Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 8 mars 2023, n° 21/09769

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

NIKE INNOVATE CV (Sté), GIVENCHY (S.A), KENZO (S.A), LACOSTE (S.A.S)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme DOUILLET

Conseillers :

Mme BARUTEL, Mme BOHEE

Avocats :

SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Me NAKACHE, SCP LAGOURGUE &amp, AARPI BCTG AVOCATS

TJ PARIS, du 6 avr. 2021

6 avril 2021

La société NIKE INNOVATE CV (ci-après « NIKE ») est titulaire de nombreuses marques NIKE valables en France, parmi lesquelles :

- la marque verbale française NIKE déposée auprès de l'INPI sous le n°1 533 030 depuis le 26 mai 1989, régulièrement renouvelée le 19 avril 2019 et désignant notamment les produits en classe 25,

- la marque française figurative représentant la « virgule » dénommée le SWOOSH, déposée auprès de l'INPI sous le n°1 533 029 depuis le 26 mai 1989, régulièrement renouvelée le 8 janvier 2019 et désignant les produits suivants: «Vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles; articles de gymnastique et de sport, notamment chaussures pour l'athlétisme, à usage d'entraînement ou à usage général, vêtements et sacs pour l'athlétisme, sacs à main, sacs de voyage; jeux, jouets » en classes 18, 25 et 28,

- la marque française semi-figurative NIKE, déposée auprès de l'INPI sous le n°1 284 327 le 19 septembre 1984, régulièrement renouvelée le 29 septembre 2014 et désignant les « Cuir et imitations du cuir, articles en ces matières non compris dans d'autres classes; peaux; malles et valises; parapluies, parasols et cannes; fouets, harnais et sellerie. Vêtements, y compris les bottes, les souliers, les pantoufles. Jeux, jouets, articles de sport et de gymnastique (à l'exception des vêtements) » en classes 18,25 et 28.

La société GIVENCHY, maison de haute couture et accessoires de mode, détient et exploite depuis de très nombreuses années les marques GIVENCHY, et en particulier :

- la marque verbale française GIVENCHY n°1 499 223, déposée à l'INPI le 21 novembre 1988, renouvelée le 6 juillet 2018, et désignant notamment les produits « Vêtements en général pour hommes, femmes et enfants, y compris les vêtements pour le sport, cravates, chemises, écharpes, foulards, chaussettes, ceintures, chapeaux, casquettes et coiffures, gants, fourrures, pull-overs et vêtements tricotés, vêtements imperméables, maillots de bain, sous-vêtements de toutes sortes y compris les bas et les collants. Chaussures, bottes et pantoufles » de la classe 25,

- la marque figurative française « 4G » n°3 684 033 déposée à l'INPI le 15 octobre 2009, notamment pour les produits de la classe 25 « Vêtements et sous-vêtements à savoir chemises, T-shirts, pull- overs, gilets, jupes, robes, pantalons, manteaux, vestes, ceintures (habillement), foulards, écharpes, gants, cravates, chaussettes, lingerie, maillots de bain, vêtements de nuit, chaussures ; chapellerie » et régulièrement renouvelée le 6 juin 2019.

La société KENZO, spécialisée notamment dans le prêt à porter, les accessoires de maroquinerie et la parfumerie haut de gamme, est titulaire de nombreuses marques, parmi lesquelles :

- la marque verbale française KENZO n°1 714 335 déposée le 24 décembre 1991, renouvelée le 26 novembre 2021, et désignant notamment en classe 25 « toutes sortes de vêtements confectionnés et prêt à porter pour enfants, adultes, masculins et féminins »,

- la marque verbale de l'Union européenne KENZO n°720706 déposée le 12 décembre 1997 sous priorité de la marque française susvisée, renouvelée le 8 septembre 2017 pour désigner les «vêtements (habillement) ».

La société LACOSTE, spécialisée notamment dans la confection et la commercialisation d'articles vestimentaires et d'accessoires est titulaire de nombreuses marques, parmi lesquelles:

- la marque verbale française LACOSTE n°1 410 063 déposée à l'INPI le 22 mai 1987, régulièrement renouvelée le 7 janvier 2022, désignant notamment les produits de la classe 25;

- la marque figurative française n°3 199 970 déposée à l'INPI le 18 décembre 2002, régulièrement renouvelée le 9 juillet 2012 , pour toutes les classes à l'exception de la classe 8 et désignant notamment les produits « Vêtements (habillement) , chaussures, chapellerie » de la classe 25,

- la marque figurative française n°1 391 442 déposée à l'INPI le 28 janvier 1987, régulièrement renouvelée le 29 novembre 2016, désignant les produits en classes 3,7,9, 14, 16, 18, 20, 22 24, 25 et 28 et notamment les « Vêtements, chaussures, chapellerie » de la classe 25.

Les sociétés NIKE, GIVENCHY, LACOSTE et KENZO indiquent avoir constaté depuis plusieurs années la présence d'articles qu'elles estiment contrefaisants, offerts à la vente au Marché aux Puces de [Localité 17], en particulier dans les magasins et stands situés [Adresse 13] et ce, de manière persistante en dépit d'opérations anti-contrefaçon, initiées par les services de police et des douanes.

