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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 12 février 2024, n° 23/03096

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

SBC (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocats :

Me Criquillion, Me Zakharova-Renaud, Me Jaunnard

T. com. Bordeaux, du 13 juin 2023, n° 20…

13 juin 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SARL AMHL est une société Holding qui détient l'intégralité des titres des sociétés HL 717, HL 765 et Ametrv.

Par acte sous-seing privé du 13 juin 2022, [Z] [F], [L] [R] épouse [F], [U] [F], [H] [F], [Y] [F], [O] [F] ( ci-après les consorts [F]) ont conclu avec la société SBC représentée par Monsieur [K] [D] un protocole de cession sous diverses conditions suspensives portant sur l'intégralité des titres composant le capital de la société AMHL.

Suite à la levée des différentes conditions suspensives prévues à la cession, les parties ont conclu le 5 Juillet 2022 un acte de cession des 850 actions composant l'intégralité du capital de la société AMHL moyennant un prix provisoire global de 5.270 239 euros payé comptant le jour de la signature de l'acte.

L'acte de vente stipulait que le prix définitif des titres cédés serait déterminé sur la base des capitaux propres de la société et des filiales à la date de cession des titres, après audit du cessionnaire et qu'en cas de désaccord des parties, celui-ci serait tranché par un expert-comptable choisi sur la liste des experts judiciaires inscrits près la cour d'appel de Bordeaux, étant précisé que 'dans l'éventualité où les parties ne pourraient procéder à une telle désignation [...], le tiers expert serait nommé par ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Bordeaux saisi comme en matière de référé, à la requête de la Partie la plus diligente'.

Une difficulté est survenue entre les parties concernant la détermination du prix définitif de la cession.

Par acte du 28 mars 2023, la société SBC a, fait assigner les consorts [F] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux pour que celui-ci, statuant en la forme des référés, et au visa du désaccord des parties quant à la détermination du prix définitif de cession, procède à la désignation d'un expert comptable avec pour mission de trancher les points litigieux relatifs à l'arrêté des bilans de cession tels qu'ils ont été établis au jour de l'inventaire de la cession.

Par ordonnance contradictoire du 13 juin 2023, le juge des référés a statué en référé comme suit :

- désignons M. [N] [C], [Adresse 10], en qualité d'expert, avec pour mission de :

- répondre à la question suivante : " le montant des prêts remboursés par la société Ametrv grâce au prix de cession des immeubles vendus par elle doit-il être déduit du prix de cession des titres de la société AMHL ' ",

- fixer le prix définitif des actions de la société AMHL en application de l'acte définitif de cession du 5 juillet 2022,

- disons qu'en cas d'empêchement, l'expert pourra être remplacé par ordonnance,

- fixons à 4 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert et disons que la provision est mise à charge pour moitié de la société SBC et des défendeurs qui devront à la consigner dans les 15 jours de la demande qui leur en sera faite par le greffier du tribunal, à défaut de quoi la décision d'expertise pourra être déclarée caduque,

- disons que la société SBC et les défendeurs supporteront à titre provisoire les frais de greffe liés au suivi de la mesure d'expertise,

- disons que l'expert devra débuter les opérations d'expertise à compter de la notification de la consignation de la provision qui lui en aura été faite par le greffier du tribunal,

- disons n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- disons que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

Les consorts [F] ont relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 29 juin 2023.

Par acte du 18 juillet 2023, les consorts [F] ont fait signifier à la société SBC leur déclaration d'appel.

L'affaire a été fixée à bref délai et l'ordonnance de clôture est intervenue le 11 décembre 2023.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 23 octobre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, [Z] [F], [L] [R] épouse [F], [U] [F], [H] [F], [Y] [F], [O] [F] demandent à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 481-1 du code de la procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 1592 du code civil,

Vu l'acte définitif de cession du 5 juillet 2022,

Vu la jurisprudence,

Vu les éléments de fait et de droit, produits aux débats,

- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 13 juin 2023 par le président du tribunal de commerce de Bordeaux, (RG 2023R00251), en ce qu'il a reçu l'action en référé de la société SBC et donné pour mission à Monsieur [N] [C] de répondre à la question suivante : « le montant des prêts remboursés par la société Ametrv grâce au prix de cession des immeubles vendus par elle doit-il être déduit du prix de cession des titres de la société AMHL ' »,

Statuant à nouveau, en la forme des référés, au visa de l'article 1592 du code civil,

- juger que la demande de la société SBC de désignation d'un tiers-expert formée devant le juge des référés sur le fondement de l'article 5.2 de l'acte définitif de cession est irrecevable,

- accueillir la demande d'expertise sur le fondement de l'article 1592 du code civil,

En conséquence,

- désigner Monsieur [N] [C], [Adresse 10], en qualité d'expert de l'article 1592 du code civil,

- fixer la mission de l'expert comme suit :

