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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 4 mars 2024, n° 21/22418

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lutece (SAS)

Défendeur :

Renoval (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Simon-Rossenthal

Conseillers :

Mme Billiaert, M. Loos

Avocats :

Me Hatet-Sauval, Me Bouzidi-Fabre

T. com. Meaux, du 9 nov. 2021, n° 202001…

9 novembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La société Lutèce est spécialisée dans la construction de bâtiments industriels sur-mesure, notamment de type modulaire, qu'elle vend essentiellement à des collectivités publiques. La société Rénoval est, quant à elle, spécialisée dans la menuiserie aluminium à clipser pour les constructions modulaires et isoleurs.

En novembre 2019, la société Lutèce s'est adressée à la société Rénoval pour les besoins de deux marchés publics. Le 20 novembre 2019, la société Rénoval a adressé une offre de prix de 13 000 € HT à la société Lutèce pour la vente de matériel. Le même jour, la société Lutèce y a répondu en apposant la mention « bon pour accord » mais à des conditions de prix et de délai différentes. Le 21 novembre 2021, la société Rénoval a émis un accusé de réception, confirmant le prix demandé mais indiquant un nouveau délai de livraison.

Le 26 novembre 2019, la société Lutèce a émis une demande de prix pour de nouveaux produits à laquelle il était répondu le 28 novembre 2019 par une offre de prix. Le même jour, l'offre de prix a été validée avec une indication sur le délai de livraison, et la société Rénoval a émis un accusé de réception confirmant le prix demandé mais indiquant un nouveau délai de livraison.

Par courrier du 14 janvier 2020, la société Lutèce a mis la société Rénoval en demeure d'avoir à lui livrer ses commandes dont les délais de livraison étaient dépassés.

Par courrier du 14 mai 2020, la société Rénoval a adressé les factures des deux commandes passées indiquant que les produits étaient en stock et ne seraient débloqués qu'après paiement desdites factures.

Par requête aux fins d'ordonnance d'injonction de payer du 15 juillet 2020, la société Rénoval a saisi le président du tribunal de commerce de Meaux.

Par ordonnance du 3 août 2020, le président du tribunal de commerce de Meaux a enjoint à la société Lutèce de payer :

- 17 822,90 euros en principal, outre les intérêts au taux légal ;

- 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement, ainsi que les dépens, rejetant le surplus de la demande.

Cette ordonnance d'injonction de payer a été signifiée par exploit d'huissier en date du 7 septembre 2020.

En date du 1er septembre 2020, la société Lutèce a formé opposition contre cette ordonnance.

* * *

Vu le jugement prononcé le 9 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Meaux qui a statué comme suit :

- Dit l'opposition de la société Lutèce recevable comme ayant été formée dans les délais prescrits par la loi ;

- Reçoit la société Lutèce en son exception d'incompétence, l'a dit mal fondée et l'en déboute ;

En conséquence,

- Se déclare compétent territorialement ;

- Reçoit la société Lutèce en son opposition et en ses demandes, au fond les dit mal fondée ;

- La déboute de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Reçoit la société Rénoval en ses demandes, au fond les dit en partie bien fondées ;

- Condamne la société Lutèce à payer à la société Rénoval les sommes de :

11 82290 euros (Dix-sept mille huit cent vingt-deux euros et quatre-vingt-dix centimes) en principal, augmentée des intérêts de retard fixés à 10 points de pourcentage en sus du taux de refinancement de la BCE, à compter du 15 mai 2020 et jusqu'au complet paiement de la dette ;

500 euros (cinq cents euros) au titre de la clause pénale ;

80 euros (quatre-vingts euros) au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;

- Condamne la société Lutèce à payer à la société Rénoval la somme de : 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rappelle qu'en vertu des dispositions de l'article 514 nouveau du code de procédure civile, le présent jugement est exécutoire de droit, et qu'il n'y s pas lieu de l'écarter ;

- Condamne la société Lutèce en tous les dépens qui comprendront les frais de greffe liquidés à 140,67 euros TTC (frais d'injonction et coût du présent jugement), les frais de signification, en ce non compris le coût des actes qui seront ta suite du présent jugement auquel elle demeure également condamnée.

