CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 5 mars 2024, n° 21/04214
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Languedoc Palettes (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rouquette-Dugaret
Conseillers :
Mme Remili, M. Soriano
Avocats :
Me Divisia, Me Clabeaut
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :
M. [N] [M] et M. [B] [Z] étaient associés au sein de « la SAS Languedoc palettes depuis 1986 » à hauteur de 30 % des parts sociales pour le premier et de 70 % pour le second.
M. [N] [M] exerçait des fonctions de directeur général et M. [B] [Z] était président.
Par courrier du 2 août 2019, M. [N] [M] a été convoqué à une assemblée générale extraordinaire, fixée au 14 août 2019, lors de laquelle il a été révoqué de ses fonctions.
Par requête du 28 avril 2020, M. [N] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes aux fins de reconnaissance d'un contrat de travail entre lui et la SAS Languedoc palettes depuis 1986 ; prononcer la résiliation judiciaire de ce contrat de travail et condamner la SAS Languedoc palettes depuis 1986 à diverses sommes indemnitaires.
Par jugement du 29 octobre 2021, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :
- jugé que le contrat de travail de M. [N] [M] n'est pas caractérisé au sein de SAS Languedoc palettes depuis 1986,
- débouté M. [N] [M] de l'ensemble de ses demandes relatives à la résiliation judiciaire du contrat de travail et autres demandes indemnitaires associées,
- débouté les parties des autres demandes,
- dit qu'il n'y a pas lieu à l'article 700 du code de procédure civile,
- partagé les dépens entre M. [N] [M] et SAS Languedoc palettes depuis 1986.
Par acte du 26 novembre 2021, M. [N] [M] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 4 septembre 2023, M. [N] [M] demande à la cour de :
- réformer le jugement dont appel,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [N] [M] aux torts exclusifs de son employeur,
- faire produire à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [N] [M] les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner par conséquent la SAS Languedoc Palettes depuis 1986 au paiement des sommes suivantes :
- indemnité de préavis : 4 566,48 euros bruts (3 mois),
- indemnité de congés payés sur préavis : 456,64 euros bruts,
- indemnité de licenciement : 1 141,62 euros nets,
- dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
à titre principal 6 088,64 euros nets (4 mois de salaire)
à titre subsidiaire 4 566,48 euros nets (3 mois de salaire),
- condamner la SAS Languedoc Palettes depuis 1986 à payer à M. [N] [M] la somme de :
10 000,00 euros nets à titre de dommages-intérêts tant moral que financier en raison de sa révocation abusive,
En tout état de cause,
- condamner la SAS Languedoc Palettes depuis 1986 au paiement de la somme de 2000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [N] [M] soutient que :
- il a été embauché par contrat à durée indéterminée à temps complet par la société Languedoc palettes depuis 1986 à compter du 1er mars 2017 en qualité de directeur général, statut cadre, ainsi que cela ressort de ses bulletins de paie mais il ne lui sera jamais remis de contrat de travail malgré ses relances orales
-à l'origine, il était associé minoritaire de M. [Z], gérant de la société qui l'avait débauché et poussé à contracter un prêt de 7000 euros pour qu'il puisse intégrer l'entreprise, M. [Z] ayant un monopole décisionnel au sein de cette dernière
- dans ces conditions M. [Z] a décidé qu'il serait salarié de la société et qu'il exercerait diverses fonctions en qualité de directeur général, sous sa subordination
- il pouvait sans difficulté cumuler son mandat en qualité d'associé minoritaire et un contrat de travail, d'ailleurs il n'a quasi jamais perçu de rémunération au titre de ses fonctions d'associé minoritaire, comme cela est confirmé par l'expert-comptable de la société
- en revanche, il percevait effectivement une rémunération au titre de son activité salariée et des fonctions qu'il exerçait sans relâche pour faire fructifier la société, effectuant, pour la plupart du temps, une activité de chauffeur livreur pour le compte de son employeur mais il gérait également les fournisseurs de l'entreprise (il produit deux boites de ses 100 disques chronotachygraphes)
- malgré son implication dans son travail, la relation tant personnelle que professionnelle avec M. [Z] s'est dégradée et ce dernier va l'évincer en le révoquant de ses fonctions de directeur général après s'être servi de lui financièrement puis va le persécuter, justifiant le dépôt d'une main courante
- son statut de salarié est difficilement contestable dans la mesure où il ne fait aucun doute qu'il exerçait une prestation de travail pour la société, percevait une rémunération mensuelle qui était actée par des bulletins de paie remis chaque mois faisant état de cotisations sociales et enfin, il se trouvait sous la subordination totale et permanente de M. [Z], devant, au regard de la différence de parts sociales, faire face aux décisions unilatérales et discrétionnaires de son associé qui décidait des horaires, de la répartition du travail et des tâches à effectuer et c'est d'ailleurs de manière unilatérale qu'il sera révoqué de ses fonctions.
