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Décisions

CA Nîmes, 5e ch. soc., 27 février 2024, n° 22/00180

NÎMES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rouquette-Dugaret

Conseillers :

Mme Martin, Mme Reyter Levis

Avocats :

Me Jonzo, Me Treton, Me Beriard

Cons. prud'h. Nîmes, du 17 déc. 2021, n°…

17 décembre 2021

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [L] [M] a été engagé par la SAS X à compter du 8 janvier 2018 suivant contrat de travail à durée indéterminée en qualité de chef de service travaux, pour un salaire mensuel hors gratifications de 6.500 euros bruts, soumis à la convention collective nationale des cadres des entreprises de travaux publics du 20 novembre 2015.

M. [L] [M] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué, par lettre remise en main propre contre décharge du 15 février 2019, à un entretien préalable à une mesure de licenciement, fixé au 26 février 2019 puis reporté au 6 mars 2019.

Par lettre recommandée du 12 mars 2019, M. [L] [M] a été licencié pour faute grave.

Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre, le 05 juillet 2019, M. [L] [M] saisissait le conseil de prud'hommes de Nîmes en paiement d'indemnités de rupture et de diverses sommes lequel, par jugement contradictoire du 17 décembre 2021, a

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société X à verser à M. [L] [M] la somme de :

* 14 217,92 euros au titre de son indemnité de préavis et 1421,79 euros de congés payés afférents,

* 2098,13 euros au titre de son indemnité de licenciement,

* 4787,36 euros au titre des rappels de salaire pour mise à pied et 478,74 euros de congés payés afférents,

* 7109 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- débouté le salarié de sa demande de rappel de salaire sur prime,

- condamné la société X à rembourser la somme de 721,24 euros de frais pour les mois de février et mars 2019,

- condamné l'entreprise à payer la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté le salarié de sa demande d'exécution provisoire,

- condamné l'entreprise à la remise des documents de fin de contrat et du solde de tout compte sous astreinte de 50 euros par jour à compter du 13ème jour qui suit la notification de cette décision,

- dit que les dépens seront supportés par le défendeur.

Par acte du 17 janvier 2022, la SAS X a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 23 mai 2023, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 17 octobre 2023 à 16 heures. L'affaire a été fixée à l'audience du 14 novembre 2023.

Avant l'ouverture des débats, afin de respecter le principe du contradictoire, il a été ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 23 mai 2023, et la clôture a été fixée au jour de l'audience.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 16 octobre 2023, la SAS X demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et ses conclusions ;

- l'y déclarer bien fondée ;

- infirmer le jugement rendu le 17 décembre 2021, en ce qu'il a :

* dit que le licenciement de M. [M] était dénué de cause réelle et sérieuse,

* l' a condamné à lui payer les sommes suivantes :

° 14 217.92 euros au titre de l'indemnité de préavis et 1 421.78 euros au titre des congés payés y afférents ;

° 2 098.13 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

° 4 787.36 euros à titre de rappel de salaire (mise à pied) et 478.74 euros au titre des congés payés y afférents ;

° 7 109 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

* l'a condamné à la remise des documents de fin de contrat et du solde de tout compte sous astreinte de 50 euros/jour à compter du 13ème jour qui suit la notification de la décision ;

* l'a condamné à supporter les dépens.

- confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a débouté M. [M] de ses demandes suivantes : rappel de salaire sur prime : 16 000 euros et remboursement de frais : 900, 07 euros.

Et, statuant à nouveau :

- juger que le licenciement de M. [M] repose sur une faute grave ;

- débouter en conséquence M. [M] de ses demandes relatives à l'indemnité de licenciement, à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés afférents, au rappel de mise à pied conservatoire et aux congés afférents ainsi qu'aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- débouter M. [M] de ses demandes de remboursement de frais liés à l'annulation de ses congés de février 2019 ;

- débouter M. [M] de sa demande de rappel de salaire sur prime ;

- débouter M. [M] de ses demandes de remise de documents sous astreinte et de la prise en charge des frais irrépétibles ;

- condamner M. [M] à lui verser une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens de l'instance.

