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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 29 février 2024, n° 22/15514

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Leclerc (SCI)

Défendeur :

So.Ha.Co (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Lebée

Avocats :

Me Regnier, Me Spiegel Simet, Me Etevenard, Me Machinet

TJ Créteil, 3e ch. civ., du 18 janv. 202…

18 janvier 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous signature privée du 31 décembre 1990, la SCI [Localité 4] Leclerc a donné à bail à la SA So.Ha.Co des locaux commerciaux situés au [Adresse 1]/[Adresse 3] à [Localité 4] (94), pour une durée de trois/six/neuf ans à compter du 1er janvier 1991 et contre paiement d'un loyer annuel de 140.000 francs. Les locaux consistent en plusieurs bâtiments à usage de bureaux, stockage, local social, archives et production industrielle, un pavillon d'habitation, des aires de stationnement et des espaces verts.

Dans un jugement du 12 novembre 2013 confirmé par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 16 décembre 2015, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Créteil a constaté le renouvellement du bail à compter du 1er février 2009 et fixé le loyer à la somme annuelle de 95.500 €.

Par exploit d'huissier signifié le 13 novembre 2014, la SCI [Localité 4] Leclerc a fait commandement à la SA So.Ha.Co de payer la somme totale de 57.651,76 €, visant en outre la clause résolutoire du bail.

Par acte sous signature privée du 16 juin 2015, les parties ont conclu un protocole d'accord transactionnel portant sur le paiement d'arriérés de loyer.

Par un jugement prononcé le 14 septembre 2015, et assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Créteil a notamment :

« - condamné la SCI [Localité 4] Leclerc à réaliser, à ses frais, les travaux nécessaires à la suppression des désordres de la couverture du bâtiment D visés dans le rapport de Monsieur [L] (page 35), listés dans le rapport de M. [V] (pièce n° 11 annexée au rapport d'expertise) et dont le chiffrage s'élève à la somme de 277.582,16 € ;

- dit que cette obligation de faire devra être exécutée dans un délai de huit mois qui commencera à courir un mois après la signification du présent jugement ;

- à réaliser, à ses frais, les travaux de mise en conformité des lanterneaux de désenfumage des bâtiments imposés par la Préfecture du Val de Marne et ce dans les délais prescrits par l'autorité administrative ».

Par exploit d'huissier signifié le 09 décembre 2016, la SCI [Localité 4] Leclerc a fait commandement à la société SO.HA.CO de lui payer la somme de 85.950 €.

Dans un arrêt prononcé le 14 juin 2017, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement précité en toutes ses dispositions, et a assorti certaines condamnations d'une astreinte. Cet arrêt a été signifié à la SCI [Localité 4] Leclerc par exploit d'huissier du 10 novembre 2017.

Par exploit d'huissier signifié le 29 juin 2018, la SCI [Localité 4] Leclerc a fait notifier à la SA So.Ha.Co un congé avec refus de renouvellement sans paiement d'une indemnité d'éviction, à effet au 31 décembre 2018, invoquant un défaut de paiement des loyers à leur échéance et des taxes foncières, ainsi qu'une impossibilité de continuer à exploiter les locaux.

Saisi d'une demande en paiement au titre de loyers impayés par le bailleur, le juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil a dit n'y avoir lieu à référé et a autorisé la SA So.Ha.Co à « séquestrer les loyers sur un compte CARPA jusqu'à la justification du respect de ses obligations par la SCI [Localité 4] Leclerc », par ordonnance du 17 octobre 2019. Cette décision a été confirmée en toutes ses dispositions par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 16 octobre 2020.

Par exploit d'huissier signifié le 27 décembre 2019, la SA So.Ha.Co a fait assigner la SCI [Localité 4] Leclerc devant le tribunal de grande instance de Créteil ' devenu tribunal judiciaire de Créteil.

