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Décisions

Cass. crim., 13 mars 2024, n° 22-83.689

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Pauthe

Avocat général :

Mme Bellone

Avocats :

SCP Spinosi, SCP Piwnica et Molinié

Aix-en-Provence, ch. 5-1, du 30 mars 202…

30 mars 2022

Faits et procédure

1. Il résulte des arrêts attaqués et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 9 février 2009, le procureur de la République de Marseille a été informé par un correspondant anonyme de malversations susceptibles d'être imputées à M. [U] [F], président du conseil général des Bouches-du-Rhône et à son frère, M. [I] [F], entrepreneur spécialisé dans le traitement des déchets.

3. A la suite de l'enquête diligentée en exécution du soit-transmis du procureur de la République en date du 23 février 2009, une information a été ouverte, confiée à la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille, en considération des premiers éléments recueillis, mettant en lumière l'influence pouvant avoir été exercée par M. [I] [F] au sein des institutions du département et de diverses mairies ou communautés de communes des Bouches-du-Rhône au bénéfice de ses sociétés spécialisées dans le transport et le stockage de déchets, ainsi que l'existence de divers circuits financiers impliquant lesdites sociétés.

4. Il est ainsi apparu qu'à la faveur d'un protocole d'accord signé le 13 décembre 2000, l'entier capital de la société Somedis, détenu depuis 1996 par la société Sud [Localité 6] Assainissement, société créée en 1993 par M. [B] [A] et que M. [I] [F] avait rejointe en 1994, est passé aux mains de la société CGEA Onyx du groupe Veolia. La société cédée était bénéficiaire depuis 1999 d'une délégation de service public pour l'exploitation du site d'enfouissement de déchets de [Localité 10], sis à [Localité 5] (13), exploité par le syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères de la [Localité 1] (ci-après Sitom BVA). Le prix convenu était composé d'une partie fixe, à hauteur de 6 820 206 euros, correspondant à la valorisation des titres de la société Somedis, et d'une partie variable, liée à l'augmentation effective de la capacité d'accueil du site, finalement arrêtée à 26 544 404 euros. Les investigations menées relativement à la fixation de la seconde partie du prix ont mis en évidence que sa majoration aurait été la contrepartie de l'influence exercée par M. [I] [F] auprès des élus, membres du Sitom BVA, à l'effet d'obtenir une augmentation du volume d'activité autorisée.

5. M. [I] [F] a été mis en examen du chef de trafic d'influence passif commis par un particulier et, en suite de l'analyse des transferts consécutifs au versement de la deuxième partie du prix de cession, du chef de blanchiment à titre habituel ou en bande organisée du produit de ce délit.

6. En 2001, ce dernier a créé une société anonyme SMA Environnement (ci-après SMA E) dont il a été le principal actionnaire jusqu'en 2007. M. [V] [Z] en a été le président directeur général jusqu'au 22 septembre 2010, à la faveur d'une augmentation de capital opérée par le truchement de la société IMMO G, société d'investissement luxembourgeoise dans laquelle M. [I] [F] était intéressé.

7. A la suite de la résiliation de la délégation de service public détenue par la société Somedis, une nouvelle procédure d'appel d'offres a été lancée courant 2005 par la communauté d'agglomération de Salon-de-Provence (Agglopole Provence) ayant succédé au Sitom BVA. Le cabinet Bonnard et Gardel, en la personne de son représentant local, M. [P] [N], a été chargé d'établir le rapport d'analyse des offres. La société SMA E s'est vu attribuer la nouvelle délégation de service public par le biais d'une société SMA [Localité 10], nouvellement créée, dont M. [I] [F] était gérant salarié et dont le capital était intégralement détenu par ses sociétés SMA E et SMA Développement.

8. M. [N] a été mis en examen du chef d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics résultant de l'insertion dans son rapport d'analyse, à la demande de M. [L], responsable technique au sein de la communauté d'agglomération, d'un critère de conformité au plan départemental d'élimination des déchets.

9. Parallèlement, M. [I] [F] a étendu les activités de la société SMA E à la gestion de décharges en obtenant le 5 juillet 2004, conjointement avec la société Coved, l'attribution d'un marché d'aménagement et d'exploitation du centre d'enfouissement de déchets du [Localité 7] situé sur le territoire de la commune de [Localité 4] (13) par la communauté d'agglomération [Localité 2] [Localité 3] [Localité 8] (GHB) à laquelle la communauté d'agglomération du pays d'Aubagne et de l'Etoile (CAPAE) a succédé le 1er janvier 2007.

10. Le terrain dit « [Adresse 9] », voisin du site du [Localité 7], acquis par le département des Bouches-du-Rhône, est entré dans le domaine de la communauté d'agglomération GHB à la faveur de la cession autorisée par délibération du conseil général en date du 2 juin 2006, à une époque où la société SMA E était déjà attributaire des marchés d'aménagement et d'exploitation du site.

11. Ces faits ont conduit à la mise en examen du chef de prise illégale d'intérêt de M. [U] [F], lequel aurait pris part au sein du conseil général à la commission permanente ayant, sur rapport préalable signé de sa main et sous sa présidence, pris la décision d'autoriser ladite cession, et à celle de M. [I] [F] et de la société SMA E du chef de recel de ce délit.

12. De plus, le site du [Localité 7] aurait accueilli des déchets privés qui ne relevaient pas de la responsabilité de la CAPAE ou de la Métropole Provence Méditerranée (MPM) et qui auraient été facturés aux entreprises qui les apportaient.

13. Pour ces faits, après avoir été mis en examen du chef de détournement de bien public, MM. [I] [F] et [Z] et la société SMA E ont été finalement renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs d'abus de confiance tandis que M. [J] [G], président de la CAPAE au moment des faits, a été renvoyé du chef de complicité d'abus de confiance.

14. Enfin, le 30 mai 2011, M. [T] [H], directeur de cabinet du président du conseil général des Bouches-du-Rhône, qui avait procédé à la destruction de plusieurs ordinateurs la veille de la perquisition effectuée par les gendarmes dans les locaux du conseil général, a été mis en examen du chef de destruction de documents ou d'objets de nature à faciliter la découverte d'un délit ou la recherche de preuves.

15. Dans le courant de l'information judiciaire, le 29 février 2012, l'avocat de M. [U] [F] a déposé une requête aux fins d'annulation de sa mise en examen.

16. Le 12 août 2014, l'avocat de M. [U] [F] a déposé une nouvelle requête aux fins de voir prononcer la nullité, notamment, de son interrogatoire du 13 février 2014.