La SAS X soutient que :

- il existe une obligation de loyauté à l'égard de chacune des parties au contrat de travail de laquelle il découle pour le salarié une obligation de respecter les règles internes à l'entreprise, de s'abstenir de tout acte susceptible de nuire à l'entreprise et de dénoncer les pratiques illicites dont il aurait connaissance dans le cadre de l'exercice de ses fonctions,

- la réglementation en matière de discrimination interdit toute sanction à l'égard d'un salarié qui aurait dénoncé un crime ou un délit dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, ou aurait lancé une alerte,

- les pratiques anticoncurrentielles sont définies et prohibées par le code de commerce, et le délit de corruption sanctionné par le code pénal,

- la conscience de M. [L] [M] de participer à une entente illégale telle que décrite dans la lettre de licenciement résulte des échanges de courriels et de SMS qui ont été découverts, et se déduit de sa persistance à soutenir qu'elles seraient la conséquence de prétendues directives qui lui auraient été données par sa hiérarchie,

- l'autorité de la concurrence a rendu son rapport définitif le 13 octobre 2023 et reprend ces éléments,

- M. [L] [M] a participé à cette entente au titre de son précédent poste pour Nuvia, et depuis son entrée au sein de la société,

- la matérialité des faits est indiscutable et résulte de la décision de l'Autorité de la concurrence qui l'a sanctionnée,

- M. [L] [M] et M. [K] sont nominativement cités dans cette décision, 35 fois s'agissant de l'intimé, comme étant les seuls participants à cette entente pour X, et ont eu recours à des adresses personnelles et non professionnelles pour les échanges incriminés,

- la préexistence de l'entente à son embauche ne saurait valider la pratique et le dédouaner de toute responsabilité,

- le fait qu'elle ait été elle-même condamnée à une amende ne signifie pas qu'elle était informée de ces pratiques, mais est la conséquence de la loi qui prévoit la mise en oeuvre de sa responsabilité dès lors que les faits sont caractérisés par rapport à un de ses salariés,

- M. [L] [M] ne démontre pas qu'il aurait reçu des directives sur la manière de se positionner par rapport à cette entente, et l 'Autorité de la concurrence ne fait état d'aucune autre personne pouvant être mise en cause au sein de X,

- au contraire, la décision de l'Autorité de la concurrence retient que les pratiques anticoncurrentielles ont été mises en oeuvre par M. [L] [M] et M. [K] à l'insu de leur hiérarchie,

- le licenciement pour faute grave est par suite justifié et les demandes indemnitaires devront être rejetées.

En l'état de ses dernières écritures en date du 12 octobre 2023, contenant appel incident, M. [L] [M] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nîmes le 17 décembre 2021 en ce qu'il a dit que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et ce qu'il a condamné la société X à lui régler les sommes suivantes :

* 14 217,92 euros à titre de son indemnité de préavis

* 1421,79 euros à titre de congés payés afférents,

* 2098,13 euros à titre de son indemnité de licenciement,

* 4787,36 euros à titre des rappels de salaire pour mise à pied

* 478,74 euros à titre de congés payés afférents,

* 721,24 euros à titre de remboursement des frais de février et mars 2019,

* 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nîmes le 17 décembre 2021 en ce qu'il a condamné la société X à lui régler une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Et statuant à nouveau,

- en réformer le quantum,

- condamner la société X à lui régler la somme de 14 218 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nîmes le 17 décembre 2021 en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de rappel de salaire sur prime et de remboursement de frais liés aux entretiens des 14 et 15 février 2019,

Et statuant à nouveau,

- condamner la société X à lui verser la somme de 900,97 euros à titre de remboursement des frais liés aux entretiens des 14 et 15 février 2019,

- condamner la société X à lui verser la somme de 16 000 euros à titre de rappel de salaire sur prime,

En tout état de cause,

- constater que la société X ne dispose d'aucune créance à son encontre,

- débouter la société X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- ordonner la remise des documents de fin de contrat modifiés, dont le reçu pour solde de tout compte, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- condamner la société X à lui verser la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société X aux entiers dépens, y compris les éventuels frais liés à une exécution forcée de la décision à intervenir.

