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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 28 février 2024, n° 23/00118

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chevrier

Conseillers :

Mme Flauss, Mme Piedagnel

Avocats :

Me Lomari, Me Le Cointre

T. com. mixte Saint-Denis, du 7 déc. 202…

7 décembre 2022

LA COUR

Par jugement du 22 juillet 2022, la SARL Entreprise [C] Famille (société ETF) a été admise au bénéfice d'une procédure de sauvegarde.

Suivant requête du 3 novembre 2022, la SELARL [P], prise en la personne de Me [L] [P], en qualité de mandataire judiciaire, a sollicité la conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire.

M. [C], dirigeant de la société ETF, a comparu.

Le procureur de la République s'est dit favorable à cette conversion, tout comme le juge-commissaire.

C'est dans ces conditions que, par jugement rendu le 7 décembre 2022, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a statué en ces termes :

« CONSTATE la comparution de la société ENTREPRISE [C] FAMILLE SARL.

PRONONCE la conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire de la société ENTREPRISE [C] FAMILLE SARL [Adresse 1] [Adresse 7]

La Montagne [Localité 6] RCS Saint-Denis 439837899

FIXE provisoirement au 31/12/2020 la date de cessation des paiements,

MAINTIENT Monsieur DEGUINE en qualité de juge-commissaire,

NOMME la SELARL [P] prise en la personne de Maître [L] [P], en qualité de liquidateur judiciaire,

DESIGNE la SCP MAYER ET MAYER, en qualité de chargé d'inventaire aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévus à l'article L. 622 6 du code de commerce.

FIXE à deux ans le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée conformément à l'article L. 643-9 du code de commerce,

ORDONNE la publication conformément à la loi, »

* * *

Par déclaration au greffe en date du 19 janvier 2023, M. [C] a interjeté appel de cette décision (RG 23/118)

L'affaire a été fixée à bref délai selon avis en date du 3 mars 2023.

L'intimée s'est constituée par acte du 10 mars 2023.

M. [C] a déposé ses premières conclusions d'appel par RPVA le 3 avril 2023.

La SELARL [P] a déposé ses conclusions d'intimée par RPVA le 11 avril 2023.

Suivant ordonnance de référé du 2 mai 2023, le premier président a rejeté la demande de suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement rendu le 7 décembre 2022.

* * *

Par déclaration au greffe en date du 3 avril 2023, M. [C] a interjeté appel de cette décision (RG 23/432)

* * *

Les deux dossiers ont été joints par mention au dossier.

* * *

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 juin 2023 et l'affaire a reçu fixation pour être plaidée à l'audience de circuit court du 21 novembre 2023.

* * *

Dans ses uniques conclusions transmises par voie électronique le 3 avril 2023, M. [C] demande à la cour, au visa de l'article R. 661-1 du code de commerce, de :

-Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

.Prononcé la conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire de la société ETF,

.Maintenu M. Deguine en qualité de juge-commissaire,

.Nommé la SELARL [P] prise en la personne de Me [L] [P], en qualité de liquidateur judiciaire,

.Désigné la SCP Mayer et Mayer, en qualité de chargé d'inventaire aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévus à l'article L. 622-6 du code de commerce,

.Fixé à deux ans le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée conformément à l'article L. 643-9 du code de commerce,

.Ordonné la publication conformément à la loi,

.Employé les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Statuant à nouveau :

-Rétablir la procédure de sauvegarde judiciaire ouverte le 27 juillet 2022 ;

-Renvoyer la procédure au tribunal mixte de commerce de Saint-Denis aux fins d'éventuelle prolongation de la période d'observation ;

-Statuer ce que de droit sur les dépens.

* * *

Dans ses uniques conclusions transmises par voie électronique le 11 avril 2023, la SELARL [P] demande à la cour, au visa de l'article L. 640-1 du code de commerce, de :

-Constater ne pas être saisie du chef de jugement relatif à la caractérisation d'un état de cessation des paiements préexistant à l'ouverture de la procédure collective de la société ETF et en tirer les conséquences sur la nécessité de conversion de ladite procédure ;

-Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

-Débouter M. [C] de toutes ses autres demandes, fins et prétentions ;

-Dire les dépens employés en frais privilégiés de la procédure.

