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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 1 mars 2024, n° 23/14087

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

La Société Auto Verdun (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

Mme Chopin, M. Birolleau

Avocats :

Me Le Roy, Me Faroigi

TGI Créteil, du 24 août 2023, n° 23/0035…

24 août 2023

Par acte du 14 septembre 2012, Mme [F] [W] veuve [G], Mme [X] [G] et M. [L] [G] (ci-après les consorts [G]) ont donné à bail commercial, renouvelant le bail précédemment consenti le 30 avril 2003 à la société Auto Verdun, représentée par son gérant M. [V] [Z], des locaux situés [Adresse 1], à [Localité 7] (Val-de-Marne), aux fins d'y exercer une activité d'entretien, réparation, pose d'accessoires automobiles, achat-vente de véhicules automobiles et de tous produits accessoires, moyennant un loyer annuel de 13.000 euros, payable trimestriellement, à terme échu.

Les loyers n'ayant plus été réglés, les bailleurs ont fait délivrer à la société Auto Verdun, par acte du 25 octobre 2022, un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme de 7.071,63 euros au titre de l'arriéré locatif, terme du quatrième trimestre 2022 inclus.

Par acte du 9 février 2023, les consorts [G] ont fait assigner la société Auto Verdun et son gérant, M. [V] [Z], devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil aux fins, notamment, de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, subsidiairement, de prononcé de la résiliation du bail, expulsion et condamnation in solidum des défendeurs au paiement de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.

Par ordonnance du 24 août 2023, le premier juge a :

constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 26 novembre 2022 ;

ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le mois de la signification de l'ordonnance, l'expulsion de la société Auto Verdun et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 1] à [Localité 7] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;

dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant dans les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposé en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;

fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due in solidum par la société Auto Verdun et M. [V] [Z], en qualité de gérant, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires et condamné ces derniers in solidum à la payer ;

débouté les consorts [G] de leur demande de condamnation provisionnelle des défendeurs au paiement de l'arriéré locatif arrêté au 16 juin 2023 dont l'apurement a été justifié ;

dit n'y avoir lieu à référé sur la demande formée au titre de la clause pénale ;

dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation provisionnelle des demandeurs au titre du remboursement des cotisations d'assurances facturées par eux ;

condamné in solidum la société Auto Verdun et M. [V] [Z] aux entiers dépens et à payer aux consorts [G] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclarations des 5 et 7 septembre 2023, la société Auto Verdun et M. [V] [Z] ont relevé appel de cette décision. Ces procédures enregistrées sous les n° RG 23/13845, 23/14063 et 23/14087 ont été jointes par ordonnance du 19 octobre 2023.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 18 novembre 2023, la société Auto Verdun et M. [V] [Z] demandent à la cour de :

déclarer l'appel recevable ;

y faisant droit,

annuler et infirmer les dispositions de la décision entreprise qui ont

ordonné 'la résolution de la clause résolutoire sans tenir compte des forces majeures auxquelles le gérant de la société Auto Verdun était confronté' ;

'statué sur une demande sans objet des intimés puisque le paiement intégral avait eu lieu' ;

'ordonné la vente aux enchères du matériel de travail de M. [V] [Z]' ;

et statuant à nouveau,

'constater les forces majeures : irrésistibles, extérieurs, imprévisibles dues aux maladies de M. [V] [Z] et ses opérations lourdes ayant nécessité trois mois d'arrêt de travail, le confinement Covid-19, et les travaux de la voirie qui ont duré trois ans auxquels le gérant de la société Auto Verdun était confronté et la bonne foi du gérant' ;

constater l'existence de contestations sérieuses ;

dire en conséquence que le bail ne peut être résilié ;

constater que le paiement des loyers avait été entièrement effectué et que par conséquent la demande des intimés était devenue sans objet ;

dire que le commandement de payer est nul et infondé ;

dire que le bailleur est tenu de délivrer un local en bon état d'usage et de réparations tout au long de l'exécution du bail ;

condamner 'la partie adverse dont les bailleurs' au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile alors qu'ils disposent d'une caution solidaire et d'un important dépôt de garantie ;

condamner la partie adverse au paiement de la somme de 5.000 euros pour procédure abusive et à supporter l'ensemble des charges et des dépens ;

confirmer pour le surplus la décision déférée en ses dispositions non contraires aux présentes ;

ordonner un délai de paiement rétroactif en vertu de l'article 1244-1 du code civil.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 12 décembre 2023, les consorts [G] demandent à la cour de :

débouter la société Auto Verdun et son gérant M. [V] [Z] de l'intégralité de leurs demandes ;

