CA Toulouse, 2e ch., 27 février 2024, n° 21/01022
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Timegene (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Norguet, Mme Martin de la Moutte
Avocats :
Me Claisse, Me Debois-Lebeault
Faits et procédure :
Le 22 février 2013, [P] [J] a créé la Sarl Timegene ayant pour activité l'édition de logiciels système et de réseau. Il a fait développer une application pour tablettes dénommée « TimeGene » visant à proposer aux utilisateurs un système d'analyse et de classement de données numériques par axes temporels dynamiques.
Cherchant à développer l'application sur le web, la Sarl Timegene a signé le 23 octobre 2015, un contrat avec la Sarl [T], conceptrice et développeuse de logiciels informatiques, en vue du développement et de l'hébergement de l'application « TimeGene Web v2 », pour un montant global de 54 489,60 euros TTC outre 4 500 euros HT par an de frais de maintien en condition opérationnelle, option offerte gratuitement la première année.
Un cahier des charges spécifiques a été remis par la Sarl Timegene à la Sarl [T] le 5 octobre 2015 ainsi que ses annexes le 13 octobre 2015.
Quatre phases de livraison de l'application, de 0 à 3, avec paiement du prix en quatre fractions ont été contractuellement prévues. Un procès-verbal de livraison devait intervenir à l'issue de toutes les étapes de développement et d'une série de tests finaux de validation par le client appelée « recette ».
Le 23 octobre 2015, par deux contrats distincts, la Sarl DocDocku a cédé, sans surcoût, à la Sarl Timegene ses droits acquis en tant que sous-traitant développeur de l'application, soit ses droits d'auteur et d'utilisation d'image ainsi que ses droits d'adaptation audiovisuelle.
Aucun procès-verbal de livraison n'a été signé.
Le 24 août 2016, la Sarl Timegene, contestant la livraison finalisée de l'application, a enjoint la Sarl [T] de reprendre ses travaux de développement en vue d'une livraison effective dans les meilleurs délais tant de l'application que de toute sa documentation.
Le 21 décembre 2016, le manuel d'utilisation a été fourni à la Sarl Timegene.
Le 18 février 2017, la Sarl Timegene a récupéré par téléchargement les codes sources de l'application mis à disposition la veille par la Sarl [T].
Le 7 mars 2017, la Sarl Timegene, avançant le non respect de ses engagements contractuels et du cahier des charges, a notifié à la Sarl [T] la résiliation à ses torts exclusifs du contrat et l'a mise en demeure de lui rembourser les sommes déjà versées à hauteur de 24 406,80 euros.
Le 18 avril 2017, la Sarl [T] lui a adressé en retour une facture de 20 660,64 euros aux fins de règlement du solde des travaux.
Le 14 juin 2017, la Sarl [T] a coupé l'accès Internet du site hébergeant l'application.
Le 3 juin 2019, la Sarl Timegene a assigné la Sarl [T] devant le tribunal de commerce de Toulouse en responsabilité contractuelle, sollicitant, du fait de l'inexécution de ses obligations, la résolution du contrat à ses torts exclusifs et le remboursement des sommes versées outre l'allocation de dommages et intérêts au titre de sa perte de chance, de son préjudice d'image et de son préjudice d'investissement. Également, [P] [J], à titre personnel, a assigné la Sarl [T] en responsabilité à titre personnel et sollicité l'indemnisation de sa perte de revenus, de son préjudice d'image et de son préjudice moral.
Reconventionnellement, la Sarl [T] a sollicité le paiement de sa facture impayée ainsi que la somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le 19 janvier 2021, le tribunal de commerce de Toulouse a débouté la Sarl Timegene et [P] [J] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, débouté la Sarl [T] de ses demandes reconventionnelles, dit n'y avoir lieu a l'application de l'article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens a la charge in solidum des demandeurs.
Par déclaration en date du 3 mars 2021, la Sarl Timegène et [P] [J] ont relevé appel du jugement du Tribunal de commerce aux fins d'en voir réformés les chefs de dispositif les déboutant de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Par voie de conclusions, la Sarl [T] a formé appel incident du chef de dispositif l'ayant déboutée de ses demandes reconventionnelles.