Elles précisent avoir alors décidé d'impliquer les propriétaires des magasins et commerces et ont fait procéder, suivant procès-verbal de constat du 21 avril 2018, à la constatation de l'offre à la vente et la vente sur un stand désigné n°24 sur le plan du Marché [Localité 18], à l'enseigne « ORIGINAL SPORT», situé à hauteur du [Adresse 2] à [Localité 17], de plusieurs articles revêtus de leurs marques et ont pu identifier ultérieurement M. [E] [W] comme étant le propriétaire bailleur du fonds de commerce, auquel elles ont adressé une mise en demeure, le 12 octobre 2018, demeurée sans effet selon elles, ainsi qu'il ressort du procès-verbal du 24 novembre 2018.

Une nouvelle mise en demeure lui a été adressée le 17 janvier 2019.

L'identité du locataire a été révélée par le bailleur le 19 avril 2019, soit la société MELKA SPORT, ayant pour gérant [A] [Z], laquelle société est apparue comme ayant été radiée le 03 avril précédent.

Le 12 octobre 2019, la société NIKE a fait constater l'offre à la vente et la vente, sur le même stand, d'un article revêtu, selon elle, de ses marques.

Saisi par les sociétés NIKE, GIVENCHY, LACOSTE et KENZO, suivant assignation du 14 mai 2019, le juge des référés, par ordonnance du 18 novembre 2019, a, entre autres mesures, constaté l'atteinte vraisemblable aux marques précitées et condamné [A] [Z] à cesser ces agissements, en présence de [E] [W], auquel il a été demandé de fournir sous astreinte le contrat de bail et justifier de mesures prises contre son locataire pour empêcher la poursuite des actes argués de contrefaçon.

Cette ordonnance a été signifiée le 9 décembre 2019 au bailleur.

Puis, les sociétés NIKE, GIVENCHY, LACOSTE et KENZO ont fait constater, suivant constat d'achat du 26 septembre 2020, la poursuite de l'offre à la vente des articles litigieux, le local étant désormais loué par [E] [W], suivant bail du 15 avril 2019, à Mme [U] [X], qui est membre de la famille de [A] [Z].

C'est dans ce contexte que les sociétés NIKE, GIVENCHY, LACOSTE et KENZO ont, par acte du 17 décembre 2019, fait assigner devant le tribunal de grande instance devenu le tribunal judiciaire de Paris, [A] [Z] en contrefaçon de marques, sollicitant que le jugement à intervenir soit opposable à [E] [W] et que ce dernier soit solidairement tenu au paiement des sommes dues par son locataire, à défaut de procéder à la résiliation du bail et à l'éviction de son locataire.

Par jugement du 6 avril 2021, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a rendu la décision suivante :

- Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture du 14 janvier 2021,

- Déclare recevables les écritures de [E] [W] signifiées par voie électronique les 11 et 23 février 2021, ainsi que la pièce n°17 communiquée,

- Clôture à nouveau la procédure,

- Déclare recevable l'action formée à l'encontre de [A] [Z] à titre personnel,

- Rejette les demandes en nullité des procès-verbaux de constat des 21 avril 2018, 24 novembre 2018 et 12 octobre 2019,

- Dit que [A] [Z], en offrant à la vente et en vendant de produits revêtus des marques NIKE, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE, dans le local commercial appartenant à [E] [W] a commis des actes de contrefaçon par imitation et par reproduction des marques dont sont titulaires les sociétés NIKE INNOVATE CV, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE,

- Fait interdiction à [A] [Z] de, directement ou indirectement, détenir, offrir à la vente, distribuer ou commercialiser des produits revêtus d'une marque appartenant aux sociétés NIKE, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE, sous astreinte provisoire de 200 euros par produit passé un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, l'astreinte courant sur trois mois et le tribunal s'en réservant la liquidation,

- Dit n'y avoir lieu à droit d'information,

- Condamne [A] [Z] à verser à la somme de 15.000 euros à chacune des demanderesses à titre de dommages et intérêts du fait des actes de contrefaçon de marque

- DIT le présent jugement commun à [E] [W],

- Dit que, à défaut pour [E] [W] de procéder à la résiliation du contrat de bail avec son locataire actuel, identifié par ce dernier comme Mme [U] [X], et à son éviction du local commercial dans un délai de dix mois à compter de la signification du présent jugement, [E] [W] sera solidairement tenu avec [A] [Z] au paiement de toutes sommes dues par celui-ci,

- Dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes,

- Condamne in solidum, [E] [W] et [A] [Z] à payer la somme de 2.000 euros à chacune des sociétés INNOVATE CV, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE au titre de l' article 700 du code de procédure civile ,

- Condamne in solidum [E] [W] et [A] [Z] aux dépens,

- Ordonne l'exécution provisoire.

M. [E] [W] a interjeté appel de ce jugement le 25 mai 2021.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 5 septembre 2022 par M. [E] [W] , appelant qui demande à la cour, de:

- DECLARER recevable et bien fondé l'appel formé par M. [W], ;

- INFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 6 avril 2021 qui a statué en ces termes :

- DÉCLARE recevable l'action formée à l'encontre de [A] [Z] à titre personnel,

- REJETTE les demandes en nullité des procès-verbaux de constat des 21 avril 2018, 24 novembre 2018 et 12 octobre 2019,

- DIT que [A] [Z], en offrant à la vente et en vendant des produits revêtus des marques NIKE, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE, dans le local commercial appartenant à [E] [W] a commis des actes de contrefaçon par imitation et par reproduction des marques dont sont titulaires les sociétés NIKE INNOVATE CV, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE,

- FAIT interdiction à [A] [Z] de, directement ou indirectement, détenir, offrir à la vente, distribuer ou commercialiser des produits revêtus d'une marque appartenant aux sociétés NIKE, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE, sous astreinte provisoire de 200 euros par produit passé un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, l'astreinte courant sur trois mois et le tribunal s'en réservant la liquidation,

