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Décisions

CA Amiens, référés 1re pp, 22 février 2024, n° 23/00118

AMIENS

Ordonnance

Autre

PARTIES

Défendeur :

L'E.A.R.L. (EARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mantion

Avocats :

Me Berthelot, Me Le Roy, Me Dehan

TJ Saint-Quentin, du 21 août 2023, n° 21…

21 août 2023

Vu le jugement en date du 21 août 2023 du tribunal judiciaire de Saint- Quentin qui a :

- condamné [R] [X] à payer à l'EARL [X] la somme de 197.246,78 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2021 ;

- ordonné la capitalisation annuelle des intérêts ;

- débouté [R] [X] de son appel en garantie ;

- débouté [R] [X] de sa demande tendant à déclarer nulle la cession des parts sociales du 24 mars 2006;

- condamné [R] [X] à payer à l'EARL [X] et à [L] [X] la somme de 1000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné [R] [X] aux dépens, qui seront recouvrés par la SCP Vignon Avocats ;

- constaté l'exécution provisoire de la présente décision.

M. [R] [X] a formé appel de ce jugement, par déclaration reçue le 3 octobre 2023 au greffe de la cour.

Suivant acte de commissaire de justice du 18 octobre 2023, M. [R] [X] a assigné d'une part l'EARL [X] (assignation enregistrée sous le n° RG : 23/000118) et d'autre part M. [L] [X] (assignation enregistrée sous le numéro RG : 23/000119) en vue de leur comparution à l'audience du 4 décembre 2023 devant Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens et demande au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile, de:

- arrêter l'exécution provisoire dont est assorti le jugement contradictoire du tribunal judiciaire de Saint-Quentin en date du 21 août 2023 jusqu'à la date à laquelle il sera statué sur l'appel ;

- dire que les frais du référé seront joints aux dépens de la procédure d'appel.

Au soutien de sa demande, M. [R] [X] fait valoir qu'il existe des moyens sérieux de réformation du jugement en ce que :

- le tribunal judiciaire a estimé qu'il ne rapportait pas la preuve d'un fait extinctif de son compte courant d'associé débiteur, pas plus qu'il n'apportait la preuve que la cession des 11.821 parts sociales à l'euro symbolique aurait été réalisée à vil prix;

- or, cette preuve a été rapportée par deux experts agricoles et fonciers inscrits sur la liste des experts judiciaires prés la cour d'appel d'Amiens ;

- dans tous les cas, s'il n'était pas retenu que le prix de cession des parts d'associé en 2006 incluait le montant de compte courant d'associé, la cession serait nulle pour vil prix.

Il entend par ailleurs démontrer que l'exécution provisoire du jugement aurait des conséquences manifestement excessives en ce que sa situation financière ne lui permet pas d'exécuter la condamnation mise à sa charge.

En réponse, l'Earl [X] et M. [L] [X] concluent aux fins de voir :

- rejeter les demandes formulées par M. [R] [X] ;

- condamner M. [R] [X] à verser la somme de 1000 euros à l'Earl [X] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [R] [X] aux entiers dépens de l'instance.

L'Earl [X] et M. [L] [X] font valoir que les conditions cumulatives de l'article 514-3 du code de procédure civile ne sont pas remplies et contestent les éléments du rapport d'expertise judiciaire et de l'avis d'expert invoqués pas M. [R] [X].

Ils estiment en outre que M. [R] [X] ne démontre pas les conséquences manifestement excessives de l'exécution provisoire attachée au jugement frappé d'appel.

L'affaire ayant fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 25 janvier 2024, les parties ont développé oralement leurs écritures auxquelles il est renvoyé pour un exposé exhaustif des moyens de fait et de droit invoqués au soutien de leurs demandes.

SUR CE :

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 23/00118 et RG 23/00119 et de dire que la procédure se poursuivra sous le seul numéro RG 23/00118.

La cour d'appel d'Amiens est saisie d'un appel interjeté par M. [R] [X] à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin le 21 août 2023 et signifié le 8 septembre 2023, lequel est assorti de l'exécution provisoire.

L'article 514-3 du code de procédure civile dispose qu'en cas d'appel, le Premier Président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision, lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.