17. Par ordonnance du 17 janvier 2020, le juge d'instruction a décidé le renvoi devant la juridiction de jugement des personnes mises en examen, parmi lesquelles, notamment, M. [I] [F] des chefs de trafic d'influence passif par un particulier, blanchiment à titre habituel, recel de prise illégale d'intérêts, abus de confiance, abus de biens sociaux, M. [U] [F] du chef de prise illégale d'intérêts, la société SMA E des chefs de recel de prise illégale d'intérêts et abus de confiance, M. [Z] du chef d'abus de confiance, M. [G] des chefs de complicité d'abus de confiance, faux et usage de faux, M. [N] du chef de favoritisme et M. [H] du chef de destruction de preuves d'un crime ou d'un délit.

18. Par jugement du 28 mai 2021, le tribunal correctionnel a relaxé M. [Z], a déclaré M. [H] coupable des faits reprochés et l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, a relaxé M. [G] des faits de complicité d'abus de confiance, l'a déclaré coupable du surplus de la prévention et l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d'amende.

19. Le tribunal a également relaxé M. [I] [F] du chef d'abus de confiance, l'a déclaré coupable pour le surplus des faits de la prévention, l'a condamné à six ans d'emprisonnement et, à titre de peines complémentaires, a prononcé cinq ans d'interdiction de gérer et cinq ans de privation des droits civiques et civils et ordonné une mesure de confiscation.

20. Il a relaxé la société SMA E des faits d'abus de confiance et l'a déclarée coupable des faits de recel, l'a condamnée à 200 000 euros d'amende, deux ans d'exclusion des marchés publics et ordonné la confiscation de la somme de 4 000 000 euros saisie sur le compte ouvert à son nom à la Société marseillaise de crédit.

21. Les premiers juges ont également déclaré M. [U] [F] coupable de prise illégale d'intérêts et l'ont condamné à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 30 000 euros d'amende et cinq ans de privation de ses droits civiques et civils avec exécution provisoire.

22. Ils ont enfin déclaré M. [N] coupable des faits reprochés et l'ont condamné à dix mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende.

23. Sur l'action civile, le tribunal a déclaré recevable la constitution de partie civile de Métropole Aix-Marseille-Provence (Métropole AMP) venant aux droits de la communauté urbaine MPM, de la CAPAE et d'Agglopole Provence, l'a déboutée de ses demandes formulées à l'encontre de MM. [I] [F], [Z] et [G] pour les faits d'abus de confiance et complicité en raison des relaxes intervenues, et a condamné M. [I] [F] et M. [N] à lui payer diverses sommes.

24. Il a également déclaré recevable la constitution de partie civile du département des Bouches-du-Rhône, a condamné MM. [U] et [I] [F], la société SMA E et M. [H] à payer à cette partie civile diverses sommes.

25. Le tribunal a par ailleurs déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association Anticor, la déboutant cependant de l'ensemble de ses demandes.

26. Les juges du premier degré ont enfin déclaré recevable la constitution de partie civile des sociétés Paprec CRV, venant aux droits de la société ISS Environnement, et Coved, ont condamné M. [N] à payer à chacune d'elles la somme de 2 547 820,16 euros en réparation du préjudice matériel et rejeté le surplus de leurs demandes.

27. MM. [H], [I] [F], [N] et [U] [F] ont relevé appel de ce jugement, ainsi que, d'une part, le procureur de la République, à titre incident contre ces derniers et à titre principal contre les relaxes intervenues du chef d'abus de confiance et complicité d'abus de confiance, et, d'autre part, Métropole AMP, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, et l'association Anticor.

Déchéance du pourvoi formé par M. [H]

28. M. [H] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour M. [U] [F], dirigé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction du 4 juillet 2012

29. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen proposé pour M. [U] [F], dirigé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction du 16 septembre 2015

30. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale

Sur les troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième, huitième, et neuvième moyens proposés pour M. [U] [F], les premier, deuxième, troisième, cinquième et sixième moyens, le septième moyen, pris en sa première branche, les huitième, onzième, douzième, treizième et quatorzième moyens proposés pour M. [I] [F] et la société SMA E, les premier, deuxième, troisième et cinquième moyens proposés pour M. [N], le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses deuxième, quatrième et sixième branches, et les quatrième et sixième moyens proposés pour M. [G], les premier et deuxième moyens, le troisième moyen, pris en sa troisième branche, le quatrième moyen, pris en sa première branche, les cinquième et septième moyens proposés pour M. [Z], les premier et second moyens, pris en leurs première et deuxième branches, proposés pour les sociétés Paprec CRV et Coved et les premier et second moyens proposés pour Métropole AMP, tous dirigés contre l'arrêt du 30 mars 2022

31. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le quatrième moyen proposé pour M. [I] [F] et la société SMA E

Enoncé du moyen

32. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [F] coupable de blanchiment de trafic d'influence aggravé par la circonstance d'habitude, alors « que la circonstance aggravante d'habitude suppose l'existence de plusieurs clients et de plusieurs opérations distinctes, qu'il n'y a pas habitude en présence d'une infraction d'origine unique ; qu'en énonçant que « le fait que les fonds proviennent d'une seule infraction ne fait pas obstacle à la nature habituelle du blanchiment dès lors que se sont succédé des opérations », la cour d'appel a méconnu les articles 324-1 et 324-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour

33. Pour déclarer M. [I] [F] coupable de blanchiment d'habitude du produit de l'infraction de trafic d'influence passif commis par un particulier, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé qu'en décembre 2005, M. [A] a transféré à M. [F] la première partie du prix de cession de la société Somedis à CGEA Onyx, soit 3,5 millions d'euros, vers un compte suisse et a procédé, pour la seconde partie du prix de la cession, d'environ 20 millions d'euros, à plusieurs retraits en espèces en présence de M. [F] qui les a encaissés sur un compte ouvert à son nom auprès de la même banque sans opérer, par souci de discrétion, de virement de compte à compte, ces fonds ayant ensuite circulé à travers un montage de comptes associés à des sociétés fictives et des comptes de prête-nom, énonce que les fonds issus de la cession de la société Somedis sont passés successivement sous de fausses mentions de retraits et de dépôts fractionnés sur des comptes ouverts auprès de Natixis Bank Luxembourg, puis sur les comptes de sociétés off-shore Jill Management, Vanille et Kawai, dont M. [I] [F] était le bénéficiaire économique.

34. Les juges déduisent le caractère habituel du blanchiment de la pluralité d'opérations de conversion des fonds qui sont le produit direct du délit de trafic d'influence et du délit de blanchiment.

35. Ils soulignent que le fait que le délit d'origine soit unique ne fait pas obstacle au caractère habituel du blanchiment, qu'il ressort de l'information judiciaire que, sur la période du 10 décembre 2002 à courant 2006, M. [I] [F] a eu recours à dix comptes bancaires ouverts auprès de banques différentes, faisant intervenir huit sociétés écrans, et utilisé des comptes ouverts aux noms de tiers pour effectuer des transferts de fonds.

36. Ils ajoutent que le schéma ainsi mis en place de comptes bancaires ouverts à son nom ou au nom de sociétés offshore sises à Panama ou aux Iles Vierges Britanniques, dont les titulaires ou bénéficiaires économiques étaient lui-même ou des prête-noms, lui garantissait, par son opacité, l'anonymat et la dissimulation de l'origine frauduleuse des fonds.

37. Les juges considèrent que le mode opératoire pérenne, organisé avec le concours de banquiers, permettait à son auteur de faire circuler les fonds à travers de multiples transferts, d'opérations diverses, sous la forme de retraits en espèces, de transactions, de prise de participation, d'achats de titres et de chevaux de course, de règlement de commissions officieuses, comme de financer son train de vie et celui de sa famille, soit autant d'opérations de placement, de conversion et de dissimulation qui, par leur caractère répété et régulier dans le temps, pendant quatre années, caractérisent un comportement délictueux habituel, au sens de l'article 324-2 du code pénal.

38. En l'état de ces énonciations, dont il résulte que M. [I] [F] a réalisé de multiples opérations de conversion et de dissimulation du produit du trafic d'influence commis par lui, ce qui suffit à caractériser la circonstance aggravante d'habitude liée à la commission du blanchiment, peu important que les fonds blanchis proviennent d'un unique délit, la cour d'appel n'a pas méconnu les textes visés au moyen.

39. Dès lors, le moyen sera écarté.

Sur le septième moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches, proposé pour M. [I] [F] et la société SMA E, le deuxième moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches, et le cinquième moyen proposés pour M. [G], le troisième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, et le sixième moyen proposés pour M. [Z]

Enoncé des moyens

40. Le moyen proposé pour M. [I] [F] et la société SMA E critique l'arrêt attaqué en ce qu'il les a déclarés coupables d'abus de confiance, alors :

« 2°/ que l'abus de confiance ne peut pas porter sur un bien immobilier ; que la cour d'appel qui a retenu l'abus de confiance d'un bien immobilier, a méconnu le principe d'interprétation stricte du droit pénal, les articles 6 et 7 de la convention européenne des droits de l'homme, 111-4 et 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que les revirements de jurisprudence in defavorem ne peuvent pas rétroagir aux faits commis antérieurement ; qu'il était impossible pour les prévenus de prévoir, au moment de la commission des faits reprochés, de 2007 à 2010, que l'abus de confiance pourrait éventuellement être étendu au bien immeuble au regard d'un arrêt intervenu plusieurs années après et sur une infraction différente ; qu'en étendant le champ d'application de l'infraction d'abus de confiance au bien immeuble, la cour d'appel a méconnu le principe de non-rétroactivité et les dispositions susvisées ;

4°/ que l'abus de confiance est caractérisé par un « détournement » ; que la cour d'appel a retenu qu' « il n'y a pas eu, comme le soutient la défense des prévenus, un détournement » ; qu'en entrant cependant en voie de condamnation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a méconnu les dispositions susvisées ;

5°/ que l'abus de confiance est le fait de détourner « au préjudice d'autrui » ; que la cour d'appel qui a constaté l'absence de préjudice ne pouvait pas entrer en voie de condamnation et a de nouveau méconnu les dispositions susvisées. »

41. Le deuxième moyen proposé pour M. [G] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité, par aide ou assistance, du délit d'abus de confiance commis par MM. [I] [F], [Z] et la société SMA E, alors :

« 1°/ que l'abus de confiance ne peut porter sur l'utilisation abusive d'un immeuble ; qu'en l'espèce, en déclarant M. [G] coupable de complicité d'un abus de confiance ayant consisté prétendument dans l'utilisation abusive d'un bien immobilier, à savoir le centre de [Localité 7], la cour d'appel a violé l'article 314-1 du code pénal, ensemble l'article 121-7 de ce code ;

3°/ que l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter, ou d'en faire un usage déterminé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui a constaté qu'il n'y avait pas eu détournement au sens de dissipation du terrain et de ses aménagements ou de destruction de ceux-ci, ni de changement d'affectation des lieux, a, en déclarant néanmoins M. [G] coupable de complicité d'un abus de confiance inexistant, violé l'article 314-1 du code pénal ensemble l'article 121-7 de ce code ;

5°/ que le préjudice est un élément constitutif du délit d'abus de confiance ; qu'en retenant, pour déclarer M. [G] coupable de complicité de ce délit, que le préjudice de la victime n'est pas un élément constitutif de l'infraction et écarter en conséquence le moyen selon lequel l'enfouissement de déchets non prévus au marché n'a causé aucun préjudice à la collectivité dans la mesure où il s'agissait de compenser un déficit de tonnage par rapport aux prévisions initiales, au motif que ce moyen serait indifférent à la caractérisation du délit d'abus de confiance, la cour d'appel a violé l'article 314-1 du code pénal ensemble l'article 121-7 de ce code. »

42. Le cinquième moyen proposé pour M. [G] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité d'abus de confiance, alors « que ne relèvent pas d'une infraction susceptible d'être poursuivie à la date de leur commission les faits poursuivis qui n'entrent dans les prévisions de cette infraction que par l'effet d'une jurisprudence postérieure qui n'était alors pas prévisible ; qu'en l'espèce, où la poursuite visait des faits commis entre 2007 à 2010, période à laquelle l'abus de confiance ne pouvait pas porter sur un bien immobilier ce que la jurisprudence contemporaine avait confirmé (Crim. 14 janvier 2009, pourvoi n° 08-83.707), la cour d'appel qui a néanmoins retenu l'existence d'une telle infraction en étendant pour ce faire le champ d'application de l'infraction d'abus de confiance aux immeubles en considération d'un arrêt de la Cour de cassation en date du 28 septembre 2016 qui a jugé pour la première fois qu'un immeuble est un bien quelconque par nature au sens de l'article 313- 1 du code pénal relatif à l'escroquerie, a méconnu le principe de non rétroactivité de la loi pénale ensemble les articles 6 et 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 et 314-1 du code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

43. Le troisième moyen proposé pour M. [Z] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré celui-ci coupable des faits d'abus de confiance alors :

« 1°/ que l'abus de confiance ne peut porter sur l'utilisation abusive d'un immeuble ; qu'en l'espèce, en déclarant M. [Z] coupable d'abus de confiance pour avoir prétendument utilisé abusivement un bien immobilier, à savoir le centre de [Localité 7], la cour d'appel a violé l'article 314-1 du code pénal ;

