émises par la SAS Castes Industrie entre juin et septembre 2015 pour un montant total de 53 824,58 euros TTC. Celle-ci l'autorisait à se libérer de sa dette selon un échéancier établi sur sept mois en contrepartie d'un cautionnement solidaire de ses associés, les époux [O], à hauteur de 50 000 euros, garantie concédée par acte daté du 17 novembre 2015.
Cependant, ces derniers ayant révoqué leur consentement le 2 décembre 2015, la SAS Castes Industrie informait la SAS A. Finestra le 9 décembre 2015 de la caducité de l'échéancier accordé et de la nécessité de payer les marchandises "par virement avant départ camion".
La SAS A. Finestra n'ayant pu honorer une nouvelle facture de 8 000,07 euros TTC, la SAS Castes Industrie lui a notifié par courrier du 14 janvier 2016 la résiliation pour le 15 février 2016 de la convention du 13 décembre 2011 au visa de son article 9 relatif au non-respect des conditions de règlement, tout en maintenant pour l'avenir les conditions de paiement des marchandises précisées dans son courrier du 9 décembre 2015.
Les relations commerciales se poursuivaient jusqu'à leur cessation définitive le 30 juin 2016 notifiée par la SAS Castes Industrie par courrier de son conseil du 2 juin 2016.
C'est dans ces circonstances que, la SAS A. Finestra, prise en la personne de son mandataire judiciaire, Maître [J] [V], a, par acte d'huissier signifié le 13 avril 2016, assigné la SAS Castes Industrie devant le tribunal de commerce de Marseille en indemnisation des préjudices causés par la rupture abusive et brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 11 janvier 2017, le tribunal de commerce de Marseille a débouté les parties de l'intégralité de leurs demandes.
Par déclaration reçue au greffe le 24 mars 2021, la SAS A. Finestra a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 30 août 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir opposée par la SAS Castes Industrie tirée de la tardiveté de l'appel interjeté par la SAS A. Finestra prise en la personne de son mandataire judiciaire.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique 5 septembre 2023, la SAS A. Finestra, prise en la personne de Maître [J] [V] ès qualités de liquidateur judiciaire, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, 1103 et suivants nouveaux du code civil et L 442-6 I 5° et L 622-13 du code de commerce :
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 11 janvier 2017 ;
- en conséquence et statuant à nouveau, de juger et déclarer que la SAS Castes Industrie n'a pas respecté les conditions de forme prévues au contrat pour la résiliation, en ce qu'il n'y a pas de mise en demeure préalable à celle-ci ;
- de juger et de déclarer que dans son courrier du 14 janvier 2016, la SAS Castes Industrie motive sa résiliation du contrat par des éléments non prévus au contrat ou, à tout le moins, illicites ;
- de juger et de déclarer que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ;
- de juger et de déclarer que la SAS Castes Industrie a elle-même été à l'origine de sa créance ;
- de juger et de déclarer que la SAS Castes Industrie a exécuté de mauvaise foi le contrat ;
- en conséquence, de juger et de déclarer que la rupture de la convention de distribution et de licence de marque est abusive et que la SAS Castes Industrie a engagé sa responsabilité contractuelle envers la SAS A. Finestra ;
- en conséquence, de condamner la SAS Castes Industrie à indemniser la SAS A. Finestra et ainsi à payer à Maître [J] [V], ès qualités de liquidateur judiciaire, les sommes de :
* 57 280,46 euros au titre de l'aggravation de la dette ;
* 39 028,08 au titre du surcoût lié au transport imposé ;
* 10 000 euros à titre forfaitaire correspondant à la mauvaise exécution dans les livraisons ;
- de juger et de déclarer que la SAS Castes Industrie a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la SAS A. Finestra ;
- de juger et de déclarer que le préavis laissé de moins d'un mois était totalement insuffisant eu égard à la relation commerciale entre les deux sociétés ;
- en conséquence, de juger et de déclarer que la SAS Castes Industrie a commis une faute et engagé sa responsabilité du fait de sa rupture brutale de la relation commerciale la SAS A. Finestra ;
- de juger et de déclarer que la SAS A. Finestra a subi un préjudice en lien avec cette faute ;
- en conséquence, de condamner la SAS Castes Industrie à régler à la SAS A. Finestra, représentée par son liquidateur judiciaire, les dommages et intérêts suivants :
