Livv
Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 27 février 2024, n° 21/01237

CHAMBÉRY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

AJ Meynet & Associes (Selarl), SCP BTSG, Lauda Sports (Sasu)

Défendeur :

ABC Agencement (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, Mme Real Del Sarte

Avocat :

SCP Saillet & Bozon

T. com. Chambery, du 28 avr. 2021

28 avril 2021

Faits et procédure

La société Précision Ski [Localité 4] (sarl), spécialisée dans la vente de matériels de sport de montagne, a confié courant décembre 2016 à la société Indigo (Sas) la rénovation de son magasin de sport Eden Arcs situé aux [Localité 4], ainsi que la rénovation de son magasin situé à [Localité 5].

Le 7 décembre 2016, la société Précision Ski [Localité 4] dit avoir accepté un devis n° 16121149 d'un montant de 300 000 euros TTC portant sur tout corps d'état de second œuvre pour le magasin des Arcs et un devis n°161 21144 d'un montant de 204 000 euros TTC pour le magasin de [Localité 5].

La société Indigo a confié la conception et la réalisation de l'ameublement pour les deux magasins à la société Abc Agencement (Sarl) qui lui a adressé le 7 décembre 2016 deux devis pour un montant de 185 373,46 euros TTC pour le magasin sis aux Arcs et 180 556,06 euros TTC pour celui sis à [Localité 5].

La société Précision Ski [Localité 4] a réglé à la société Indigo la somme de 276 976 euros au titre des travaux du magasin sis aux Arcs et celle de 180 000 euros pour le magasin sis à [Localité 5], soit un solde restant dû sur les devis qu'elle dit avoir acceptés de 47 024 euros correspondant à une retenue pour les malfaçons.

Par courrier du 14 mars 2017, la société Précision Ski [Localité 4] a mis en demeure la société Indigo de reprendre les malfaçons et non-finition et finaliser les travaux en vue d'une réception.

Parallèlement, la société Indigo n'a réglé à la société Abc Agencement qu'un acompte de 100 000 euros sur le mobilier livré.

Par ordonnance du 7 avril 2017, le président du tribunal de commerce de Chambéry a condamné la société Indigo à payer à la société Abc Agencement la somme provisionnelle de 268 075,43 euros.

Par jugement en date du 15 décembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation à l'égard de la société Indigo. Le 19 février 2018, la société Abc Agencement a déclaré sa créance d'un montant en principal de 268 075,43 euros majorée des intérêts de retard pour un montant de 1 778,11 euros et d'une indemnité de 950 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile soit une somme totale de 270 803,54 euros auprès du liquidateur judiciaire. Elle a aussi effectué une saisie conservatoire entre les mains de la société Précision Ski [Localité 4] pour un montant de 270 000 euros. Le 16 mai 2017, la saisie conservatoire a été convertie en saisie attribution.

Par acte d'huissier du 18 février 2019, la société Abc Agencement a assigné la société Précision Ski [Localité 4] devant le tribunal de commerce de Chambéry notamment aux fins de la faire condamner à lui payer la somme de 268 075,43 euros.

Le 27 juin 2019, la société Précision Ski [Localité 4] a été radiée du registre du commerce et des sociétés de Chambéry suite à son absorption à effet au 31 mai 2019 par la société Lauda Sports (Sas) qui est intervenue volontairement à la cause en lieu et place de la société Précision Ski [Localité 4].

Par jugement du 30 avril 2021, le tribunal de commerce de Chambéry a :

- Déclaré régulière l'intervention volontaire de la société Lauda Sports ;

- Déclaré la demande de la société Abc Agencement à l'encontre de la société Lauda Sports, régulière, recevable et bien fondée sur le fondement des articles 1303 et suivants du code civil ;

- Condamné la société Lauda Sports à payer, en deniers et quittances valables, à la société Abc Agencement :

- la somme de 144 949,42 euros TTC, montant de la cause sus-énoncée ;

- les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 18 février 2019 ;

- la somme de 4 000 euros à titre d'indemnité procédurale ;

- les dépens ;

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, sous réserve que la société Abc Agencement fournisse une caution bancaire d'un montant de 120 791, 18 euros ;

- Débouté les parties de tous leurs moyens et prétentions.

