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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 22 février 2024, n° 19/05912

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Au Crocodile (SA)

Défendeur :

[O]-Hazane (SCP), Locam (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Laffly, Me Trombetta

T. com. Saint-Etienne, du 12 juill. 2019…

12 juillet 2019

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 11 mars 2014, la SA Au Crocodile a signé un bon de commande d'un condensateur var métrique avec la SARL Alef Systems dans le but de réaliser des économies d'énergies.

Le 1 avril 2014, la société Au Crocodile a signé un contrat de location avec la SAS Location Automobile Matériels (ci-après la société Locam) portant sur le compensateur objet du bon de commande moyennant le règlement d'un loyer mensuel de 205,20 euros TTC pendant une période irrévocable de 63 mois.

Le même jour, un procès-verbal de livraison et de conformité a été signé.

La société Au Crocodile a cessé de payer les échéances dues au motif que le système installé ne fonctionnait pas et a déposé plainte pour pratique commerciale trompeuse et tromperie sur les qualités substantielles de prestations de service à l'encontre de la société Alef Systems.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mai 2015, la société Locam a mis en demeure la société Au Crocodile de régler les échéances impayées sous peine de déchéance et de l'exigibilité de toutes sommes dues au titre du contrat.

Cette mise en demeure étant demeurée sans effet, par acte du 28 juillet 2015, la société Locam a assigné la société Au Crocodile devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne afin d'obtenir notamment la somme principale le paiement des loyers restant dus outre une clause pénale de 10%.

Par jugement du 14 octobre 2015, le tribunal de commerce de Melun a converti la procédure de redressement judiciaire dont bénéficiait la société Alef Systems en procédure de liquidation judiciaire et a désigné la SCP [O]-Hazane, prise en la personne de Me [O], en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte du 14 septembre 2017, la société Au Crocodile a appelé dans la cause la SCP [O]-Hazane, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Alef Systems. L'affaire a été jointe à la précédente par jugement du 3 octobre.

Par jugement réputé contradictoire du 12 juillet 2019, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a :

rejeté la demande de la société Au Crocodile de sursis à statuer,

constaté l'interdépendance et l'indivisibilité du bon de commande et du contrat de location liant d'une part la société Au Crocodile et la société Alef Systems et d'autre part la société Locam,

débouté la société Au Crocodile de sa demande de voir prononcer la nullité du contrat de fourniture pour dol,

débouté la société Au Crocodile de sa demande subsidiaire de voir prononcer la nullité du contrat de fourniture pour absence de cause,

débouté la société Au Crocodile de sa demande infiniment subsidiaire de voir prononcer la résolution du contrat de fourniture pour inexécution,

débouté la société Au Crocodile de sa demande de voir constater la caducité du contrat de location,

débouté la société Au Crocodile de sa demande reconventionnelle de condamnation de la société Locam à lui restituer les loyers prélevés,

condamné la société Au Crocodile à verser à la société Locam la somme de 11.963,16 euros, correspondant aux 5 échéances échues et aux 48 échéances à échoir, ainsi qu'à la clause pénale de 10% outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 mai 2015,

ordonné la reprise du matériel par la société Alef Systems représentée par son liquidateur judiciaire la SCP [O]-Hazane prise en la personne de Me [O], ès-qualités, objet du contrat de location la liant à la société Au Crocodile dans un délai de 8 jours à compter de la signification du présent jugement,

rejeté la demande d'astreinte,

dit qu'à défaut de reprise dans ledit délai de 8 jours, la société Au Crocodile sera autorisée à détruire le matériel objet du contrat de location litigieux,

condamné la société Au Crocodile à payer la somme de 250 euros à la société Locam au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

dit que les dépens sont à la charge de la société Au Crocodile,

rejeté la demande d'exécution provisoire du jugement,

débouté les parties du surplus de leurs demandes.

La société Au Crocodile a interjeté appel par acte du 12 août 2019.

Par conclusions signifiées le 12 novembre 2019 à la SCP [O]-Hazane ès qualité, et conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 novembre 2020, fondées sur les articles 1218, 1116 et suivants, 1131 et suivants et 1184 du code civil, la société Au Crocodile a demandé à la cour de :

déclarer son appel recevable et bien-fondé,

infirmer le jugement déféré, en ce qu'il a statué comme suit :

l'a déboutée de sa demande de voir prononcer la nullité du contrat de fourniture pour dol,

l'a déboutée de sa demande subsidiaire de voir prononcer la nullité du contrat de fourniture pour absence de cause,

l'a déboutée de sa demande infiniment subsidiaire de voir prononcer la résolution du contrat de fourniture pour inexécution,