L'ordonnance de clôture a été rendue en date du 10 octobre 2022.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions N°2 notifiées le 7 septembre 2021, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles [P] [J] et la Sarl Timegene sollicitent, au visa des articles 1147 et suivants, 1183 et 1184 du code civil ancienne numérotation, l'article 1382 du code civil ancienne numérotation, l'article L110-3 du Code de commerce, les articles 695 et suivants et l'article 700 du code de procédure civile :
la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Sarl [T] de ses demandes reconventionnelles,
l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, à savoir :
- dire et juger que [T] n'a pas exécuté ses obligations contractuelles prévues dans le cadre du contrat du 23 octobre 2015 conclu avec Timegene,
- par conséquent, prononcer la résolution judiciaire du contrat du 23 octobre 2015
aux torts exclusifs de [T],
- condamner [T] à rembourser à Timegene la somme de 29 288,16 euros TTC
qu'elle lui a réglé au titre des factures n°20151000063, 20160400127 et 201606600155, assortie d'intérêts au taux d'intérêt de trois fois le taux d'intérêt légal
à compter du 7 mars 2017, date de la première mise en demeure sollicitant le remboursement de ces sommes,
- condamner [T] à payer à Timegene les sommes de 1 391 477 euros au titre de son préjudice de perte de chance de 10 000 euros au titre de son préjudice d'image, de 80 515 euros au titre de son préjudice de perte d'investissement,
- dire et juger que [T] a commis une faute à l'égard de Monsieur [J] et qu'à
ce titre elle a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de ce dernier
- par conséquent, condamner [T] à payer à Monsieur [J] les sommes de 19 283,20 euros au titre de son préjudice relatif à la perte de revenus, de 5 000 euros au titre de son préjudice d'image et 10 000 euros au titre de son préjudice moral,
- condamner [T] à payer à Timegene et à Monsieur [J] une somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure
civile,
- mettre la totalité des dépens à la charge de [T],
- et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et qu'il a laissé les dépens à la charge in solidum des demandeurs,
statuant à nouveau sur les chefs infirmés, qu'il soit reconnu que la Sarl [T] n'a pas exécuté ses obligations contractuelles prévues dans le cadre du contrat du 23 octobre 2015 conclu avec la société Timegene,
en conséquence, que soit prononcée la résolution judiciaire du contrat du 23 octobre 2015 aux torts exclusifs de la Sarl [T],
que la Sarl [T] soit condamnée à rembourser à la Sarl Timegene la somme de 29 288,16 euros TTC qu'elle lui a réglé au titre des factures n°20151000063, 20160400127 et 201606600155, assortie d'intérêts au taux d'intérêt de trois fois le taux d'intérêt légal à compter du 7 mars 2017, date de la première mise en demeure sollicitant le remboursement de ces sommes,
que la Sarl [T] soit condamnée à payer à la société Timegene les sommes de 1 391 477 euros au titre de son préjudice de perte de chance, 10 000 euros au titre de son préjudice d'image, de 80 515 euros au titre de son préjudice de perte d'investissement,
qu'il soit reconnu que la Sarl [T] a commis une faute à l'égard de [P] [J] et qu'à ce titre elle a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de ce dernier,
en conséquence, que la Sarl [T] soit condamnée à payer à [P] [J] les sommes de 19 283,20 euros au titre de son préjudice relatif à la perte de revenus, de 5 000 euros au titre de son préjudice d'image et 10 000 euros au titre de son préjudice moral,
la condamnation de la Sarl [T] à payer à la société Timegene et à [P] [J] une somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel,
que la totalité des dépens de première instance et d'appel soit mise à la charge de la Sarl [T].
