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Décisions

CA Douai, référés, 4 mars 2024, n° 23/00165

DOUAI

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

La Florentine (SARL)

Défendeur :

Minoterie de Leforest (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Château

Avocats :

Me Levasseur, Me Minne, Me Peyres

CA Douai n° 23/00165

3 mars 2024

EXPOSE DU LITIGE

 Suivant acte sous seing privé du 8 avril 2021,

- la société La Florentine reconnaissait avoir reçu de la SAS Minoterie de Leforest le 29 mars 2021 un prêt de 6524,52 euros remboursable sur 5 ans sous forme d'un avoir annuel de 1 304,90 euros établi par la SAS Minoterie le 31 décembre de chaque année, et pour la première fois le 31 décembre 2021, moyennant un taux d'intérêt de 0 %.

- en contrepartie de ce prêt consenti, la société La Florentine s'engageait à se fournir en farine auprès de la société Minoterie de Leforest pour une quantité minimale de 600 quintaux par an, et ce pour une durée de 5 ans, soit une quantité minimale de 3 000 quintaux sur toute la période.

Invoquant l'inexécution de cette convention commerciale , la société Minoterie de Leforest a, par acte en date du 22 septembre 2023 fait assigner la société La Florentine devant le tribunal de commerce de Lille-Métropole aux fins de voir constater la résiliation de la convention commerciale à la date du 16 mai 2023 et d'obtenir la condamnation de la société La Florentine au paiement des sommes découlant de l'inexécution de ladite convention.

Par jugement du 7 novembre 2023, le tribunal de commerce de Lille-Métropole a :

- condamné la société La Florentine à payer à la société Minoterie de Leforest les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2023 :

o 61 684,63 euros au titre des volumes de farine non achetés ;

o 5 219,62 euros au titre du remboursement anticipé du capital restant du prêt ;

- condamné la société La Florentine à payer à la société Minoterie de Leforest les sommes suivantes :

o 260,98 euros au titre de l'indemnité forfaitaire ;

o 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- condamné la société La Florentine aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 60,22 euros en ce qui concerne les frais de greffe ;

- débouté la société Minoterie de Leforest du surplus de ses demandes ;

- rappelé que le jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.

Par déclaration adressée au greffe de la cour d'appel de Douai le 28 novembre 2023, la société La Florentine a interjeté appel de la décision.

Par acte en date du 19 décembre 2023, la société La Florentine a fait assigner la société Minoterie de Leforest devant le premier président de la cour d'appel de Douai aux fins de solliciter l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement rendu le 7 novembre 2023.

L'affaire appelée à l'audience du 8 janvier 2024, a été renvoyée à la demande des avocats des parties à l'audience du 5 février 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES A L'AUDIENCE DU 5 FÉVRIER 2024

La société La Florentine, demande au premier président, au visa des articles 524, 514-3 du code de procédure civile et 6-1 de la convention européenne des droits de l'Homme, de :

- se dire incompétent au profit du conseiller de la mise en état concernant la demande de radiation présentée reconventionnellement,

- suspendre l'exécution provisoire du jugement rendu le 7 novembre 2023,

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- débouter la société Minoterie de Leforest de sa demande de radiation et de ses autres demandes ;

- condamner la société Minoterie de Leforest à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Elle expose que :

- la demande de radiation présentée par la partie adverse participe d'une réelle volonté d'empêcher l'efficacité de la procédure d'arrêt de l'exécution provisoire et de limiter l'accès à la procédure d'appel ;

- il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation du jugement dans la mesure où l'engagement d'approvisionnement exclusif est nul en raison d'une part, de l'absence de signature du contrat, et d'autre part, de l'existence d'un déséquilibre significatif résultant des quantités d'achat de farine imposées dans le contrat et de l'existence de clauses exorbitantes puisqu'il est convenu par exemple, qu'aucun investissement personnel et/ou professionnel ne sera réalisé sans l'accord préalable de la société Minoterie de Leforest par la société La Florentine ; que la société Minoterie de Leforest aura connaissance de la situation comptable de son co-contractant, notamment chiffre d'affaires, marges, charges ; que la société La Florentine s'engage à fournir régulièrement tout documents comptables permettant au prêteur d'avoir un regard sur sa situation comptable et financière ce qui constitue une ingérence totale de la société Minoterie de Leforest dans son activité ; la souscription d'une assurance vie pour garantir le remboursement du prêt ; un taux de 5 % sur le capital restant dû et de 3 % d'intérêt de retard avec capitalisation en cas d'exigibilité anticipée du prêt ;

