CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 29 février 2024, n° 21/08314
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Enviris France (SAS)
Défendeur :
Epalia (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Ranoux-Julien
Avocats :
Me Remy, Me Jeannez, Me Etevenard, Me Duverne-Hanachowicz
EXPOSE DU LITIGE
La société [Localité 5] Emballages, qui dispose d'une plateforme à Castelneau d'Estretefonds et qui appartient au groupe Enviris, a pour activité la récupération et la vente d'emballages, bois, plastiques et cartons, palettes de manutentions et emballage de toute nature ainsi que toute opération de récupération.
La société Epalia a pour activité la récupération, le recyclage et la réparation de palettes.
La société Epalia a conclu avec la société Terreal, spécialisée dans la production de produits en terre cuite, un contrat de tri et de réparation de palettes recyclables à effet du 1er juillet 2017. Le cahier des charges de la société Terreal imposait que ces prestations soient effectuées sur des plateformes situées à proximité de ses usines.
La société Epalia a sous-traité certaines de ces prestations aux sociétés du groupe Enviris : les sociétés [Localité 5] Services Palettes, [Localité 5] Emballages et Allo Palettes.
Le 21 septembre 2017, un contrat de sous-traitance a ainsi été conclu à compter du 1er juillet 2017 entre la société Epalia et la société [Localité 5] Emballages pour une durée de 3 ans renouvelable par tacite reconduction.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 10 septembre 2018, la société [Localité 5] Emballages s'est plainte auprès de la société Epalia d'une baisse importante des palettes confiées depuis le mois de juillet 2018 et d'un volume de palettes confiées depuis le début du contrat insuffisant par rapport au volume annuel fixé et l'a mise en demeure d'exécuter ses obligations contractuelles.
Par courrier en réponse non daté, la société Epalia a contesté ces griefs en soulignant que le contrat les liant ne prévoyait aucun engagement de volume et en invoquant l'exécution défaillante du contrat par sa cocontractante.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 7 novembre 2018, la société [Localité 5] Emballages a pris acte de la résiliation unilatérale et abusive du contrat par la société Epalia à compter du 1er août 2018 et l'a mise en demeure de lui payer une somme de 885.750,10 euros en réparation des préjudices subis.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 18 décembre 2018, la société Epalia a contesté l'arrêt des relations depuis le mois d'août 2018, relevé l'absence d'engagement de volumes dans le contrat et déploré son exécution défaillante par sa cocontractante.
Par acte du 17 décembre 2018, la société [Localité 5] Emballages a assigné la société Epalia devant le tribunal de commerce de Paris en réparation des préjudices résultant de la rupture abusive des relations commerciales.
Par jugement du 6 avril 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- Débouté la société Epalia de sa demande de jonction des affaires 2018070157, 2018070159 et 2918970154,
- Débouté la société [Localité 5] Emballage de toutes ses demandes,
- Condamné la société [Localité 5] Emballages à verser à la société Epalia la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société Epalia du surplus de sa demande à ce titre,
- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au jugement et en a débouté respectivement les parties,
- Condamné la société [Localité 5] Emballages aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 euros dont 12,85 euros de TVA.
