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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com., 28 février 2024, n° 23/00586

RIOM

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Car'Brise (SAS)

Défendeur :

Sud Gestion (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubled-Vacheron

Conseillers :

Mme Theuil-Dif, M. Kheitmi

Avocats :

Me Chamard-Cabibel, Me Kebe, Me Teyssier, Me Souleau-Travers

T. com. Le Puy-en-Velay, du 3 févr. 2023…

3 février 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Sud Gestion dispose d'un réseau de centres de pose et de réparation de vitrage et éclairage pour tout type de véhicule. Le réseau Sud Gestion (A+ GLASS) compte environ 350 centres franchisés en France. Depuis 1992, ladite société exploite la marque A+ GLASS qu'elle a déposée avec son logo.

En avril 2021, la SAS Sud Gestion a régularisé avec la SAS Car'Brise dont M. [Y] [X] est le gérant, un contrat de franchise par lequel le franchisé rejoignait le réseau A+ GLASS afin d'exploiter la franchise à titre exclusif dans une zone géographique donnée pendant une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction.

Par courrier du 21 septembre 2021, M. [X] au nom de la SAS Car'Brise, a fait part à la SAS Sud Gestion de sa décision de fermer au 30 septembre 2021 le centre de [Localité 5], se plaignant de résultats catastrophiques.

La SAS Sud Gestion a rappelé à sa cocontractante qu'elle était engagée jusqu'au 7 avril 2024 par un contrat à durée déterminée, et qu'elle était dans l'obligation de s'acquitter de sa cotisation jusqu'au 7 avril 2024, soit une somme de 5 010,94 euros (période du 1er avril 2022 au 31 mars 2023 : 2 505,47 euros ; période du 1er avril 2023 au 31 mars 2024 : 2 505,47 euros).

Le centre de [Localité 5] a effectivement été fermé à la date du 21 septembre 2021.

Par courrier du 21 octobre 2021, le conseil de la SAS Car'Brise a contesté toute dette de la société et de M [X] à l'égard de la SAS Sud Gestion du fait de la rupture du contrat et a fait valoir que l'obligation précontractuelle d'information n'avait pas été respectée par la SAS Sud Gestion.

Il a été répondu qu'un contrat à durée déterminée ne pouvait faire l'objet d'une résiliation unilatérale, mais encore que l'obligation précontractuelle d'information avait été parfaitement remplie par la SAS Sud Gestion. Par ce même courrier, le conseil de la SAS Sud Gestion a mis en demeure la SAS Car'Brise d'avoir à régler une somme de 10 020,94 euros, soit 5 010,94 euros correspondant aux redevances du contrat de franchise jusqu'à son terme, augmenté de 5010 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales.

Par ailleurs, soutenant avoir découvert, en composant le numéro de téléphone de la SAS Car'Brise à [Localité 5], que ce numéro renvoyait désormais dans un centre 'France Pare Brise', concurrent direct du réseau Sud Gestion A+ GLASS, violant ainsi les termes de l'article 18 du contrat de franchise, celle-ci a écrit au conseil de la SAS Car'Brise aux fins d'obtenir une indemnité d'un montant de 5 000 euros.

Par acte d'huissier du 17 janvier 2022, la SAS Sud Gestion a fait assigner la SAS Car'Brise et son dirigeant M. [X] devant le tribunal de commerce du Puy-en-Velay aux fins d'obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 15 020,94 euros.

Par jugement du 3 février 2023, le tribunal a :

- confirmé l'existence d'un contrat de franchise à durée déterminée de trois ans liant les parties;

- dit recevable la demande de la SAS Sud Gestion à l'encontre de la SAS Car'Brise ;

- dit irrecevables les demandes formulées par la SAS Sud Gestion à l'encontre de M. [X];

- en conséquence, condamné la SAS Car'Brise à payer et porter à la SAS Sud Gestion la somme de 5 010,94 euros ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- condamné la SAS Car'Brise à payer et porter à la SAS Sud Gestion la somme 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La SAS Car'Brise a interjeté appel du jugement le 3 avril 2023.

Par conclusions déposées au greffe le 21 août 2023, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 860-1, 446-2, 446-4, 446-5 et 700 du code de procédure civile, 1210, 1211 et 1231-3 1103, 1104 et 1194 du code civil, de :

à titre principal :

- déclarer que le tribunal de commerce du Puy-en-Velay n'était saisi d'aucune demande de la SAS Sud Gestion à l'exception de la demande de désistement qu'elle a formulée dans ses dernières écritures ;

- en conséquence, annuler le jugement dont appel, ou à défaut l'infirmer dans toutes ses dispositions et dans la limite de la dévolution ;

- statuant à nouveau, faire droit à ses demandes reconventionnelles en condamnant la SAS Sud Gestion à lui payer la somme de 34 029,15 euros en réparation du préjudice subi ;

à titre subsidiaire, si la cour estimait que le tribunal était régulièrement saisi des demandes au fond de la SAS Sud Gestion, :

- infirmer le jugement dans toutes ses dispositions et ce, dans la limite de la dévolution;

- débouter la SAS Sud Gestion de toutes ses demandes ;

- faire droit à sa demande reconventionnelle en condamnant la SAS Sud Gestion à lui payer la somme de 34 029,15 euros en réparation du préjudice subi ;

en tout état de cause :

condamner la SAS Sud Gestion à lui verser la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

Elle expose que devant le tribunal, chaque partie était représentée par un avocat, les prétentions et moyens ont été formulées par écrit à travers des conclusions ; que devant le tribunal de commerce du Puy-en-Velay, la SAS Sud Gestion a communiqué des conclusions au fond le 15 juin 2022 ; que par courrier du 28 novembre 2022 elle a transmis des conclusions de désistement de l'instance pendante devant cette juridiction et indiquant qu'elle entendait maintenir son action devant le tribunal de commerce de Toulouse ; que dès lors, la SAS Sud Gestion n'avait valablement saisi le tribunal de commerce du Puy-en-Velay que d'une demande de désistement, toutes ses autres demandes formulées dans de précédentes conclusions étant réputées abandonnées.

Par ailleurs, le tribunal devait statuer uniquement sur ses demandes reconventionnelles : elle fait valoir que dès la souscription de la franchise, son chiffre d'affaires a connu une chute de 50 % par rapport à la période précédente. Cette baisse est la conséquence directe de la souscription de la franchise, le franchiseur ayant manifestement violé son obligation d'information vis-à-vis du franchisé en lui donnant une fausse image de la notoriété de la franchise.

A titre subsidiaire, elle conclut au rejet des demandes de la SAS Sud Gestion. Le contrat stipulait une durée d'engagement de 3 ans, mais ne prévoyait aucun point de départ : il s'agissait donc d'un contrat à durée indéterminée que chaque partie pouvait résilier unilatéralement. Au vu de son caractère récent, un délai de préavis d'un mois était manifestement raisonnable.

De surcroît, elle soutient qu'il n'y avait ni dommages et intérêts stipulés au contrat ou prévisibles, ni preuve d'un quelconque préjudice subi par la SAS Sud Gestion du fait de l'inexécution.

Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées le 13 septembre 2023, la SAS Sud Gestion demande à la cour, au visa des articles 1212 et suivants du code civil, de :

- rejeter les demandes de la SAS Car'Brise ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

> constaté l'existence d'un contrat de franchise à durée déterminée ;

> condamné la SAS Car'Brise à lui payer la somme de 5 010,94 euros TTC ;

> condamné la SAS Car'Brise à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

- réformer le jugement du 3 février 2023 en ce qu'il a débouté la SAS Sud Gestion de ses autres demandes ;

- statuant à nouveau :

- condamner la SAS Car'Brise au paiement de la somme de 5 010 euros au titre de la rupture abusive ;

- condamner la SAS Car'Brise au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de la violation de l'obligation de non-ré-affiliation ;

- condamner la SAS Car'Brise au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Elle fait valoir que des conclusions au fond ont été communiquées aux parties le 15 juin 2022 et développées oralement devant le tribunal de commerce du Puy-en-Velay au jour de l'audience du 2 décembre 2022. Ainsi, le moyen tiré de l'absence de saisine du tribunal de commerce au fond sera rejeté.