En réponse, vu les conclusions notifiées en date du 8 octobre 2021, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la Sarl [T] sollicite :
la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Timegene et [P] [J] de l'intégralité de leurs demandes et laissé les dépens à leur charge in solidum,
l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société [T] de l'intégralité de ses demandes,
statuant à nouveau, la condamnation de la Sarl Timegene à payer à la Sarl [T] la somme de 20 660,64 euros au titre de la facture demeurée impayée représentant le solde du paiement de la prestation avec application de la pénalité de retard de 3 fois le taux d'intérêt légal à compter du dépassement de sa date d'exigibilité, soit le 1er juillet 2017,
la condamnation in solidum de la Sarl Timegene et de [P] [J] à payer à la Sarl [T] la somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts,
la condamnation in solidum de la Sarl Timegene et de [P] [J] à payer à la Sarl [T] la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Motivation
MOTIFS
Sur la responsabilité contractuelle de la Sarl [T] envers la Sarl Timegene
Selon l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au contrat en cause, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Selon l'article 1147 du code civil, dans sa version applicable au contrat en cause, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Aux termes de l'article 1615 du code civil, l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.
Aux termes de l'article 1610 du code civil, si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur.
En l'espèce, le contrat conclu entre les parties, s'agissant de la fourniture d'un logiciel spécifique sur mesure, sur proposition technique complète du client, est un contrat d'entreprise au sens de l'article 1710 du code civil.
Les documents contractuels liant les parties sont l'ensemble formé par le contrat de « proposition technique et commerciale » signé le 23 octobre 2015 et les documents mentionnés comme inclus dans le champ contractuel aux termes de l'article 2.04 du contrat soit le cahier des charges remis par la Sarl Timegene le 5 octobre 2015 et ses annexes remises le 13 octobre 2015.
- sur l'obligation de délivrance conforme :
La Sarl Timegene soutient que la Sarl [T] a failli à son obligation contractuelle de délivrance conforme en ne respectant pas le cahier des charges techniques remis et en délivrant partiellement un produit non conforme et non fonctionnel, ce après avoir accumulé les retards de livraison.
La Sarl [T] invoque l'attitude systématiquement obstructive et incohérente de sa cliente ayant rendu impossible le respect tant du cahier des charges initial que des délais de livraison. Elle affirme au surplus avoir bien livré l'application commandée.
A l'examen des documents contractuels, s'agissant des obligations du prestataire, la cour relève les points suivants dans le contrat du 23 octobre 2015 :
à l'article 5.4.1 « Obligations de [T] », il est prévu que « [T] s'engage sur la réalisation de la prestation décrite dans sa réponse », la dite prestation étant décrite dans l'article 2.3 comme « développer puis héberger et [de] maintenir en condition opérationnelle l'ensemble de la solution. » ;
à l'article 5.4.2 « Obligations réciproques », il est indiqué que « le Client devra fournir à [T] les éléments nécessaires au bon déroulement de sa prestation. Le chiffrage prévu se fonde sur les besoins tels qu'ils sont définis dans le présent document. Si des besoin supplémentaires devaient se faire jour, ce chiffrage devrait être revu en accord avec le Client ».
Dès lors, il est établi qu'en l'espèce, le prestataire supportait l'obligation de délivrer une application fonctionnelle et conforme au cahier des charges fourni. Si l'exécution de cette prestation imposait a priori, au cours du développement du produit, la collaboration du client, débiteur des informations nécessaires à l'avancée du processus, c'est bien au prestataire, en sa qualité de professionnel de démontrer qu'il a effectivement sollicité son client en ce sens, en l'informant des conséquences de son refus de collaboration notamment en terme de devenir de leurs relations contractuelles, et que malgré cela, il n'a pu obtenir satisfaction dans ses demandes.
Il ressort clairement des éléments transmis à la cour que les relations entre la société prestataire et sa cliente sont devenues de plus en plus difficiles au fur et à mesure de l'avancée du projet.
Pour autant, aucun avenant n'a jamais été formalisé aux fins de modifier l'objet de la prestation, de redéfinir le planning ou de chiffrer les travaux complémentaires entrepris, bien que l'opportunité en ait été plusieurs fois évoquée dans les échanges reproduits en pièces. Dès lors, les termes du contrat initial sont les seuls applicables à la relation contractuelle des parties quel qu'en ait été le déroulement.