* 80 362,50 euros au titre de la perte de marge brute et subsidiairement 68 882,16 euros ;
* 1 326,30 euros au titre du coût lié au changement et remplacement de l'enseigne sur les différents supports ;
* 50 000 euros forfaitaires au titre du trouble commercial ;
* 40 000 euros forfaitaires au titre de la concurrence déloyale des autres membres du réseau ;
- de débouter la SAS Castes Industrie de toutes ses demandes ;
- en tout état de cause, de condamner la SAS Castes Industrie à régler à la SAS A. Finestra, représentée par son liquidateur judiciaire, la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 juillet 2021, la SAS Castes Industrie demande à la cour, au visa des articles 2241 du code civil, 4, 122, 123, 527 et suivant et 564 du code de procédure civile, 1134 et 1147 anciens du code civil et L 442-6-1 du code de commerce, de :
- à titre préalable, déclarer irrecevables les appels formés par Maître [J] [V], ès qualités de mandataire judiciaire de la SAS A. Finestra et par la SAS A. Finestra à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 11 janvier 2017 et signifié le 21 février 2017 ;
- à titre principal, déclarer irrecevable la demande nouvelle en appel de la SAS A. Finestra tendant à l'annulation des engagements de caution souscrits par ses dirigeants, les consorts [O] ;
- juger que la résiliation de la convention de distribution et licence de marque par la SAS Castes Industrie n'est ni abusive ni brutale ;
- juger que la résiliation est intervenue en raison du non-paiement des factures, cause contractuelle de résiliation ;
- juger que la SAS A. Finestra reste débitrice, à l'égard de la SAS Castes Industrie, de la somme de 61 824,65 euros au titre des factures impayées ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SAS A. Finestra de l'ensemble de ses prétentions ;
- par conséquent, fixer la créance de la société castes industrie au passif de la SAS A. Finestra à la somme de 61 824,65 euros ;
- en tout état de cause :
* débouter la SAS A. Finestra de l'intégralité de ses demandes ;
* condamner la SAS A. Finestra prise en la personne de son mandataire liquidateur à payer à la SAS Castes Industrie la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamner la SAS A. Finestra aux entiers dépens
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
Par message RPVA du 19 février 2024, la Cour a suscité les explications des parties avant le 26 février 2024 sur le caractère nouveau de la demande en fixation présentée par la SAS Castes Industries.Tandis que la SAS A. Finestra, prise en la personne de son mandataire judiciaire, Maître [J] [V], a, par note en délibéré du 23 février 2024, soulevé l'irrecevabilité de cette demande à raison de sa nouveauté, la SAS Castes Industrie, par message en réponse du 25 février 2024, a expliqué que sa demande était rendue nécessaire par la contestation de sa créance dans le cadre de la procédure collective ainsi que par l'ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce d'Ajaccio du 18 avril 2017 constatant cette dernière à raison d'une procédure en cours, ce dont elle déduisait que sa demande n'était pas nouvelle mais connexe à l'instance en cours.
MOTIVATION
A titre liminaire, la Cour constate que, par ordonnance du 30 août 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir opposée par la SAS Castes Industrie tirée de la tardiveté de l'appel de la SAS A. Finestra prise en la personne de son liquidateur judiciaire. Aussi, les développements de la SAS Castes Industrie à ce titre, explicitement maintenus à titre de "précaution", sont sans objet au sens des articles 914 et 916 du code de procédure civile et ne méritent aucun examen.
Par ailleurs, la SAS Castes Industrie, qui sollicite la confirmation totale du jugement, forme une demande de fixation de sa créance au passif de la SAS A. Finestra. Or, aucune demande de condamnation n'avait pas été présentée à ce titre au tribunal de commerce. Elle est en conséquence nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile et est irrecevable, l'éventuelle contestation de sa créance dans le cadre de la procédure collective et l'ordonnance du juge commissaire ne constituant pas à ce titre des faits nouveaux affectant le principe ou la mesure de la créance et permettant la présentation d'une prétention à ce titre en cause d'appel, celle-ci n'étant en outre pas compatible avec la demande de confirmation pure et simple du jugement entrepris dont elle n'est pas la conséquence.
