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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 4 mars 2024, n° 23/01791

PAU

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Darracq

Conseillers :

Mme Guiroy, Mme Baylaucq

Avocats :

Me Duale, Me Seurin, Me Mazella

T. com. Bayonne, du 8 juin 2023

8 juin 2023

FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

Messieurs [O] et [P] [U] sont frères et associés égalitaires, au travers de leur holding respective, du groupe [U] comprenant :

- la SAS [Adresse 6]

- la SAS [Adresse 8]

- la SAS [Adresse 9]

- la SCI [12].

Ces sociétés sont contrôlées, à égalité, par la SAS société de participation et de développement [O] [U] et par la SAS société de participation et de développement [P] [U].

La SAS société de participation et de développement [O] [U], dirigée par M. [O] [U], est également présidente des trois SAS filiales précitées.

M. [O] [U] est également gérant de la SCI.

M. [E] [U], fils de [O], est également directeur général des trois SAS.

La SAS société de participation et de développement [P] [U] était dirigée par M. [P] [U], puis, à compter du mois d'octobre 2023, par son fils [K] [U], qui avait été nommé directeur général des trois SAS avant d'être révoqué de ses mandats le 25 juin 2023.

Les relations entre les associés, et leurs enfants respectifs, se sont dégradées.

[P] [U], contestant la « direction sans partage » de son frère, a mandaté un cabinet d'expertise comptable et d'audit qui a demandé la communication de divers documents sociaux intéressant la gestion des sociétés du groupe.

N'obtenant pas satisfaction, et suivant exploit du 27 avril 2023, la SAS société de participation et de développement [P] [U] a fait assigner par devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne :

- la SAS société de participation et de développement [O] [U]

- la SAS [Adresse 6]

- la SAS [Adresse 8]

- la SAS [Adresse 9]

- la SCI [12]

- M. [O] [U]

aux fins de voir désigner un mandataire ad hoc, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile.

Par ordonnance contradictoire du 08 juin 2023, le juge des référés a débouté la SAS société de participation et de développement [P] [U] de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer aux défendeurs une somme globale de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 26 juin 2023, la SAS société de participation et de développement [P] [U] a relevé appel de cette ordonnance.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 décembre 2023.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 11 décembre 2023 par l'appelante qui a demandé à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, et statuant à nouveau, de :

- désigner tel mandataire ad hoc qu'il plaira avec pour mission de :

* pour chacune des sociétés [Adresse 6], [Adresse 9], [Adresse 8] et sci [12]

' rechercher une conciliation entre les parties afin de mettre un terme aux dysfonctionnements du jeu social dans les quatre sociétés [Adresse 6], [Adresse 8], [Adresse 9], et sci [12],

' obtenir pour ces quatre sociétés ainsi que pour la société de participation et de développement [O] [U] :

' les plaquettes des comptes annuels 2021 et 2022,

' pour ces mêmes exercices, les rapports du Commissaire aux comptes,

' de 2015 à 2022, pour chacune des sociétés le fichier FEC ou à défaut les Grands Livres et Balances Générales permettant de reconstituer l'évolution des comptes courants de la société de participation et de développement [P] [U], de monsieur [P] [U] personnellement, de monsieur [O] [U] et de la société de participation et de développement [O] [U].

* et plus spécialement s'agissant de la sci [12],

' se faire remettre tous documents ou rapport d'expertise établissant la valeur des

terrains dont elle est propriétaire dont la vente avait été envisagée avec la société

ESSOR ainsi que tous éléments justifiant des échanges intervenus entre cette société

et la SCI [12] par son gérant pour la vente projetée du terrain considéré.

- dire que le mandataire ad hoc désigné devra être autorisé à se faire assister de toute

personne de son choix (expert-comptable notamment), sa rémunération devant être mise à la charge à part égale de chacune des quatre sociétés concernées,

- condamner les intimés solidairement à lui payer une somme de 5.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

*

Vu les dernières conclusions notifiées le 30 octobre 2023 par les intimés qui ont demandé à la cour de :

- dire et juger en l'état les conclusions de l'appelante irrecevables en ce qu'elles ne respectent pas le principe de contradictoire, ni la loyauté des débats

- sur le fond, confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions

- y ajoutant, condamner l'appelante à leur payer une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

***

MOTIFS

sur la recevabilité des conclusions de l'appelante

Au soutien de leur fin de non-recevoir, les intimés font valoir que les conclusions de l'appelante ne visent pas les pièces produites justifiant de ses prétentions, conformément aux dispositions de l'alinéa 1er de l'article 954 du code de procédure civile, aux articles 913, 4 et 9 du code de procédure civile, alors que la présente procédure d'appel a été suivie à bref délai, sans mise en état.

Mais, d'une part, les dernières conclusions de l'appelante indiquent les pièces invoquées au soutien de sa demande, et, d'autre part, les prescriptions de l'article 954 alinéa 1er du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine d'irrecevabilité des conclusions.

Par conséquent, le moyen manque en fait et est inopérant en droit.

La fin de non-recevoir sera donc rejetée.

sur la demande de désignation d'un mandataire ad hoc

L'appelante fait grief à l'ordonnance d'avoir rejeté sa demande alors que la désignation d'un mandataire ad hoc s'impose, en l'espèce, par l'existence d'un différend opposant les associés, caractérisé par le refus de communiquer les documents sociaux nécessaires au contrôle de la gestion des sociétés en présence notamment de prélèvements importants opérés par M. [O] [U] et la SAS société de participation et de développement [O] [U], ainsi que par la révocation des mandats sociaux de M. [K] [U].

L'appelante ajoute qu'au travers des documents dont la communication est sollicitée, qui pourront être examinés par le mandataire ad hoc et l'expert-comptable dont il s'attachera le concours, les comptes courants d'associés pourront être reconstitués, afin d'éclairer chacun sur leur évolution et, si nécessaire, de rétablir les équilibres entre les deux frères.

L'appelante précise qu'elle n'a jamais prétendu que son action se situait sur le terrain de l'urgence ou du trouble manifestement illicite, mais que, en revanche, les dissensions entre les associés justifient la désignation d'un mandataire ad hoc qui, n'ayant pas pour mission de se substituer aux organes de direction des sociétés, permettra dans le cadre du mandat judiciaire dont il sera investi d'obtenir les informations nécessaires et peut-être suffisantes pour ramener un peu de paix dans les relations sociales et, par un dialogue retrouvé, permettre éventuellement l'émergence de solutions permettant d'assurer un fonctionnement harmonieux des sociétés et la tranquillité familiale.

Mais, en droit, il résulte de l'article 872 du code de procédure civile qui dispose que, dans tous les cas de l'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

C'est donc à tort que l'appelante, qui a expressément fondé sa demande sur l'existence d'un différend au visa de l'article 872 du code de procédure civile, rendant sans objet le visa complémentaire de l'article 873 suivant, indique qu'elle ne situe pas son action sur l'urgence alors que celle-ci constitue une condition de la recevabilité de la demande.

Ce seul motif suffit à confirmer le rejet de la demande de désignation d'un mandataire ad hoc.

Par ailleurs, il ressort de ses explications que sous couvert de la désignation d'un mandataire ad hoc, la demande tend à la mise en place d'une véritable mesure d'expertise judiciaire de l'ensemble des comptes sociaux des sociétés du groupe [U] afin notamment de reconstituer les comptes courants d'associés.

Or, il n'entre pas dans la mission d'un mandataire ad hoc de se substituer à un expert judiciaire en procédant à des investigations techniques sur les comptes sociaux dont au surplus, la tenue, le dépôt et l'approbation ont été soumis aux assemblées générales successives par l'organe de direction, et sans qu'il soit allégué à l'encontre de celui-ci une carence dans l'accomplissement des formalités légales et statutaires.

Une telle mesure relève, le cas échéant, du référé probatoire de l'article 145 du code de procédure civile sur justification d'un intérêt légitime.

En outre, le mandataire ad hoc n'a pas vocation à se substituer à un associé pour exercer, en ses lieu et place, les droits que celui-ci tient soit au titre du droit de communication préalable, soit au titre du droit de communication permanent, en application des dispositions légales et statutaires concernant les sociétés civiles (pour la SCI) et les sociétés par actions simplifiées (pour les quatre SAS).

En l'espèce, l'appelante, qui n'a visé aucun fondement légal ou statutaire fondant ses griefs imputés à la direction des sociétés concernant le refus de communiquer certains éléments sollicités par son cabinet d'expertise comptable, n'a pas justifié, comme l'a exactement relevé l'ordonnance entreprise, avoir exercé ses droits d'associé préalablement à la saisine du juge des référés.

En outre, dans une telle hypothèse, il lui appartenait d'obtenir elle-même, le cas échéant, en référé, la condamnation de l'organe de direction à lui communiquer les documents indûment retenus.

Enfin, en l'absence de carence démontrée de l'organe de direction dans l'exécution de ses obligations légales et statutaires en matière d'information des associés ou des actionnaires, et alors que les prélèvements sur les comptes courants d'associés de la SCI et de la SAS du lot 22, seuls produits aux débats, ne trahissent, par eux-mêmes, aucune suspicion d'anomalie de gestion, la demande de désignation d'un mandataire ad hoc est infondée.

En définitive, l'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions, y compris les dépens et les frais irrépétibles.

L'appelante sera condamnée aux dépens et à payer une indemnité complémentaire de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions de l'appelante,

CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,

y ajoutant,

CONDAMNE la SAS société de participation et de développement [P] [U] aux dépens d'appel,

CONDAMNE la SAS société de participation et de développement [P] [U] à payer aux intimés une somme globale de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.