En l'état de ses dernières écritures du 31 mars 2022, la SAS Languedoc palettes depuis 1986 demande :
- confirmer le jugement dont il est relevé appel,
En conséquence,
- juger que M. [N] [M] ne peut se prévaloir de la qualité de salarié,
En conséquence,
- rejeter l'ensemble des demandes fins et prétentions de M. [N] [M],
- condamner M. [N] [M] à verser à la SAS Languedoc Palettes depuis 1986 la somme de 2400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
La société fait valoir que :
- M. [N] [M] n'a pas hésité à se servir sur les comptes de la société sans en informer son associé ainsi qu'a se faire établir sans l'accord du président, ni de décision collective des associés, des bulletins de salaire en qualité de directeur général,
- ce comportement devait conduire à trouver une solution pour sauver l'entreprise, la marge de 44% avec un chiffre d'affaires constant ne permettant pas à la société de conserver le train de vie imposé par le directeur général; cette situation devait conduire à ce que le départ de l'un des associés soit acté par assemblée générale ordinaire du 19 juillet 2019, avec un délai de réflexion de 10 jours pour trouver une solution acceptable pour tous et c'est alors que les relations vont se dégrader entre les associés
- sur l'inexistence d'une activité de salarié : M. [N] [M] entend arguer de l'existence d'une prestation de travail, en l'occurrence, des fonctions de chauffeur-livreur pour le compte de la société mais également celles qui consistent à gérer les fournisseurs de la société; or, de telles activités entrent dans les fonctions de directeur général et ne sont pas incompatibles avec la qualité de directeur général; à supposer établie l'existence de ces activités, rien ne permet en l'état des pièces produites d'acter une activité de salarié
- sur l'inexistence d'un lien de subordination :
- les deux seuls sms produits par M. [M] ne sont en aucun cas de nature à stigmatiser un lien de subordination.
- la position de monopole décisionnel au sein de la société s'explique simplement par la nécessaire supériorité hiérarchique de M. [B] [Z]; le fait que ce soit précisément ce dernier qui était actionnaire majoritaire, n'implique ni ne justifie nullement un lien de subordination envers son associé M. [M]
- il est prétendu que M. [Z] prenait l'ensemble des décisions au sein de la société et donnait des directives à M. [M] afin de les faire appliquer, il est produit un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 14 août 2019, visant la révocation de M. [M] de son poste de directeur général, afin de tenter de justifier un rapport de subordination, or, la cour n'est nullement compétente pour interpréter les actes ayant trait aux décisions d'associés dans le cadre de la gestion d'entreprise, seul le tribunal de commerce pouvant se prononcer à ce titre, et ainsi trancher les litiges qui sont nés entre associés
- sur la rémunération perçue par M. [M] :
- les fiches de paie visent les fonctions de directeur général et non une autre fonction
- or, l'annexe 1 des statuts dispose que concernant tant le président que le directeur général aucune rémunération ne serait perçue pour l'exercice de leur mandat, sous réserve de toute décision collective des associés intervenant ultérieurement et lui attribuant différents types d'avantages
- M. [N] [M] ne produit aucune décision d'assemblée générale qui lui permettrait d'être salarié au titre de son activité de « Directeur Général » et d'en percevoir une rémunération; tenant l'absence de cette production, les bulletins de salaire produits ne pourront qu'être écartés des débats comme étant manifestement des faux, la société contestant l'authenticité de ces pièces.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
MOTIFS
Il résulte des articles L.1221-1 et L.1221-2 du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.
Le contrat de travail se caractérise par un lien de subordination juridique qui consiste pour l'employeur à donner des ordres, à en surveiller l'exécution et à en sanctionner les manquements.
L'existence d'un mandat social de directeur général n'est pas exclusive de l'existence d'un contrat de travail.
Il ressort des statuts constitutifs de la SAS Languedoc palettes depuis 1986 que la société, dont l'objet est le négoce de palettes en bois, a été créée par M. [B] [Z] et M. [N] [M], les actions étant souscrites et réparties à hauteur de 70 pour le premier et 30 pour le second.