Au visa principalement des motifs suivants :

La société Abc Agencement a agi en qualité de simple fournisseur de matériaux destinés à la société Indigo et le contrat les liant est un contrat de vente ;

La rénovation de l'ameublement des deux magasins représenterait un enrichissement pour la société Lauda Sports en cas de règlement à la société Indigo à plus faible valeur que les montant initiaux fixés dans les devis ;

La fourniture de l'ameublement des deux magasins représenterait un appauvrissement pour la société Abc Agencement si les charges engagées pour cette prestation n'étaient pas couvertes par les règlements de la société Indigo.

Par déclaration au greffe du 14 juin 2021, la société Lauda sports a interjeté appel de la décision.

Selon jugement du tribunal de commerce de Chambéry en date du 22 juin 2021, la société Lauda Sports a fait l'objet d'une procédure collective de sauvegarde de justice et la Selarl AJ Meynet & associés a désigné en qualité d'administratrice judiciaire et la Scp BTSG²en qualité de mandataire judiciaire. Ces deux organes de la procédure sont intervenus volontairement à l'instance par voie de conclusions en date du 8 septembre 2021.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures en date du 22 février 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Lauda Sports, la Selarl AJ Meynet & Associes et la Scp Btsg² ès qualités, sollicitent l'infirmation de la décision et demandent à la cour de :

Statuant à nouveau,

- Donner acte à la Selarl AJ Meynet & Associes et la Scp Btsg2 de leur intervention volontaire, es qualité d'administratrice et mandataire judiciaires de la société Lauda Sports ;

- A titre préliminaire, débouter la société Abc Agencement de toute demande de condamnation de la société Lauda Sports, ses demandes ne pouvant que tendre à la constatation de sa prétendue créance et à la fixation de son montant ;

- Dire et juger que la société Abc Agencement ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un mandat entre la société Lauda Sports et la société Indigo ;

- Dire et juger que la société Lauda Sports n'avait pas l'obligation de s'assurer des garanties de paiement de la société Abc Agencement, dans la mesure où l'article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce ;

- Dire et juger que la société Lauda Sports n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle, dans la mesure où elle n'avait pas connaissance de la qualité de sous-traitant de la société Abc Agencement ;

- Dire et juger irrecevable la demande de la société Abc Agencement sur le fondement de l'enrichissement injustifié ;

- Dire et juger que la société Abc Agencement ne justifie pas s'être injustement appauvrie au bénéfice de la société Lauda Sports qui se serait corrélativement enrichie ;

- Au surplus, constater que la société Abc Agencement ne rapporte pas la preuve d'une créance liquide, certaine et exigible, faute de justifier de la bonne réalisation des travaux qu'elle facture ;

En conséquence,

- Débouter purement et simplement la société Abc Agencement de toutes ses demandes particulièrement infondées et injustifiées ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Abc Agencement à payer à la société Lauda Sports la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la même aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel, avec application au profit de la Scp d'avocats, Saillet & Bozon, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, la société Lauda Sports, la Selarl AJ Meynet & Associes et la Scp Btsg² ès qualités font valoir notamment que :

La société Lauda Sports n'a pas donné mandat à la société Indigo que ce soit par écrit ou de manière orale et aucune apparence de mandat n'est établie ;

La société Lauda Sports a conclu avec la société Indigo un contrat d'entreprise portant sur des travaux de second œuvre, or la fourniture de meubles d'agencement ne constitue pas des travaux de bâtiment ;

La société Abc Agencement ne justifie pas de l'appauvrissement qu'elle prétend avoir subi ;

La société Lauda Sports ne s'est pas enrichie en ce qu'elle s'est acquittée de la quasi-totalité des sommes dues à la société Indigo au titre du poste agencement.