Par déclaration du 29 avril 2021, la société Enviris France, venant aux droits de la société [Localité 5] Emballages, a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :
- Débouté la société [Localité 5] Emballages de toutes ses demandes,
- Condamné la société [Localité 5] Emballages à verser à la société Epalia la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement et en déboute respectivement les parties,
- condamné la société [Localité 5] Emballages aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 78,36 euros dont 12,85 euros de TVA
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2023, la société Enviris France, venant aux droits de la société [Localité 5] Emballages, demande, au visa des articles 1101, 1103, 1104, 1231-1, 1170 et 1171 du code civil, de l'article L442-6 2° du code de commerce, des articles 695, 696 et 700 du code de procédure civile, de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 06 avril 2021 (RG 2018070154) ;
En conséquence :
- Juger que la société Epalia a rompu unilatéralement le contrat de sous-traitance en date du 1er août 2018 de part de son inexécution contractuelle,
- Dire que la clause limitative de responsabilité quant au volume de livraisons de palettes au profit de la société Epalia est non-écrite,
En conséquence,
- Dire que le contrat de sous-traitance a été rompu à l'initiative de la société Epalia en date du 1er août 2018,
- Juger que la rupture des relations commerciales en date du 1er août 2018 entre la société Epalia et les filiales de la société Enviris et donc la société [Localité 5] Emballages est abusive,
A titre principal,
Condamner la société Epalia à payer la somme de 875.261,25 euros à la société Enviris, au titre du préjudice financier, outre intérêts à échoir à compter du 07 novembre 2018 ;
Condamner la société Epalia à payer la somme de 5.000 euros à la société Enviris au titre du préjudice d'image :
A titre subsidiaire,
- Condamner la société Epalia à payer la somme de 522.511,30 euros à la société Enviris, au titre du préjudice financier, outre intérêts à échoir à compter du 07 novembre 2018 ;
En tout état de cause,
- Débouter la société Epalia de l'intégralité de ses demandes,
- Condamner la société Epalia à payer la somme de 10.000 euros à la société Enviris au titre des frais irrépétibles outre sa condamnation aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2023, la société Epalia demande, au visa des articles 1103, 1231-1 et 1353 du code civil, de l'article L442-1 du code de commerce et de l'article 700 du code de procédure civile, de :
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 6 avril 2021 en toutes ses dispositions,
- Débouter la société Enviris France venant aux droits de la société [Localité 5] Emballages de l'ensemble de ses demandes,
Et y ajoutant,
- Condamner la société Enviris France venant aux droits de la société [Localité 5] Emballages à payer la somme de 10.000 euros à la société Epalia au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Enviris France venant aux droits de la société [Localité 5] Emballages aux entiers dépens de l'instance.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 octobre 2023.
A l'audience du 15 novembre 2023, la société [Localité 5] Emballages a été invitée à produire en délibéré ses documents comptables pour justifier la marge brute de 97% alléguée et les parties ont été autorisées à adresser à la cour des notes sur le calcul de la marge brute au regard des documents comptables produits.
Le 22 décembre 2023, la société [Localité 5] Emballages a versé aux débats son bilan et son compte de résultat pour l'exercice 2017/2018 ainsi qu'une note en délibéré. Cette note précise que la marge brute de 97% résultait des comptes annuels 2016 et du fait que pour l'exécution du marché Epalia, elle a eu recours à de la sous-traitance. Pour tenir compte des éléments comptables de 2017/2018 et du coût de la sous-traitance, elle estime la marge brute réalisée à 49%.
Dans une note en délibéré du 18 janvier 2024, la société Epalia conteste les calculs opérés dès lors qu'ils font état d'une marge brute et non d'une marge sur coûts variables. En outre, elle constate que les documents comptables produits font état de coûts de main d'œuvre directe qui n'ont pas été compris dans le calcul de la marge effectué par la société [Localité 5] Emballages.
Par une note du 29 janvier 2024, la société [Localité 5] Emballages répond que pour exécuter les nouveaux marchés comme celui confié par la société Epalia, elle recourt à de la sous-traitance de sorte que le coût de sa main d'œuvre propre ne doit pas être pris en compte. Elle estime à 39% la marge sur coûts variables.