2°/ l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter, ou d'en faire un usage déterminé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui a constaté qu'il n'y avait pas eu détournement au sens de dissipation du terrain et de ses aménagements ou de destruction de ceux-ci, ni de changement d'affectation des lieux, a, en déclarant néanmoins M. [Z] coupable des faits d'abus de confiance qui lui étaient reprochés, violé l'article 314-1 du code pénal ;

4°/ que le préjudice est un élément constitutif du délit d'abus de confiance ; qu'en retenant, pour déclarer M. [Z] coupable de ce délit, que le préjudice de la victime n'est pas un élément constitutif de l'infraction et écarter en conséquence le moyen selon lequel l'enfouissement de déchets non prévus au marché n'a causé aucun préjudice à la collectivité dans la mesure où il s'agissait de compenser un déficit de tonnage par rapport aux prévisions initiales, au motif que ce moyen serait indifférent à la caractérisation du délit d'abus de confiance, la cour d'appel a violé l'article 314-1 du code pénal. »

44. Le sixième moyen proposé pour M. [Z] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré ce dernier coupable des faits d'abus de confiance, alors « que ne relèvent pas d'une infraction susceptible d'être poursuivie à la date de leur commission les faits poursuivis qui n'entrent dans les prévisions de cette infraction que par l'effet d'une jurisprudence postérieure qui n'était alors pas prévisible ; qu'en l'espèce, où M. [Z] était poursuivi pour des faits commis entre 2007 à 2010, période à laquelle l'abus de confiance ne pouvait pas porter sur un bien immobilier ce que la jurisprudence contemporaine avait confirmé (Crim. 14 janvier 2009, pourvoi n° 08-83.707), la cour d'appel qui l'a néanmoins retenu dans les liens de la prévention de ce chef, en étendant pour ce faire le champ d'application de l'infraction d'abus de confiance aux immeubles en considération d'un arrêt de la Cour de cassation en date du 28 septembre 2016 qui a jugé pour la première fois qu'un immeuble est un bien quelconque par nature au sens de l'article 313-1 du code pénal relatif à l'escroquerie, a méconnu le principe de non-rétroactivité de la loi pénale ensemble les articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 et 314-1 du code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

45. Les moyens sont réunis.

46. Selon l'article 314-1 du code pénal, l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé.

47. La Cour de cassation juge que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens quelconques à l'exclusion d'un immeuble (Crim., 10 octobre 2001, pourvoi n° 00-87.605, Bull. crim. 2001, n° 205).

48. Cette jurisprudence a suscité des controverses doctrinales qui justifient un nouvel examen.

49. Il ressort des travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption du nouveau code pénal que la notion de bien quelconque, participant à la définition de l'objet de la remise, condition préalable à la commission du délit d'abus de confiance, au sens du texte précité, doit s'entendre de tout bien, meuble ou immeuble.

50. La Cour de cassation étend cette notion à tout bien susceptible d'appropriation, en ce compris les biens incorporels ou immatériels. Par exemple, entrent dans cette catégorie le numéro de carte bancaire (Crim., 14 novembre 2000, pourvoi n° 99-84.522, Bull. crim. 2000, n° 338), la connexion internet mise à disposition des salariés au titre de leur activité professionnelle (Crim., 19 mai 2004, pourvoi n° 03-83.953, Bull. crim. 2004, n° 126), le temps de travail de salariés utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles ils perçoivent une rémunération (Crim., 19 juin 2013, pourvoi n° 12-83.031, Bull. crim. 2013, n° 145).

51. Le législateur a recouru à cette même notion dans la définition de l'escroquerie, quant à son objet qui, aux termes de l'article 313-1 du code pénal, peut porter sur des valeurs ou un bien quelconque. Après avoir posé, sous l'empire de l'article 405 de l'ancien code pénal, le principe selon lequel un immeuble ne peut être l'objet d'une escroquerie (Crim., 15 juin 1992, pourvoi n° 91-86.053, Bull. crim. 1992, n° 235), la Cour de cassation, faisant application du nouveau texte, juge désormais qu'un immeuble, étant un bien au sens de ce texte, peut constituer l'objet du délit (Crim., 28 septembre 2016, pourvoi n° 15-84.485, Bull. crim. 2016, n° 254). Cette décision s'inscrit dans le prolongement d'une jurisprudence antérieure et ancienne admettant, en dépit du principe d'exclusion des immeubles, que le délit peut porter indirectement sur un tel bien, soit que la remise concerne son prix dont la valeur a été surestimée en raison des manoeuvres frauduleuses, soit qu'elle porte sur des titres de propriété ou de constitution des droits réels s'y rapportant.

52. Enfin, l'acte de détournement, constitutif de l'infraction d'abus de confiance, peut résulter d'une utilisation du bien à des fins étrangères à celles qui avaient été convenues, lorsque cet usage implique la volonté du possesseur de se comporter, même momentanément, comme le propriétaire du bien (Crim., 13 février 1984, pourvoi n° 82-94.484, Bull. crim. 1984, n° 49).

53. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il convient désormais de juger que l'abus de confiance peut porter sur un bien quelconque en ce compris un immeuble.

54. En l'espèce, pour déclarer M. [I] [F], M. [Z] et la société SMA E coupables d'abus de confiance et M. [G] de complicité d'abus de confiance, l'arrêt attaqué énonce que les recettes issues de la facturation, hors marché, du coût de l'enfouissement par la société SMA E aux sociétés privées spécialisées dans le tri des rejets de tri apportés sur le centre du [Localité 7] représentent en réalité un transfert du coût de l'enfouissement de ces déchets sur les exploitants de centres de tri, qu'une très grande partie des déchets issus des rejets de centres de tri apparaît issue d'apporteurs extérieurs aux collectivités concernées de sorte qu'une large partie des recettes encaissées par la société SMA E l'a été au titre d'une activité non autorisée par le marché n° 05/04 et par les arrêtés d'exploitation.

55. Les juges soulignent qu'en organisant de manière systématique pour le compte de la société SMA E et à leur seul bénéfice une exploitation privative du site et en formalisant des accords avec des apporteurs de déchets dont l'origine indéterminée était manifestement extérieure aux collectivités territoriales concernées, qui en supportaient la charge financière, MM. [I] [F] et [Z], agissant pour le compte de ladite société, se sont comportés comme les propriétaires des terrains et des infrastructures du site du [Localité 7], alors que la société n'était qu'une prestataire, titulaire d'un droit d'exploiter un terrain et ses aménagements, encadré par le marché public et les arrêtés préfectoraux d'exploitation.

56. Les juges relèvent que s'il n'y a eu ni dissipation du terrain et de ses aménagements ni destruction de ceux-ci ni changement d'affectation des lieux, les collectivités concernées peuvent légitimement déplorer que l'enfouissement d'une très importante quantité de déchets industriels et de rejets de centres de tri d'origine extérieure à elles a participé de la diminution du volume d'enfouissement en réduisant de manière irréversible le « vide de fouille » et, par voie de conséquence, la durée d'utilisation de l'ouvrage.