Par dernières écritures en date du 11 septembre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Abc Agencement sollicite de la cour de :

- Infirmer le jugement du 28 avril 2021 du tribunal de commerce de Chambéry

en ce qu'il l'a déboutée des demandes suivantes :

A titre principal,

Constatant l'existence d'un contrat de mandat entre la société Lauda Sports et la société Indigo,

- Condamner la Société Lauda Sports au paiement à la société Abc Agencement de la somme de 268 075,43 euros, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du 2 décembre 2016 ;

A titre subsidiaire,

Constatant l'existence d'un contrat de sous-traitance entre la société Indigo et la société Abc Agencement, connu de la société Lauda Sports,

Constatant que la société Lauda Sports n'a pas exigé qu'il soit justifié la fourniture d'une caution par l'entrepreneur principal Indigo au profit de la société Abc Agencement ou que soit mis en place un paiement direct au profit de la société Abc Agencement,

- Condamner la Société Lauda Sports au paiement à la société Abc Agencement de la somme de 268 075 43 euros, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du 2 décembre 2016 ;

- Confirmer le jugement du 28 avril 2021 du tribunal de commerce de Chambéry en ce qu'il :

- Condamne la société Lauda Sports à payer à la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux dépens,

- Ordonne l'exécution provisoire,

- Liquide les frais de greffe à la somme de 94,34 euros TTC avec TVA = 20 % comprenant les frais de mise au rôle et de la présente décision ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Constatant l'existence d'un contrat de mandat entre la Société Lauda Sports et la Société Indigo ;

- Constater la créance détenue par elle contre la société Lauda Sport en exécution du contrat de mandat susvisé ;

- Fixer le montant de cette créance à 268 075.43 euros, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du 2 décembre 2016, au passif de la procédure collective à apurer ;

A titre subsidiaire,

Constatant l'existence d'un contrat de sous-traitance entre la société Indigo et elle, connu de la société Lauda Sports ;

Constatant que la société Lauda Sports n'a pas exigé qu'il soit justifié la fourniture d'une caution par l'entrepreneur principal Indigo à son profit ou que soit mis en place un paiement direct à son profit ;

- Constater la créance détenue par elle contre la société Lauda Sport en exécution du contrat de sous-traitance ;

- Fixer le montant de cette créance à 268 075,43 euros, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du 2 décembre 2016, au passif de la procédure collective à apurer ;

A titre infiniment subsidiaire,

- Confirmer le Jugement du 28 avril 2021 du tribunal de commerce de Chambéry en ce qu'il retient l'application des articles 1303 et suivants du code civil, en ce qu'il reconnaît un enrichissement de la société Lauda Sports et son appauvrissement ;

- Réformer le quantum de la condamnation de la société Lauda Sports, en la condamnant à lui payer la somme de 268 075,43 euros, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du 2 décembre 2016 ;

En conséquence,

- Constater la créance détenue par elle contre la société Lauda Sport au titre de l'enrichissement injustifié ;

- Fixer le montant de cette créance à 268 075,43 euros, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du 2 décembre 2016 au passif de la procédure collective à apurer ;

En toutes hypothèses,

- Débouter la société Lauda Sports de son appel et de l'ensemble de ses demandes ;

- Fixer la somme de 4 000 euros à la charge de la société Lauda Sports à son bénéfice au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux dépens, s'agissant de la procédure d'appel.

Au soutien de ses prétentions, la société Abc Agencement fait valoir notamment que :

La société Indigo a été missionnée par la société Lauda Sports pour de la conception et le design et a la qualité de maître d'œuvre ;

Les aménagements étant fabriqués sur commande et sur mesures, dès lors, la qualité de sous-traitant est attachée la société Abc Agencement ;

La société Abc Agencement n'a pas été rémunérée en totalité pour ce travail et n'a reçu que le paiement d'un acompte d'une somme de 100 000 euros.

Une ordonnance en date du 25 septembre 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 24 octobre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Motivation

MOTIFS ET DÉCISION

Sur le fondement du mandat apparent

Aux termes de l'article 1984 du code civil, 'Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire.'

