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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 5 mars 2024, n° 21/03799

TOULOUSE

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Cacao Fages (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Balista, Mme Martin De La Moutte

Avocats :

Me Malet, Me Commogeille, Me Benoit-Palaysi, Me Regourd

T. com. Toulouse, du 05 juill. 2021, n° …

5 juillet 2021

Exposé des faits et procédure :

La Sarl [B] Chocolatier est une société immatriculée depuis 1989 pour exercer une activité de fabrication et de vente de chocolat.

Le 9 janvier 2009, [S] et [P] [T] ont donné à bail commercial les locaux situés [Adresse 4] à [Localité 6] à la Sarl [B] Chocolatier.

Par acte authentique du 25 juin 2020, la Sarl [B] Chocolatier a notifié aux bailleurs un acte de cession de son fonds de commerce à la Sarl Cacao Fages comprenant le droit au bail.

Les bailleurs contestent la notion de cession de fonds de commerce qu'ils qualifient de cession de droit au bail et s'opposent à cette cession.

Par acte du 12 octobre 2020, [P] et [S] [T] ont assigné la Sarl [B] Chocolatier et la Sarl CACP Fages devant le tribunal de commerce de Toulouse en requalification de l'acte de cession de fonds de commerce en acte de cession de droit au bail.

Par jugement du 5 juillet 2021, le tribunal de commerce de Toulouse par jugement contradictoire a :

- déclaré sa compétence,

- débouté Messieurs [S] et [P] [T] de leur demande de requalification de l'acte de cession de fonds de commerce en acte de cession de droit au bail ;

- débouté Messieurs [S] et [P] [T] de toutes leurs demandes qui en découlent ;

- dit la demande en garantie de la Sarl Cacao Fage à l'encontre de la Sarl [B] Chocolatier sans objet en l'absence de requalification ;

- condamné Messieurs [S] et [P] [T] à payer, in solidum, la somme de 1 000 € à la Sarl [B] Chocolatier pour préjudice moral ;

- condamné Messieurs [S] et [P] [T] à payer, in solidum, la somme de 3 000 € à la Sarl Cacao Fages pour préjudice financier ;

- condamné Messieurs [S] et [P] [T] à payer, in solidum la somme de 1 000 € à la Sarl Cacao Fages pour prejudice moral,

- condamné Messieurs [S] et [P] [T] à payer in solidum respectivement à la Sarl [B] Chocolatier et à la Sarl Cacao Fages la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamné Messieurs [S] et [P] [T], in solidum, aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 2 septembre 2021, [S] et [P] [T] ont relevé appel du jugement. La portée de l'appel est l'infirmation des chefs du jugement qui ont :

débouté [S] et [P] [T] de leurs demandes :

de requalification de l'acte du 25.06.20 en acte de cession de droit au bail des locaux situés [Adresse 4] à [Localité 6] et de toutes les demandes qui en découlent

d'inopposabilité de cette cession à leur égard

d'expulsion de la Société Cacao Fages des locaux

de condamnation de la Société Cacao Fages au versement d'une indemnité d'occupation mensuelle et d'une demande de provision sur charges depuis le 25.06.20 jusqu'à son départ définitif

de résiliation judiciaire du bail conclu le 09.01.2009

d'expulsion de la Société [B] Chocolatier et celle de tout occupant de son chef et ce, sous astreinte provisoire et définitive

de condamnation de la Société [B] Chocolatier au versement d'une indemnité d'occupation mensuelle outre une provision sur charges depuis le 25.06.20 jusqu'à la libération effective des locaux

de condamnations solidaires et conjointes des Sociétés Cacao Fages et

[B] Chocolatier au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens dans lesquels seront compris les frais de tentative de médiation du 30.07.20

condamné [S] et [P] [T] à payer in solidum à la Sarl [B] Chocolatier 1.000 euros de dommages et intérêts, à la Sarl Cacao Fages 3.000 euros pour préjudice financier ainsi que 1.000 euros pour préjudice moral

condamné in solidum à payer respectivement à la Sarl [B] Chocolatier et à la Sarl Cacao Fages la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700

condamné in solidum aux entiers dépens.