- les volumes imposés ne correspondent pas à la capacité réelle du client, qu'une indemnité de 18 euros HT par quintal non acheté est prévue et que les prix peuvent varier en cours de contrat au gré du vendeur de sorte que le déséquilibre est manifeste d'autant que, sur le plan économique la contrepartie d'un prêt d'environ 6 000 euros pour l'installation d'une enseigne portant la marque la Minoterie est un engagement d'achat de 54 000 euros, ainsi, la sanction du déséquilibre manifeste est le caractère non écrit des clauses concernées et l'indemnisation du préjudice subi de sorte qu'elle démontre l'existence de moyens sérieux de réformation ou d'annulation ;

- sur les conséquences manifestement excessives, elle excipe qu'en 2023, elle a été contrainte de fermer un de ses deux établissements un an après son ouverture, qu'elle a réalisé en mars 2023 un bénéfice en net recul par rapport aux années précédentes, que le montant des condamnations, d'environ 70 000 euros est disproportionné au regard de ses facultés de remboursement et que la société Minoterie de Leforest publie ses comptes sous déclaration de confidentialité et ne verse aucun élément à la procédure attestant de ses facultés de remboursement.

La société Minoterie de Leforest, au visa des articles 514 et suivants, 524 et suivants du code de procédure civile, L. 442-1 du code de commerce dans sa version applicable à l'espèce, demande au premier président de :

- débouter la S.A.R.L. La Florentine de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- ordonner la radiation de l'affaire enregistrée à la cour d'appel de Douai sous le n° 23/05276 ;

- condamner la S.A.R.L. La Florentine à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais et dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- l'exemplaire de l'acte de prêt et de la convention commerciale dûment paraphé à chaque page et signé par M. [G] pour le compte de la société appelante sont versés aux débats ;

- les parties ont reconnu dans le préambule de l'acte de prêt de la convention commerciale

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du 8 avril 2021 que les clauses et conditions du contrat ont été librement négociées et acceptées. De plus, la société appelante a indiqué dans ce même préambule renoncer à invoquer les dispositions de l'article 1171 du code civil régissant le contrat d'adhésion. En tout état de cause, les quotas de farine ont été déterminés de concert, ainsi la société La Florentine ayant contracté en toute liberté, ne peut sérieusement invoquer une quelconque soumission ou tentative de soumission au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce ;

- la SA La Florentine n'apporte aucune preuve au soutien de ses prétentions, ni ne démontre en quoi le quota de 3 000 quintaux sur 5 ans constitue une obligation créant un déséquilibre significatif ;

- l'exclusivité d'achat et le quota de farine prévus dans la convention commerciale sont une contrepartie au prêt et à la pose de l'enseigne permettant à l'appelante de se revendiquer de la filière qualité « Banette » et de bénéficier de son prestige auprès des consommateurs ;

- en tant que prêteur, elle est fondée à vérifier le chiffre d'affaires de son emprunteur pour prétendre aux indemnités et ce, sans que cela ne constitue un quelconque déséquilibre significatif ;

- l'indemnité de 18 euros HT par quintal de farine non acheté n'est pas excessive au regard du prix du quintal de farine fixé à 75 euros HT ;

- la convention commerciale ne permet pas de fixer les prix à son gré en cours de contrat dans la mesure où elle prévoit une modification du prix d'un commun accord, après qu'une offre de modification de prix ait été adressée et qu'elle ait été acceptée de façon expresse de sorte qu'il n'existe aucun déséquilibre significatif et ainsi, la société appelante n'apporte pas la preuve de la nullité du contrat et par conséquent, elle ne démontre pas non plus l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation ;

- la société appelante n'a jamais fait été de quelconques difficultés financières, que ce soit avant ou après la signature de l'acte de prêt et de la convention commerciale et ce, d'autant qu'elle a réalisé, en 2023, un chiffre d'affaires de 2 138 594 euros et une hausse de son résultat de 3 % et qu'elle dispose d'une capacité d'autofinancement de 125 705 euros de sorte qu'elle est parfaitement en mesure de procéder au paiement des condamnations pécuniaires ;

- le chiffre d'affaires de la concluante, pour l'année 2022 est de 10 000 000 d'euros de sorte que le remboursement des condamnations en cas de réformation ou d'annulation du jugement est assuré, ainsi, il n'est pas démontré que l'exécution provisoire du jugement présente un risque de conséquences manifestement excessives ;

- le jugement du tribunal de commerce a été signifié le 30 novembre 2023, pourtant, à ce jour, la société appelante n'a toujours pas exécuté les causes dudit jugement de sorte que la radiation de l'appel interjeté est encourue.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la demande d'arrêt d'exécution provisoire

Il ressort des dispositions de l'article 514-3 alinéa 1er du code de procédure civile, applicable aux instances introduites après le 1er janvier 2020, ce qui est le cas en l'espèce, qu'en cas d'appel, le premier président peut arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsque celle-ci risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives et lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision de première instance.