La société Lauda Sports a conclu avec la société Indigo un contrat de louage d'ouvrage, portant sur la réalisation de travaux de second oeuvre pour la rénovation de ses deux magasins de vente d'articles de sport d'hiver. La société Indigo devait faire, aux termes de chacun des devis en date du 7 décembre 2016, essentiellement des travaux de second oeuvre (mur de séparation, réagréage, enduit, revêtement de sol), d'électricité et d'éclairage et l'agencement. Comme l'a précisé le premier juge, il est certain, eu égard à son objet social 'secteur des activités spécialisées de désign', qu'elle n'a pas elle-même réalisé tous les travaux, mais elle a contacté elle-même les entreprises avec lesquelles elle a travaillé et c'est elle-même qui a géré ses devis et contrats la liant avec les intervenants, sans qu'aucun élément ne démontre qu'elle ait agi en qualité de mandataire de la société Lauda Sports.

D'ailleurs, comme l'a justement motivé le premier juge :

' la société Indigo n'avait pas la qualité de maître d'oeuvre et la cour d'ajouter que quand bien même l'eût-elle eue, une telle fonction n'aurait pas obligatoirement, comme le souligne la société Abc Agencement elle-même, conférer celle-ci mandat de représenter le maître de l'ouvrage (cass 3ème civ 15-01-2013 n°12-11.551) ;

' la société Abc Agencement, en ayant établi les devis au nom de la société Indigo, en ayant été réglée d'un acompte par la société Indigo, en ayant établi ses factures au nom de la société Indigo, ne démontre aucunement avoir pu légitimement croire que la société Indigo était la mandataire de la société Lauda Sports. A ces circonstances, la cour ajoutera le destinataire des bons livraisons des marchandises expédiées par la société Abc Agencement qui était à nouveau la société Indigo et le fait que la société Abc Agencement ait actionné uniquement la société Indigo avant le début de la procédure collective de cette dernière.

' la société Abc Agencement soutient un peu plus de deux ans après l'établissement de ses devis qu'elle a pensé conclure un contrat avec la société Lauda Sports, dès lors que selon elle, la société Indigo n'était qu'une mandataire, mais, en application de l'article 1158 du code civil, lequel prévoit notamment dans son alinéa 1 que 'Le tiers qui doute de l'étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l'occasion d'un acte qu'il s'apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu'il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte', elle aurait pu solliciter de la société Indigo des précisions ce qu'elle s'est manifestement gardé de faire.

' la société Abc Agencement se prévaut également d'une mention apposée sur le contrat qui l'aurait liée à la société Indigo soit la mention 'société Indigo agissant pour le compte de la société Lauda Sports'. Or, elle n'a jamais produit ce contrat et ce malgré une injonction délivrée par la société Lauda Sports.

En conséquence, il ne résulte d'aucun élément versé aux débats qui aurait été de nature à créer l'existence d'un mandant apparent confié à la société Indigo par la société Lauda Sports, laquelle n'est pas intervenue dans les relations entre la société Abc Agencement et la société Indigo. La cour ne peut que confirmer le premier juge qui n'a pas retenu le fondement du mandat pour accueillir les prétentions de la société Abc Agencement.

Sur le fondement d'un lien de sous-traitance

Il résulte de l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 qu'a la qualité de sous-traitant celui qui exécute, au moyen d'un contrat d'entreprise, tout ou partie d'un contrat d'entreprise conclu entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal.

La qualité de sous-traitant n'est pas subordonnée à l'intervention de l'entreprise sur le chantier, ni à sa participation au montage des éléments qu'elle a fabriqués, mais à la spécificité du travail confié en vue de la réalisation d'un ouvrage déterminé.

Il n'y a pas vente mais contrat d'entreprise et donc sous-traitance dès lors que le professionnel est chargé de réaliser « un travail spécifique en vertu d'indications particulières », ce qui exclut toute possibilité de produire en série (Civ. 3e, 5 févr. 1985, no 83-16.675; Civ. 3e, 9 juin 1999, no 98-10.291). Cependant, la simple adaptation à la mesure n'est pas considérée comme une individualisation suffisante ( 3e, 17 mars 2010, n° 09-12.208 ).

L'adaptation réalisée en fonction de mesures précises n'implique pas une commande spéciale, celle-ci n'existant qu'à partir du moment où une technique de fabrication spécifique doit être mise en ouvre. Revêt ainsi la qualité de vendeur celui qui fourni des produits qui ont nécessité pour leur fabrication la prise en charge de critères particuliers, mais dont cette adaptation réalisée pour chaque commande en fonction de mesures précises n'implique pas pour autant une technique de fabrication spécifique à cette commande, rendant impossible la substitution d'un produit équivalent et n'étant pas incompatible avec une production en série normalisée ( Civ. 3e, 21 oct. 2014, n° 13-21.031; civ. 3ème 9 mars 2017 n°16-12.891).

En conséquence, s'il est ainsi démontré que les meubles commandés ont nécessité pour leur fabrication la prise en charge de critères particuliers, en revanche, cette adaptation réalisée pour chaque commande en fonction de mesures précises n'impliquait pas pour autant une technique de fabrication spécifique à cette commande, rendant impossible la substitution d'un produit équivalent et n'était pas incompatible avec une production en série normalisée. Il s'en déduit que la société Abc Agencement est un vendeur d'éléments sur mesure et n'est pas fondée à revendiquer la qualité de sous-traitant. En outre, la société Abc Agencement n'a même procédé à l'installation sur place. D'ailleurs, son nom ne figure sur aucun procès-verbal de réunion de chantier et ses devis mentionnent 'livraison des modules finis hors installation dans le magasin'.

En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a écarté l'action de la société Abc Agencement sur le fondement de l'existence d'un contrat de sous-traitance qui aurait permis une action directe contre la société Lauda Sports.

Sur le fondement de l'enrichissement injustifié

Selon la cour de cassation, : « l'action de in rem verso ne doit être admise que dans les cas où le patrimoine d'une personne se trouvant, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d'une autre personne, celle-ci ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d'aucune action naissant d'un contrat, d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit, et elle ne peut être intentée en vue d'échapper aux règles par lesquelles la loi a expressément défini les effets d'un contrat déterminé » (Civ., 2 mars 1915, Bull. Chambre civile n 28). Cette action, d'origine prétorienne a été codifiée par l'ordonnance n 2016-131 du 10 février 2016.

L'article 1303 du code civil dispose que 'en dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement'.

Pour que l'action soit recevable, des conditions cumulatives dont la preuve de l'existence incombe à l'appauvri doivent être réunies :

- l'enrichissement du défendeur à l'action, qui peut résulter soit d'une augmentation de l'actif soit d'une diminution du passif ou d'une dépense évitée ;

- l'appauvrissement du demandeur à l'action, qui peut consister soit en une perte quelconque, soit en un manque à gagner ;

- un rapport de causalité entre l'enrichissement et l'appauvrissement, qui peut être direct ou indirect ;

- l'absence de cause justifiant l'enrichissement du défendeur. Cette condition implique que l'action ne peut prospérer si l'enrichissement trouve sa justification soit dans une cause objective (la loi, un acte, un contrat ou un jugement), soit dans une cause subjective (intention libérale de l'appauvri ou intérêt personnel de celui-ci, s'analysant comme une contrepartie à son appauvrissement, voire une obligation naturelle) ;

- l'absence de toute autre action, l'action de in rem verso étant une action subsidiaire, de sorte qu'elle ne peut être utilisée pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut intenter par suite d'un obstacle de droit (notamment, 1 Civ., 23 juin 2010, pourvoi 09-13.812) mais ausi un obstacle de fait qui rend vaine l'action principale, tel que l'insolvabilité du co-contractant, débiteur direct. Dans un tel cas, il n'y a pas d'empêchement à l'action de in rem verso dirigée contre un autre débiteur solvable, indirectement enrichi par l'opération.

