CJUE, 9e ch., 21 septembre 2023, n° C-139/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Annulation
PARTIES
Demandeur :
AM, PM
Défendeur :
mBank (SA), Rzecznik Finansowy
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rossi
Juges :
M. Rodin, Mme Spineanu Matei
Avocat général :
M. Collins
Avocats :
Me Cudna-Wagner, Me Radca Prawny, Me Miąskiewicz
ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
21 septembre 2023 (*)
« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère – Critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause de conversion – Registre national des clauses de conditions générales jugées illicites – Obligation d’information »
Dans l’affaire C 139/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla Warszawy – Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie – Centre-ville, Pologne), par décision du 18 janvier 2022, parvenue à la Cour le 25 février 2022, dans la procédure
AM,
PM
contre
mBank S.A.,
en présence de :
Rzecznik Finansowy,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, M. S. Rodin (rapporteur) et Mme O. Spineanu Matei, juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour AM et PM, par Mes W. Bochenek et T. Zaremba, radcowie prawni,
– pour mBank S.A., par Me A. Cudna-Wagner, radca prawny, et Me B. Miąskiewicz, adwokat,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement portugais, par Mmes P. Barros da Costa, A. Cunha, B. Lavrador, L. Medeiros et A. Pimenta, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme I. Galindo Martín, M. S. L. Kalėda, Mme U. Małecka et M. N. Ruiz García, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AM et PM, deux consommateurs, d’une part, à mBank S.A., d’autre part, au sujet de l’utilisation, par cette dernière, de clauses de conditions générales inscrites au registre national des clauses de conditions générales jugées illicites (ci-après le « registre national des clauses illicites »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le vingt-quatrième considérant de la directive 93/13 énonce :
« [...] les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».
4 L’article 2, sous b), de cette directive prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ».
5 L’article 3 de ladite directive dispose :
« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.
Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.
3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »
6 Aux termes de l’article 4 de la même directive :
« 1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
7 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 est libellé comme suit :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
8 L’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses. »
9 L’article 8 de ladite directive dispose :
« Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. »
Le droit polonais
10 Selon l’article 76 de la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne) :
« Les pouvoirs publics protègent les consommateurs, les utilisateurs et les locataires contre les activités qui menacent leur santé, leur vie privée et leur sécurité ainsi que contre les pratiques commerciales déloyales. L’étendue de cette protection est définie par la loi. »
11 L’article 221 de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. de 1964, no 16, position 93), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code civil »), prévoit :
« Il convient d’entendre par consommateur toute personne physique qui, pour la conclusion et l’exécution d’un contrat de consommation, n’agit pas dans le cadre de son activité commerciale ou d’une autre activité économique. »
12 L’article 58, paragraphe 1, du code civil dispose :
« Un acte juridique contraire à la loi ou visant à contourner la loi est nul et non avenu, à moins qu’une disposition pertinente n’en dispose autrement, notamment que les dispositions invalides de l’acte juridique concerné soient remplacées par les dispositions pertinentes de la loi. »
13 Aux termes de l’article 3851, paragraphes 1 et 3, de ce code :
« 1. Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ne lient pas ce consommateur lorsqu’elles définissent les droits et obligations de celui ci d’une façon contraire aux bonnes mœurs, en portant manifestement atteinte à ses intérêts (clauses illicites). La présente disposition n’affecte pas les clauses qui définissent les obligations principales des parties, dont le prix ou la rémunération, si elles sont formulées de manière non équivoque.
[...]
3. Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle sont des clauses contractuelles sur le contenu desquelles ce consommateur n’a pu avoir d’influence concrète. Il s’agit en particulier des clauses contractuelles reprises d’un modèle de contrat proposé audit consommateur par le contractant. »
14 L’article 3852 du code civil est libellé comme suit :
« La compatibilité des clauses d’un contrat avec les bonnes mœurs est appréciée au regard de la situation ayant cours à la date de la conclusion de ce contrat, en tenant compte du contenu dudit contrat, des circonstances ayant entouré la conclusion de celui-ci ainsi que des contrats liés au même contrat, dans lequel figurent les dispositions qui font l’objet de l’appréciation. »
15 L’article 47936 de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. de 1964, no 43, position 296), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure civile »), prévoyait :
« Le Sąd Okręgowy w Warszawie –Sąd Ochrony Konkurencji i Konsumentów (tribunal régional de Varsovie – tribunal de la protection de la concurrence et du consommateur, Pologne), est compétent pour déclarer le caractère illicite de clauses d’un contrat type ».
