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Décisions

Cass. com., 6 mars 2024, n° 22-18.818

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Vallansan

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SCP Marc Lévis, SAS Buk Lament-Robillot, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix

Cass. com. n° 22-18.818

5 mars 2024

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 mai 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com, 20 décembre 2020, pourvoi n° 19-16.542), le 29 mars 2013, la société Overlap a passé commande auprès de la société ETC Métrologie devenue la société Tech Data, aux droits de laquelle vient la société TD Synnex France (le fournisseur), de différents logiciels pour un montant total de 468 124,28 euros. Elle les a aussitôt livrés à la société Euriware, devenue la société Capgemini Technology services (le client final).

2. La société Overlap ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 11 juin 2013 et 11 juin 2014, le fournisseur, qui n'avait pas été payé de ses factures, s'est prévalu d'une clause de réserve de propriété et a adressé à l'administrateur judiciaire de la société Overlap une demande de revendication des logiciels ou à défaut de la créance de prix. Un arrêt du 19 mai 2016 a irrévocablement admis la revendication de créance de prix.

3. Le fournisseur a assigné le client final en paiement de la somme de 468 124,28 euros.

4. La société GE Capital Factofrance, devenue la société Factofrance (l'affactureur), qui avait conclu le 9 avril 2008 avec la société Overlap un contrat d'affacturage portant sur les créances que celle-ci détenait sur ses clients, est volontairement intervenue à l'instance pour réclamer le paiement de la somme de 507 531,39 euros au titre des factures dues par le client final à la société Overlap, aux droits de laquelle l'affactureur soutenait être conventionnellement subrogé.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi incident

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. L'affactureur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de la somme de 380 605,99 euros, alors :

« 1°/ que peuvent être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété, ainsi que le prix ou la partie du prix de ces biens qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure ; que l'octroi de licences portant sur les logiciels ne relève pas de la vente, car il n'y a pas de transfert de propriété sur celui-ci, mais du contrat de louage de choses ; qu'en décidant au contraire, pour débouter la société Factofrance de sa demande en règlement de sa créance de 380 605,99 euros, que "la fourniture d'une clé d'activation permettant le téléchargement du logiciel constitue un acte de vente par ETC du droit d'utilisation de ce logiciel, qui rentre dans les biens tels que prévus au sens de l'article L. 624-16 du code de commerce" et qu'en conséquence "ETC, cédant des licences d'utilisation des logiciels, est fondée à solliciter l'application de la clause de réserve de propriété sur cette cession de droit d'utilisation de ses logiciels", la cour d'appel a violé les articles L. 624-16 et L. 624-18 du code de commerce ensemble les articles 1709 et 1713 du code civil à la lumière des directives n° 2019/770 et n° 2019/771 du 20 mai 2019 ;

2°/ que la cour d'appel a elle-même relevé que selon les conditions générales de vente de la société ETC Métrologie acceptées par la société Overlap, "concernant les logiciels, il est rappelé qu'aucun droit de propriété n'est transféré au client, lequel bénéficie du seul droit d'utilisation conformément aux dispositions de la licence jointe au support" et qu'en décidant au contraire que "ETC, cédant des licences d'utilisation des logiciels, est fondée à solliciter l'application de la clause de réserve de propriété sur cette cession de droit d'utilisation de ses logiciels", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article L. 122-6, 3°, du code de la propriété intellectuelle, sous réserve des dispositions de l'article L. 122-6-1, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur d'un logiciel comprend le droit d'effectuer et d'autoriser la mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d'un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d'un exemplaire d'un logiciel dans le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen par l'auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l'exception du droit d'autoriser la location ultérieure d'un exemplaire.

8. Ces dispositions assurant la transposition de l'article 4, paragraphe 2 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, il y a lieu de les interpréter à la lumière de cet article.

9. Interprétant l'article 4 de la directive 2009/24/CE, la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 3 juillet 2012, Usedsoft, C - 128/11) juge que, selon une définition communément admise, la vente est une convention par laquelle une personne cède, moyennant le paiement d'un prix, à une autre personne ses droits de propriété sur un bien corporel ou incorporel lui appartenant (point 42), et que, dans le cas particulier de la vente d'une copie d'un logiciel informatique, le téléchargement d'une copie d'un programme d'ordinateur et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation se rapportant à celle-ci forment un tout indivisible car le téléchargement d'une copie d'un tel programme est dépourvu d'utilité si ladite copie ne peut pas être utilisée par son détenteur. Ces deux opérations doivent, dès lors, être examinées dans leur ensemble aux fins de leur qualification juridique (point 44). Elle retient que la mise à disposition d'une copie d'un logiciel informatique, au moyen d'un téléchargement, et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation y afférent, visant à rendre ladite copie utilisable par les clients, de manière permanente, et moyennant le paiement d'un prix destiné à permettre au titulaire du droit d'auteur d'obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l'oeuvre dont il est propriétaire, impliquent le transfert du droit de propriété de cette copie (points 45 et 46). La Cour de justice a confirmé sa jurisprudence dans les arrêts du 12 octobre 2016 (Ranks et al.c./ Microsoft corp. et al., C - 166/15) et du 16 septembre 2021 (Software incubator, C - 410/19).

10. Il en résulte que l'article L. 122-6, 3°, du code de la propriété intellectuelle doit être interprété en ce sens que la mise à disposition d'une copie d'un logiciel par téléchargement et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation y afférente visant à rendre ladite copie utilisable par le client de manière permanente moyennant le paiement d'un prix implique le transfert du droit de propriété de cette copie.

11. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principal et incident.