Il est admis, quand la prestation à délivrer est complexe, qu'il n'est possible d'en déterminer la délivrance parfaitement conforme qu'une fois l'ensemble terminé et mis en fonctionnement de sorte que les éventuelles réceptions intermédiaires ne peuvent valoir purge des non-conformités.
Sur ce point, il ressort tout aussi clairement des éléments du dossier que la prestation à laquelle la Sarl [T] s'est engagée était particulièrement complexe et que le contrat initial est très lacunaire quant à la description précise de celle-ci.
C'est à la Sarl Timegene qu'il revient avant tout de rapporter la preuve que la prestation convenue n'a pas été délivrée ou qu'elle a été mal délivrée.
La cour rappelle que le juge ne peut refuser d'examiner une expertise amiable non contradictoire dès lors qu'elle a été soumise à la libre des discussions des parties. Il ne peut cependant fonder sa décision sur cette seule expertise.
Entre commerçants, la preuve est libre.
La Sar Timegene met en avant que la seule réception d'éléments partiels de la prestation, et notamment les codes sources et le guide d'utilisation, est insuffisante à lui permettre de déployer l'application sur un autre serveur, la Sarl [T] ayant coupé ses accès aux siens depuis le 14 juin 2017. C'est à ce titre qu'elle a refusé de signer le procès-verbal de livraison et de faire débuter la phase finale de recette.
La Sarl [T] répond en affirmant qu'elle a livré les séquences prévues de la prestation au cours de l'exécution du contrat et que les éléments livrés sont les seuls dont la cliente a besoin pour déployer l'application sur le serveur de son choix. Elle affirme qu'en sus de ceux-ci, elle lui a bien fourni le guide d'installation et que l'application fonctionnait nécessairement puisque la Sarl Timegene en faisait des démonstrations à des prospects.
Pour attester de ses dires, la Sarl Timegene communique l'ensemble des mails échangés avec la Sarl [T] entre octobre 2015 et juin 2017. La cour y relève notamment qu'elle y a fait de nombreux commentaires sur les difficultés rencontrées dans le processus de développement notamment quant à la performance de l'application (capacité à traiter un grand nombre de données en un temps très restreint), ce y compris à l'issue des sessions de démonstration où elle rencontrait des bugs récurrents.
L'appelante communique en pièce 27 un mail de [N] [G], rattaché à une société d'informatique Majengo, adressé le 11 décembre 2017, qu'elle a missionné pour tenter de déployer l'application à partir des éléments fournis par la Sarl [T] et qui a indiqué que malgré trois jours de travail, cela ne lui était pas possible en raison des bugs multiples rencontrés qu'il ne pouvait résoudre. Il a souligné la complexité de l'ensemble, adossé sur la technologie Meteor, dépassant ses compétences.
S'il a effectivement indiqué que le développeur « devait être un expert » dans son domaine et notamment dans la technologie Meteor, il a avancé que celle-ci était peu souvent utilisée, et que le déploiement de l'application requérait dès lors de faire appel à un expert similaire dans cette même technologie.
La Sarl Timegene communique enfin un audit informatique privé, réalisé par Monsieur [F], architecte logiciel et développeur de la société Kéléo Solutions, lequel a tout autant échoué à installer l'application « à partir des sources et documents fournis, notamment à cause de l'absence du dossier « .météor » pour « Timegene » et à cause de l'absence d'une véritable documentation technique ». L'auditeur a indiqué que le guide d'utilisation remis ne lui permettait pas d'installer l'application à partir du code source et qu'il ne pouvait pas plus le faire à partir du guide d'installation en raison de l'absence dans le dossier source du dossier « .meteor » qui devait normalement en faire partie. En testant d'autres méthodes, l'auditeur indique qu'il est parvenu à démarrer l'application mais n'a pu la faire fonctionner, le « résultat [n'étant] pas exploitable ». S'il a relevé que le code et sa structure étaient de qualité bien que mal commentés, il a évalué à 54 jours le travail nécessaire pour corriger les bugs relevés sur l'application.
