Cass. com., 24 janvier 2024, n° 22-13.431
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocats :
SCP Foussard et Froger, SCP Gouz-Fitoussi
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 2022), par un acte du 3 octobre 2011, Mme [X], gérante de la SARL Fideco conseil (la société), a cédé à M. [I], son ex-époux, 560 parts sur les 630 qu'elle détenait dans le capital de la société. Le même jour, M. [I] a été désigné co-gérant.
2. Une assemblée générale extraordinaire du 9 octobre 2011 a révoqué Mme [X] de ses fonctions de gérante.
3. Alléguant la vileté du prix, Mme [X] a assigné M. [I] en annulation de la cession, en paiement d'une somme au titre des dividendes que celui-ci avait perçus à raison des parts objet de la cession et en restitution, à la société, des rémunérations qu'il avait perçues au titre de ses fonctions de gérant.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. Mme [X] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande visant à faire annuler la cession du 3 octobre 2011 et de rejeter ses demandes tendant au paiement des dividendes, alors « qu'avant de se prononcer sur la vileté du prix, les juges du fond étaient tenus de rechercher, indépendamment du prix que pouvait offrir un tiers, quelle était la valeur des parts pour M. [I] dès lors qu'il utilisait les services de la société dans le prolongement de son activité personnelle ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce point, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1583 et 1591 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Sous le couvert d'un grief de manque de base légale, le moyen ne vise qu'à critiquer l'appréciation souveraine de la cour d'appel qui a déduit d'un ensemble de facteurs, et en particulier de la circonstance que l'activité de la société reposait, à la date de la cession, totalement sur le réseau d'affaires de M. [I] et dépendait d'un très fort intuitu personae, celui-ci ayant externalisé des tâches administratives des cabinets d'expertise-comptable qu'il co-dirigeait en les lui sous-traitant, que le prix de cession des parts, fixé à leur valeur nominale, n'était pas vil.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. Mme [X] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes tendant à voir juger que M. [I] a perçu indûment des rémunérations au titre des exercices 2012, 2013 et 2014, alors
« que l'irrecevabilité découlant de la prescription ne peut être relevée d'office par le juge ; qu'une partie ne peut se prévaloir de l'irrecevabilité qu'en formulant une demande en ce sens dans le dispositif de ses conclusions ; qu'en l'espèce, si M. [I] et la société Fideco conseil invitaient la cour d'appel à juger que la demande d'annulation des résolutions afférentes à la rémunération de M. [I] était prescrite et non irrecevable, en revanche, ils n'invitaient pas le juge à constater que la demande visant à faire juger que des sommes avaient été indument perçues était également prescrite dans le dispositif de leurs conclusions ; qu'en décidant irrecevables comme prescrites les demandes de Mme [X] visant à faire juger la perception de rémunérations indues pour les exercices 2012, 2013 et 2014, les juges du fond ont statué ultra petita. »
Réponse de la Cour
8. M. [I] ayant, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, demandé que soit déclarée prescrite la demande d'annulation des résolutions approuvant les rémunérations qui lui avaient été versées au titre de ses fonctions de gérant, il a implicitement mais nécessairement soulevé la prescription de la demande en remboursement de ces sommes.
9. Le moyen, qui manque en fait, ne peut donc être accueilli.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. Mme [X] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que la demande visant à faire constater le caractère indu d'une rémunération servie au gérant ne s'analyse pas en une demande visant à faire constater la nullité d'une délibération de l'assemblée générale ; qu'en opposant la prescription de trois ans telle que prévue à l'article L. 235-9 du code de commerce, les juges du fond ont violé ce texte par fausse application ;
2°/ que, à supposer même que la nullité des délibérations de l'assemblée générale ait pu affecter la demande visant à faire constater le caractère indu des rémunérations servies au gérant, de toute façon, Mme [X] était en droit de se prévaloir de la nullité des délibérations de l'assemblée générale sans qu'on puisse lui opposer le délai de trois ans de l'article L. 235-9 du code de commerce, dès lors que l'exception de nullité est perpétuelle ; qu'à cet égard, les juges du fond ont violé le principe suivant lequel l'exception de nullité est perpétuelle, ensemble l'article L. 235-9 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
11. En premier lieu, ayant retenu que les rémunérations perçues par M. [I] au titre des exercices 2012, 2013 et 2014 avaient été approuvées par des résolutions prises en assemblée générale, la cour d'appel en a exactement déduit qu'en application de l'article L. 235-9 du code de commerce, la demande de Mme [X] en restitution de ces rémunérations, introduite plus de trois ans après l'adoption de ces résolutions, était prescrite.