Vu l'appel de la société Lutèce déclaré le 20 décembre 2021,

Vu les dernières conclusions de la société Lutèce signifiées le 23 mai 2023,

Vu les dernières conclusions signifiées le 9 janvier 2023 par la société Rénoval ,

La société Lutèce demande à la cour de statuer comme suit :

Vu le jugement du tribunal de commerce de Meaux du 9 novembre 2021, dont appel,

- Réformer le jugement en ce qu'il a jugé les conditions générales non datées de la société Rénoval applicables à l'espèce, et considéré que les contrats conclus entre la société Rénoval et la société Lutèce les 20 et 28 novembre 2019, n'avaient pas été résiliés par la société Lutèce, suivant un courrier avec accusé de réception du 14 janvier 2020 ;

Statuant à nouveau,

Vu l'article 1119 du code civil,

- Juger que les conditions générales non datées invoquées par la société Rénoval ne sont pas applicables à l'espèce celles-ci ne figurant sur aucun des documents contractuels des contrats des 20 novembre 2019 et 28 novembre 2019, n'ayant pas été acceptées par la société Lutèce ;

Vu les articles 1224, 1226, 1227 et 1610 du code civil,

Vu les articles 1163 et 1104 du même code,

Vu les dispositions de la loi du 17 mars 2014 et les dispositions des articles L 441-6 et 442-6 du Code de commerce,

- Juger que la société Lutèce a résilié les contrats des 20 novembre et 28 novembre 2019 par courrier recommandé avec accusé de réception du 14 janvier 2020, compte-tenu du défaut de livraison des commandes, objet des contrats des 20 novembre 2019 et 28 novembre 2019, dans les délais contractuels, visés aux commandes, la situation persistant après le délai de mise en demeure et obligeant l'entreprise à se réapprovisionner dans un contexte d'urgence pour faire face aux nécessités des marché conclus avec ses propres clients, ;

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Lutèce à payer à la société Rénoval 17 822,90 € au titre des deux factures du 14 mai 2020 établies après résiliation du contrat aux torts de la société Rénoval ;

Statuant à nouveau,

- Juger n'y avoir lieu à condamnation de la société Lutèce au paiement de la somme de 17 822,90 € au titre des factures du 14 mai 2020 ;

- Débouter la société Rénoval de toutes ses demandes fins et conclusions ;

Subsidiairement, si la cour d'appel devait considérer justifier de condamner la société Lutèce au paiement des factures du 14 mai 2020,

- Constater et juger que la société Rénoval a manqué à son obligation de livraison des commandes des 20 et 28 novembre 2019 livrables au 16 et 17 décembre 2019, et que cette situation a causé un préjudice à l'entreprise la société Lutèce, obligée de se réapprovisionner par ailleurs pour honorer ses propres engagements ;

- Condamner la société Rénoval à payer 35 000 € de dommages et intérêts en réparation des préjudices matériel et moral occasionnés par ses fautes à la société Lutèce ;

Vu les articles 1347 et suivants du code civil,

- Ordonner la compensation à hauteur des sommes réciproquement dues ;

Vu l'article 1104 du code civil,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Lutèce au paiement d'intérêts calculés sur les modalités des conditions générales inapplicables à l'espèce ;

- En tout état de cause, juger que les intérêts ne pourraient courir qu'à dater du 23 mai 2020 en vertu des termes figurant sur les factures dont le paiement est sollicité ;

Vu les articles l 441-10 et 441-5 du code de commerce,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à charge de la société la société Lutèce l'obligation de régler l'indemnité pour frais de recouvrement, alors que cette indemnité n'apparaissait stipulée sur aucun des documents adressés par la société Rénoval ;

Vu l'article 1231-5 du code civil,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société la société Lutèce à payer à la société Rénoval la somme de 500 € à titre de clause pénale ;

- Débouter la société Rénoval de son appel incident tendant au paiement de la somme de 3 564,58 €, à titre de clause pénale contractuelle applicable ;

Statuant à nouveau,

- Juger n'y avoir lieu à condamnation contre la société Lutèce au profit de la société Rénoval à ce titre très subsidiairement ;

- Réduire la clause pénale à 1 €,

Vu l'article 700 du code de procédure civile et les articles 695 et suivants du même code,

- Débouter la société Rénoval de sa demande en paiement de la somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Lutèce au paiement des frais irrépétibles et dépens au profit de la société Rénoval,

Statuant à nouveau,

- Juger n'y avoir lieu à application de l'indemnité au titre des frais irrépétibles au profit de la société Rénoval au vu des éléments de fond et des circonstances d'équité, et laisser à charge de la société Rénoval les dépens exposés notamment dans le cadre de la procédure d'injonction de payer, et devant le tribunal de commerce,

- Condamner la société Rénoval au paiement d'une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Lutèce,

- Condamner par application des articles 695 et suivants du code de procédure civile la société Rénoval au paiement des dépens au profit de la société Lutèce, et dire que les dépens pourront être recouvrés par les avocats aux offres de droit pour ceux dont ils auront fait l'avance, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La société Rénoval demande à la cour de statuer comme suit :

Vu les articles 654, 1416 et s., du code de procédure civile,

Vu les articles 1103, 1104, 1219 et 1220 du code civil,

Vu l'article 1153 du Code civil (dans sa version antérieure à la réforme de 2016),

Vu les articles L441-10 et D441-5 du code de commerce,

Vu le principe interdisant de se contredire au détriment d'autrui,

Vu les pièces versées aux débats,

- Débouter la société Lutèce de toutes demandes, fins et conclusions ;

- Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf au titre de la clause pénale et des frais irrépétible de 1ère instance ;

Le réformant au titre de la clause pénale et des frais irrépétible de 1ère instance,

Et y ajoutant :

- Condamner la société Lutèce à payer à la société Rénoval la somme de 3 564,58 € au titre de la clause pénale contractuelle ;

- Condamner la société Lutèce à payer à la société Rénoval la somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce inclus notamment les frais relatifs à la procédure en injonction de payer.

SUR CE, LA COUR

Sur le bien fondé de la demande en paiement

Selon la société Lutèce, les conditions générales des contrats seraient inapplicables pour les 2 marchés conclus en 2019 faisant l'objet du présent litige au motif que ces contrats seraient soumis à l'ordonnance du 10 février 2016 applicable à compter du 1er octobre 2016 et que les conditions générales de vente n'ont pas été intégrées aux commandes qui ne s'y réfèrent aucunement. La société Rénoval serait dès lors mal fondée à invoquer l'article V III des conditions générales selon lequel le paiement doit précéder la livraison.

La société Lutéce soutient également qu'elle a poursuivi la nullité du contrat pour non respect des délais de livraison et, contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, ne peut pas être condamnée au paiement de factures émises.

Selon la société Rénoval, les conditions générales de vente seraient d'autant plus applicables aux 2 commandes litigieuses que la société Lutèce s'en est prévalue pour solliciter l'incompétence de la juridiction qui a prononcé le jugement déféré.

Toujours selon l'intimée, les relations entre les parties ayant débuté depuis l'année 2015, les conditions générales de vente étaient parfaitement connues de la société Lutèce tout au long de la relation commerciale établie. La société concluante estime avoir été fondée à stocker les marchandises commandées à défaut de paiement et conteste toute résiliation des contrats à l'initiative de la société Lutèce.

Ceci étant exposé, les offres présentées par la société Rénoval et acceptées par la société Lutèce les 20 novembre 2019 et 28 novembre 2019 n'ont pas été accompagnées des conditions générales de vente. Néanmoins, ainsi que justement relevé par la société Rénoval, ces conditions générales étaient parfaitement connues de la société Lutèce qui s'en est prévalue pour vainement soulever une exception d'incompétence territoriale sur le fondement de l'article X I V desdites conditions générales. La société Lutèce, dans un même litige, ne peut pas tout à la fois se prévaloir des conditions générales et soutenir qu'elles lui seraient inopposables.

De plus, de nombreuses commandes antérieures ayant été conclues entre les parties aux mêmes conditions notamment les 12 mars 2019, 18 avril 2019, 18 juin 2019 et 16 juillet 2019 comportant les mêmes conditions générales de vente, celles-ci ont été portées à la connaissance de la société Lutèce qui les a acceptées au sens de l'article 1119 du code civil et ne les a pas réclamées lors de la conclusion des commandes qui ont suivi les 20 et 28 novembre 2019.