16 L’article 47942, paragraphe 1, du code de procédure civile disposait :
« Si un recours est accueilli, le juge cite, dans le dispositif de son jugement, le contenu des stipulations du contrat type concerné réputées illicites et il interdit l’utilisation de celles-ci. »
17 L’article 47943 du code de procédure civile était libellé comme suit :
« Un jugement définitif produit ses effets à l’égard des tiers dès l’inscription au registre visé à l’article 47945, paragraphe 2, de la clause du contrat type concerné qui est jugée illicite. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Le 7 octobre 2009, les requérants au principal, qui sont unis par les liens du mariage, ont conclu, auprès de mBank, un contrat de prêt hypothécaire pour personnes physiques indexé sur le taux de change du franc suisse (CHF) (ci-après le « contrat de prêt en cause au principal »). Ce contrat avait pour objet un prêt d’un montant de 246 500 zlotys polonais (PLN) (environ 54 560 euros). Il stipulait un taux d’intérêt variable, déterminé comme étant le taux de base du 3 Month London Interbank Offered Rate (LIBOR 3M) pour la devise dans laquelle ce prêt avait été accordé, augmenté de la marge fixe de la banque de 2,70 %, pendant toute la période dudit prêt.
19 Dans le cadre du contrat de prêt en cause au principal, les requérants au principal ont signé une déclaration selon laquelle ils avaient pris connaissance des risques que comportait la signature de ce contrat ainsi que des conditions de celui-ci.
20 À la date de la demande de prêt, AM, titulaire d’un diplôme universitaire de troisième cycle, était employée par mBank depuis trois ans et demi. Un employé de mBank avait présenté à celle-ci un tableau de l’historique de l’évolution du taux de change CHF/PLN sur les trois années ayant précédé l’introduction de cette demande, ainsi qu’une simulation anticipant l’évolution du montant de la dette et des échéances de prêt dans l’hypothèse d’une augmentation de ce taux de change. En revanche, PM, qui a signé la demande de prêt et le contrat de prêt en cause au principal, n’avait pas participé à la procédure d’octroi du même prêt ni aux réunions organisées avec les employés de mBank.
21 Le 7 avril 2020, AM et PM ont introduit devant le Sąd Rejonowy dla Warszawy – Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie – Centre-ville, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, un recours contre mBank, fondé sur la nullité de certaines clauses du contrat de prêt en cause au principal. Dans le cadre de ce recours, ils demandent la condamnation de mBank à leur payer la somme de 37 439,70 PLN (environ 8 290 euros), à majorer des intérêts légaux, en remboursement des échéances en capital et en intérêts dans la mesure où celles-ci auraient été indûment perçues et, au cas où la juridiction de renvoi déclarerait la nullité de ce contrat, la somme de 74 768,63 PLN (environ 16 550 euros), à majorer des intérêts légaux, en remboursement des fonds perçus par la défenderesse au principal.
22 La juridiction de renvoi relève que, le 5 août 2014, le Prezes Urzędu Ochrony Konkurencji i Konsumentów (président de l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs, Pologne) a inscrit au registre national des clauses illicites la clause du contrat type utilisé par mBank, selon laquelle « [l]es versements de capital et d’intérêts ainsi que les intérêts doivent être remboursés en [zlotys polonais] après avoir été convertis au taux de change du [franc suisse] du tableau des taux de change de la [...] Bank S.A. en vigueur le jour du remboursement à 14 h 50 ».
23 En outre, le 25 mai 2021, le président de l’Office de la concurrence et des consommateurs a inscrit au registre national des clauses illicites les clauses du contrat type utilisé par mBank, selon lesquelles « [l]e montant des taux d’achat/de vente de devises applicables à un jour ouvrable donné peut être sujet à modification. La décision de modifier le montant du taux de change, ainsi que la fréquence de cette modification, est prise par la banque en tenant compte des critères énumérés au paragraphe 6 » et « [l]es taux d’achat/de vente de devises, ainsi que le montant de l’écart de taux de change sont déterminés en tenant compte des facteurs suivants : 1) les cotations actuelles des taux de change sur le marché interbancaire, 2) l’offre et la demande de devises sur le marché national, 3) les différences des taux d’intérêt et des taux d’inflation sur le marché national, 4) la liquidité du marché des devises, 5) la balance des paiements et du commerce ».