M. [L] [M] fait valoir que :

- il faut se positionner au moment du licenciement pour rechercher si les griefs sont établis ou non à son encontre, l'employeur ne peut se fonder sur la décision de l'Autorité de la concurrence intervenue 4 ans et demi plus tard,

- la faute grave suppose que les faits reprochés lui soient directement imputables et qu'ils rendent son maintien dans l'entreprise impossible,

- les pratiques anticoncurrentielles qui lui sont reprochées préexistaient à son embauche, et aucune initiative personnelle ne lui est imputable,

- l'absence de plainte pénale de son employeur à son encontre démontre que les faits qui lui sont reprochés ont été commis avec l'aval de sa direction,

- la société affirme à tort qu'il a reconnu les faits lors de son entretien individuel, les attestations produites étant des preuves que la société s'est constituée à elle-même,

- la société ne produit aucun élément permettant de caractériser une faute grave à son encontre, le rapport de l'Autorité de la concurrence, postérieur de plusieurs années à son licenciement ne pouvant être pris en compte, et les échanges de sms antérieurs à son embauche sont sans emport,

- au surplus, contrairement à ce que soutient la SAS X, l'Autorité de la concurrence n'a pas conclu au fait que les salariés avaient agi à l'insu de leur hiérarchie, mais ne vise nominativement que les personnes présentes sur site tout en indiquant clairement que 'Y a organisé, conjointement avec sa filiale, la procédure de validation des projets des X' ou encore ' il y a donc lieu d'imputer les pratiques mises en oeuvre par X à Y et Z, en tant que mères de X',

- bien qu'embauché en janvier 2018, ce n'est qu'en mai 2018 qu'il lui a été demandé de signer une délégation de pouvoir, alors que celle-ci n'avait jamais été discutée avant son embauche, et alors qu'à cette période la société avait connaissance de l'enquête de l'Autorité de la concurrence, et a voulu par cette délégation de signature, protéger son directeur général adjoint,

- son licenciement avait pour but de 'faire tomber des têtes' par rapport à l'enquête en cours, et de tenter pour la société d'échapper à sa responsabilité, ce dont l'Autorité de la concurrence n'a pas été dupe en condamnant la SAS X à une indemnité de 6.420.000 euros,

- sa mise à pied à titre conservatoire n'était pas nécessaire, puisque rien ne justifiait de l'écarter en urgence de la société,

- son licenciement doit être reconnu comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse et ses demandes indemnitaires sont fondées,

- la société ne justifie pas le trop-perçu qu'elle a retenu lors du versement de son solde de tout compte,

- dans la lettre d'intention d'embauche du 3 mars 2017 il était fait mention d'une prime de 8.000 euros qu'il devait percevoir en février 2018 et 2019 et qui ne lui a jamais été versée, la SAS X étant de mauvaise foi quand elle soutient que son embauche n'étant intervenue qu'en janvier 2018, de nouvelles négociations avaient eu lieu et cette lettre d'intention était devenue caduque,

- ses demandes de remboursements de frais sont également fondées.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS

Demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

* rappel de salaire s'agissant des primes de 8.000 euros à verser en février 2018 et 2019

L'acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l'emploi, la rémunération et la date d'entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation, constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu'elle n'est pas parvenue à son destinataire. La rétractation de l'offre avant l'expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l'issue d'un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur.

En revanche, la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat de travail, dont l'emploi, la rémunération et la date d'entrée en fonction sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat de travail promis.

M. [L] [M] sollicite au visa d'une lettre d'intention d'embauche datée du 3 mars 2017 le paiement d'une prime de 8.000 euros qu'il aurait dû percevoir en février 2018 et 2019.

La SAS X s'oppose à cette demande au motif que cette rémunération variable n'est pas prévue dans le contrat de travail qui a finalement été signé en janvier 2018, le délai écoulé entre cette lettre d'intention d'embauche et l'embauche effective démontrant que des négociations avaient eu lieu postérieurement à cette lettre d'intention qui doit être considéré comme étant caduque.