1°) Sur l'exécution et la rupture abusive du contrat
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SAS A. Finestra, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, expose que la SAS Castes Industrie, qui ne pouvait ignorer sa situation économique dégradée puisqu'elle était astreinte au respect d'un chiffre d'affaires minimum annuel et devait fournir ses documents comptables chaque année, ne peut se prévaloir de sa propre turpitude dans la constitution de sa dette et dans la rédaction d'un contrat "volontairement illégal dans le but de le faire casser ensuite". Elle ajoute que la SAS Castes Industrie n'a pas respecté les conditions de forme prescrites par l'article 9 du contrat en le résiliant sans mise en demeure préalable, cette stipulation étant de surcroît contraire aux articles L 622-13 et L 631-14 du code de commerce. Elle précise que les relations se sont poursuivies après l'expiration du délai de préavis accordé selon des conditions "drastiques", circonstances caractérisant une mauvaise foi aggravée par la caducité imposée des échéanciers accordés et par la violence exercée contre les époux [O] pour obtenir leur cautionnement solidaire. Elle indique avoir été abandonnée face à ses difficultés qui ont été pour partie générées par les manquements de la SAS Castes Industrie (erreurs de livraisons de marchandises pour le chantier Parnicci et peinture de mauvaise qualité pour le client Pietri). Elle estime que ses fautes lui causent un préjudice résidant dans l'aggravation de sa dette, qui doit de ce fait lui être réglée à titre indemnitaire, dans le surcoût résultant de l'imposition par la SAS Castes Industrie d'un transporteur contre la lettre du contrat et dans l'atteinte à sa réputation.
En réponse, la SAS Castes Industrie explique que le contrat n'était pas illicite et qu'elle n'est pas responsable de la dette de la SAS A. Finestra à son endroit, rien ne démontrant par ailleurs une violence quelconque lors la conclusion du cautionnement par les époux [O]. Elle ajoute avoir rompu le contrat à compter du 15 février 2016, soit avant l'ouverture de la procédure collective, mais précise que les relations commerciales n'ont cessé que le 30 juin 2016. Elle indique que la résiliation a été notifiée dans les formes prévues au contrat après échec des négociations entreprises et repose sur un défaut de paiement prolongé qui est une cause de rupture contractuellement envisagée. Elle ajoute que la modification des conditions de paiement était justifiée par le revirement des époux [O] qui marquait l'impossibilité d'échelonner la dette et par la nécessité de prévenir son accroissement. Elle conteste toute faute, y compris au titre de la concurrence déloyale, et indique qu'une dette antérieure à la résiliation ne peut se transformer en dommage consécutif à celle-ci, que le changement de transporteur n'a jamais suscité de réserves et est sans lien avec la résiliation et que les difficultés relatives aux livraisons ne sont pas prouvées. Elle souligne l'absence de justification du principe et de la mesure des préjudices allégués. Elle précise, en réponse aux griefs tirés des actes de concurrence déloyale invoqués par la SAS A. Finestra, que l'article 3 du contrat autorisait une libre concurrence entre adhérents et que l'exclusivité de la SAS A. Finestra n'a pas été violée.
Réponse de la cour
Conformément à l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 fixant son entrée en vigueur au 1er octobre 2016 et prévoyant que les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public, le contrat du 13 décembre 2011 est soumis aux dispositions antérieures.
Conformément à l'article 1134 du code civil (devenu 1103), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1147, 1149 et 1150 du code civil (devenus 1231-1 à 3), le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée.
En outre, en application de l'article 1184 (devenu 1224) du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
Par courrier du 14 janvier 2016, la SAS Castes Industrie a notifié à la SAS A. Finestra la rupture du contrat de distribution et de licence de marque du 13 décembre 2011 au visa de son article 9 qui stipule que :
- le non-respect des conditions de paiement par l'adhérent et de l'article 5 du contrat est une cause de résiliation, ce dernier texte lui imposant à ce titre de régler ses commandes par lettres de change LCR directes à trente jours fin de mois et précisant que le non-paiement d'une échéance compromet la "continuité de la convention" et peut aboutir à sa rupture ;
- la notification de la résiliation, qui est alors immédiate, doit être précédée d'une mise en demeure restée infructueuse pendant un mois à compter de son envoi.