Par ordonnance du 9 juin 2022, le magistrat chargé de la mise en état a:

- débouté [S] et [P] [T] de leur demande de communication de pièces

- condamné [S] et [P] [T] aux dépens de l'incident

- condamné [S] et [P] [T] à verser à la Sarl [B] Chocolatier la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur [P] [T] est décédé le 30 mars 2023. [S] [T] qui était nu-propriétaire du bien immobilier litigieux en raison d'une donation du 25 mai 1996 est désormais pleinement propriétaire du bien. C'est donc en qualité de propriétaire du bien que Monsieur [S] [T] a repris l'instance.

La clôture a eu lieu le 15 mai 2023.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions de reprise d'instance notifiées le 26 avril 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de [S] [T] demandant, au visa des articles 202 et 700 du Code de Procédure Civile, 1104, 1112-1, 1188 et suivants, 1353,1363 et 1385 et suivants du Code Civil de :

rejeter toutes conclusions contraires

juger qu'il y a lieu d'infirmer les dispositions du jugement du Tribunal de Commerce du 05/07/2021, portant préjudice aux consorts [T],

recevoir l'intégralité des moyens et prétentions des appelants

juger qu'il y a lieu de requalifier l'acte du 25/06/2020 en acte de « cession de droit au bail » des locaux sis [Adresse 4] à [Localité 6]

juger qu'il y a lieu de constater le défaut d'autorisation préalable par écrit du bailleur à cette cession de droit au bail, en infraction aux stipulations contractuelles,

en conséquence :

juger qu'il y a lieu de prononcer l'inopposabilité de cette cession aux consorts [T],

juger qu'il y a lieu d'ordonner l'expulsion de la Sarl Cacao Fages, occupante sans droit ni titre des locaux qu'elle occupe [Adresse 4] à [Localité 6],

juger qu'il y a lieu de prononcer, à défaut de restitution volontaire des lieux, une astreinte provisoire de 500 € (cinq cents euros) par jour de retard, un mois après la signification de l'arrêt à intervenir. A l'expiration de ce délai, dire que l'astreinte deviendra définitive au taux de 1 000 € (mille euros) par jour de retard, jusqu'à la libération effective des locaux,

juger qu'il y a lieu de condamner la Sarl Cacao Fages au versement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1 309,19 €, outre 26 € de provision sur charges, - en deniers ou quittance, jusqu'à son départ définitif,

juger qu'il y a lieu de prononcer la résiliation judiciaire du bail conclu le 09/01/2009, portant sur des locaux [Adresse 4] à [Localité 6],

juger qu'il y a lieu d'ordonner, à défaut de restitution volontaire des lieux, l'expulsion de la Sarl [B] Chocolatier et celle de tous occupants de son chef, sous astreinte provisoire de 500 € (cinq cents euros) par jour de retard, un mois après la signification du jugement à intervenir. A l'expiration de ce délai, dire que l'astreinte deviendra définitive au taux de 1 000 € (mille euros) par jour de retard, jusqu'à la libération effective des locaux,

juger qu'il y a lieu de condamner la Sarl [B] Chocolatier au versement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1 309,19 €, outre 26 € de provision sur charges, - en deniers ou quittance, - jusqu'à la libération effective des locaux,

juger qu'il y a lieu de débouter la Sarl Cacao Fages de son appel incident,

en toutes hypothèses, juger qu'il y a lieu d'infirmer les dispositions du jugement du 05/07/2021 ayant condamné les consorts [T] à payer des dommages et intérêts, au titre du préjudice moral et financier, au profit des Sarl [B] Chocolatier et Sarl Cacao Fages, qui seront déboutées de leurs demandes injustifiées,

juger qu'il y a lieu de les condamner respectivement à restituer les sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire, avec intérêt légal du jour de leur versement et capitalisation dans les termes de l'article 1343-2 du Code Civil,

juger qu'il y a lieu de condamner conjointement et solidairement la société Cacao Fages et la société [B] Chocolatier au paiement d'une indemnité de 10 000 € TTC (dix mille euros) sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de 1 ère instance et d'appel, dans lesquels seront compris les frais de la tentative de médiation du 30/07/2020, les dépens d'appel pouvant être recouvrés directement par la Scp Malet, avocats, sur son affirmation de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC,