La Sarl [T], qui conteste la valeur probante de ces deux documents, indique qu'elle n'avait pas besoin de fournir le logiciel Météor sur lequel elle a appuyé le développement de l'application Timegene dans la mesure où il s'agit d'un logiciel libre, téléchargeable par tous, y compris donc par sa cliente.
Cependant, il est constant qu'au terme de son devoir d'information, le prestataire qui fournit un logiciel comportant des éléments empruntés de logiciels libres est tenu d'en informer son client, notamment de la nature de licence spécifique sur ces développements et de communiquer les licences associées. C'est donc en vain que l'intimée assure qu'il suffisait à l'appelante de télécharger elle même ce logiciel libre, alors que fournir une application complète et fonctionnelle relevait de ses propres obligations et que, quoiqu'elle soutienne, il n'était pas possible de connaître avec certitude la version utilisable pour l'installation dans la mesure où le guide d'installation n'y faisait référence que par une l'insertion d'une photo du site de téléchargement Meteor.
Il en ressort également qu'il ne peut être affirmé, comme le fait la Sarl [T], que la Sarl Timegene pouvait d'elle-même procéder au déploiement de l'application avec les éléments transmis alors que l'objet de la prestation convenue étant de « développer puis héberger et [de] maintenir en condition opérationnelle l'ensemble de la solution » ce qui sous-entendait nécessairement un déploiement réalisé par le fournisseur devant héberger l'application au moins la première année de sa mise en service. C'est d'ailleurs depuis le serveur de la Sarl [T] que la Sarl Timegene faisait les démonstrations des versions non finalisées de l'application, serveur dont l'accès lui a été fermé le 14 juin 2017.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la cour en conclut que l'application n'a pas été livrée dans un état d'achèvement et de fonctionnement conforme.
L'absence de délivrance conforme reprochée à la prestataire permet à la cour de retenir la responsabilité contractuelle de celle-ci sans avoir à examiner le respect des délais contractuellement prévus.
Pour s'en exonérer, la Sarl [T] dénonce le comportement opposant et difficile de sa cliente pour avoir multiplié les requêtes modificatives par rapport au cahier des charges initial, ralentissant et complexifiant le processus de développement, et pour avoir refusé de faire les tests « recettes » lui incombant, notamment en refusant d'utiliser l'outil commun d'échange, d'analyse et de correction mis à sa disposition par la prestataire (redmine).
A titre liminaire, la cour souligne, après examen du cahier des charges remis et de ses annexes, qu'il correspond à l'énoncé précis de ce que le client souhaitait que l'application qu'il commandait fasse item par item. La Sarl Timegene n'étant pas elle-même développeuse informatique, le document est présenté en simple langage usuel.
En vertu de son devoir de conseil en tant que professionnelle du développement traitant avec un client profane, il revenait à la Sarl [T] à la communication dudit document, dont elle a pu prendre connaissance avant la signature du contrat, si elle estimait les demandes insuffisamment précises ou irréalistes, d'exiger des précisions ou de suggérer des ajustements à sa cliente. En intégrant le document tel quel, sans aucun amendement, dans la liste des « documents contractuels applicables », l'intimée s'est volontairement exposée à recevoir des demandes modificatives de sa cliente sur les propositions techniques faites relativement aux points insuffisamment précis du cahier des charges.
Il est d'usage, dans le domaine de la conception et du développement de logiciels informatiques nécessitant une collaboration entre le concepteur-développeur et le client, de prévoir des phases de tests régulières réalisées par ce dernier aux fins d'évaluation, par rapport à un référentiel préétabli, de la conformité des prestations déjà réalisées. Les parties restant libres de régler comme elles l'entendent ces procédures, il convient de se référer à ce qu'elles ont contractuellement convenu en la matière.
En l'espèce, il ressort du contrat qu'il n'a été prévu qu'une seule phase de « recette », celle correspondant à la livraison finale du produit démarrant à la signature du procès-verbal de livraison.
C'est donc à juste titre que la Sarl Timegene affirme qu'elle n'était contractuellement tenue que de celle-ci à l'exclusion de toute « recette » intermédiaire. C'est également à juste titre qu'elle soutient qu'aucun procès-verbal de livraison n'ayant été signé, la phase finale de recette, telle que les parties l'avaient contractuellement prévue, n'a pu débuter.