à titre principal,

juger irrecevables les prétentions nouvelles en appel de la société Auto Verdun et de son gérant, qui sont les suivantes :

constater 'les forces majeures : irrésistibles, extérieurs, imprévisibles dues aux maladies de M. [V] [Z] et ses opérations lourdes ayant nécessité trois mois d'arrêt de travail, le confinement Covid-19, et les travaux de la voirie qui ont duré trois ans auxquelles le gérant de la société Auto Verdun était confronté et la bonne foi du gérant' ;

constater l'existence de contestations sérieuses ;

dire et juger que le commandement de payer est entièrement nul et infondé ;

dire et juger que le bailleur est tenu de délivrer un local en bon état d'usage et de réparations tout au long de l'exécution du bail ;

condamner la partie adverse au paiement de 5.000 euros pour procédure abusive et à supporter l'ensemble des charges et des dépens ;

confirmer l'ordonnance entreprise ;

à titre subsidiaire,

prononcer la résiliation pure et simple du bail du 14 septembre 2012 aux torts de la société Auto Verdun pour défaut de paiement des loyers et charges à leur échéance et retards de paiements récurrents ;

en tout état de cause,

condamner in solidum la société Auto Verdun et son gérant, M. [V] [Z], à leur payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 24 janvier 2024.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

Selon l'article L.145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer.

En l'espèce, les consorts [G] ont fait délivrer à la société Auto Verdun, le 25 octobre 2022, un commandement de payer, visant la clause résolutoire stipulée dans le bail, pour un arriéré locatif de 7.071,63 euros au 1er octobre 2022.

Il ressort des pièces produites et, notamment, du relevé bancaire de la société Auto Verdun que cette dernière a effectué un virement d'un montant de 3.600 euros le 24 novembre 2022, puis, un second virement d'un montant de 3.471,63 euros, le 23 décembre 2022.

Pour s'opposer aux effets du commandement dont les causes n'ont pas été acquittées en totalité dans le mois de sa délivrance, et, donc, à l'acquisition de la clause résolutoire, les appelants invoquent des contestations sérieuses tenant à l'existence d'une situation de force majeure en lien avec les difficultés de santé de M. [V] [Z], au manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance dès lors que les locaux donnés à bail ne seraient pas conformes et seraient à l'origine des pathologies présentées par ce dernier, à l'application de l'article 14 de la loi n°2020-13-79 du 14 novembre 2020 prise dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, à la privation totale de jouissance du bien loué résultant des travaux de voirie ayant duré pendant trois ans, au paiement de la dette locative, à l'imprécision du commandement de payer quant au montant de la somme réclamée dès lors que le décompte annexé à l'acte ne permet pas d'identifier les sommes dues ni les échéances concernées et, enfin, à la mauvaise foi des bailleurs lors de la mise en oeuvre de la clause résolutoire.

Ces contestations, qui tendent à faire obstacle à la demande des bailleurs, ne constituent pas des prétentions nouvelles comme ces derniers le soutiennent, mais des moyens, pour certains nouveaux en appel, recevables en application de l'article 563 du code de procédure civile.

En tout état de cause, il est relevé que la demande tendant au prononcé de la nullité du commandement de payer, qui ne saurait être considérée comme nouvelle en appel, dès lors qu'elle tend, comme celles soumises au premier juge, à faire écarter les effets de la clause résolutoire, excèdent les pouvoirs de la cour, statuant en référé, qui ne peut annuler un commandement de payer, mais peut, le cas échéant, constater que les contestations du locataire sont suffisamment sérieuses pour priver cet acte de ses effets.

Le commandement de payer porte sur la somme en principal de 7.071,63 euros arrêtée au 1er octobre 2022.

Cet acte comporte, en page 1, un décompte établi pour la période du 1er octobre 2021 au 1er octobre 2022, qui comprend, notamment, l'intitulé des sommes figurant au débit du compte locataire, parmi lesquelles le 'loyer commercial', appelé trimestriellement aux dates respectives des 1er octobre 2021, 1er janvier, 1er avril, 1er juillet et 1er octobre 2022, toutefois, sans précision permettant d'identifier les échéances de loyer et de déterminer à quels trimestres elles correspondent.

Mais, en page 2 du commandement, il a été expressément indiqué que la somme de 7.071,63 euros correspond aux 'loyers et charges impayés + taxes foncières 2022 impayés terme 4ème T 2022 inclus', permettant ainsi de comprendre que sont visés dans le décompte précité l'ensemble des loyers trimestriels de l'année 2022, appelés en début de chaque trimestre civil.

Or, le bail prévoit un loyer annuel, payable à terme échu, en quatre termes égaux tous les trois mois, les premiers janvier, avril, juillet et octobre de chaque année.

Ainsi, au regard de cette disposition contractuelle, le loyer du 4ème trimestre 2022 n'étant pas encore exigible à la date du commandement de payer du 25 octobre 2022, ne pouvait être visé par cet acte.

Il apparaît de ces éléments que le commandement litigieux n'est pas suffisamment précis pour permettre au locataire, de manière évidente, de déterminer les sommes réclamées.

En tout état de cause, il est rappelé qu'un commandement de payer délivré pour un montant erroné n'est pas nul mais reste valable pour la partie non contestable de la dette.

Ainsi, en déduisant la somme de 3.742,07 euros au titre du 'loyer commercial' appelé le 1er octobre 2022, et correspondant, selon les indications portées par le commissaire de justice en page 2 de l'acte, au 4ème trimestre 2022, la dette locative s'élevait à la somme de 3.329,56 euros (7.071,63 - 3.742,07) à la date du commandement.

Or, la société locataire s'étant acquittée de la somme de 3.600 euros le 24 novembre 2022, soit dans le mois du commandement de payer, celui-ci n'a pu produire effet.

La demande tendant à l'acquisition de la clause résolutoire se heurte donc à une contestation sérieuse.

Ainsi, il convient, sans qu'il soit utile d'examiner les autres moyens invoqués, d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, ordonné l'expulsion de la société Auto Verdun, statué sur le sort des meubles et condamné cette dernière in solidum avec son gérant au paiement d'une indemnité d'occupation.

Sur la demande des bailleurs tendant au prononcé de la résiliation du bail

Faisant état des retards de paiement récurrents de la société Auto Verdun et ce, depuis 2012, ayant justifié la délivrance d'un commandement de payer en janvier 2019 puis, en février 2021et enfin en octobre 2022, et indiquant que celle-ci ne s'est pas acquittée de l'échéance d'octobre 2023, sans cependant former de demande à ce titre, les consorts [G] demandent à la cour de prononcer la résiliation du bail.

Cependant, une telle demande ne ressort pas des pouvoirs de la cour statuant en référé, seul le juge du fond ayant la possibilité de résilier un contrat.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Il résulte des articles 564, 566 et 567 du code de procédure civile, qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; elles ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; enfin, les demandes reconventionnelles sont recevables en cause d'appel.

Les appelants sollicitent la condamnation des consorts [G] au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en invoquant le caractère abusif de la présente procédure.

Cependant, cette demande, non formée en première instance, qui n'est ni l'accessoire ni la conséquence ni le complément nécessaires des demandes initiales, est nouvelle en appel et doit être déclarée irrecevable.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Au regard de l'issue du litige en appel, il convient de laisser à chacune des parties la charge des dépens et de ses frais exposés tant en première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise des chefs dont il a été fait appel ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de Mme [F] [W] veuve [G], Mme [X] [G] et M. [L] [G] tendant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de Mme [F] [W] veuve [G], Mme [X] [G] et M. [L] [G] tendant au prononcé de la résiliation du bail ;

Déclare irrecevable la demande de la société Auto Verdun et de M. [V] [Z] au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens et des frais irrépétibles qu'elle a exposés tant en première instance qu'en appel.