- DIT n'y avoir lieu à droit d'information,

- CONDAMNE [A] [Z] à verser la somme de 15.000 euros à chacune des demanderesses à titre de dommages et intérêts du fait des actes de contrefaçon de marque

- DIT le présent jugement commun à [E] [W],

- DIT que, à défaut pour [E] [W] de procéder à la résiliation du contrat de bail avec son locataire actuel, identifié par ce dernier comme Mme [U] [X], et à son éviction du local commercial dans un délai de dix mois à compter de la signification du présent jugement, [E] [W] sera solidairement tenu avec [A] [Z] au paiement de toutes sommes dues par celui-ci,

- DIT que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes,

- CONDAMNE in solidum, [E] [W] et [A] [Z] à payer la somme de 2.000 euros à chacune des sociétés INNOVATE CV, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE au titre de l' article 700 du code de procédure civile ,

- CONDAMNE in solidum [E] [W] et [A] [Z] aux dépens,

- ORDONNE l'exécution provisoire.

Et statuant à nouveau,

- PRONONCER l'irrecevabilité des constats d'achats du 21 avril 2018, du 24 novembre 2018, 12 octobre 2019 et du 26 septembre 2020 ;

En conséquence, juger que les Intimées n'ont pas apporté la preuve des actes de contrefaçon et qu'en conséquence M. [W] ne peut être considéré comme un intermédiaire

- JUGER que M. [W] qui n'offre aucun service au prétendu contrefacteur ne répond pas à la définition d'intermédiaire au sens de la 2004/48/CE et ne peut donc se voir attribuer cette qualité.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour d'appel de céans considérait que M. [W] devait être qualifié d'intermédiaire, il lui est demandé de :

- JUGER que M. [W] avait pris toutes les mesures utiles en son pouvoir pour mettre fin aux atteinte portées au droit de propriété intellectuelle Nike ; Givenchy, Kenzo et Lacoste.

- JUGER qu'au vu de la coopération et des actions réalisées par M. [W], les mesures demandées et prises à son égard étaient inéquitables, excessivement coûteuses et disproportionnées.

En tout état de cause :

- DEBOUTER les sociétés Nike, Givenchy, Kenzo et Lacoste de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de M. [W] ;

- CONDAMNER les sociétés Nike ; Givenchy, Kenzo et Lacoste à verser à M. [W] la somme de 15.000,00€ sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER les sociétés Nike ; Givenchy, Kenzo et Lacoste au paiement des entiers dépens de la présente instance.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 20 octobre 2021 par M. [A] [Z], intimé et appelant incident, qui demande à la cour de:

A titre principal,

- Prononcer la nullité des procès-verbaux de constats d'achat des 21 avril 2018, 24 novembre 2018 et 12 octobre 2019 réalisés en violation du principe de loyauté dans l'administration de la preuve

- Les écarter des débats ;

En conséquence :

- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions

- Condamner solidairement les sociétés Lacoste, Givenchy, Kenzo et Nike à payer à M. [A] [Z] la somme de 5.000 euros au titre de l' article 700 du code de Procédure Civile ;

- Condamner les sociétés Lacoste, Givenchy, Kenzo et Nike aux entiers dépens de l'instance ;

A titre subsidiaire

- Dire et juger que les demanderesses n'apportent pas la preuve du caractère contrefaisant des produits objet des procès-verbaux de constats d'achat des 21 avril 2018, 24 novembre 2018 et 12 octobre 2019,

- En conséquence :

- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions

- Débouter les sociétés Lacoste, Givenchy, Kenzo et Nike demanderesses de leurs demandes

- Condamner solidairement les sociétés Lacoste, Givenchy, Kenzo et Nike à payer à M. [A] [Z] la somme de 5.000 euros au titre de l' article 700 du code de Procédure Civile ;

- Condamner les sociétés Lacoste, Givenchy, Kenzo et Nike aux entiers dépens de l'instance ;

A titre infiniment subsidiaire

- Dire et juger que le constat d'achat réalisé le 12 octobre 2019 ne peut être imputé à M. [Z] ;

- Juger sans objet les demandes qu'il soit fait interdiction à M. [A] [Z] d'offrir à la vente, de distribuer ou de commercialiser, des produits revêtus de reproductions ou d'imitations des marques appartenant aux sociétés GIVENCHY, KENZO, LACOSTE et NIKE INNOVATE CV et de produire les éléments relatifs aux fournisseurs et produits ;

- Débouter les sociétés Lacoste, Givenchy, Kenzo et Nike de leurs demandes de condamnation de M. [Z] d'avoir à leur payer à chacune, une somme de 15 000 euros chacune à titre de dommages et intérêts ;

Subsidiairement sur ce point, réduire les demandes des demanderesses à une somme symbolique;

- Les débouter de toutes leurs autres demandes.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 2 septembre 2022 par les sociétés GIVENCHY, KENZO, LACOSTE et NIKE INNOVATE CV, intimées, qui demandent à la cour de:

- Confirmer le jugement du 6 avril 2021 en toutes ses dispositions,

- Débouter M. [A] [Z] et M. [E] [W] de l'ensemble de

leurs conclusions, fins et moyens,

- Condamner solidairement M. [A] [Z] et M. [E] [W] à payer une somme complémentaire de 5.000 euros à chacune des sociétés NIKE INNOVATE CV, GIVENCHY, KENZO et LACOSTE au titre de l' article 700 du Code de Procédure Civile , outre les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

En application des dispositions de l' article 455 du code de procédure civile , il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les chefs du jugement non critiqués

La cour constate que le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a:

- Ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture du 14 janvier 2021,

- Déclaré recevables les écritures de M. [E] [W] signifiées par voie électronique les 11 et 23 février 2021, ainsi que la pièce n°17 communiquée,

- Clôturé à nouveau la procédure,

- Déclaré recevable l'action formée à l'encontre de M. [A] [Z] à titre personnel,

- Dit n'y avoir lieu à droit d'information.

Il est donc définitif de ces chefs.

Sur la validité des procès-verbaux de constat

MM. [E] [W] et [A] [Z] soulèvent «l'irrecevabilité» ou la nullité des procès-verbaux de constats en l'absence d'indication de la qualité et de lien avec les parties du tiers acheteur, les privant de la possibilité de vérifier qu'aucun stratagème n'a été mis en place, violant ainsi le principe de loyauté dans l'administration de la preuve. Ils dénient également toute valeur probante aux constats réalisés qui ne permettent pas d'identifier avec certitude le local dans lequel les opérations d'achat se sont déroulées.

Les intimées rappellent qu'en l'absence de démonstration d'un stratagème déloyal dans l'administration de la preuve et dans la mesure où l'huissier de justice a lui-même pu constater les faits relatés dans les procès-verbaux, la qualité du tiers acheteur est sans effet sur la validité de l'administration de la preuve. Elles soulignent en outre que chaque procès-verbal mentionne l'identité de la personne ayant effectué l'achat ainsi que sa qualité de tiers acheteur. Elles ajoutent que le local concerné par les opérations est parfaitement identifiable grâce à sa description détaillée et au plan annexé nonobstant l'erreur matérielle opposée sur le n° de la rue.

Sur l'identité du tiers acheteur

La Cour Européenne des Droits de l'Homme impose que les preuves soient recueillies et exploitées loyalement sans pour autant aller jusqu'à imposer ou refuser certains modes de preuve indépendamment de toute autre considération. Ce qui importe est que le procès ait présenté un caractère équitable dans son ensemble, y compris au regard des modalités d'ordre probatoire. La Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel et il revient aux juridictions internes d'apprécier notamment la pertinence des éléments de preuve dont une partie souhaite la production, et en cela de vérifier si la manière dont la preuve a été administrée a revêtu un caractère équitable (notamment, CEDH, Schrenk, 12 juillet 1988 ; Mantovanelli, 18 mars 1997).

Par ailleurs, la directive (CE) n° 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle souligne que 'Etant donné que la preuve est un élément capital pour l'établissement de l'atteinte aux droits de propriété intellectuelle, il convient de veiller à ce que des moyens de présenter, d'obtenir et de conserver les éléments de preuve existent effectivement (...)' (considérant 20) et dispose, en son article 3 : '1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.'

En outre, le principe de proportionnalité impose au juge de s'assurer qu'il existe un juste équilibre entre des droits fondamentaux opposés, en l'occurrence la loyauté des preuves dont dépend le respect du droit au procès équitable, d'une part, et le droit de propriété des titulaires de droits de propriété intellectuelle qui doit leur permettre de réunir des preuves, dans des conditions qui ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses, afin d'assurer le respect de ces droits, d'autre part.

Enfin, il doit être rappelé que les huissiers de justice sont habilités, par l' article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, à effectuer à la requête de particuliers, 'des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter', et que selon le même texte, ces constatations, en matière civile, font foi jusqu'à preuve contraire.

En l'espèce, les achats constatés par l'huissier de justice ont été réalisés par «M. [D] [H], tiers acheteur» (procès-verbaux de constat des 21 avril 2018 et 12 octobre 2019), le dernier constat mentionnant expressément «le tiers acheteur signifie un acheteur non salarié de mon étude, n'ayant aucun lien, ni juridique, ni personnel avec la société requérante et son conseil», par Mlle [O] [I] « tiers acheteuse» (procès-verbal de constat du 24 novembre 2018) et par M. [V] [Y] « tiers acheteur» ( procès-verbal de constat du 26 septembre 2020).

La cour retient en conséquence que la personne qui a assisté l'huissier de justice est, d'une part, clairement identifiée et, d'autre part, indépendante de la partie requérante, sa qualité de tiers acheteur étant à chaque fois mentionnée, cette désignation par l'huissier de justice impliquant nécessairement l'absence de liens avec les parties.

En outre, force est de constater que M. [E] [W] et M. [A] [Z] ne démontrent aucun stratagème ou procédé déloyal qui aurait été mis en place par les sociétés titulaires de droit et/ou par l'huissier instrumentaire et/ou par le tiers acheteur, l'huissier ayant indiqué être resté à l'extérieur du stand de vente sans vitrine, directement ouvert sur la rue, avoir vérifié que l'acheteur n'était porteur d'aucun sac en entrant dans le magasin, «les mains libres», et avoir constaté que ce même acheteur était ressorti de ce même magasin en étant porteur des produits litigieux.

En conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande en nullité de ces procès-verbaux de constat, sauf pour la cour à rejeter également la demande formulée à hauteur d'appel pour le procès-verbal de constat du 26 septembre 2020. Le jugement sera confirmé sur ce point et la demande de nullité formulée à hauteur d'appel pour le procès-verbal de constat du 26 septembre 2020 sera, pour les mêmes motifs, également rejetée.

