CA Nancy, 5e ch., 28 février 2024, n° 22/02615
NANCY
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
Auto École (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beaudier
Conseillers :
M. Firon, Mme Hiribarren
Avocats :
Me Jurek, Me Giuranna
FAITS ET PROCEDURE
M. [G] [D] était propriétaire d'un fonds de commerce d'auto-moto école qu'il exploitait en son nom personnel dans des locaux dont il était propriétaire et qu'il a affecté à son
exploitation sis [Adresse 4] à [Localité 1].
Suivant acte en date du 1er avril 1987, M. [G] [D] a donné ce fonds de commerce en location gérance à la société 'Auto école [E]' constituée entre lui-même et M. [R] [D].
Par acte sous seing privé en date du 20 septembre 2011, un bail commercial a été consenti par M. [G] [D], en sa qualité de propriétaire des murs, à lui-même, en sa qualité de propriétaire du fonds, pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2011, moyennant un loyer mensuel de 750 euros payable par mois et d'avance au domicile du bailleur ou de son mandataire dans les premiers jours de chaque mois.
Par acte en dates des 24 octobre et 8 novembre 2011, M. [G] [D] et M. [R] [D] ont cédé l'intégralité des parts sociales de la société 'Auto école Frank' à Mme [Z] [P], salariée, pour le montant de 40 000 euros.
Prétextant des irrégularités affectant le contrat de cession des parts sociales, ainsi que d'un dol entachant le contrat de location des murs, la société 'Auto école Frank' a cessé le paiement des loyers et a quitté les lieux.
Au mois d'octobre 2018, la société 'Auto école [E]' a changé de dénomination sociale pour devenir la société 'Auto école [Z]'.
Par acte d'huissier en date du 23 octobre 2020 M. [G] [D] a fait assigner la société 'Auto école [Z]' devant le tribunal de commerce d'Epinal afin principalement de constater l'existence d'un accord portant sur la cession à cette dernière du fond de commerce et de fixer le prix de cession à 90 000 euros.
Suivant jugement rendu contradictoirement le 6 décembre 2022, le tribunal de commerce d'Epinal a :
- déclaré l'assignation de Monsieur [G] [D] recevable,
- dit qu'aucun accord exprès n'a été conclu entre les parties sur la cession du fonds de commerce,
- constaté que la demande de versement du prix de 90 000 euros à ce titre est injustifiée,
- constaté que la demande de nomination d'un expert judiciaire à ce titre n'a pas lieu d'être,
- constaté que la société 'Auto école [Z]' a respecté les règles de rupture du contrat de bail des locaux commerciaux appartenant à M. [G] [D],
- constaté que la résiliation du contrat de location-gérance est licite et a produit ses effets à partir du 1er avril 2020,
- déclaré irrecevable la demande de condamner la société 'Auto école [Z]' à payer à M. [G] [D] la somme de 90 000 euros, à titre de dommage et intérêts en réparation de la perte de son fonds de commerce,
- condamné M. [G] [D] à payer à la société 'Auto école [Z]' la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir pas lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
condamné Monsieur [G] [D] aux entiers dépens,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration en date du 18 novembre 2022, M. [G] [D] a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Epinal le 6 décembre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 25 juillet 2022, M. [G] [D] demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris,
- dire et juger qu'il y a eu un accord entre M. [G] [D] et la société 'Auto école [Z]' venant aux droits de la société 'Auto école [E]' par la cession à cette dernière du fonds de commerce d'Auto école de M. [G] [D] ;
- fixer à 90 000 euros le prix de cession, et, subsidiairement, ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il lui plaira de désigner aux frais avancés de M. [G] [D] avec la mission suivante :
* Convoquer les parties et leurs conseils ;
* Après avoir pris connaissance des pièces du dossier, entendre les parties et leurs conseils en leurs dires et observations ;
* Déterminer le prix de cession du fonds de commerce ou de fournir au tribunal les éléments lui permettant de le déterminer. ;
- condamner la société 'Auto école [Z]' à payer cette somme à M. [G] [D] avec les intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- dire et juger que les intérêts seront capitalisés dès lors qu'ils seront dus pour une année,
- condamner la société Auto école [Z] à payer à M. [G] [D] la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral que la tentative de spoliation du fonds de commerce lui a causé.
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement entrepris,
- déclarer recevable la demande subsidiaire formulée par M. [G] [D] ;
- constater que la société 'Auto école [Z]' a rompu abusivement le contrat de bail commercial et le contrat de location-gérance qui l'ont liée à M. [G] [D] ;
- constater que le fonds de commerce donné en location-gérance par M. [G] [D] a été détruit du fait des agissements fautifs de la société Auto école [Z],
- condamner la société 'Auto école [Z]' à payer à M. [G] [D] la somme de 90 000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation de la perte de son fonds de commerce et, subsidiairement, ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il plaira à la juridiction de céans de désigner aux frais avancés de M. [D] avec pour mission :
* Convoquer les parties et leurs conseils ;
* Après avoir pris connaissance des pièces du dossier, entendre les parties et leurs conseils en leurs dires et observations ;
* Déterminer le prix de cession du fonds de commerce ou de fournir au tribunal les éléments lui permettant de le déterminer. ;
- condamner la société 'Auto école [Z]' à payer cette somme à M. [G] [D] avec les intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,
- dire et juger que les intérêts seront capitalisés dès lors qu'ils seront dus pour une année,
- condamner la société 'Auto école [Z]' à payer à M. [G] [D] la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral que ces agissements lui ont causé.
En toutes hypothèses,
- débouter la société 'Auto école [Z]' de toutes ses demandes, prétentions, fins et moyens,
- condamner la société 'Auto ecole [Z]' au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société 'Auto école Carol'e aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 4 octobre 2022, la société 'Auto école [Z]' demande à la cour de :
- juger mal fondé l'appel formé par M. [G] [D],
- débouter M. [G] [D] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions à hauteur d'appel,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Epinal le 6 septembre 2022 sauf en ce qu'il a débouté la société 'Auto Ecole [Z]' de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- juger recevable et bien fondé l'appel incident formé par la société 'Auto ecole [Z]',
Condamner Monsieur [G] [D] d'avoir à payer à la société Auto école [Z] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
En tout état de cause,
- condamner M. [G] [D] d'avoir à payer la société 'Auto école [Z]' la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
- condamner M. [G] [D] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties la cour renvoie expressément à leurs conclusions visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS :
- Sur la promesse synallagmatique de vente :
Aux termes de l'article 1589 alinéa 1er du code civil, la promesse de vente vaut vente lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.
Au soutien de son appel, M. [G] [D] fait valoir que l'acte de cession des parts sociales et le contrat de location gérance du fonds de commerce, exploité par la société 'Auto école [E], devenue 'Auto école [Z]', sont assortis d'une promesse synallagmatique de vente e ce dernier conclue au profit de cette dernière société.
M. [G] [D] précise que la volonté réciproque des parties à la cession du fonds de commerce est confirmée par l'intervention de Mme [Z] [P] au bail susvisé 'au titre du mandat donné par le gérant de SARL AUTO ECOLE [E] (RCS Epinal B. 340.821.719) [Localité 1] - société appelée à acquérir le fonds de commerce de M. [G] [D] au [Adresse 4] à [Localité 1] -'
Force est de constater cependant que l'acte de cession des parts sociales signé les 24 octobre et 8 novembre 2011 entre M. [G] [D] et M. [R] [D], en qualité de cédants, et Mme [Z] [P], désignée en qualité de cessionnaire, ne contient aucune promesse de vente faite au profit de la société 'Auto école [E]', dont M. [G] [D] est le gérant depuis le 31 août 1995.
La seule mention du bail signé le 20 septembre 2011 par M. [G] [D] à titre de 'régularisation', en présence de Mme [Z] [P], dont se prévaut ce dernier, ne constitue pas une promesse synallagmatique de vente, au sens de l'article 1589 du code civil, en l'absence de tout accord des parties portant sur la chose et sur le prix, étant observé que la société 'Auto école [E]' qui en serait bénéficiaire est représentée par l'appelant, son gérant, lui-même promettant.
Il convient pour ces motifs de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté M. [G] [D] de sa demande de condamnation de la société 'Auto école [Z]' au paiement d'une somme de 90 000 euros, en l'absence de preuve d'un accord des parties sur la cession du fonds de commerce litigieux.
- Sur la demande d'indemnisation formée au titre de la perte des éléments constitutifs du fonds de commerce :
Conformément à l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. L'article 122 du même code dispose par ailleurs que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen du fond, pour défaut de droit d'agir en justice, tel que le défait de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La société 'Auto école [Z]' soulève en défense l'irrecevabilité de la demande subsidiaire de dommages-intérêts formée par M. [G] [D], sur le fondement du principe de l'Estopel, au motif que celle-ci est en contradiction avec sa demande principale tendant à la reconnaissance d'une promesse synallagmatique de vente du fond de commerce conclue entre les parties.
Il appartient cependant au juge de respecter l'ordre d'examen des demandes formées par les parties et de statuer sur la demande subsidiaire après avoir rejeté la demande principale même si celle-ci repose sur un moyen distinct. Il n'est justifié ainsi d'aucune contradiction entre la demande subsidiaire d'indemnisation formée par l'appelant, au titre de la perte des éléments constitutifs du fonds de commerce, avec la demande principale tendant à la reconnaissance d'une promesse de vente sur ce dernier.
Par ailleurs aux termes de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. En l'espèce, la demande additionnelle formée par M. [G] [D] devant la cour se rattache à sa demande initiale visant à la reconnaissance d'une promesse synallagmatique de vente sur son fonds de commerce par un lien suffisant, dans la mesure où celle-ci porte sur l'indemnisation d'un préjudice né de la disparition alléguée des éléments constitutifs de ce dernier.
Conformément à l'article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du chapitre V du code de commerce se prescrivent par deux ans. La demande de dommages-intérêts formée par M. [G] [D] ne relève pas cependant du statut des baux commerciaux, celle-ci visant à la réparation d'un préjudice né de la disparition alléguée du fonds de commerce. L'action exercée par l'appelant est en l'espèce soumise à la prescription quinquennale de droit commun régie par l'article 2224 du code de procédure civile.
La locataire ayant signifié au bailleur la résiliation du bail au 31 décembre 2018, suivant lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 décembre 2018, la demande d'indemnisation formée par ce dernier par voie de conclusions notifiées le 25 juillet 2023 est par conséquent recevable.
Il convient dans ces conditions d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer recevable la demande de dommages-intérêts formée par M. [G] [D] au titre de la perte des éléments constitutifs du fonds de commerce.
Sur le fond, M. [G] [D] ne verse aux débats aucun élément de nature à rapporter la preuve d'un détournement de clientèle à l'issue du déménagement et du changement de dénomination sociale de l'intimée. L'appelant ne démontre pas non plus que la dénomination sociale de la société 'Auto école Frank' constituerait l'un des éléments constitutifs de son fonds de commerce, celle-ci est en effet directement rattachée à cette dernière société, dont l'intégralité des parts a été cédé à Mme [Z] [P] conformément au procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire en date du 1er décembre 2011 en présence de l'appelant.
Il convient pour ces motifs de débouter M. [G] [D] de sa demande de dommages-intérêts formée au titre de la perte des éléments constitutifs du fonds de commerce.
- Sur la demande de dommages-intérêts formée par M. [G] [D] au titre du préjudice moral :
Au soutien de sa demande de dommages-intérêts, M. [G] [D] affirme que la société 'Auto école [Z]' a rompu de manière abusive le projet d'acquisition de son fonds de commerce, après avoir détourné à son profit la clientèle et ouvert un autre établissement situé à proximité du sien.
M. [G] [D] ne rapporte pas cependant la preuve que la société 'Auto école [Z]' aurait capté sa clientèle en usant de moyens frauduleux comme il le prétend. Il n'allègue par ailleurs l'existence d'aucune faute qui aurait été commise par l'intimée dans la cadre de la résiliation du contrat de location gérance, s'agissant notamment de la faculté laissée au preneur de donner congé à l'expiration de chaque période triennale dans les conditions prévues au bail en date du 8 novembre 2011.
Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté M. [G] [D] de sa demande de dommages-intérêts.
- Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société 'Auto école [Z]' :
La société 'Auto école [Z]' ne justifie pas que l'action engagée par M. [G] [D] devant le tribunal de commerce d'Epinal aurait dégénéré en abus.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté la société 'Auto école [Z]' la société 'Auto école [Z]' de sa demande de dommages-intérêts.
- Sur les mesures accessoires :
Il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens, ainsi qu'à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [G] [D] est condamné aux entiers frais et dépens de l'appel. Il est également débouté de sa demande formée au titre des frais irrépétibles de procédure exposés devant la cour.
M. [G] [D] est condamnée à payer à la société 'Auto école [Z]' la somme de 3 000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande d'indemnisation formée par M. [G] [D] au titre de la perte des éléments constitutifs du fonds de commerce ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur ce chef infirmé et ajoutant :
Déclare recevable la demande d'indemnisation formée par M. [G] [D] au titre de la perte des éléments constitutifs de son fonds de commerce ;
Déboute M. [G] [D] de celle-ci ;
Déboute M. [G] [D] de sa demande formée au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [G] [D] à payer à la société 'Auto école [Z]' la somme de 3 000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [G] [D] aux entiers frais et dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller à la chambre commerciale, à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.