24 Selon la juridiction de renvoi, des clauses contractuelles analogues ou identiques à celles inscrites, les 5 août 2014 et 25 mai 2021, au registre national des clauses illicites sont jugées abusives par les juridictions polonaises, au motif que de telles clauses contractuelles donnent à la banque concernée le droit de déterminer librement le taux de change de la devise étrangère de référence et, par conséquent, le droit de déterminer librement le montant de la prestation à fournir par un emprunteur, et cela alors que, dans le même temps, cet emprunteur est obligé de rembourser le prêt uniquement en zlotys polonais.
25 Cette juridiction constate en outre que les clauses du contrat de prêt en cause au principal ont le même contenu que les clauses inscrites au registre national des clauses illicites mentionnées au point 23 du présent arrêt.
26 Ladite juridiction se demande si la simple constatation du fait qu’un contrat contient une clause dont le contenu correspond à une clause inscrite au registre national des clauses illicites suffit pour constater que cette clause constitue une clause contractuelle illicite, sans qu’il soit nécessaire d’examiner et d’établir les circonstances de la conclusion de ce contrat.
27 Si le contrat de prêt en cause au principal comporte des clauses qui stipulent que ce prêt est remboursé en zlotys polonais tandis que mBank convertit cette monnaie en francs suisses à son propre taux de change, il comporte également une clause, issue de la nouvelle rédaction des conditions générales de mBank, en date du 1er juillet 2009, qui prévoit la possibilité pour les requérants au principal de rembourser ledit prêt directement en francs suisses. Ainsi, ces derniers peuvent convertir le montant à rembourser mensuellement selon le taux de change de l’établissement bancaire de leur choix et ne sont plus tributaires du taux de change établi par mBank.
28 La jurisprudence nationale n’est pas uniforme sur la question de savoir si une clause d’un contrat peut perdre son caractère abusif en raison d’une autre clause de ce contrat qui la rend facultative.
29 Sans préjudice de la question de savoir si les deux clauses concernées doivent être automatiquement déclarées abusives, la juridiction de renvoi devrait à tout le moins apprécier le caractère abusif de la clause qui stipule que le contrat de prêt en cause au principal est indexé sur le franc suisse dans la mesure où cette clause n’a jamais été inscrite au registre national des clauses illicites.
30 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si mBank aurait dû être tenue de fournir des informations sur le risque de change également à AM, son employée à la date de la demande de prêt, eu égard à la formation et à l’expérience professionnelle de celle-ci.
31 Dans la négative, c’est-à-dire dans l’hypothèse où, lorsqu’un professionnel conclut un contrat unique avec deux consommateurs, l’intensité de l’obligation d’information pesant sur ce professionnel pourrait varier selon le consommateur concerné, ladite juridiction s’interroge sur les conséquences qui pourraient en découler, en particulier quant à la possibilité de constater le caractère abusif d’une clause, voire la nullité de ce contrat, à l’égard d’un seul de ces deux consommateurs.
32 Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy dla Warszawy – Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie – Centre-ville) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 3, paragraphe 1, l’article 7, paragraphes 1 et 2, et l’article 8 de la directive [93/13] ainsi que le principe d’efficacité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’il suffit, pour qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle soit considérée comme une clause abusive, que le contenu de cette clause contractuelle corresponde à celui d’une clause d’un contrat type qui a été inscrite au registre des clauses illicites ?
2) L’article 3, paragraphe 1, de la directive [93/13] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une [jurisprudence] nationale selon laquelle une clause contractuelle abusive perd son caractère abusif si le consommateur concerné peut choisir d’exécuter ses obligations contractuelles sur la base d’une autre clause contractuelle qui est équitable ?
3) L’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un professionnel a l’obligation d’informer chaque consommateur des caractéristiques essentielles d’un contrat et des risques liés à celui ci, même si le consommateur en question a des connaissances pertinentes dans ce domaine ?