MOTIFS
Sur la rupture abusive du contrat
La société [Localité 5] Emballages revendique l'engagement de la responsabilité contractuelle de la société Epalia. Elle lui reproche d'avoir cessé de l'approvisionner en palettes à traiter à compter du 1er août 2018 et de ne pas avoir respecté le volume de 500.000 palettes par an prévu au contrat. Elle fait valoir que ce volume était un élément déterminant de son consentement au contrat dès lors qu'elle avait établi les tarifs pratiqués en fonction de ce volume. Elle affirme qu'entre juillet 2017 et juin 2018, seulement 359.187 palettes lui ont été livrées par la société Epalia, ce qui représentait 71,8% du volume annuel prévu. Elle observe qu'en août 2018, le nombre de palettes livrées s'est élevé à 3.117, ce qui représente 0,6% de l'objectif annuel. Elle considère que la disposition du contrat prévoyant que " ce volume estimatif de palette ne constitue en aucune façon un engagement " doit être réputée non écrite sur le fondement des articles 1170 et 1171 du code civil et de l'article L. 442-6 2° du code de commerce. Elle ajoute qu'aucun manquement grave justifiant la résiliation du contrat à ses torts ne peut lui être reproché.
La société Epalia réplique qu'elle n'a commis aucune faute contractuelle. Elle explique qu'elle n'était soumise à aucun engagement de volume annuel et que le volume inscrit au contrat était estimatif. Elle considère que le contrat lui permettait donc de ne confier, certains mois, aucune palette à sa sous-traitante ou de ne lui confier qu'un volume fluctuant selon les périodes en fonction des propres commandes de son donneur d'ordres. Elle affirme que les dispositions des articles 1170 et 1171 du code civil et de l'article L. 442-6 2° du code de commerce ne sont pas applicables au litige. Elle fait en outre valoir que les relations se sont poursuivies postérieurement au mois d'août 2018. En tout état de cause, elle invoque l'exécution défectueuse de ses obligations par la société [Localité 5] Emballages. Elle affirme en outre que c'est cette dernière qui a définitivement rompu le contrat le 30 janvier 2019 en lui demandant de venir rechercher les palettes stockées sur son site.
L'article 1217 du code civil prévoit que :
"La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter."
L'article 1224 du même code dispose que :
"La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire, soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice."
Les parties s'opposent sur la portée des clauses du contrat. La société Epalia considère qu'en vertu du contrat, elle n'était tenue d'aucune obligation de livraison et pouvait ne livrer aucune palette pendant plusieurs mois ou livrer chaque mois un volume fluctuant. La société [Localité 5] Emballages affirme que le volume estimé de 500.000 palettes par an constituait un élément déterminant de son consentement et que la société Epalia ne peut s'en affranchir en considérant n'être tenue d'aucune obligation sur ce point.
Le contrat litigieux prévoit en son article 1er - Objet du contrat- que :
"Le présent contrat (') a pour objet de fixer les conditions et modalités selon lesquelles le sous-traitant triera, réparera ou mettra au rebus les palettes directement mises à disposition par Terreal et ce dans le cadre et le respect des prestations légales et réglementaires, du contrat ainsi que du contrat principal dont les stipulations et notamment le cahier des charges figurent en annexe 1.
Le contrat concerne un volume d'environ 500.000 palettes par an.
(')".
L'article 4 - Prestations du sous-traitant- indique que :
"4.1 Conformément au cahier des charges, la mission du Sous-Traitant sous sa responsabilité exclusive, comprend notamment :
-traitement des palettes (tri, réparation, mise au rebut, ') pour un volume annuel prévisionnel estimé d'environ 500.000 palettes et ce à l'issue de la montée en charge des palettes recyclables dans le réseau du client. Epalia déclare que ce volume estimatif de palettes ne constitue en aucune façon un engagement de sa part ce que le sous-traitant accepte expressément.
(')".
En l'espèce, le contrat avait pour objet principal le tri, la réparation ou la mise au rebut par la société [Localité 5] Emballages des palettes livrées par la société Terreal, donneur d'ordres de la société Epalia, en contrepartie du versement par cette dernière d'une rémunération forfaitaire valable pour 3 ans de 0,40 euros HT par palette triée et de 2,40 euros HT par palette réparée.
