Cass. crim., 27 février 2024, n° 23-80.950
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Goanvic
Avocat général :
M. Quintard
Avocat :
Me Balat
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'entreprise [W] [1] a été placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire le 24 juin 2020. Ses dirigeants, Mme [D] [J], épouse [W], et M. [Y] [W], ont fait l'objet, le 28 juin 2021, de procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour des escroqueries commises entre les 19 février et 24 juin 2020 et banqueroute.
3. Par ordonnances du 28 juin 2021, le juge délégué par le président du tribunal judiciaire a homologué les peines proposées à l'encontre des époux [W] et a statué sur les intérêts civils, octroyant diverses sommes aux parties civiles, notamment à Mme [B] [S], en réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral.
4. Les prévenus ont formé appel des dispositions civiles des ordonnances d'homologation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté Mme [S] de sa demande en réparation de son préjudice matériel, alors :
« 1°/ d'une part, que l'action civile en réparation du préjudice résultant des délits d'escroquerie et de banqueroute dont les prévenus ont été déclarés coupables a un objet différent de celui visé dans le cadre d'une déclaration de créance, qui constitue une demande en justice spécifique ; qu'en déboutant Mme [S] de sa demande en réparation de son préjudice matériel dirigée contre M. [W] et Mme [J], au motif que « la somme de 4698,21 euros relève d'une créance pouvant être produite devant le mandataire judiciaire chargé de la liquidation (de la société [W] [1]) » (arrêt attaqué, p. 7, § 6), cependant que l'action civile exercée par Mme [S] devant la juridiction pénale tendait à la condamnation de M. [W] et Mme [J] à l'indemniser au titre de l'escroquerie ayant consisté pour eux à s'approprier à titre personnel des chèques censés être établis à l'ordre de la société [W] [1], de sorte que la demande de Mme [S] était sans lien avec l'exécution du contrat conclu avec la société [W] [1], la cour d'appel a violé l'article 313-1 du code pénal et l'article 1240 du code civil ;
2°/ d'autre part, qu'en tout état de cause, le fait que les parties civiles disposent d'une action à l'encontre d'un débiteur ne les empêche pas de demander réparation de leur préjudice à un autre débiteur, le juge devant alors prononcer une condamnation en derniers ou quittance ; qu'en déboutant Mme [S] de sa demande en réparation de son préjudice matériel dirigée contre M. [W] et Mme [J], au motif que « la somme de 4698,21 euros relève d'une créance pouvant être produite devant le mandataire judiciaire chargé de la liquidation (de la société [W] [1]) », cependant qu'à supposer même que Mme [S] ait disposé d'une action à l'encontre de la société [W] [1] au titre du même préjudice, celle-ci ne faisait pas obstacle à une condamnation de M. [W] et de Mme [J] à réparer le préjudice né de l'escroquerie dont ils ont été reconnus coupables, la cour d'appel a violé l'article 313-1 du code pénal et l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale :
6. Il résulte du premier de ces textes que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
7. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Pour débouter la partie civile de ses demandes d'indemnisation au titre des escroqueries commises par les époux [W], l'arrêt attaqué énonce que la société [W] étant en cessation de paiement, les préjudices des parties civiles doivent être distingués selon qu'ils procèdent de leurs créances déclarées dans la procédure collective en raison de l'inexécution d'un engagement contractuel et résultant directement de l'infraction ou bien qu'ils constituent un préjudice particulier distinct.
9. Le juge retient que, selon les dispositions de l'article 654-17 de code de commerce, l'action civile appartient au mandataire judiciaire.
10. Il en déduit que la demande de réparation du préjudice matériel de l'inexécution du contrat conclu avec la société [W] constitue une créance pouvant être produite à la procédure collective.
11. En prononçant ainsi, alors que les prévenus avaient été condamnés du chef d'escroquerie et que la partie civile demandait la réparation du préjudice résultant de cette infraction, la cour d'appel a méconnu les textes et les principes ci-dessus rappelés.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Limoges, en date du 4 janvier 2023, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de réparation du préjudice matériel de Mme [S], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Limoges, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.