Elle considère ensuite qu'il existait un contrat de l'aveu même de l'appelante puisque cette dernière a cru bon d'y mettre fin. A partir du moment où l'existence du contrat n'est pas contestée, c'est que ce contrat a eu un début : ce début ne peut être postérieur aux premiers actes d'exécution. En outre, ce contrat écrit, est daté du 7 avril 2021, bien que le conseil du défendeur ait affirmé dans son courrier du 21 octobre 2021 « La date de conclusion du contrat n'est pas précisée dans l'exemplaire en possession de la société CAR'BRISE » tout en s'abstenant de communiquer cet exemplaire. La discussion sur le point de départ du contrat est inopérante dans la mesure où il a bien commencé à être exécuté au mois d'avril 2021 (les documents précontractuels signés par la société CAR'BRISE sont datés du 11 février 2021), et où la première redevance a été réglée.

Le franchisé n'invoque aucune inexécution de ses obligations contractuelles à son encontre et ne l'a pas mise en demeure de les exécuter. La SAS Car'Brise invoque l'effondrement du chiffre d'affaires de la société comme cause de résiliation du contrat, à tort. En effet, les termes de l'article 16 du contrat de franchise qui liait les parties énonçaient :

« Article 16 : Responsabilités

Le franchisé assure personnellement et pleinement, avec le concours des préposés de son choix, la pleine et entière gestion de son entreprise et assume toutes les responsabilités en découlant.

Le franchiseur n'intervient en rien dans la direction et la gestion de l'entreprise du franchisé ; il n'encourt aucune responsabilité du fait des actes accomplis par le franchisé notamment au titre de l'exploitation commerciale du fonds. Le franchiseur ne supporte pas non plus les pertes d'exploitation du Centre du franchisé de quelque nature que ce soit. Le franchisé exploite à ses risques et périls' »

Il résulte de ces stipulations que les difficultés économiques rencontrées par la SAS Car'Brise ne sauraient être assimilées à une faute du franchiseur de nature à justifier la résiliation du contrat. C'est donc en violation et de l'article 1212 du code civil et de l'article 20 du contrat que la SAS Car'Brise et M. [X] ont cru pouvoir mettre fin au contrat de franchise.

Sur la question du préjudice, elle se prévaut de l'article 21.1 en vertu duquel : « En cas de rupture anticipée du contrat ou d'arrivée normale de son terme, il est convenu entre les parties que les sommes versées et dues au franchiseur lui restent définitivement acquises.Si la rupture est abusive des indemnités sont perçues par A+ GLASS ».

Les redevances dues jusqu'au terme du contrat sont précisément des sommes acquises au franchiseur.

De surcroît, elle soutient que la rupture unilatérale du contrat de franchise par le franchisé est brutale car nul préavis n'a été respecté comme l'imposait pourtant l'article 20 du contrat de franchise.

L'article 21.1 alinéa 2 du contrat de franchise prévoyait que : « Si la rupture est abusive des indemnités seront perçues par A+ GLASS ». En l'espèce, elle est abusive parce que brutale d'où sa demande d'indemnité de rupture d'un montant égal au montant des indemnités restant à courir soit 5 010 euros.

