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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1 sect. 9, 29 février 2024, n° 22/12509

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Passage du Port (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thomassin

Conseillers :

Mme Pochic, M. Catteau

Avocats :

Me Alligier, Me Ciussi, Me Cabrespines

TJ Draguignan, du 30 août 2022, n° 22/01…

30 août 2022

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Un litige a opposé la SCI [Adresse 9] et la SCI Passage du port, concernant la propriété dans un ensemble immobilier situé à [Localité 8], [Adresse 9], d'une terrasse à usage commercial constituant le lot n°130. Par un jugement du 7 septembre 2005, le tribunal de grande instance de Draguignan a retenu la propriété sur ce lot de la SCI [Adresse 9] et ordonné la restitution de la terrasse sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du jour où le jugement serait définitif. Il a également désigné un expert pour chiffrer le préjudice lié à la privation de jouissance des lieux.

Cette décision a été confirmée par un arrêt du 19 décembre 2006 devenu définitif après rejet d'un pourvoi en cassation le 14 mai 2008.

Par une décision du 7 septembre 2011 après cette expertise, la SCI passage du port a été condamnée à payer la somme de 63 822 € à titre de dommages et intérêts à la SCI [Adresse 9], et sur appel, par arrêt du 14 mars 2013, une somme augmentée à 80 739 €.

Pour la période du 9 février 2007 au 17 mars 2015, une dizaine de décisions sont intervenues pour liquider l'astreinte liée à la restitution du local, très souvent confirmées en appel lorsque le recours était exercé, ce pour un montant cumulé de 485 000 €.

Une nouvelle fois, le 16 février 2022, la SCI [Adresse 9] a assigné la SCI Passage du port, et Me [H], mandataire judiciaire à son redressement judiciaire décidé le 1er avril 2016, pour obtenir la liquidation de l'astreinte sur une nouvelle période.

Le juge de l'exécution de Draguignan dans une décision du 30 août 2022 a :

- liquidé l'astreinte pour la période du 4 février au 1er avril 2016 à la somme de 50 000 €,

- fixé la créance à ce montant au passif de la SCI Passage du Port,

- condamné la SCI Passage du Port aux entiers dépens outre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.

Il rappelait que s'agissant d'une obligation de faire, la charge de la preuve de l'exécution pèse sur le débiteur de cette obligation et constatait que la déclaration de la créance avait été réalisée dans la procédure collective. Il écartait une impossibilité d'exécuter, alléguée par la SCI Passage du port au motif que depuis l'arrêt du 19 décembre 2006, elle n'était plus propriétaire de la terrasse alors qu'elle avait consenti un titre d'occupation selon bail, à un tiers, la société immobilière des Champs Elysées. L'obligation de restituer continuant à peser sur elle. Il admettait cependant que la SCI Passage du Port avait entrepris les démarches utiles à la libération des lieux et connu des difficultés de gestion et financières méritant d'être prises en compte pour liquider l'astreinte à une somme réduite à 50 000 €.

La décision a été notifiée à la SCI Passage du port qui en a fait appel par déclaration au greffe de la cour le 19 septembre 2022.

Ses moyens et prétentions étant exposés dans des conclusions du 7 décembre 2023 communes avec celles de Me [H], es qualité de commissaire à l'exécution du plan, conclusions auxquelles il est renvoyé, elle demande à la cour de :

- réformer le jugement,

- déclarer irrecevable l'action de la SCI [Adresse 9] en raison de l'arrêt des poursuites lié au redressement judiciaire,

- déclarer irrecevable la demande de liquidation d'astreinte puisqu'elle n'est plus propriétaire du lot de sorte que seule la SCI [Adresse 9] a qualité pour entreprendre l'expulsion, et alors qu'à son obligation impossible s'est substituée une créance indemnitaire qui aurait dû être déclarée au passif,

- prononcer sa mise hors de cause,

A titre subsidiaire,

- rejeter la demande de liquidation d'astreinte,

Reconventionnellement,

- condamner la SCI [Adresse 9] à lui payer la somme de 126 300 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son exécution abusive qui se compensera le cas échéant avec l'astreinte liquidée,

En tout état de cause,

- débouter la SCI [Adresse 9] de ses demandes,

- la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance, et la même somme au titre de l'appel, et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de Me Alligier.

La SCI Passage du Port explique qu'elle a été constituée en 1973 et que conformément à un permis de construire obtenu en 1974 elle a édifié un local commercial sur la toiture terrasse revendiquée par la SCI [Adresse 9]. En 1999, elle a consenti un bail commercial sur ce local de 17 m² dont le loyer mensuel est de 676.25 €. Elle explique que le locataire ne peut être évincé sans versement d'une indemnité d'éviction et qu'elle se trouve en présence d'une impossibilité matérielle et juridique de restituer les lieux n'étant plus désormais admise comme propriétaire de ce local. Sur le fondement de l'article L622-21 du code de commerce elle oppose une suspension ou une interdiction d'action en justice du fait de la procédure collective, texte d'ordre public. N'étant plus propriétaire, il ne lui était plus possible d'évincer le locataire en place, ce qui incombe à la SCI [Adresse 9] désormais.