La SAS A. Finestra ne conteste pas le principe et le montant de sa dette qui atteignait la somme de 61 824,65 euros au jour de la notification de la résiliation. Elle soutient néanmoins, à rebours de sa position lors des échanges précontentieux qui n'évoquaient qu'une baisse conjoncturelle d'activité (pièce 23 de l'intimée), que cette créance trouverait sa cause dans les fautes commises par la SAS A. Finestra. Ses moyens, dont l'examen sera commun à celui de la résiliation et de la responsabilité contractuelle faute de rattachement précis des préjudices correspondants, manquent en fait et en droit car :
- la référence à l'adage nemo auditur, qui n'est pertinent que pour limiter les restitutions consécutives à l'annulation d'un acte pour immoralité de sa cause (en ce sens, 1ère Civ., 17 juillet 1996, n° 94-14.662), est inopérante ;
- la résiliation a été notifiée avant l'ouverture du redressement judiciaire au profit de la SAS A. Finestra et échappe de ce fait à l'interdiction posée par les dispositions combinées des articles L 631-14 et L 622-13 du code de commerce, aucune demande en nullité de l'article 9 du contrat n'étant par ailleurs formulée dans le dispositif des conclusions de la SAS A. Finestra saisissant la Cour au sens de l'article 954 du code de procédure civile ;
- si ses difficultés économiques étaient effectivement connues de la SAS Castes Industrie, destinataire chaque année de son bilan et de son compte d'exploitation en application de l'article 5 du contrat, et étaient anciennes, les documents comptables et fiscaux produits révélant une baisse significative du chiffre d'affaires entamée en 2013 (pièces 4 à 16 de l'appelante et 15 à 17 de l'intimée), rien ne démontre qu'elles soient imputables, directement ou indirectement, à la SAS Castes Industrie et non exclusivement au contexte économique déprimé évoqué par la chambre des métiers et de l'artisanat de Corse du Sud dans sa lettre du 3 février 2015 (pièce 17 de l'appelante). Outre le fait que l'acceptation par le fournisseur, astreint à une obligation d'approvisionner, des commandes de son distributeur n'est pas en soi fautive et ne caractérise pas un soutien abusif au sens de l'article L 650-1 du code de commerce dont les conditions d'application ne sont d'ailleurs pas débattues, la SAS Castes Industrie a tenté d'aider son cocontractant en lui proposant un échéancier moyennant la concession d'une sûreté de ses associés, particulièrement difficiles à joindre et à mobiliser (pièces 7, 8 et 18 à 22 de l'intimée). Ce n'est qu'à raison de la révocation de leur consentement par courrier non motivé du 2 décembre 2015 (pièce 28 de l'appelante) que la SAS Castes Industrie, qui pouvait légitimement conditionner l'octroi de délais de paiement à l'obtention d'une garantie et dont la créance n'était pas apurée, même partiellement, a refusé tout échelonnement de la dette et qu'elle a, constatant son aggravation, notifié la résiliation. Cette démarche manifeste la parfaite bonne foi de la SAS Castes Industrie, dont rien ne démontre qu'elle ait contraint les époux [O] à s'engager en qualité de cautions solidaires. A cet égard, la Cour constate que la nullité évoquée n'est pas sollicitée dans le dispositif des écritures au sens de l'article 954 du code de procédure civile, pas plus qu'elle ne l'avait été devant les premiers juges, que les parties à l'acte ne sont pas dans la cause au sens des article 14 et 16 du code de procédure civile et que celui-ci n'a en réalité jamais été formé ;
- les fautes imputées à la SAS Castes Industrie ne sont pas étayées et, à les supposer réelles, sont sans lien avec la créance de la SAS Castes Industrie, les retards de livraison et irrégularités alléguées étant ponctuelles et postérieures à sa constitution et à la résiliation (pièces 59 et 60 de l'appelante). Par ailleurs, la violation de l'exclusivité consentie à la SAS A. Finestra, qu'elle évoque ensuite au titre d'actes de concurrence déloyale de nature contractuelle, n'est pas prouvée, les adhérents pouvant, conformément aux article 2 et 3 du contrat, librement se concurrencer sur le territoire concédé à titre exclusif. Et, alors que l'article 2 ne prévoit d'exclusivité opposable à la SAS Castes Industrie que pour les clients particuliers, l'unique marché évoqué concerne un client professionnel de la SAS Castes Industrie (pièce 41 de l'appelante, la pièce 39 de l'intimée étant une feuille volante sans force probante faute pour ses conditions de constitution d'être déterminables et vérifiables) ;
- le surcoût attaché aux frais de transport n'est pas prouvé en sa mesure, les comptes clients produits ne permettant aucune comparaison utile (pièces 46 à 50 de l'appelante) et ne tenant pas compte de la déduction des frais de publicité pratiquée par la SAS Castes Industrie (sa pièce 10). Par ailleurs, rien n'établit que le transporteur choisi par cette dernière, qui présentait des avantages réels (service de transport sans rupture de charge et caisses floquées), ait été imposé à la SAS A. Finestra, qui n'a émis aucune réserve avant l'introduction du litige, et que cette décision lui ait nui d'une quelconque manière ;
- l'exercice d'une action contre les époux [L], tiers au litige, n'a aucune incidence sur l'appréciation du bienfondé de la résiliation.
