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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 13 février 2024, n° 22/01490

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Kmotors (SARL)

Défendeur :

Pib Holding (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wachter

Conseillers :

Mme Domenego, Mme Willm

Avocats :

Me Mordefroy, Me Mignot, Me Braillard

T. com. Besançon, du 20 juill. 2022, n° …

20 juillet 2022

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Selon acte de cession sous conditions suspensives en date du 23 octobre 2019, la SARL PIB Holding a cédé à la SARL Kmotors la totalité de ses parts détenues dans la société Pro Bike 25, moyennant un prix provisoire fixé à la somme de 320 000 euros et un prix définitif à déterminer à l'issue d'un arrêté contradictoire des comptes sociaux au 31 décembre 2019.

Le 3 avril 2020, la SARL PIB Holding a transmis le bilan 2019 à la SARL Kmotors et a invité la cessionnaire à s'acquitter du solde du prix d'un montant de 46 636 euros, par courrier du 9 juin 2020.

Contestant la valorisation faite par l'expert-comptable des capitaux propres de la société Pro Bike 25, la SARL Kmotors a présenté des observations dans son courrier du 20 juillet 2020 et a limité le montant de son paiement à la somme de 25 106 euros.

Le 29 juillet 2020, la SARL PIB Holding a mis en demeure la SARL PIB Holding de remplir son obligation et, devant son inertie, a saisi le 21 octobre 2021 le tribunal de commerce de Besançon lequel a, dans son jugement du 20 juillet 2022 :

- dit la société PIB Holding recevable et bien fondée en ses demandes,

- débouté la SARL Kmotors de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SARL Kmotors à payer à la SARL PIB Holding la somme de 21 530 euros en principal outre intérêts de retard au taux légal majoré de 5 points à compter du 11 avril 2020, en application de l'article 8.3 de pacte de cession,

- condamné la SARL Kmotors à payer à la SARL PIB Holding la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL Kmotors aux entiers dépens qui comprendront les frais de greffe,

- liquidé les dépens du présent jugement à la somme de 69,59 euros.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu :

- que l'expert comptable du cédant avait adressé la situation comptable le 3 avril 2020, laissant ainsi courir un délai de 60 jours jusqu'au 3 juin 2020 pour permettre au cessionnaire de formuler des observations sur le prix définitif des parts et aux parties de se rencontrer dans les 30 jours suivants pour trouver un accord ou arrêter la liste des points de désaccord,

- que la SARL Kmotors n'avait pas respecté cet échéancier contractuel et n'avait fait retour de ses contestations que le 20 juillet 2020,

- que le recours à l'arbitrage contractuel que sollicitait désormais la SARL Kmotors ne pouvait en conséquence plus être recherché à défaut de notification du désaccord dans les délais requis et selon la procédure posée à l'article 8.2.3 du pacte de cession,

- que la SARL Kmotors ne pouvait invoquer les ordonnances gouvernementales en lien avec la COVID-19 dès lors que leur problématique n'avait été soulevée qu'à l'issue des conclusions et n'avait pas fait l'objet d'échanges entres les parties dans le cadre de l'application du contrat,

- que les immobilisations et les valorisations de certains véhicules portés en stock ne pouvaient plus être contestées,

- que le solde du prix était en conséquence bien exigible.

Par déclaration du 21 septembre 2022, la SARL Kmotors a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions transmises le 27 février 2023, la SARL Kmotors, appelante, demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- à titre principal, dire que les demandes formulées par la société PIB Holding sont irrecevables,

- condamner la SARL PIB Holding à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la SARL PIB Holding à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens,

- à titre subsidiaire, débouter la société PIB Holding de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la SARL PIB Holding à lui restituer la somme de 3 702 euros outre intérêts au taux légal,

- condamner la SARL PIB Holding à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la SARL PIB Holding à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

A l'appui, la SARL Kmotors fait principalement valoir :

- que la demande de la SARL PIB Holding est irrecevable à défaut pour cette dernière d'avoir soumis le litige à l'arbitrage du président du conseil régional de l'ordre des experts comptables,

- que la clause d'arbitrage doit s'appliquer indépendamment de la date à laquelle les observations ont été formulées,

- que le délai de 60 jours n'est en effet qu'indicatif et qu'au surplus, il a été reporté jusqu'au 23 août 2020 par application de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 compte-tenu de la pandémie de la COVID 19,

- que seul l'arbitrage permettra de fixer le prix définitif des parts sociales,

- que subsidiairement, après examen des immobilisations et valeurs retenues, le complément de prix définitif s'établit à 21 204 euros, de telle sorte qu'au regard de la somme qu'elle a d'ores et déjà versée à hauteur de 25 106 euros, la SARL PIB Holding doit lui restituer la somme de 3 702 euros.

Dans ses dernières conclusions transmises par RPVA le 16 février 2023, la SARL PIB Holding, intimée, demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement,

- débouter la SARL Kmotors de toutes ses demandes,

- condamner la SARL Kmotors à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

La SARL PIB Holding fait principalement valoir qu'à défaut pour la SARL Kmotors d'avoir formulé des observations dans le délai de 60 jours contractuellement prévu, cette dernière n'est plus recevable à solliciter le bénéfice de l'arbitrage pour trancher les difficultés qu'elle a invoquées tardivement ;

que ces délais n'ont pas été interrompus par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 dès lors qu'ils ne constituaient ni une astreinte, ni une clause pénale, ni une clause résolutoire et ne conféraient au cessionnaire qu'une faculté et aucunement une obligation de formuler des observations ; que ces observations sur les stocks de démonstration, les stocks d'occasion et sur l'immobilisation 'vitraux Dainese' sont au surplus infondées ; que le prix de cession est désormais définitif ; que la SARL Kmotors doit en conséquence remplir ses obligations contractuelles et payer le solde déterminé au regard de l'exercice comptable 2019 désormais clos.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- Sur la fin de non-recevoir tirée du non respect de la clause d'arbitrage :

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Constitue une fin de non-recevoir le moyen tiré du défaut de mise en œuvre d'une clause de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge (Cass civ 3ème 19 mai 2016 n°15-14.464).

Au cas présent, la SARL Kmotors fait grief aux premiers juges d'avoir écarté la clause prévoyant l'arbitrage par le président du conseil régional de l'ordre des experts comptables prévue à l'article 8.2.3 de l'acte de cession et d'avoir fixé le prix définitif de la cession de parts sociales nonobstant les observations qu'elle avait formulées.

La clause 8.2.3 de l'acte de cession, intitulée 'arrêté contradictoire du prix définitif', stipule en effet qu' 'à défaut d'accord entre les parties sur l'établissement de la situation comptable intermédiaire, elles conviennent d'identifier et circonscrire les points de désaccord afin de les soumettre à l'arbitrage de Monsieur le Président du Conseil régional de l'ordre des experts comptables de Bourgogne Franche Comté ou tout autre expert-comptable désigné par ce dernier, tiers expert qui sera saisi à l'initiative de la partie la plus diligente, afin de trancher les seuls points de désaccord et d'arrêter définitivement les comptes sociaux à la date d'effet de la cession, ainsi que le prix de cession des parts sociales en appliquant strictement les règles évoquées ci-avant conformément à l'article 1843-4 du code civil.'

Pour s'opposer à l'application d'une telle clause, les premiers juges ont retenu, à l'instar de la SARL PIB Holding, que l'acte de cession fixait un calendrier précis pour la remise de la situation comptable intermédiaire, en imposant la transmission le 31 mars 2020 au plus tard de la situation comptable à la SARL Kmotors et en accordant un délai de 60 jours au cessionnaire pour formuler des observations, puis un autre délai de 30 jours pour permettre aux parties de se rencontrer et de finaliser leurs points de désaccord avant d'en saisir l'arbitre choisi, chronologie que la SARL Kmotors n'avait pas respectée en n'émettant ses contestations que le 20 juillet 2020, ce qui la privait de tout recours devant l'arbitre choisi.

Contrairement à ce que soutient l'intimée, si la présentation de l'acte de cession est certes claire, la rédaction de la clause 8.2.3 et sa présentation même dans l'économie générale du contrat, témoignent de la commune intention des parties de ne faire dépendre que de l'analyse et de l'avis du président du conseil régional des experts comptables de Bourgogne Franche-Comté la détermination définitive du prix de cession des parts sociales de la société Pro Bike 25, peu important la date exacte à laquelle les observations ont été faites.

Les délais mentionnés à l'acte de cession ne sont en effet pas prévus à peine de sanction, ce que confirme la propre transmission tardive du bilan comptable par la SARL PIB Holding le 3 avril 2020, alors que ce dernier devait être remis au plus tard le 31 mars 2020 au cessionnaire. Les courriels communiqués par la SARL PIB Holding elle-même témoignent par ailleurs que dès le 28 mai 2020, la SARL Kmotors a manifesté sa volonté de faire réaliser un audit des comptes 2019 de la SARL Pro Bike 25 et sollicité la communication de divers documents qui ne lui ont été transmis que par courriel du 2 juin 2020 à 11 heures 13, veille du terme du délai de 60 jours accordé.

La SARL PIB Holding ne pouvait donc en conséquence saisir directement le tribunal de commerce de sa demande en paiement, alors que cette dernière justifiait la fixation préalable par l'arbitre contractuellement choisi du prix définitif de cession des parts.

C'est donc à tort que les pemiers juges ont condamné la SARL Kmotors à payer à la SARL PIB Holding la somme de 21 530 euros au titre du solde du prix.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef et la SARL PIB Holding sera déclarée irrecevable en sa demande en paiement.

- Sur les autres demandes :

Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

En l'espèce, comme le soulève à juste titre la SARL PIB Holding, cette dernière n'a pas abusé de son droit d'agir en engageant la présente instance, quand bien même elle échouerait à démontrer le bien-fondé de ses demandes principales.

L'accès au juge demeure en effet un droit protégé par l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont l'usage ne saurait dégénérer en abus du seul fait que les parties ont procédé à une mauvaise interprétation des stipulations contractuelles du contrat les liant.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Kmotors de cette demande.

Partie perdante, la SARL PIB Holding sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et déboutée de ses demandes présentées en première instance et à hauteur de cour sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL PIB Holding sera condamnée à payer à la SARL Kmotors la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :

- Infirme le jugement du tribunal de commerce de Besançon en date du 20 juillet 2022, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la SARL Kmotors ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Déclare irrecevable la demande en paiement engagée par la SARL PIB Holding au titre du solde du prix de cession des parts sociales de la société Pro Bike 25 ;

- Condamne la SARL PIB Holding aux dépens de première instance et d'appel ;

- Et vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SARL PIB Holding à payer à la SARL Kmotors la somme de 3 000 euros et la déboute de sa demande présentée sur le même fondement.