Si les parties ont prévu que le contrat porterait sur un volume d'environ 500.000 palettes par an, la société Epalia a néanmoins indiqué que ce volume était estimatif et ne constituait pas un engagement de sa part.
Selon l'article 1170 du code civil, toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.
Contrairement à ce qu'affirme la société [Localité 5] Emballages, la clause prévoyant que " ce volume estimatif de palette ne constitue en aucune façon un engagement " ne vide pas l'obligation essentielle de la société Epalia de toute substance.
En effet, si la société Epalia ne s'est pas engagée sur la livraison d'un volume défini de palettes à la société [Localité 5] Emballages, la clause litigieuse ne signifie pas qu'elle pouvait s'affranchir de livrer des palettes certains mois ou un volume annuel très éloigné de celui mentionné. Compte tenu des coûts tant matériels et humains induits par le tri et la réparation des palettes ainsi que de la fixation d'une rémunération forfaitaire et fixe sur trois ans, il est évident que les parties ont entendu que le volume de palettes effectivement confié se rapproche du volume indiqué. Ainsi, en portant une indication de volume annuel au contrat, la société Epalia s'est engagée à s'en approcher.
En conséquence, il n'y a pas lieu de réputer non écrite ladite clause.
Il sera en outre rappelé que l'article 1171 du code civil ne s'applique pas aux contrats qui relèvent de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce. Or le présent litige opposant deux commerçants, les dispositions de l'article 442-6 I 2° du code de commerce relatif au déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties sont applicables. Néanmoins il ressort de ce qui précède que la clause litigieuse ne peut pas être à l'origine d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Il n'est pas discuté qu'entre juillet 2017 et juin 2018, la société Epalia a livré seulement 359.187 palettes, ce qui représente 71,83% du volume annuel prévu. En outre, il apparaît que dès le mois de juillet 2018, le nombre de palettes livrées est passé à 15.432, ce qui représente seulement 37% de la moyenne mensuelle, et au mois d'août 2018, le nombre de palettes livrées s'est élevé à 3.117, ce qui représente seulement 7,50% de la moyenne mensuelle estimée au contrat.
Pour justifier cette différence entre le volume projeté et le volume réalisé, la société Epalia se contente d'expliquer que n'ayant aucune obligation de livrer un volume déterminé, elle était libre de ne confier aucune palette à sa sous-traitante ou de ne lui confier qu'un volume fluctuant selon les périodes en fonction des propres commandes de son donneur d'ordres. Ainsi qu'il a été énoncé ci-dessus, la société Epalia s'est engagée à livrer des palettes à la société [Localité 5] Emballages et si le volume annuel de 500.000 palettes porté au contrat était indicatif, elle ne pouvait cependant s'affranchir de son obligation de livraison en confiant à sa cocontractante un volume de palettes annuel très éloigné de celui mentionné. Or il ressort des pièces versées aux débats que la société Epalia a livré au total 359.187 palettes la première année d'exécution du contrat, ce qui représente 71,83% du volume estimatif mentionné au contrat. Mais surtout qu'à compter du mois de juillet 2018, le nombre de palettes confiées à la société [Localité 5] Emballages a drastiquement chuté.
La société Epalia prétend que son donneur d'ordres, compte tenu des graves inexécutions imputables à la société [Localité 5] Emballages dans le traitement des palettes, aurait souhaité que les palettes soient traitées directement par ses soins à compter de juillet 2018. Toutefois elle ne produit aucun justificatif de la volonté émise par la société Terreal ni ne justifie des manquements contractuels invoqués. En effet, il y a lieu de relever que les deux courriels produits aux débats datés du 29 janvier 2018 et du 12 février 2018 font état de quelques erreurs de conformité qui, au regard du volume de palettes traitées, ne revêtaient pas une gravité suffisante pour justifier la résolution du contrat.