En conséquence, la résiliation était justifiée au fond et a été mise en œuvre de bonne foi.
Il est en revanche exact qu'elle n'a été précédée d'aucune mise en demeure en violation de l'article 9 du contrat auquel son article 5 ne déroge pas. En ce sens, la résiliation était irrégulière formellement, cette omission constituant la seule faute imputable à la SAS Castes Industrie.
Toutefois, la SAS A. Finestra ne remet pas en cause le principe de la rupture du contrat et se place exclusivement sur le terrain indemnitaire. La résiliation étant ainsi acquise, elle ne démontre subir aucun préjudice en lien avec ce manquement contractuel. En effet, outre le fait que le préjudice résultant de cette irrégularité ne peut consister qu'en la perte de chance d'avoir régularisé la situation fondant la résiliation dans le délai contractuellement prévu et ne saurait résider dans l'aggravation de la dette, dans le surcoût dans les frais de transport ou dans les "problèmes de livraison" qui sont les seuls dommages évoqués par la SAS A. Finestra, il est certain que le bénéfice d'un délai supplémentaire d'un mois après mise en demeure n'aurait pas permis l'apurement de la dette, celle-ci étant insusceptible d'être réglée au regard des difficultés économiques de cette dernière, dont l'état de cessation des paiements a été fixé au 17 novembre 2015 par le tribunal de commerce et dont les demandes de concours bancaire ont été rejetées (pièces 44 et 22 de l'intimée). A cette incapacité objective reconnue par son expert-comptable (sa pièce 30) et actée par le tribunal de commerce lors du prononcé de sa liquidation judiciaire sur conversion (sa pièce 63), s'ajoute le refus de ses associés de consentir une sûreté qui a causé la caducité de l'échéancier accordé et qui marquait l'impossibilité de tout échelonnement amiable.
Aussi, les autres fautes imputées à la SAS Castes Industrie n'étant pas démontrées et les préjudices allégués n'étant par ailleurs prouvés ni en leur principe ni en leur mesure, le jugement entrepris sera confirmé par ces motifs substitués en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la SAS A. Finestra au titre de la résiliation abusive et des inexécutions contractuelles.
2°) Sur la rupture brutale de la relation commerciale
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SAS A. Finestra, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, expose que, au regard de la durée de la relation (quatre ans) et des incertitudes planant sur celle du préavis accordé, le préavis dont elle a été privée était de sept mois. Elle ajoute que son préjudice réside dans la perte de sa marge brute pendant sept mois, dans le coût de son changement d'enseigne ainsi que dans son trouble commercial qu'elle qualifie de préjudice moral. Elle invoque par ailleurs des actes de concurrence déloyale consistant en la violation de son exclusivité contractuelle.
En réponse, la SAS Castes Industrie explique que les relations commerciales n'ont été rompues que le 30 juin 2016, soit après un préavis de cinq mois et demi qui est suffisant au regard de la durée de la relation. Elle ajoute que le non-paiement des factures caractérise une faute grave fondant la rupture et que le préjudice allégué, qui n'est pas lié à la brutalité de la rupture et est identique à celui dont la réparation est sollicitée au titre de la responsabilité contractuelle, n'est pas étayé.
Réponse de la cour
En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
L'article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale).
Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.
Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de la notification de la rupture qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.
