CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 29 février 2024, n° 23/12061
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Ellab (SAS)
Défendeur :
Outlet Invest (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mme Chopin, M. Najem
Avocats :
Me Sebban, Me Ohana, Me Farache
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé du 6 septembre 2019, la société Outlet Invest a donné à bail commercial à la société Ellab des locaux situés au sein du centre commercial Marques Avenues à [Localité 6] (93), pour une durée de dix ans à compter du 4 novembre 2019.
Par acte du 30 janvier 2023, la société Outlet Invest a fait assigner la société Ellab devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de la voir condamner à lui payer une provision de 65.384,70 euros à valoir sur loyers, charges et accessoires impayés au 20 janvier 2023, outre la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Ellab a demandé qu'il soit dit n'y avoir lieu à référé, se prévalant d'une contestation sérieuse tenant au manquement du bailleur à son obligation de commercialité.
Par ordonnance du 15 mai 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a :
condamné la société Ellab à payer à la société Outlet Invest la somme de provisionnelle de 65 384,70 euros à valoir sur les loyers, charges et accessoires impayés au 20 janvier 2023 (échéance du premier trimestre 2023 incluse) ;
suspendu rétroactivement les poursuites à condition que la société Ellab se libère de la provision ci-dessus allouée en 24 acomptes mensuels d'égal montant de 2500 euros sauf la dernière mensualité qui sera majorée du solde ;
dit que ces acomptes mensuels seront à verser en plus des loyers et charges courants, payés aux termes prévus par le contrat de bail ;
dit que le paiement du premier de ces acomptes devra intervenir avant le 5 du mois suivant celui de la signification de l'ordonnance et les suivants avant le 5 de chacun des mois suivants ;
dit qu'à défaut de règlement d'un seul acompte ou d'un seul des loyers courants à leurs échéances :
- l'intégralité de la dette sera immédiatement exigible ;
- les poursuites pour son recouvrement pourront reprendre aussitôt ;
condamné la société Ellab à payer à la société Outlet Invest la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Ellab aux dépens, comprenant les frais d'huissier engagés dans le cadre de la présente instance ;
rappelé que la présente décision est exécutoire par provision.
Par déclaration du 7 juillet 2023, la société Ellab a interjeté appel de cette décision.
La société Ellab a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 31 août 2023. Maître [I] [H] a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 15 septembre 2023, la société Ellab et son mandataire judiciaire demandent à la cour, de :
- recevoir l'intervention volontaire de Maître [H] ès qualités de mandataire judiciaire de la société Ellab ;
- infirmer l'ordonnance en tout point ;
A titre subsidiaire, si l'ordonnance était confirmée :
- fixer la créance au passif de la société Ellab ;
- condamner la société Outlet Invest aux entiers dépens.
En substance, ils font valoir que le montant de la provision n'est pas contesté mais que la demande en paiement du bailleur se heurte à contestation sérieuse en raison du manquement de la société Outlet Invest à son obligation de commercialité, comme l'établit un procès-verbal de commissaire de justice en date du 24 octobre 2024.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 12 octobre 2023, la société Outlet Invest demande à la cour, de :
- confirmer l'ordonnance de référé dans toutes ses dispositions ;
- fixer la créance antérieure privilégiée de la société Outlet Invest à 68.384,70 euros au passif de la société Ellab, en redressement judiciaire ;
- condamner la société Ellab au paiement d'une somme de 18.371,17 euros correspondant aux loyers, charges et accessoire postérieures au redressement judiciaire arrêté au 2 octobre 2023.
Elle expose en substance que le contrat ne met pas d'obligation de commercialité à la charge du bailleur et que selon la Cour de cassation, « le bailleur d'un local situé en centre commercial dont il est propriétaire n'est, à défaut de stipulations particulières du bail, pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre. »
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
En application de l'article 835 alinéa 2 du procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
En l'espèce, la société Ellab oppose à titre de contestation sérieuse à la demande en paiement de sa bailleresse une exception d'inexécution fondée sur le manquement de cette dernière à son obligation de garantir la commercialité du centre commercial dans lequel se trouvent les locaux qui lui sont donnés à bail.
