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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 5 mars 2024, n° 21/00852

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fleur's Flat (SCI)

Défendeur :

Loma (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valay-Brière

Conseiller :

Mme Moreau

Avocats :

Me Bernabe, Selarl Lexavoué Paris-Versailles

TJ Paris, du 7 déc. 2020

7 décembre 2020

Par jugement rendu le 7 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- prononcé la nullité de la cession de parts sociales de la Sci Fleur's flat réalisée le 20 janvier 2011 par la société Loma au profit de M. [N] en raison de l'absence de prix,

- ordonné la restitution des parts sociales de la société Fleur's flat à la société Loma, et la restitution par cette société de la somme de 684 euros à M. [N],

- débouté Mmes [J] et [E] de leurs actions en nullité des actes de cessions, en date du 20 janvier 2011, de la part qu'elles détenaient chacune sur la société Fleur's flat au profit de leur père, M. [N],

- condamné la société Fleur's flat au paiement à la société Loma de la somme de 1 599 038 euros en remboursement de sa dette, assortie des intérêts au taux légal depuis le 19 janvier 2016,

- déclaré M. [N] fautif dans sa gestion de la société Loma, en ayant omis de respecter les dispositions applicables aux conventions réglementées pour l'acte de cession des parts de la Sci Fleur's flat, et en ne respectant pas l'intérêt social de la société Loma,

- condamné M. [N] au paiement à la société Loma d'une indemnité d'un euro en réparation du préjudice subi par cette société,

- condamné M. [N] au paiement à Mme [J] d'une indemnité d'un euro en réparation du préjudice moral consécutif aux conditions de réalisation de cette cession,

- déclaré M. [N] irrecevable en ses demandes reconventionnelles en condamnation de la société Loma à lui reverser la somme de 450 000 euros au titre de l'activité réalisée et non rémunérée pour la vente des bureaux situés au [Adresse 3], ainsi qu'en remboursement de la somme de 530 594 euros au titre de travaux réalisés dans ces mêmes locaux,

- débouté M. [N] de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles,

- condamné M. [N] aux entiers dépens de l'instance,

- débouté l'ensemble des parties de leur demande formulée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration du 7 janvier 2021, la société Fleur's flat et M. [N] ont interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du conseiller de la mise en état rendue le 2 novembre 2021, les procédures inscrites au rôle sous les numéros RG 21/00852 et 21/00865 ont été jointes sous le premier de ces numéros.

Exposé du litige

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 8 janvier 2024, la Sci Fleur's flat et M. [T] [N] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* prononcé la nullité de la cession de parts sociales de la société Fleur's flat réalisée le 20 janvier 2011 par la société Loma au profit de M. [N] en raison de l'absence de prix,

* ordonné la restitution des parts sociales de la société Fleur's flat à la société Loma et la restitution par cette société de la somme de 684 euros à M. [N],

* condamné la société Fleur's flat au paiement à la société Loma de la somme de 1 599 038 euros en remboursement de sa dette, assortie des intérêts au taux légal depuis le 19 janvier 2016,

* déclaré M. [N] fautif dans sa gestion de la société Loma, en ayant omis de respecter les dispositions applicables aux conventions réglementées pour l'acte de cession de parts de la société Fleur's flat et en ne respectant pas l'intérêt social de la société Loma,

* condamné M. [N] au paiement à la société Loma d'une indemnité d'un euro en réparation du préjudice subi par cette société,

* condamné M. [N] au paiement à Mme [J] d'une indemnité d'un euro en réparation du préjudice moral consécutif aux conditions de réalisation de cette cession,

* condamné M. [N] aux entiers dépens de l'instance,

- confirmer le jugement en ses dispositions ayant :

* débouté Mmes [J] et [E] de leurs actions en nullité de l'acte du 20 janvier 2011 concernant la cession de l'unique part qu'elles possédaient chacune dans le capital de la société Fleur's flat,

et statuant à nouveau,

- déclarer mal fondée la demande en nullité de la cession de parts de la société Fleur's flat,

- déclarer prescrite et en tout état de cause mal fondée l'action en remboursement de la créance détenue dans la société Fleur's flat par la société Loma,

