CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 29 février 2024, n° 23/11616
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Nabila Entreprise (SARL)
Défendeur :
Foncière MG Partners (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mme Chopin, M. Najem
Avocats :
Me Bentahar, Me Mahdar, Me Mengeot, Me Nino
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 3 mai 2021, la société Foncière MG Partners a donné à bail à la société Nabila Entreprise des locaux commerciaux situés [Adresse 1], dans lesquels cette dernière exerce une activité de « supermarché à dominante alimentaire et à titre accessoire boucherie ».
Ce bail commercial a été conclu pour une durée de neuf ans du 10 mai 2021 au 9 mai 2030, moyennant un loyer annuel HT/HC de 72.000 euros payable par trimestre et une provision annuelle sur charges de 9.000 euros HT. Il autorise le locataire à s'acquitter mensuellement du loyer et prévoit une franchise de loyer de trois mois en début de bail ainsi qu'une réduction du loyer les deux premières années.
Par acte du 18 janvier 2023, la bailleresse a fait délivrer à sa locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire prévue au bail, pour un montant en principal de 52.426,13 euros.
Par acte délivré le 28 février 2023, la société Foncière MG Partners a assigné en référé la société Nabila Entreprise devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny, aux fins de voir :
- constater la résolution du bail par l'acquisition de la clause résolutoire,
- ordonner l'expulsion de la société Nabila Entreprise ainsi que de tout occupant de son chef hors des lieux loués, ainsi que le transport et la séquestration des meubles les garnissant,
- condamner le preneur à lui payer à titre provisionnel :
la somme de 33.906,13 euros à valoir sur loyers impayés,
les charges et taxes en sus, dus au 20 février 2023,
une indemnité d'occupation mensuelle égale au double du montant du loyer à compter du 21 février 2023,
une somme équivalente à 10% du montant de l'arriéré locatif au titre de la clause pénale prévue au contrat de bail,
- voir décider que le montant du montant du dépôt de garantie lui restera acquis,
- condamner la société Nabila Entreprise à lui régler la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer.
La société Nabila Entreprise n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter.
Par ordonnance réputée contradictoire du 25 mai 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny, a :
- constaté la résolution du bail conclu entre les parties à compter du 19 février 2023 ;
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société Nabila Entreprise et de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 1] ;
- dit que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamné la société Nabila Entreprise à payer à la société Foncière MG Partners une indemnité d'occupation à compter de la résiliation du contrat et jusqu'à la libération effective des lieux, égale au montant du loyer, augmenté des charges et taxes afférentes qu'elle aurait dû payer si le bail ne s'était pas trouvé résilié ;
- condamné la société Nabila Entreprise à payer à la société Foncière MG Partners la somme provisionnelle de 33.906,13 euros ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de majoration de l'indemnité d'occupation, d'application de la clause pénale et de conservation du dépôt de garantie ;
- condamné la société Nabila Entreprise à payer à la société Foncière MG Partners la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Nabila Entreprise à supporter la charge des dépens ;
- rappelé que la présente décision est exécutoire par provision.
Par déclaration du 30 juin 2023, la société Nabila Entreprise a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 08 janvier 2024, elle demande à la cour, de :
- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 25 mai 2023 par le président du tribunal judiciaire de Bobigny ;
Statuant à nouveau,
In limine litis,
- juger que le commandement de payer en date du 18 janvier 2023 est irrégulier et nul ;
- débouter le bailleur de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- juger qu'il existe des contestations sérieuses ;
- juger qu'il n'y a pas lieu à référé ;
- débouter le bailleur de l'ensemble de ses demandes ;
A titre infiniment subsidiaire,
- échelonner le paiement des sommes dues par la société Nabila Entreprise au bailleur sur deux ans ;
- débouter le bailleur du surplus de ses demandes ;
En tout état de cause,
- recevoir la société Nabila Entreprise en ses demandes, fins et conclusions et l'y dire bien fondée ;
- débouter le bailleur de sa demande d'article 700 au titre de la première instance et de sa demande relative aux dépens ;
- condamner le bailleur à verser à la société Nabila Entreprise la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le bailleur aux entiers dépens.
L'appelante se prévaut de l'irrégularité et de la nullité du commandement de payer et à tout le moins de l'existence de contestations sérieuses, faisant valoir que le décompte annexé au commandement est incompréhensible, contenant de nombreuses erreurs de calculs, portant en débit des régularisations de charges dont le locataire n'a pas été prévenu et qui n'ont été accompagnées d'aucun justificatif, que la taxe foncière est également portée au débit sans justificatifs et dans sa totalité alors que le bail prévoit que le locataire ne la doit que pour moitié, qu'en outre des frais d'huissier sont facturés alors qu'ils sont compris dans les dépens. Elle soutient également que le commandement a été délivré de mauvaise foi, alors que le bailleur s'était vu remettre par avance six chèques de 8.000 euros en garantie du paiement du loyer et des charges mais qu'il n'a pas encaissés, préférant agir en justice. Elle précise que le bailleur a été débouté d'une précédente action en référé en raison du caractère incompréhensible du décompte de son commandement de payer. Elle soutient que sa dette a été régularisée dans le mois de la délivrance du commandement de payer et qu'elle est à jour de ses loyers et charges, sollicitant à titre subsidiaire un délai de paiement de deux années.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 30 octobre 2023, la société Foncière MG Partners demande à la cour, de :
- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
- déclarer la société Nabila Entreprise mal fondée en son appel ;
- juger que le commandement de payer en date du 18 janvier 2023 est parfaitement valide ;
- juger l'absence de contestations sérieuses ;
En conséquence,
- débouter purement et simplement la société Nabila Entreprise de ses demandes, fins et prétentions ;
- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 25 mai 2023 par le président du tribunal judiciaire de Bobigny en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause,
- condamner la société Nabila Entreprise à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance.
En substance elle expose :
- que sa locataire n'a jamais régulièrement et totalement payé son loyer,
- que si le montant du loyer annuel a été fixé à 72.000 euros HT, outre une provision sur charges annuelle de 9.000 euros HT, il a été consenti à la locataire une franchise de loyers HC de trois mois du 10 mai au 10 août 2021, puis une première réduction du loyer de 12.000 euros HT HC pour la première année et une seconde réduction de loyer de 6.000 euros HT HC pour la deuxième année,
- que les montants décomptés au commandement sont conformes à ces stipulations contractuelles et à l'indexation du loyer prévue au bail,
- que le montant des charges qui y sont réclamées a bien été justifié à plusieurs reprises,
- que si deux erreurs ont été commises par le débit de la totalité de la taxe foncière et de frais d'huissier, elles ont été rectifiées de sorte que la somme due à la date du commandement était de 45.436,70 euros (et non de 52.426,13 euros), et celle due à la date de l'assignation de 26.916,13 euros (et non de 33.906 euros),
- que le commandement de payer est régulier pour la somme effectivement due et ses causes n'ont pas été régularisées dans le mois de sa délivrance,
- que les six chèques de 8000 euros ont été remis après l'assignation par le gérant de la société Nabila Entreprise, à titre de caution, et n'avaient pas vocation à être encaissés mais à garantir la dette de la société en cas de défaut de paiement.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
L'expulsion d'un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d'une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.
Il sera rappelé à cet égard :
- qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due ;
- qu'il n'appartient pas à la cour, statuant comme juge des référés, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, sachant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du magistrat des référés de prononcer une telle nullité ; que le juge des référés ne peut que déterminer si les éventuelles irrégularités, invoquées à l'encontre du commandement, sont susceptibles de constituer un moyen de contestation sérieuse l'empêchant de constater la résolution du bail.
En outre, aux termes des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, allouer une provision au créancier.
En l'espèce, force est de constater, à la lecture du décompte contenu dans le commandement de payer délivré le 18 janvier 2023 à la société Nabila Entreprise, que ce décompte n'est pas suffisamment clair pour permettre à la locataire de vérifier l'étendue de sa dette :
- le montant des loyers est appelé soit mensuellement soit trimestriellement,
- il n'est pas précisé si les montants appelés sont HT ou TTC,
- les loyers sont mentionnés soit hors charges, soit provision sur charges comprise,
- des loyers sont débités pour être ensuite recrédités compte tenu de la franchise ou de la réduction contractuelles,
- ainsi le loyer d'août 2021a été débité puis recrédité, mais de nouveau débité en septembre 2021 pour un montant différent,
- il en a été de même pour le loyer de septembre 2021,
- l'échéance trimestrielle de juillet 2022 est d'un montant de 25.117,55 euros alors que celles d'octobre 2022 et de janvier 2023 sont chacune d'un montant de 24.822,32 euros,
- les réductions de loyer sont appliquées parfois directement sur le montant appelé au titre du loyer et d'autres fois de manière distincte par un double jeu d'écritures,
- une régularisation des charges est opérée en février 2022 sans qu'il ne soit justifié que le locataire en a bien été préalablement informé, justificatifs à l'appui.
En outre, il est reconnu par le bailleur que le décompte contenu au commandement de payer comportait deux erreurs, la première sur le montant d'une taxe foncière comptabilisée en totalité alors que le bail prévoit que cette taxe n'est à la charge du preneur qu'à hauteur de moitié, l'autre sur des frais d'huissier qui ont été comptabilisés alors qu'ils relevaient des dépens. Ces deux erreurs ont certes été régularisées mais dans un décompte établi le 20 février 2023, alors que le commandement a été délivré le 18 janvier 2023, si bien que non seulement le décompte du commandement est confus pour les raisons précédemment exposées, mais en outre son montant est erroné.
Il en résulte une contestation suffisamment sérieuse quant à la régularité du commandement de payer et, partant, quant à l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire.
S'agissant de la provision, le bailleur sollicite en appel le montant de la provision qui lui a été allouée en première instance, sous déduction des deux montants erronés relatifs à la taxe foncière et aux frais d'huissier, soit la somme de 26.916,13 euros arrêtée au 28 février 2023.
Cette provision se heurte à la même contestation sérieuse dès lors que son montant se fonde sur le décompte confus du commandement de payer et que le décompte actualisé au 20 février 2023 est présenté de la même manière que celui du commandement.
En outre, l'appelante s'abstient de régulariser sa créance en cause d'appel alors que la lecture du décompte actualisé au 19 janvier 2024 fait ressortir des paiements depuis que l'ordonnance entreprise a été rendue, la dette ayant été réduite à la somme de 4.760,40 euros au 21 décembre 2023, avant l'émission de l'échéance trimestrielle du 1er janvier 2024.
Or, il convient de rappeler que selon les dispositions de l'article 1342-10 du code civil, à défaut d'indication par le débiteur, l'imputation a lieu d'abord sur les dettes échues, parmi celles-ci sur les dettes que le débiteur a le plus intérêt d'acquitter , et à égalité d'intérêt, l'imputation se fait sur la plus ancienne.
Il en résulte une contestation sérieuse sur le montant de la provision sollicitée.
Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise, tant sur la résiliation du bail que sur la provision, et statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Foncière MG Partners.
Partie perdante, cette dernière sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande toutefois de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Foncière MG Partners,
Condamne la société Foncière MG Partners aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel,
Rejette toute demande plus ample ou contraire.