En l'espèce, la société Abc Agencement a tenté une action contre la société Indigo. Elle a ainsi obtenu une ordonnance de référé en date du 7 avril 2017 lui allouant une provision de 268 075,43 euros qui correspondait au solde de ses factures impayées. Elle n'a cependant pas engagée d'action au fond en raison du placement en liquidation judiciaire de la société Indigo par le tribunal de commerce de Paris en date du 15 décembre 2017, la société Abc Agencement ayant déclarée sa créance à la liquidation. En conséquence, son action fondée sur l'enrichissement injustifiée est recevable.

Les parties produisent aux débats les pièces suivantes :

' la société Lauda Sports :

- un devis n°1612149 du 7 décembre 2016 non signé non accepté pour le magasin des Arcs d'un montant ht de 250 000 euros (300 000 euros TTC) dont 92 000 euros HT pour le poste agencement représentant 36.8 % du devis HT ;

- un devis n°16121144 du 7 décembre 2016 non signé non accepté pour le magasin de [Localité 5] d'un montant ht de 170 000 euros (204 000 euros ttc) dont 93 500 euros HTpour le poste agencement représentant 55 % du devis HT ;

- des factures d'acomptes et autres documents démontrant qu'elle a payé la somme totale de 456 976 euros soit un solde restant du de 47 024 euros ; Une des factures d'acompte, celle en date du 9 janvier 2017 fait directement référence pour le magasin des arcs au prix total du devis soit 250 000 euros HT.

- une mise en demeure du mandataire judiciaire de la société Indigo en date du 27 juin 2019 sollicitant de la société Lauda Sports le solde encore dû soit 47 024 euros.

' la société Abc Agencement :

- un devis n°D16-3934 du 1 décembre 2016 signé par le vendeur en date du 2 décembre 2016, non accepté, pour les Arcs d'un montant de 147 811,35 euros HT (177 373,62 euros TTC) ;

- un devis n°D16-3914 du 1 décembre 2016 pour [Localité 5] signé par le vendeur en date du 2 décembre 2016, non accepté, d'un montant de 141 171.83 euros HT (169 406.20 euros TTC) ;

- un courriel de la société Indigo à la société Lauda Sports du 1er décembre 2016 auquel étaient joints 'les devis d'agencement' et la mention V5 sur l'intitulé des pièces jointes, mais aussi accompagné d'un courriel du 1er décembre 2016 de la société Abc Agencement à la société Indigo indiquant qu'il s'agissait des devis définitifs ;

- un devis n°D16-3957 du 7 décembre 2016 non signé ni accepté , en date du 7 décembre 2016 pour les Arcs d'un montant de 154 477,88 euros HT (185 373,46 euros TTC) ;

- un devis n°D16-3958 du 7 décembre 2016 pour [Localité 5], non signé, non accepté d'un montant de 1150 463.38 euros HT (180 556,06 euros TTC) ;

- des factures de fournitures et de livraison dont les dates sont comprises entre le 13 décembre 2016 et le 31 janvier 2017.

' la société Abc Agencement produit également des pièces qui concernaient les relations entre la société Lauda Sports et la société Indigo dont elle ne précise pas la façon dont elle en est rentrée en possession :

- 4 échanges entre la société Indigo et la société Lauda Sports en date du 5 décembre 2016 sur l'aspect d'un prototype où il était convenu entre les parties la modification 'du sens du fil sur le socle' sans que cela n'induise manifestement un surcoût ;

- un devis n°1612149 du 7 décembre 2016 non signé non accepté pour le magasin des Arcs d'un montant ht de 376 000 euros (451 200 euros TTC) dont 193 000 euros HT pour le poste agencement représentant 51.33 % du devis HT;

- un devis n°16121144 du 7 décembre 2016 non signé pour le magasin de [Localité 5] d'un montant ht de 250 000 euros (300 000 euros ttc) dont 172 000 euros HTpour le poste agencement représentant 68.80 % du devis HT.