- fixer, conformément à l'article 1592 du code civil, le prix définitif de cession des actions de la société AMHL, à partir des accords des parties exprimés dans l'acte définitif de cession du 5 juillet 2022 (pièce 1) et par rapport aux comptes arrêtés au 30 juin 2022 es sociétés AMHL, HL 765 et HL 717 (pièces 9, 10 et 11),

- pour ce faire, trancher la question suivante : « le calcul du prix définitif de cession des actions de la société AMHL doit-il retenir le prix de l'immobilier pour le montant de 626 311 euros, tenant compte de la déduction du montant des prêts remboursés par la société Ametrv (235 689 euros), ou le prix de cession des immeubles doit-il être retenu forfaitairement à 862 000 euros comme stipulé page 8 de l'acte de cession du 5 juillet 2022 ' »,

- condamner l'intimée à payer aux appelants la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- condamner l'intimée aux entiers dépens, en ce compris les sommes prévues par les articles R. 444-3 et ses annexes, et A. 444-31 du code de commerce, portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale, ainsi que les distractions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Eugenie Criquillon, ajoutées en sus aux sommes auxquelles elle sera condamnée et laissées entièrement à sa charge.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 31 août 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société SBC, demande à la cour de:

Vu l'article 145 du code de procédure civile,

Vu l'article 546 du code de procédure civile,

Vu les articles 122 et s. du code de procédure civile,

Vu l'article 562 du code de procédure civile,

Vu l'article 901 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Vu le contrat de cession de titre en date du 5 juillet 2022,

Vu le désaccord des parties concernant la détermination du prix définitif de cession,

- limiter l'effet dévolutif de l'appel à la définition de la mission de l'expert,

En conséquence,

- constater l'absence d'effet dévolutif sur le fondement de la demande d'expertise,

- constater l'absence d'effet dévolutif sur la demande de frais et dépens des appelants rejetés en première instance,

- confirmer l'ordonnance du 13 juin 2023 du tribunal de commerce de Bordeaux statuant en référé en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'elle a :

- designé sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile M. [N] [C], en qualité d'expert, avec pour mission de :

- répondre à la question suivante : " le montant des prêts remboursés par la société Ametrv grâce au prix de cession des immeubles vendus par elle doit-il être déduit du prix de cession des titres de la société AMHL ' ",

- fixer le prix définitif des actions de la société AMHL en application de l'acte définitif de cession du 5 juillet 2022,

Y ajouter,

- condamner les consorts [F] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés en cause d'appel par elle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter les consorts [F] de leurs demandes contraires.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS

1- Dans le cadre de son assignation, la demanderesse avait sollicité du président du tribunal de commerce qu'il statue en la forme des référés. Puis dans le cadre de ses conclusions ultérieures, elle avait modifié le fondement juridique de sa demande demandant au président de statuer en référé, une procédure accélérée au fond ne pouvant être engagée en l'absence de texte prévoyant le recours à une telle procédure et devant donner lieu à un jugement et non à une ordonnance comme le stipulait le contrat.

2- Le président du tribunal a jugé qu'il ne pouvait statuer au fond et a statué en référé sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile constatant l'existence d'un motif légitime pour faire droit à cette demande d'organisation d'une mesure in futurum.

3- Les appelants font valoir que la volonté commune des parties était de désigner un expert-comptable, dont la mission relèverait de l'article 1592 du code civil, pour fixer le prix définitif de vente sans possibilité de recours par les parties et non de se préconstituer une preuve dans le cadre d'un futur procès. Ils soutiennent que le tribunal de commerce a par erreur statué en référé en ordonnant une expertise avant-dire droit. Les consorts [F] précisent qu'ils ne s'opposent pas à la désignation du tiers expert, mais demandent à la cour de juger que le président du tribunal de commerce de Bordeaux aurait dû rectifier le fondement juridique de la demande de désignation de l'expert formulée par la société SBC au visa de l'article 5.2 de l'acte définitif de cession afin de statuer « en la forme des référés » sur le fondement de l'article 1592 du code civil. A défaut de le faire, il aurait dû déclarer la demande irrecevable. En réponse à leur contradicteur, ils soutiennent que leur appel ne porte pas uniquement sur la mission de l'expert mais également sur le fondement juridique retenu par le premier juge.

4- L'intimée soutient que l'appel ne porte que sur la mission de l'expert aux termes de la déclaration d'appel formée par les appelants de sorte que le fondement de l'expertise ne pouvait plus être contesté. A titre subsidiaire, elle affirme que la clause contractuelle est confuse et doit être interprétée. Elle rappelle que le juge du fond ne peut être saisi d'une demande visant uniquement à voir ordonner une expertise. Elle maintient qu'il convient d'ordonner une expertise avant dire droit sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Sur ce :

sur l'effet dévolutif de l'appel :

5- La déclaration d'appel est ainsi libellée : l'appel tend à la réformation ou à l'annulation de l'ordonnance de référé rendue le 13 juin 2023 par le président du tribunal de commerce de Bordeaux ( RG 2023R00251) en ce qu'il a donné pour mission à M. [N] [C] de répondre à la question suivante : " le montant des prêts remboursés par la société Ametrv grâce au prix de cession des immeubles vendus par elle doit-il être déduit du prix de cession des titres de la société AMHL ''.

6- Le président du tribunal n'a pas précisé dans son dispositif qu'il rejetait la demande visant à voir statuer au fond, de sorte que les consorts [F] ne pouvaient faire figurer ce chef de la décision qu'il conteste dans leur déclaration d'appel. Dès lors, la demande de la société intimée visant à voir constater 'l'absence d'effet dévolutif de l'appel sur le fondement juridique de l'expertise' sera rejetée.

7- En revanche, l'intimée soutient à bon droit que l'effet dévolutif ne peut jouer pour la condamnation aux dépens et la condamnation prononcée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance. Cependant, l'appelante ne forme aucune demande de ce chef aux termes de ses dernières conclusions. Cette demande est donc sans objet.

sur le fond :

8- L'acte de cession stipule en page 12 et 13 :

Le prix définitif Titres Cédés (le « Prix Définitif '') sera déterminé sur la base des Capitaux Propres de la Société et des Filiales à la date de cession des Titres (les « Capitaux Propres de Cession ''), après audit du Cessionnaire :

- si les Capitaux Propres de Cession sont supérieurs aux Capitaux Propres de Référence, le Prix Provisoire fera l'objet d'une variation à la hausse d'un montant égal à la différence entre le montant des Capitaux Propres de Cession et celui des Capitaux Propres de Réference (Le « Complément de Prix '') ;

- si les Capitaux Propres de Cession sont inférieurs aux Capitaux Propres de Référence, le Prix Provisoire fera l'objet d'une variation à la baisse d'un montant égal à la différence entre le montant des Capitaux Propres de Réference et celui des Capitaux Propres de Cession,

- qu'en cas de désaccord des parties, celui-ci serait tranché par un expert-comptable choisi sur la liste des experts judiciaires inscrits près la cour d'appel de Bordeaux,

- 'dans l'éventualité où les parties ne pourraient procéder à une telle désignation [...], le tiers expert serait nommé par ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Bordeaux saisi comme en matière de référé, à la requête de la Partie la plus diligente'.

Dans l'éventualité où les parties ne pourraient procéder à une telle désignation ou si ce tiers refusait d'exercer cette fonction ou se trouvait empêché, le tiers expert serait nommé par ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Bordeaux saisi comme en matière de référé, à la requête de la Partie la plus diligente .

La mission de cet expert sera de trancher le ou les points litigieux relativement à l'arrêté des bilans de cession qui seront établis au jour de l'inventaire de cession.

Il devra remettre son rapport aux Cédants et au Cessionnaire au plus tard trente (30) jours après la date de sa saisine.

Les conclusions de l'expert-comptable, auquel il est donné mandate d'intérêts communs, s'imposeront aux parties qui renoncent expressément à les contester, sauf erreur grossière ou erreur matérielle.

Les honoraires de ce mandataire commun seront partagés par moitié entre les parties qui s'y obligent.

9- Aux termes de l'article 1592 du code civil, il peut cependant être laissé à l'estimation d'un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l'estimation, il n'y a point de vente, sauf estimation par un autre tiers .

10- Aux termes de l'article 1843-4 :

I. ' Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

II. ' Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties. du code de commerce, dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa. L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.

11- En l'espèce, il ressort clairement de la clause susvisée, sans qu'il soit besoin de l'interpréter, que les parties, qui ont entendu confié l'évaluation du prix définitif à un tiers sans recours possible sauf erreur matérielle et grossière, se référaient de manière implicite mais nécessaire aux dispositions de l'article 1843-4 du code de commerce.

12- Dès lors, le président du tribunal de commerce n'avait pas compétence juridictionnelle pour désigner un expert par ordonnance de référé et a commis un excès de pouvoir.

13- La demande visant à voir ordonner la désignation d'un expert en référé sera en conséquence déclarée irrecevable et la décision de première instance sera infirmée de ce chef.

14- S'agissant de la demande formée par les appelants devant cette cour visant à voir statuer au fond, elle sera également déclarée irrecevable, celle-ci ne disposant pas davantage de la compétence juridictionnelle requise, sur appel d'une ordonnance de référé.

15- [Z] [F], [L] [R] épouse [F], [U] [F], [H] [F], [Y] [F], [O] [F] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.

16- Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Rejette la demande de la société intimée visant à voir constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel sur le fondement juridique de l'expertise,

Infirme la décision du président du tribunal de commerce de Bordeaux statuant en référé du 13 juin 2023,

et statuant à nouveau,

Déclare irrecevable la demande formée par la société SBC devant le juge des référés aux fins de désignation d'un expert judiciaire,

Déclare irrecevable la demande formée par [Z] [F], [L] [R] épouse [F], [U] [F], [H] [F], [Y] [F], [O] [F] visant à voir cette cour statuer au fond,

Renvoie les parties à mieux se pourvoir,

Y ajoutant,

Condamne in solidum [Z] [F], [L] [R] épouse [F], [U] [F], [H] [F], [Y] [F], [O] [F] aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.