Il en découle que l'arrêt de l'exécution provisoire est subordonné à la réalisation des deux conditions cumulatives suivantes: la démonstration de l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision qui en est assortie et la justification de ce que l'exécution provisoire de cette décision risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.

Par acte sous seing privé en date du 17 août 1992, l' Earl [X] a été constitué pour une durée de 99 années à compter de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

Le capital social de 369.600 euros était divisé en 24.640 parts de 15 euros, réparties à concurrence de :

- 500 parts pour M. [L] [X]

- 497 parts pour Mme [O] [J] épouse [X]

- 11.822 parts pour [D] [X]

- 11.821 parts pour M. [R] [X]

M. [D] [X] a assuré la gérance jusqu'au 16 décembre 1999 avec [R] [X], co-gérant depuis le 1er Novembre 1997 qui a lui même démissionné de ses fonctions le 3 novembre 2005, la gérance étant assurée depuis par [L] [X].

Par ailleurs, M. [R] [X] a cédé la plus grande partie de ses parts sociales (11.321 parts) le 24 novembre 2006 à M. [L] [X] aux prix de un euro.

Suivant jugement en date du 17 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Saint-Quentin, a :

- autorisé le retrait de M. [R] [X] de l' Earl [X] ;

- dit que M. [R] [X] a droit au remboursement de ses droits sociaux évalués conformément à l'article 1843-4 du code civil ;

- condamné l'Earl [X] et M. [L] [X] à payer à M. [R] [X] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné l'Earl [X] et M. [L] [X] aux dépens.

Par ordonnance de référé en date du 4 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Saint-Quentin a désigné Mme [U] [B] en qualité d'expert, avec mission notamment de proposer une évaluation de l'Earl [X] et des droits sociaux de M. [R] [X] .

Pour mettre fin à leur différend, les parties se sont rapprochées et ont régularisé un protocole d'accord transactionnel le 12 décembre 2019.

Par assignation en date du 17 juin 2021, l'EARL [X], représentée par [L] [X], a sollicité la condamnation de [R] [X], son ancien associé, à lui rembourser le solde du compte courant débiteur ouvert à son nom dans les livres de la société.

Par assignation en intervention forcée en date du 3 mars 2022, [R] [X] a appelé en garantie [L] [X] et subsidiairement a demandé au tribunal d'annuler la cession au profit d'[L] [X] de 11.821 parts sociales intervenue en 2006, au prix d'un euro symbolique.

Pour condamner M. [R] [X] le tribunal judiciaire de Saint-Quentin retient aux termes du jugement frappé d'appel que : "il ressort des comptes annuels clos le 30 juin 2020, que le compte courant d'associé de [R] [X] est débiteur depuis cette date à hauteur de 197.246,78 euros, ce montant est en relation avec le solde débiteur de ce même compte sur la période antérieure à 2006 qui n'a pas été contesté et avec son évolution sur les exercices suivants."

Se fondant sur le rapport d'expertise de Mme [B] en date du 17 mai 2019 et l'avis de M. [Z] [I] en date du 2 mars 2022 qui concluent que l'estimation globale des parts sociales de M. [R] [X] à 1 euro en 2006 reposait sur le principe qu'il avait apuré l'intégralité de sa dette à l'égard de la société, M. [R] [X] s'est opposé aux demandes de l'Earl [X] et subsidiairement il a demandé que [L] [X] soit condamné à le garantir des condamnations prononcées à son encontre et encore plus subsidiairement à voir déclarer nulle la cession de parts des 11.821 parts numérotées de 12820 à 24640 intervenue suivant acte du 24 mars 2006 en raison de la nullité de la vente pour vil prix.

Pour écarter les contestations et demandes formées par M. [R] [X], le tribunal a indiqué que : " l'acte de cession du 24 mars 2006 justifie le prix de 1 euros compte tenu des difficultés que rencontre la société, des pertes de l'ordre de 11.000 euros au 31 janvier 2006, de la menace de suspension des concours de sa banque et de l'urgence de prendre des mesures de redressement, le prix convenu pour l'ensemble des parts cédées est de un euro (1€) symbolique par cédant, cette évaluation étant la même pour les 497 parts cédées par Mme [O] [J] et le 11.822 parts détenues par [D] [X] alors que la première n'avait pas de compte courant débiteur et que le second avait un compte courant débiteur de 18.062,70 euros."