La SCI [Adresse 9], dans des écritures du 12 janvier 2023 auxquelles il est ici renvoyé pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- débouter la SCI Passage du port de son appel,

- réformer le jugement en ses dispositions ayant réduit le montant de l'astreinte à la somme de 50 000 €,

- liquider l'astreinte à la somme de 126 300 euros sur la période du 3 février 2015 au 1er avril 2016,

- dire n'y avoir lieu à suppression ni réduction,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- fixer la créance à la somme de 126 300 euros dans le redressement judiciaire de la SCI Passage du port,

- condamner la SCI Passage du port solidairement avec Me [H], à régler la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner solidairement avec Me [H] aux entiers dépens.

Elle explique avoir déclaré sa créance le 13 mai 2016 entre les mains du mandataire judiciaire, la liquidation d'astreinte à présent sollicitée couvre 423 jours jusqu'à l'ouverture de la procédure collective. L'argumentation présentée par son adversaire procédural a été régulièrement balayée par les juridictions successivement intervenues sur la liquidation de l'astreinte. Il n'existe pas de motif d'irrecevabilité de la demande, ni d'impossibilité de restituer les locaux au titre d'un bail auquel la SCI [Adresse 9] est totalement étrangère. La SCI Passage du port contrairement à ce qu'à pu admettre le juge de l'exécution en minorant l'astreinte n'a jamais fait preuve d'une quelconque volonté de respecter l'injonction judiciaire de restituer.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2023.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

Il est acquis aux débats que la SCI [Adresse 9] a régulièrement déclaré sa créance au titre de la nouvelle demande d'astreinte, entre les mains du mandataire judiciaire pour un montant de 126 300 euros couvrant la période du 4 février 2015 au 1er avril 2016, date d'ouverture de la procédure collective. Cette déclaration est produite au dossier.

Par arrêt de la présente cour du 11 février 2021, il a été rappelé que la liquidation de cette astreinte relève du juge de l'exécution.

Aux termes de l'article L131-4 du code des procédures civiles d'exécution le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie, s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

L'astreinte est une condamnation pécuniaire accessoire à une condamnation qu'elle assortit, elle doit permettre l'exécution volontaire d'une décision de justice en l'assortissant d'une contrainte financière. Mais elle est indépendante des dommages et intérêts et ne doit pas être confondues avec eux, car elle sanctionne de manière autonome la résistance d'une partie à mettre en oeuvre une décision de justice. Il n'y a donc pas nécessité de substitution en l'espèce de l'une des condamnations à l'autre comme le soutient la SCI Passage du port.

Comme l'a déjà décidé le premier juge dont la motivation est adoptée par la cour, la procédure collective interdit effectivement une condamnation financière, mais la fixation d'une créance à la procédure collective reste possible sur la base d'une décision bien antérieure à l'ouverture qui avait fait obligation à la SCI passage du port de libérer les lieux, dès lors qu'une déclaration de créance a été faite entre les mains du mandataire judiciaire, ce qui est le cas.

Un jugement du tribunal de grande instance de Draguignan le 31 mars 2017 a d'ailleurs homologué un plan de redressement de la société sur 10 années, admettant ainsi sa viabilité, et par décision du 16 avril 2021 la prolongation du plan a été ordonnée pour deux années supplémentaires sur la base d'un remboursement à 100 %.

La SCI Passage du port, bailleur apparent, a finalement entrepris de délivrer congé à son locataire, l'agence immobilière des Champs Elysées, avec pour contrepartie une indemnité d'éviction conséquente, ce qui dément l'argument d'une impossibilité de faire.

Le montant important des condamnations antérieures ne peut être détaché de la résistance de la SCI Passage du port à exécuter ses obligations et mettre en oeuvre la décision de justice, étant rappelé que l'arrêt de la cour écartant sa propriété sur le local date de décembre 2006 et relève que son titre de propriété ne mentionnait pas la terrasse, qui n'était d'ailleurs pas accessible depuis son propre lot, et que c'est en transformant ses toitures qu'elle a pu aménager la terrasse litigieuse et l'inclure dans une galerie marchande.

Le cumul des astreintes déja acquises ainsi que rappelé ci dessus pour un montant de 485 000 €, et les démarches récemment entreprises par la SCI Passage du Port pour restituer le local, conduisent la cour à confirmer le montant de l'astreinte liquidée par le juge de l'exécution à ce montant de 50 000 euros qui est adapté et pertinent.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCI [Adresse 9] les frais irrépétibles engagés dans l'instance, il lui sera alloué une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La partie perdante supporte les dépens, ils seront à la charge de la SCI Passage du port qui succombe en son recours.

Aucune condamnation ne sera prononcée à l'encontre de la Selarl [H], qui est à l'instance en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe,

CONFIRME la décision déférée,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SCI Passage du Port à payer à la SCI [Adresse 9] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE toute autre demande ou prétention.

CONDAMNE la SCI Passage du Port aux entiers dépens d'appel.