57. Ils observent qu'une décharge arrivée à saturation doit être abandonnée après recouvrement de la surface de couches de terre et de végétaux et ne peut donc plus être utilisée pendant des décennies, sauf à constituer un espace naturel ouvert au public, nécessitant ainsi pour les collectivités concernées de trouver un nouveau lieu d'enfouissement et d'y consacrer d'importants investissements.

58. Ils ajoutent que l'assertion selon laquelle l'enfouissement de déchets non prévus au marché n'aurait causé aucun préjudice à la collectivité, dans la mesure où il s'agissait, selon les prévenus, de ne compenser qu'un déficit de tonnage par rapport aux prévisions initiales, est indifférente à la caractérisation du délit d'abus de confiance, le préjudice de la victime n'étant pas un élément constitutif de l'infraction, et que le fait que les instances dirigeantes de la CAPAE ayant succédé à la communauté d'agglomération GHB aient laissé sciemment perdurer cette situation, au lieu d'y remédier, ne saurait faire disparaître le caractère délictueux des faits.

59. En l'état de ces énonciations, qui ne souffrent d'aucune insuffisance ni dénaturation des termes du marché liant la société SMA E à la CAPAE, la cour d'appel n'a pas méconnu les textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

60. En premier lieu, le revirement de jurisprudence énoncé au paragraphe 53 ne méconnaît pas le principe consacré par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle à la condition qu'elle ne soit pas imprévisible. Or les demandeurs avaient la possibilité de s'entourer de conseils appropriés et, de surcroît, étaient des professionnels habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur activité, et notamment dans l'évaluation des risques qu'elle comporte. Ils ne sauraient invoquer le droit à une jurisprudence figée interdisant d'étendre le champ d'application de l'article 314-1 du code pénal au détournement d'un immeuble, la Cour de cassation s'étant, par plusieurs arrêts antérieurs aux faits poursuivis, engagée dans le sens d'un élargissement de la conception de l'objet détourné.

61. En deuxième lieu, l'exploitation à laquelle se sont livrés les prévenus en marge du marché liant la société SMA E aux collectivités concernées a consisté en une utilisation du site non conforme au cahier des clauses techniques particulières dont il est résulté une réduction, à leur insu et en fraude de leurs droits, des capacités d'enfouissement résiduelles du site qu'elles avaient remis à titre précaire, portant ainsi atteinte de façon irrémédiable à l'utilité de l'immeuble. Est ainsi caractérisé un usage abusif de l'immeuble qui, traduisant la volonté manifeste des prévenus de se comporter, même momentanément, comme propriétaires, s'analyse en un détournement entrant dans le champ de l'article 314-1 du code pénal.

62. En troisième lieu, si c'est à tort que la cour d'appel a retenu que le préjudice n'est pas un élément constitutif du délit d'abus de confiance, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que l'existence d'un préjudice, qui peut n'être qu'éventuel, se trouve nécessairement incluse dans la constatation du détournement.

63. Dès lors les moyens ne sauraient être accueillis.

Sur le neuvième moyen proposé pour M. [I] [F] et la société SMA E

Enoncé du moyen

64. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [F] à la peine de confiscation de différentes sommes portées au crédit de différents comptes, alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent prononcer la peine de confiscation qu'après s'être assurés du caractère confiscable du bien, après avoir précisé la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, après s'être expliqués sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte ainsi portée au droit de propriété du prévenu ; que pour condamner M. [F] à des confiscations portant sur différentes sommes, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que « la peine de confiscation des sommes suivantes est encourue par M. [I] [F] au titre de la confiscation du produit direct ou indirect de l'infraction d'abus de biens sociaux commis au préjudice de la société SMA Environnement, de celle de trafic d'influence commis par un particulier, de celle de blanchiment à titre habituel en application de l'article 131-21 alinéa 3 du code pénal, mais également, au titre de la confiscation des biens de la personne condamnée prévue pour les faits de blanchiment, en application des articles 324-7 12°, 131-6 10° et 131-21 alinéa 5 du code pénal dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce » ; qu'en se prononçant par une motivation d'ordre général sans préciser, pour chacune des sommes énumérées, l'origine des biens confisqués et le fondement de la mesure, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision, et a méconnu les articles 132-1 du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'article 433-23 du code pénal dispose que la confiscation « des sommes ou objets irrégulièrement reçus par l'auteur de l'infraction, à l'exception des objets susceptibles de restitution », peut être prononcée dans les cas prévus à l'article 433-2 du code pénal, dans sa rédaction alors en vigueur ; qu'il en résulte que le produit du délit de trafic d'influence correspond au montant de l'avantage obtenu pour avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité publique une décision favorable ; que la cour d'appel a condamné le prévenu à la confiscation d'une somme totale de près de 9 millions d'euros en se bornant à énoncer que la confiscation est encourue au titre du produit direct ou indirect du trafic d'influence commis par un particulier et du blanchiment de ce délit, sans préciser sur quelles sommes exactes portait cette mesure et sans avoir pris en considération, comme elle y était pourtant invitée par les conclusions du prévenu, le fait que le produit du trafic d'influence prétendument commis dans le cadre de la vente pour avoir obtenu une majoration d'une partie du prix de vente en échange de son influence dans la réalisation de la condition suspensive, ne pouvait être assimilé à la totalité du produit de la vente, mais ne résultait que de la seule majoration alléguée du prix de la vente en échange de l'abus d'influence ; qu'en se déterminant sur le fondement de motifs imprécis ne permettant pas d'établir que le montant des sommes confisquées, n'excédait pas le montant du produit du trafic d'influence et du blanchiment de ce délit, lequel ne pouvait excéder la somme de 2 159 440 euros, correspondant à la majoration de la partie variable du prix de la vente en échange de son influence, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 132-21 alinéa 3, 433-2, 433-23 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

65. Le moyen est inopérant dès lors qu'il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que les confiscations qu'il critique ont notamment été prononcées en application des dispositions de l'article 324-7, 12 °, du code pénal et que la cour d'appel a contrôlé le caractère proportionné, au regard de la gravité concrète des faits et de la situation personnelle du condamné, de l'atteinte portée au droit au respect des biens de ce dernier.

