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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 7 mars 2024, n° 20/13093

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Fleury Michon (SA), Fleury Michon LS (SAS), Charcuteries Cuisinées du Plélan (SAS), Société Holding de Contrôle et de Participations (SAS), Société d'Innovation Culinaire (SAS), Compagnie Financière et de Participations Roullier (SA), Salaisons Celtiques (SAS), S.C.O. (SAS), Les Mousquetaires (SAS), Société Civile des Mousquetaires (Sté), Campofrio Food Group France Holding (SAS), Campofrio Food Group Holding SL (Sté), Campofrio Food Group SAU (Sté), Herta (SAS), Nestlé Entreprises (SAS), Nestlé SA (Sté), Les Monts de La Roche (SAS), Sapresti Traiteur (SAS), CA Animation SA (Sté), Souchon d'Auvergne (SAS), Savencia Holding (SCA), Luissier Bordeau Chesnel (SAS), Brocéliande ALH (SAS), Cooperl Arc Atlantique SCA (Sté), Groupe Coop Société Coopérative (Sté), Bell Food Group AG (SA), Bell France Holding (SAS), Maison De Savoie MDS (SAS), Bell France (SAS), Aubret (SAS)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maitrepierre

Conseillers :

M. Barbier, Mme Tréard

Avocats :

Me Boccon-Gibod, Me Helfer, Me Marchal, Me Koehler de Montblanc, Me Teytaud, Me Jalabert-Doury, Me Blutel, Me Baechlin, Me Trabucchi, Me Lee, Me Zelenko, Me Elkins, Me Grappotte-Benetreau, Me Grall, Me Illouz, Me Lallement, Me Bélot, Me Gavoty-Tolot, Me Guibert, Me Guyonnet, Me Gransard

CA Paris n° 20/13093

6 mars 2024

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et le mémoire venant à son soutien, déposés au greffe les 18 septembre et 2 novembre 2020 par les sociétés Fleury Michon, Charcuteries cuisinées du Plélan, Fleury Michon LS, Société holding de contrôle et de participations, Société d'innovation culinaire ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et le mémoire venant à son soutien, déposés au greffe les 18 septembre et 02 novembre 2020 par les sociétés Groupe Coop Société Coopérative, Bell Food Group AG, Bell France Holding, Maison de Savoie, Salaison [SV] et Cie, Bell France, Le Saloir de [Adresse 71], Le Saloir de [Localité 92] et Val de [Localité 69] ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et l'exposé des moyens venant à son soutien, déposés au greffe les 24 septembre et 03 novembre 2020 par les sociétés Brocéliande - ALH et Cooperl Arc Atlantique ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et l'exposé des moyens, déposés au greffe les 28 septembre et 30 octobre 2020 par les sociétés Souchon d'Auvergne, Savencia Holding et Luissier Bordeaux Chesnel ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et les observations venant à son soutien, déposées au greffe les 30 septembre et 02 novembre 2020 par les sociétés CA Animation, Les Monts de la Roche, CA Traiteur et Salaisons, Grand Saloir Saint Nicolas et Sapresti Traiteur ; 

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et le mémoire venant à son soutien, déposés au greffe les 30 septembre et 29 octobre 2020 par les sociétés Herta, Nestlé Entreprises et Nestlé ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et le mémoire venant à son soutien, déposés au greffe les 02 octobre et 04 novembre 2020 par les sociétés Les Mousquetaires et la société civile des Mousquetaires ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et l'exposé des moyens venant à son soutien, déposés au greffe les 02 octobre et 03 novembre 2020 par les sociétés [Localité 20], Campofrio Food Group France Holding, Campofrio Food Group Holding S.L. et Campofrio Food Group S.A.U. ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et le mémoire venant à son soutien, déposés au greffe les 02 octobre et 04 novembre 2020 par la société Charcutière de l'Odet (S.C.O) ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et le mémoire venant à son soutien, déposés au greffe les 02 octobre et 04 novembre 2020 par la société Salaisons Celtiques agissant en son nom et venant aux droits de Salaisons du [Localité 63] ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision et les écritures venant à son soutien, déposées au greffe les 05 octobre et 02 novembre 2020 par la société Compagnie Financière et de Participations Roullier ;

Vu la déclaration d'intervention volontaire déposée au greffe le 19 octobre 2020 par la société Aubret ;

Vu les déclarations de recours incident formées contre cette décision dans chacune des procédures et l'exposé des moyens invoqués à leur soutien, déposés au greffe le 25 novembre 2020 par les sociétés Brocéliande - ALH et Cooperl Arc atlantique ;

Vu l'ordonnance du délégué du premier président de la Cour du 31 mars 2021 ayant ordonné la jonction des recours précités sous le RG n° 20/13093 ;

Vu les observations de l'Autorité de la concurrence déposées au greffe de la Cour le 23 mars 2022 ;

Vu les observations du ministre chargé de l'économie déposées au greffe de la Cour le 23 mars 2022 ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe le 10 janvier 2023 par les sociétés Fleury Michon, Charcuteries cuisinées du Plélan, Fleury Michon LS, Société holding de contrôle et de participations, Société d'innovation culinaire ;

Vu l'exposé des moyens n° 2 déposé au greffe le 10 janvier 2023 par les sociétés Groupe Coop Société Coopérative, Bell Food Group AG, Bell France Holding, Maison de Savoie, Salaison [SV] et Cie, Bell France, Le Saloir de [Adresse 71], Le Saloir de [Localité 92] et Val de [Localité 69] ;

Vu l'exposé des moyens n° 2 déposé au greffe le 10 janvier 2023 au soutien du recours en annulation formé le 24 septembre 2020 par les sociétés Brocéliande - ALH et Cooperl Arc atlantique ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe le 10 janvier 2023 par les sociétés Souchon d'Auvergne, Savencia Holding et Luissier Bordeau Chesnel ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe le 10 janvier 2023 par les sociétés CA animation, Les monts de la roche, CA Traiteur et salaisons devenu [LZ], Grand saloir Saint Nicolas, Sapresti Traiteur ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe le 10 janvier 2023 par les sociétés Herta, Nestlé Entreprises et Nestlé ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe le 10 janvier 2023 par les sociétés Les Mousquetaires et la société civile des Mousquetaires ;