4) L’article 3, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe [1], et l’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsque plusieurs consommateurs concluent un même contrat avec un professionnel, les mêmes clauses contractuelles peuvent être considérées comme abusives à l’égard du premier consommateur et comme équitables à l’égard du second et, dans ce cas de figure, peut-il en résulter que ce contrat est nul en ce qui concerne le premier consommateur et valide en ce qui concerne le second, de telle sorte que [ce dernier] est tenu de respecter toutes les obligations découlant dudit contrat ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
33 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, l’article 7, paragraphes 1 et 2, ainsi que l’article 8 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle soit considérée comme abusive par les autorités nationales concernées en raison du seul fait que son contenu est équivalent à celui d’une clause d’un contrat type inscrite au registre national des clauses illicites.
34 Selon une jurisprudence constante de la Cour, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée qu’un consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard d’un professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (arrêt du 4 mai 2023, BRD Groupe Societé Générale et Next Capital Solutions, C 200/21, EU:C:2023:380, point 24 ainsi que jurisprudence citée).
35 Partant, tout d’abord, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme étant abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur concerné, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat, tandis que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, une telle clause abusive ne lie pas ce consommateur. Cette dernière disposition tend à substituer à l’équilibre formel que ledit contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, BRD Groupe Societé Générale et Next Capital Solutions, C 200/21, EU:C:2023:380, point 25 ainsi que jurisprudence citée).
36 Ensuite, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs se trouvant dans une telle situation d’infériorité, l’article 7, paragraphe 1, de la même directive, lu en combinaison avec le vingt-quatrième considérant de celle-ci, impose aux États membres l’obligation de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêt du 4 mai 2023, BRD Groupe Societé Générale et Next Capital Solutions, C 200/21, EU:C:2023:380, point 27 ainsi que jurisprudence citée).
37 Ainsi qu’il ressort de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13, les moyens susmentionnés comprennent la possibilité pour des personnes ou des organisations ayant un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir les tribunaux afin de faire déterminer si des clauses rédigées en vue d’une utilisation généralisée présentent un caractère abusif et d’obtenir, le cas échéant, l’interdiction de celles-ci (arrêt du 26 avril 2012, Invitel, C 472/10, EU:C:2012:242, point 36).
38 En l’occurrence, les requérants au principal ayant saisi la juridiction de renvoi d’une demande relative à un contrat particulier, il n’y a pas lieu de répondre à la première question au regard de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13.
39 Enfin, selon le douzième considérant de cette directive, celle-ci ne procède qu’à une harmonisation partielle et minimale des législations nationales relatives aux clauses abusives, en laissant la possibilité aux États membres, dans le respect du traité FUE, d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur concerné au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de ladite directive. En outre, en vertu de l’article 8 de la même directive, les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine qu’elle régit, des dispositions plus strictes, compatibles avec ce traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé à ce consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Trapeza Peiraios, C 243/20, EU:C:2021:1045, point 54 et jurisprudence citée).
40 Or, en ce qui concerne le registre national des clauses illicites, la Cour a jugé, d’une part, qu’un mécanisme, tel que ce registre, consistant à établir une liste de clauses devant être considérées comme étant abusives, relève des dispositions plus strictes que les États membres peuvent adopter ou maintenir en vertu de l’article 8 de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, Matei, C 143/13, EU:C:2015:127, point 61) et que ce registre répond, en principe, à l’intérêt de la protection des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Biuro podróży « Partner », C 119/15, EU:C:2016:987, point 36).
41 En effet, la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle litigeuse sur le fondement d’une comparaison du contenu de celle-ci avec celui d’une clause inscrite au registre national des clauses illicites est susceptible de contribuer de manière rapide à ce que les clauses abusives utilisées dans un grand nombre de contrats cessent de produire des effets à l’égard des consommateurs parties à ces contrats.
42 C’est ainsi, d’ailleurs, que la Cour a considéré, toujours sur le fondement de l’article 8 de la directive 93/13, que les États membres peuvent étendre la protection prévue à l’article 3, paragraphes 1 et 3, de cette directive, lu en combinaison avec le point 1 de l’annexe de ladite directive, en déclarant abusives de manière générale les clauses types qui sont énumérées à ce point, sans que soit requis un examen complémentaire selon les critères figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 (arrêt du 19 septembre 2019, Lovasné Tóth, C 34/18, EU:C:2019:764, point 47).