Ainsi, les termes de l'acte de cession du 24 mars 2006 pourrait s'expliquer par l'abandon de tout recouvrement du compte d'associé débiteur de M. [R] [X], étant relevé qu'il disposait du plus grand nombre de parts cédées et que l'Earl [X] n'a pas poursuivi le recouvrement de sa créance avant l'assignation du 17 juin 2021, ce qui aurait pourtant concouru à son redressement, M. [R] [X] fondant sa contestation de la valeur des parts sociales en 2006 d'une part sur une expertise judiciaire et d'autre part sur un avis d'expert dont il ressort que la valeur des parts sociale en 2006 est évaluée à 15 euros à cette date soit un prix de 177.315 euros pour 11.821 parts cédées par M. [R] [X], l'expert estimant que le prix de 1 euros ne pouvait qu'inclure la prise en charge du compte courant d'associé au moins dans la proportion des parts cédées.

M. [L] [X] et l'Earl [X] répliquent que l'expert [B] a outrepassé sa mission alors qu'étant saisi d'une mission d'évaluation de la valeur de la société, sa mission à commencé en octobre 2018 et devait porter sur l'exercice clos au 30 juin 2018.

Or, cet argument, s'il peut éventuellement justifier de nommer un nouvel expert pour évaluer les parts en 2006, ne permet pas de dire que les moyens invoqués par M. [R] [X] sont dépourvus de caractère sérieux, le fait que les parents de [R] et [L] [X] aient accepté de céder leurs parts pour la valeur d'un euro symbolique ne pouvant être retenu comme la preuve du ce que cette valeur était la bonne, comme le prétendent M. [L] [X] et l' Earl [X], et ce en raison du caractère familial de l'exploitation et des relations entre les parties.

Ainsi, M. [R] [X] justifie de moyens sérieux de réformation du jugement dont appel.

Pour contester les conséquences manifestement excessives de l'exécution provisoire, M. [L] [X] de l' Earl [X] font valoir que le revenu fiscal de M. [R] [X] s'élève à 30.000 euros et qu'il dispose de la nue propriété d'un corps de ferme situé [Adresse 3] (02) de telle sorte qu'il n'existe pas d'impossibilité absolue d'exécuter la décision frappée d'appel, notamment par recours à un prêt ou dans le cadre de délais de paiement qui pourraient être accordés à l'appelant.

Or, le texte de l'article 514-3 du code de procédure civile n'exige pas que l'appelant rapporte la preuve d'une impossibilité absolue d'exécuter la décision frappée d'appel, ce dernier devant seulement démontrer que l'exécution risque d'entraîner pour lui des conséquences manifestement excessives.

M. [R] [X] démontre que son revenu fiscal de référence est de 19.108 eurs en 2020, 27.706 euros en 2021 et 27.690 euros en 2022, qu'il ne dispose d'aucune épargne et qu'il occupe le corps de ferme donné en nue propriété dont il ne peut disposer.

Ainsi, il est démontré que l'exécution de la décision le condamnant au paiement d'une somme avoisinant les 200.000 euros risque d'avoir pour lui des conséquences manifestement excessives.

En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande de M. [R] [X] et d'ordonner la suspension de l'exécution provisoire du jugement frappé d'appel.

M. [L] [X] de l' Earl [X] qui succombent seront condamnés aux dépens de la présente instance et ne sauraient prétendre pour des motifs d'équité au paiement d'une quelconque somme au titre de leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

Nous, Chantal Mantion, présidente de chambre déléguée par ordonnance de Madame la première présidente,

Ordonnons la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 23/00118 et RG 23/00119 qui se poursuivra sous le seul numéro RG 23/00118 ;

Ordonnons la suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement du tribunal judiciaire de Saint-Quentin en date du 21 août 2023 ;

Déboutons M. [L] [X] de l' Earl [X] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile;

Condamnons M. [L] [X] de l' Earl [X] aux dépens de la présente instance.