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Décisions

CA Pau, 1re ch., 5 mars 2024, n° 22/02789

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

New Stefal Holding (SAS)

Défendeur :

Y

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Faure

Conseiller :

Mme Blanchard

Avocats :

Me Crepin, Me Deur, Me Felix

Tj Peau; du 15 sept. 2022; n° 21/00201

15 septembre 2022

La SAS New Stefal Holding commercialise par correspondance des compléments alimentaires, des produits de bien-être, d'entretien et des denrées alimentaires, sous les marques Vital Beauty, Swiss Home Shopping, Le Coin des Délices et Phyderma.

Pour ce faire, elle envoie des catalogues des produits commercialisés et les accompagne de courriers.

Mme [H] [Y], âgée de 83 ans, a reçu un grand nombre de courriers provenant de cette société en la présentant comme grande gagnante de différents prix, l'incitant à consommer, ce qu'elle a fait.

De septembre à novembre 2019, Mme [H] [Y] a effectué 71 commandes auprès des différentes marques appartenant à la SAS New Stefal Holding, en ce compris :

- 16 commandes auprès de la marque Coin des Délices, à hauteur de 450,25 euros ;

- 14 commandes auprès de la marque Phyderma, à hauteur de 472,30 euros ;

- 7 commandes auprès de la marque Swiss Home Shopping, à hauteur de 195,40 euros ;

- 34 commandes auprès de la marque Vital Beauty, à hauteur de 961,80 euros.

Soit une somme totale de : 2 079,75 euros.

Par courrier du 31 janvier 2020, la société Pacifica, assureur protection juridique de Mme [H] [Y], a mis en demeure la SAS New Stefal Holding de rembourser à cette dernière la somme de 1 978,78 euros.

Par courrier du 10 février 2020, la SAS New Stefal Holding a informé la société Pacifica de son refus de procéder au paiement, arguant de la licéité de ses pratiques publicitaires.

Après une tentative de conciliation restée infructueuse, un constat d'échec de conciliation a été constaté le 24 septembre 2020.

Par acte d'huissier du 21 juin 2021, Mme [H] [Y] a fait assigner la SAS New Stefal Holding devant le tribunal judiciaire de Pau en remboursement des sommes versées sur le fondement des articles 1300 du code civil et 121-20 du code de la consommation.

Suivant jugement contradictoire du 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Pau a :

- Dit recevables les demandes de la SAS New Stefal Holding présentées dans les conclusions du 31 mai 2022 ;

- Dit que les offres publicitaires adressées à Mme [Y] constituent des quasi-contrats de loteries publicitaires ;

- Condamné la SAS New Stefal Holding à payer 2 079,75 € à Mme [Y] en remboursement des commandes passées ;

- Condamné la SAS New Stefal Holding à payer 1 500 € à Mme [Y] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Les motifs du tribunal sont les suivants :

- Le tribunal a rappelé les termes de l'article 1300 du code civil relatif aux quasi-contrats et la jurisprudence constante en matière de loterie publicitaire (Ch. mixte, 6 septembre 2002, pourvoi n° 98-22.981, Bull. 2002, Ch.Mixte, n°4 ; 1ère Civ., 18 mars 2003, pourvoi n° 00-19.934, Bull. 2003, I, 11° 85 ; 1ère Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 13-27.414, Bull. 2015, I, 11° 67).

Ainsi, l'organisateur d'un jeu publicitaire qui annonce un gain à personne dénommée sans mettre en évidence, à première lecture, l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire, à le délivrer, sans pouvoir subordonner une telle délivrance au renvoi par le destinataire d'un bon de participation.

Il a ensuite été précisé :

- que l'évidence doit apparaître dès l'annonce du gain ;

- que cette exigence ne cède pas lorsque le destinataire est une personne avisée ;

- Mme [H] [Y] a reçu de la SAS New Stefal Holding, huit courriers la désignant de façon nominative et répétitive, en gros caractère comme ayant gagné les sommes exposées, avec annonce d'un paiement immédiat, sans mise en évidence d'un aléa, pourvu que fût renvoyé un bon de validation, ce qu'elle a fait pour chacun de ces courriers. Cependant, la société n'a jamais fait parvenir de chèque ni de réponse ;

- la SAS New Stefal Holding, par l'annonce d'un gain à Mme [Y], personne purement dénommée, sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire, à le délivrer ;

- par ailleurs, la SAS New Stefal Holding a incité Mme [Y] à passer plusieurs commandes qu'elle n'aurait pas passées sans les gains promis dans les loteries publicitaires ;

- la SAS New Stefal Holding a donc été condamnée à verser à Mme [Y] la somme de 2 079,75 euros.

Par déclaration au greffe du 13 octobre 2022, la SAS New Stefal Holding a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :

- Dit que les offres publicitaires adressées à Mme [Y] constituent des quasi-contrats de loteries publicitaires ;

- Condamné la SAS New Stefal Holding à payer 2 079,75 € à Mme [Y] en remboursement des commandes passées ;

- Condamné la SAS New Stefal Holding à payer 1 500 € à Mme [Y] en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 05 janvier 2023, auxquelles il est expressément fait référence, la société New Stefal Holding, appelante, demande à la cour de :

- JUGER recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société NSH à l'encontre du jugement rendu le 15 septembre 2022 par le tribunal de proximité de Pau.

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu le contenu des publipostages adressés par la société NSH à Mme [Y],

- INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 septembre 2022 par le tribunal de proximité de Pau.

- DEBOUTER Mme [H] [Y] de sa demande de remboursement des commandes passées auprès de la société NSH.