A ce titre, la SAS Castes Industrie a résilié le contrat de distribution et de licence de marque le 14 janvier 2016 en notifiant un préavis d'un mois. Si la relation commerciale s'est effectivement poursuivie à son expiration, la SAS A. Finestra ne disposait d'aucune visibilité sur sa durée effective. Ce n'est que le 2 juin 2016, trop à distance de la résiliation et à une date trop rapprochée de la fin du préavis finalement déterminé pour avoir permis à cette dernière de réorienter son activité en conséquence, que la SAS Castes Industrie lui a indiqué prolonger le partenariat jusqu'au 30 juin 2016 (pièce 5 de l'intimée). Ainsi, la notification de la rupture des relations commerciales a été faite le 2 juin 2016, date à laquelle la suffisance du préavis doit être appréciée sans égard pour celui accordé en exécution du contrat puis de manière informelle.
Les parties ne débattent pas du caractère établi de la relation ainsi que de la portée des modifications substantielles apportées le 9 décembre 2015, les marchandises n'étant, à compter de cette date, livrées qu'après complet paiement (pièce 31 de l'appelante), ou de la précarisation de la relation induite par les importantes difficultés financières de la SAS A. Finestra et la résiliation du seul contrat qui encadrait depuis l'origine leurs relations. Seules sont en débat l'existence d'une faute grave fondant la rupture immédiate et, à son défaut, la suffisance du préavis accordé.
Le défaut de paiement imputable à la SAS A. Finestra, qui portait sur sept factures émises entre juin 2015 et décembre 2015 pour un montant total de plus de 60 000 euros, caractérisait une violation continuée de l'obligation essentielle du contrat et était de ce fait intrinsèquement grave. S'il est exact que la dette ne s'est pas aggravée postérieurement à la résiliation sanctionnant ce manquement à raison des modifications des modalités de règlement, il est constant que la SAS A. Finestra, en état de cessation des paiements depuis le 17 novembre 2015 et silencieuse sur sa capacité à poursuivre son activité en dépit de l'amputation de son outil productif résultant des mesures de restructuration mises en œuvre (sa pièce 20), ne s'est pas acquittée, même partiellement, de sa dette, désormais intégrée au passif de la liquidation judiciaire. Elle ne prétend d'ailleurs pas qu'elle fût en mesure de respecter, autrement que de manière sporadique, les conditions de paiement définies le 9 décembre 2015 qui encadraient la relation commerciale poursuivie après la résiliation du contrat et qui étaient les seules aptes, à raison du refus des époux [O] d'apporter leur cautionnement solidaire, à prévenir une aggravation de sa dette. En pareil contexte, l'absence prolongée et définitive de paiement de la dette importante de la SAS A. Finestra caractérise une faute grave rendant impossible la poursuite de la relation commerciale, même à titre temporaire durant l'exécution d'un préavis.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé par ces motifs substitués en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de la SAS A. Finestra au titre de la rupture brutale des relations commerciales sans qu'il soit nécessaire d'examiner les préjudices allégués qui sont, pour partie au moins, sans lien avec la brutalité de la rupture ou avec les parties au litige (frais de changement d'enseigne, atteinte à l'exclusivité déjà analysée, atteinte à sa réputation et préjudice moral de ses associés).
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
En application de l'article L 622-22 du code de commerce auquel renvoie l'article L 641-3 en matière de liquidation judiciaire, sous réserve des dispositions de l'article L 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
Et, en vertu de l'article L 622-17 I du code de commerce auquel renvoie l'article L 641-13 en matière de liquidation judiciaire, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance.
Le critère de détermination du caractère postérieur ou antérieur des créances au sens du droit des procédures collectives est leur fait générateur ainsi que l'induit la référence expresse à leur naissance. La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 a néanmoins ajouté un critère d'utilité au critère chronologique.
Introduite pour accroître l'actif de la SAS A. Finestra, l'action était, en son principe, utile à la procédure collective et à la satisfaction des intérêts des créanciers. Aussi, les créances au titre des dépens et des frais irrépétibles, constituées par l'arrêt, peuvent être considérées comme nées pour les besoins du déroulement de la procédure.
Succombant en son appel, la SAS A. Finestra, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Castes Industrie la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de fixation de sa créance au passif de la SAS A. Finestra présentée par la SAS Castes Industrie ;
Rejette la demande de la SAS A. Finestra, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SAS A. Finestra, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, à payer à la SAS Castes Industrie la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS A. Finestra, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, à supporter les dépens d'appel.