Vu les conclusions n°1 notifiées le 22 février 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la SARL [B] CHOCOLATIER demandant de :

rejeter toutes conclusions contraires comme injustes et en tous cas mal fondées,

déclarer irrecevable la demande tendant à déférer le serment décisoire à Madame [O] [B] es-qualité de gérante de la Sarl [B] Chocolatier, ou en tout état de cause la déclarer infondée,

confirmer en l'ensemble de ses dispositions le jugement dont appel,

en conséquence, débouter Messieurs [S] et [P] [T] de leur demande en requalification et la société Cacao Fages de ses demandes de garantie et de condamnations dirigées à l'encontre de la Sarl [B] Chocolatier,

à titre infiniment subsidiaire :

débouter la société Cacao Fages de ses demandes de garantie et de condamnations dirigées à l'encontre de la société [B] Chocolatier,

débouter [S] et [P] [T] de leur demande de résolution du bail aux torts et griefs de la société [B] Chocolatier

en tout état de cause :

condamner Messieurs [S] et [P] [T] à payer à la société [B] Chocolatier la somme de 5 000 euros à raison du préjudice moral subi par la société [B] Chocolatier du fait du comportement des consorts [T] ainsi qu'une une indemnité de 5 000,00€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les conclusions n°1 et appel incident notifiées le 24 février 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la SARL CACAO FAGES demandant, au visa des articles L145-16 du Code de commerce, articles 1104, 1105, 1117, 1323 et 1324 du Code civil, article 700 du Code de procédure civile de :

à titre principal : confirmer le jugement du 5 juillet 2021 du Tribunal de commerce de Toulouse en ce qu'il

se déclarait compétent pour juger de l'affaire,

déboutait les consorts [T] de l'ensemble de leurs prétentions (dont la demande de requalification de l'acte de cession de fonds de commerce en acte de cession de droit au bail),

condamnait les consorts [T], in solidum, aux entiers dépens.

condamnait les consorts [T], in solidum, à verser à la Sarl Cacao Fages et à la Sarl [B] respectivement 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

de manière incidente : infirmer le jugement du 5 juillet 2021 du Tribunal de commerce de Toulouse en ce qu'il

condamnait les consorts [T], in solidum, à verser à la Sarl Cacao Fages 3 000 euros au titre du préjudice financier,

condamnait les consorts [T], in solidum, à verser à la Sarl Cacao Fages 1 000 euros au titre du préjudice moral ;

par conséquent, statuant à nouveau :

condamner tout succombant à indemniser la société Cacao Fages d'un montant de 16.408 € tous préjudices confondus

à titre subsidiaire en cas de requalification : infirmer le jugement du 5 juillet 2021 du Tribunal de commerce de Toulouse en ce qu'il

a dit la demande en garantie de la société Cacao Fages à l'encontre de la société [B] Chocolatier sans objet en l'absence de requalification

par conséquent, statuant à nouveau :

condamner la société [B] Chocolatier à relever et garantir la société Cacao Fages de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, de même que de toutes les conséquences financières subies du fait de la requalification,

dire et juger que la société Cacao Fages pourra engager toute action relative à l'anéantissement de l'acte de cession du fonds de commerce et à ses conséquences notamment à l'encontre de la société [B] Chocolatier.

en toute hypothèse, condamner solidairement en cause d'appel Monsieur [S] [T] et Monsieur [P] [T] à régler la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Motifs de la décision :

le débat en appel porte essentiellement, comme en première instance, sur la requalification de l'acte de cession du fonds de commerce entre la sarl [B] Chocolatier et la sarl Cacao Fages dont le bailleur sollicite la nullité de l'acte comme étant une cession de droit au bail qu'il n'a pas agréée.

La demande tendant à déférer le serment décisoire a été abandonnée en cours d'instance d'appel et ne fait plus l'objet de prétentions dans le cadre des dernières conclusions de l'intimée.

- sur la requalification du contrat de cession de fonds de commerce en cession de droit au bail :

Il appartient au bailleur d'établir une infraction au statut du bail commercial qu'il invoque (Com., 24 janvier 2006, pourvoi n° 04-15.175).

En l'espèce le bailleur conteste la qualification de cession de fonds de commerce en estimant que la cession ne porte pas sur la cession de la clientèle du fonds de commerce qui, selon lui, n'existait plus en raison de la fermeture de l'établissement pendant plusieurs mois avant la cession litigieuse et transfert de l'activité dans un autre local.

En application de l'article L141-5 du code de commerce, la cession d'un fonds de commerce n'inclut pas nécessairement celle du bail des locaux d'exploitation de ce fonds (com 9 mai 2007 n° 05-20057) mais dès lors qu'une partie non négligeable de la clientèle a été effectivement cédée, il y a bien vente du fonds de commerce et non cession du droit au bail (cf 3eme civ 29 nov.2005 n°04-17031).

En revanche, constitue une cession du droit au bail, la cession du fonds de commerce en l'absence totale d'achalandage, de marchandises et d'activité commerciale durant l'année ayant précédé l'acte litigieux (cf Com 24 janvier 2006 n° 04.15175).

Le bailleur produit, pour établir le défaut de transfert de clientèle au cessionnaire, le fait que la sarl [B] chocolatier n'établit pas avoir exploité [Adresse 4], local litigieux, un fonds de commerce indépendant et autonome de son fonds principal exploité [Adresse 1] dès lors que la seule déclaration de la sarl [B] Chocolatier est une preuve que la partie se fait à elle-même et comme telle inopérante en application de l'article 1363 du code civil.

De plus, il considère que l'attestation AJICEA de son expert comptable ne satisfait pas aux exigences de l'article 202 du cpc, est, comme telle, irrecevable et surtout n'est pas un document comptable précis du propre aveu de l'auteur de l'attestation et non appuyée de pièces justificatives probantes comme les factures edf-gdf.

De plus, le bailleur insiste sur le fait que la sarl [B] Chocolatier a refusé le serment décisoire pour authentifier ses propres déclarations. Il produit également en pièce 28 un courrier d'une agence immobilière adressé à son avocat en janvier 2020 dans le cadre du projet de mise en vente du droit au bail pour connaître les exigences du bailleur notamment sur les activités refusées.

La sarl [B] Chocolatier rétorque qu'en 2015, elle avait proposé au bailleur d'envisager une cession du droit au bail avec changement d'activité, pour la vente de bagels, ce qui lui avait été refusé et qu'elle a donc été dans l'obligation de poursuivre l'exploitation du fonds au [Adresse 4], le bailleur exprimant son attachement à une certaine tranquillité sur la place et à un accès permanent pour les véhicules à l'intérieur de l'immeuble.

De même en 2016, elle lui proposait de revenir à l'activité exercée avant l'acquisition du droit au bail en 2009, la vente de prêt à porter, ce que le bailleur lui a également refusé en insistant sur la destination exclusive du bail de « chocolaterie, confiserie, pâtisserie avec possibilité de fabrication occasionnelle uniquement dans le cadre de démonstration à l'exclusion de tout autre ». Elle explique qu'elle a donc poursuivi l'exploitation du fonds et qu'en 2019, pour des raisons de santé, madame [B] a été dans l'obligation de fermer temporairement cette boutique du centre ville, de mai à novembre 2019, et qu'après sa réouverture, un acquéreur va se présenter pour exploiter une chocolaterie pâtisserie alors qu'il dispose d'un fonds principal [Adresse 2] à [Localité 6]. L'acte de cession du fonds de commerce sera signé le 25 juin 2020.

Elle rappelle que le serment décisoire n'était pas recevable dès lors que [O] [B] n'est pas partie au litige et les questions posées devant être personnelles à la sarl [B] Chocolatier. Enfin, le serment ne s'impose que si les justificatifs produits sont inopérants.

Or, elle expose que la cession du fonds de commerce répond bien à l'élément essentiel la cession de la clientèle du fonds de commerce du [Adresse 4] alors qu'après quelques mois de fermeture, l'exploitation avait repris en novembre 2019 quand l'état de santé de madame [B] l'a permis, sans aucun autre salarié attaché à ce fonds. Enfin, elle indique produire en pièce 16 un compte de résultat pour le seul fonds de commerce de la [Adresse 4].

La cour relève, à titre liminaire, que si la sarl [B] Chocolatier a envisagé en 2015 et 2016 de céder son droit au bail, et si dans un courrier en 2020, elle a interrogé une fois de plus le bailleur sur ses exigences en matière de destination du bail dans le cadre d'un projet de cession du droit au bail, cela ne signifie pas qu'elle avait interrompu définitivement l'exploitation du fonds [Adresse 4] et qu'elle avait renoncé à vendre son fonds de chocolaterie, confiserie, pâtisserie. La difficulté était pour elle de trouver un repreneur dans ce champ d'activité qui soit intéressé par l'exploitation de ce local avec les limitations strictes d'exercice posées par le bailleur.

Il est manifeste que pour la sarl [B] Chocolatier, ce fonds de commerce ne répondait plus à ses attentes commerciales, qu'elle souhaitait le revendre depuis 2015 et que l'intransigeance du bailleur sur la destination exclusive figurant au bail l'empêchait de trouver aisément un repreneur.

Par ailleurs, à l'examen des pièces produites, la cour constate que la sarl [B] Chocolatier ne tenait pas de comptabilité analytique pour distinguer les résultats de ses deux fonds de commerce sis [Adresse 1] et [Adresse 4]. Or, la tenue d'une telle comptabilité n'est pas obligatoire.

Elle produit pour établir la distinction des deux établissements deux attestations de son expert comptable, la Sarl Acijea, en pièces n° 16 et 17.

Ces pièces sont recevables s'agissant de documents d'un professionnel du chiffre qui est identifiable comme étant l'expert comptable de la sarl [B] Chocolatier avec le tampon du cabinet comptable soumis à des obligations déontologiques précises qui s'imposent juridiquement et moralement au même titre, voire avec une rigueur plus lourde, que toutes les exigences de l'article 202 du cpc vis à vis d'un particulier qui établit une attestation dans le cadre d'un procès.

La pièce n°16 établit un document qui tente de reconstituer le compte de résultat du fonds situé [Adresse 4] en 2018-2019, en se réservant une marge d'erreur, en fonction des clés de répartition tenant compte du chiffre d'affaires de chaque établissement, du taux de marge sur les matières consommables global de l'entreprise et des heures travaillées pour l'ensemble de salariés et la direction.

La pièce n°17 rend compte du chiffre d'affaires réalisé mensuellement de juillet 2019 à juin 2020 [Adresse 4] et correspond à la fermeture du magasin de juillet 2019 à novembre 2019 compris, comme annoncé par la sarl [B] Chocolatier.

Les critiques du bailleur sur les erreurs figurant dans les dites pièces sont inopérantes pour établir leur caractère non probant.

D'une part, en dépit du fait que la fabrication des chocolats et confiseries ne devaient se faire, selon le bail, que de façon occasionnelle [Adresse 4], la ligne « matières premières + emballages consommés » est totalement justifiée au regard du montant retenu puisque la vente exigeait des produits fabriqués et surtout des emballages pour les vendre.

Par ailleurs, la gérante salariée était la seule à travailler dans cet établissement les heures d'ouverture, ce qui explique la ligne salaire et la répartition de la charge prime à l'embauche due par la sarl [B] Chocolarier pour les deux établissements exploités par cette société.

Enfin, si la ligne EDF/GDF [Adresse 1] (673,74 euros) et la ligne loyer SCI Le cerisier (2.311,25 euros) ne semblent pas cohérentes avec l'exploitation [Adresse 4], les montants retenus ne sont guère significatifs par rapport au total des produits retenu (70.446,01 euros) et au résultat négatif de 20.561,50 euros. Et de surcroît, ces deux charges éventuellement indues devraient conduire à réduire le résultat mentionné en déduisant ces deux charges, comptabilisées à tort, dans le compte des résultats du fonds de la [Adresse 4].

Concernant la pièce n°17, l'expert comptable précise que les informations ont été établies sous la responsabilité de [O] [B], gérante de la société, et indique que son intervention a été effectuée selon les règles déontologiques de sa profession et la norme professionnelle de l'Ordre des experts comptables applicable aux attestations particulières délivrées par le professionnel de l'expertise comptable à la demande de l'entité (NP 3100). Et elle ajoute « nos travaux ont consisté à effectuer les rapprochements nécessaires entre ces informations et la comptabilité dont elles sont issues et vérifier qu'elles concordent avec les éléments ayant servi de base à l'établissement des comptes annuels de l'exercice et vérifier la concordance de ces informations avec les données sous tendant la comptabilité. »

S'agissant du fonds de commerce situé en centre ville pour vendre des chocolats, confiseries et pâtisseries, fabriqués pour l'essentiel [Adresse 1], l'expert comptable vérifie, éventuellement par simples sondages, les enregistrements de la caisse enregistreuse du local du [Adresse 4].

Dès lors, l'attestation de la pièce 17 est suffisamment probante pour établir que le fonds disposait d'une clientèle et que l'exploitation avait repris en décembre 2019 puisque les ventes de noël en décembre 2019 avaient atteint 32.932 euros, celles de janvier 2020 4.874 euros et celles de février 2020 2.456 euros et s'est poursuivie, certes faiblement, jusqu'en juin 2020, date de la régularisation de la promesse de vente souscrite en mars 2020.

Le bailleur échoue, par conséquent, à établir que le local exploité au [Adresse 4] ne disposait plus d'aucune clientèle au moment de l'acte de cession litigieux en juin 2020. Par ailleurs, l'acte de cession dont il est demandé la nullité comporte les données exigées par les textes depuis la loi Macron n° 2015-990 du 6 août 2015, l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et l'abrogation de l'article L141 du code de commerce par la loi n° 2019 -744 du 19 juillet 2019.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le bailleur de sa demande de requalification de l'acte de cession du fonds de commerce en cession de droit au bail et en nullité de la vente.

Subsidiairement, le bailleur demande la résiliation de la cession du droit au bail en sollicitant l'interprétation de la commune intention des parties en application de l'article 1184 du code civil.

Il se fonde sur la volonté exprimée de la sarl [B] Chocolatier de céder son droit au bail depuis 2016 et sur l'information donnée à la clientèle d'une fermeture définitive de la boutique [Adresse 4] dès le 29 avril 2019 (cf pièce 8) et en mentionnant « locaux disponibles » sur la vitrine (pièce 9) avec successivement sur le site internet de la boutique les mentions suivantes : une réouverture pour les fêtes (pièce 27), la fermeture de la boutique dispositions confinement le 10 mars 2020 (pièce 29) et la boutique Saint Georges reprend du service le 2 juin 2020 (pièce 30).

De même, elle entend établir que le cessionnaire, la sarl Cacao Fages, ne voulait acquérir qu'un droit au bail en insistant sur les conditions déterminantes de la promesse de cession du 12 mars 2020 et sur les conditions suspensives comme étant liées aux conditions déterminantes du bail et ses écritures notifiées le 22 février 2022 comme insistant sur son intérêt prégnant pour l'emplacement du local.

Le bailleur entend dénoncer la complicité du cédant et du cessionnaire à masquer le véritable objet de la cession et considère qu'il s'agit d'une faute grave du preneur de nature à fonder la résiliation du bail en dénonçant une cession frauduleuse qui l'a indûment écarté de l'acte pour éviter la nécessité de solliciter son agrément.

La cour constate que l'interprétation de l'intention des parties à l'acte de cession litigieux ne se justifie pas. La fraude qu'il invoque pour écarter de l'acte le bailleur n'est pas davantage établie.

Le bailleur a exigé pendant des années à son preneur de respecter la stricte destination du bail. Le preneur a tenté, à plusieurs reprises, de lui proposer de modifier cette destination pour pouvoir revendre au moins un droit au bail et se retirer de l'exploitation de ce local. En 2020, alors que la crise du covid 19 l'avait, de surcroît, obligée à fermer l'établissement pour cause de confinement, la sarl [B] Chocolatier a trouvé un repreneur dans le secteur d'activité exigé par le bailleur. Il n'y avait donc aucune raison qu'elle réduise son projet de cession à un simple droit au bail alors que l'achalandage sur la [Adresse 4] est très important et manifeste et que, par les chiffres comptables qu'elle produit, même en 2020, elle établit que la clientèle du fonds de commerce existait.

Enfin, le seul fait que le cessionnaire insiste sur l'importance de l'emplacement, ce qui est commun à tout commerçant qui s'installe sur cette place de l'hyper centre, très fréquentée en semaine et en fin de semaine par toutes catégories de population, ne suffit pas à en déduire qu'il ne voulait acquérir qu'un droit au bail.

Il convient de débouter le bailleur de sa demande de résiliation du bail pour faute grave qui n'est pas établie Tout preneur peut céder son fonds de commerce en cours de bail commercial sans avoir à solliciter l'agrément du bailleur.

Dès lors, le bailleur sera débouté de l'ensemble de ses demandes subséquentes en inopposabilité du contrat de cession au bailleur, en expulsion du preneur, en paiement d'indemnité d'occupation, en indemnisation d'un préjudice moral et en restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire avec capitalisation:des intérêts

- sur la demande d'indemnisation de la sarl [B] Chocolatier de préjudice moral :

il appartient à la sarl [B] Chocolatier d'établir la faute du bailleur et le préjudice moral qu'elle a subi.

Or, dans ses conclusions elle se borne à formuler sa demande sans expliciter précisément la faute du bailleur qui ne peut être le fait d'exercer des droits en sollicitant la requalification d'un acte qui lui cause préjudice, en dehors de tout abus dans l'exercice de ses droits.

Le bailleur pouvait envisager que la sarl [B] Chocolatier avait perdu sa clientèle en ayant procédé à la fermeture du local courant 2019 au vu des pièces qu'il a produites et des atermoiements de la sarl [B] Chocolatier en cours de bail pour céder un simple droit au bail avant de trouver un repreneur idoine.

A défaut d'abus de droit du bailleur et de tout autre faute alléguée à son encontre, la cour constate qu'aucune faute n'est établie pour justifier d'un quelconque préjudice direct..

Il convient de débouter la sarl [B] Chocolatier de sa demande d'indemnisation et d'infirmer le jugement de ce chef.

- sur les demandes de la Sarl Cacao Fages :

la sarl Cacao Fages sollicite l'indemnisation du préjudice de jouissance subi du fait de l'opposition du bailleur au transfert du droit au bail sur ses locaux alors que la gérante de la sarl [B] Chocolatier avait informé le bailleur du projet de cession dès le 22 février 2020 par sms. Elle explique qu'elle n'a pu prendre possession des lieux qu'après l'état des lieux contradictoire du 13 août 2020 en présence du bailleur alors que le transfert de propriété était intervenu le 25 juin 2020 et à la suite de travaux d'embellissements et d'amélioration importants. Elle sollicite 16.408 euros au titre de son préjudice de jouissance.

Le bailleur conteste la faute alléguée alors qu'il ne pouvait s'opposer d'emblée à une cession de fonds de commerce et que par ailleurs, les travaux du cessionnaire ont perduré jusqu'en novembre 2020. Il considère que le préjudice allégué n'est ni certain ni direct concernant une justification de préjudice reposant sur un prévisionnel hypothétique de septembre à novembre 2020 à partir de la marge brute d'exploitation de son fonds principal exploité [Adresse 2], ouvert depuis 2017.

En matière de responsabilité délictuelle, la partie qui sollicite une indemnisation doit établir une faute, un préjudice et un lien de causalité directe entre la faute et le préjudice allégués.

En définitive, la sarl Cacao Fages reproche au bailleur de ne pas lui avoir permis de procéder à l'état des lieux d'entrée contradictoire dès la signature de l'acte de cession du fonds de commerce et de lui avoir fait perdre 48 jours (25 juin -13 août) pour démarrer les travaux d'embellissement du local.

Elle ne peut lui reprocher d'exercer des droits en contestant la qualification de l'acte de cession alors que le bailleur s'est senti frauduleusement évincé de l'acte même si cette fraude n'est en définitive pas établie.

En revanche, pour justifier de la faute alléguée, la sarl Cacao Fages doit établir que l'état des lieux d'entrée contradictoire a été ajourné du fait de la résistance fautive du bailleur et que cet ajournement lui a occasionné un préjudice alors que les entreprises sollicitées pour démarrer les travaux avaient été mobilisées avant le 13 août 2020 et ont terminé leurs travaux dans un délai d'autant plus tardif générant une perte correspondante d'exploitation du fonds.

Pour justifier de la faute et du préjudice, la sarl Cacao Fages produit uniquement le courriel de son avocat à l'agent immobilier du bailleur le 2 juillet 2020 lui rappelant que l'acte souscrit le 25 juin ne nécessitait pas l'agrément du bailleur et que la notification dudit acte au bailleur était en cours. Elle produit l'état des lieux du 13 août 2020, le sms de madame [B] du 22 février 2020 mais qui ne fait qu'évoquer le projet de cession sans donner de date de régularisation de l'acte, le factures de travaux d'octobre à novembre 2020.

De ces seules pièces, la cour constate que la faute du bailleur et le préjudice allégué ne sont pas établis. Il convient d'infirmer le jugement et de débouter la sarl Cacao Fages de sa demande d'indemnisation.

- sur les demandes accessoires :

le bailleur qui succombe prendra à sa charge les dépens de première instance et d'appel.

II devra verser, en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les 1500 euros alloués par le tribunal, 1500 euros à la sarl Cacao Fages pour les frais irrépétibles d'appel et 3000 euros à la sarl [B] Chocolatier en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement, mais seulement en ce qu'il a :

- condamné Messieurs [S] et [P] [T] à payer, in solidum, la somme de 1 000 € à la Sarl [B] Chocolatier pour préjudice moral ;

- condamné Messieurs [S] et [P] [T] à payer, in solidum, la somme de 3 000 € à la Sarl Cacao Fages pour préjudice financier ;

- condamné Messieurs [S] et [P] [T] à payer, in solidum la somme de 1 000 € à la Sarl Cacao Fages pour prejudice moral,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

- déboute la sarl [B] Chocolatier de sa demande d'indemnisation de son préjudice moral,

- déboute la sarl Cacao Fages de sa demande d'indemnisation au titre des préjudices financier et moral,

- confirme le jugement pour le surplus;

- condamne [S] [T] aux dépens d'appel

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles d'appel,

- condamne [S] [T] à payer à la SARL Cacao Fages la somme de 1.500 euros.

- condamne [S] [T] à payer à la sarl [B] Chocolatier la somme de 3.000 euros