Par jugement avant dire droit et en premier ressort du 18 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Créteil a :

- constaté l'expiration du bail liant la SCI [Localité 4] Leclerc et la SA So.Ha.Co au 31 décembre 2018, date d'effet du congé signifié par le bailleur ;

- désigné en qualité d'expert M. [W] [C] avec mission de rechercher, en tenant compte de la nature des activités professionnelles autorisées par le bail, de la situation et de l'état des locaux, tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction, au jour le plus proche de la libération des lieux, d'apprécier si l'éviction entraînera la perte du fonds ou son transfert et de déterminer la valeur locative du local commercial loué par la SA So.Ha.Co à la date du 1er janvier 2019, lendemain de la prise d'effet du congé et point de départ de la dette d'indemnité d'occupation

- dit que la SA So.Ha.Co sera redevable d'une indemnité d'occupation provisoire égale au montant du dernier loyer avant la prise d'effet du congé le 1er janvier 2019, et qu'elle demeure autorisée à les consigner sur un compte CARPA ;

- réservé les dépens et toutes autres demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

La SA SO.HA.CO a présenté le 18 février 2022 une requête en rectification matérielle.

Par jugement du 18 mars 2022, le tribunal judiciaire de Créteil a :

- rejeté la requête ;

- dit que la SA So.Ha.Co supportera la charge des dépens par elle exposés.

Par déclaration du 30 août 2022, la SCI [Localité 4] leclerc a interjeté appel de ces jugements s'agissant du droit à indemnité d'éviction de la SA So.Ha.Co et de la désignation d'un expert aux fins notamment d'évaluer le montant de cette indemnité ainsi que le montant de l'indemnité d'occupation, outre le maintien de l'autorisation de séquestration sur un compte CARPA des loyers et indemnité d'occupation.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 novembre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées le 19 mai 2023 par lesquelles la SCI [Localité 4] Leclerc, appelante, demande à la Cour de :

Sur appel principal de la SCI [Localité 4] leclerc :

- dire et juger l'appel de la SCI [Localité 4] Leclerc recevable et bien fondé ;

- infirmer les jugements des 18 janvier 2022 et 18 mars 2022 en ce qu'ils ont :

* jugé que la SA So.Ha.Co a droit au paiement d'une indemnité d'éviction ;

* désigné en qualité d'expert M. [C] avec pour mission notamment de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction au jour le plus proche de la libération des lieux, d'apprécier si l'éviction entraînera la perte du fond ou son transfert, déterminer la valeur locative du local commercial loué par la SA So.Ha.Co à la date du 1er janvier 2019, lendemain de la prise d'effet du congé et point de départ de la dette d'indemnité d'occupation;

* dit que la SA So.Ha.Co demeure autorisée à consigner les loyers et indemnités d'occupation sur un compte CARPA ;

* réservé les dépens et toute autre demande ;

* ordonné l'exécution provisoire.

Et statuant à nouveau,

- dire et juger les demandes de la SA So.Ha.Co irrecevables, en tout cas mal fondées ;

- en débouter intégralement la la SA So.Ha.Co ;

En conséquence,

- dire et juger, en tant que de besoin constater que le bail entre les parties a pris fin au 31 décembre 2018 par l'effet du congé portant refus de renouvellement sans indemnité signifié le 29 juin 2018 ;

- dire et juger que le congé du 29 juin 2018 est valable et repose sur des motifs graves et légitimes ;

- dire et juger, en tant que de besoin constater que la SA So.Ha.Co n'a droit à aucune indemnité ;

- condamner la SA So.Ha.Co et tous autres occupants de son chef à évacuer de corps et de biens les locaux qu'elle occupe sis [Adresse 1] à [Localité 4], sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la date de signification du jugement, au besoin avec le concours et l'assistance de la force publique;

- condamner la SA So.Ha.Co à payer à la SCI [Localité 4] Leclerc la somme de 375.628,80 € au titre des loyers et charges, avec intérêts au taux légal à compter des échéances respectives ;

- dire et juger que la SA So.Ha.Co est redevable d'une indemnité d'occupation à l'égard de la SCI [Localité 4] Leclerc à compter du 1er janvier 2019 et jusqu'à parfaite évacuation des locaux ;

- fixer à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la SA So.Ha.Co à compter du 1er janvier 2019 jusqu'à libération effective des lieux et remise des clés au bailleur ou à un mandataire de son choix à un montant mensuel de 9.550 €, charges et taxes, impôts et redevances dus selon le bail en sus ;

- réserver à la SCI [Localité 4] Leclerc de parfaire ce chiffrage conformément aux dispositions de l'article L. 145-28 du code de commerce ;

- condamner la SA So.Ha.Co à régler cette indemnité d'occupation à compter du 1er janvier 2019 jusqu'à libération effective des lieux et remise des clés ;

- dire et juger que cette indemnité d'occupation est payable dans les mêmes conditions que les loyers et charges habituels et sera indexée annuellement sur l'indice ICC de l'INSEE, l'indice de base avant la résiliation étant le dernier publié au 1er janvier 2019 et l'indice d'indexation le trimestre correspondant de chaque année d'indexation suivante ;

- condamner la SA So.Ha.Co à payer à la SCI [Localité 4] Leclerc la somme provisionnelle de 448.850 € à valoir sur les indemnités d'occupation dues au jour des présentes, avec intérêts au taux légal à compter des échéances respectives ;

- condamner la SA So.Ha.Co à prendre en charge l'intégralité des frais d'investigations et de diagnostics de pollution, ainsi que les frais de dépollution du site qu'elle occupe ;

Sur appel incident de la SA SO.HA.CO :

- dire et juger les demandes formées par la SA So.Ha.Co à titre d'appel incident irrecevables, subsidiairement mal fondées ;

- l'en débouter ;

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la juridiction jugerait que la SA SO.HA.CO a droit à une indemnité d'éviction :

- ordonner la compensation de la créance détenue par la SCI [Localité 4] Leclerc au titre des loyers, des indemnités d'occupation et des frais de dépollution, avec celle de la SA So.Ha.Co au titre de l'éventuelle indemnité d'éviction, et constater en conséquence le paiement de l'indemnité d'éviction entre les mains de la demanderesse ;

- renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire de Créteil afin que soit débattue la question de l'indemnité d'éviction ;

En tout état de cause :

- condamner la SA So.Ha.Co à payer à la SCI [Localité 4] Leclerc la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SA So.Ha.Co aux entiers frais et dépens ;

- débouter la SA So.Ha.Co de l'ensemble de ses moyens, demandes, fins et conclusions ;

- écarter l'exécution provisoire du jugement de première instance.

Vu les conclusions déposées le 21 novembre 2023 par lesquelles la SA So.Ha.Co, intimée, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement du 18 janvier 2022 en ce qu'il a jugé que la SA So.Ha.Co a droit au paiement d'une indemnité d'éviction et a désigné M. [C] en qualité d'expert judiciaire avec pour mission de déterminer l'indemnité d'éviction due à la SA So.Ha.Co et l'indemnité d'occupation due par le preneur à compter du 1er janvier 2019;

En conséquence :

- juger et déclarer que le congé avec refus de renouvellement délivré par la SCI [Localité 4] Leclerc ne repose sur aucun motif grave et légitime,

- juger et déclarer que le congé avec refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes délivré par la SCI [Localité 4] Leclerc doit dégénérer en congé avec offre d'indemnité d'éviction à la SA So.Ha.Co,

- juger et déclarer que la SA So.Ha.Co a droit au paiement d'une indemnité d'éviction, et fixer le montant de l'indemnité d'éviction due par le Bailleur à la SA So.Ha.Co à la somme de 2.000.000€ en principal, augmentée des indemnités accessoires d'un montant de 346.044,75 €, à parfaire au jour de la décision à intervenir et condamner la SCI [Localité 4] Leclerc au paiement desdits montants,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a désigné M. [C] en qualité d'expert judiciaire avec pour mission de déterminer l'indemnité d'éviction due à la SA So.Ha.Co et l'indemnité d'occupation due par le preneur à compter du 1er janvier 2019,

- dit que la SA So.Ha.Co sera redevable d'une indemnité d'occupation provisoire égale au montant du dernier loyer avant la prise d'effet du congé le 1er janvier 2019 et qu'elle demeure autorisée à les consigner sur un compte CARPA,

En tout état de cause,

- débouter la SCI [Localité 4] Leclerc de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

- condamner la SCI [Localité 4] Leclerc au paiement de la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI [Localité 4] Leclerc aux entiers dépens, incluant les frais d'expertise.

SUR CE,

1) Sur le droit à indemnité d'éviction

- Sur le droit à indemnité d'éviction

Selon l'article L. 145-14 du code de commerce, le refus de renouvellement signifié par le bailleur met fin au bail mais ouvre droit au profit du locataire à une indemnité d'éviction.

En application de l'article L. 145-17 du code du commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail commercial sans être tenu au paiement d'aucune indemnité :

1° s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. Toutefois, s'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l'article L. 145-8, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser, cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa'.

2° S'il est établi que l'immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d'insalubrité reconnue par l'autorité administrative ou s'il est établi qu'il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état. II.-En cas de reconstruction par le propriétaire ou son ayant droit d'un nouvel immeuble comprenant des locaux commerciaux, le locataire a droit de priorité pour louer dans l'immeuble reconstruit, sous les conditions prévues par les articles L. 145-19 et L. 145-20.

Aux termes de l'article 1219 du code civil, une partie peut refuser d'exécuter son obligation contractuelle alors même qu'elle est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

En l'espèce, par acte du 29 juin 2018, la SCI [Localité 4] Leclerc a fait signifier à la SA So.Ha.Co un congé à effet du 31 décembre 2018 refusant au preneur le renouvellement du bail et tout paiement d'une indemnité d'éviction, invoquant comme motifs un défaut de paiement des loyers et des taxes foncières à leur échéance, ainsi qu'une « impossibilité de continuer à utiliser les locaux qui sont affectés de désordres assimilés à une perte totale de la chose ».

Pour juger que la SA So.Ha.Co avait droit à une indemnité d'éviction suite à la délivrance dudit congé, le premier juge a relevé que :

- si le défaut de paiement des loyers et charges depuis le 1er janvier 2016 est établi par les pièces produites et non contesté, la SA So.Ha.Co oppose à son bailleur une exception d'inexécution, que tout locataire peut valablement invoquer pour refuser de payer ses loyers, s'il parvient à démontrer que l'inexécution de ses obligations par le bailleur est suffisamment grave ;

- s'il est établi que la SA So.Ha.Co a consigné la somme totale de 162.350 € sur un compte CARPA au 26 octobre 2021, après y avoir été autorisée par une ordonnance de référé du 17 octobre 2019 confirmée en appel, et que cette somme ne couvre pas l'intégralité des sommes exigibles au titre du bail depuis le 1er janvier 2016 (date à laquelle le preneur a cessé tout paiement) et jusqu'à l'échéance du bail, que le bailleur évalue à la somme de 375.628,80 euros, ni les sommes exigibles au titre de l'occupation des locaux depuis le 1er février 2018, il n'en demeure pas moins qu'au regard des éléments produits aux débats, la SA So.Ha.Co apparaît bien fondée à opposer l'exception d'inexécution à son bailleur ;

- en effet, si la SCI [Localité 4] Leclerc a été condamnée par un jugement du tribunal de grande instance de Créteil prononcé le 14 septembre 2015 à faire réaliser des travaux de réfection de la toiture du bâtiment D et des travaux de mise en conformité des lanterneaux de désenfumage des bâtiments imposés par la Préfecture du Val-de-Marne, et ce dans un délai de huit mois à compter de la signification de la décision, et que ce jugement, assorti du bénéfice de l'exécution provisoire, a été confirmé par un arrêt du 14 juin 2017, il est cependant établi et non contesté que la SCI [Localité 4] Leclerc n'a pas fait procéder aux travaux nécessaires, si bien que cette inexécution des obligations découlant de décisions de justice, d'une particulière gravité, justifie le refus de paiement des loyers et charges par la SA So.Ha.Co ;

- si la SCI [Localité 4] Leclerc se prévaut d'une stipulation du bail indiquant que le preneur s'oblige « à ne pouvoir adresser aucune réclamation au bailleur en cas notamment d'arrêt d'électricité, en cas d'humidité ou d'inondation provenant notamment du toit », ce moyen est néanmoins inopérant dès lors qu'aucune clause ne peut avoir pour effet d'exonérer le bailleur de son obligation de délivrance conforme, qui n'apparaît pas satisfaite en l'espèce au regard de l'état très fortement dégradé de la toiture du bâtiment D ' démontré par les rapports du 4 juin 2010 et du 30 juin 2018, et relevé par les décisions de justice successives intervenues entre les parties, ce d'autant que le litige portant sur l'inexécution de condamnations en justice, le bailleur ne peut valablement invoquer une quelconque stipulation du bail pour justifier le défaut de réalisation des travaux dans les délais impartis ;

- si le bailleur se prévaut également d'une impossibilité absolue de faire réaliser les travaux nécessaires, soutenant qu'au regard de l'état de la toiture, il serait nécessaire de reconstruire le bâtiment en sa totalité, une telle impossibilité n'apparaît pas démontrée à l'examen des pièces produites par la SCI [Localité 4] Leclerc elle-même, le rapport établi par la société SOCOTEC estimant ainsi notamment que « toute intervention en toiture nécessite, aussi bien pour un remplacement à l'identique ou par un autre système nécessite au préalable des travaux de charpente (bois et métallique) afin de garantir la pérennité de la construction », ce qui induit justement que la construction peut être sauvegardée par une réfection de la charpente, la société Couvreurs de France estimant quant à elle qu'il serait nécessaire de « refaire une nouvelle ossature métallique et des puits d'ancrage en béton », mais aucunement de procéder à la démolition-reconstruction du bâtiment ;

- à titre surabondant, il est relevé que la SCI [Localité 4] Leclerc n'avait en tout état de cause pas satisfait aux conditions de forme de mise en œuvre d'un congé sans offre de renouvellement et sans paiement d'une indemnité d'éviction, la SCI [Localité 4] Leclerc ne justifiant pas avoir préalablement mis en demeure le preneur par acte extrajudiciaire de cesser l'inexécution invoquée en reproduisant les termes de l'article L. 145-27 du code de commerce avant la délivrance du congé le 29 juin 2018 ;

- ainsi, le défaut d'exécution de ses obligations par la SCI [Localité 4] Leclerc justifie l'absence de règlement total du loyer et des charges, le bailleur ne démontrant pas l'existence du défaut de paiement des loyers et taxes foncières reproché à la SA So.Ha.Co ;

- la SCI [Localité 4] Leclerc ne peut valablement se prévaloir l'impossibilité d'occuper les locaux sans danger pour la SA So.Ha.Co dès lors que les travaux de réfection auraient dû être réalisés depuis désormais plusieurs années, et que cet état de dangerosité avéré n'aurait pas perduré à la date du congé si elle avait exécuté les obligations mises à sa charge ;

- si la SCI [Localité 4] Leclerc estime que les désordres sont assimilables à la perte de la chose louée, cette argumentation ne saurait prospérer dès lors que plusieurs bâtiments sont donnés à bail et que seul un bâtiment présente des dégradations importantes, et qu'elle n'établit pas davantage une impossibilité pour la SA So.Ha.Co de poursuivre l'exploitation, la SA So.Ha.Co exploitant le bâtiment D sans discontinuer jusqu'à ce jour ;

- ainsi, le bail liant la SCI [Localité 4] Leclerc et la SA So.Ha.Co a pris fin le 31 décembre 2018, date d'effet du congé signifié par le bailleur, qui, ne pouvant justifier d'un motif prévu à l'article L. 145-17 du code de commerce, ouvre droit pour le preneur au paiement d'une indemnité d'éviction.

La SCI [Localité 4] Leclerc laquelle sollicite l'infirmation du jugement querellé de ce chef, fait valoir pour l'essentiel que l'absence de paiement des loyers et charges par la SA So.Ha.Co depuis le 1er janvier 2016, soit depuis plus de 5 ans, constituerait un motif grave et légitime pouvant justifier un refus de renouvellement sans indemnité, dès lors qu'au jour de la délivrance du congé, la preneuse était redevable au titre des loyers, d'un montant de 257.850 €, correspondant aux loyers des années 2016 et 2017 et du premier trimestre 2018 et au titre des impayés de taxe foncière 2015, 2016 et 2017, d'un montant de 22.636,80 €, la bailleresse étant ainsi bien fondée à refuser le renouvellement du bail en raison de l'inexécution par le preneur de ses obligations essentielles de payer les loyers et taxes foncières, les loyers n'ayant jamais été consignés et les indemnités d'occupation dues depuis la prise d'effet du refus de renouvellement non réglées.

Elle récuse le bénéfice pour la preneuse de l'exception d'inexécution, dès lors que la SA So.Ha.Co était simplement autorisée à consigner les "loyers", à compter de la signification de l'ordonnance référé du 17 octobre 2019, sans que ne soient visés les montants dont la preneuse était redevable au jour de la délivrance du congé et qui demeurent impayés à ce jour.

Elle ajoute que conformément aux stipulations contractuelles, le bénéfice de l'exception d'inexécution ne peut être invoqué en matière de désordres en provenance de la toiture de l'un des bâtiments, l'exception d'inexécution obéissant de surcroît à un principe de proportionnalité, qui ferait défaut en l'espèce, le défaut de réfection de la couverture et de mise en conformité des lanterneaux sur l'un des bâtiments du site ne pouvant justifier l'absence de règlement du loyer et d'une indemnité d'occupation depuis plus de 6 ans, conduisant à un arriéré global à ce jour d'un montant de 824.478,80 €, alors que les travaux de remise en état avaient été estimés à un montant de 277.582,16 €, caractérisant ainsi une disproportion manifeste.

Elle souligne l'impossibilité de réaliser les travaux prévus par décision judiciaire, que la preneuse ne peut reprocher un quelconque manquement à la bailleresse qui, de bonne foi, a entrepris toutes les démarches en vue d'effectuer les travaux qu'elle a été condamnée à réaliser ; que la bailleresse a autorisé son locataire à effectuer les travaux en en déduisant le coût des loyers et indemnités d'occupation consignées, cela n'ayant pas été suivi d'effets ; que dès lors, la preneuse ne saurait se prévaloir de l'exception d'inexécution.

Enfin, la SCI [Localité 4] Leclerc excipe de la dangerosité du local loué, justifiant la délivrance du congé au regard des dispositions de l'article L. 145-17 alinéa 2 du code de commerce, sans qu'il soit besoin d'un arrêté de péril ou injonction administrative de démolition dès lors qu'il est établi que l'immeuble ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état, les désordres l'affectant étant assimilables à une perte de la chose louée, conformément aux termes du congé, ce motif lié à un état de fait objectif, qu'il suffit de caractériser pour emporter l'absence d'indemnité.

Elle relève à ce titre que la preneuse ne saurait prétendre que l'état de la toiture résulterait de la mauvaise volonté du bailleur, alors même que la SCI [Localité 4] Leclerc a mandaté des sociétés spécialisées ayant conclu à l'impossibilité technique de réaliser les travaux strictement définis par le tribunal et que l'état actuel de la toiture n'est pas la conséquence de l'absence de réalisation de ces travaux, de sorte que la bailleresse pourrait ainsi valablement refuser le renouvellement sans indemnité, quand bien même les réparations seraient à sa charge.

La SA So.Ha.Co sollicite la confirmation du jugement entrepris de ce chef, en excipant de son droit au bénéfice de l'indemnité d'éviction dès lors que si la bailleresse fonde ses demandes sur le non-paiement répété par la preneuse de ses loyers et de la taxe foncière, la SCI [Localité 4] Leclerc n'aurait elle-même jamais exécuté ses obligations nées de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 juin 2017 l'ayant condamnée à faire réaliser des travaux de réfection de la toiture, ainsi que l'installation de lanterneaux de désenfumage et la réalisation d'un diagnostic amiante, le tout sous astreinte, cette inaction ayant ainsi largement contribué à l'état de délabrement de cette toiture.

Elle relève que si le bail stipule l'impossibilité pour le locataire d'adresser une réclamation au bailleur en cas d'humidité ou d'inondation provenant du toit, cette stipulation n'aurait toutefois aucun impact sur l'issue du litige en cours, les travaux de toiture consistant en la réfection totale de la toiture et ayant été ordonnés par une décision de justice revêtue de la force exécutoire.

La SA So.Ha.Co souligne par ailleurs que l'impossibilité de réaliser les travaux invoquée par la SCI [Localité 4] Leclerc ne serait pas établie, la société mandatée n'énonçant pas que le bâtiment devrait être reconstruit pour pouvoir remplacer la toiture, mais que les travaux ne pourraient être réalisés qu'à certaines conditions très précises, ce qui n'induirait pas que le bâtiment doive être entièrement reconstruit, aucun avis du bureau d'études LDV sur lequel s'appuie la bailleresse n'étant versé aux débats, l'inexécution de ces décisions entraîne un lourd préjudice pour la preneuse, laquelle est ainsi bien fondée à invoquer l'exception d'inexécution pour suspendre le paiement de ses loyers, le principe de proportionnalité étant respecté, la société demanderesse étant débitrice envers sa locataire de la somme totale de 359.000 €, qui n'a jamais été versée par la bailleresse.

Enfin, la SA So.Ha.Co observe que la SCI [Localité 4] Leclerc n'établirait pas davantage l'impossibilité d'occuper les locaux loués, ce motif ne constituant en aucun cas un motif permettant au bailleur de ne pas offrir à son locataire le paiement d'une indemnité d'éviction et ne se fondant au surplus sur aucun texte.

Elle relève à ce titre que la bailleresse fonde son argumentation en droit en invoquant les dispositions de l'article L. 145-17 du code de commerce, sans donner d'élément de nature à étayer l'existence d'un état d'insalubrité reconnu par une autorité administrative alors que ce critère est celui qui légitime une absence de paiement d'indemnité d'éviction, le fait qu'un seul bâtiment du site soit affecté par les désordres de toiture n'ayant pas pour effet de limiter les effets néfastes des désordres à une part de l'exploitation, de sorte qu'il convient en application de l'article L. 145-14 du code de commerce, de juger que le congé avec refus de renouvellement signifié à la preneuse ne repose sur aucun motif grave et légitime.

Au cas d'espèce, c'est par des motifs dont la pertinence en cause d'appel n'a pas été altérée et que la cour adopte que le premier juge a ainsi statué.

En effet, la SCI [Localité 4] Leclerc ne saurait sérieusement fonder son congé déniant tout droit à indemnité d'éviction à la SA So.Ha.Co sur la violation grave et renouvelée de son obligation de règlement du loyer dès lors qu'elle même a gravement manqué à ses obligations de bailleur en ne faisant pas procéder aux travaux pour lesquels elle a été condamnée sous astreinte par arrêt définitif de cette cour du 14 juin 2017 et ce, alors même qu'aucune impossibilité de réaliser lesdits travaux sur la toiture du bâtiment D et les lanterneaux n'est sérieusement établie par l'appelante, les différents rapports versés aux débats, notamment le rapport de Socotec du 30 juin 2018, ne mentionnant que la nécessité de « travaux préalables de charpente » « pour un remplacement à l'identique », induisant ainsi nécessairement l'absence de nécessité de démolition et de reconstruction de l'immeuble entier.

De même, si elle invoque la disproportion entre le manquement de la SA So.Ha.Co à son obligation de régler les loyers, charges et taxes foncières depuis 2016, pour un montant total de 375.628,80 € au titre des loyers et charges et 448.850 € au titre des indemnité d'occupation dues depuis le 1er janvier 2019, et son propre manquement à faire réaliser des travaux estimés à 277.582,16 €, force est cependant de relever que la SA So.Ha.Co justifie de la consignation au 26 octobre 2021 de la somme de 162.350 €, qui, si elle ne couvre pas l'intégralité de l'arriéré locatif antérieur à l'ordonnance ayant autorisé ladite consignation, n'en permet pas moins à la SA So.Ha.Co d'invoquer le bénéfice de l'exception d'inexécution à son profit sans aucune disproportion, en l'état des graves manquements depuis 2016 de la SCI [Localité 4] Leclerc qui empêchent la mise en conformité des lanterneaux de désenfumage pourtant imposée par la Préfecture du Val-de-Marne dans un délai de huit mois.

De même, si la SCI [Localité 4] Leclerc soutient que la SA So.Ha.Co ne saurait valablement invoquer le bénéfice de l'exception d'inexécution en l'état d'une stipulation du bail prohibant le jeu d'une telle exception, cette argumentation apparaît toutefois inopérante dès lors qu'aucune clause ne saurait permettre à un bailleur de s'exonérer de son obligation de délivrance conforme, non remplie en l'occurrence eu égard à l'état particulièrement dégradé de la toiture du bâtiment D et de l'absence de travaux de mise en conformité des lanterneaux de désenfumage.

Enfin, si la SCI [Localité 4] Leclerc invoque la dangerosité du local loué pour justifier la délivrance du congé à la SA So.Ha.Co, il ne s'infère nullement des pièces produites aux débats que l'immeuble doive être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d'insalubrité reconnue par l'autorité administrative ou qu'il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a constaté la fin du bail au 31 décembre 2018 et l'absence de motif pour la SCI [Localité 4] Leclerc au visa de l'article L. 145-17 du code de commerce de nature à dénier à la SA So.Ha.Co le bénéfice de l'indemnité d'éviction.