Le premier juge a toutefois considéré à bon droit que cette contestation n'est pas sérieuse.
En effet, la Cour de cassation juge de manière constante qu'il résulte de l'article 1719 du code civil que le bailleur est obligé, par la nature même du contrat de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, sans être tenu, en l'absence de clause particulière, d'en assurer la commercialité.
Or en l'espèce, le bail ne met pas d'obligation de commercialité à la charge du bailleur, stipulant à son article 1.4 que si le bailleur s'engage à mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour commercialiser les locaux du centre, il ne peut en aucun cas fournir ou garantir aux exploitants du centre une quelconque commercialité, un taux d'occupation donné ou un quelconque chiffre d'affaires, le preneur déclarant pour sa part, en tant que professionnel, contracter en acceptant les aléas économiques pouvant résulter des évolutions et/ou modifications technologiques de l'économie nationale ou internationale, de la zone d'implantation du centre, de la concurrence, du dynamisme, des commerçants, du maintien, de la transformation ou de la disparition des commerces constituant le Centre, acceptant d'en assumer le risque par dérogation aux dispositions de l'article 1195 du code civil et renonçant par ailleurs à tout recours à l'encontre du bailleur de ces chefs.
La contestation soulevée n'est donc pas de nature à faire obstacle à la demande en paiement provisionnel de la société Outlet Invest au titre des loyers et charges impayés par la société Ellab, dont le quantum n'est pas contesté.
Cependant, s'agissant des loyers et charges échus avant l'ouverture du redressement judiciaire de la société Ellab, survenu le 30 août 2023, la cour ne peut qu'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a prononcé condamnation à l'encontre de la société Ellab en lui allouant des délais de paiement et, statuant à nouveau, non pas fixer la créance antérieure de la société Outlet Invest comme celle-ci le demande à la cour, mais déclarer irrecevable sa demande en paiement.
Il convient en effet de rappeler que l'instance en cours au sens de l'article L.622-21 du code de commerce et qui est interrompue par l'ouverture de la procédure collective est celle qui est engagée devant la juridiction du fond. L'instance en référé-provision n'est donc pas interrompue par la survenue de la procédure collective, mais soumise à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, la décision sur la créance appartenant au juge-commissaire.
Par contre, le juge des référés peut ici entrer en voie de condamnation provisionnelle s'agissant des loyers et charges échus postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire de la société Ellab, dont le montant se chiffre à la somme de 18.371,17 euros au titre des loyers et charges échus du 31 août 2023 au 31 décembre 2023 suivant décompte produit en pièce 17 par l'intimée et non contesté par l'appelante. Il s'agit en effet de créances nées postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Ellab et qui sont utiles au bon déroulement de son redressement judiciaire de même qu'elles constituent la contrepartie de la mise à disposition des locaux nécessaires à la poursuite de l'activité commerciale de la société.
Cette créance postérieure n'est pas soumise à l'arrêt des poursuites conformément aux dispositions de l'article L.622-17 du code de commerce.
L'ordonnance entreprise sera infirmée sauf en ce qu'elle a écarté la contestation soulevée par la société Ellab et sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, qui ont été justement appréciés.
Statuant à nouveau et y ajoutant, la cour déclarera la société Outlet Invest irrecevable en sa demande en paiement d'une provision au titre des loyers et charges échus avant le 31 août 2023 et condamnera la société Ellab au paiement d'une provision de 18.371,17 euros au titre des loyers et charges échus du 31 août 2023 au 31 décembre 2023.
Perdant en appel, la société Ellab sera condamnée aux dépens de cette instance.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a écarté la contestation de la société Ellab tenant au manquement du bailleur à son obligation de commercialité, et en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme pour le surplus au vu du redressement judiciaire de la société Ellab, prononcé le 31 août 2023,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare la société Outlet Invest irrecevable en sa demande de provision relative aux loyers et charges échus avant le 31 août 2023,
Condamne la société Ellab à payer à la société Outlet Invest la somme provisionnelle de 18.371,17 euros TTC au titre des loyers et charges échus du 31 août 2023 au 31 décembre 2023,
Condamne la société Ellab aux dépens de l'instance d'appel,
Rejette toute demande plus ample ou contraire.