- LA CONDAMNER aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS New Stefal Holding fait valoir au soutien de son appel :

- que les loteries organisées n'étaient soumises à aucune obligation d'achat,

- que les documents adressés à Mme [Y] mettaient en évidence l'existence d'un aléa sur le gain,

- que la pratique de la SAS New Stefal Holding est couramment utilisée par les sociétés de vente par correspondance, et ne souffre d'aucune critique au regard de la législation applicable,

- que le règlement du jeu était joint à chaque envoi, était parfaitement clair et lisible, et ne laissait aucune ambiguïté sur le caractère hypothétique du gain,

- que chaque enveloppe supportait également la mention 'jeu gratuit-attribution soumise à aléa', et les bons de participation reprenait ces notions.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 31 mars 2023, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [H] [Y], intimée, demande à la cour de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes ou mal fondées,

Vu l'article 1300 du code civil,

Vu l'article L121-20 du code de la consommation,

Vu la jurisprudence constante,

Vu les pièces versées au débat,

- CONFIRMER le Jugement entrepris en date du 15 septembre 2022 en ce qu'il a :

Dit que les offres publicitaires adressées à Mme [H] [Y] constituent des quasi-contrats de loteries publicitaires ;

Condamné la SAS NEW STEFAL HOLDING à payer 2 079,75 € à Mme [H] [Y] en remboursement des commandes passées ;

Condamné la SAS NEW STEFAL HOLDING à payer 1 500 € à Mme [H] [Y] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- CONDAMNER la société NEW STEFAL HOLDING à verser à Mme [Y] la somme de 2 500 € (deux mille cinq cent euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société NEW STEFAL HOLDING aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- DÉBOUTER la société NEW STEFAL HOLDING de toutes ses demandes, fins et prétentions.

Mme [Y] fait valoir pour sa part :

- que de nombreux messages lui ont été adressés, la désignant sans ambiguïté ni aléa comme gagnante des loteries avec des prix importants, dont la délivrance était soumise à la passation d'une commande,

- que les mentions isolées dont se prévaut la société NSH sont rédigées en caractères très petits de 2 mm soit inférieur au corps 8, ce qui est d'ailleurs la référence en dessous de laquelle les crédits à la consommation sont invalidés,

- que ces offres comportaient une invitation pressante à passer commande pour recevoir les chèques des gains annoncés,

- que Mme [Y], âgée de 83 ans, n'a rien reçu et a passé de nombreuses commandes,

- que ces agissements relèvent de la pratique déloyale de loteries publicitaires, prohibée par les articles L121-1 et L121-20 du code de la consommation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 décembre 2023.

Motivation

MOTIFS :

Il résulte des dispositions de l'article L121-1 du code de la consommation que :

'Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

Le caractère déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7.'

En l'espèce, ainsi que l'a relevé le premier juge, l'examen des onze courriers adressés par la SAS New Stefal Holding à Mme [Y] fait apparaître que huit d'entre eux, envoyés à des dates rapprochées, lui annonçait le gain immédiat de sommes importantes (62 500 €, 104 000 €, 52 000 €, 165 000 €, 62 500 €, 54 500 €, 49 500 €, 52 000 €) sans mettre en évidence l'existence d'un aléa ; ces courriers affirment par exemple de manière non ambiguë : 'Mme [Y], vous êtes convoquée pour recevoir le chèque 1er prix de 62 500 € que vous avez GAGNE. Cette décision est validée à 100 %. Vous devez tout simplement répondre. Toutes nos félicitations (...) c'est bel et bien un chèque bancaire d'un montant de 62 500 euros que vous allez recevoir chez vous à [Localité 4]' ; ou encore : 'le chèque de 165 000 € indiscutablement GAGNE par Mme [Y] sera envoyé sous 48 H !' ; ou encore : 'toutes nos félicitations Mme [Y] ! Vous allez bien recevoir deux chèques de 82 500,00 €. Le premier sous 48 h et le second 15 jours plus tard'.

De plus, certains de ces courriers comportent des mentions soumettant la validation du gain et l'envoi rapide du chèque gagné à la passation d'une commande ; ainsi il est fait usage de mentions répétitives en caractères gras et soulignés affirmant que Mme [Y] avait gagné d'importantes sommes, et qu'il était urgent qu'elle passe commande pour se voir délivrer ces gains.

La SAS New Stefal Holding ne peut se réfugier derrière les rares mentions de quelques courriers précisant qu'il était possible de ne pas passer de commande tout en validant une participation, ou précisant qu'il s'agissait d'une pré-sélection à un tirage au sort, alors que ces mentions sont rédigées en très petits caractères, difficiles à déchiffrer pour le public plutôt âgé ciblé par ce type de courriers et capté par des informations contraires en caractère très apparent, courriers détaillant les sommes gagnées en euros et en francs (dont il est rappelé qu'ils n'ont plus cours depuis plus de 20 ans).

Il résulte de ces éléments que la SAS New Stefal Holding s'est livrée à une pratique déloyale des loteries publicitaires, prohibée par l'article L121-1 du code de la consommation, et a causé à Mme [Y] un préjudice qu'il convient de réparer à hauteur des commandes passées, soit 2 079,75 €.

Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions, y compris sur les frais irrépétibles et les dépens.

La SAS New Stefal Holding, succombante, sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [Y] la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel, cette somme s'ajoutant à celle allouée sur ce fondement par le premier juge.

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

Condamne la SAS New Stefal Holding à payer à Mme [Y] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS New Stefal Holding aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme DEBON, faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.