43 D’autre part, la Cour a jugé que, pour autant que le registre national des clauses illicites est géré de manière transparente, dans l’intérêt non seulement des consommateurs, mais également des professionnels, et qu’il est tenu à jour, dans le respect du principe de sécurité juridique, la mise en place de ce registre est compatible avec le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Biuro podróży « Partner », C 119/15, EU:C:2016:987, points 36 à 39 et 43).
44 En effet, la Cour a constaté que l’application du mécanisme du registre de clauses illicites présuppose une appréciation, par la juridiction nationale compétente, de l’équivalence de la clause contractuelle contestée avec une clause de conditions générales jugée illicite et figurant dans ce registre, le professionnel concerné ayant la possibilité de contester cette équivalence devant une juridiction nationale, afin de déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas d’espèce, cette clause contractuelle est matériellement identique, eu égard, notamment, aux effets que celle-ci produit, à celle inscrite dans un tel registre (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Biuro podróży « Partner », C 119/15, EU:C:2016:987, points 40 à 42).
45 Par ailleurs, il convient également de rappeler que, si, conformément à l’article 8 de la directive 93/13, les États membres demeurent libres de prévoir, dans leur droit interne, un examen d’office plus étendu que celui que leurs juridictions doivent effectuer en vertu de cette directive, voire des procédures simplifiées d’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, le juge national reste toutefois, en règle générale, tenu d’informer les parties au litige de cette appréciation et de les inviter à en débattre contradictoirement, selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2020, Lintner, C 511/17, EU:C:2020:188, points 41 et 42).
46 Dans ces conditions, il convient de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 8 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle soit considérée comme abusive par les autorités nationales concernées en raison du seul fait que le contenu de celle-ci est équivalent à celui d’une clause d’un contrat type inscrite au registre national des clauses illicites.
Sur la deuxième question
47 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat qui, en raison des conditions d’exécution de certaines obligations du consommateur concerné qu’elle prévoit, doit être considérée comme étant abusive peut perdre un tel caractère en raison d’une autre clause de ce contrat qui prévoit la possibilité pour ce consommateur d’exécuter ces obligations dans des conditions différentes.
48 Selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour en la matière porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive et à l’annexe de celle ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de ladite directive, étant entendu qu’il appartient à ce juge de se prononcer, en tenant compte de ces critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir au juge national des indications dont ce dernier se doit de tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (arrêt du 8 décembre 2022, Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest, C 600/21, EU:C:2022:970, point 38).
49 À cet égard, il convient de rappeler que, lors de l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, il incombe au juge national de déterminer, en tenant compte des critères énoncés à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 5 de la directive 93/13, si, eu égard aux circonstances propres au cas d’espèce, cette clause satisfait aux exigences de bonne foi, d’équilibre et de transparence posées par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C 70/17 et C 179/17, EU:C:2019:250, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
50 Certes, afin de porter une appréciation sur le caractère éventuellement abusif de la clause contractuelle qui sert de base à la demande dont il est saisi, le juge national doit tenir compte de toutes les autres clauses du contrat concerné (arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland, C 229/19 et C 289/19, EU:C:2021:68, point 58 et jurisprudence citée), dans la mesure où, en fonction du contenu de ce contrat, il peut être nécessaire d’évaluer l’effet cumulatif de toutes les clauses de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2020, Lintner, C 511/17, EU:C:2020:188, point 47 et jurisprudence citée).
51 Toutefois, la Cour a précisé que le juge national doit, dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif d’une clause, se placer uniquement à la date de la conclusion du contrat concerné et évaluer, notamment, au regard de l’ensemble des circonstances entourant cette conclusion, si cette clause était par elle-même porteuse d’un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au profit du professionnel concerné, et ce alors même que ce déséquilibre ne pourrait se produire que si certaines circonstances se réalisaient ou que, dans d’autres circonstances, ladite clause pourrait même bénéficier au consommateur concerné (voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2021, Dexia Nederland, C 229/19 et C 289/19, EU:C:2021:68, points 54 et 55).
52 En l’occurrence, il résulte de la demande de décision préjudicielle que le contrat de prêt en cause au principal comporte des clauses dont le contenu est équivalent à celui de clauses inscrites au registre national des clauses illicites qui obligent un emprunteur à rembourser un prêt indexé sur une devise étrangère uniquement en monnaie nationale convertie selon un taux de change librement déterminé par la banque concernée.
53 En outre, le contrat de prêt en cause au principal comporte également d’autres clauses permettant aux requérants au principal de rembourser le prêt concerné directement en francs suisses, ce qui a pour conséquence que ceux-ci peuvent se procurer le montant à rembourser mensuellement dans cette devise auprès de l’établissement de leur choix, sans laisser ainsi mBank déterminer librement ce montant. Ainsi que la Commission européenne le souligne dans ses observations écrites, ces autres clauses constituent donc un mode alternatif de remboursement du prêt par le consommateur concerné par rapport à celui prévu par les clauses visées au point précédent.
54 Or, il ressort du point 23 du présent arrêt que ces dernières clauses ont été considérées comme abusives au motif qu’elles donnent à la banque concernée le droit de déterminer librement le taux de change, et, partant, le montant de la prestation à fournir, et qu’elles créent, de ce fait, par elles-mêmes, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au profit du professionnel concerné. Dès lors, le fait que ce déséquilibre puisse ne pas se produire, en raison du fait que le consommateur concerné décide, au cours de l’exécution du contrat, de recourir à des modes alternatifs de remboursement du prêt prévus par celui-ci, est, ainsi qu’il est relevé au point 51 du présent arrêt, sans incidence sur l’appréciation du caractère abusif desdites dernières clauses en tant que telles.
55 Il convient d’ajouter que l’inclusion dans un contrat conclu avec un consommateur de deux clauses alternatives, portant sur l’exécution de la même obligation à la charge de celui-ci, dont l’une est abusive et l’autre licite, permet au professionnel concerné de spéculer sur le fait que, par un manque d’information, une inattention ou une incompréhension, ce consommateur exécutera l’obligation concernée selon la clause qui crée, à son détriment, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. Partant, un tel mécanisme contractuel est susceptible de présenter, en lui-même, un caractère abusif.
56 Par ailleurs, ne pas constater la nullité d’une clause abusive serait de nature à porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13, qui est de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
57 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat, qui, en raison des conditions d’exécution de certaines obligations du consommateur concerné qu’elle prévoit, doit être considérée comme étant abusive, ne peut perdre un tel caractère en raison d’une autre clause de ce contrat qui prévoit la possibilité pour ce consommateur d’exécuter ces obligations dans des conditions différentes.
Sur la troisième question
58 La troisième question, qui porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, concerne l’exigence de transparence qui pèse sur un professionnel avant la conclusion d’un contrat de prêt indexé sur une devise étrangère à l’égard du candidat emprunteur lorsque ce dernier est son employé. Toutefois, cette exigence de transparence est prévue à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, s’agissant de clauses telles que celles en cause au principal, et la notion de « consommateur » est définie à l’article 2, sous b), de ladite directive.
59 Partant, il convient de considérer que, par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 2, sous b), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’un professionnel a l’obligation d’informer le consommateur concerné des caractéristiques essentielles du contrat conclu et des risques liés à ce contrat, et cela alors même que ce consommateur est son employé et a des connaissances pertinentes dans le domaine dudit contrat.
60 Il convient de rappeler que l’exigence de transparence des clauses contractuelles, prévue à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, doit être comprise comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour un consommateur sur les plans formel et grammatical, mais également qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 64 et jurisprudence citée).
61 Cette référence au consommateur moyen constitue un critère objectif. D’ailleurs, la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, a un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir ou des informations dont cette personne dispose réellement (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C 590/17, EU:C:2019:232, point 24 ainsi que jurisprudence citée).
62 S’agissant, plus particulièrement, de contrats de prêt indexés sur une devise étrangère, tels que celui en cause au principal, l’exigence de transparence des clauses contractuelles implique notamment qu’un professionnel doit clairement informer le consommateur concerné du fait que, en concluant un tel contrat, celui-ci s’expose à un risque de change qui lui sera, éventuellement, économiquement difficile à assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus. En outre, ce professionnel doit exposer à ce consommateur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la conclusion d’un tel contrat (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 71 et jurisprudence citée).
63 Les informations communiquées par ledit professionnel doivent pouvoir permettre à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, non seulement de comprendre que, en fonction des variations du taux de change, l’évolution de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement peut entraîner des conséquences défavorables à l’égard de ses obligations financières, mais également de comprendre, dans le cadre de la souscription d’un contrat de prêt indexé sur une devise étrangère, le risque réel auquel ce consommateur s’expose, pendant toute la durée de ce contrat de prêt, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la monnaie de compte (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 72).
64 Il incombe au juge national de vérifier, en tenant compte des circonstances entourant la conclusion du contrat, si a été communiqué au consommateur concerné l’ensemble des éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement, lui permettant d’évaluer les conséquences financières de celui-ci [arrêt du 12 janvier 2023, D.V. (Honoraires d’avocat – Principe du tarif horaire), C 395/21, EU:C:2023:14, point 38 et jurisprudence citée].
65 En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que AM, qui, conjointement avec PM, a conclu un contrat de prêt indexé sur une devise étrangère, a été l’employée de mBank et disposait, en raison de sa formation et de son expérience professionnelle, de connaissances relatives aux caractéristiques essentielles et aux risques liés à ce contrat de prêt qui étaient celles d’un consommateur plus avisé que le consommateur moyen.
66 Toutefois, il résulte des points 60 et 61 du présent arrêt que le respect de l’exigence de transparence doit être vérifié par rapport au standard objectif du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, auquel ne correspondent, notamment, ni le consommateur moins avisé que ce consommateur moyen, ni le consommateur plus avisé que ce dernier.
67 Par ailleurs, il ressort du libellé de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 que la protection accordée par cette directive dépend des fins auxquelles une personne physique agit, à savoir celles qui n’entrent pas dans le cadre de l’activité professionnelle de celle-ci, et non pas des connaissances particulières dont cette personne dispose.
68 Cette conception large de la notion de « consommateur » permet d’assurer la protection accordée par cette directive à l’ensemble des personnes physiques se trouvant dans une situation d’infériorité à l’égard d’un professionnel en ce qui concerne non seulement le niveau d’information, mais également le pouvoir de négociation, situation qui conduit ces personnes physiques à adhérer aux conditions rédigées préalablement par ce professionnel, sans pouvoir exercer une quelconque influence sur le contenu de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C 590/17, EU:C:2019:232, points 25 et 28).
69 Ainsi, le fait qu’une personne physique conclut un contrat, autre qu’un contrat de travail, avec son employeur ne fait pas, en tant que tel, obstacle à ce que cette personne soit qualifiée de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 (arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C 590/17, EU:C:2019:232, point 29).
70 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 2, sous b), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’un professionnel a l’obligation d’informer le consommateur concerné des caractéristiques essentielles du contrat conclu avec celui-ci et des risques liés à ce contrat, et ce alors même que ce consommateur est son employé et a des connaissances pertinentes dans le domaine dudit contrat.
Sur la quatrième question
71 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la directive 93/13 doivent être interprétées en ce sens que, lorsque deux consommateurs concluent un même contrat avec un professionnel, les mêmes clauses contractuelles peuvent être considérées comme abusives à l’égard du premier consommateur et comme équitables à l’égard du second.
72 Ainsi qu’il résulte du point 31 du présent arrêt, cette question n’a été posée que dans l’hypothèse où une réponse négative serait apportée à la troisième question. Tel n’étant pas le cas, il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question.
Sur les dépens
73 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
1) L’article 3, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle soit considérée comme abusive par les autorités nationales concernées en raison du seul fait que le contenu de celle-ci est équivalent à celui d’une clause d’un contrat type inscrite au registre national des clauses de conditions générales jugées illicites.
2) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat, qui, en raison des conditions d’exécution de certaines obligations du consommateur concerné qu’elle prévoit, doit être considérée comme étant abusive, ne peut perdre un tel caractère en raison d’une autre clause de ce contrat qui prévoit la possibilité pour ce consommateur d’exécuter ses obligations dans des conditions différentes.
3) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 2, sous b), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’un professionnel a l’obligation d’informer le consommateur concerné des caractéristiques essentielles du contrat conclu avec celui-ci et des risques liés à ce contrat, et ce alors même que ce consommateur est son employé et a des connaissances pertinentes dans le domaine dudit contrat.