Livv
Décisions

CA Montpellier, 5e ch. civ., 5 mars 2024, n° 21/03009

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Intuitu Patrimonia (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fillioux

Conseillers :

M. Garcia, Mme Strunk

Avocats :

Me Pascal, Me Bene, Me Calaudi

TJ Montpellier, du 18 mars 2021, n° 20/0…

18 mars 2021

Faits, Procédure et prétentions des parties :

M. [E] [R], chirurgien dentiste, souhaitant céder ses parts dans la société civile de moyen [R]-Farran et sa patientèle, s'est vu présenté, par la SARL DPIP Intuitu Patrimonia, comme éventuel acquéreur M. [V] [Z], la société étant mandatée par ce dernier pour trouver une patientèle à acquérir.

Le 28 décembre 2017, un acte de cession de fond libéral a été signé entre M. [R] et M. [Z] aux termes duquel ce dernier s'est engagé à acquérir la patientèle de M. [R] moyennant un prix de 33 000euros. Un acte portant sur la cession des parts sociales de la SCM a été signé le même jour entre les deux protagonistes.

Le 3 avril 2018, M. [Z] a indiqué à M. [R] ne pas donner suite à ses engagements et se rétracter de tout accord.

Le 25 janvier 2019, suivant protocole transactionnel portant sur la dissolution de la SCM [R]-Farran et sur les opérations de liquidation, M. [R] a payé sa quote part des charges, nonobstant sa cessation d'activité pour l'exercice 2018.

Le 21 janvier 2020, M. [E] [R] a mis en demeure la SARL DPIP Intuitu Patrimonia de l'indemniser du préjudice financier subi et lui verser la somme de 60 432euros.

Par courrier en réponse du 4 novembre 2020, la SARL DPIP Intuitu Patrimonia a indiqué avoir résilié la lettre de mission la liant à M. [Z] suite à la violation par ce dernier de la convention passée avec M. [R].

Par acte du 12 mars 2020, M. [E] [R] a fait citer devant le tribunal judiciaire de Montpellier la SARL DPIP Intuitu Patrimonia afin de la voir condamné à lui payer la somme de 60 432euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 2 500euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par jugement rendu le 18 mars 2021, le tribunal judiciaire de Montpellier a débouté M. [E] [R] de ses demandes et l'a condamné aux entiers dépens.

La juridiction a retenu que M. [R] ne rapporte nullement la preuve d'une faute délictuelle commise par la SARL DPIP Intuitu Patrimonia, mandataire de M. [Z], à l'origine du préjudice subi par M. [R], la défaillance de M. [Z] qui n'a pas honoré ses engagements étant la seule cause du préjudice subi.

Le 7 mai 2021, M. [R] a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 23 décembre 2021, M. [R] demande à la cour de :

Vu les articles 1240 et 1984 du code civil

Infirmer le jugement rendu le 18 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Montpellier,

Constater que la SARL DPIP Intuitu Patrimonia a commis une faute délictuelle à son égard,

Constater que M. [R] a subi un préjudice résultant de cette faute,

Juger que sa responsabilité délictuelle est engagée,

Condamner la SARL DPIP Intuitu Patrimonia à payer à M. [R] la somme de 36 633,40euros à titre de dommages et intérêt pour négligence envers un tiers dans son obligation de conseil, d'information et de vérification de la solvabilité de cessionnaire,

Condamner la SARL DPIP Intuitu Patrimonia à lui verser la somme de 4 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens y compris ceux de première instance.

Il fait valoir que M. [Z], présenté par la SARL DPIP Intuitu Patrimonia comme un potentiel acquéreur, s'est engagé par contrat à acquérir la patientèle de M. [R] et ses parts sociales dans le capital de la SCM, mais qu'après avoir exercé en février 2018, M. [Z] s'est rétracté et n'a jamais payé les sommes dues ni finalisé la cession de parts sociales, étant en réalité insolvable, que M. [R] a dû payer les charges inhérentes à la détention de parts sociales dans le capital de la SCM pour l'exercice 2018, période durant laquelle il avait cessé d'exercer son activité.

Il soutient que la SARL DPIP Intuitu Patrimonia, en lui présentant un repreneur insolvable, a manqué à son devoir de conseil et de diligence, qu'en sa qualité de mandataire, elle est personnellement responsable envers le tiers lésé des délits ou quasi-délits qu'elle a pu commettre dans l'accomplissement de sa mission, que la SARL avait une mission générale de conseil vis-à-vis des deux parties.

Il fait valoir que la SARL devait vérifier la solvabilité de son mandant, ce qu'elle n'a manifestement pas fait, aucune preuve de la solvabilité de M. [Z] n'est produite aux débats, qu'elle a commis une faute qui n'a pas permis à M. [R] d'être informé sur les risques qu'il encourait à conclure une telle vente alors qu'elle s'était engagée à le faire dans la lettre de mission signée avec M. [Z].

Sur le préjudice, il soutient que la réparation d'un dommage ne peut être inférieure au montant du préjudice qui se caractérise par une perte de chance.

Par conclusions déposées le 26 octobre 2021, la SARL DPIP demande à la cour de :

Vu l'article 1240 du code civil,

Confirmer le jugement rendu le 18 mars 2021,

Débouter M. [R] de ses demandes,

Condamner M. [R] à payer la somme de 2 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle soutient que M. [R] échoue à rapporter la preuve d'une faute de la part de la société et d'un dommage en résultant pour lui.