12. En second lieu, l'exception de nullité ne pouvant être mise en oeuvre que par le défendeur à l'action et ne pouvant jouer que pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté, Mme [X], demanderesse à l'action, ne pouvait pas se prévaloir d'une telle exception.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
14. M. [I] fait grief à l'arrêt de dire recevables [l]es demandes de Mme [X] au titre de l'exercice 2015 et de dire qu'il a perçu indûment une somme de 35 000 euros pour l'exercice clos au 31 août 2015, alors « que, selon l'article L. 235-9 du code de commerce, l'action se prescrit par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue, c'est-à-dire en principe du jour de l'assemblée dont la nullité est demandée ; que l'assemblée générale du 19 décembre 2014 avait fixé le principe du droit à la rémunération du gérant ; qu'en faisant courir le délai de prescription à la date de l'assemblée générale du 26 février 2016, qui approuvait les comptes, et non à la date de l'assemblée générale du 19 décembre 2014, après avoir pourtant constaté que cette assemblée générale avait acté le principe d'un droit à rémunération annuel de M. [I] dans la limite de 40 000 euros, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 235-9 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
15. L'arrêt retient que si l'assemblée générale du 19 décembre 2014 a arrêté le principe d'un droit à rémunération annuel du gérant dans la limite de 40 000 euros et sous réserve de la réunion de certaines conditions, il appartenait à une autre assemblée générale de fixer le montant exact de la rémunération du gérant.
16. En l'état de ces appréciations, la cour d'appel a pu retenir, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, que le délai de la prescription triennale avait commencé à courir à la date de l'assemblée générale du 26 décembre 2016, qui approuvait les comptes de l'exercice clos au 31 août 2015, de sorte que l'action de Mme [X] n'était pas prescrite.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
18. M. [I] fait grief à l'arrêt de condamner la société à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros au titre du solde de dividendes distribuées lui revenant au titre de l'exercice clos au 31 août 2012, alors « que, dans l'extrait de compte courant d'associé de Mme [X] dans la société pour 2012, était mentionné, à la date du 28/12/2012, "distributions dividendes : 1 905 euros" ; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'était pas justifié du paiement de ces dividendes dans les écritures figurant sur le compte courant d'associée de Mme [X], la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'extrait du compte courant d'associé de Mme [X] pour 2012, et a ainsi violé le principe de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause, ensemble l'article 1134 du code civil devenu l'article 1103 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
19. Pour condamner la société à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros, l'arrêt retient que, dès lors qu'il n'est justifié du paiement de ces dividendes ni dans les écritures figurant sur le compte courant d'associée de l'intéressée ni d'une autre manière, Mme [X] est fondée à obtenir le paiement de la somme de 3 000 euros.
20. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de l'extrait de compte courant de Mme [X], versé aux débats, qu'une somme de 1 905 euros avait été créditée sur son compte le 28 décembre 2012 au titre de la distribution de dividendes, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de l'extrait de compte, a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
21. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
22. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
23. Mme [X] soutient, sans être contredite par M. [I], qu'il a été décidé en assemblée générale de procéder à une distribution de dividendes à hauteur de 30 000 euros au titre de l'exercice clos au 31 août 2012.
24. Les dividendes n'ont pas d'existence juridique avant la constatation de sommes distribuables par l'organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé.
25. Mme [X] n'établissant pas que la distribution des dividendes au titre de l'exercice clos le 31 août 2012 a été décidée avant le 3 octobre 2011, date de la cession d'une partie de ses parts à l'issue de laquelle elle n'a plus détenu que 70 des 700 parts de la société, ses droits à dividendes se limitent donc à 10 % du montant distribué soit 3 000 euros.
26. Il ressort des écritures figurant sur le compte courant d'associé de Mme [X] que cette dernière a perçu à ce titre la somme de 1 905 euros, versée sur ce compte.
27. Il résulte de la déclaration de revenus de capitaux mobiliers établie par la société en décembre 2012 que cette somme correspond au montant du dividende revenant à Mme [X], déduction faite de la somme de 1 095 euros correspondant à l'acompte forfaitaire obligatoire et aux prélèvements sociaux, réglée par la société.
28. Il convient dès lors de rejeter la demande en paiement de Mme [X] au titre des dividendes de l'exercice clos au 31 août 2012.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il condamne la société Fideco conseil à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros au titre du solde de dividendes distribués lui revenant au titre de l'exercice clos au 31 août 2012, l'arrêt rendu le 13 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.