- déclarer mal fondée l'action en responsabilité dirigée contre M. [N],

- ordonner la restitution des 684 parts sociales de la société Fleur's flat par la société Loma au profit de M. [N],

en conséquence,

- débouter la société Loma, Mmes [J] et [E] de l'ensemble de leurs demandes,

en tout état de cause,

- condamner solidairement la société Loma et Mme [J] au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Loma et Mme [J] aux entiers dépens de l'instance.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 8 janvier 2024, la Sci Loma et Mme [Z] [N] épouse [J] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* prononcé la nullité de la cession de parts sociales de la société Fleurs'flat, réalisée le 20 janvier 2011 par la société Loma, au profit de M. [N] en raison de l'absence de prix ou, à défaut, par substitution de motifs, en raison du dol et de l'absence de cause de cette cession,

* ordonné la restitution des parts sociales de la société Fleur's flat à la société Loma et la restitution par cette société de la somme de 684 euros à M. [N],

* condamné la société Fleur's flat au paiement à la société Loma de la somme 1 599 038 euros en remboursement de sa dette, assortie des intérêts au taux légal qui ont couru depuis le 19 janvier 2016,

* déclaré M. [N] fautif dans sa gestion de la société Loma, en ayant méconnu les dispositions applicables aux conventions réglementées pour l'acte de cession de parts de société Fleur's flat et en ne respectant pas l'intérêt social de la société Loma,

* condamné M. [N] au paiement à la société Loma d'une indemnité d'un euro en réparation de son préjudice subi du fait de la gestion fautive de M. [N],

* condamné M. [N] au paiement à Mme [J] d'une indemnité d'un euro en réparation du préjudice moral consécutif aux conditions de réalisation de la cession,

- infirmer le jugement pour le surplus, en ses dispositions ;

* ayant débouté Mme [J] de son action en nullité de l'acte du 20 janvier 2011 ayant constaté la cession au bénéfice de M. [N] de l'unique part sociale qu'elle détenait dans le capital social de la société Fleur's flat,

* les ayant déboutées de leur demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et statuant à nouveau,

- déclarer recevable leur appel incident,

- prononcer la nullité de l'acte de cession conclu le 20 janvier 2011 entre Mme [J] et M. [N],

- ordonner la restitution de la part sociale de la société Flat's fleur à Mme [J] et la restitution par cette dernière de la somme d'un euro à M. [N],

à titre subsidiaire,

- condamner M. [N] à verser à la société Loma :

a - dans l'hypothèse où la cour confirmerait partiellement le jugement en infirmant la nullité de la cession et en confirmant le remboursement de la créance de la société Loma par la société Fleur's flat : la somme de 1 368 739,87 euros, sauf à parfaire, au titre de la perte de chance de réaliser la plus-value résultant de la vente de l'appartement détenu par la société Fleur's flat au jour de la décision à venir,

b- dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement au titre de la nullité de la cession et du remboursement de la créance de la société Loma par la société Fleur's flat : la somme de 1 599 038 euros correspondant à la dette de la société Fleur's flat dont il s'est abstenu de solliciter le remboursement, augmentée des intérêts légaux dus sur cette somme à compter du 20 janvier 2011 (correspondant au manque à gagner résultant de son inaction dans le recouvrement de la créance de la société Loma sur la société Fleur's flat), et la somme de 1 368 739,87 euros, sauf à parfaire, au titre de la perte de chance de réaliser la plus-value résultant de la vente de l'appartement détenu par la société Fleur's flat au jour de l'arrêt à intervenir,

en tout état de cause,

- débouter intégralement M. [N] et la société Fleur's flat de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner solidairement M. [N] et la société Fleurs' flat au paiement des sommes de 70 000 euros à la société Loma et 7 000 euros à Mme [J], au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement M. [N] et la société Fleur's flat aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 20 novembre 2023, Mme [X] [N] épouse [E] demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* prononcé la nullité des cessions intervenues le 20 janvier 2011 pour défaut de prix,

* ordonné la restitution d'une part sociale de la société Fleur's flat à son profit et la restitution de 684 parts sociales de la société Fleur's flat à la société Loma,

* ordonné à la société Fleur's flat de rembourser la créance de 1 599 038 euros que la société Loma détient à son encontre, assortie des intérêts au taux légal depuis le 19 janvier 2016, date de première présentation de la lettre de mise en demeure,

* condamné M. [N] à indemniser la société Loma et Mme '[Z] [E]' des préjudices subis et revoir le montant de l'indemnisation,

* rejeté l'ensemble des demandes reconventionnelles formées par M. [N] constatant à titre principal qu'elles sont irrecevables et subsidiairement qu'elles sont mal fondées,

à titre subsidiaire,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les cessions intervenues le 20 janvier 2011 n'étaient pas nulles pour dol et défaut de cause,

et statuant à nouveau,

- prononcer la nullité des cessions intervenues le 20 janvier 2011 pour dol et défaut de cause,