l'a déboutée de sa demande de voir constater la caducité du contrat de location,

l'a déboutée de sa demande reconventionnelle de condamnation de la société Locam à lui restituer les loyers prélevés,

l'a condamnée à verser à la société Locam la somme de 11.963,16 euros, correspondant aux 5 échéances échues et aux 48 échéances à échoir, ainsi qu'à la clause pénale de 10% outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 mai 2015,

dans tous les cas,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'interdépendance du bon de commande et du contrat de location litigieux,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la reprise du matériel par la société Alef Systems, représentée par son liquidateur judiciaire la SCP [O]-Hazane prise en la personne de Me [O] ès-qualités, objet du contrat de location les liant dans un délai de huit jours à compter de la signification du présent jugement et dit qu'à défaut de reprise dans ledit délai de huit jours, elle sera autorisée à détruire le matériel objet du contrat de location litigieux,

statuant à nouveau,

à titre principal,

juger que le bon de commande qu'elle a signé avec la société Alef Systems le 11 mars 2014 et le contrat de fourniture d'un condensateur triphasé en résultant sont entachés de nullité, pour dol,

à titre subsidiaire,

juger que le bon de commande qu'elle a signé avec la société Alef Systems le 11 mars 2014 et le contrat de fourniture d'un condensateur triphasé en résultant sont entachés de nullité, pour absence de cause,

à titre infiniment subsidiaire :

juger qu'il convient de prononcer la résolution du bon de commande qu'elle a signé avec la société Alef Systems en date du 11 mars 2014 et du contrat de fourniture en résultant, pour inexécution,

dans tous les cas,

juger que la nullité et / ou la résolution du bon de commande entraîne la caducité du contrat de location,

débouter la société Locam de l'ensemble de ses fins, moyens et prétentions,

à titre reconventionnel,

condamner la société Locam à lui payer la somme de 2 052,00 € euros, au titre des mensualités indûment perçues au titre du contrat caduc, majorée des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

dans tous les cas,

fixer sa créance à l'encontre de la société Alef Systems, prise en la personne de son liquidateur, la SCP [O] ' Hazane, représentée par Me [O], à hauteur de 2.500 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre à hauteur de 2.000 euros, s'agissant de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile sollicité en première instance,

mettre les frais et dépens à la charge de la société Alef Systems, respectivement son liquidateur, la SCP [O] - Hazane, prise en la personne de Me [O],

condamner, la société Locam à lui payer une indemnité d'un montant de 2.500,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, majorée des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, outre à hauteur de 1.500 euros, s'agissant de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile sollicité en première instance,

condamner la société. Locam aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel avec droit de recouvrement.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 12 février 2020 fondées sur les articles 1134 et suivants, 1131, 1149 anciens, 1184 ancien, 1116, 1108 et 1109 ancien du code civil et l'article L. 641-11-1 du code de commerce, la société Locam a demandé à la cour de :

dire non fondé l'appel de la société Au Crocodile,

la débouter de toutes ses demandes,

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

condamner la société Au Crocodile à lui régler une indemnité de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

la condamner en tous les dépens d'instance comme d'appel.

La SCP [O]-Hazane, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Alef Systems, à qui la déclaration d'appel a été signifiée par acte du 26 septembre 2019, n'a pas constitué avocat.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 21 décembre 2020, les débats étant fixés au 21 décembre 2023.

Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de Procédure Civile.

Motivation

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de nullité du contrat de fourniture pour dol

La société Au Crocodile a fait valoir que :

la société Alef Systems lui a présenté le système acquis comme lui permettant de réaliser des économies d'énergie importantes soit au minimum 20,3%, ce qui est au fondement de son consentement,

la société Alef Systems s'est engagée, si les énergies n'étaient pas réalisées, à rembourser l'intégralité des mensualités qui auraient été prélevées et à procéder au retrait du matériel sans frais,

la matérialité du dol résulte des pièces versées aux débats qui démontrent l'engagement de la société Alef Systems concernant les économies d'énergie,

elle rapporte la preuve de ce que le matériel litigieux n'avait pas vocation à fonctionner et n'a permis aucune économie d'énergie,

la société Alef Systems a mis en oeuvre un stratagème tant à son égard qu'à celui de la société Locam, pour obtenir des commandes et des financements en vendant des produits ne fonctionnant pas,

la société Alef Systems a indiqué par la suite que la lettre garantissant le remboursement des mensualités et le retrait du matériel est un faux,

le tribunal correctionnel de Paris a reconnu les pratiques frauduleuses et tromperies commises par le gérant de la société Alef Systems pour obtenir la signature des contrats.