Cela ne la dispensait cependant aucunement, au titre de son devoir de collaboration, de procéder aux tests réguliers des tranches de prestation mises à sa disposition dans l'outil commun afin de permettre à la société prestataire de faire des points d'étape sur le développement du projet et de pouvoir adapter les travaux en cours ou modifier les anomalies rencontrées.
En effet, s'agissant du développement d'une application spécifique réalisée à la demande de la Sarl Timegene sur mesure, celui-ci ne pouvait se faire sans sa participation technique régulière ou sans transmission de ses retours sur les divers stades d'achèvement, ce qui lui était notamment imposé par les mentions de l'article 5.4.2 « Obligations réciproques » du contrat initial.
Or, il ressort des pièces produites par les parties, notamment les très nombreux échanges de mails, que la Sarl Dodcoku a invité longuement et en vain la Sarl Timegene à procéder aux tests nécessaires au bon déroulé du processus de développement tout au long de celui-ci et que la Sarl Timegene s'y est régulièrement soustraite, refusant notamment d'utiliser l'outil collaboratif « Redmine » mis à sa disposition par l'intimée ou en s'y rendant mais sans faire retour de ses observations.
Malgré cela, à aucun moment la Sarl [T] n'a souhaité mettre fin au contrat la liant à la Sarl Timegene en raison du comportement obstructif de cette dernière ou rédiger un avenant pour recontractualiser les tâches restant à accomplir, redéfinir le planning et opérer une tarification des travaux complémentaires. Elle n’a donc tiré aucune conséquence du comportement adopté par sa cliente.
Dès lors que le comportement de l'appelante a été constant tout au long de l'exécution de la prestation de l'intimée et que celle-ci n'a usé d'aucun des moyens à sa disposition pour mettre un terme au contrat malgré les difficultés rencontrées, le fait de la Sarl Timegene n'est pas de nature à exonérer la Sarl [T] de sa responsabilité.
- sur la résolution du contrat, les préjudices et les demandes indemnitaires
Selon l'article 1184 du code civil, dans sa version applicable au contrat en cause, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
La Sarl Timegene demande à la cour de prononcer la résolution judiciaire du contrat conclu avec la Sarl [T] le 23 octobre 2015 et de condamner celle-ci à la restitution des sommes versées par l'appelante soit 29 288,16 euros ainsi qu'au versement des dommages et intérêts suivants : 1 391 477 euros au titre de son préjudice de perte de chance, 10 000 euros au titre de son préjudice d'image et 80 515 euros au titre de son préjudice de perte d'investissement.
L'absence de délivrance conforme constitue une inexécution grave de ses obligations par la Sarl [T] et la résolution du contrat est donc prononcée à ses torts exclusifs.
La résolution du contrat implique de remettre les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion.
Ainsi, la Sarl [T] sera condamnée à restituer à la Sarl Timegene la somme de 29 288,16 euros au titre des factures acquittées n°20151000063, 20160400127 et 201606600155, assortie des intérêts au taux d'intérêt de trois fois le taux d'intérêt légal à compter du 7 mars 2017.
En contrepartie, la Sarl Timegene sera condamnée à lui restituer l'ensemble des éléments livrés en vue du déploiement de l'application « TimeGene Web V2 » (les codes sources et leurs annexes, l'infrastructure technique, le document de présentation, le guide d'installation, le guide d'utilisation, la base de données) dans un délai de six mois à compter de la signification de la présente décision selon les modalités prévues au dispositif.
Sur les demandes indemnitaires, la cour constate que la Sarl Timegene ne rapporte pas la preuve des dépenses d'investissement qu'elle avance avoir réalisées pour la mise en place du projet. En effet, ses écritures font référence à des extraits de ses grands livres qui ne peuvent être retrouvés dans les pièces produites. La simple production d'un extrait de compte bancaire de la société pour le mois d'avril 2019 ne matérialisant rien de spécifique, il n'est apporté aucune preuve au soutien de l'existence de financements réalisés, notamment ceux qui auraient été faits par l'entourage de [P] [J] en vue de l'opération.