Il se déduit de ce qui précède que sont applicables à la présente espèce, les 2 articles suivants des conditions générales de vente :

Article V « Délais », selon lequel les délais de livraison sont donnés à titre indicatif avec mention que le dépassement du délai indiqué ne pourra pas justifier l'annulation de la commande

Article VIII « Mode de règlement », selon lequel la première livraison s'effectuera après règlement de la marchandise.

Dans la présente espèce, les délais de livraison ont été prévus dans les commandes soit le 17 décembre 2019 pour la première et le 16 décembre 2019 pour la seconde. Par courrier recommandé du 14 janvier 2020, la société Lutèce a mis en demeure la société Rénoval de livrer les 2 commandes pour le 16 janvier 2020 avec la mention suivante : « Passé ce délai, nous vous considérons défaillant et nos commandes resteront sans effet, donc annulation de celles-ci. ». Par courrier électronique du même jour, la société Rénoval a répondu à la société Lutèce qu'elle était redevable de la somme de 61 515,89 et que, à défaut de règlement d'une somme de 17 822,90 euros , l'ensemble des commandes « est actuellement bloqué dans notre zone d'expédition. ». La société Rénoval a ainsi opposé l'exception d'inexécution.

En application des conditions générales de vente dont une partie du contenu a été ci-dessus rappelée, la société Rénoval n'était pas tenue de livrer les marchandises en l'absence de leur règlement. De plus, contrairement à ce que soutient la société Lutéce, aucun engagement de livraison au 16 janvier 2020 n'a été pris et le courrier du 14 janvier 2010, non suivi de confirmation, n'a pas pu emporter à lui seul annulation de la vente, sanction au demeurant contraire à l'article V des conditions générales de vente.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que la société Lutèce était redevable du paiement des deux commandes.

Sur le montant des sommes dues

La société Lutèce doit être condamnée au paiement des 2 factures soit 17 822,90 euros (15 600 + 2 222,90), le jugement déféré devant être confirmé de ce chef. Le jugement doit également être confirmé sur les intérêts de retard calculés conformément aux conditions générales. Leur point de départ sera néanmoins fixé au 7 septembre 2020, date de signification de l'ordonnance d'injonction de payer.

Les conditions générales de vente comportent un article X dénommé « Clause pénale » selon lequel le défaut de paiement « entraînera également une majoration de 20% ». La société Lutèce est bien fondée à soutenir que la somme réclamée à ce titre à hauteur de 3 564,58 euros présente un montant excessif. Le jugement déféré doit également être confirmé en ce qu'il l'a limitée à 500 euros.

L'indemnité forfaitaire de recouvrement est prévue à l'article L.441-10 du code de commerce.

Le jugement déféré doit ainsi être confirmé en toutes ses dispositions.

Dans le corps de ses écritures, la société Rénoval s'engage à procéder, dès règlement des sommes dues, à la livraison des menuiseries ayant fait l'objet des commandes n° 1911084 du 21 novembre 2019 et n° 1911132 du 28 novembre 2019. Ce « donner acte » ne sera pas repris dans le dispositif puisqu'il ne figure pas dans le dispositif des dernières conclusions de la société Rénoval.

Sur les autres demandes

La société Lutèce sollicite pour la première fois en cause d'appel la condamnation de la société Rénoval à lui verser 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral en raison du manquement à l'obligation de livraison des commandes des 20 et 28 décembre 2019 aux 16 et 17 décembre 2019. Aucun moyen n'est invoqué dans la partie discussion des conclusions de la société Lutèce au soutien de cette demande, contrairement aux termes de l'article 954 du code de procédure civile. Cette réclamation s'oppose également à la solution du litige qui a exclu le comportement fautif de la société Rénoval.

Une indemnité doit être allouée à la société Rénoval sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en complément de celle déjà allouée par les premiers juges.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement déféré sauf concernant le point de départ des intérêts ;

Statuant de nouveau de ce chef ;

DIT que les intérêts seront dus à compter du 7 septembre 2020 ;

CONDAMNE la société Lutèce aux dépens ;

CONDAMNE la société Lutèce à verser à la société Rénoval la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes.