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Décisions

CA Poitiers, ch. soc., 7 mars 2024, n° 22/00045

POITIERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Marin'escale (Association)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diximier

Conseillers :

Mme Balzano, M. Duchatel

Avocats :

Me Guyard, Me Talbot, Me Valin

Cons. prud'h. La Rochelle, du 9 déc. 202…

9 décembre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE :

Marin'Escale est une association régie par les dispositions de la loi 1901 qui a pour objet l'accueil des gens de mer en escale au port maritime de [Localité 2] et elle relève de la convention collective de l'animation.

Mme [H] [I] a été embauchée par cette association en qualité d'animatrice par :

- contrat unique d'insertion du 20 avril 2016 ;

- contrats universels d'insertion en date du 4 juillet 2016 puis du 19 avril 2017 :

- contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (20 heures) en date du 20 avril 2018.

Par avenant en date du 24 août 2018, faisant suite à l'absence pour maladie de M. [D] [R], la durée du temps de travail de Mme [I] a été portée 35 heures par semaine pour un mois renouvelable selon l'état de santé de M. [R].

En mars 2019, Mme [I] a demandé à prendre ses congés d'été en même temps que M. [X] [J] avec lequel elle a, suite à un refus opposé par son employeur, déclaré être en concubinage.

Le 20 août 2019, Mme [I] a été placée en arrêt maladie.

Le 15 octobre 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, dont la date a été fixée au 25 octobre 2019, entretien auquel elle ne s'est pas rendue.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 6 novembre 2019, elle a été licenciée pour faute grave pour avoir, pendant son congé maladie, créé avec M. [J] une entreprise concurrente de l'association Marin'Escale, la société Crew§Dock Service. 

Par requête en date du 25 mai 2020, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de La Rochelle pour solliciter diverses indemnités.

Par jugement du 9 décembre 2021, le conseil de prud'hommes de La Rochelle a :

- condamné l'association Marin'Escale à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

2.500 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

3.800 € bruts au titre de l'indemnité de préavis ;

380 € bruts au titre des congés payés sur préavis ;

1.638 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

11.000 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

1.000 € de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire ;

1.400 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- dit que la remise d'un nouveau certificat de travail mentionnant la date d'entrée au 20 avril 2016 devra être faite dans le mois suivant le prononcé du présent jugement, sous astreinte de 50 € par jour de retard, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte le cas échéant ;

- dit qu'il y a lieu à exécution provisoire de droit et a fixé la moyenne des trois derniers mois de salaires à 2.287,98 € ;

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;

- condamné l'association Marin'Escale aux dépens de l'instance.

L'association Marin'Escale a interjeté appel de cette décision déclaration électronique du 7 janvier 2022.

* * *

Dans ses dernières conclusions du 16 octobre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, l'association Marin'Escale demande à la cour de juger qu'elle est recevable et bien fondée en son appel et, y faisant droit :

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- condamné l'association Marin'Escale à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral : 2.500 € ;

au titre de l'indemnité de préavis : 3.800 € ;

au titre des congés payés sur préavis : 380 € ;

au titre de l'indemnité de licenciement : 1.638 € ;

au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 11.000 € ;

au titre des dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire : 1.000 € ;

au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1.400 € ;

- ordonné la remise d'un nouveau certificat de travail mentionnant la date d'entrée au 20 avril 2016, sous astreinte de 50 € par jour de retard dans le mois suivant la date du jugement ;

- prononcé l'exécution provisoire de droit ;

- condamné l'association Marin'Escale aux dépens de l'instance.

Statuant à nouveau :

A titre principal :

- de juger le licenciement de Mme [I] prononcé pour faute grave comme bien-fondé ;

- de débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, et notamment de sa demande au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- de débouter Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts au titre de circonstances brutales et vexatoires ;

- de débouter Mme [I] de sa demande au titre de l'indemnité de préavis et de congés payés sur préavis ;

- de débouter Mme [I] de sa demande au titre de l'indemnité de licenciement ;

- de dire qu'aucun acte de harcèlement moral n'a été commis à l'encontre de Mme [I] ;

- de débouter Madame [I] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- de condamner Mme [I] à verser à l'association Marin'Escale la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la somme de 1.500 € au titre de la présente procédure ;

- de condamner Mme [I] aux entiers dépens et frais d'exécution d'appel.

A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire, la cour considérait que le licenciement de Mme [I] n'est pas fondé sur une faute grave :

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'association Marin'Escale à verser à Mme [I] la somme de 1.638 € au titre de l'indemnité de licenciement pour la réduire à la somme de 1.223,48 € ;

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'association Marin'Escale à verser à Mme [I] la somme de 3.800 € bruts au titre de l'indemnité de préavis et la somme de 380 € bruts au titre de l'indemnité de congés payés afférente pour les réduire respectivement aux sommes de 3.744 € bruts et 374 € bruts ;

Si par extraordinaire, la cour considérait le licenciement non fondé sur une cause réelle et sérieuse :

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'association Marin'Escale à verser à Mme [I] la somme de 11.000 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- de dire que Mme [I] ne justifie d'aucun préjudice et réduire à 1.872 € l'indemnité au titre des dispositions de l'article 1235-3 du code du travail ;

- de débouter Mme [I] de l'ensemble de ses autres demandes, fins et prétentions.

* * *

Dans ses dernières conclusions du 27 juin 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Mme [I] demande à la cour de :

- « dire bien jugé, mal appelé » ;

- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- de condamner l'association Marin'Escale à lui verser une indemnité de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel ;

- de condamner ladite association en tous les dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 novembre 2023.

SUR QUOI

I - SUR L'EXECUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL

L'association Marin'Escale sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [I] la somme de 2.500 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral tandis que cette dernière sollicite la confirmation de la décision de ce chef.

Au soutien de ses prétentions du chef du harcèlement moral, Mme [I] fait valoir :

- qu'elle verse aux débats une attestation qui est parfaitement recevable même si elle l'a elle-même établie et qui démontre qu'elle a été victime d'agissements constitutifs d'harcèlement moral ;

- qu'elle n'a jamais suivi de formation, ce qui a porté atteinte à ses conditions de travail ;

- qu'elle a faussement été accusée par le président de l'association d'avoir tenu des propos dénigrants envers un collègue, [D] [R], ce qui a porté atteinte à sa dignité ;

- que, malgré les termes de l'article 4-6 de la convention collective de l'animation relatif aux concubins, l'employeur a artificiellement créé un litige en lui refusant le droit de poser des congés communs avec M. [J] du 8 juillet au 4 août 2019 alors que l'activité du port industriel de la [4] est au plus bas pendant cette période et que des saisonniers ont toujours été recrutés pour remplacer les salariés permanents pendant les vacances ;

- qu'alors qu'un accord avait été trouvé avec la direction, cette dernière l'a remis en cause le 4 août 2019 en voulant imposer un nouveau planning qui a finalement été modifié 3 heures après suite aux protestations de la salariée sans pour autant être satisfaisant pour elle ;

- qu'à son retour de congés, le couple [I]-[J] a constaté que les difficultés de planning perduraient ;

- que cette situation, qui durait depuis le mois d'avril 2019, a détérioré l'état de santé psychologique de Mme [I] qui a de ce fait été placée en arrêt de travail le 20 août 2019 ;

- que l'association Marin'Escale ne rapporte pas la preuve contraire du harcèlement moral invoqué par la salariée ;

- que les attestations émanant de membres de la direction de l'association se heurtent à l'adage selon lequel « nul ne peut s'établir de preuve à lui-même » et qu'elles ne portent pour la plupart que sur des éléments étrangers au harcèlement.

En réponse, l'association Marin'Escale fait valoir :

- que le harcèlement moral se caractérise essentiellement par la dégradation des conditions de travail résultant d'actes répétitifs, emportant des conséquences dommageables sur le plan professionnel ou sur la santé de la victime ;

- qu'il appartient dans un premier temps au salarié d'apporter les éléments matériels précis et concordants laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral, ce que Mme [I] ne fait pas ;

- que le foyer n'est autorisé à ouvrir en soirée que si au moins deux personnes de l'association sont présentes dans les locaux, à savoir un salarié désigné sous la dénomination de « permanent » et un bénévole ;

- que la demande de congés des salariés a été transmise pour avis au conseil d'administration, étant précisé que personne ne connaissait alors la situation de concubinage de Mme [I] et M. [J] et ce d'autant plus que Mme [I] était mariée et que son mari venait de temps en temps à l'association ;

- que le conseil d'administration a donc refusé cette demande ;

- que le 15 avril 2019, M. [J] et Mme [I] ont adressé un courrier commun au président de l'association pour déclarer leur concubinage et demander un congé simultané en invoquant les dispositions de la convention collective relatives aux personnes vivant en couple alors qu'il était difficile d'apprécier la situation puisque Mme [I] était mariée ;

- que le 4 juin 2019, le bureau a décidé de faire droit à la demande de congés simultanés de trois semaines faites par les deux salariés ;

- qu'il n'y a donc pas eu d'harcèlement ;

- que le conseil de prud'hommes a considéré que la tardiveté de la communication des plannings était constitutive de harcèlement moral alors que, d'une part, l'élaboration des plannings faisait partie des attributions de M. [J] et que, d'autre part, Mme [I] discutait librement avec les membres du bureau et qu'elle a refusé de signer sa fiche de poste car le planning ne lui convenait pas ;

- que Mme [I] a refusé de se conformer au nouveau planning en prétendant que le délai de prévenance n'avait pas été respecté ;

- que ce retard de communication ne saurait constituer des actes de harcèlement moral ni même un moyen de pression ;

- que diverses attestations font état de l'absence de tout harcèlement au sein de l'association et qu'un membre du personnel indique qu'elle lui a « permis de [se] reconstruire après le burn-out dont [il a] été victime', ce qui démontre que l'association est attachée au bien-être de ses salariés et ce qui contredit les actes de harcèlement moral allégués.

Sur ce, il ressort des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail qu'aucun « salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

Ainsi, le harcèlement moral est caractérisé par la constatation de ses conséquences telles que légalement définies, peu important l'intention (malveillante ou non) de son auteur.

Le régime probatoire du harcèlement moral est posé par l'article L. 1154-1 du code du travail qui prévoit que dès lors que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il en résulte que le salarié n'est tenu que d'apporter au juge des éléments permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral et qu'il ne supporte pas la charge de la preuve de celui-ci.

De ce fait, le juge doit :

- en premier lieu examiner la matérialité des faits allégués par le salarié en prenant en compte tous les éléments invoqués y compris les certificats médicaux ;

- puis qualifier juridiquement ces éléments en faits susceptibles, dans leur ensemble, de faire présumer un harcèlement moral ;

- enfin examiner les éléments de preuve produits par l'employeur pour déterminer si ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est constant que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de management par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

1. Sur les agissements reprochés à l'employeur

Au soutien de sa demande de reconnaissance du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime de la part de son employeur, Mme [I] expose :

1) avoir été privée de formation, ce qui a porté atteinte à ses conditions de travail ;

2) avoir été faussement accusée par le président de l'association d'avoir tenu des propos dénigrants envers un collègue, ce qui a porté atteinte à sa dignité ;

3) s'être heurtée à un refus injustifié de poser ses congés en même temps que son « conjoint » ;

4) s'être heurtée avant et pendant ses congés à de nouvelles difficultés de planning.

Afin d'étayer ses allégations, elle verse aux débats :

- le compte rendu de son entretien professionnel du 6 février 2019 et des mails relatifs à son inscription au premier semestre 2019 à une formation de 5 jours « Etes vous prêt à entreprendre ' » ;

- une lettre recommandée avec avis de réception établie par M. [G] [P], président de l'association, et datée du 2 avril 2019 dans laquelle il refuse la demande de congés simultanés avec M. [J] pour la période du 8 juillet au 4 août 2019 ;

- une « déclaration de concubinage » datée du 15 avril 2019 adressée à l'employeur ;

- une demande de congés simultanés avec M. [J] datée du 15 avril 2019 et portant sur la période du 15 juillet au 4 août 2019 ;

- un mail adressé à M. [W] [M], représentant syndical, le 23 avril 2019 ;

- un courrier établi le 17 mai 2019 par M. [P] faisant droit à la demande de congés de Mme [I] pour la période du 15 juillet au 4 août 2019 ;

- les comptes-rendus du conseil d'administration de l'association des 2 avril et 29 mai 2019 ;

- un mail adressé par Mme [I] à M. [P] le 13 juin 2019 dans lequel elle refuse de signer sa fiche de poste pour des imprécisions de planning ;

- des échanges de mails entre le bureau de l'association et la salariée en date des 4 et 5 août 2019 portant sur les plannings des semaines 32 et 33 de l'année 2019 et le non-respect des délais de convenance ;

- un certificat médical établi le 4 mai 2020 par le docteur [L] et l'avis d'arrêt de travail qu'il lui a établi le 20 août 2019 pour une période allant jusqu'au 13 septembre 2019 ;

- la demande de précisions quant aux motifs énoncés dans la lettre de licenciement établie le 20 novembre 2019 par Mme [I] ;

- un écrit qu'elle a rédigé le 5 mai 2020 dans lequel elle expose les actes et agissements qu'elle reproche à son employeur à partir du mois de mars 2019.

* * *

Il résulte de l'ensemble de ces éléments :

- que le fait n° 1 relatif à l'absence de formation n'est pas établi puisqu'il ressort des pièces versées aux débats que Mme [I] s'est inscrite au printemps 2019 à la formation «  Etes-vous prêt à entreprendre » que son employeur a proposé de financer ;

- que le fait n° 2 relatif aux propos dénigrants qu'elle a été accusée d'avoir porté envers un collègue est établi par le courrier recommandé qui a été adressé le 2 avril 2019 à Mme [I] par le président de l'association dans lequel il indique, s'agissant de « [D] » : « j'ai entendu beaucoup de rumeurs à son sujet dans les entretiens individuels. C'est bien le lieu d'en parler si un problème existe. Par contre j'ai beaucoup d'échos des bénévoles pris à partie dans ces critiques qui vont jusqu'au dénigrement ; je trouve cela intolérable surtout concernant une personne en arrêt maladie qui ne peut pas se défendre. On peut toujours avoir un conflit avec un collègue, mais cela doit se régler dans le cadre professionnel avec l'employeur. Les critiques d'un collègue auprès des bénévoles ou d'autres personnes doivent cesser. Vous semblez aussi être très critique du cadre de Marin'Escale [...] » ;

- que le fait n° 3 relatif au refus opposé à la demande de congés communs avec M. [J] pendant l'été 2019 formée par Mme [I] est établi par le compte rendu du conseil d'administration du 2 avril 2019 et le courrier recommandé daté du même jour adressé à la salariée, ces deux pièces faisant expressément état du refus qui a été opposé à cette demande ;

- que le fait n° 4 relatif aux difficultés de planning qu'elle a rencontrées avant et pendant ses congés est établi par les échanges de mail qu'elle a eus avec l'association les 19 juin, 4 et 5 août 2019 qui démontrent que la salariée a refusé de signer la fiche de poste qui lui a adressée le 19 juin 2019 en raison d'un désaccord sur le planning annexé à cette fiche de même qu'elle a refusé dans un mail du 4 août 2019 la modification du planning pour la semaine du 5 au 11 août pour non-respect du délai de convenance.

* * *

La matérialité des faits 2, 3 et 4 étant établie et ces faits, pris dans leur ensemble, laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral, il appartient à l'employeur de prouver qu'ils ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que les décisions qu'il a prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A titre liminaire, la cour rappelle que, contrairement à ce que soutient l'intimée, les attestations des membres du bureau de l'association produites par l'employeur ne sont pas dénuées de valeur probante au motif que « nul ne peut s'établir une preuve à soi-même » puisque ce principe concerne le régime probatoire des actes juridiques dont le montant est supérieur à 1.500 € et non pas celui des faits juridiques (Civ. 2e, 6 mars 2014, n° 13-14.295).

En outre, ces attestations s'inscrivent dans le processus probatoire du harcèlement moral prévu à l'article L. 1154-1 du code du travail en ce qu'elles permettent à la société de prouver que les faits reconnus comme établis par la cour ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral.

En conséquence, la valeur probante de ces attestations sera appréciée par la cour quel que soit la qualité de leurs auteurs.

Sur ce :

- s'agissant du fait n° 2 relatifs aux agissements du président de l'association reprochant à Mme [I] d'avoir tenu des propos dénigrants envers un collègue, l'employeur est taisant ;

- s'agissant du fait n° 3 relatifs au refus opposé aux congés communs sollicités par Mme [I] et M. [J] pendant l'été 2019, l'employeur fait valoir :

** que le refus du 2 avril 2019 était justifié par les nécessités de services ne lui permettant pas, avec 4 salariés permanents, parmi lesquels Mme [I] et M. [J], un comptable et un salarié en arrêt maladie (M. [R]), de faire droit à la demande simultanée de congés de 2 salariés ayant une relation affective non officialisée, ce qui est corroboré par les pièces versées aux débats ;

** que le président de l'association n'a été avisé que le 15 avril 2019 de la « déclaration de concubinage » de Mme [I] et de M. [J] et qu'il a, conformément à l'article 4-6 de la convention collective applicable, fait droit le 17 mai 2019 à la demande de congés communs des deux salariés, un conseil d'administration du 29 mai 2019 faisant à cet égard état d'une « situation inédite » ;

** que la situation était d'autant plus difficile à gérer pour l'association que le foyer n'était autorisé à ouvrir en soirée que si au moins 2 personnes, dont un « permanent », étaient présentes, l'activité céréalière du port maritime de [Localité 2] étant en outre importante en juillet ;

** que le refus opposé le 2 avril 2019 à la demande de « congés simultanés » n'avait rien d'offensant mais qu'il était au contraire justifié par les nécessités du service et l'impossibilité d'avoir 2 permanents absents en même temps tout en assurant l'ouverture du foyer sans discontinuité pendant l'été ;

- s'agissant du fait n° 4 relatifs aux difficultés de planning, l'employeur expose :

** que le planning « pour un roulement de 3 semaines consécutives » qui a été transmis à Mme [I] avec une nouvelle fiche de poste ne démontre pas que cette dernière était victime de harcèlement puisqu'elle a elle-même indiqué dans un mail du 13 juin 2019 que cette fiche de poste a été « débriefée tous ensemble pendant la dernière réunion de l'équipe. Comme vous l'avez vu, nous sommes d'accord avec vous pour la plupart des points que nous avons revus ensemble et nous sommes très satisfaits d'avoir ce genre de réunion avec le bureau afin d'optimiser le travail à Marine Escale pour un accueil des marins optimal. » ;

** que le retard pris dans la communication du planning prévu au retour de Mme [I] de ses congés d'été est consécutif aux discussions que l'association a eus avec Mme [I] à ce sujet, de sorte qu'elle est malvenue de se prétendre victime de harcèlement moral alors que l'employeur a privilégié le dialogue à une solution imposée à la salariée ;

** que les nouveaux plannings ont été mis en vigueur le 16 août 2019 mais que Mme [I] a été en arrêt maladie le 20 août 2019.

* * *

Il résulte de ce qui précède que l'employeur justifie par des éléments objectifs les faits qui auraient pu être considérés comme étant constitutifs d'harcèlement moral en ce que :

- bien que taisant sur les propos dénigrants qu'il a reproché à Mme [I] d'avoir tenus envers un collègue, ces griefs n'ont été exposés que dans un courrier adressé personnellement à la salariée et à son compagnon de sorte que l'atteinte à la dignité qu'elle évoque n'est pas établie ;

- le refus opposé lors du conseil d'administration du 2 avril 2019 à la demande de congés simultanés de 2 permanents, qui n'avaient pas encore déclaré vivre en concubinage, était justifié par les nécessités de services et l'impossibilité pour l'employeur de faire fonctionner le foyer sans recruter des personnes pour pourvoir à leur absence simultanée alors que les congés étaient jusqu'alors pris par roulement entre les permanents, l'organisation du travail relevant dans ce contexte du pouvoir de direction de l'employeur ;

- si les propositions qui ont été faites à Mme [I] dans le courrier du 2 avril 2019 de procéder à un tirage au sort entre les 3 permanents la première année pour « décider qui aura la priorité pour choisir les dates des congés. Après roulement sur 3 ans entre les 3 permanents » ou de prendre un congé sans solde si elle voulait absolument être en congés en même temps que M. [J] n'ont pas, pour des raisons compréhensibles, été jugées satisfaisantes par l'intéressée, elles démontrent néanmoins que l'association a tenté de trouver une solution permettant de concilier les nécessités du service et les désidérata de la salariée ;

- l'association a fait droit à la demande de congés simultanés après avoir été avisée par Mme [I] le 15 avril 2019 de son statut de concubine de M. [J], étant observé qu'il est constant que ce statut lui donnait droit à des congés simultanés avec son concubin conformément aux dispositions de l'article 4-7 de la convention applicable ;

- si le mail adressé par Mme [I] à M. [M], représentant syndical, le 23 avril 2019 et le compte-rendu du conseil d'administration démontrent que les relations étaient alors tendues entre certains membres du conseil d'administration et la salariée, ces pièces font également apparaître une commune volonté des parties d'apaiser les tensions générées par leurs désaccords au sujet des plannings ;

- dans une attestation établie par Mme [B] [V] (bénévole depuis 2014 et secrétaire du bureau de l'association depuis 2016), celle-ci expose n'avoir jamais « ressenti un quelconque harcèlement envers madame [I] et monsieur [J] lors des nombreuses heures de permanence et réunions » auxquelles elle a assisté et que le bureau « a joué son rôle d'interlocuteur avec tous ses salariés ne ménageant ni sa peine ni ses heures en provoquant nombre de réunions avec eux pour garder le dialogue, refaisant sans cesse le planning de travail des salariés en jonglant avec stagiaires et bénévoles et contractant des CDD » ;

- le compte rendu de la « rencontre avec les permanents » du 4 juin 2019, à laquelle Mme [I] a assisté, détaille l'organisation adoptée pendant les congés pour permettre à Mme [I] de prendre ses congés en même temps que M. [J] pendant l'été 2019 et présente, « à partir du mois de septembre  », « 3 possibilités de planning sur un rythme de 3 semaines, en respectant une équité entre les 3 permanents », ce qui atteste de la volonté de l'employeur de mettre en place une organisation de travail pérenne et équitable entre les permanents ;

- le mail que Mme [I] a adressé à son employeur le 13 juin 2019 démontre la volonté de ce dernier d'établir une fiche de poste emportant son adhésion, étant observé que les termes de ce mail démontrent que Mme [I] était à l'aise et affirmée dans sa relation avec les membres du bureau ;

- dans les échanges entre les parties le 4 août 2019, l'association a rapidement convenu d'une erreur sur le respect du délai de convenance invoquée par la salariée et acté son refus d'une modification tardive de son planning de la semaine du 5 août et qu'elle a rapidement tenu compte de ce refus en lui écrivant : « Avec nos excuses pour cette erreur relative au code du travail par rapport au délai de convenance » ;

- le fait que l'employeur ait indiqué dans le même mail « un petit challenge pour le mois d'août vous attend ; Tri-Nettoyage -Rangement du garage/local vélo/cagibi local entretien du club. En vous remerciant par avance de votre implication » correspond aux tâches quotidiennes assignées aux permanents lors de la rencontre du 4 juin 2019 qui vise de manière générale : « ménage à faire le matin par le permanent de service ou à midi en fonction des visites navires » ;

- le certificat médical établi par le docteur [L] le 4 mai 2020, selon lequel Mme [I] a été suivie du 20 août 2019 jusqu'à fin janvier 2020 pour « un problème de souffrance psychologique avec diverses manifestations somatiques et psychiques, liée selon ses dires à des problèmes rencontrés au travail » et l'avis d'arrêt de travail établi le 20 août 2019 pour une période allant jusqu'au 13 septembre 2019 ne suffisent pas à démontrer que la salariée a été victime d'un harcèlement moral à l'origine de cet arrêt de travail et ce d'autant qu'ils ne sont étayés par aucune autre prescription médicale.

* * *

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les faits que Mme [I] considère être constitutifs de harcèlement moral :

- ne sont soit pas matériellement établis soit pas constitutifs d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

- qu'ils s'expliquent par les difficultés objectivement rencontrées par l'employeur pour réorganiser en quelques semaines, pendant l'été puis de manière plus pérenne, le travail de 4 permanents alors qu'un d'eux était en arrêt de travail et que l'association a été tardivement avisée du droit de deux autres permanents de poser leurs congés de manière simultanée du fait d'un concubinage qui ne lui a été déclaré que le 15 avril 2019 ;

- que malgré les tensions suscitées par ces difficultés, l'employeur s'est montré soucieux d'apaiser les tensions et de trouver des solutions respectueuses des droits dont Mme [I] et M. [J] pouvaient se prévaloir sans pour autant bafouer les intérêts des autres permanents.

En conséquence, et dans la mesure où il n'est pas établi que Mme [I] a été victime d'un harcèlement moral de la part de l'association Marin'Escale, la décision déférée sera infirmée de ce chef et Mme [I] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.

II - SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

A- SUR LE MOTIF DU LICENCIEMENT

L'association Marin'Escale demande à la cour :

- d'infirmer le jugement déféré des chefs des indemnités qu'elle a été condamnée à payer à Mme [I] au titre de l'indemnité de préavis, des congés payés sur préavis, de l'indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire ;

- de juger que le licenciement pour faute grave de Mme [I] est fondé ;

- de débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Au soutien de ses prétentions, l'association Marin'Escale fait valoir :

- que le fait pour un salarié de créer une société dont l'activité est concurrente à celle de son employeur, alors qu'il est à son service et sans l'en informer, constitue une faute grave ;

- que, pendant les périodes de suspension de son contrat de travail, le salarié reste tenu envers son employeur d'une obligation de loyauté ;

- que Mme [I] a été licenciée pour avoir créé une société concurrente à l'association et avoir commencé son activité alors qu'elle était encore liée à l'association par un contrat de travail ;

- que la nature des entités importe peu puisqu'une société commerciale peut concurrencer une association et contrevenir aux intérêts de cette dernière ;

- que Mme [I] a caché le fait, d'une part, qu'elle allait créer une entreprise intervenant sur le secteur d'activité de l'association et, d'autre part, qu'elle allait la créer avec M. [J] qui a non seulement le statut d'associé mais également celui de directeur général ;

- que l'entreprise a été créée pendant l'exécution du contrat de travail puisque l'exploitation commerciale a commencé pendant le contrat de travail ;

- que le Kbis de la société de Crew§Dock Service et le procès-verbal du constat d'huissier en date du 17 octobre 2019 démontrent que, dès le mois de mai 2019, une page d'entreprise avait été créée sur Facebook avec le logo et que l'offre commerciale d'achats en ligne avait été mise en place ;

- que la société Crew§Dock Service fait concurrence à l'association puisqu'elle vend notamment des cartes SIM prépayées et des denrées alimentaires ;

- que cette concurrence a eu un impact important puisqu'elle a engendré une diminution notable du chiffre d'affaires pour les cartes téléphoniques sur l'exercice 2019 et que les recettes de l'association ont chuté de 7.016 € à 576 € ;

Mme [I] sollicite la confirmation de la décision déférée de ces chefs aux motifs :

- qu'il y a « une présomption de doute renforcée » et qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la faute grave dont il se prévaut ;

- qu'il est reproché à Mme [I], dans la lettre de licenciement, d'avoir constitué une société pendant le cours de son contrat de travail, ladite société ayant en outre une activité concurrentielle à celle de l'association ;

- que, lors de son entretien professionnel du 6 février 2019, Mme [I] a informé l'association de son souhait de créer sa propre entreprise et d'effectuer une formation d'auto-entrepreneur le plus vite possible ;

- qu'il est évident qu'elle voulait effectuer cette formation pour créer son entreprise et qu'elle n'a donc rien dissimulé à son employeur ;

- qu'elle s'est inscrite comme convenu avec l'employeur à une formation dispensée par la CCI en 2019 et qu'elle a, avec l'aide des formateurs, établi les statuts qu'elle a signés le 21 juin 2019 avec M. [J] du fait de ses futures fonctions de directeur général ;

- que le fait que la société ait été inscrite au registre du commerce et des sociétés le 4 septembre 2019 ne signifie pas qu'elle pouvait réellement exister ;

- que le site a été créé le 14 novembre 2019 mais que cela ne démontre pas qu'elle a commencé son activité à cette date ;

- qu'en tout état de cause, il n'y a pas eu de commencement d'activité de la société pendant le cours du contrat de travail, qui a été interrompu par le licenciement du 5 novembre 2019 ;

- que le compte de la société, sans laquelle aucune activité n'était possible, n'a lui-même été ouvert que le 16 janvier 2020 ;

- qu'il appartient à l'association de prouver la date du commencement d'activité de la société ;

- qu'il n'y a par ailleurs pas de concurrence entre la SAS Crew§Dock Service et l'association puisque :

** l'une est à but non lucratif et l'autre est une société commerciale et a pour vocation de réaliser un chiffre d’affaires générateur de bénéfices ;

** la SAS Crew§Dock Service ne dispose d'aucun logement d'accueil mais d'un siège social ;

** l'association n'effectue pas de transport de marins puisqu'elle n'a pas de salarié titulaire d'un permis de transport en commun, elle ne dispose d'aucune autorisation lui permettant de vendre des cartes pour smartphone et ne justifie pas de la moindre déclaration fiscale ;

- que le motif inavoué du licenciement réside dans le fait que Mme [I] s'est installée en couple avec M. [J], cet événement ayant été déclencheur de tracasseries avec 2 ou 3 membres du bureau, de changements de planning à répétition, d'envoi de courriers pendant ses congés auxquels il faut ajouter le comportement colérique et de mouvements d'humeur, voire d'agressivité, de la part de M. [P] qui n'a pas accepté que deux salariés puissent contracter une union ;

- que son licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur ce, il résulte des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, l'employeur est non seulement tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de notification, sous peine de voir reconnu un licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais il lui incombe alors également, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, de rapporter la preuve :

- de la réalité de la faute grave, qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié personnellement entraînant une violation des obligations découlant du contrat ;

- de la teneur de la faute, qui doit être telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère, ou qui peuvent l'aggraver.

En cas de contestation de la sanction disciplinaire, l'employeur est en droit d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier du motif énoncé dans la lettre de licenciement, même si ces circonstances de fait ne sont pas mentionnées dans celle-ci (Cass. Soc. 15 octobre 2013, n° 11- 18.977).

* * *

En l'espèce, la lettre de licenciement du 6 novembre 2019, qui détermine les limites du litige est ainsi libellée :

« Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute grave [...].