Si, l'appelante produit un courrier de l'Association Madeeli, RDTI, le Réseau pour Innover, en date du 4 octobre 2018 l'informant du retrait d'une subvention du fait d'un « projet non abouti », elle ne fournit aucune autre pièce attestant de la nature du projet subventionné et de son lien avec l'application litigieuse, notamment compte tenu de sa date alors même que l'appelante se plaint d'une absence de délivrance conforme de l'application à compter de mars 2017.
Enfin, le business plan joint pour chiffrer la perte de chance de réaliser des gains du fait de la non délivrance de l'application est un document privé réalisé par l'appelante elle-même sur le site « www.montpellier-business-plan.com » lequel s'appuie sur des données qui ne sont pas communiquées à la cour et formule des prévisions particulièrement optimistes voire irréalistes pour les trois premières années d'exploitation d'une application jusqu'alors inconnue du grand public.
Si par l'inexécution de ses obligations par la Sarl [T], la Sarl Timegene a effectivement subi une perte de chance de pouvoir exploiter un logiciel fonctionnel, il ne peut cependant en être tiré avec certitude la conséquence, en l'absence de toute antériorité d'exploitation de ladite application inédite jusqu'alors, de la perte de revenus tirés de celle-ci et encore moins de revenus constamment exponentiels pour les trois premières années d'exploitation.
La perte de chance d'obtenir un produit fonctionnel sera arbitrée pour la Sarl Timegene, à 20% et il lui sera alloué à ce titre la somme de 10 000 euros.
Enfin, la Sarl Timegene, qui ne communique qu'une liste de contacts, ne rapporte aucune preuve à même d'attester de la « perte de toute crédibilité auprès de ses partenaires et prospects » dont elle allègue au titre de son préjudice d'image. Elle sera donc déboutée de sa demande à ce titre.
Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a débouté la Sarl Timegene de l'ensemble de ses demandes à l'exception de sa demande au titre de la perte de chance sur laquelle il sera infirmé.
Sur la responsabilité délictuelle de la Sarl [T] envers [P] [J]
Aux termes des articles 1382 et 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le dirigeant d'une société, en fut-il le représentant légal, n'est pas partie aux contrats conclus par la société.
Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, sans être tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement.
[P] [J] expose avoir subi, du fait des manquements contractuels de la Sarl [T], à titre personnel, un préjudice au titre de sa perte de revenus qu'il évalue à 19 283,20 euros, un préjudice d'image qu'il fixe à 5 000 euros au titre et un préjudice moral pour lequel il sollicite la somme de 10 000 euros.
Néanmoins, il ne fait la démonstration d'aucun préjudice subi à titre personnel qui ne se confonde avec les préjudices subis du fait des manquements contractuels par la Sarl Timegene. Ainsi notamment, ayant cédé son idée à la Sarl Timegene pour qu'elle la porte et l'exploite au travers du contrat de développement de l'application TimeGene Web V2, [P] [J] ne peut exciper d'un préjudice moral personnel du fait de la non délivrance de l'application.
Par ailleurs, il ne rapporte aucune preuve à même d'attester de ce dit préjudice moral, pas plus que de la « perte de toute crédibilité à l'égard des partenaires et des prospects » dont il allègue au titre de son préjudice d'image. Il sera donc débouté de ses demandes à ces titres.
S'il met en avant une perte de revenus du fait d'avoir choisi de demeurer sous un régime d'allocation chômage afin de se rendre disponible jusqu'au déploiement de son application et, du fait des retards pris dans le développement de celle-ci, au final non fonctionnelle, de s'être retrouvé à toucher uniquement l'allocation de solidarité spécifique entre le mois d'avril 2017 et son embauche en tant que salarié dans une nouvelle entreprise le 8 janvier 2018, force est de constater que [P] [J] ne rapporte aucunement la preuve qu'il lui était impossible de mener de front un activité salariée et sa collaboration au développement de l'application par la Sarl [T].