Vu l'exposé des moyens n° 2 déposé le 10 janvier 2023 par les sociétés [Localité 20], Campofrio Food Group France Holding, Campofrio Food Group Holding S.L. et Campofrio Food Group S.A.U. ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe le 10 janvier 2023 par la société S.C.O. ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe le 10 janvier 2023 par la société Salaisons Celtiques agissant en son nom et venant aux droits de Salaisons du [Localité 63] ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe le 10 janvier 2023 par la société Compagnie Financière et de Participations Roullier ;

Vu l'exposé des moyens n° 2 venant au soutien des recours en annulation incidents, déposé au greffe le 18 janvier 2023 par les sociétés Brocéliande - ALH et Cooperl Arc atlantique ;

Vu l'arrêt du 4 mars 2021 rendu par la Cour, disant n'y avoir lieu à transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société SCO ;

Vu les arrêts rendus les 20 mai 2021 et 9 février 2023 par la Cour, accordant une protection au titre de secrets d'affaires aux sociétés Group Coop Société Coopérative, Bell Food Group AG et Bell France Holding, Maison de Savoie M.D.S, Salaison [SV] et Cie, Bell France, Le Saloir de [Adresse 71], le Saloir de [Localité 92] et Val de [Localité 69] ;

Vu la demande de protection du secret des affaires des sociétés Cooperl Arc Atlantique et Brocéliande ALH du 17 février 2023 ;

Vu les observations des groupes Cooperl et Campofrio des 24 février et 2 mars 2023 en réponse aux moyens relevés d'office par la Cour concernant la caducité encourue en application des articles R. 464-13 et R. 464-15 du code de commerce ;

Vu l'avis du ministère public en date du 9 mars 2023, communiqué le même jour aux requérants, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ;

Vu les notes en délibéré autorisées par la Cour déposées les 30 et 31 mars 2023 respectivement par l'Autorité de la concurrence et par les sociétés Brocéliande ALH et Cooperl Arc Atlantique, puis les 3, 13 et 14 avril 2023 par les sociétés Brocéliande ALH et Cooperl Arc Atlantique, par les Salaisons Celtiques, SCO et leurs sociétés mères et par l'Autorité de la concurrence ;

Après avoir entendu à l'audience publique des 16 et 17 mars 2023, en leurs observations orales les conseils des différentes requérantes, les représentants de l'Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l'économie, puis le ministère public, les parties ayant été mises en mesure de répliquer.

 

FAITS ET PROCÉDURE

I. LA PROCÉDURE SUIVIE DEVANT L'AUTORITÉ

Les saisines et demandes de clémence,

1.Le 21 septembre 2012, la société Etablissements Guy Harang a saisi par une lettre enregistrée sous le numéro 12/0080 F, l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») d'une plainte relative à des pratiques d'entente dans le secteur de la découpe de porcs dans la région parisienne.

2.Le 2 octobre 2012, la société Campofrio Food Group S.A.U., ses filiales et sociétés affiliées directement ou indirectement détenues, en particulier les sociétés [Localité 20] SNC et Jean Caby SASU (ci-après le « groupe Campofrio »), ont transmis à l'Autorité deux demandes de mise en œuvre du IV de l'article L. 464-2 du code de commerce, concernant des pratiques entre salaisonniers et abatteurs découpeurs dans le secteur de l'approvisionnement en pièces de jambon sans mouilles (ci-après « JSM »), ainsi que dans le secteur de la vente des produits de salaisonnerie et charcuterie, commercialisés sous marque de distributeur (ci-après « MDD ») ou sous forme de premiers prix en France.

3.Le 29 janvier 2013, l'Autorité a rendu deux avis accordant au groupe Campofrio le bénéfice conditionnel de la clémence ouvrant potentiellement droit à une exonération totale des sanctions éventuellement encourues en France : l'avis n° 13-AC-02 pour les pratiques dénoncées dans le secteur des achats de JSM auprès des abatteurs par les charcutiers-salaisonniers et l'avis n° 13-AC-01 pour les pratiques dénoncées dans le secteur des produits de charcuterie vendus sous MDD ou sous forme de premier prix.

4.Par une décision n° 13-SO-01 du 30 janvier 2013, enregistrée sous le numéro 13/0006 F, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie.

5.Le 25 septembre 2013, le groupe Coop, actionnaire de la société Bell SA, elle-même actionnaire majoritaire des sociétés Bell France SAS et Salaison [SV] et Cie SAS et de leurs filiales, ont à leur tour déposé une demande de clémence relative à des pratiques dans le secteur de la fourniture sur le marché français de produits de charcuterie, notamment sous MDD, appuyée d'éléments confirmant ou complétant les informations dont disposaient les services d'instruction.

6.Par une décision du 25 avril 2014, le rapporteur général adjoint a joint les saisines n° 12/0080 F et n° 13/0006 F en application de l'article L. 463-3 du code de commerce.

7.Le 27 mai 2014, l'Autorité a rendu l'avis n° 14-AC-02, par lequel elle a accordé au groupe Coop le bénéfice conditionnel de la clémence avec une exonération potentielle de sanction comprise entre 35 % et 50 % des sanctions éventuellement encourues en France pour les pratiques dénoncées dans le secteur des produits de charcuterie commercialisés sous MDD.

La notification des griefs

8.Sur la base des différents éléments de la procédure, incluant ceux provenant d'opérations de visite et saisie menées dans les locaux de treize sociétés, le rapporteur général a adressé, le 16 février 2018, une notification de griefs portant sur des pratiques d'entente à plusieurs sociétés appartenant aux groupes suivants :

- d'Aucy ;

- CA Animation ;

- Campofrio ;

- Coop ;

- Cooperl Arc Atlantique ;

- La Financière du Haut Pays ;

- Financière Turenne Lafayette (FTL) ;

- Fleury Michon ;

- Les Mousquetaires ;

- Nestlé ;

- Roullier ;

- Salaisons du Mâconnais ;

- Savencia ;

- [XI].

L'expertise

9.À l'occasion de sa demande de clémence, le groupe Campofrio avait fourni à l'Autorité, notamment, un carnet du directeur commercial d'[Localité 20], M. [HG], (ci-après le « Carnet ») présenté comme retranscrivant l'historique des échanges litigieux entre concurrents. Une copie, certifiée conforme par huissier le 4 septembre 2012, a été remise à l'appui de la demande de clémence et versée au dossier l2/0083AC.

10.Le Carnet de M. [AB] est resté en possession du groupe Campofrio entre juin 2013 et mars 2017, puis a été remis à l'Autorité et joint au dossier 13/0006F.