Dans ces conditions, le manquement de la société Epalia à son obligation de livrer des palettes à la société [Localité 5] Emballages est caractérisé et justifie la résiliation du contrat à ses torts exclusifs. Il ne peut pas être soutenu par la société Epalia que la société [Localité 5] Emballages serait à l'origine de la résiliation le 30 janvier 2019 en raison de sa demande de reprise du stock de palettes présent sur son site. En effet, il résulte des pièces versées aux débats que l'exécution du contrat a totalement été interrompue le 31 août 2018.
La société [Localité 5] Emballages demande de dire que le contrat a été rompu à l'initiative de la société Epalia à compter du 1er août 2018. Toutefois, eu égard aux éléments précités, il convient de constater la résiliation du contrat aux torts de la société Epalia à compter du 31 août 2018. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur les préjudices
Sur la perte de marge
La société [Localité 5] Emballages se prévaut d'un préjudice financier d'un montant de 818.034,10 euros correspondant à la perte de marge brute, qu'elle estime à 97%, sur 23 mois, soit du 1er août 2018 au 1er juillet 2020, sur la base du tri de 500.000 palettes et de la réparation de 100.000 palettes. A titre subsidiaire, elle estime son préjudice financier à la somme de 465.283,45 euros en se fondant sur la perte de marge brute calculée au regard de son chiffre d'affaires entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018, soit 252.264,52 euros.
La société Epalia affirme que la société [Localité 5] Emballages ne peut revendiquer une marge de 97% compte tenu de la nature de l'activité consistant en de la manutention. Elle ajoute qu'en l'absence d'obligation d'atteindre un volume de 500.000 palettes, la société [Localité 5] Emballages ne peut réclamer une indemnisation sur cette base.
L'article 1212 du code civil dans sa rédaction applicable au litige dispose que :
"Lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme.
Nul ne peut exiger le renouvellement du contrat."
En cas de résiliation anticipée d'un contrat à durée déterminée, l'auteur n'a pas à verser le prix forfaitairement convenu pour l'exécution entière du contrat, mais des dommages et intérêts dont le montant est souverainement déterminé par le juge du fond.
En l'espèce, le préjudice résultant de l'inexécution contractuelle et de la rupture anticipée et fautive du contrat peut être évalué en considération de la perte de la marge brute entre la date de cessation anticipée du contrat et le terme prévu du contrat et du chiffre d'affaires réalisé par la société [Localité 5] Emballages.
En outre, en l'absence d'obligation d'atteindre le volume annuel de 500.000 palettes, la perte de marge subie sera appréciée au regard du chiffre d'affaires réalisé pendant la période d'exécution du contrat.
La société [Localité 5] Emballages revendique un taux de marge de 97%. Pour justifier de ce taux, elle produit une attestation d'un expert-comptable qui se contente d'affirmer que la marge brute pour la prestation de réparation de palettes est de l'ordre de 97% sans expliquer ce calcul.
Or il ressort des éléments comptables produits aux débats en délibéré que la marge brute de la société [Localité 5] Emballages doit être estimée à 49%.
Par ailleurs, il résulte du journal des ventes produit aux débats que la société [Localité 5] Emballages a réalisé un chiffre d'affaires de 297.134 euros HT entre les mois de juillet 2017 et juin 2018, avant la chute du nombre de palettes confiées, soit sur 12 mois, ce qui correspond à un chiffre d'affaires mensuel moyen de 24.761 euros HT.
Or les mois de juillet et août 2018, elle n'a réalisé un chiffre d'affaires que de 21.673 euros HT, soit un chiffre d'affaires mensuel moyen de 10.836,50 euros HT. Il convient ainsi d'estimer la perte de marge subie pour cette période à 13.646 euros [(24.761 - 10.836,50) x2 mois x 49%].