Il résulte de la lecture de cette lettre de la SAS X datée du 3 mars 2017 que l'embauche de M. [L] [M] était envisagée ' dès que possible' et que l'accord de celui-ci était demandé par retour de courrier. De fait, M. [L] [M] ne justifie pas avoir répondu à ce courrier, et donc accepté l'offre d'emploi qui lui était faite.

Son embauche intervenue en janvier 2018 ne peut pas être analysée comme la formalisation de cette proposition, et c'est à juste titre que le premier juge a considéré que cette lettre devait être considérée comme caduque et l'a débouté de sa demande de rappel de prime.

La décision déférée sera confirmée sur ce point.

* remboursements de frais

M. [L] [M] sollicite le remboursement :

- d'une somme de 721,24 euros correspondant à des frais professionnels engagés entre le 6 février et le 6 mars 2019 dont il justifie par la production d'une note de frais,

- d'une somme de 900,27 euros correspondant aux frais restés à sa charge suite à l'annulation de ses congés en raison de sa convocation les 14 et 15 février 2019 dans le cadre de l'enquête interne.

La SAS X ne s'oppose au remboursement des frais professionnels pour 721,24 euros mais conteste devoir rembourser les frais liés à l'annulation des vacances de M. [L] [M].

De fait, aucune disposition légale ou contractuelle n'impose à la SAS X de rembourser les frais liés à l'annulation des vacances de son salarié lequel ne justifie pas au surplus de l'absence de possibilité de l'annulation de ses réservations et des sommes qui sont effectivement restées à sa charge.

En conséquence, la décision déférée qui a alloué à M. [L] [M] la somme de 721,24 euros de remboursement de frais sera confirmée sur ce point.

Demandes relatives à la rupture du contrat de travail

S'agissant d'un licenciement prononcé à titre disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs formulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en rapporter la preuve.

La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

La gravité du manquement retenu est appréciée au regard du contexte, de la nature et du caractère éventuellement répété des agissements, des fonctions exercées par le salarié dans l'entreprise, un niveau de responsabilité important étant le plus souvent un facteur aggravant, de son ancienneté, d'éventuels manquements antérieurs et des conséquences de ces agissements en résultant pour l'employeur.

La faute grave libère l'employeur des obligations attachées au préavis. Elle ne fait pas perdre au salarié le droit aux éléments de rémunération acquis antérieurement à la rupture du contrat, même s'ils ne sont exigibles que postérieurement.

Si l'article L1332-4 du code du travail prévoit en principe qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur a eu connaissance, en revanche ce texte ne s'oppose à pas à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai.

Le licenciement prononcé en raison de la faute disciplinaire du salarié doit donc respecter un délai maximum de deux mois entre la connaissance des faits et l'engagement de la procédure disciplinaire et un délai maximum d'un mois entre l'entretien préalable et la notification de la sanction, à défaut, le licenciement est irrégulier.

En l'espèce, M. [L] [M] a été licencié pour faute grave par courrier en date du 12 mars 2019 rédigé dans les termes suivants :

' Monsieur,

Par lettre remise en main propre contre décharge en date du vendredi 15 février 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement avec mise à pied conservatoire.

A ce titre, vous avez été convoqué en entretien préalable le mardi 26 février 2019 au siège social afin de vous exprimer nos motifs et recueillir vos explications en présence de [V] [H], Directeur Général et [U] [Z], Directeur des Ressources Humaines.

Par courrier en date du 25 février 2019, cet entretien a été repoussé au mercredi 6 mars 2019 dans l'attente des résultats complémentaires des investigations menées en interne.

Les faits peuvent être résumés de la façon suivante :

Vous avez été embauché au sein de X le 8 janvier 2018 sur l'agence de [Localité 5] en qualité de Chef de Service Travaux. A cet effet, vous aviez deux missions principales : la coordination des chantiers de démantèlement pour le compte de notre client le CEA de [6] ainsi que le développement commercial de l'agence sur l'activité démantèlement.

