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Décisions

Cass. com., 6 mars 2024, n° 23-40.023

COUR DE CASSATION

Arrêt

QPC autres

PARTIES

Demandeur :

Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France

Défendeur :

Jean Caby (SAS), SCP Alpha MJ (ès qual.), Selas MJS Partners (ès qual.), SCP BTSG (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Coricon

Avocat général :

Mme Henry

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix

Douai, 2e ch. sect. 2, du 16 nov. 2023

16 novembre 2023

Faits et procédure

1. La société Jean Caby a souscrit, le 6 avril 2017, un prêt auprès de la Caisse d'Epargne et de prévoyance France Europe et de la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France d'un montant de 10 000 000 d'euros remboursable avec intérêts au taux variable Euribor 6 mois. Le 3 mai 2017, elle a conclu avec la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France (la banque) un contrat d'échange de conditions d'intérêts, dit contrat de swap de taux d'intérêts, échangeant le taux variable Euribor 6 mois contre un taux fixe.

2. Par un jugement du 4 décembre 2017, la société Jean Caby a été mise en redressement judiciaire. La banque a déclaré plusieurs créances dont l'une au titre du solde compensé du contrat d'échanges au 4 décembre 2017 et l'autre au titre de l'indemnité de résiliation prévue à ce contrat.

3. Le 27 juin 2018, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire. Les sociétés MJS Partners et MJ Valem, ultérieurement remplacée par la société BTSG, ont été nommées en qualité de liquidateurs judiciaires.

4. Les liquidateurs judiciaires ayant contesté les créances déclarées par la banque, le juge-commissaire a été saisi.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

5. Par arrêt du 16 novembre 2023, la cour d'appel de Douai a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 211-40 alinéa 1 du code monétaire et financier, applicable aux conventions relatives aux obligations financières, par renvoi à l'article L. 211-36 du même code, lesquelles sont soumises à la résiliation de l'article L. 236-1-1 de ce code, qui déroge au principe d'ordre public de continuation des contrats en cours et à l'interdiction de résilier lesdits contrats à raison de l'ouverture d'une procédure collective, édicté par les dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce, L. 631-14 du code de commerce ainsi qu'à l'article L. 641-11-1 du même code, est-il conforme au principe d'égalité entre les créanciers garanti par l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

6. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la contestation des créances déclarées par la banque au passif de la procédure collective de la société Jean Caby, au titre du solde de résiliation du contrat d'échange de conditions d'intérêts.

7. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

8. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

9. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

10. En effet, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

11. Selon l'article L. 211-40, alinéa 1er, du code monétaire et financier, les dispositions du livre VI du code de commerce, parmi lesquelles celles des articles L. 622-13, L. 631-14 et L. 641-11-1 du code de commerce, ne font pas obstacle à l'application des dispositions du code monétaire et financier relatives aux règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers, incluant les règles résultant de l'article L. 211-36-1 de ce code en vertu desquelles, notamment, les conventions relatives aux obligations financières mentionnées à l'article L. 211-36 sont résiliables.

12. Il en résulte, selon la nature du contrat, une différence de traitement entre les contractants liés à un débiteur en procédure collective par un contrat en cours à la date du jugement d'ouverture. Si le contrat constitue une opération sur instruments financiers soumise aux règles résultant de l'article L. 211-36-1 du code monétaire et financier, il sera susceptible de résiliation par l'organisme financier du seul fait de l'ouverture de la procédure collective de son cocontractant. Si tel n'est pas le cas, aucune résiliation du contrat ne pourra résulter du seul fait de l'ouverture d'une telle procédure, l'administrateur ou le liquidateur étant en mesure, à certaines conditions, d'en exiger l'exécution.

13. D'une part, la différence de traitement instituée à l'article L. 211-40, alinéa 1er précité, règle de façon différente les situations différentes des contractants concernés en rapport direct avec l'objet des règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers, incluant les opérations de swap de taux d'intérêts, destinées à sécuriser ces opérations compte tenu de leur nature particulière.

14. D'autre part, la dérogation ainsi apportée à l'égalité devant la loi par l'article L. 211-40, alinéa 1er du code monétaire et financier, justifiée par un impératif de sécurité juridique et de stabilité du système financier, répond à un motif d'intérêt général également en rapport direct avec l'objet des règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers.

15. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.