Il est également prévu en caractères gras que :
« Est nommé comme Président de la société à compter de son immatriculation et pour une durée indéterminée M. [B] [Z] lequel jusqu'à nouvelle décision collective des associés ne sera pas rémunéré »
« Est nommé comme Directeur Général de la société à compter de son immatriculation et pour une durée indéterminée M. [N] [M] lequel jusqu'à nouvelle décision collective des associés ne sera pas rémunéré »
Le fait que M. [N] [M] exerçait des fonctions de chauffeur livreur (comme cela ressort des disques chronotachygraphes produits et de l'attestation de M. [E]) et de gestion des fournisseurs de la société, outre qu'il n'est pas établi qu'elles soient distinctes de celles d'un directeur général dans une société ne comprenant pour exécuter son objet social que deux associés, ne suffit pas à reconnaître l'existence d'un contrat de travail dès lors que le cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social suppose que les fonctions salariées soient exercées dans un état de subordination à l'égard de la société.
La subordination est appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait et ne saurait être déduite simplement du nombre de parts sociales détenues.
Il ne ressort d'aucun des documents produits (l'appelant ne produisant d'ailleurs même pas les deux sms dont fait état l'intimée), que M. [N] [M] aurait reçu des ordres et des directives de la part de M. [Z] qui aurait eu le pouvoir d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements, ce qui ne saurait résulter de la révocation du mandat du directeur général lors de l'assemblée générale extraordinaire du 14 août 2019.
Il n'est pas plus démontré que M. [N] [M] aurait été soumis à de quelconques contraintes concernant des horaires de travail. Au contraire, les nombreux disques chronotachygraphes produits montrent qu'il avait des horaires extrêmement variables, parfois entre une demi heure et une heure par jour et à n'importe quelle heure de la journée ou de la nuit.
L'attestation que l'appelant produit lui-même de M. [F] [D] (pour partie illisible) montre qu'il exerçait des fonctions de dirigeant « nous sommes amené à travailler dans une relation fournisseur client confrère avec la société Languedoc Palettes à [Localité 4] représentée par M. [Z] et M. [M]. Nous avons été surpris des accusations portées par M. [Z] envers M. [M] (...) surtout que M. [Z] a délibéremment négligé nos appels et relances pendant deux semaines concernant (...) d'impayés c'est au retour de congés que M. [M] a repris en main la relation commerciale afin de régler ce litige après quelque temps nous avons retravailler avec la société Languedoc Palettes uniquement grâce au sérieux et au professionnalisme de M. [M] qui est désormais notre seul interloctueur crédible au sein de la société. Cette avis et partagé de plusieurs de nos confrère ».
En outre, dans la déclaration de main courante du 12 août 2019, M. [N] [M] ne fait état que de sa seule qualité d'associé de M. [Z] et à aucun moment d'un quelconque contrat de travail.
M. [N] [M] indique produire des bulletins de paie. En réalité sa pièce 1 est un unique bulletin de paie de janvier 2020 concernant une régularisation de csg crds sur des « cotisations mutuelle » mentionnant un emploi de « directeur général » statut cadre.
Le fait que l'expert comptable atteste que M. [N] [M] n'a perçu aucune rémunération au titre de la gérance en 2017 et 2018 n'établit pas que l'intéressé aurait perçu des salaires.
Le conseil de prud'hommes, devant lequel des bulletins de salaire pour la seule période d'avril à juillet 2019 ont été produits, a pu étudier ceux-ci et constatait, outre que le mandataire social relevait des mêmes caisses de cotisations que les salariés, l'absence de cotisations chômage, de décompte des heures de travail et d'acquisition de congés payés, ce qui montrait au contraire une rémunération de fonctions de mandataire en 2019. Le conseil relève également avec pertinence que le salarié ne produisait aucune attestation de l'expert comptable sur l'absence de rémunération de la gérance sur cette même période de 2019. L'appelant ne conteste pas utilement cette motivation.
En tout état de cause, aucun élément ne permet de confirmer que les quelques bulletins de salaire concernés ont été établis avec l'accord du président de la société.
Il convient tant pour les motifs qui précèdent que ceux non contraires des premiers juges de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qu'il a retenu que les conditions d'existence d'un contrat de travail n'étaient pas réunies et a débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes.
Les dépens d'appel seront mis à la charge de M. [N] [M] et il serait inéquitable de laisser à la charge de la SAS Languedoc palettes depuis 1986 la totalité des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
- Confirme le jugement rendu le 29 octobre 2021 par le conseil de prud'hommes de Nîmes en toutes ses dispositions,
- Y ajoutant,
- Condamne M. [N] [M] à payer à la SAS Languedoc palettes depuis 1986 la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Rejette le surplus des demandes,
- Condamne M. [N] [M] aux dépens de l'appel.