Mais sur le troisième moyen proposé pour M. [G], le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [Z] et le quinzième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [I] [F] et la société SMA E

66. Le moyen proposé pour M. [G] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné à payer à Métropole Aix-Marseille-Provence la somme de 88 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel résultant des faits de complicité d'abus de confiance, alors que :

« 1°/ seul peut donner lieu à réparation un préjudice actuel et certain, résultant directement de l'infraction ; qu'en l'espèce, où elle a constaté que la Métropole a décidé de ne pas poursuivre l'exploitation du CDSU, laissant inutilisé 176 500 m3 de vide de fouilles, ce dont il résulte que la perte prétendue du « vide de fouille » reproché aux prévenus ne lui a causé aucun préjudice actuel et certain, la cour d'appel qui a cependant condamné M. [G] à payer à la Métropole la somme de 88.000 € au titre du préjudice matériel résultant prétendument de cette perte a violé les articles 2 du Code de procédure pénale ;

2°/ ayant évalué à 1 760 000 € le montant propre à indemniser le préjudice matériel subi par la Métropole du fait de la perte du vide de fouille résultant de l'infraction poursuivie, la cour d'appel qui, après avoir condamné M. [Z], solidairement avec M. [F] et la société SMA Environnement à payer cette somme à la Métropole, a en outre condamné M. [G], jugé complice de ces faits, à indemniser la métropole à hauteur de 5 % de cette somme, soit 88.000 €, allouant ce faisant à la victime une indemnisation supérieure au préjudice subi, a violé les articles 2 du Code de procédure pénale et 1382 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime. »

67. Le moyen proposé pour M. [Z] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné, solidairement avec M. [I] [F] et la société SMA Environnement, à payer à Métropole AMP la somme de 1 760 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel résultant des faits d'abus de confiance tout en condamnant M. [G] à payer à Métropole AMP la somme de 88 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel résultant des faits de complicité d'abus de confiance, alors :

« 2°/ subsidiairement qu'ayant évalué à 1 760 000 € le montant propre à indemniser le préjudice matériel subi par la Métropole du fait de la perte du vide de fouille résultant de l'infraction poursuivie, la cour d'appel qui, après avoir condamné M. [Z], solidairement avec M. [F] et la société SMA Environnement à payer cette somme à la Métropole, a en outre condamné M. [G], jugé complice de ces faits, à indemniser la métropole à hauteur de 5 % de cette somme, soit 88.000 €, allouant ce faisant à la victime une indemnisation supérieure au préjudice subi, a violé les articles 2 du Code de procédure pénale et 1382 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime. »

68. Le moyen proposé pour M. [I] [F] et la société SMA E critique l'arrêt attaqué en ce qu'il les a condamnés à payer à la Métropole AMP la somme de 1 760 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel résultant des faits d'abus de confiance, alors que :

« 2°/ le préjudice doit être réparé sans perte ni profit pour la partie civile ; que la cour d'appel a retenu que le préjudice matériel de la partie civile était de 1.760.000 euros ; que la cour d'appel a condamné solidairement M. [F], la SMA et M. [Z] à payer cette somme et a également condamné M. [G] à payer, au titre de ce même préjudice, la somme de 88.000 euros ; qu'en octroyant ainsi à la partie civile une indemnisation supérieure à son préjudice, la cour d'appel a méconnu les dispositions susvisées. »

Réponse de la Cour

69. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale :

70. Selon le premier de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.

71. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

72. Pour condamner à payer à Métropole AMP, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel résultant de l'abus de confiance, M. [Z], M. [I] [F] et la société SMA E, solidairement, la somme de 1 760 000 euros et M. [G], la somme de 88 000 euros, l'arrêt énonce que le préjudice subi par la partie civile représente une perte totale de capacité d'enfouissement de l'ordre de 80 000 tonnes sur la période de la prévention et qu'au vu de ces éléments, il y a lieu de fixer l'indemnisation de Métropole AMP, sur la base d'un prix moyen de 22 euros, à 1 760 000 euros.

73. Les juges en déduisent que M. [I] [F] et M. [Z] ainsi que la société SMA E seront condamnés solidairement, à payer à Métropole AMP la somme de 1 760 000 euros et que M. [G] sera également condamné à l'indemniser, suivant la demande, à hauteur de 5 % de cette somme, soit 88 000 euros.

74. En statuant ainsi, par une contradiction qui, ne relevant pas de l'erreur matérielle, résulte de la discordance entre le montant énoncé aux motifs de l'arrêt, évaluant le préjudice matériel unique subi par la partie civile à la somme de 1 760 000 euros, et celui des condamnations civiles prononcées à ce titre dans le dispositif de la décision, totalisant 1 848 000 euros, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

75. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le quatrième moyen proposé pour M. [N] et les premier et second moyens, pris en leurs troisième et quatrième branches, proposés pour les sociétés Paprec CRV et Coved

Enoncé du moyen

76. Le moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 50 956,40 euros au profit de chacune des sociétés Coved et Paprec CRV en réparation du préjudice prétendument subi à raison des faits de favoritisme dont il a été déclaré coupable, outre l'allocation d'une somme de 500 euros à chacune au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause, alors :

« 1°/ que le préjudice subi par le candidat qui n'a pas été retenu à raison des agissements de l'auteur d'un délit de favoritisme s'analyse en une perte de chance d'être déclaré attributaire du marché ; qu'il appartient aux parties civiles, candidates évincées, d'apporter la preuve de la perte effective d'une chance sérieuse d'être déclarées attributaires du marché, directement causée par l'irrégularité reprochée au prévenu ; qu'il résulte en l'espèce des propres énonciations de l'arrêt attaqué que « l'offre de la société Coved était non conforme en tous points avec l'arrêté préfectoral d'exploitation, huit variantes sur onze n'étaient pas conformes avec l'arrêté » et qu'il « ressort des déclarations unanimes de [X] [L], [B] [A], [C] [Y], que le choix de la commission de DSP a été déterminé avant tout par les critères financiers et que c'est le candidat le moins disant qui a été retenu », « le prix à la tonne indiqué des offres des sociétés Paprec CRV et Coved éta[n]t de loin supérieur à celui des autres candidats » ; que l'arrêt ajoute qu'il « n'est dès lors nullement démontré par les parties civiles que la société SMA Environnement, ou le groupement Riviera-Nicollin SFN n'auraient pas été choisis en l'absence de prise en compte du critère du PDED, ni à l'inverse qu'elles-mêmes auraient été retenues » ; qu'en condamnant néanmoins M. [N] à payer à chacune des parties civiles la somme de 50 956,40 euros en réparation de leur préjudice résultant des faits de favoritisme dont il a été déclaré coupable, après avoir pourtant expressément relevé que les parties civiles n'avaient pas apporté la moindre preuve qu'elles auraient disposé d'une chance sérieuse d'être déclarées attributaires du marché si l'irrégularité n'avait pas été commise, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient et privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1240 du code civil (anciennement 1382), 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que la circonstance que des irrégularités aient été commises lors de la procédure d'attribution d'une délégation de service public ne saurait suffire à entraîner l'indemnisation du candidat évincé ; qu'en justifiant l'indemnisation des candidates évincées de l'irrégularité résultant de la prise en compte du PDED dans le rapport d'analyse technique des offres jugée constitutive du délit de favoritisme, sans avoir nullement démontré que cette irrégularité était la cause directe de leur éviction, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, en violation des articles 1240 du code civil (anciennement 1382), 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'il résulte des articles 1240 du code civil (anciennement 1382), 2 et 3 du code de procédure pénale que les juges, statuant sur les intérêts civils, doivent se prononcer dans les limites des demandes dont ils sont saisis ; qu'en l'espèce, saisis d'une demande de réparation du préjudice des sociétés Coved et Paprec CRV, en tant que candidates évincées, « consistant en la perte d'une chance d'être déclarées attributaires du marché en lien avec les faits de favoritisme reprochés à [P] [N] », la cour d'appel, après avoir relevé que ce préjudice n'était pas établi, a néanmoins fait droit à leur demande d'indemnisation en ramenant la réparation à une somme de 50 956,40 euros à payer à chacune, après avoir affirmé que « le préjudice des parties civiles s'analyse davantage en la perte d'une chance de concourir à la DSP dans des conditions garantissant la transparence des procédures et l'égalité des traitements » ; qu'en octroyant ainsi aux parties civiles la réparation d'un préjudice qu'elles n'avaient pas invoqué à l'appui de leurs demandes de réparation, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes et principe susvisés, en se prononçant au-delà des limites dont elle était saisie. »