Il est certain que la comparaison entre les devis du 1er décembre 2016 de la société Abc Agencement avec les devis produits par la société Lauda Sports en date du 7 décembre émanant de la société Indigo représentent pour :

- les Arcs, 59 % du devis au lieu de 36.8 %, mais 39 % du devis de la société Indigo à la société Lauda Sports produit par la société Abc Agencement ;

- [Localité 5], 83 % du devis au lieu de 55 %, mais 56,56 % du devis de la société Indigo à la société Lauda Sports produit par la société Abc Agencement.

Cependant, les devis de la société Abc Agencement produits aux débats ni ceux du 1er décembre signés par elle le 2 décembre, ni ceux du 7 décembre ne sont acceptées par la société Indigo. Il n'est pas non plus démontré que la version 5 des devis dont la société Lauda Sports a eu connaissance le 5 décembre soit la même que celle des devis du 1er décembre signé le 2 décembre. La société Abc Agencement ne s'explique sur le fait que ses factures adressées à la société Indigo ne font mention que des devis du 1er décembre (signés par elle-mêm Abc, le deux décembre) et non des seconds devis. Aucune explication n'est avancée sur le fait que la société Indigo n'ait pas répercuté le montant des devis d'agencement sur les devis adressés par elle à son client, compte tenu de la différence de coût. Par ailleurs, la société Abc Agencement ne justifie pas la différence du ratio entre le mobilier de [Localité 5] et de celui des Arcs soit + 17,5%.

En outre, si la société Abc Agencement produit des factures d'achat de fourniture pour un montant de 128 759,35 euros, elle ne démontre pas que toutes ces fournitures ont été destinées à la fabrication des meubles des magasins de la société Lauda Sports. Par ailleurs, elle ne justifie absolument pas pourquoi alors que les deux devis datés du 1er décembre 2016 dont elle a affirmé sur son courriel qu'ils étaient définitifs ont été modifiés postérieurement sans démontrer une demande de modification ou de travaux supplémentaires de la part de la société Indigo, voire même de la société Lauda Sports dont elle a pu manifestement se procurer les échanges.

En réalité, il n'existe aucun élément apportant la preuve que les meubles fournis dans les deux magasins sont d'une valeur supérieure à celle que la société Lauda Sports devait régler soit 185 500 euros HT, réglée à hauteur de 168 192 euros HT (90.67 % selon calcul de première instance), compte tenu de la retenue opérée et réclamée par le mandataire liquidateur de la société Indigo. Il n'existe pas non plus d'élément démontrant que la société Abc Agencement s'est appauvrie de la différence entre le montant facturé par la société Indigo à la société Lauda Sports et le montant qu'elle estime lui devoir être dûe puisqu'elle ne rapporte pas la preuve de devis signés par sa cliente qui n'a versé qu'un acompte de 100 000 euros, sans que la société Abc Agencement ne produise des courriers de relance avant la procédure de référé engagée fin mars 2017.

A défaut de rapporter la preuve de l'existence de toutes les conditions exigées pour que son action au titre de l'enrichissement injustifié soit fondée, ses prétentions à l'encontre de la société Lauda Sports ne peuvent qu'être rejetées et le jugement infirmé de ce chef.

Sur les mesures accessoires

Les mesures accessoires de première instance seront infirmées. Succombant, la société Abc Agencement sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de la scp Saillet & Bozon, sur son affirmation de droit.

L'équité commande de faire droit à la demande d'indemnité procédurale de la société Lauda Sports à hauteur de 4 000 euros.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Constate l'intervention volontaire des organes de la procédure collective de la société Lauda Sports,

Infirme le jugement déféré dans les limites de l'appel sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société Abc Agencement sur le fondement des articles 1303 et suivants du code civil,

Statuant à nouveau,

Déboute la société Abc Agencement de l'ensemble de ses prétentions,

Y ajoutant,

Condamne la société Abc Agencement aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de la scp Saillet & Bozon, sur son affirmation de droit,

Condamne la société Abc Agencement à payer à la société Lauda Sports une indemnité procédurale de 4 000 euros.