Le mardi 12 février 2019, une perquisition a eu lieu à l'agence de Bagnols-sur-Cèze sur ordonnance du tribunal de grande instance de Nanterre, à l'occasion de l'enquête demandée par le rapporteur général de l'Autorité de la Concurrence, relative à des pratiques prohibées par l'article L 420-1 du code de commerce.

Etaient donc recherchées des pratiques pouvant être qualifiées d'entente et 'prohibées...

Lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, les conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

(...)

2° faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

(...)

4° répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement' ( article L 420-1 2° et 4° code de commerce ).

Les saisies et visites on ont été menées par quatre rapporteurs des services de l'instruction de l'autorité de la concurrence, en présence de deux officiers de police judiciaire.

Le 14 février 2018, vous avez été convoqué, ainsi que six autre collaborateurs entendus lors de la perquisition, à Challenger, afin de fournir des explications quant aux faits qui ont conduit à réaliser une perquisition et identifier les personnes impliquées et les affaires concernées. Cette enquête interne a été diligentée par le directeur juridique du pôle TP, [P] [G].

Dans le cadre des entretiens menés, il a été mis à jour un système d'entente avec trois autres entreprises sur le site de [6] dans le cadre de l'Accord Cadre dont vous avez reconnu l'existence.

En effet, il ressort de ces investigations les éléments suivants :

Le recours à un accord cadre pour les opérations d'assainissement, de décontamination et de cartographies sur le site de [6] ( 'l'Accord Cadre') a été mis en place par les responsables du CEA.

Cet Accord-Cadre devait permettre une meilleure réactivité dans la mise en oeuvre de ces travaux, étant précisé que, au regard de leur montant modeste, les marchés concernés n'étaient pas soumis à la procédure complète d'appel d'offres en vigueur au sein du CEA;

Les entreprises Nuvia, Onet et [O] participent à cet Accord-Cadre ( X depuis le 1er janvier 2016).

La mise en oeuvre de l'Accord-Cadre pendant que celui-ci est en vigueur repose sur l'émission par le CEA de fiches d'expression de besoins ( 'FEB') aux quatre titulaires de l'Accord-Cadre, l'article 4.1.1 de l'Accord-Cadre stipulant, en tant que de besoins, que ' Les FEB feront systématiquement l'objet d'une mise en concurrence entre les différents titulaires de l'Accord-Cadre'.

Or, c'est précisément dans la façons dont les titulaires de l'Accord-Cadre ont répondu aux FEB que des pratiques anticoncurrentielles ont été constatées.

Les investigations menées ont permis de mettre à jour des éléments qui font état :

- de communication et d'accord sur les prix,

- d'offres de couverture,

- de décision de ne pas soumissionner communiquée aux autres co-titulaires,

- de la tenue en commun d'un tableau récapitulatif de répartition des FEB.

Lors des entretiens des 14 et 15 février 2019, vous avez confirmé l'existence d'un système de répartition des FEB entre les co-titulaires reposant sur les critères suivants :

- le périmètre d'intervention du site ( un co-titulaire a une forte propension à se voir attribuer une FEB sur une partie du site sur laquelle il est déjà intervenu, notamment pour des raisons de sécurité, radioprotection, connaissance des ouvrages )

- le souhait du client (le client informe officieusement l'entreprise qu'il entend que celle-ci réalise les travaux d'une FEB particulière)

- le rééquilibrage d'activité entre les co-titulaires,

- la capacité et le plan de charge des co-titulaires.

Les éléments en notre possession à ce jour nous ont permis de mettre à jour des échanges de mails et de sms caractérisant les faits incriminés.

Durant l'entretien qui s'est tenu le mercredi 6 mars 2019, vous nous avez confirmé votre participation à l'entente commerciale et être l'auteur des échanges en notre possession.

La participation à des actes de concurrence déloyale, tel que des ententes, constitue un manquement grave à vos obligations contractuelles.

Ces agissements sont d'autant plus graves que vous avez fait l'objet, à l'instar de tous les collaborateurs du Groupe, d'une sensibilisation particulière à l'interdiction légale de commettre des actes anticoncurrentiels. L'engagement Ethique du Groupe demande ainsi expressément aux collaborateurs de veiller à respecter et à faire respecter les dispositions et obligations se déclinant en 5 incontournables : Anti-corruption, Concurrence, Information Financière et opérations boursières, conflits d'intérêts et Embargos et restrictions à l'export.

La code éthique et le règlement intérieur de notre société reprennent également, en des termes particulièrement clairs, l'interdiction absolue de se livrer à de tels agissements.

Malgré ces engagements, vous avez participé activement à une entente commerciale.

Ces pratiques mettent en péril la notoriété de l'entreprise ainsi que son image de marque auprès de nos clients. De sorte que cette conduite, d'une particulière gravité, met en cause la bonne marche de l'entreprise.

Les explications recueillies de vous au cours de notre entretien du mercredi 6 mars 2019 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

Nous vous informons que nous avons, en conséquence, pris la décision de rompre votre contrat de travail à durée indéterminée pour faute grave constitutive d'une participation à une entente commerciale et à sa non dénonciation.

Le licenciement prend donc effet immédiatement à la date d'envoi de la lettre de notification, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

De plus, nous nous réservons la possibilité d'intenter à votre encontre toutes actions judiciaires en raison de la gravité des faits, y compris sur le plan pénal, qui vous sont reprochés.

Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied conservatoire, par conséquent, la période non travaillée du lundi 18 février 2019 au 6 mars 2019, nécessaire pour réaliser les investigations utiles à la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée.

A la date de cessation de votre contrat de travail l'entreprise établira votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation Pôle Emploi.

De plus, à compter de la date de la fin de votre contrat de travail, vous bénéficiez sous réserve d'être inscrit à Pôle emploi du maintien à titre gratuit des garanties frais de santé ( mutuelle ) et prévoyance dont vous bénéficiez dans l'entreprise, et ce pendant une période égale à la durée de votre dernier contrat de travail, dans la limite de 12 mois.

Les sommes vous restant dues vous seront adressées par courrier, ainsi que votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte et votre attestation Pôle Emploi.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments distingués.'

En l'espèce, la SAS X reproche à M. [L] [M] d'avoir participé en sa qualité de directeur des travaux sur le site de [6], à une entente commerciale illicite avec les trois autres entreprises parties à l'Accord cadre afin de se répartir les fiches d'expression de besoins émises par le CEA de [6] pour les opérations d'assainissement, de décontamination et de cartographies du site.

Pour démontrer la réalité de ce grief, la SAS X explique que le 12 février 2019, une perquisition a eu lieu à l'agence de Bagnols-sur-Cèze sur ordonnance du tribunal de grande instance de Nanterre, que des saisies et visites ont ainsi été menées par quatre rapporteurs des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence, en présence de deux officiers de police judiciaire et que suite à cette intervention, elle a diligenté une enquête interne qui a mis à jour un système d'entente avec les trois autres entreprises intervenant sur le site de [6], et que M. [L] [M] a reconnu sa participation à ce système. Elle précise que M. [L] [M] participait déjà à cette entente avant son embauche, lorsqu'il était salarié de la société Nuvia, également partie à cette entente commerciale illicite.

Elle verse au soutien de ses affirmations :

- l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre du 6 février 2019, visant une demande d'enquête en date du 1er février 2019, laquelle fait suite à une demande de clémence présentée les 25 septembre et 3 octobre 2018, autorisant visites et perquisitions notamment dans les locaux de la SAS X

- la notification à M. [L] [M] en sa qualité de chef de service, dans les locaux de la SAS X à [Localité 5] de l'ordonnance du 6 février 2019 et de celle rendue sur commission rogatoire du juge des libertés et de la détention de Nanterre par le juge des libertés et de la détention de Nîmes en date du 8 février 2019 désignant les OPJ locaux pour assister aux opérations de perquisitions,

- une attestation en date du 11 mai 2020 signée de M. [W] [A], président de la SAS X, M. [V] [H], directeur général de la SAS X et M. [P] [G], directeur juridique de la SAS X dans laquelle ils indiquent avoir entendu suite à ces opérations de perquisition M. [D] [K] et M. [L] [M] le 14 février 2019 et que ces derniers ' ont chacun et séparément déclaré être informés de manoeuvres anti-concurrentielles à la connaissance et avec l'aval de certains représentants du CEA sur le site de [6] auxquelles la société aurait pris part, et sans qu'il n'en ait apporté la preuve, Monsieur [D] [K] a spontanément révélé l'existence d'une pratique visant à corrompre l'un des représentants du CEA sur le site de [6]',

- des échanges de sms impliquant M. [L] [M] en date de décembre 2017,

- une attestation de M. [U] [Z], DRH, qui indique avoir assisté à l'entretien préalable au licenciement de M. [L] [M] et que ' Monsieur [M] a confirmé l'existence d'une entente commerciale et d'être également l'auteur des échanges en notre possession',

- des échanges de SMS entre M. [L] [M] et M. [I], salarié de la société Derichebourg, datés de 2016, relatif à des tableaux pour répondre à des appels d'offre,

- des échanges de SMS entre M. [L] [M] et M. [X], salarié de la société Orano Démantèlement, datés de 2016 à 2018, tels que pour 2018 ' avez-vous avancé sur l'attribution des FEB'' ' si tu peux nous faire passer des infos techniques et ou planning pour qu'on travaille à se différencier techniquement pour justifier les montants. Merci', ' [J] ne souhaite pas de report ... si tu peux me faire passer un peu de descriptif ce serait bien ...'

- des échanges de SMS entre M. [L] [M] et Mme [B], salariée de la société Nuvia, datés de 2019,tels que ' Pour info [R] [E] a fait une estimation à partir des prix qu'il a sur les gels Nuvia et Z' ' au début il avait prévu 25K€... nous on est à 50k€, que pense qu'il faut pas trop abuser sur celle-là', ' la ligne TP c'est pour [O]',

- des échanges de SMS entre M. [L] [M] et M. [N], salarié de la société OTND, datés de 2018, tels que ' Deux FEB de même nature viennent de tomber, il y a fort longtemps qu'ONTD n'a rien eu Nous souhaiterions les récupérer' ' une FEB pour G1 va arriver, nous en sommes les initiateurs'

- une délégation de pouvoir datée du 29 mai 2018 au profit de M. [L] [M] laquelle mentionne notamment que le délégataire s'engage à ' Respecter le Code d'Ethique du Groupe, le référentiel de gestion des risques et de contrôle interne Z et, de manière générale, tous les documents relatifs à l'éthique et à la conformité dans la Société'

- la notification de griefs de l'Autorité de la concurrence, datée de juin 2022 et la décision définitive datée du 13 octobre 2023 au terme de laquelle, selon la société, elle a été condamnée du fait des agissements de M. [M] et M. [K], sans qu'aucune complicité de ses dirigeants ne soit retenue, l'Autorité de la Concurrence ayant expressément souligné en son point 482 que les pratiques anticoncurrentielles avaient été mises en oeuvre par ces derniers à l'insu de leur hiérarchie.

Pour contester ce grief, M. [L] [M] qui ne conteste pas l'existence de l'entente illicite, conteste sa participation active à cette entente qui préexistait à son embauche au sein de la SAS X, à laquelle il reproche de ne pas démontrer que sa participation active à cette entente anticoncurrentielle se serait faite sans l'aval de sa hiérarchie.

Il reproche à la SAS X de fonder ses accusations sur le rapport de l'Autorité de la concurrence, intervenu plus de 4 ans après son licenciement tout en faisant valoir que dans ce rapport, il est retenu une pratique anticoncurrentielle depuis mars 2017, soit plus d'une année avant son embauche et constate que son employeur n'est pas en capacité de démontrer une initiative personnelle qui lui serait imputable.

M. [L] [M] soutient que son licenciement, comme celui de son supérieur hiérarchique M. [K], ont été considérés comme infondés par le conseil de prud'hommes qui a justement compris qu'ils avaient été les boucs émissaires de la SAS X qui a choisi de protéger les membres de son comité de direction, mais qui n'a pas pour autant déposé de plainte pénale contre lui malgré les faits qu'elle lui reproche.