* * *

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.

* * *

Suivant avis du 29 janvier 2024, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sous quinzaine sur le droit d'agir de M. [C], à l'encontre d'un jugement ouvrant la procédure collective de la SARL Entreprise [C] Famille, personne morale, et partant, de la recevabilité de l'appel de M. [C], personne physique agissant en nom propre à défaut de précision dans l'acte d'appel.

M. [C] a présenté les observations suivantes par messages du 20 février 2024, en substance : Lorsqu'un débiteur a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde il peut, si les conditions sont réunies, soit voir la sauvegarde convertie en redressement judiciaire, soit voir prononcer la liquidation judiciaire. Il n'est guère prévu la faculté de prononcer la conversion d'une sauvegarde en liquidation judiciaire. A fortiori, il n'est pas prévu de limitation des personnes ayant intérêt ou qualité à agir contre de telles décisions. Il s'impose de procéder à une interprétation stricte du texte et de ne poser aucune distinction là où l'article L. 661-1 précité n'en pose pas. Nier au gérant de l'entreprise débitrice le droit d'agir en réformation du jugement ayant prononcé la conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire équivaudrait à ajouter à la loi.

La SELARL [P] a présenté en substance les observations suivantes par message du 22 février 2024 : Tant la déclaration d'appel que la première page des conclusions appelant mentionnent M. [C] appelant en son nom personnel sans aucune mention de sa qualité de dirigeant de la société ENTREPRISE [C] FAMILLE. Aucune régularisation n'est intervenue à ce jour en sorte que votre Cour soulève d'office la question du défaut du droit d'agir de l'appelant et la question subséquente de la recevabilité de l'appel au visa de l'article 122 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la fin de recevoir tirée du défaut de droit d'agir de M. [C]

D'une part,

Aux termes de l'article 122 de code de procédure civile : 'Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'

Il résulte des dispositions des articles 123 et suivants du même code que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, y compris en appel et pour la première fois devant la cour de cassation, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief et alors même que l'irrecevabilité ne résulterait d'aucune disposition expresse.

Les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public, notamment lorsqu'elles résultent de l'inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l'absence d'ouverture d'une voie de recours. Le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

Enfin, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l'instance.

D'autre part,

Selon l'article 31 du code de procédure civile que 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.'

L'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action. Il doit être né et actuel au jour où l'action est exercée, indépendamment des événements postérieurs. Il doit également être légitime, personnel ('Nul ne plaide par procureur') et direct. Il s'apprécie au jour de l'introduction de la demande.

Et l'article 32 du même code dispose que « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ».

En l'espèce, par jugement du 22 juillet 2022 rendu par le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion, la SARL Entreprise [C] Famille (société ETF) a été admise au bénéfice d'une procédure de sauvegarde.

Par jugement rendu le 7 décembre 2022, ce même tribunal a prononcé la conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire de la société ETF.

Par déclaration au greffe en date du 19 janvier 2023, M. [K] [O] [C] a interjeté appel à titre personnel de cette décision (RG 23/118) et a déposé ses premières et uniques conclusions d'appel par RPVA le 3 avril 2023.

Par déclaration au greffe en date du 3 avril 2023, M. [C] a interjeté appel de cette décision (RG 23/432) dans les mêmes conditions.

Les deux dossiers ont été joints par mention au dossier.

Il résulte de ce qui précède que M. [C], personne physique, est dépourvu du droit d'agir à titre personnel l'encontre de la décision du 7 décembre 2022 statuant sur la procédure collective de la SARL ETF, personne morale et alors qu'il n'a pas interjeté appel au nom de celle-ci en vertu du droit propre de la société.

Il s'ensuit que l'appel formé par M. [C] doit être déclaré irrecevable.

Sur les dépens

Monsieur [C], succombant, supportera personnellement les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

DECLARE M. [K] [O] [C] irrecevable en son appel ;

CONDAMNE Monsieur [K] [O] [C] aux dépens.