11.Après que l'un des groupes mis en cause, Cooperl Arc Atlantique, avait déposé une plainte pénale pour faux, usage de faux et dénonciation calomnieuse le 11 mai 2018, le rapporteur général de l'Autorité a, par une décision du 14 novembre 2018, désigné un expert en écritures près la cour d'appel de Paris, agréé par la Cour de cassation, dans les conditions des articles L. 463-8 et R. 463-16 du code de commerce, en vue de « déterminer s'il est manifeste, conformément à ce que soutiennent certaines entreprises mises en cause que les notes manuscrites émanant de M. [AB] et portées dans son carnet ont été fabriquées de toutes pièces, d'une seule traite, contrairement à ce que M. [AB] a déclaré aux rapporteurs en audition » : « Je n'avais pas tout le temps mon carnet sous la main. Parfois, je prenais des notes sur un post-it ou sur une feuille volante, que je retranscrivais ensuite dans le carnet. Mais, le plus souvent, je notais directement l'information sur mon carnet au moment de l'appel téléphonique » (cote 17494).

12.À la suite d'une réunion et du dépôt d'un pré-rapport, l'expert, après avoir répondu aux dires des parties, a établi son rapport le 16 avril 2019 et conclu, en substance, qu'il ne disposait pas d'élément « objectif qui soit 'probant- Pour déterminer qu'il est manifeste que les notes manuscrites du Carnet, qui correspondent à des notes 'retranscrites', ont été fabriquées de toutes pièces, d'une seule traite ».

La saisine du Conseiller-Auditeur

13.Le Conseiller-Auditeur de l'Autorité a été saisi par les sociétés Cooperl Arc atlantique et Brocéliande ALH afin qu'il intervienne pour assurer la garantie effective de leurs droits de la défense.

14.Par son rapport daté du 11 mars 2019, ce dernier a, en substance, considéré qu'il ne lui paraissait pas que les modalités de désignation de l'expert et la définition de sa mission par le rapporteur général aient eu pour conséquence de porter atteinte au principe de la contradiction ou aux droits de la défense des sociétés, et d'une manière générale, qu'aucune atteinte aux droits de la défense ou au principe de la contradiction ne paraissait caractérisée lors des opérations d'expertise.

La décision attaquée

15.Par la décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 (ci-après la « décision attaquée »), l'Autorité a retenu qu'il y avait lieu de rejeter la demande des parties visant à l'annulation de la procédure d'expertise précitée (paragraphe 350 de la décision attaquée) et qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause l'authenticité matérielle du Carnet (paragraphe 369 de la décision précitée). Elle a considéré que celui-ci devait être considéré comme un élément de preuve ne pouvant être écarté du faisceau d'indices permettant de démontrer l'existence des pratiques anticoncurrentielles alléguées (paragraphe 386 de la même décision).

16.Sur le fond, elle a sanctionné plusieurs sociétés actives dans le secteur des achats et ventes des pièces de porcs et de produits de charcuterie, pour avoir mis en œuvre trois pratiques d'entente, contraires aux articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le « TFUE ») :

- en s'accordant et se concertant, au travers d'échanges bilatéraux, pour défendre une position commune sur les variations de prix d'achat hebdomadaire du jambon sans mouille dans leurs négociations avec les abatteurs (grief n° 1) ;

- en s'accordant et se concertant pour la commercialisation de produits crus de charcuterie sous marques de distributeurs ou premier prix, d'une part, pour coordonner leurs demandes d'augmentation de prix auprès des enseignes de la grande distribution, d'autre part, pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution (grief n° 2) ;

- en s'accordant et se concertant pour la commercialisation de produits de charcuterie cuits sous marques de distributeurs ou premier prix pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution (grief n° 3).

17.L'Autorité a accordé une exonération totale de sanctions au groupe Campofrio pour les griefs n° 1 et n° 3, en revanche il l'a lui a refusée pour le grief n° 2, considérant qu'il avait manqué à son obligation de coopération.

18.L'Autorité a accordé une réduction de 50 % au groupe Coop pour la première période de l'infraction visée par le grief n° 2 (du 8 avril 2010 au 28 septembre 2012) et une exonération totale pour la seconde période (courant du 29 septembre 2012 au 30 avril 2013).

II. LE SECTEUR CONCERNÉ

19.L'organisation de la filière porcine est présentée aux paragraphes 26 et suivants de la décision attaquée, non contestés, auxquels la Cour renvoie.

20.Il sera simplement rappelé que cette filière met en présence les opérateurs suivants :

A. Le secteur de la production de porcs charcutiers

21.En 2013, la France était le troisième producteur européen de porcs charcutiers (24,320 millions), derrière l'Allemagne (50,997 millions) et l'Espagne (41,439 millions). À cette date, la production de porcs présentait la particularité d'être géographiquement très concentrée, l'effectif porcin étant principalement abattu dans la zone Uniporc Ouest.

22.Les organisations de producteurs (ci-après les « OP »), constituées sous forme de coopératives d'éleveurs, regroupent 94 % du cheptel porcin français. Leur concentration s'est fortement accrue entre 1972 et 2008, le nombre de groupements passant de 204 à 62. Les dix premières OP, dont sept sont établies en Bretagne, fédèrent 83 % de la production porcine, Cooperl Arc Atlantique étant la première d'entre elles.

B. Le secteur de l'abattage de porcs charcutiers

23.Les abatteurs sont acheteurs de porcs vifs, presque exclusivement issus d'élevages français, et vendeurs de carcasses et pièces.

24.Le marché de la viande de porc est un marché de pièces et de découpes. Les échanges de carcasses entières sont en effet principalement destinés à l'exportation et ne concernent que 5 % de la production française.

25.Les abatteurs français découpent eux-mêmes 80 % des carcasses produites dans leurs abattoirs, les découpeurs spécialisés ne comptant que pour 8 % des quantités.

26.Les trois premiers abattoirs, Cooperl Arc Atlantique, Bigard (Socopa) et Gad, représentaient ensemble 48,5 % de l'abattage national en 2009.

27.Les abatteurs doivent gérer à la fois leurs approvisionnements en carcasses et leurs débouchés de pièces. Ils utilisent à cet égard deux références de prix, chaque semaine : les cotations du marché du porc breton (ci-après le « MPB ») (dont le fonctionnement est décrit aux paragraphes 63 et suivants de la décision attaquée) et celles du Marché d'Intérêt National (ci-après le « MIN ») de [Localité 78] (dont le fonctionnement est décrit aux paragraphes 69 et suivants de cette décision).

C. Le secteur de la charcuterie-salaisonnerie

28.La Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes (ci-après « FICT ») est l'organisation professionnelle représentative de l'industrie charcutière-traiteur. Elle fédère plus de 200 entreprises sur un total de 295.

29.L'industrie de la charcuterie-salaison fait également l'objet d'un phénomène de concentration. Sur un total de 295 établissements, 72 (24 % du total) fabriquent chacun plus de 4 000 tonnes de charcuterie-salaisonnerie et réalisent 82 % de la production totale en volume. À la différence de l'abattage, les entreprises sont mieux réparties sur le territoire national : Bretagne (29 % de l'activité), région Rhône-Alpes (15,5 %) et Pays-de-la-Loire (18,4 %).

30.Ce secteur, composé en France principalement de PME (pouvant être filiales de grands groupes), se répartit en :

- deux sociétés filiales de groupes internationaux, commercialisant des produits de marque à grande valeur ajoutée : Herta (appartenant au groupe Nestlé) et [Localité 20] (appartenant au groupe espagnol Campofrio Food ;

- quatre groupes français à capitaux privés : Financière Turenne Lafayette avec ses filiales Paul Prédault, Germanaud, Les Salaisons de l'Arrée, Montagne Noire, Fleury Michon, Jean Floc'h/Bernard et Soparind-Bongrain/Savencia (avec Alliance Océane et Charcutière et Souchon d'Auvergne) ;

- deux filiales de groupes coopératifs producteurs de porcs et abatteurs : Brocéliande - ALH, (repris par Cooperl Arc Atlantique) et Aubret (du groupe Cecab Gad-Prestor) ;

- deux grands groupes de distribution présents au niveau de la production : Les Mousquetaires (sous les marques Monique Ranou et Onno) et Leclerc avec Kermené (sous les marques Tradilège et Férial).

31.Les entreprises de charcuterie et salaisonnerie peuvent également être classées en deux catégories, selon leurs relations avec les opérateurs en amont (c'est-à-dire l'abattage et/ou la production porcine) :

- celles qui achètent leurs viandes découpées, voire désossées, sur le marché, et notamment auprès de fournisseurs étrangers (espagnols, danois ou allemands) : FTL, Fleury Michon, Soparind-Bongrain /Savencia, [Localité 20] et Herta.

- celles qui sont intégrées dans des groupes d'abattage, qui peuvent être eux-mêmes également des OP de porcs : Brocéliande - ALH (groupe Cooperl Arc Atlantique), Jean Floc'h/ Bernard, Aubret (groupe d'Aucy), Kermené (groupe Leclerc) et Gâtines-Viandes (groupe Les Mousquetaires).

III. LES PRODUITS CONCERNÉS

A. Le jambon sans mouille (le « JSM »)

32.Les porcs charcutiers sont achetés par les abattoirs pour les transformer en carcasses de porc et en coproduits (gras, abats). La carcasse est découpée en plusieurs pièces, dont le jambon.

33.Le jambon, membre postérieur de l'animal, peut être découpé selon plusieurs types de coupe : La coupe « parisienne » dite « sans mouille » « 2 D » comprend os et pied scié, sans le gras dit « de mouille » qui se trouve sur la face interne du jambon.

34.D'autres découpes sont également possibles : en « 1 D » (découenné), « 3 D » (découenné, dégraissé et désossé), « 4 D » (découenné, dégraissé, désossé et dénervé et « 5 D » (découenné, dégraissé, désossé, dénervé et dépiécé)...

35.Les pièces de jambon sont vendues par l'abattoir ou le découpeur à un industriel de la salaisonnerie, qui va les transformer en jambons vendus aux consommateurs.

36.Le JSM est utilisé pour la confection du jambon cuit car sa préparation ne nécessite pas de gras.

37.La France connaît un manque structurel de jambon, ce qui suscite une forte concurrence de l'offre européenne de pièces élaborées et une augmentation régulière des importations depuis quelques années.

B. Les produits de charcuterie-salaisonnerie secs/crus et cuits

38.Trois grands types de produits de charcuterie peuvent être distingués : les produits secs, les produits crus (saucisses et saucissons secs, salami, jambon cru, chorizo, pavés, rosette, etc.) et les produits cuits (jambons cuits, pâtés, rillettes, boudins, andouilles, saucisses à cuire).

39.Le commerce des produits de charcuterie-salaisonnerie vendus sous marque nationale est, généralement, régi par des contrats annuels.

40.La commercialisation des produits sous MDD est, quant à elle, régie par des contrats de six à douze mois. Les volumes et les prix sont fixés, éventuellement par appels d'offres, avec des clauses de révision trimestrielle.

41.Selon une étude publiée en 2012, portant sur la fabrication de charcuterie, les MDD (43,2 %) et premiers prix (11,7 %) représentent plus de la moitié des ventes en valeur sur le segment de la charcuterie en libre-service, soit 54,9 %. (côte 645 - 12/0080 F)

42.Selon la décision attaquée (§ 62), au moment des pratiques, six entreprises ([Localité 20], France Salaisons, [SV] (Bell), Montagne Noire (CCA), Salaisons du Mâconnais et Souchon (Bordeau Chesnel)) détenaient 78 % des parts de marché de la charcuterie vendue sous MDD.

IV. Les cotations de la filière porcine

A. Le cours du porc charcutier au Marché du Porc Breton de [Localité 75] (MBP)

43.Les éleveurs ont une référence unique sur l'ensemble du territoire pour la carcasse de porc charcutier : la cotation issue de la rencontre, deux fois par semaine, entre l'offre des éleveurs du Grand-ouest, via leurs groupements, et la demande des abatteurs sur le MBP localisé dans les côtes d'Armor.

44.Dans cette région, qui compte près de 60 % du cheptel national, les organisations de producteurs proposent chaque semaine une partie de la production régionale sous forme de lots de porcs charcutiers à des acheteurs qui représentent les grands groupes d'abattage bretons.

45.Les acheteurs et les vendeurs concluent le prix de chaque lot mis en vente sur catalogue au terme d'enchères descendantes. Une référence de cours résultant de la moyenne pondérée de ces transactions est publiée de façon bihebdomadaire par le MPB le lundi et le jeudi. Cet indice sert de référence au prix de chaque porc abattu la semaine suivante pour les échanges bilatéraux entre acteurs au niveau national, qui ont lieu en dehors du cadre des échanges directs réalisés sur le MPB, et il est utilisé comme indice de base des formules de prix à tous les niveaux de la chaine de transformation.

46.En raison de la « flambée des matières premières », le cours moyen annuel de la carcasse de porc a crû de 27 % entre 2010 et 2012.

B. La cotation des pièces sur le Marché d'Intérêt National (MIN) de [Localité 78] par le Réseau des nouvelles des marchés

47.Les transformateurs, charcutiers ou salaisonniers, utilisent la référence de la cotation du MIN de [Localité 78] pour leurs approvisionnements en pièces, alors que la grande distribution se sert du cours du MPB pour ses achats de viande fraîche et de la cotation du MIN de [Localité 78] pour ceux en produits charcutiers, notamment les jambons cuits.

48.Autrefois centre national important de découpe et de commercialisation de jambons, le MIN de [Localité 78] ne comprend plus aujourd'hui que six découpeurs vendant un très faible volume de jambons, les porcs étant actuellement essentiellement abattus et découpés en Bretagne.

49.La cotation du MIN de [Localité 78] est issue des enquêtes hebdomadaires réalisées auprès de ces six découpeurs, qui déclarent chacun leurs propres ventes au Réseau des Nouvelles de Marchés (ci-après le « RNM »).

50.Il n'y a aucune enquête auprès des industriels de la transformation, ni auprès des GMS, pour déterminer les cotations du MIN de [Localité 78].

51.Le RNM réalise chaque jour ouvrer des consultations auprès des acteurs de la viande présents à [Localité 78]. Chaque semaine, un cours moyen est publié pour plusieurs pièces, dont le JSM.

52.L'indice du Marché de [Localité 78] (ci-après l'« IMR ») est également publié chaque semaine. Avec une base 100 au 1er janvier 2002, il résume le prix moyen des pièces selon les transactions réalisées durant la semaine, pondéré par leur poids moyen dans la carcasse. Il s'agit d'une mercuriale établie après marché qui fournit des tendances.

53.Afin d'assurer une certaine représentativité de la cotation du JSM à [Localité 78] malgré le déclin significatif des quantités achetées sur ce marché chaque année, les acteurs du marché (découpeurs, acheteurs et syndicats) se réunissent une fois par an afin de convenir d'un volume d'achat suffisant sur la place de [Localité 78] pour que la cotation ait valeur de référence et que le MIN de [Localité 78] accepte de poursuivre la publication de sa synthèse.

54.La cotation à [Localité 78] reste toutefois critiquée pour sa non-représentativité de la production nationale, étant concentrée sur l'Île-de-France et comprenant trop peu de découpeurs et de salaisonniers impliqués.

C. La cotation nationale de douze pièces de découpe de porc par FranceAgriMer

55.Par courrier du 7 décembre 2012, le ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt a donné mission à FranceAgriMer d'établir une cotation nationale officielle des pièces de porc, plus représentative que celle résultant de la synthèse du MIN de [Localité 78].

56.La FICT réalise ainsi avec les services du RNM un indice mensuel reposant sur les achats d'une cinquantaine de charcutiers-traiteurs représentatifs du secteur des douze pièces de découpe de porc les plus utilisées dans la fabrication des charcuteries-salaisons : Carré bacon, Poitrine lardon n° 1, Poitrine cutter de coche 80/20, Épaule 4D, Gras dur, Gorge découennée, Trimming 80/20 porc, Trimming 80/20 coche, Estomac, Chaudin de porc entier fermé, Chaudin de porc entier retourné, Jambon sans mouille.

57.À la différence de l'indice du MIN de [Localité 78], cette cotation nationale officielle ne rend pas compte des valeurs absolues desdites douze pièces de porc.

58.Selon la décision attaquée, le caractère plutôt tardif de sa publication constitue un obstacle à sa substitution à la cotation de [Localité 78] pour l'indexation des contrats portant sur les produits MDD entre charcutiers et GMS.

V. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

A. La saisissante : la Société Établissements Guy Harang

59.Cette société exerce l'activité d'abattage de porcs à [Localité 66] dans les Yvelines. Elle est l'unique abattoir porcin d'Île-de-France.

60.Sa clientèle se compose de supermarchés, d'hypermarchés et de bouchers-charcutiers détaillants dans un rayon de 150 kms autour de [Localité 66].

B. Les demandeurs de clémence

1. Le groupe Campofrio

61.Ce groupe agroalimentaire, espagnol, est implanté dans neuf États, dont la France. Depuis le 3 juin 2015, il appartient au groupe alimentaire mexicain Sigma, qui lui-même fait partie du groupe mexicain Alfa (cote 21789).

62.La société Campofrio Food Group S.A.U. (Espagne - A09 000 928) est à la tête de ce groupe. Elle détient l'intégralité du capital de la société Campofrio Food Group Holding S.L.U. (Espagne, B84 658 202), qui détient elle-même l'intégralité du capital de la société Campofrio Food Group France Holding (RCS n° 420 001 257).

63.Durant la période des pratiques, le groupe Campofrio exploitait en France les marques [Localité 20], Justin Bridou, Cochonou, Cesar Moroni et Jean Caby. Les produits de charcuterie d'[Localité 20] font partie des plus vendus (en valeur) sur les segments du saucisson sec et de la charcuterie sèche.

64.Sur cette période, le groupe Campofrio intervenait en France dans le secteur de la charcuterie salaisonnerie par l'intermédiaire des trois filiales françaises suivantes :

- la société [Localité 20] (RCS n° 388 818 726), détenue à 100 % par la société Campofrio Food Group France Holding durant toute la durée des pratiques, qui fabrique et commercialise des produits de charcuterie crue ;

- la société Salaisons Moroni (RCS n° 395 299 100) dont l'activité était centrée sur les produits de charcuterie crue. À compter du 31 juillet 2010 et jusqu'à la fin des pratiques, elle était détenue indirectement à 99,99 % par Campofrio Food Group France Holding. Elle a disparu après une opération de fusion-absorption avec la société [Localité 20] finalisée le 30 juillet 2018 ;

- la société Jean Caby (RCS n° 440 372 04), dont l'activité était centrée sur les produits de charcuterie cuite. Du début des pratiques jusqu'au 12 mars 2012, cette société était détenue à 100 % par Campofrio Food Group France Holding. Le 13 mars 2012, le groupe Campofrio a annoncé la cession de 51 % du capital de la société Jean Caby à la société FoxLease Food, conservant 49 % du capital de cette société. En juin 2015, le groupe Campofrio s'est désengagé totalement de la société Jean Caby, en cédant les 49 % du capital de cette société à l'actionnaire majoritaire, FoxLease Food. En juin 2018, la société Jean Caby a été placée en liquidation judiciaire.

65.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, un certain nombre de personnes physiques considérées comme étant en lien avec les pratiques :

- M. [OF] [YN], employé de Jean Caby en qualité d'adjoint au directeur des achats de viande sur la période 2011-2013, qui conduisait les négociations avec les abatteurs, tant pour la société [Localité 20] que pour la société Jean Caby, en raison de l'appartenance des deux sociétés au même groupe ;

- Mme [LW] [IM], employée d'[Localité 20] en qualité d'adjointe au responsable des achats de viande sur la période 2011-2013, qui pouvait se substituer à M. [OF] [YN] en son absence ;

- M. Jean [F], employé d'[Localité 20] en qualité de directeur des projets achats sur la période 2011-2013. De manière très occasionnelle, il pouvait négocier les variations de prix hebdomadaires de JSM pendant les absences de M. [OF] [YN] et de Mme [LW] [IM] ;

- M. [KT] [AB], employé d'[Localité 20] en qualité de directeur commercial des activités MDD, sur la période 2010-2013, qui était en charge des ventes de produits MDD pour le compte de trois sociétés du groupe Campofrio : [Localité 20], Jean Caby jusqu'en mars 2012 et Salaisons du Moroni à compter de juillet 2010, date de son acquisition par le groupe Campofrio.

66.M. [OF] [YN] et Mme [LW] [IM] étaient fonctionnellement rattachés :

- à M. [GC] [SU], responsable des achats viande du groupe [Localité 20] jusqu'en avril 2011 ;

- à M. [AR] [WG], de manière transitoire, jusqu'en mai 2012 ;

- et à M. [RR] [AX], directeur des achats, salarié de Campofrio Food Group holding S.L.U viande pour l'Europe de l'Ouest à compter de mai 2012.

67.M. [KT] [AB] avait pour supérieur hiérarchique M. [ZS] [L], directeur commercial du groupe [Localité 20] à partir de janvier 2010, puis directeur général du groupe [Localité 20] à partir du 1er avril 2013.

2. Le groupe Coop

68.La société Bell Food Group AG (Suisse, CHE - 105 805 112), anciennement Bell AG, est une entreprise suisse, ayant pour activité principale la production et la distribution de viande, dont des produits de charcuterie.

69.Au moment des faits, la société Groupe Coop Société Coopérative (Suisse, CHE - 109 029 938) détenait une participation majoritaire dans le capital de la société Bell Food Group AG avec 66,29 % des parts.

70.Le groupe Bell a acquis le groupe [SV] en 2008 auprès de M. [RR] [SV], qui est resté président de la société.

71.La société Bell France SAS, devenue Bell France Holding SAS le 1er décembre 2014 (RCS n° 504 981 945), est une société holding détenue à 100 % par la société Bell Food Group AG. La société Bell France SAS détient l'intégralité du capital des six entités composant le groupe [SV] :

- les sociétés Salaison [SV] et Cie (RCS n° 396 580 102) et Le Saloir de [Adresse 71] (RCS n° 448 066 811), qui commercialisent de la charcuterie tranchée, du saucisson sec et du jambon sec d'Auvergne ;

- les sociétés Le Saloir de [Localité 92] (RCS n° 499 035 640) et Maison de Savoie (RCS n° 481 205 359) qui commercialisent de la charcuterie tranchée, des saucissons secs, des jambons secs de Savoie et des diots de Savoie ;

- la société Val de [Localité 69] (RCS n° 400 799 474) qui commercialise des saucissons secs traditionnels, des jambons cuits et des produits tranchés ;

- la société Salaisons de [Localité 79], devenue Bell France le 18 novembre 2014 (RCS n° 761 200 013).

72.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, un certain nombre de personnes physiques considérées comme étant en lien avec les pratiques :

- M. [RR] [SV], président des sociétés Salaison [SV] et Cie, Salaison de [Localité 79], Val de [Localité 69], Le Saloir de [Localité 92], Maison de Savoie sur la période 2010-2013, gérant de la société Le Saloir de [Adresse 71] et directeur général de Bell France Holding jusqu'à son départ à la retraite en octobre 2013 ;

- M. [CR] [GB], employé, pour la même période, de Salaison [SV] et Cie en tant que directeur commercial pour l'ensemble des produits des sociétés suivantes : [Adresse 67] ;

C. Les autres entités mises en cause, présentes devant la Cour

1. Le groupe d'Aucy

73.Le groupe d'Aucy, anciennement dénommé CECAB, est un groupe agroalimentaire coopératif, qui développe ses activités notamment dans les secteurs des céréales, des légumes, des 'ufs et de la viande.

74.Depuis le 24 octobre 2011, ce groupe a pris le contrôle exclusif de la société Financière du Forest, holding financière détenant plusieurs sociétés formant le groupe Gad, parmi lesquelles la société Aubret (RCS n° 788 182 954) spécialisée dans la fabrication de produits de salaison.

75.Jusqu'au 16 octobre 2013, la société Aubret était contrôlée par la société Financière du Forest. À la suite des difficultés financières rencontrées par le groupe Gad, la société Financière du Forest a été liquidée le 16 septembre 2015.

76.Depuis le 16 octobre 2013, la société Aubret est contrôlée par la Société de gestion industrielle et commerciale (Sogeico) qui appartient également au groupe d'Aucy.

77.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, un certain nombre de personnes physiques considérées comme étant en lien avec les pratiques :

M. [ND] [YO] employé d'Aubret en qualité de directeur commercial de 2011 à 2012 ;

M. [OF] [RN] employé d'Aubret en qualité de directeur commercial et marketing sur la période 2011-30 janvier 2011 et en qualité de responsable compte clé sur la période du 1er février 2011 au 6 avril 2013.

2. Le groupe CA Animation

78.Le groupe CA Animation est actif dans la production et la distribution de charcuterie fine, de produits traiteurs et d'épicerie, ainsi que dans la production et la distribution de foie gras et de produits à base de viande de canard.

79.La société luxembourgeoise CA Animation (Luxembourg, n° B11 3856), société de tête du

Groupe CA Animation, contrôle la société CA Traiteur et Salaisons (RCS n° 422 619 023).

Les sociétés Grand Saloir Saint-Nicolas (RCS n° 709 200 133) et Les Monts de la Roche (RCS n° 390 618 890) sont des filiales de la société CA Traiteur et Salaisons spécialisées dans la fabrication de produits traiteurs et de charcuterie fine haut de gamme.

80.La société Sapristi Traiteur (RCS n° 316 431 691) est détenue à 100 % par la société Grand Saloir Saint-Nicolas et se charge de la commercialisation des produits fabriqués par les sociétés Grand Saloir Saint-Nicolas et Les Monts de la Roche (contrat de commission).

81.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, une personne physique considérée comme étant en lien avec les pratiques : M. [FA] [S] directeur d'enseigne sur la période 2010-2012 pour Les sociétés Grand Saloir Saint-Nicolas. Il intervenait également à titre occasionnel pour Les Monts de la Roche par l'intermédiaire de la société Sapresti Traiteur.

3. Le groupe Cooperl Arc Atlantique

82.Il s'agit d'un groupement coopératif intégré, à la fois coopérative d'éleveurs et disposant de l'outil industriel d'abattage.

83.La société Cooperl Arc Atlantique (RCS n° 383 986 874) dispose de six industriels qui interviennent dans la fabrication de charcuterie (sur 14 sites au total). Elle est détenue par 2700 éleveurs-adhérents et détient, depuis octobre 2009, à 100 %, le capital social de la société Brocéliande-ALH (RCS n° 412 082 224). Brocéliande-ALH commerciale 80 000 tonnes de charcuteries par an tant pour sa marque que pour les MDD.

84.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, un certain nombre de personnes physiques considérées comme étant en lien avec les pratiques :

- M. [X] [VA] employé de Cooperl Arc Atlantique en qualité de directeur commercial de l'industrie de salaison Cooperl Arc Atlantique et Brocéliande-ALH sur la période 2010-2012 ;

- M. [CR] [T] employé de Cooperl Arc Atlantique en qualité de responsable des ventes de janvier à 2011 à avril 2013. Intervient dans la vente de charcuterie MDD et 1er prix pour le compte de Cooperl Arc Atlantique et Brocéliande-ALH ;

- M. [KT] [VD] salarié de Brocéliande-ALH sur la période 2010-Avril 2012 en tant que responsable commercial. Son périmètre d'activité comprend notamment les clients GSM.

85.M. [DU] [T] a pris la suite de M. [KT] [VD], leurs fonctions et périmètres d'intervention étant identiques.

4. Le groupe Fleury Michon

86.Le groupe Fleury Michon intervient dans les secteurs de la charcuterie et des plats préparés. Il fabrique de la charcuterie et des produits traiteurs, approvisionne des compagnies aériennes ou des hôpitaux en plateaux-repas et exerce une activité de conseils nutritionnels.

87.Ses principales filiales dans le secteur de la fabrication de charcuterie sont :

- Fleury Michon Charcuterie (RCS n° 439 220 203) : qui intervient principalement dans la fabrication de jambons, de rôtis, de saucisses, de pâtés ainsi que d'aides culinaires. Elle a fait l'objet, en février 2018, d'une opération de fusion-absorption par la Société Fleury Michon Traiteur devenue Fleury Michon LS (RCS n° 340545 441).

- Charcuteries Cuisinées du Plélan (RCS n° 444 525 240) : qui intervient dans la fabrication de charcuterie et la préparation de jambon pour aides culinaires. Elle commercialise la plupart de ses produits dans la grande distribution mais exerce également une activité de préparation avant transformation finale.

- Société d'innovation Culinaire (RCS n° 489 625 111) : créée en 2010, qui intervient dans la transformation de porc en jambon.

88.Pendant la durée des pratiques ces trois sociétés ont directement ou indirectement été détenues à 100 % par la société Fleury Michon SA (RCS n° 572 058 329), elle-même majoritairement détenue par la Société holding de contrôle et de participations (RCS n° 347 638 538).

89.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, un certain nombre de personnes physiques considérées comme étant en lien avec les pratiques :

- M. [ZU] [OH] employé par Fleury Michon Charcuterie sur la période d'avril 2011-2013 en qualité de responsable achat charcuterie. Son service réalise les achats et passe les commandes au nom et pour le compte de la société Charcuteries Cuisinées du Plélan jusqu'en août 2012.

- M. [G] [VB] salarié Fleury Michon Charcuterie en qualité d'acheteur de matières premières carnées de 2011 à 2013.

- MM. [ZU] [OH] et [G] [VB], désignés comme étant autorisés à agir pour le compte des Société d'innovation Culinaire et Charcuteries Cuisinées du Plélan en vertu d'un mandat de négociation et de passation de commande.

5. Le groupe Les Mousquetaires

90.Le groupe Les Mousquetaires est un groupe de distribution français, également actif dans la fabrication de produits sous ses propres marques.

91.La société civile des Mousquetaires (RCS n° 789 169 323) est détenue par 1350 des 3100 adhérents indépendants associés au sein du groupement des mousquetaires. Elle détenait elle-même 100 % de la société ITM Entreprises (RCS n° 722 064 102) pendant la période 2010-2013.

92.Les activités économiques du groupement sont réalisées au sein de plusieurs unités opérationnelles. Pour assurer son indépendance d'approvisionnement le groupement a développé ses propres usines de production.

93.La société Agromousquetaires (RCS n° 316 742 980) est une filiale d'ITM Entreprises regroupant les activités de production industrielles du groupement d'enseignes des Mousquetaires. Elle gère 64 sites qui fabriquent les produits de ses principales marques.

94.Elle détenait 3 filiales dans le secteur de la fabrication de produits de charcuterie cuite :

- S.C.O. (RCS n° 342 048 055), qui dispose d'un site de production de jambons, d'aides culinaires et de saucissons qu'elle vend sous la marque Monique Ranou.

- Salaisons Celtiques (RCS n° 862 500 279, anciennement dénommée « Onno »), qui dispose de deux sites industriels fabricant une large gamme de charcuteries.