La SCI [Localité 4] Leclerc sera également déboutée de ses demandes subséquentes tendant à l'expulsion sous astreinte du preneur, qui bénéficie, conformément à l'article L. 145-28 du code de commerce, d'un droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction.

- Sur le montant de l'indemnité d'éviction

Estimant que les pièces produites aux débats ne permettraient pas d'évaluer avec précision le montant du préjudice résultant de l'éviction de la SA So.Ha.Co, le premier juge a ordonné une mesure d'expertise afin d'évaluer le montant de l'indemnité d'éviction due par la SCI [Localité 4] Leclerc et de l'indemnité d'occupation due par la SA So.Ha.Co.

Si la SA So.Ha.Co sollicite en cause d'appel la fixation à son bénéfice d'une indemnité d'éviction principale de 2.000.000 € outre indemnités accessoires d'un montant de 346.044,75 €, les pièces versées aux débats en cause d'appel ne permettent pas davantage qu'en première instance à la juridiction d'évaluer avec précision le montant dû à la SA So.Ha.Co à ce titre, rendant ainsi nécessaire, en application de l'article 232 du code de procédure civile, le recours à un expert afin d'éclairer la juridiction de ce chef.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise confiée à Monsieur [W] [C], expert judiciaire, aux frais avancés de la SCI [Localité 4] Leclerc.

2) Sur l'indemnité d'occupation

Il résulte de l'article L. 145-28 et R. 145-7 du code de commerce que le locataire évincé qui se maintient dans les lieux est redevable d'une indemnité d'occupation jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, qui est égale à la valeur locative compte tenu de tous éléments d'appréciation, notamment les prix couramment pratiqués dans le voisinage concernent des locaux équivalents.

Par l'effet du congé, le bail commercial liant les parties a pris fin le 31 décembre 2018.

Le jugement doit dès lors être confirmé en ce qu'il a dit que la SA So.Ha.Co est redevable à compter du 1er janvier 2019 d'une indemnité d'occupation égale au montant du dernier loyer.

3) Sur les demandes en paiement au titre des loyers, charges, impositions et indemnités d'occupation

Le premier juge a réservé les demandes de condamnation pécuniaire la SCI [Localité 4] Leclerc au titre des loyers, charges, impositions, indemnités d'occupation et de prise en charge des frais d'investigations, de diagnostics de pollution et frais de dépollution du site, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, ce que conteste en cause d'appel l'appelante.

Néanmoins, en l'état de la mesure d'expertise ainsi ordonnée, et de l'autorisation accordée à la SA So.Ha.Co de consigner les sommes dues à la SCI [Localité 4] Leclerc, il convient de confirmer le jugement de ce chef, ainsi que du chef ayant maintenu l'autorisation de consignation au bénéfice de la preneuse, en l'état des manquements graves et qui perdurent à ce jour de la SCI [Localité 4] Leclerc à ses obligations.

Il convient également de confirmer le jugement du 18 mars 2022 ayant rejeté la demande de rectification, faute de caractérisation d'une erreur matérielle l'affectant.

4) Sur les demandes accessoires

Il n'apparaît pas inéquitable de condamner la SCI [Localité 4] Leclerc aux dépens d'appel. Les dépens de première instance resteront répartis ainsi que décidé par le premier juge.

En outre, la SCI [Localité 4] Leclerc sera par ailleurs condamnée au paiement d'une indemnité de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et déboutée de sa demande de ce chef.

Enfin, si la SCI [Localité 4] Leclerc sollicite de voir écarter l'exécution provisoire du jugement entrepris, la nature du litige et son issue doivent conduire à confirmer le jugement ayant accordé le bénéfice de l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, après débats en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 18 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Créteil, sous le n° RG 20/00408 en toutes ses dispositions ;

Confirme le jugement rendu le 18 mars 2022 par le Tribunal judiciaire de Créteil, sous le n° RG 22/1817 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Déboute la SCI [Localité 4] Leclerc de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI [Localité 4] Leclerc à verser à la SA So.Ha.Co la somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI [Localité 4] Leclerc aux entiers dépens d'appel.