77. Le premier moyen proposé pour les sociétés Paprec CRV et Coved critique l'arrêt attaqué en ce que, ayant infirmé le jugement, lequel avait condamné M. [N] à payer à la société Paprec CRV la somme de 2 547 820 euros, il a cantonné la condamnation au profit de la société Paprec CRV à la somme de 50 956,04 euros, alors :

« 3°/ que le juge répressif qui décide de relever un moyen d'office doit permettre aux parties d'en débattre ; qu'en réparant le préjudice de la société PAPREC CRV tiré de la « perte de chance de concourir à la DSP dans des conditions garantissant la transparence des procédures et l'égalité de traitement des candidats » (arrêt, p. 166 alinéa 6), quand la société PAPREC CRV demandait la réparation de la perte de chance d'être retenue et que M. [N] se bornait à contester le lien de causalité, les juges du fond ont fondé leur décision sur un moyen, relevé d'office et non soumis au contradictoire des parties ; que ce faisant, les juges du fond ont violé l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

4°/ que le préjudice découlant d'une perte de chance doit être réparé sans perte ni profit ; qu'en attribuant à la société PAPREC CRV une indemnité calculée au regard du montant de ses demandes, et non au regard du dommage effectivement subi, les juges du fond ont procédé à une évaluation forfaitaire de la réparation ordonnée ; que ce faisant, ils ont violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »

78. Le second moyen proposé pour les sociétés Paprec CRV et Coved critique l'arrêt attaqué en ce que, ayant infirmé le jugement, lequel avait condamné M. [N] à payer à la société Coved la somme de 2 547 820 euros, il a cantonné la condamnation au profit de la société Coved à la somme de 50 956,04 euros, alors :

« 3°/ le juge répressif qui décide de relever un moyen d'office doit permettre aux parties d'en débattre ; qu'en réparant le préjudice de la société PAPREC CRV tiré de la « perte de chance de concourir à la DSP dans des conditions garantissant la transparence des procédures et l'égalité de traitement des candidats » (arrêt, p. 166 alinéa 6), quand la société COVED demandait la réparation de la perte de chance d'être retenue et que M. [N] se bornait à contester le lien de causalité, les juges du fond ont fondé leur décision sur un moyen, relevé d'office et non soumis au contradictoire des parties ; que ce faisant, les juges du fond ont violé l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

4°/ le préjudice découlant d'une perte de chance doit être réparé sans perte ni profit ; qu'en attribuant à la société COVED une indemnité calculée au regard du montant de ses demandes, et non au regard du dommage effectivement subi, les juges du fond ont procédé à une évaluation forfaitaire de la réparation ordonnée ; que ce faisant, ils ont violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

79. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 1240 du code civil, 2 et 3 du code de procédure pénale :

80. Il résulte du premier de ces textes que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

81. Pour réparer les préjudices résultant des infractions dont ils sont saisis, les juges doivent statuer dans la limite des demandes des parties civiles.

82. Pour condamner M. [N] à payer à chacune des parties civiles la somme de 50 956,40 euros en réparation du préjudice résultant des faits de favoritisme, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort du rapport d'analyse des offres et des déclarations de son rédacteur que si les sociétés Somedis, Coved et ISS Environnement avaient présenté un dossier technique sérieux, l'offre de la société Coved ne respectait pas les exigences de l'arrêté préfectoral d'exploitation, huit variantes sur onze n'étant pas conformes avec l'arrêté, et la société Somedis ne prenait pas en compte la volumétrie indiquée par le géomètre.

83. Les juges constatent qu'il ressort des déclarations de MM. [X] [L], [B] [A] et [C] [Y] que le choix de la commission de délégation de service public a été déterminé avant tout par des critères financiers, que c'est le candidat le moins disant qui a été finalement retenu, en l'occurrence la société SMA E, dont M. [L] a déclaré qu'elle était la meilleure financièrement et qui répondait à tous les critères techniques, que le prix à la tonne indiqué dans les offres des sociétés ISS Environnement et Coved était de loin supérieur à celui des autres candidats et que, selon la commission, le candidat SMA E avait fait des efforts sur les conditions financières lors de la négociation orale.

84. Ils relèvent qu'il n'est pas démontré par les parties civiles que la société SMA E, ou le groupement Riviera-Nicollin-SFN, n'auraient pas été choisis en l'absence de prise en compte du critère lié au plan départemental d'élimination des déchets, ni à l'inverse, qu'elles-mêmes auraient été retenues.

85. Ils en déduisent que le préjudice des parties civiles s'analyse davantage en la perte d'une chance de concourir à la délégation de service public dans des conditions garantissant la transparence des procédures et l'égalité de traitement des candidats, ce qui doit conduire à ramener à de plus justes proportions le montant de l'indemnisation à laquelle elles peuvent prétendre du fait de cette perte de chance.

86. En prononçant ainsi, alors que le préjudice retenu n'était pas invoqué par les parties civiles, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

87. En conséquence, la cassation est également encourue de ce chef.

Et sur les onzième moyen proposé pour M. [U] [F], seizième moyen proposé pour M. [I] [F] et la société SMA E et sixième moyen proposé pour M. [N]

Enoncé des moyens

88. Le moyen proposé pour M. [U] [F] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association Anticor et a condamné M. [U] [F] à payer à cette association la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du délit de prise illégale d'intérêts, alors « que par un jugement du tribunal administratif de Paris en date du 23 juin 2023 (n° 2111821/6-1 du 23 juin 2023), l'agrément octroyé le 2 avril 2021 par le Premier ministre à l'association Anticor pour exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne certaines infractions financières relevant de la lutte contre la corruption en vertu de l'article 2-23 du code de procédure pénale a été annulé, avec effet rétroactif, au motif que la condition prévue par le 4° de l'article 1er du décret n° 2014-327 du 12 mars 2014, tenant au caractère désintéressé et indépendant de ses activités, apprécié notamment eu égard à la provenance de ses ressources, n'était pas rempli ; qu'encourt en conséquence l'annulation l'arrêt de la cour d'appel, rendu le 30 mars 2022, qui a accueilli la constitution de partie civile d'Anticor sur ce fondement et lui a octroyé des dommages et intérêts, en violation des articles 2-23, 591 et 593 du code de procédure pénale ».

89. Le moyen proposé pour M. [I] [F] et la société SMA E critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association Anticor et a condamné les prévenus solidairement à lui payer 2 000 euros au titre du préjudice moral pour les faits de recel de prise illégale d'intérêts, et M. [I] [F] la somme de 2 000 euros pour le préjudice moral des faits de trafic d'influence et de blanchiment, et 1 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, alors « que le tribunal administratif de Paris, par une décision rendue le 23 juin 2023, a annulé, avec effet rétroactif, l'agrément accordé le 2 avril 2021 à l'association Anticor pour exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions relevant de la lutte contre la corruption ; que la recevabilité de la constitution de partie civile d'Anticor prononcée par la cour d'appel doit dès lors être annulée ainsi que les condamnations aux dommages et intérêts et au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale qui ont été prononcées ; que dès lors l'arrêt méconnaît les articles 2-23, 591 et 593 du code de procédure pénale ».

90. Le moyen proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association Anticor et d'avoir condamné M. [P] [N] à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du délit de favoritisme, outre une somme de 500 euros, au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, alors « que seules les associations agréées déclarées depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se proposant par leurs statuts de lutter contre la corruption, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions traduisant un manquement au devoir de probité ; que par un jugement du 23 juin 2023, le tribunal administratif de Paris vient d'annuler, avec effet rétroactif, le renouvellement de l'agrément délivré le 2 avril 2021 par le Premier ministre à l'association Anticor pour exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne certains infractions financières relevant de la lutte contre la corruption, après avoir estimé qu'elle ne remplissait pas les conditions exigées pour l'octroi d'un tel agrément tenant, d'une part, au caractère indépendant et désintéressé de ses activités, et d'autre part, à l'information des membres de l'association et à leur participation effective à la gestion ; que l'arrêt attaqué encourt en conséquence immanquablement l'annulation, en ce qu'il a condamné M. [N] à payer à l'association Anticor une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts, et une somme de 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, après l'avoir déclarée recevable en sa constitution de partie civile, en violation des articles 2-23, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

91. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 2 et 2-23 du code de procédure pénale :

92. Aux termes du premier de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par cette infraction.

93. Le second autorise les seules associations de lutte contre la corruption agréées à exercer l'action civile du chef des infractions qu'il énonce.

94. Pour déclarer recevable l'association Anticor et faire partiellement droit à ses demandes, l'arrêt attaqué énonce que la partie civile justifie d'un préjudice moral à raison de ce que les faits poursuivis, étant constitutifs d'atteintes à la probité, ont porté atteinte à l'objet social et aux buts qu'elle poursuit.

95. Il résulte cependant des pièces de procédure que l'association Anticor s'est constituée partie civile devant le tribunal correctionnel, a déposé des conclusions régulièrement visées à l'audience du 30 mars 2021 et que l'agrément accordé au titre de l'article 2-23 du code de procédure pénale, dont elle bénéficiait depuis le 12 décembre 2012, a été renouvelé pour une durée de trois ans par arrêté du premier ministre daté du 2 avril 2021, qui a été rétroactivement annulé par jugement du tribunal administratif de Paris en date du 23 juin 2023.

96. En cet état, si la constitution de partie civile de l'association Anticor, antérieure à l'arrêté annulé, était recevable, l'arrêt attaqué, en date du 30 mars 2022, encourt l'annulation en ce qu'il a fait partiellement droit aux demandes de l'association alors qu'à cette date, celle-ci ne bénéficiait plus, par l'effet rétroactif du jugement annulant son renouvellement, de l'agrément lui permettant de solliciter la réparation d'un préjudice.

Portée et conséquence de la cassation

97. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la condamnation de M. [N] à payer aux sociétés Paprec CRV et Coved la somme de 50 956,40 euros chacune et la condamnation de M. [G] à payer la somme de 88 000 euros à Métropole AMP.

98. Les autres dispositions, à l'exception de celles faisant partiellement droit aux demandes de réparation de l'association Anticor, seront donc maintenues.

99. La cassation des dispositions relatives à la condamnation de M. [G] à payer la somme de 88 000 euros à Métropole AMP aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale

100. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. Les déclarations de culpabilité de MM. [U] [F], [I] [F] et de la société SMA E étant devenues définitives par suite de la non-admission des moyens les concernant, il y a lieu de faire partiellement droit aux demandes du conseil départemental des Bouches-du-Rhône .

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois n° B 12-84.988 et R 15-85.864 formés par M. [U] [F] contre les arrêts de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date des 4 juillet 2012 et du 16 septembre 2015

LES REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par M. [H] contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 30 mars 2022

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur les pourvois de MM. [U] et [I] [F], de la société SMA E, de MM. [Z], [G] et [N], des sociétés Paprec CRV et Coved et de Métropole AMP

ANNULE l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 30 mars 2022, en ce qu'il a partiellement fait droit aux demandes de l'association Anticor à titre de dommages-intérêts et de frais irrépétibles ;

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé mais en ses seules dispositions ayant condamné M. [N] à payer aux sociétés Paprec CRV et Coved la somme de 50 956,04 euros chacune, et M. [G] celle de 88 000 euros à Métropole AMP, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT que M. [G] est condamné, solidairement avec M. [I] [F], M. [Z] et la société SMA E, à indemniser Métrople AMP à hauteur de la somme de 88 000 euros ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi sur ce point ;

RENVOIE pour le surplus la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [U] [F] devra payer au département des Bouches-du-Rhône en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [I] [F] et la société SMA E devront payer au département des Bouches-du-Rhône en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au bénéfice de M. [N] ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au bénéfice des sociétés Paprec CRV et Coved ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au bénéfice de M. [I] [F] et de la société SMA E ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.