Elle rappelle qu'elle n'est pas intervenue en qualité de rédacteur de l'acte de cession de parts sociales et n'a pas prêté son concours à l'acte, qu'elle n'est pas intervenue en qualité d'intermédiaire professionnel et n'a bénéficié d'aucune rémunération, que son rôle a consisté à accompagner M. [Z] dans ses recherches et à le représenter dans le cadre de la négociation, que l'audit sur sa situation s'est limité aux informations fournies par ce dernier, que faute d'être un établissement financier, elle ne peut obtenir un accès aux différents fichiers existants sur la situation financière des personnes.

Elle soutient également que M. [R] n'a subi aucun préjudice, sa patientèle n'ayant pas disparu du fait de la rétractation de M. [Z] et que M. [R] a conservé la possibilité de la céder ultérieurement.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 décembre 2023.

Motivation

Motifs

1- sur la responsabilité :

Il est acquis et non contesté que le 28 décembre 2017, Monsieur [R], en qualité de cédant, et M. [Z], en qualité de cessionnaire, ont souscrit une convention de vente d'un fonds libéral comprenant outre des éléments corporels nécessaires à l'exercice de la profession de dentiste, des éléments incorporels dont la patientèle du M. [R], moyennant un prix de 33 000euros. La SARL DPIP n'étant nullement intervenue pour la rédaction de cet acte auquel elle n'a pas prêté son concours, aucun manquement ne peut lui être reproché à ce titre.

Toutefois, La SARL DPIP est la rédactrice du mandat souscrit à son profit par M. [Z] le 20 novembre 2017 aux termes duquel elle s'est engagée moyennant une rémunération de 4 500euros a ' rechercher une opportunité de reprise d'un cabinet dentaire sur [Localité 3] ou ses environs proches'. Au titre de ses obligations de mandataire, elle s'est s'obligée à ' réaliser un audit de votre situation patrimoniale (Le mandant) actuelle sur les plans économiques, juridiques ou fiscaux et à collecter l'ensemble des éléments documents qui nous permettront d'avoir connaissance de votre situation juridique, sociale, financière et fiscale'. Or il résulte du courrier du 9 avril 2018 adressé par la SARL DPIP à M. [Z] que ce dernier faisait l'objet d'une interdiction bancaire et qu'aucune information n'a été recueillie, préalablement à la signature de l'acte de cession, sur la situation financière, bancaire et patrimoniale de l'intéressé.

En application des dispositions de l'article 1991, le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé et répond des dommages et intérêts qui résulte de son inexécution.

M. [R] n'est, certes pas partie au contrat de mandant sus visé, toutefois un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l'égard d'un tiers au contrat lorsqu'il lui cause un dommage. Dès lors, le tiers au contrat, qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu'il subit, n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement.

La SARL DPIP, qui avait souscrit l'obligation de collecter les documents afférents à la situation financière et patrimoniale de son mandant, reconnaît elle-même dans son courrier du 9 avril 2018 ne posséder aucun document relatif à cette situation et avoir découvert ultérieurement que les comptes bancaires de son mandant sont frappés d'une interdiction.

En présentant M. [Z] à M. [R] comme un cessionnaire potentiel sans avoir au préalable vérifié sa solvabilité, la SARL DPIP a commis une faute dans l'exécution de son mandat. Cette révélation tardive sur les difficultés financières de M. [Z] alors qu'il lui appartenait en qualité de mandataire professionnel de vérifier la situation exacte de son mandant, permet engager sa responsabilité devant le tiers lésé, la SARL DPIP ayant violé ses obligations contractuelles

2-Sur le préjudice :

M. [R] sollicite le versement d'une somme de 35 633,40euros composée pour 33 000euros de la perte de chance de percevoir le prix de son fonds libéral et 2 633,40euros au titre de ses frais d'avocat.

La perte de chance se caractérise par la disparition en raison de la faute de la probabilité d'un événement favorable. L'échec du projet de cession souscrit en décembre 2017 a fait perdre à M. [R] la chance de pouvoir vendre son fonds à brève échéance.

Le préjudice de perte de chance doit s'apprécier à l'aune de la chance perdue et ne peut être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

M. [R] ne justifie nullement de difficultés ultérieures pour céder son fonds de profession libérale, le désistement de M. [Z] n'étant pas à l'origine de la disparition de sa patientèle qui est liée à sa cessation d'activité à compter du 1er janvier 2018.

Il convient de lui allouer en réparation de son préjudice la somme de 16 500euros correspondant à 50% de la chance perdue.

Il fait état de factures réglées à un avocat dans le cadre de la liquidation de la SCM pour mener à bien la procédure d'accord avec son associé. Ces factures sont sans lien direct avec la faute contractuelle de la SARL DPIP.

L'équité commande d'allouer à M. [R] la somme de 1 500euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

Par ces motifs, la cour statuant par arrêt contradictoire :

Infirme le jugement rendu le 18 mars 2021par le tribunal judiciaire de Montpellier

Statuant à nouveau :

Condamne la SARL DPIP à payer à M. [R] [E] la somme de 16 500euros au titre de dommages et intérêts,

Déboute M. [R] [E] du surplus de ses demandes,

Condamne la SARL DPIP à payer à M. [R] [E] la somme de 1 500euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL DPIP aux entiers dépens y compris ceux de première instance.