Sur la désignation du local

C'est par de justes motifs adoptés par la cour que les premiers juges, après avoir rappelé la localisation des lieux objets des opérations, dans chaque constat par l'huissier de justice instrumentaire, outre le plan annexé à ces procès-verbaux mentionnant clairement le stand 24 du marché [Localité 18] situé à hauteur du [Adresse 3], ont retenu qu'il n'existait pas de doute concernant la désignation du local, nonobstant l'erreur matérielle sur deux d'entre eux où il est mentionné le N°134, la cour relevant que la référence au numéro du stand et au plan du marché écarte tout risque d'erreur, nonobstant l'absence de Marianne sur l'un d'entre eux.

Il y a seulement lieu pour la cour d'ajouter que la même analyse doit être faite pour le procès-verbal de constat réalisé le 26 septembre 2020, non contesté devant les premiers juges, dans lequel l'huissier décrit, sans doute possible, le stand objet des opérations: « il s'agit du 2ème stand en sortant à gauche de l'allée 3 du marché [Localité 18], à l'enseigne «ORIGINAL SPORT», référencée au N° 24 sur le plan du marché [Localité 18]», le plan du marché avec la localisation précise du stand étant annexé au procès-verbal de constat.

Par ailleurs, la circonstance selon laquelle les huissiers mentionnent dans leurs procès-verbaux des 21 avril et 28 novembre 2018 et du 26 septembre 2020, qu'une enseigne «ORIGINAL SPORT» est présente sur la devanture, alors que celle-ci ne ressort pas de captures d'écran extraites de Google Street, datées selon M. [E] [W] des mois de juillet 2019 et juillet 2020, n'est pas de nature à remettre en cause leur valeur probante, s'agissant de prises de vue non datées précisément, pendant l'été, à une période ne correspondant pas aux constatations opérées. De même, le fait qu'aucune photographie des lieux n'ait été prise n'est pas de nature à remettre en cause le caractère probant des opérations, au regard des précisions apportées par chaque huissier de justice quant à leur déroulement.

En outre, au regard des mentions figurant dans chaque procès-verbal de constat, M. [E] [W] et M. [A] [Z] ne peuvent soutenir, de bonne foi, qu'il existerait une imprécision quant au lieu d'achat des produits argués de contrefaçon, l'huissier de justice précisant à chaque reprise que le tiers acheteur «entre» dans le stand sans vitrine puis «en ressort», l'achat ainsi constaté ne portant donc pas sur des produits achetés sur le trottoir.

C'est en conséquence, à bon escient, que le tribunal a écarté ces griefs invoqués pour critiquer la validité des constats.

Le jugement querellé doit en conséquence être confirmé de ces chefs, sauf pour la cour à rejeter les mêmes demandes formulées à l'encontre du procès-verbal de constat du 26 septembre 2020.

La demande de nullité dirigée contre le procès-verbal de constat du 26 septembre 2020 sera, pour les mêmes motifs, rejetée.

Sur les faits de contrefaçon

Les sociétés intimées estiment apporter les éléments de preuve suffisants attestant pour chaque article de la contrefaçon de leurs marques en cause, notamment au travers des analyses auxquelles elles ont procédé.

M. [A] [Z], qui seul conteste la contrefaçon en cause d'appel, soutient que les éléments de preuve versés aux débats sont insuffisants pour justifier d'actes de contrefaçon, aucune rapport d'expertise n'étant versé aux débats par les titulaires de droit.

C'est par de justes motifs en fait et en droit adoptés par la cour que les premiers juges après avoir décrit l'ensemble des produits saisis à l'occasion des quatre procès-verbaux d'achat des 21 avril, 24 novembre 2018, 12 octobre 2019 et 26 septembre 2020, constaté leur communication et leur analyse formalisée par les titulaires des marques ont retenu, sans qu'il n'y ait lieu d'ordonner une mesure d'instruction, d'expertise ou de communication d'une fiche technique sur les normes de fabrication des étiquettes, que ces produits reproduisent les marques, en particulier verbales, invoquées sur des produits qui ne correspondent pas aux standards des marques en cause, de qualité très inférieure aux produits authentiques et vendus en vrac sur un marché en dehors des circuits de distribution habituels de ces marques, à des prix très inférieurs à ceux auxquels les sociétés titulaires de droit commercialisent leurs produits et que les faits de contrefaçon étaient ainsi constitués, M. [A] [Z] ne produisant à hauteur d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause cette juste appréciation.

Le jugement dont appel est en conséquence confirmé de ce chef.

Sur l'imputabilité des faits de contrefaçon concernant M. [A] [Z]

L'appelant soutient qu'il ne peut lui être reproché aucun fait après la radiation de sa société et le 15 avril 2019, date à laquelle un nouveau bail a été conclu pour l'exploitation des lieux par M. [E] [W].

Les sociétés intimées considèrent au contraire que la responsabilité de M. [A] [Z] doit être reconnue y compris pour les faits postérieurs à la radiation de sa société puisque la belle-soeur de ce dernier a repris le bail déjà exploité précédemment par une société gérée par son propre frère.

Sur ce, comme l'a justement rappelé le tribunal, la dissolution et la radiation de la société MELKA SPORT, titulaire du bail, dont M. [A] [Z] était le gérant est sans effet sur sa responsabilité, recherchée à titre personnel et en tout état de cause sa responsabilité est engagée pour les faits constatés en 2018, s'agissant d'actes de contrefaçon répétés, qui lui sont imputables personnellement au regard des avertissements reçus et qui sont séparables de ses fonctions de gérant.

Par ailleurs, comme l'a justement analysé le tribunal, il ressort des pièces versées par le bailleur que la société MELKA SPORT, dont M. [A] [Z] était le gérant, a obtenu de la société INTERNATIONAL BUSINESS (dont le gérant est M. [J] [Z]) le 1er décembre 2014 la cession du bail consenti à cette société par M. [E] [W] le 13 juin 2007 sur le local en cause. En outre après dissolution et radiation de la société MELKA SPORT et dénonciation du bail par son gérant le 1er avril 2019, un nouveau bail a été conclu avec Mme [U] [X], à effet du 15 avril 2019, qui apparaît être la compagne de M. [J] [Z], (et le frère de M. [A] [Z]) ainsi qu'il ressort des statuts d'une société qu'ils ont constituée ensemble, et sans contestations sérieuses, un prête-nom pour poursuivre l'activité contrefaisante. Ainsi, nonobstant cette interposition de personne morale ou physique, il convient de retenir l'implication de M. [A] [Z] dans la persistance de l'exploitation litigieuse du commerce dans les mêmes conditions, ce dernier ne présentant au demeurant dans ses écritures aucune observation concernant les liens ainsi avérés et son implication en découlant.

Le jugement querellé doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a refusé d'écarter la responsabilité personnelle de M. [A] [Z] pour les faits postérieurs à la radiation de sa société.

Sur la qualité d'intermédiaire de M. [E] [W]

M. [E] [W] soutient qu'il ne peut être qualifié d'intermédiaire au sens de la directive, rappelant n'être que propriétaire d'un local mis à disposition d'un tiers avec lequel il n'entretient aucune autre relation.

Les sociétés intimées rappellent le droit et la jurisprudence européennes applicables constatant que M. [E] [W] en sa qualité de bailleur met effectivement à disposition un bien immobilier qui a servi à la vente de produits contrefaisants contre rémunération, rappelant qu'il appartient au bailleur de s'assurer que son locataire use raisonnablement de la chose louée en vertu des articles 1728 et 1729 du code civil .

Selon l' article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle (anciennement numéroté L.716-6), « Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon

1:Mise en gras ajoutée par la cour.

. La juridiction civile compétente peut également ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur. Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente. (...)»

Cet article est issu de la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 qui a transposé la directive 2008/48/CE du 29 avril 2004 relative à la protection des droits de propriété intellectuelle qui énonce notamment dans son article 9.1 a) que « Les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant :

- rendre à l'encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle, à interdire, à titre provisoire et sous réserve, le cas échéant, du paiement d'une astreinte lorsque la législation nationale le prévoit, que les atteintes présumées à ce droit se poursuivent, ou à subordonner leur poursuite à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation du titulaire du droit ; une ordonnance de référé peut également être rendue, dans les mêmes conditions, à l'encontre d'un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ; les injonctions à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin sont couvertes par la directive 2001/29/CE ».

L'article 11 de la même Directive, intitulé « Injonctions », prévoit également que : « Les États membres veillent à ce que, lorsqu'une décision judiciaire a été prise constatant une atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires compétentes puissent rendre à l'encontre du contrevenant une injonction visant à interdire la poursuite de cette atteinte. Lorsque la législation nationale le prévoit, le non-respect d'une injonction est, le cas échéant, passible d'une astreinte, destinée à en assurer l'exécution. Les États membres veillent également à ce que les titulaires de droits puissent demander une injonction à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l'article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE».

Interprétant les dispositions de la directive précitée, la Cour de justice de l'Union européenne, par un arrêt rendu en grande chambre le 12 juillet 2011 (aff. C-324/09, L'Oréal SA et autres contre eBay International AG, et autres) a dit pour droit que 'L'article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu'il exige des États membres d'assurer que les juridictions nationales compétentes en matière de protection des droits de la propriété intellectuelle puissent enjoindre à l'exploitant d'une place de marché en ligne de prendre des mesures qui contribuent, non seulement à mettre fin aux atteintes portées à ces droits par des utilisateurs de cette place de marché, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature. Ces injonctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et ne doivent pas créer d'obstacles au commerce légitime ».

Et par un arrêt du 7 juillet 2016 (aff. C-494/15, Tommy Hilfiger Licensing LLC et autres contre Delta Center a.s.), la Cour de justice de l'Union européenne a précisé « il y a lieu de constater que, en tout état de cause, un opérateur qui fournit à des tiers un service de location ou de sous-location d'emplacements sur une place de marché [physique], grâce auquel ceux-ci ont un accès à cette place et y proposent à la vente des marchandises contrefaisantes de produits de marque, doit être qualifié d'« intermédiair[e] dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle», au sens de ladite disposition.»

En conséquence, il doit être retenu que M. [E] [W], propriétaire du stand n°24 du marché de [Localité 18], situé aux puces de [Localité 17] qu'il loue à un commerçant qui propose à la vente des marchandises contrefaisantes de produits de marque, a la qualité d'intermédiaire au sens de la directive précitée, à l'encontre du duquel des injonctions peuvent être prononcées.

Le jugement entrepris sera dès lors confirmé de ce chef.

Sur la réparation du préjudice

Concernant M. [A] [Z]

M. [A] [Z] soutient que le préjudice revendiqué est hors de proportion avec les quelques pièces saisies au sein du stand qu'il n'a au demeurant tenu que sur une période limitée.

Les sociétés intimées retiennent que leur préjudice est totalement justifié au regard de la durée des faits en cause, de l'atteinte au pouvoir distinctif causé à leurs marques par la commercialisation de ces produits de mauvaise qualité. Elles ajoutent que M. [A] [Z] est particulièrement mal fondé à leur opposer la faible masse contrefaisante alors qu'il a fait obstruction à son évaluation en s'abstenant de délivrer tout ticket de cause ou de tenir une comptabilité.

En vertu de l' article L.716-4 du code de la propriété intellectuelle (nouvellement recodifié à l' article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle ), « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. (...)»

Il n'est pas contesté que, dans le cadre de la présente procédure, les faits de contrefaçon ne reposent que sur quatre procès-verbaux de constat portant sur des achats de quelques produits contrefaisants les marques précitées. Cependant, il doit être également tenu compte de la durée des faits en cause (sur une période comprise entre avril 2018 et septembre 2020), des multiples actes concernant à chaque fois plusieurs marques mais aussi, comme le soulignent les sociétés titulaires du droit, du comportement du contrefacteur qui en n'établissant pas de ticket de caisse ou en ne justifiant pas de sa comptabilité, empêche toute évaluation de la masse contrefaisante.

Par ailleurs, la commercialisation de ces produits porte, de manière incontestable, atteinte au pouvoir distinctif des marques en cause, qui font l'objet d'investissements humains et financiers conséquents et constants. En outre, la commercialisation de produits de moindre qualité et vendus dans des points de vente ne correspondant pas aux standard de ces marques conduisent également indubitablement à leur banalisation, générant en outre un préjudice moral à leurs titulaires.

En conséquence, au vu de cet ensemble d'éléments appréciés distinctement, la cour considère que le tribunal a fait une exacte évaluation du préjudice subi par les sociétés NIKE INNOVATE CV, GIVENCHY, LACOSTE et KENZO en leur allouant, à chacune d'entre elle, une somme de 15.000€ à laquelle M. [A] [Z] a été condamné, et qu'il a en outre a justement fait droit aux mesures d'interdictions sollicitées.

En outre, contrairement à ce que soutient à nouveau M. [A] [Z] devant la cour, la société NIKE ne réclame pas deux fois l'indemnisation du même préjudice, puisque l'ordonnance d'homologation sur CRPC du 23 octobre 2017 concerne des faits du 3 avril 2017, antérieurs aux faits de contrefaçon en cause dans la présente procédure.

Le jugement dont appel est par conséquent confirmé de ce chef.

Concernant M. [E] [W]

M. [E] [W] expose d'abord avoir pris toutes les mesures nécessaires pour faire cesser les agissements litigieux dénoncés par les titulaires de droit notamment en adressant des mises en demeure puis en assignant en résiliation du bail son locataire commercial le 10 février 2021, avant même que le tribunal ne lui en fasse l'injonction. Il ajoute que sa condamnation solidaire au paiement des condamnations mises à la charge du contrefacteur est disproportionnée et inéquitable, met le bailleur en péril au regard de la spécificité des baux commerciaux et fait injustement prévaloir la protection du droit des marques au détriment du droit de la propriété.

Les sociétés NIKE INNOVATE CV, GIVENCHY, LACOSTE et KENZO estiment que les mesures prononcées à son encontre sont proportionnées et équitables, soulignant que les droits de propriété intellectuelle sont considérés, à l'instar du droit de propriété, comme un droit fondamental et qu'il appartient alors d'arbitrer ce conflit entre ces deux droits, l'injonction faite au bailleur de procéder à la résiliation du contrat de bail dans un délai de 10 mois étant proportionnée dans ce cadre. Elles dénoncent en outre le comportement de M. [E] [W] dans sa démarche volontaire d'obstruction et de protection de son locataire qui a d'abord refusé de dévoiler son identité, en concluant un nouveau bail avec un membre de la famille de M. [A] [Z], en contestant les faits de contrefaçon et n'assignant que tardivement en résiliation du bail alors qu'injonction en ce sens lui avait été faite par le juge des référés dès le 18 novembre 2019.

La cour rappelle que le droit de propriété intellectuelle bénéficie, au même titre que le droit de propriété, d'une protection à titre de droit fondamental reconnu tant par le Conseil Constitutionnel en France ( 15 janvier 1992 n°91-303 DC considérant 9) que par la CEDH (CEDH 11 octobre 2005 n°73049/01) et qu'en cas de conflit entre des droits fondamentaux, il incombe aux Etats membres la tâche de les concilier de façon équilibrée au regard d'une mise en balance des intérêts en cause.

À cet égard, la CJUE a dit rappelé dans l'arrêt Delta Center du 7 juillet 2016 précité que [point 33] les «règles de droit national doivent être aménagées de manière à permettre la réalisation des objectifs de la directive 2004/48. À cette fin, et conformément à l'article 3, paragraphe 2, de cette directive, les injonctions doivent être effectives et dissuasives (arrêt du 12 juillet 2011, L'Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, point 136)», que, [point 34] « les injonctions doivent être équitables et proportionnées. Elles ne doivent, par conséquent, pas être excessivement coûteuses et ne doivent pas non plus créer d'obstacles au commerce légitime. Il ne saurait non plus être exigé de l'intermédiaire qu'il exerce une surveillance générale et permanente de ses clients. En revanche, l'intermédiaire peut être contraint de prendre des mesures qui contribuent à éviter que de nouvelles atteintes de même nature par le même marchand aient lieu (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, L'Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, points 138 à 141)» et enfin, [point 35] a «ainsi estimé que toute injonction, au sens de l'article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48, ne peut être prononcée que si elle assure un juste équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et l'absence d'obstacles au commerce légitime (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, L'Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, point 143).»

À titre liminaire, la cour constate d'abord que l'injonction délivrée par le tribunal a été respectée puisqu'une assignation en résiliation du bail liant M. [E] [W] à Mme [U] [X] a été délivrée le 10 février 2021 et que le bail a effectivement été résilié, le bailleur invoquant un protocole régularisé le 30 novembre 2021.

Cependant, l'appelant sollicite la réformation de cette disposition.

En l'espèce, la cour considère que l'injonction faite au bailleur, dont il a été vu qu'il a la qualité d'intermédiaire au sens de la directive précitée, de procéder à la résiliation du contrat de bail commercial le liant à son locataire contrefacteur, dans un délai raisonnable, constitue une mesure adaptée car assurant un juste équilibre entre la protection des droits de propriété intellectuelle des sociétés intimées, sans être une mesure excessivement coûteuse ni générer d'obstacles au commerce légitime, le bailleur ayant été avisé des faits litigieux à plusieurs reprises et incité à agir, l'injonction ne le privant nullement de ses droits de propriété et de sa liberté de choisir un nouveau locataire, mais ayant pour seul but de mettre fin aux faits délictueux en cause. À cet égard, l' article 1729 du code civil offre la possibilité au bailleur de faire résilier le bail lorsque le preneur n'use pas «raisonnablement» de la chose louée. Enfin le délai laissé au bailleur pour agir en résiliation est, contrairement à ce que soutient M. [E] [W] compatible avec la procédure de référé possible en matière de résiliation d'un contrat de bail commercial.

Par ailleurs, la cour retient qu'une injonction non assortie de la moindre sanction ne constitue plus une mesure effective et dissuasive.

A cet égard, il convient de tenir compte du comportement adopté par M. [E] [W] dans le cadre de la présente affaire.

Il justifie effectivement avoir adressé des mises en demeure à ses locataires successifs afin de faire cesser les faits en cause (les 15 novembre et 6 décembre 2018, le 12 février et le 12 novembre 2019, puis le 14 décembre 2020), puis avoir fait délivrer à Mme [U] [X], nouvelle locataire, une assignation en résiliation de son bail commercial un mois avant l'audience de plaidoirie devant le tribunal judiciaire de Paris dans la présente affaire.

Cependant, il n'en demeure pas moins que M. [E] [W] a manifestement tardé à révéler l'identité de son locataire malgré plusieurs relances des sociétés titulaires de droit, pour ne la divulguer qu'une fois la société radiée, en connaissance de cause, puisqu'ayant été informé de cette radiation au préalable. Il a dû ensuite être enjoint par le juge des référés le 18 novembre 2019 de produire le contrat de bail en cause et de justifier de toute mesure utile à l'encontre de son locataire propre à empêcher la poursuite des actes argués de contrefaçon et a pourtant reloué le local à une proche de son ancien locataire. Il a enfin contesté vivement les faits de contrefaçon en première instance.

Au vu de ce comportement, qui ne se limite pas à la seule défense légitime de ses intérêts, il convient de considérer que l'injonction ainsi prononcée doit être accompagnée d'une mesure à caractère dissuasif pour s'assurer de son effectivité, une première injonction prononcée par le juge des référés n'ayant manifestement pas produit ses effets au vu de la persistance des faits de contrefaçon.

Néanmoins, la cour considère, au cas présent, que le bailleur ne peut être assimilé au contrefacteur et être tenu solidairement au paiement des condamnations prononcées à son encontre, sanction qui apparaît disproportionnée parce que punitive et non seulement dissuasive, cet effet ayant vocation à être assuré par le prononcé d'une astreinte, dans le respect de la directive précitée et de son interprétations , dans les conditions posées au dispositif.

Le jugement dont appel doit en conséquence être infirmé de ce chef.

Sur les autres demandes:

M. [E] [W] et M. [A] [Z], succombant, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner in solidum M. [E] [W] et M. [A] [Z] à payer à chacune des sociétés NIKE INNOVATE CV, GIVENCHY, LACOSTE et KENZO une somme de 2.000 euros au titre de l' article 700 du code de procédure civile .

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- Dit que, à défaut pour M. [E] [W] de procéder à la résiliation du contrat de bail avec son locataire actuel, identifié par ce dernier comme Mme [U] [X], et à son éviction du local commercial dans un délai de dix mois à compter de la signification du présent jugement, M. [E] [W] sera solidairement tenu avec M. [A] [Z] au paiement de toutes sommes dues par celui-ci,

L'infirme de ce chef,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette la demande de nullité du procès-verbal de constat d'achat du 26 septembre 2020,

Fait injonction à M. [E] [W] de justifier qu'il a engagé et poursuivi la résiliation du contrat de bail avec son locataire, identifié par ce dernier comme Mme [U] [X], et à son éviction du local commercial, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de quatre mois à compter de la signification de la présente décision, et courant pendant une durée de trois mois;

Condamne in solidum M. [E] [W] et M. [A] [Z] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par conformément aux dispositions de l' article 699 du code de procédure civile ,

Condamne in solidum M. [E] [W] et M. [A] [Z] à verser à chacune des sociétés NIKE INNOVATE CV, GIVENCHY, LACOSTE et KENZO une somme de 2.000 euros au titre de l' article 700 du code de procédure civile .