Enfin, selon l'article 18 du contrat de franchise, il existe à la charge du franchisé une obligation de non-ré-affiliation d'une durée d'un an. En participant, sans même l'en avertir, au réseau 'France Pare Brise', la société Car'Brise a délibérément violé cette obligation, elle ajoute une nouvelle faute contractuelle et une concurrence déloyale à l'égard de la SAS Sud Gestion. En matière de concurrence déloyale, dès lors que la faute est établie, le préjudice est présumé.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2023.

MOTIFS

- Sur les demandes d'annulation et d'infirmation du jugement fondées sur un défaut de saisine du tribunal de commerce

L'article 860-1 du code de procédure civile, situé dans le Livre II, Titre III relatif aux dispositions particulières au tribunal de commerce, dispose que la procédure est orale.

L'article 446-1 du même code énonce que les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien. Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit. Les observations des parties sont notées ou consignées dans un procès-verbal.

L'article 446-2 alinéa 2 prévoit que lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions et moyens par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée (...).

Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnées et le juge ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

Dans son jugement, le tribunal de commerce du Puy-en-Velay a pris soin de récapituler la procédure dans son exposé du litige :

'Par assignation en date du 17 janvier 2022, la SAS Sud Gestion demandait au tribunal de condamner la SAS Car'Brise et son gérant M. [X], à lui payer la somme de 15 020,94 euros, la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

C'est ainsi que l'affaire a été appelée à l'audience du 4 février 2022.

Par conclusions n°1 en date du 4 mars 2022, la société Car'Brise soulevait in limine litis l'exception d'incompétence du tribunal de céans au profit de celui de Toulouse.

En conséquence, la société Sud Gestion saisissait le tribunal de commerce de Toulouse par assignation en date du 1er avril 2022 et déposait des conclusions de désistement d'instance auprès du tribunal de céans.

Cependant le conseil de la société Car'Brise informait la demanderesse qu'il renonçait à soulever l'incompétence lors de l'audience de plaidoirie du 17 juin 2022.

C'est ainsi qu'au terme de plusieurs renvois l'affaire a été retenue et plaidée à l'audience du 2 décembre 2022 pour jugement devant être prononcé par mise à disposition au greffe à la date du 3 février 2023.'

Puis, le tribunal a récapitulé les prétentions et moyens des parties, et notamment pour la demanderesse :

' Dans ses conclusions récapitulatives déposées au greffe le 15 juin 2022 et reprises oralement à l'audience du 2 décembre 2022, le conseil de la SAS Sud Gestion demande au tribunal de condamner la SAS Car'Brise et son gérant M. [X], à lui payer la somme de 15 020,94 euros ainsi répartie :

5 010,94 euros au titre des redevances restant à courir,

5 010 euros au titre de la rupture abusive,

5 000 euros au titre de la violation de l'obligation de non ré-affiliation ;

la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.'

La SAS Car'Brise soutient que les conclusions de désistement de la SAS Sud Gestion ont été déposées ultérieurement à celles du 15 juin 2022. Aussi, elle estime que le tribunal devait statuer uniquement sur la demande de désistement et ses propres demandes reconventionnelles figurant dans le dispositif de ses dernières conclusions.

En réalité, la SAS Car'Brise a conclu le 4 mars 2022 en soulevant l'incompétence de la juridiction du Puy-en-Velay en raison d'une clause attributive de compétence contenue dans le contrat de franchise désignant le tribunal du siège social du franchiseur (Toulouse).

La SAS Sud Gestion a donc saisi le tribunal de commerce de Toulouse le 1er avril 2022 et a conclu au désistement le 3 juin 2022 devant le Puy-en-Velay.

Par courrier officiel du 8 juin 2022, la SAS Car'Brise a informé le conseil de la SAS Sud Gestion qu'elle renonçait à soulever l'incompétence du tribunal du Puy-en-Velay.

Aussi, la SAS Sud Gestion a conclu sur le fond du litige devant le tribunal de commerce du Puy-en-Velay le 15 juin 2022.

Par courrier du 28 novembre 2022, la SAS Sud Gestion a écrit au tribunal de commerce du Puy-en-Velay pour lui demander de statuer sur le fond sans attendre son désistement devant le tribunal de commerce de Toulouse ; ce courrier faisait référence aux conclusions de désistement d'instance qui avaient été communiquées par la SAS Sud Gestion après que la SAS Car'Brise a conclu à l'incompétence de la juridiction. Ces anciennes conclusions de désistement n'ont été jointes au courrier du 28 novembre 2022 que dans le but d'éclairer le courrier. Il ne s'agissait pas de conclusions nouvelles, les dernières conclusions étaient bien celles du 15 juin 2022.

Dans ces conditions, le tribunal de commerce du Puy-en-Velay a statué à bon droit sur les demandes formulées dans le dispositif des conclusions de la SAS Sud Gestion du 15 juin 2022, et oralement à l'audience de plaidoirie.

Le jugement n'encourt aucune critique sur ce point, et l'appelante sera déboutée de l'ensemble de ses demandes formées à titre principal.

- Sur le contrat de franchise

sur la durée du contrat et sa résiliation

L'article 1211 du code civil énonce que lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu, ou à défaut, un délai raisonnable.

L'article 1212 prévoit que lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la SAS Sud Gestion a régularisé avec la SAS Car'Brise un contrat de franchise par lequel cette dernière rejoignait le réseau A+ GLASS afin d'exploiter la franchise à titre exclusif dans une zone géographique donnée, pendant une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction.

La SAS Car'Brise soutient que le contrat ne stipule aucun point de départ, aucune date de prise d'effet ; que dans ces circonstances, chaque partie pouvait le résilier unilatéralement et qu'en l'absence de délai de préavis, un délai d'un mois était raisonnable compte tenu du caractère récent de la relation contractuelle.

Chacune des parties produit un exemplaire du contrat de franchise litigieux : les deux contrats sont identiques dans leur rédaction mais celui produit par la SAS Sud Gestion mentionne une date, le 7 avril 2021, sous la forme manuscrite, alors qu'aucune date ne figure sur celui produit par la SAS Car'Brise.

L'intimée verse aux débats :

- le courrier de candidature de M. [X] (dirigeant de la SAS Car'Brise) pour intégrer la franchise en date du 3 janvier 2021 ;

- le document pré-contractuel signé par le dirigeant de la SAS Car'Brise le 11 février 2021 ;

- l'état préparatoire au Grand Livre général relatif au compte 412 A+ GLASS [Localité 5] établissant le règlement de la redevance.

Par ailleurs, M. [X], dirigeant de la SAS Car'Brise, dans son courrier de résiliation du contrat du 21 septembre 2021, écrivait : 'j'ai pris la franchise A+GLASS en février 2021...'. Et pour justifier sa décision de résiliation, il verse aux débats un courrier de son expert-comptable établissant des comparaisons de chiffres d'affaires en mentionnant comme début d'activité au titre de l'année 2021, le 19 avril 2021.

Le contrat a ainsi commencé à être exécuté.

Par conséquent, il s'agit bien d'un contrat de franchise à durée déterminée de trois ans, ainsi que l'a retenu le tribunal. La SAS Car'Brise n'avait donc pas la possibilité de le résilier à tout moment.

sur les conséquences de la résiliation

En vertu de l'article 1212 du code civil, lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme.

Toutefois la résiliation fautive d'un contrat à exécution successive à durée déterminée engage la responsabilité de son auteur et ne donne lieu, sauf clause pénale, qu'à des dommages et intérêts. L'auteur de la rupture ne peut ainsi être condamné à payer la fraction du prix restant due alors que le prix n'est dû qu'en cas d'exécution de la convention.

En l'espèce, l'article 7 du contrat de franchise énonce : 'Le présent contrat de franchisage est consenti pour une période de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, pour un prix forfaitaire de 2.087,89 euros (indice 2019 de l'entretien et réparation des véhicules particuliers) hors TVA la première année. Les années suivantes, la somme sera indexée sur le dernier indice connu de l'entretien et réparation des véhicules particuliers, avec un maximum de 2,5 % tant à la hausse qu'à la baisse. Le premier versement a lieu à la signature du présent contrat, les autres paiements interviennent à chaque date anniversaire.'

L'article 21.1 prévoit quant à lui : ' En cas de rupture anticipée du contrat ou d'arrivée normale de son terme, il est convenu entre les parties que les sommes versées et dues au franchiseur lui restent définitivement acquises. Si la rupture est abusive, des indemnités seront perçues par A+GLASS'.

Le prix, fût-il d'un montant forfaitairement convenu, n'était dû qu'en cas d'exécution de la convention. La SAS Car'Brise a résilié le contrat de façon anticipée, ce qui est fautif, mais elle ne peut être condamnée à payer le prix pour 'les années suivantes', le contrat étant résilié. L'article 21.1 ne stipule pas de clause pénale. La SAS Car'Brise ne peut donc être condamnée au paiement de la redevance.

Toutefois, la SAS Sud Gestion justifie d'un préjudice devant donner lieu à indemnisation. En effet, en résiliant le contrat de façon anticipée et de manière brutale puisque la SAS Car'Brise a fermé le centre le jour même de son courrier, alors qu'elle devait exécuter le contrat jusqu'à son terme, elle a privé la SAS Sud Gestion de toute contrepartie à l'exécution de ses obligations de franchiseur. Ainsi, une somme de 5 000 euros sera octroyée à la SAS Sud Gestion à titre de dommages et intérêts.

sur la violation de l'obligation de non ré-affiliation

L'article 18 du contrat de franchise stipule :

'Le franchisé s'interdit d'exercer des activités concurrentes ou de s'affilier à un réseau concurrent au réseau A+GLASS pendant la durée du contrat.

En cas de cessation du contrat pour quelque cause que ce soit, le franchisé s'engage à ne pas créer de franchise relevant du domaine d'activité du présent contrat de franchisage ou de réseau équivalent, à ne pas participer à quelque titre que ce soit, indépendant ou salarié ou à tout autre titre, de façon directe ou indirecte, à une franchise ou réseau équivalent du domaine du présent contrat de franchisage, et ce pendant un an à compter de la cessation du présent contrat et sur l'ensemble du territoire français.'

La SAS Sud Gestion soutient que la SAS Car'Brise participe au réseau France Pare Brise, qu'elle a ainsi commis une autre faute contractuelle et une concurrence déloyale à son égard. Elle soutient que la dirigeante a pu le constater par le simple biais d'un appel téléphonique au lendemain de la rupture du contrat, et que cette situation a fait l'objet d'un constat d'huissier. Elle considère que la confusion organisée entre les enseignes placées au même endroit et dont le numéro de téléphone est identique est une des modalités de concurrence déloyale.

Il sera au préalable observé que le tribunal a relevé qu'une attestation notariée versée aux débats constatait la cession du fonds de commerce sis à Cohade (43100) connu sous le nom commercial A+GLASS à compter du 28 octobre 2021. La SAS Car'Brise a donc cédé le fonds de commerce de [Localité 5].

De surcroît, pour justifier la ré-affiliation à un autre réseau de son adversaire, la SAS Sud Gestion produit un procès-verbal de constat dressé par un commissaire de justice le 17 juillet 2023 sensé démontrer que le centre de [Localité 6] à [Localité 5] est désormais affilié au réseau France Pare Brise.

Or, la clause contractuelle visée pour fonder la demande de dommages et intérêts fait état d'un délai d'un an à compter de la cessation du contrat. Le constat a été établi deux ans après la rupture du contrat de franchise. Par ailleurs, la simple affirmation de la dirigeante de la SAS Sud Gestion ne constitue pas une preuve. Dans ces circonstances, la faute n'est pas caractérisée.

- Sur la demande reconventionnelle de la SAS Car'Brise

Enfin, la SAS Car'Brise sollicite la condamnation de la SAS Sud Gestion à lui verser la somme de 34 029,15 euros à titre de dommages et intérêts. Elle soutient que dès la souscription de la franchise, son chiffre d'affaires a chuté de 34 029,15 euros, soit près de 50 % par rapport à la période précédente ; que compte tenu de son caractère brusque, massif et spectaculaire, cette baisse est la conséquence directe de la souscription de la franchise ; que le franchiseur a manifestement violé son obligation d'information en lui donnant une fausse image de la notoriété de la franchise ; qu'en l'absence de solution amiable de rupture du contrat, elle l'a rompu unilatéralement et vendu l'établissement.

A l'appui de cette demande, elle produit une attestation de son expert-comptable en date du 2 mars 2022 établie en ces termes :

'L'établissement de [Localité 5] de la société Car'Brise a connu une baisse très importante de chiffre d'affaires sur la période du 19 avril 2021 au 30 septembre 2021 par rapport à la période du19 avril 2020 au 30 septembre 2020. Cette perte de chiffre d'affaires s'élève au total à 34 029,15 euros sur la période (soit 49,31 % de perte).'

L'article 16 du contrat de franchise stipule que 'le franchiseur n'intervient en rien dans la direction et la gestion de l'entreprise du franchisé ; il n'encourt aucune responsabilité du fait des actes accomplis par le franchisé notamment au titre de l'exploitation commerciale du fonds. Le franchiseur ne supporte pas non plus les pertes d'exploitation du Centre du franchisé de quelque nature que ce soit. Le franchisé exploite à ses risques et périls...'.

Outre que le franchiseur ne peut ainsi être déclaré responsable des pertes d'exploitation du franchisé, la SAS Car'Brise ne rapporte nullement la preuve du lien de causalité entre l'affiliation à la franchise A+GLASS et la baisse de son chiffre d'affaires au vu de cette seule attestation de l'expert-comptable. En effet, une telle baisse peut avoir plusieurs causes sans lien avec la franchise (contexte sanitaire, travail des salariés, concurrence locale...). Et, l'appelante produit des informations comptables trop parcellaires pour pouvoir en tirer des conclusions.

En outre, s'agissant du défaut d'information, il sera observé que c'est la SAS Car'Brise qui a candidaté afin d'intégrer la franchise, faisant état dans son courrier du 3 janvier 2021, de sa 'bonne réputation', des 'avantages de faire partie d'un groupe' et de ses 'méthodes de travail'.

Elle a ensuite rempli un document pré-contractuel 'Loi Doubin'adressé par la SAS Sud Gestion, dossier qui était accompagné d'une documentation détaillée sur le réseau de franchise A+GLASS.

La SAS Car'Brise n'explique nullement en quoi la SAS Sud Gestion l'aurait trompée sur sa notoriété.

Sa demande de dommages et intérêts sera ainsi rejetée, le tribunal n'ayant pas statué spécifiquement sur cette prétention.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant principalement à l'instance, la SAS Car'Brise sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et à verser à la SAS Sud Gestion une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Déboute la SAS Car'Brise de ses demandes visant à déclarer que le tribunal de commerce du Puy-en-Velay n'était saisi d'aucune demande de la SAS Sud Gestion à l'exception de la demande de désistement qu'elle avait formulée dans ses dernières écritures ;

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau :

Condamne la SAS Car'Brise à payer à la SAS Sud Gestion la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la résiliation fautive du contrat de franchise ;

Déboute la SAS Sud Gestion du surplus de ses demandes ;

Déboute la SAS Car'Brise de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts;

Condamne la SAS Car'Brise à payer à la SAS Sud Gestion la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne la SAS Car'Brise aux dépens de première instance et d'appel.