En outre, la marge annuelle moyenne perdue du fait de la rupture du contrat litigieux, doit être estimée à 145.595 euros (297.134 euros x 49%). Or le terme du contrat étant fixé au 1er juillet 2020, il restait à courir une durée de 22 mois au moment de la rupture du contrat, le 31 août 2018. La perte de marge subie par la société [Localité 5] Emballages du fait de la résiliation anticipée du contrat imputable à la société Epalia doit donc être estimée à 266.924 euros (145.595 euros/12 mois x 22 mois).
Le jugement entrepris sera infirmé et la société Epalia sera condamnée à payer à la société [Localité 5] Emballages une somme de 280.570 euros (13.646 euros + 266.924 euros) en réparation du préjudice financier subi.
S'agissant d'une créance indemnitaire et compte tenu de l'infirmation du jugement de première instance, les intérêts au taux légal courront à compter du 6 avril 2021, date de la décision de première instance, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil.
Sur le préjudice lié au coût des licenciements
La société [Localité 5] Emballages affirme avoir été contrainte de licencier quatre salariés à la suite de la "résiliation brutale" du contrat de sous-traitance et sollicite une indemnité de 19.027,85 euros en réparation du préjudice lié au coût des licenciements supporté.
La société Epalia conteste ce chef de préjudice.
La société [Localité 5] Emballages ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre les quatre licenciements allégués et la résiliation fautive du contrat de sous-traitance. En effet, outre le fait que la société [Localité 5] Emballages ne produit pas les contrats de travail et ne justifie du licenciement économique que d'un seul salarié, les dates de départ des salariés concernés ne coïncident pas avec la date de résiliation anticipée du contrat de sous-traitance.
Dans ces conditions, la demande d'indemnisation sur ce point sera rejetée.
Sur le préjudice lié à l'indemnité de résiliation du contrat de location d'un chariot élévateur
La société [Localité 5] Emballages réclame le versement d'une somme de 8.200 euros au titre de l'indemnité de résiliation du contrat de location d'un chariot élévateur.
La société Epalia conteste ce chef de préjudice.
La société [Localité 5] Emballages ne produit aucun justificatif de la nécessité de résilier le contrat de location en raison de la résiliation anticipée du contrat de sous-traitance conclu avec la société Epalia ni même ne justifie avoir exposé une indemnité de résiliation.
Dans ces conditions, la demande d'indemnisation de ce chef sera rejetée.
Sur le préjudice lié aux frais de stockage
La société [Localité 5] Emballages revendique une indemnité de 30.000 euros au titre de frais de stockage des palettes laissées par la société Epalia pendant trois mois après la résiliation du contrat.
La société Epalia conteste ce chef de préjudice.
Pour justifier de son préjudice, la société [Localité 5] Emballages se contente de verser aux débats des factures émises par la SCI Giroud pour des loyers, frais de foncier et d'assurance sans qu'il ne soit possible de déterminer si ces frais ont été exposés pour les besoins du stockage des palettes de la société Epalia.
Dans ces conditions, la demande d'indemnisation de ce chef sera rejetée.
Sur le préjudice d'image
La société [Localité 5] Emballages se prévaut d'un préjudice d'image sans apporter aucun élément le justifiant. Sa demande de ce chef sera écartée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société Epalia succombe à l'instance. Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront infirmées. La société Epalia supportera les dépens de première instance et d'appel. Elle sera condamnée à payer à la société [Localité 5] Emballages une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande sur ce point sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement ;
Constate la résolution du contrat de sous-traitance du 21 septembre 2017 aux torts de la société Epalia à compter du 31 août 2018 ;
Condamne la société Epalia à payer à la société Enviris France, venant aux droits de la société [Localité 5] Emballages une somme de 280.570 euros en réparation du préjudice financier subi avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2021 ;
Rejette les autres demandes d'indemnisation de la société Enviris France, venant aux droits de la société [Localité 5] Emballages ;
Condamne la société Epalia à payer à la société Enviris France, venant aux droits de la société [Localité 5] Emballages une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de la société Epalia sur ce fondement ;
Condamne la société Epalia aux dépens de première instance et d'appel.