Il s'agit donc d'un choix personnel fait de se maintenir sous un régime d'allocations sociales jusqu'en janvier 2018 alors que le retard de livraison était acté à compter du 5 février 2016 et qu'il lui était loisible de retrouver plus tôt un emploi salarié, ne serait-ce qu'à temps partiel.
Dès lors, [P] [J] n'établit pas avoir subi un dommage de ce chef et encore moins que celui-ci découle des manquements contractuels reprochés à l'intimée. Sa demande indemnitaire à ce titre sera rejetée.
Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble de ses demandes à ce titre.
Sur la demande reconventionnelle de la Sarl [T] en paiement des factures impayées
La Sarl [T] poursuit reconventionnellement le paiement du solde de sa facture d'un montant de 20 660,64 euros avec application de la pénalité de retard de 3 fois le taux d'intérêt légal à compter du dépassement de sa date d'exigibilité, soit le 1er juillet 2017 ainsi que le paiement de la somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les travaux complémentaires et le temps de travail passé au delà de l'accord contractuel (219 jours*550€/jour).
Il a été reconnu que la Sarl [T] avait manqué à son obligation de délivrance conforme, elle sera donc déboutée de sa demande de paiement au titre du solde de la facture.
Par ailleurs, il apparaît nettement des pièces du dossier que la Sarl [T] a sous-estimé le temps et la charge de travail que représenterait pour elle le développement de l'application. A plusieurs reprises, elle a assuré à sa cliente savoir par avance qu'elle ne gagnerait pas d'argent sur ce projet « sous-chiffré », qu'elle prenait en charge principalement en raison de l'intérêt technique et d'expertise qu'il représentait pour elle.
La Sarl Dodoku a travaillé 16 mois au lieu des 4 contractuellement prévus pour le développement de l'application sans jamais faire modifier le périmètre des travaux convenus ou leur prix par le biais d'avenants alors même que le contrat initial le prévoyait et sans mettre fin à la relation contractuelle au vu des manquements qu'elle reprochait à la Sarl Timegene et de la perte financière que sa poursuite représentait pour elle.
C'est donc en toute connaissance de cause et à ses risques et périls que l'intimée a poursuivi ses travaux. Elle est ainsi la seule responsable de son préjudice et sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.
Sur les frais irrépétibles,
Compte tenu des circonstances il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés pour assurer leur représentation en justice en première instance comme en appel.
Il sera fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit que chaque partie en supportera la charge par moitié à part égale.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement entrepris en en ce qu'il a débouté la Sarl Timegene de ses demandes indemnitaires relatives au préjudice d'image et à la perte d'investissement, en ce qu'il a débouté [P] [J] de ses demandes au titre de sa perte de revenus, de son préjudice moral et de son préjudice d'image et en ce qu'il a débouté la Sarl [T] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
Infirme le jugement entrepris en en ce qu'il a débouté la Sarl Timegene de sa demande de résolution du contrat la liant à la Sarl [T] et de sa demande indemnitaire au titre de la perte de chance,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Prononce la résolution judiciaire du contrat conclu entre les parties le 23 octobre 2015 à compter du 7 mars 2017,
Condamne la Sarl [T] à verser à la Sarl Timegene la somme de 29 288,16 euros au titre des factures n°20151000063, 20160400127 et 201606600155, assortie des intérêts au taux d'intérêt de trois fois le taux d'intérêt légal à compter du 7 mars 2017,
Condamne la Sarl Timegene à restituer à la Sarl [T], selon les modalités choisies par celle-ci, dans un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt, l'ensemble des éléments livrés en vue du déploiement de l'application « TimeGene Web V2 » (les codes sources et leurs annexes, l'infrastructure technique, le document de présentation, le guide d'installation, le guide d'utilisation, la base de données) ; à défaut de récupération de ces éléments par la Sarl [T] dans le délai imparti, la Sarl Timegene sera libre d'en disposer comme bon lui semblera,
Condamne la Sarl [T] à verser à la Sarl Timegene la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice pour perte de chance,
Et, y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties pour les frais irrépétibles exposés en première instance comme en appel,
Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit que chaque partie en supportera la moitié par part égale.