- ordonner la restitution d'une part sociale de la société Fleur's flat à elle-même et la restitution de 684 parts sociales de la société Fleur's flat à la société Loma,

en tout état de cause, si la restitution des parts sociales s'avérait impossible,

- condamner M. [N] à lui payer la somme de 882 753 euros au titre de la perte de valeur de sa participation dans la société Loma et la somme de 2 609,62 euros correspondant à la valeur réelle de la part sociale abusivement cédée,

- condamner M. [N] au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [N] aux entiers dépens de l'instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 janvier 2024.

Motivation

SUR CE,

1- Sur l'action en nullité des actes de cession litigieux fondée sur le prix dérisoire

Après avoir rejeté le moyen tiré du dol, le tribunal a considéré que la cession de parts de la Sci Fleur's flat par la société Loma au profit de M. [N] devait être annulée pour absence de prix, en ce que :

- au jour de l'acquisition des parts sociales de la Sci Fleur's flat, cette société était toujours redevable envers la société Loma du prix d'acquisition de l'immeuble constituant son actif, en sorte que l'actif net de cette société devait prendre en compte cette dette,

- l'estimation par M. [N] et la Sci Fleur's flat concernant la valeur de l'immeuble au jour des cessions n'est pas pertinente à la lumière des pièces produites,

- les caractéristiques de l'appartement et les éléments produits permettent de retenir un prix de 13 000 euros le mètre carré en 2011, soit une valeur de 1 734 200 euros lors des cessions contestées,

- la valeur nominale des parts sociales de la Sci Fleur's flat aurait dû être de 193,09 euros, et non d'un euro symbolique, en sorte que M. [N] aurait dû verser la somme de 132 072,58 euros au lieu des 684 euros payés,

- même en déduisant de l'actif de la Sci Fleur's flat la dette de celle-ci envers la société Loma, le prix de cession des parts est dérisoire au regard de l'actif net de cette société, justifiant ainsi l'annulation de la cession,

- il n'est pas fait état d'une impossibilité de restitution des parts de Sci Fleur's flat à la société Loma,

- en revanche, la différence de valeur n'est pas assez importante pour la cession d'une seule part sociale réalisée par Mme [J] à son père.

La société Fleur's flat et M. [N] soutiennent que :

- les cessions litigieuses ne sont pas intervenues à un prix dérisoire,

- les caractéristiques de l'appartement sont différentes de ce qui est prétendu par les intimées,

- l'appartement n'est pas situé dans un hôtel particulier remarquable mais dans un immeuble classique divisé en quatre appartements, il ne s'agit pas d'un duplex mais d'un appartement de 116m² dont 109 au troisième étage et 7m² au quatrième mansardé avec une terrasse de 58 m² qui doit être pondérée à 27,5% selon la moyenne des deux experts, soit une surface totale de 131,95m², avec une cave de 14,67 m² qui n'a pas été transformée en salle de sport et un garage et non un double parking,

- nonobstant son usage privatif, la terrasse est une partie commune et ne fait pas partie du lot 46,

- ne pensant pas que la propriété de cet appartement lui serait contestée, M. [N] y a financé des travaux à hauteur de 249 687 euros,

- l'expertise de M. [O] ayant retenu un prix de 13 500 euros le mètre carré ne s'appuie que sur un seul point de comparaison antérieur à la cession des parts de la société Fleur's flat, manque de transparence dans sa méthode d'évaluation viciée et incohérente et utilise des comparaisons postérieures,

- l'expertise réalisée par M. [M], qui fixe un prix de 10 000 euros le mètre carré, est plus sérieuse en ce qu'elle comporte 37 points de comparaison,

- en retenant un prix de 13 500 euros comme M. [O] ou de 13 000 euros comme le tribunal, la valeur des parts sociales de la Sci Fleur's flat était bien de 686 euros en tenant compte de son passif de 1 599 038 euros, la dette de la socièté Fleur's flat vis à vis de la société Loma n'étant pas prescrite à la date des cessions,

- le prix moyen du mètre carré s'élève en réalité à 10 538 euros m² et non à 13 000 euros comme l'a retenu le tribunal de manière erronée,

- les trois approches par des méthodes différentes de la valeur des actifs de la société Fleur's flat qui aboutissent à des sommes de 1 582 500 euros, 1 445 409 euros et 1 546 035 euros, montrent que celle-ci est toujours inférieure au montant de son passif,