1. 1 Sur les conséquences manifestement excessives

L'alinéa 2 du même article dispose que :

« La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance. »

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En l'espèce, la S.A.R.L. La Florentine qui n'avait pas comparu devant le tribunal de commerce de Lille-Métropole, doit justifier que le maintien de l'exécution provisoire entraîne des conséquences manifestement excessives, celles-ci pouvant être des conséquences connues antérieurement à la décision de première instance.

La S.A.R.L. La Florentine soutient que le montant des condamnations qui est d'environ 70 000 euros est tout à fait disproportionné au regard de ses facultés de remboursement, que ses résultats sont en net recul, 150 K € en 2020, 103 K € en 2021 et 49,9 K € en 2022, qu'en 2023 elle a été contrainte de fermer un de ses deux établissements et ce un an après son ouverture.

Sur ce,

Les comptes de la S.A.R.L. La Florentine pour la période du 1er mai 2022 au 30 avril 2023 font apparaître un résultat de l'exercice stable par rapport à l'année précédente puisque s'établissant à 51 438 euros, mais résultant d'une baisse de 60% des charges exceptionnelles, une diminution du chiffre d'affaires de 8 %, une diminution de la marge de production de 13 %, une diminution de la valeur ajoutée produite de 15%, une diminution de l'excédent brut d'exploitation de 19 %, une diminution du résultat d'exploitation de 35 %, une diminution de 107 % de la trésorerie qui passe de 107 507 euros au 30 avril 2022 à 7624 euros au 30 avril 2023.

Au vu de ces données, le paiement immédiat de la somme de 67 725,45 euros due, hors intérêts, au titre de l'exécution provisoire de la décision du 7 novembre 2023 aurait des conséquences manifestement excessives pour cette société.

1. 2. Sur les moyens sérieux de réformation de la décision

Dans la mesure où la société Minoterie de Leforest verse aux débats l'acte du 8 avril 2021 non seulement paraphé par les parties à chaque page, mais signé en dernière page par M. [S] [G] représentant la Minoterie et par M. [L] gérant de la S.A.R.L. La Florentine, celle-ci ne peut soutenir que le contrat non signé ne vaut engagement.

En revanche, et ce même s'il appartiendra à la chambre commerciale de la cour d'appel de Douai de dire si les demandes formées par la S.A.R.L. La Florentine sont fondées, apparaissent comme des moyens sérieux de réformation les moyens qu'elle soulève en application de l'article L 442-1 du code de commerce au motif d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Ainsi en contrepartie d'un prêt minime de 6524,52 euros, la S.A.R.L. La Florentine s'engageait à s'approvisionner exclusivement en produits banette, Pel Fleur de Lys, Pel Banette, Armel, Bio, et farine de tradition française à hauteur minimale de 3000 quintaux de farine, pour 5 ans alors que la farine la moins chère est au prix de 75 euros le kilo, soit un engagement minimal de 225 000 euros HT. Or, elle justifie que le point de vente du [Adresse 2] selon la pièce 3 versée aux débats avait une panification mensuelle de 35 quintaux, soit 2100 quintaux sur 5 ans.

1.3 conclusion

Il sera fait droit à la demande d'arrêt d'exécution provisoire de la décision du tribunal de commerce de Lille Métropole du 7 novembre 2023.

Sur la demande de radiation

L'article 524 du code de procédure civile prévoit que « Lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision. »

Il n'est pas justifié qu'à ce jour les parties aient reçu du bureau d'ordre civil de la cour d'appel de Douai, un avis de distribution à une des deux sections de la chambre commerciale de la cour, ni qu'un magistrat de la mise en état ait été nommé de sorte qu'en application de l'article 524 du code de procédure civile, la présente juridiction du premier président est compétente pour statuer sur la demande de radiation de l'affaire au fond enregistrée sous le numéro de répertoire général 23/05276.

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Dans la mesure où il vient d'être fait droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la décision du tribunal de commerce de Lille Métropole du 7 novembre 2023 dans l'instance opposant la S.A.R.L. La Florentine à la SAS Minoterie de Leforest, il ne sera pas fait droit à la demande de radiation pour défaut d'exécution formée par la SAS Minoterie de Leforest.

Les dépens et indemnités d'article 700 du code de procédure civile

Chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance et il ne sera pas fait droit aux demandes respectives des parties d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Arrête l'exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 7 novembre 2023 dans l'instance opposant la S.A.R.L. La Florentine à la SAS Minoterie de Leforest,

Se déclare compétent pour connaître de la demande formée par la SAS Minoterie de Leforest de radiation de l'affaire au fond enregistrée sous le numéro de répertoire général 23/05276,

Déboute la SAS Minoterie de Leforest de sa demande de radiation de l'affaire au fond enregistrée sous le numéro de répertoire général 23/05276,

Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance,

Déboute les parties de leurs demandes respectives d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile.