Cass. 3e civ., 18 janvier 2023, n° 21-23.933
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Zedda
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 juin 2021), la société civile immobilière Les Hauts de Saint-Jean (la SCI) a confié à la société Chauffage - plomberie - climatisation - piscine (la société CPCP) des travaux de chauffage, climatisation, ventilation, plomberie-sanitaire et électricité dans une villa et ses dépendances.
2. La SCI a également conclu avec la société CPCP un contrat d'entretien et de maintenance des diverses installations de la propriété.
3. Un litige est survenu concernant le solde du prix du marché de travaux. Une transaction a été signée par les parties, aux termes de laquelle la société CPCP s'engageait à remédier à une liste de désordres tandis que la SCI s'engageait à régler une certaine somme, dont 90 % à la signature de l'accord et 10 % au parfait achèvement des travaux.
4. Des travaux ont été effectués dont le quitus a été donné par le maître d'oeuvre. La SCI a été condamnée en référé à payer le solde de 10 % qu'elle refusait de régler.
5. La société CPCP a ensuite assigné la SCI au fond pour obtenir, notamment, le paiement de sommes dues au titre du contrat de maintenance et de certains travaux exécutés ensuite de la transaction.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société CPCP la somme de 25 471,69 euros au titre des travaux prévus dans le protocole du 28 mars 2014 et de rejeter sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 26 156,11 euros, alors :
« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, il était convenu au protocole d'accord transactionnel conclu le 28 mars 2014 que la société CPCP acceptait « d'intervenir pour remédier aux problèmes tels que précisément listés dans un tableau annexé au présent accord pour y faire corps » et qu'en contrepartie, la société Les Hauts de Saint-Jean acceptait « de régler à la CPCP la somme de 261 561,02 euros TTC » dont 90 % à la signature du protocole et 10 % au parfait achèvement des travaux à effectuer ; que dans le tableau contresigné par les deux parties, et constitutif de l'unique annexe du protocole, étaient listés les 17 problèmes auxquels il convenait de remédier ; qu'il s'ensuit que les parties à la transaction étaient convenues, dans la détermination de leurs obligations réciproques, du paiement d'un prix forfaitaire et ferme de 261 561,02 euros pour l'ensemble de ces 17 interventions sans envisager la moindre possibilité d'une facturation supplémentaire pour certaines d'entre elles ; qu'en jugeant au contraire que certaines prestations listées dans le protocole étaient dues en sus par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel, a dénaturé le protocole d'accord transactionnel conclu le 28 mars 2014 en violation du principe susvisé ;
2°/ qu'en tout état de cause, le protocole d'accord transactionnel ne comportait qu'une seule et unique annexe soit le tableau listant les problèmes auxquels il convenait de remédier ; qu'aucun devis n'était annexé au protocole ; qu'il s'en évinçait qu'aucune des prestations listées dans le protocole et mentionnées, selon la cour d'appel, comme devant être réalisées « selon devis joint au protocole », ne pouvaient faire l'objet d'un paiement par la société Les Hauts de Saint-Jean en plus de la somme transactionnelle de 261 561,02 euros TTC ; qu'en retenant cependant qu'il se déduisait des termes de l'accord que les travaux réalisés selon devis joints, et non prévus dans le marché initial ni mentionnés comme devant être réalisés à titre gracieux, étaient dus par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a dénaturé le protocole d'accord transactionnel conclu le 28 mars 2014 et méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3°/ qu'en outre, la liste des prestations comprise dans le tableau annexé au protocole d'accord transactionnel ne mentionnait pas que le remplacement de caméras de piscine devait être réalisé selon devis joint ; qu'en retenant le contraire pour condamner la société Les Hauts de Saint-Jean à payer la somme de 5 108 euros à ce titre, la cour d'appel a dénaturé le protocole d'accord transactionnel conclu le 28 mars 2014 et méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
7. La transaction signée par les parties stipulait que la société CPCP acceptait d'intervenir pour remédier aux problèmes tels que listés dans un tableau annexé à l'accord pour y faire corps.
8. Le tableau des prestations demandées par la SCI, annexé à la transaction, comportait une colonne de commentaires de l'entreprise, avec, pour la plupart des travaux, la mention « hors parfait achèvement », et pour certains la mention « prestation à titre commercial » quand pour d'autres il était précisé « à vérifier lors du contrat » ou « devis complémentaire ». L'acte précisait que l'annexe faisait corps avec la convention.
9. Par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, de ces stipulations, que leur ambiguïté rendait nécessaire, la cour d'appel a pu retenir que l'entreprise pouvait réclamer le prix de certaines prestations en plus de la somme que le maître de l'ouvrage acceptait de verser en application de la transaction.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 26 156,11 euros, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, il était convenu au protocole d'accord transactionnel conclu le 28 mars 2014 que la société CPCP acceptait « d'intervenir pour remédier aux problèmes tels que précisément listés dans un tableau annexé au présent accord pour y faire corps » et qu'en contrepartie, la société Les Hauts de Saint-Jean acceptait de régler la somme de 261 561,02 euros dont 90 % à la signature du protocole et 10 % au parfait achèvement des travaux à effectuer ; que, dans le tableau contresigné par les deux parties, et constitutif de l'unique annexe du protocole, étaient ainsi listés les 17 problèmes auxquels il convenait de remédier, dont (ligne 2) « Cacher la filerie de l'armoire électrique de la cuisine » ; que la cour a considéré que la société CPCP n'était pas tenue de remédier à ce problème dûment listé au prétexte que, dans la colonne « commentaires de l'entreprise CPCP », il était indiqué : « Hors prestations CPCP – Concerne un lot tiers (menuiserie) » ; qu'en statuant de la sorte quand ce commentaire signifiait clairement que, dans le cadre de la transaction, la société CPCP acceptait d'intervenir sur un poste ne relevant pas initialement du marché de travaux litigieux, la cour d'appel a dénaturé protocole d'accord transactionnel conclu le 28 mars 2014 en violation du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
12. Si l'article 1er de la transaction stipulait que la société CPCP acceptait d'intervenir pour remédier aux problèmes tels que listés dans le tableau annexé, il précisait que cette annexe faisait corps avec la convention.
13. En regard de la demande de dissimulation de la filerie, il était mentionné « hors prestation CPCP - concerne un lot tiers (menuiserie) ».
14. Par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, de ces stipulations, que leur ambiguïté rendait nécessaire, la cour d'appel a pu retenir que la dissimulation de la filerie n'était pas due par la société CPCP.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
16. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors « que, eût-il été régulièrement donné par le maître d'oeuvre, le quitus de bonne fin de travaux ne lie pas le maître de l'ouvrage, lequel conserve la possibilité d'en discuter le bien-fondé ; qu'en affirmant que c'est dépourvu de bonne foi que la SCI Les Hauts de Saint-Jean contestait la validité du certificat de bonne fin des travaux au motif qu'il est signé par le maître d'oeuvre, sans en apprécier le bien-fondé, quand la société Les Hauts de Saint Jean le contestait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
17. La cour d'appel a constaté que, selon l'article 2 de l'accord, la société CPCP serait réglée du solde de 10 % au visa du quitus de bonne fin délivré par l'architecte.
18. Elle a constaté, en outre, que l'architecte avait donné quitus de l'exécution de l'ensemble des travaux, à l'exception des travaux de dissimulation de la filerie, dont elle retenait par ailleurs qu'ils n'étaient pas dus par l'entreprise.
19. Dans ses conclusions d'appel, la SCI ne contestait pas la réalisation des travaux dont l'architecte avait donné quitus. Elle contestait seulement la valeur de la signature apposée par le gardien de la propriété et elle se prévalait de l'inexécution des travaux de dissimulation de la filerie.
20. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que le solde des 10 % était dû et a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche Enoncé du moyen
21. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société CPCP la somme de 3 129,19 euros au titre du contrat de maintenance, alors « que l'existence du mandat ne s'infère pas nécessairement de la fonction du prétendu mandataire ; qu'en considérant que le gardien avait pu commander en lieu et place de la SCI les interventions facturées par la société CPCP au prétexte que le rôle d'un gardien de domicile est d'assurer l'entretien de l'habitation inoccupée, d'en vérifier l'état général et de se charger d'effectuer ou de faire effectuer les réparations d'entretien, sans établir la réalité du mandat confié au gardien en marge de son contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984, 1985 et 1998 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1984 et 1985 du code civil :
22. Aux termes du premier de ces textes, le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire.
23. Il résulte du second que la preuve d'un mandat ne peut être reçue que conformément aux règles générales de la preuve des conventions.
24. Pour condamner la SCI à payer à la société CPCP une certaine somme au titre de diverses opérations de maintenance sur les installations de l'immeuble, l'arrêt constate que sont produits les bons d'intervention signés par le gardien et retient que la propriétaire est malvenue à opposer le fait qu'elle ne serait pas signataire des bons d'intervention, alors que le rôle d'un gardien de domicile est d'assurer l'entretien d'une habitation inoccupée pendant une période plus ou moins longue ou lors des sorties de son propriétaire, d'en vérifier l'état général, et de se charger d'effectuer ou de faire effectuer les réparations d'entretien.
25. En se déterminant ainsi, en présumant l'existence d'un mandat du seul fait du rôle d'un gardien d'immeuble, sans rechercher si la preuve était rapportée d'un pouvoir donné au gardien pour commander des réparations en dehors du contrat de maintenance passé entre le propriétaire et l'entrepreneur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. Portée et conséquences de la cassation
26. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
27. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
28. Compte tenu du montant des prestations en cause, l'entrepreneur devait prouver par écrit l'obligation du maître de l'ouvrage, par application des articles 1341 et 1345 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Il devait ainsi produire un acte signé du maître de l'ouvrage ou de son mandataire et, dans ce dernier cas la preuve écrite d'un mandat, conformément aux textes susvisés et à l'article 1985 du code civil.
29. En l'absence de preuve écrite de commandes passées par le propriétaire de l'immeuble ou d'un mandat donné au gardien pour faire de telles commandes, la demande formée par la société CPCP au titre des réparations effectuées dans l'immeuble non comprises dans le contrat de maintenance, pour un montant supérieur à 1 500 euros, doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société civile immobilière Les Hauts de Saint-Jean à payer à la société Chauffage - plomberie - climatisation - piscine la somme de 3 129,19 euros au titre du contrat de maintenance, l'arrêt rendu le 10 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.