- les cessions de parts au prix d'un euro intervenues en 2004 et 2011 ont toutes été enregistrées auprès du service des impôts et n'ont jamais été remises en cause par l'administration fiscale,

- une compensation entre les apports personnels de M. [N] à la société Loma et la dette de la société Fleur's flat lorsque celle-ci n'était pas prescrite était possible et légitime, rappelant qu'il avait été envisagé en première instance de compenser la créance détenue par la société Loma sur la société Fleur's flat par la somme de 1 543 179 euros correspondant au montant des travaux effectués au deuxième étage de l'immeuble (363 823 euros) et dans l'appartement litigieux (249 687 euros), à une indemnité pour ses fonctions de gérant (450 000 euros), aux dividendes à recevoir des sociétés Key largo, Malo et Loma (288 142 euros) et à l'excédent de passif pris en charge par M. [N] (191 527 euros),

- Mme [J] a acquis de sa soeur son unique part de la société Fleur's flat au prix également d'un euro,

- une part représente 0,14% du capital social, en sorte qu'elle n'a aucune valeur de marché.

La société Loma et Mme [J] font valoir que :

- la nullité des cessions litigieuses pour vil prix est d'autant plus justifiée que leur prix est bien plus dérisoire que ce qu'a retenu le tribunal,

- le patrimoine de la société Fleur's flat est composé d'un bien exceptionnel d'une surface de 133,4 m² a minima correspondant à 116 m² de surface Carrez pour le duplex et à 17,4 m² de surface pondérée pour la terrasse, le taux de pondération de 30% retenu par le tribunal étant raisonnable,

- l'appartement mesurerait en réalité 136,17 m², soit 119,13 m² Carrez et la terrasse 58 m², soit une surface supérieure à celle retenue par le tribunal,

- il est doté d'une cave de 17,43 m², d'un garage de 18 m² qui comprend deux places de parking, ce dernier ayant été estimé à la valeur de 55 000 euros, et d'une terrasse propriété privée de la société,

- la valorisation de l'appartement par les appelants à la somme de 1 332 813 euros, soit 10 065 euros du mètre carré, n'est pas sérieuse, sa valeur devant être relevée à la somme de 1 860 000 euros, soit 13 500 euros du mètre carré selon la méthode de comparaison appliquée par M. [O],

- en matière civile, aucun principe n'interdit au juge de prendre en compte des cessions postérieures pour évaluer la valeur marchande d'un bien et la qualité d'une comparaison dépend de la pertinence des éléments de comparaison et non de leur nombre,

- le passif de la société Fleur's flat n'est composé que du compte courant de la société Loma à hauteur de 1 599 038 euros à l'exclusion de la prétendue créance en compte courant de M. [N] de 249 687 euros qui n'a aucune existence légitime,

- la société Fleur's flat devait donc être valorisée à 260 962 euros (1 860 000 - 1 599 038) en 2011 et non à 135 162 euros comme retenu par le tribunal,

- il existe donc une disparité significative entre le prix de 686 euros et la valeur réelle de la société qui ne se justifie par aucune contrepartie réelle et sérieuse,

- la cession par Mme [J] a également eu lieu pour un prix dérisoire.

Mme [E] prétend que :

- le prix de la cession est dérisoire au regard de l'actif net de la société Fleur's flat,

- la surface à retenir est de 116 m² (131 m² hors loi Carrez) pour l'appartement outre 17,4 m² pour la terrasse après pondération, une cave et deux places de parking pour un prix de 13 500 euros du mètre carré,

- la créance d'un montant de 249 687 euros prétendument détenue par M. [N] n'est pas justifiée et ne peut être inscrite au passif de la société Fleur's flat,

- il n'existe aucune contrepartie à ce prix dérisoire, contrairement aux cessions précédentes à 1 euro qui en comportaient une.

Selon l'article 1591 du code civil, le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties.

Pour déterminer la valeur des parts sociales de la Sci Fleur's flat au jour des cessions contestées, il convient de rechercher la valeur de son actif et de son passif.

Il est constant que la Sci Fleur's flat détenait alors pour seul actif un bien immobilier acquis en 2004 situé au [Adresse 1], constitué d'un ensemble de lots correspondant aux troisième et quatrième étages de cet immeuble, d'une terrasse comprise dans le lot 46, d'un garage et de deux caves.