De fait, il résulte des arguments développés par M. [L] [M] que celui-ci ne conteste pas la matérialité de sa participation à l'entente illicite, pendant la période où il était salarié de la SAS X, laquelle résulte des échanges de messages avec des salariés des autres entreprises participant à l'accord-cadre, et que seul est contesté le fait qu'il aurait agi à l'insu de sa hiérarchie.

L'existence de la délégation de pouvoir à compter de mai 2018 ne permet pas de caractériser, comme le soutient M. [L] [M], une volonté de la SAS X de se dédouaner vis-à-vis de l'Autorité de la concurrence puisque les actes à l'origine de cette enquête sont datés de septembre 2018. Par ailleurs, une telle délégation de pouvoir n'a rien d'extraordinaire eu égard aux fonctions exercées par M. [L] [M] et à son niveau de rémunération. Elle caractérise en revanche une autonomie certaine de son délégataire dans la gestion de son agence.

Le fait que M. [L] [M] n'ait pas initié le système litigieux est sans incidence sur le fait que la participation à une telle entente est prohibée. M. [L] [M] n'apporte au surplus aucune explication quant au fait que les messages produits par la SAS X établissent qu'il y prenait déjà une part active à l'occasion de son précédent poste au sein de la société Nuvia. Le fait que les échanges aient eu lieu pour partie, avant 2018, à partir de l'adresse courriel de son épouse, certes présentée comme adresse familiale, caractérise toutefois une volonté de dissimulation à l'égard de sa hiérarchie d'alors.

Par ailleurs, la pratique litigieuse consistant, ainsi que cela résulte des échanges de SMS produits par l'employeur, en une répartition décidée en amont entre les entreprises intervenantes des prestations facturées au CEA de [6], par le biais de réponse sur la base de devis surévalués pour celles qui ne devaient pas remporter le marché, elle n'impliquait pas matériellement et surtout financièrement la nécessité d'une validation par la hiérarchie de M. [L] [M], mais uniquement l'établissement des devis idoines au niveau de l'agence de [Localité 5]. Et force est de constater que M. [L] [M] n'apporte aucun élément au soutien de son affirmation selon laquelle sa hiérarchie était informée des pratiques anticoncurrentielles qu'elle lui reproche.

Ainsi, et sans qu'il soit nécessaire de se référer à la notification de griefs de l'Autorité de la concurrence, datée de juin 2022 ou à la décision définitive de l'Autorité de la concurrence datée du 13 octobre 2023, postérieures de plusieurs années au licenciement, la SAS X rapporte la preuve des griefs formulés à l'encontre de M. [L] [M] pour caractériser la faute grave à l'origine de son licenciement.

Il résulte de ces développements que M. [L] [M] a pris part à une entente illicite caractérisant une pratique anticoncurrentielle prohibée. Ces faits constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle, eu égard aux fonctions exercées et au niveau de responsabilité du salarié, qu'elles rendent impossible le maintien de celui-ci dans l'entreprise et la poursuite du contrat.

Par suite, la faute grave reprochée à M. [L] [M] est caractérisée, le licenciement fondé sur cette faute grave régulier et M. [L] [M] sera débouté de l'ensemble de ses demandes indemnitaires relatives à la rupture de son contrat de travail.

La décision déférée sera infirmée en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu le 17 décembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Nîmes sauf en ce qu'il a :

- débouté le salarié de sa demande de rappel de salaire sur prime,

- condamné la société X à rembourser la somme de 721,24 euros de frais pour les mois de février et mars 2019,

- débouté le salarié de sa demande d'exécution provisoire,

et statuant à nouveau sur les éléments infirmés,

Juge que le licenciement de M. [L] [M] notifié par la SAS X par courrier en date du 12 mars 2019 est fondé sur une faute grave,

Déboute M. [L] [M] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail,

Juge n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Laisse les dépens de première instance et de la procédure d'appel à la charge de ceux qui les ont exposés.