Nous sommes donc amenés par la présente à vous notifier les griefs qui nous conduisent à prononcer votre licenciement pour faute grave.

Nous avons en effet découvert mi-septembre, que vous aviez constitué, avec Monsieur [X] [J], salarié de notre association, une société dénommée Crew&Dock Service SAS domiciliée à votre adresse personnelle, dont vous détenez 50 % du capital social, l'autre moitié étant détenue par le salarié précité et dont vous êtes la Présidente.

Vous avez immatriculé cette société au Registre du commerce et des Sociétés de La Rochelle le 04 septembre 2019 avec une prise d'activité au 1er septembre 2019, soit pendant la suspension de votre contrat de travail à raison de votre congé de maladie ayant débuté le 20 août 2019 (à la même date que celui de Monsieur [X] [J]) et se poursuivant toujours à ce jour.

Cette société actuellement exploitée directement par vous, intervient dans les domaines d'activité qui sont ceux de l'association Marin'Escale à savoir les services aux marins en escale au Port de [4], la vente de marchandises à ce même public.

Les activités de la société Crew&Dock Service SAS recoupent les fonctions qui sont les vôtres dans notre association Marin'Escale aux termes de votre contrat de travail à temps plein puisque vous êtes en charge de l'animation à destination des marins en escale au port de [4].

Le lancement d'une activité commerciale pendant votre congé maladie présente un caractère opportuniste dont nous sommes fort surpris. Nous considérons qu'il s'agit d'un manquement grave au devoir de loyauté et de bonne foi dans l'exécution de votre contrat de travail.

Compte tenu de la gravité de cette faute et de ses conséquences, votre maintien dans notre association s'avère impossible."

La faute reprochée à Mme [I] consiste donc en la création, pendant son arrêt de travail, d'une société dont l'activité est concurrente à celle de l'association Marin'Escale.

Il sera en conséquence rappelé que l'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt et pour fonder un licenciement, l'acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l'employeur ou à l'entreprise (Cass. Soc. 21 novembre 2018, pourvoi n° 16-28.513).

En outre, le salarié ayant, alors qu'il était au service de son employeur et sans l'en informer, créé une société dont l'activité était directement concurrente de la sienne, manque à son obligation de loyauté, peu important que des actes de concurrence déloyale ou de détournement de clientèle soient ou non établis, ces faits sont constitutifs d'une faute grave (Cass. Soc., 30 novembre 2017, pourvoir n° 16-14-541).

Sur ce, il ressort :

- du compte rendu d'entretien professionnel de Mme [I] en date du 6 février 2019 que si celle-ci a fait part à cette occasion de son souhait de suivre dès que possible « une formation d'auto/entrepreneur/création entreprise à la CCI permettant de trouver un CDI dans une autre structure afin d'anticiper le retour du salarié remplacé», formation à laquelle elle s'est d'ailleurs inscrite dans les jours qui ont suivi, ce document ne suffit pas à démontrer qu'elle a avisé son employeur de son projet de créer avec M. [J] une entreprise dans un secteur d'activité éventuellement concurrent à celui de l'association ;

- du courrier électronique que Mme [I] a adressé le 13 février 2019 à [U] [E] qu'elle souhaitait s'inscrire à cette formation avec son « futur collaborateur », ce qui démontre qu'elle projetait dès cette époque de créer une société avec M. [J] ;

- des statuts de la SAS Crew§Dock Service et de l'extrait KBIS de cette société que ses statuts ont été enregistrés le 21 juin 2019 et que la société a été immatriculée le 4 septembre 2019 avec une date de commencement d'activité fixée au 1er septembre 2019 ;

- que cette société a été constituée à parts égales entre Mme [I] et M. [J], Mme [I] étant désignée première présidente de la société et M. [J] directeur général ;

- du procès-verbal de constat d'huissier du 17 octobre 2019 que le Facebook de la société a été actif au moins du 21 mai 2019 jusqu'au 9 août 2019, et donc à une époque où le contrat de travail de Mme [I] n'était ni suspendu ni rompu, étant précisé qu'en consultant ce site :

** le 21 mai 2019, un lien permettait d'accéder à des catalogues de produits vestimentaires dont les prix étaient affichés ;

** le 14 juin 2019 il y avait une « photo de couverture de Crew§Dock Service » ;

** le 9 août 2019 on pouvait lire « disponible en France et diffusés par Crew§Dock Service en exclusivité » renvoyant sur un site présentant des articles à la vente ;

** que le site Facebook présentait selon le procès-verbal de constat 'une activité de commerce d'équipements de protection individuels à destination des professionnels de la mer et du milieu portuaire » et que cette page comportait « un lien ayant pour adresse www.crewdockservice.com permettant la commande et l'achat en ligne des équipements précités ».

Ces éléments démontrent que la société Crew§Dock Service a commencé dès le mois de mai 2019 à utiliser les réseaux sociaux et une adresse internet lui permettant a minima de faire la publicité des produits qu'elle s'apprêtait à vendre, ce qui constitue une activité de prospection et donc un début d'exploitation de la société qui commençait ainsi à se faire connaître de ses clients potentiels.

Dans ce contexte, la création de cette société peut être analysée comme étant constitutive d'une faute grave pour autant qu'il soit par ailleurs démontré que l'activité de la société Crew§Dock Service est concurrente à celle de l'association Marin'Escale.

Dès lors, s'agissant du caractère concurrentiel des activités exercées par l'association Marin'Escale et par la société Crew§Dock Service, la cour observe :

- que, contrairement à ce que soutient Mme [I], une société peut faire de la concurrence à une association si elle propose des produits ou services similaires à celle-ci ;

- qu'il ressort des statuts de l'association Marin'Escale, tels que modifiés suite à une assemblée générale du 7 mai 2011, qu'elle a pour but « l'accueil des gens de mer en escale à La Pallice » et que ses ressources proviennent notamment des « bénéfices réalisés sur la vente autorisée de quelques produits » ;

- que les statuts de la société Crew§Dock Service indiquent qu'elle exerce une activité en « Import-export, vente et achat de marchandises, commerce de gros, demi-gros, détail et représentation commerciale, vente sur internet. Négoce de marchandise alimentaire et non alimentaire non réglementée transport public routier de personnes au moyen de véhicules n'excédant pas neuf places avec le conducteur ».

Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de constat établi par Maître [A] [O], huissier de justice, le 17 octobre 2019 que le site Facebook de la société Crew§Dock Service se présentait comme « le partenaire du bien-être des marins en escale. Accompagnement shopping, des articles de sport, électronique, instruments de musique, souvenirs, transport d'équipage en excursion et vêtements à flottabilité intégré Ki-Eléments ».

Il résulte de ce qui précède que l'activité de la société Crew§Dock Service était tournée, avant même le licenciement de Mme [I], vers une activité concurrente à celle de l'association Marin'Escale en ce qu'elles visaient toutes les deux un public commun s'agissant des marins en escale au port de [Localité 2] et qu'elles leurs proposaient la vente de produits, les statuts de la société visant notamment la vente de produits identiques à ceux commercialisés par l'association tels que les produits alimentaires.

En conséquence, en prospectant à partir du mois de mai 2019, soit à une période où elle était encore salariée de l'association Marin'Escale, une clientèle dans un secteur d'activité concurrent à celui de l'association, puis en procédant à l'immatriculation de cette société et en fixant officiellement sa date de début d'activité pendant son arrêt maladie, Mme [I] a manqué à son obligation de loyauté et commis une faute grave justifiant, du fait de l'absence de confiance que l'association Marin'Escale pouvait lui accorder dans ce contexte, son licenciement immédiat.

Il sera donc fait droit à la demande de l'association Marin'Escale tendant à voir dire que le licenciement pour faute grave de Mme [I] est justifié.

B- SUR LES INDEMNITES SUBSEQUENTES AU LICENCIEMENT

Le licenciement pour faute grave de Mme [I] étant justifié, le jugement déféré sera infirmé des chefs de l'indemnité de préavis, des congés payés sur préavis, de l'indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire et la salariée sera déboutée de l'ensemble de ses demandes sur ces fondements, étant précisé s'agissant de l'attitude vexatoire et dénigrante reprochée à l'employeur que celui-ci n'a fait qu'user de manière justifiée de son pouvoir disciplinaire en procédant à ce licenciement.

III - SUR LES DEPENS ET LES DEMANDES ACCESSOIRES

S'agissant du certificat de travail, il ressort des éléments versés aux débats que Mme [I] a été embauchée par l'association Marin'Escale dans le cadre d'un contrat d'insertion qui a pris effet le 20 avril 2016 de sorte qu'il y a lieu de prévoir, comme l'ont fait les premiers juges, la remise d'un nouveau certificat de travail mentionnant la date d'entrée au 20 avril 2016, étant observé que les parties ne se sont pas expliquées sur leurs demandes de ce chef dans la partie « discussion » de leurs conclusions.

En revanche, les circonstances de l'espèce et les imprécisions des parties s'agissant de cette demande en cause d'appel ne justifient pas que la remise de ce document soit assortie d'une astreinte.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a ordonné la remise de ce document mais infirmé du chef de l'astreinte.

Par ailleurs, et dans la mesure où Mme [I] succombe principalement en appel :

- le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné l'association Marin'Escale aux dépens de première instance et à payer à Mme [I] la somme de 1.400 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Mme [I] sera condamnée aux entiers dépens de première instance et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ;

- Mme [I] sera condamnée aux entiers dépens d'appel et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de la procédure d'appel.

L'association Marin'Escale sera elle-même déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que la remise d'un nouveau certificat de travail mentionnant la date d'entrée au 20 avril 2016 devra être faite dans le mois suivant le prononcé dudit jugement ;

Confirme le jugement déféré de ce dernier chef ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

Dit que Mme [H] [I] n'a pas subi de harcèlement moral de la part de l'association Marin'Escale ;

Dit que le licenciement de Mme [H] [I] est fondé sur une faute grave ;

Déboute Mme [H] [I] de l'ensemble de ses demandes en paiement ;

Dit n'y avoir lieu d'assortir la remise d'un nouveau certificat de travail mentionnant la date d'entrée au 20 avril 2016 d'une astreinte ;

Condamne Mme [H] [I] aux entiers dépens de première instance ;

Déboute Mme [H] [I] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Y ajoutant :

Condamne Mme [H] [I] aux entiers dépens d'appel ;

Déboute Mme [H] [I] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Déboute l'association Marin'Escale de ses demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.