Ce bien se trouve dans un hôtel particulier du XIXème siècle, et non dans un immeuble classique,

lui-même situé dans une résidence 'La Villa des Ternes' implantée dans une voie privative arborée dont l'accès est protégé par une grille et une barrière. Le rapport de M. [M] lui-même précise qu'il est placé dans un secteur résidentiel très recherché.

L'appartement, sur deux étages, accessible par un ascenseur, est selon le tableau de superficies et les rapports de MM. [O] et [M] produits, d'une superficie de 116 m² donnant accès à une terrasse privative de 58 m² orientée sud-ouest. Alors que le taux de pondération à Paris varie entre 30% et 50%, les appelants ne justifient pas d'éléments permettant de le fixer à 25% comme l'a fait M. [M] ou à 27,5% comme ils le proposent, de sorte que le taux de 30% retenu par le tribunal qui est raisonnable doit être confirmé, soit une surface totale de 133,4 m².

La méthode de valorisation des appelants, basée sur un prix de 10 000 euros du mètre carré, est peu pertinente en ce que M. [M] ne précise ni ses sources ni les caractéristiques des biens comparés dont aucun n'appartient à la Villa des Ternes, ne fait pas référence à la vente de l'appartement du deuxième étage situé dans le même immeuble intervenue en janvier 2011 au prix de 12 438 euros du mètre carré et aboutit à conclure à une valorisation de l'appartement en 2011 de 1 305 000 euros, très inférieure à celle de son acquisition en 2004 (1 524 490 euros, soit 11 472 du mètre carré) et à celle effectuée par M. [N] en 2006 lors de son divorce (1 633 066 euros) alors que le marché immobilier parisien a connu une forte progression entre 2004 et 2011, l'indice des prix des logements anciens en Ile de France étant passé durant cette période de 73 à plus de 110, et que M. [N] reconnaît avoir fait en 2005 des travaux dans cet appartement pour un montant de plus de 249 000 euros.

Si la méthode d'évaluation retenue est en général celle de la comparaison avec des biens intrinsèquement similaires ayant fait l'objet de transactions à la date de la cession, le rapport de M. [O], qui a relevé ses éléments de comparaison dans la base bien des notaires, ne peut être critiqué en ce qu'il fait référence à des cessions postérieures dès lors que le bien litigieux peut être qualifié de singulier voire d'exceptionnel, et que ces ventes intervenues entre mai 2011 et juin 2012 concernent des appartements soit dans le même immeuble soit dans la même avenue.

Ses conclusions, qui aboutissent à un prix de 13 500 euros le mètre carré et qui prennent en compte la valorisation du garage estimée à 55 000 euros, ne peuvent par conséquent pas être écartées.

C'est par conséquent de manière pertinente que le tribunal a retenu un prix moyen de 13 000 euros le mètre carré en 2011 soit une valeur pour l'appartement à cette époque de 1 734 200 euros à laquelle il convient d'ajouter celle du garage.

A la même époque le passif de la société Fleur's flat était uniquement composé de sa dette de 1 599 038 euros envers la société Loma résultant du rachat par celle-ci le 27 novembre 2004 de la participation de Mme [E], moins une part, dans la société Fleur's flat et de l'intégralité de sa créance, à hauteur de cette somme, qu'elle détenait sur la société Fleur's flat, et dont il n'est pas contesté qu'elle n'a pas été remboursée.

M. [N] ne justifie pas avoir souhaité compenser les sommes qu'il considére avoir apporté personnellement à la société Loma et la dette de la société Fleur's flat.

L'actif net de la société Fleur's flat s'élevait donc en 2011 à 190 162 euros (1 734 200 + 55 000 - 1 599 038), soit une valeur nominale de 271,66 euros la part sociale et non de 1 euro.

La cession ayant été réalisée au prix dérisoire de 684 euros doit être annulée, en confirmation du jugement.

Cette disparité dans la valeur des parts doit s'appliquer également à la cession de la part sociale détenue par Mmes [J] et [E] au profit de leur père, le jugement étant infirmé de ce chef.

La restitution des parts sociales de la Sci Fleur's flat à la société Loma et à Mmes [J] et [E], dont il n'est pas prétendu qu'elle serait impossible, doit donc être ordonnée.

La nullité étant prononcée pour ce motif, il n'y a pas lieu d'examiner les prétentions fondées sur le dol ou l'absence de cause.

2 - Sur la demande en paiement de la créance détenue par la société Loma à l'encontre de la Sci Fleur's flat

Le tribunal a jugé que :

- lorsque la société Loma a remboursé à Mme [E] la somme avancée par elle pour l'acquisition de l'appartement, cette créance n'a pas pu s'inscrire sur le compte d'associé de la société Loma puisqu'elle a procédé à un remboursement à Mme [E], de sorte qu'il s'agit d'une créance rattachée à la participation de cette société,

- ce prêt n'étant assorti d'aucun terme pour son remboursement, celui-ci peut être sollicité à tout moment, sauf stipulations statutaires contraires,

- cette créance ne peut être affectée par la prescription tant que son titulaire ne l'a pas rendue exigible en en demandant le remboursement,

- la société Loma n'ayant sollicité auprès de la Sci Fleur's flat le remboursement de sa créance que par courrier en date du 15 janvier 2016, cette dernière doit rembourser cette dette, non prescrite, avec intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 2016, date de la demande de règlement figurant sur la mise en demeure.

La société Fleur's flat et M. [N] soutiennent que :

- la créance de la société Loma est une créance monétaire correspondant à l'acquisition d'un solde de compte courant,

- elle n'a jamais fait l'objet d'un contrat de prêt et ne peut donc être qualifiée de prêt à durée indéterminée,

- les deux premiers experts-comptables de la société l'avaient qualifiée sur le plan du droit comptable dans la classe des créances sur participation,

- c'est le nouvel expert-comptable désigné par Mme [J] qui a changé cette créance monétaire de poste comptable en la qualifiant de créance en compte courant,

- l'avis du professeur [C] démontre que cette créance, qu'il s'agisse d'une avance en compte courant ou d'un prêt à durée indéterminée, est prescrite en ce que la prescription a commencé à courir en 2004 et s'est trouvée acquise en 2013, la société Loma ayant connaissance de son droit d'exercer son action en remboursement depuis le jour où elle a acquis cette créance, soit le 27 novembre 2004,

- Mmes [E], signataire de l'acte de cession, et [J], associée, en ont également eu connaissance au jour de la cession,

- le délai de prescription de 30 ans a été ramenée à cinq années après la promulgation de la loi du 17 juin 2008 soit au 19 juin 2013,

- le compte de Mme [E] a été fermé en 2004 et la société Loma, cessionnaire du solde de ce compte courant, a attendu douze ans avant d'en réclamer le remboursement,

- la société Loma n'a pas été associée de la société Fleur's flat avant d'acquérir la créance détenue par Mme [E], elle ne détient pas de compte courant d'associé dans les comptes de la Sci Fleur's flat, elle ne lui a jamais avancé la moindre somme et ne peut donc se prévaloir ni de la jurisprudence s'appliquant à titre dérogatoire au compte courant d'associé ni des dispositions dérogatoires de l'article 1900 du code civil,

- la société Loma n'a réclamé la restitution de cette créance que lorsque ses deux associées ont été informées du projet de M. [N] de changer de régime matrimonial.

Les intimées font valoir que :

- le compte courant d'associé s'analyse en un prêt à durée indéterminée lequel se prescrit à compter de la première demande en paiement de son solde,

- la créance litigieuse est une créance en compte courant d'associé,

- la distinction entre compte-courant d'associé et créance rattachée à une participation est indifférente quant à la nature des créances et de leur régime,

- selon le plan comptable général, le compte 267 (créances rattachées à des participations) regroupe les créances nées à l'occasion de prêts octroyés à des entités dans lesquelles le prêteur détient une participation,

- peu important qu'il s'agisse d'une créance rattachée à une participation ou d'un compte-courant d'associé, dès lors qu'il s'agit d'un prêt à durée indéterminée consenti par un associé, la société Loma, à une société, la Sci Fleur's flat, dans laquelle l'associé détient une participation,

- la première demande de remboursement datant du 15 janvier 2016, aucune prescription n'a pu commencé à courir avant cette date,

- la créance litigieuse n'a pas changé de nature lors de sa cession le 27 novembre 2004 qui a eu un effet translatif, s'agissant d'une cession de créance,

- s'il est jugé que la prescription a commencé à courir le 27 novembre 2004, alors l'inscription de cette créance dans les comptes de la société Fleur's flat, dirigée par M. [N], vaut reconnaissance de dette, ce qui a interrompu la prescription,

- à titre subsidiaire, l'absence de remboursement de cette créance avant sa prétendue prescription est imputable à M. [N], gérant de la société Loma jusque fin 2023, lequel n'en ayant jamais sollicité le remboursement devra en assumer les conséquences à titre personnel.

Les appelants produisent le bilan de la société Fleur's flat pour l'exercice 2010, non visé par un professionnel du chiffre, qui fait apparaître la dette de 1 599 038 euros dans les 'découverts, concours bancaires' sans autre précision tandis que Mme [J] et la société Loma en produisent un autre pour le même exercice qui la fait apparaître en compte courant d'associé de la société Loma.

Ces derniers versent également aux débats les bilans de la société Loma pour les exercices 2006 puis 2011 à 2015, dont seul le premier est visé par un professionnel du chiffre, qui classent cette créance parmi les immobilisations financières au titre des créances rattachées à des participations pour les deux premiers puis pour les suivants dans les autres immobilisations financières parmi les autres comptes débiteurs/créditeurs.

Il est constant que le 21 juin 2004 l'assemblée générale de la société Loma a autorisé la conclusion d'une convention de compte courant d'associé avec la société Fleur's flat.

S'agissant d'une cession de créance opérée entre Mme [E] et la société Loma, cette dernière se trouvant subrogée dans les droits de la première en suite du paiement d'un prix, et non d'une cession de compte courant ayant entraîné la clôture du compte de Mme [E] comme le montrent les comptes postérieurs qui font toujours état d'un compte courant à son nom, la créance litigieuse n'est pas une créance de compte courant mais doit s'analyser en une créance rattachée à une participation. Il s'agit donc d'un prêt à durée indéterminée consenti par la société Loma, associée, à la société Fleur's flat, dans laquelle elle détient une participation.

Il n'est pas démontré que ce prêt était assorti d'un terme de sorte que son remboursement peut être sollicité à tout moment sauf stipulations statutaires contraires dont l'existence n'est en l'espèce pas justifiée.

Le délai de prescription de l'action en remboursement d'un tel prêt, passé de dix à cinq ans depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, ne court qu'à compter du jour où l'associé en demande le remboursement, ce qui le rend exigible, soit à compter de la mise en demeure de payer la somme de 1 599 038 euros au plus tard le 19 janvier 2016, formulée par lettre du 15 janvier 2016 par la Sci Loma.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la société Fleur's flat au paiement de cette somme avec intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 2016.

3-Sur la responsabilité de M. [N]

Le tribunal a jugé que M. [N] avait commis une faute de gestion en tant que gérant de la société Loma en ne respectant pas les dispositions de l'article L. 612-5 du code de commerce relatives aux conventions réglementées, applicables aux sociétés civiles ayant une activité commerciale, et au-delà en laissant se réaliser à son profit et au détriment de la société Loma une cession des parts qu'elle détenait dans une société civile immobilière à un prix dérisoire, sans avoir pour autant l'intention de régler le passif de cette société civile à l'égard de la société Loma.

Il a également considéré que ces fautes commises au préjudice de la société Loma, dont les actionnaires majoritaires étaient ses filles, avaient contribué à la dégradation de leurs relations.

M. [N] soutient que :

- une société civile dont le seul objet consiste à détenir des participations dans des sociétés civiles immobilières n'a pas une activité économique,

- les sociétés Loma et Fleur's flat n'ont pas exercé d'activité économique au sens de l'article L.612-5 du code de commerce, la société Loma étant une Sci familiale qui a pour seule activité l'acquisition de biens immobiliers et leur location, ce qui relève davantage de la gestion d'un patrimoine familial privé et donc d'une activité civile,

- s'agissant des 'réparations' et 'indemnisations' sollicitées, Mme [E], qui prétend en cas de restitution impossible des parts à la somme de 882 753 euros, confond son patrimoine personnel et celui de la société Loma, alors qu'elle ne détient qu'une seule part de cette société,

- la demande de Mme [J] est tout autant contestable au regard de la surévaluation qu'elle effectue de l'appartement Fleur's flat.

La société Loma, Mme [J] et Mme [E] prétendent que :

- M. [N] a délibérément méconnu la procédure des conventions réglementées applicables aux sociétés civiles prévue par l'article L.612-5 du code de commerce en s'abstenant d'établir et de faire approuver par l'assemblée générale des associés le rapport sur la cession des 684 parts de la société Fleurs's flat détenues par la société Loma,

- la société Loma exerçait effectivement une activité économique en tant que société holding détenant des participations dans des sociétés générant des revenus et réalisant des opérations immobilières,

- en sa qualité de gérant de droit puis de fait, M. [N] a orchestré la cession litigieuse qui a privé la société Loma de la plus-value dont elle aurait pu bénéficier, au détriment de son intérêt social, et s'est abstenu de solliciter le remboursement de la somme de 1 599 038 euros dont est débitrice la société Fleur's flat, la privant ainsi d'une trésorerie qu'elle aurait pu faire fructifier ou distribuer à ses associés,

- M. [N] doit réparer le préjudice subi par la société Loma lequel peut être évalué de 1 euro à 1 599 038 euros selon la décision adoptée sur la nullité des cessions et le remboursement de la créance ainsi que le préjudice moral de Mme [J], victime des manoeuvres dolosives de son père.

L'article L. 612-5 du code de commerce dispose notamment que ' Le représentant légal ou, s'il en existe un, le commissaire aux comptes d'une personne morale de droit privé non commerçante ayant une activité économique ou d'une association visée à l'article L. 612-4 présente à l'organe délibérant ou, en l'absence d'organe délibérant, joint aux documents communiqués aux adhérents un rapport sur les conventions passées directement ou par personne interposée entre la personne morale et l'un de ses administrateurs ou l'une des personnes assurant un rôle de mandataire social.

Il est de même des conventions passées entre cette personne morale et une autre personne morale dont un associé indéfiniment responsable, un gérant, un administrateur, le directeur général, un directeur général délégué, un membre du directoire ou du conseil de surveillance, un actionnaire disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % est simultanément administrateur ou assure un rôle de mandataire social de ladite personne morale.

L'organe délibérant statue sur ce rapport[...]Une convention non approuvée produit néanmoins ses effets. Les conséquences préjudiciables à la personne morale résultant d'une telle convention peuvent être mises à la charge, individuellement ou solidairement selon le cas, de l'administrateur ou de la personne assurant le rôle de mandataire social.'

L'objet social d'une société civile consistant dans l'achat, la vente et la gestion de tous biens immobiliers confère à la société civile le caractère d'une entreprise ayant une activité économique au sens de l'article L. 612-5 du code de commerce.

La société Loma a pour objet social la prise de participations dans toutes sociétés - propriété et gestion de ces participations.

Il ressort des conclusions des appelants (p 56 et 57) que durant la gérance de M. [N] la société Loma a investi dans sept biens immobiliers dont deux biens à usage de bureaux situés [Adresse 3] acquis en 2001 et 2002 par deux de ses filiales et revendus en 2015 avec une plus value de 3 191 664 euros et que celui-ci avait au titre de ses activités de gérant la mission de trouver des locataires, négocier les baux et vérifier le paiement des loyers.

Il s'en déduit que la société Loma avait une activité économique au sens de l'article L. 612-5 du code de commerce de sorte que la convention par laquelle la société Loma a cédé à M. [N], son gérant, les 684 parts qu'elle détenait dans le capital social de la société Fleur's flat aurait dû faire l'objet d'un rapport et être présentée et approuvée lors d'une assemblée générale de la société Loma.

C'est par conséquent à bon droit que le tribunal a considéré que M. [N] avait commis une faute de gestion en ne respectant pas ces dispositions et en réalisant une cession de parts sociales à son profit et au détriment de la société qu'il dirigeait, et l'a condamné au paiement à titre de dommages et intérêts d'une somme de 1 euro à la société Loma.

C'est également à juste titre qu'il a jugé que les fautes retenues à l'encontre de M. [N] commises au préjudice de la société Loma dont ses deux filles étaient les actionnaires majoritaires avaient contribué à la dégradation de leurs relations et accueilli la demande indemnitaire à hauteur de un euro de Mme [J].

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mmes [Z] [N] épouse [J] et [X] [N] épouse [E] de leurs actions en nullité des actes de cessions, en date du 20 janvier 2011, de la part qu'elles détenaient chacune sur la société Fleur's flat au profit de leur père, M. [N],

Statuant à nouveau de ce chef,

Prononce la nullité de la cession des deux parts sociales de la Sci Fleur's flat réalisée le 20 janvier 2011 par Mmes [J] et [E] au profit de M. [T] [N] en raison de l'absence de prix,

Ordonne la restitution des parts sociales de la société Fleur's flat à Mme [Z] [J] et Mme [X] [E] et la restitution par celles-ci de la somme de 1 euro chacune à M. [T] [N],

Condamne M. [T] [N] aux dépens d'appel avec droit de recouvrement au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles-Reims, avocat, pour les frais dont elle aurait fait l'avance, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne M. [T] [N] à payer à la Sci Loma, Mme [Z] [J] et Mme [X] [E] la somme de 10 000 euros pour la première et de 7 000 euros pour chacune des deux autres sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.