La société Locam a fait valoir que :

le dol doit être prouvé lors de la conclusion du contrat et ne peut se déduire du fait que l'objet vendu n'a pas apporté le service attendu,

l'inexécution d'une obligation, y compris de résultat, ne peut constituer un dol qui s'apprécie lors de la conclusion de la convention liant les parties.

Sur ce,

L'article 1116 du code civil, dans sa version applicable au litige dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté, qu'il ne se présume pas et doit être prouvé.

En l'espèce, la société Au Crocodile démontre l'existence d'un dol dans la conclusion du contrat.

En effet, le contrat a été conclu dans le but exclusif d'obtenir un appareil minorant la consommation électrique.

Il a été retenu par le tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 19 décembre 2018, que le gérant de la société Alef Systems avait parfaitement conscience et connaissance de ce que le produit vendu ne permettait pas d'obtenir les économies d'énergie avancées devant le client.

Le système mis en oeuvre à savoir, la présence d'un commercial qui réalise des mesures d'électricité et présente des calculs à un client qui n'a pas de compétences dans le domaine, qui lui assurent une économie d'énergie pouvant aller au-delà de 20%, permet d'obtenir la confiance du client qui pense se trouver face à un professionnel, mais se persuade également que l'économie d'énergie sera réelle mais surtout conséquente. Ce système induit ainsi un climat dans lequel le client va souhaiter contracter.

En outre, le système de manoeuvre dolosives est complété par l'envoi d'un courrier par lequel le fournisseur s'engager, en cas de non-réalisation des économies d'énergie prévues, à rembourser les loyers échus et payés par le client, mais aussi à retirer le matériel, sans frais pour ce dernier.

Face à ce discours, il est évident que le client est mis en confiance et est confronté à une offre qui ne lui coûtera rien au plan financier si les économies d'énergie prévues ne sont pas réalisées. En outre, l'apparent professionnalisme du commercial et les engagements pris ne peuvent que l'inciter à contracter.

Enfin, que ce soit dans le contrat ou par la suite, il est indiqué que l'économie d'énergie est garantie au contrat, ce qui motive là encore le consentement.

De la sorte, le dol est caractérisé par la société Au Crocodile dans sa situation, ce dont il convient de tirer toutes les conséquences.

Il convient en conséquence d'infirmer dans sa totalité la décision déférée.

De la sorte, il convient de prononcer la nullité du contrat de fourniture sous la forme d'un bon de commande du 11 mars 2014, et en conséquence, en raison de l'interdépendance des contrats avec le contrat de location financière, de prononcer la caducité du contrat liant la société Au Crocodile à la société Locam en date du 1 avril 2014.

Le prononcé de la caducité entraîne la mise en oeuvre du régime des restitutions.

Ainsi, la société Locam devra restituer à la société Au Crocodile les loyers perçus pour la somme de 2 052,00 € et sera condamnée à le faire.

La société Au Crocodile sera condamnée à mettre à disposition de la société Locam, propriétaire du matériel objet du bon de commande, le condensateur var métrique dans un délai de 8 jours à compter de la présente décision, et sera autorisée à détruire le matériel en cas de non-récupération au bout d'un mois.

Sur les demandes accessoires

La société Locam qui échoue en ses prétentions sera condamnée à supporter les dépens de premier instance et de la procédure d'appel dans son intégralité.

L'équité commande d'accorder à la Au Crocodile une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile qui sera fixée à la somme de 2.000 euros.

Il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation à l'encontre de la société Alef Systems prise en la personne de son liquidateur judiciaire, les demandes à ce titre étant rejetées.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel

Infirme dans son intégralité la décision déférée,

Statuant à nouveau

Prononce la nullité du bon de commande du 11 mars 2014 entre la SA Au Crocodile et la SARL Alef Systems prise en la personne de la SCP Angel-Hazane, liquidateur judiciaire,

Prononce la caducité du contrat de location du 1 avril 2014 conclu entre la SA Au Crocodile et la SAS Locam,

Condamne la SAS Locam à restituer à la SA Au Crocodile la somme de 2 052,00 € au titre des loyers perçus,

Condamne la SA Au Crocodile à mettre à disposition de la société Locam, propriétaire du matériel objet du bon de commande, le condensateur var métrique dans un délai de 8 jours à compter de la présente décision, et sera autorisée à détruire le matériel en cas de non-récupération au bout d'un mois,

Condamne la SAS Locam à supporter les entiers dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel,

Condamne la SAS Locam à payer à la SA Au Crocodile la somme de 2.000 euros à titre d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SA Au Crocodile de ses demandes accessoires à l'encontre de la SARL Alef Systems prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la SCP [O]-Hazane.