- Salaisons du [Localité 63] (RCS n° 388 199 143), qui produisait des spécialités charcutières pour sept marques différentes (Monique Ranou, Jean Rozé, Netto, Top Budget, etc.). La société Salaisons du [Localité 63] a disparu après une opération de dissolution-confusion par la société Salaisons Celtiques en novembre 2018.

95.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, un certain nombre de personnes physiques considérées comme étant en lien avec les pratiques :

- M. [VC] [NE] employé de Salaisons Celtiques en qualité de responsable des achats et ce uniquement pour cette société sur la période 2011-2013.

- M. [NC] [PJ] employé de Salaisons du [Localité 63] en qualité de directeur du pôle carné du groupe ITM chargé de la commercialisation des quatre marques MDD distribuées par ITM : Triskel, Onno, Lignon et Monique Ranou et ce sur la période 2010-2012.

6. Le groupe Nestlé

96.Avec sa filiale Herta (RCS n° 311 043 194), le groupe est l'un des trois principaux groupes de charcutiers, traiteurs et transformateurs de viandes en France.

97.La société Herta dispose en France de deux unités de fabrications de jambons, de saucisses, de bacons et autres produits de grignotage.

98.La plupart des charcuteries produites par la société Herta sont vendues sous la marque éponyme soit 11,6 % du marché en valeur en 2015.

99.Pendant la durée des pratiques, Herta était détenue à 100 % par Nestlé France (RCS n° 542 014 428), elle-même détenue à 100 % par Nestlé Entreprises (RCS n° 345 019 863), elle-même détenue indirectement à 100 % par la société Nestlé SA (Suisse, CHE-105 909 036).

100.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, une personne physique considérée comme étant en lien avec les pratiques, M. [HH] [VE], employé d'Herta en qualité de directeur de la clientèle en charge des clients Carrefour, Eurauchan, Système U, Lidl et Aldi et ce sur la période 2010-2012.

7. Le groupe Roullier (CFPR)

101.La société Charcuteries Gourmandes (RCS n° 318 771 177), spécialisée dans la fabrication de jambons et de spécialités charcutières, était jusqu'au 2 septembre 2013, une filiale du groupe Roullier, dont la holding de tête est la société Compagnie Financière et de Participation Roullier (RCS n° 313 642 548).

102.En septembre 2013, la société Charcuteries Gourmandes a été acquise par le groupe Conselle qui fabrique des produits de charcuteries et de salaisons pour la grande distribution. En janvier 2018 une procédure de redressement a été ouverte à l'encontre de cette société puis convertie en liquidation en avril 2018.

103.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, une personne physique considérée comme étant en lien avec les pratiques :

- M. [KU] [ST] directeur général de Charcuteries Gourmandes d'avant 2010 à environ avril 2012. Il intervient dans la commercialisation de la charcuterie MDD et de 1er prix.

8. Le groupe Savencia (Souchon)

104.Le groupe est implanté dans 19 pays et commercialise ses produits dans plus de 120 pays. Il dispose d'un large portefeuille de marques.

105.Ce groupe intervient dans le secteur concerné par les pratiques par l'intermédiaire de trois sociétés :

- Souchon d'Auvergne, société spécialisée dans la fabrication de saucisses et saucissons secs (RCS n° 389 758 731) ;

- luissier Bordeau Chesnel, société spécialisée dans la fabrication de rillettes (RCS n° 577 050 073) ;

- Alliance Charcutière, commissionnaire à la vente et mandataire à la facturation (RCS n° 483 403 010), fusionnée par transmission universelle de patrimoine avec Luissier Bordeau Chesnel en novembre 2011.

106.Pendant la période des pratiques, les sociétés Luissier Bordeaux Chesnel, Alliance Charcutière et Souchon d'Auvergne étaient détenues indirectement à hauteur respectivement de 99,98 %, 100 % et 100 % par la société Soparind SCA, dénommée Savencia Holding à compter du 30 juin 2017 (RCS n° 679 808 147) 126. Cette dernière était détenue indirectement à hauteur de 88,4 % par la société holding intermédiaire Ségur Développement SAS (RCS n° 349 008 813), elle-même détenue à 100 % par la société Eurospecialities Food BV (Pays-Bas, n° 009095615).

107.La décision attaquée a identifié, au sein de ces sociétés, un certain nombre de personnes physiques considérées comme étant en lien avec les pratiques :

- M. [CS] [CC] employée de la société Alliance charcutière (disparue en 2011) en qualité de directeur des ventes et ce de janvier 2010 à décembre 2011. À ce titre, il s'occupait de la commercialisation de produits MDD et 1er prix de charcuterie. Il était également détaché par la société Alliance Charcutière auprès de la société Souchon d'Auvergne jusqu'au 31 décembre 2011. Ce détachement a été matérialisé dans un contrat de prestations de services entre Souchon d'Auvergne et Alliance Charcutière.

Sur la période 2012-2013, M. [CS] [CC] était employé de la société Luissier Bordeau Chesnel et y exerçait la fonction de directeur commercial marques enseignes. Il continuait à être partiellement détaché par Luissier Bordeau Chesnel, son nouvel employeur, auprès de Souchon d'Auvergne.

VI. LA PROCÉDURE SUIVIE DEVANT LA COUR

108.La Cour a été saisie de onze recours contre la décision attaquée.

109.Par leur recours, les sociétés Fleury Michon, Charcuteries cuisinées du Plélan, Fleury Michon LS, Société holding de contrôle et de participation - S H C P et Société d'innovation culinaire (ci-après le « groupe Fleury Michon ») demandent à la Cour :

- à titre principal, d'annuler les articles 1 et 2 de la décision attaquée en ce qu'ils concernent le groupe Fleury Michon ;

- à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée en réduisant substantiellement le montant de la sanction pécuniaire qui leur a été infligée ;

- en toute hypothèse, condamner l'Autorité aux entiers dépens

110.Par leur recours, les sociétés Groupe Coop Société Coopérative, Bell Food Group AG, Bell France holding, Maison de Savoie MDS, Salaison [SV] et Cie, Bell France, Le saloir de [Adresse 71], Le Saloir de [Localité 92], et Val de [Localité 69] (ci-après le « groupe Coop ») demandent à la Cour de réformer la décision attaquée, à titre principal, en écartant le prononcé de la sanction, à titre subsidiaire, en abaissant le montant de la sanction pécuniaire qui leur a été infligée.

111.Par leurs recours, principal et incident, les sociétés Brocéliande - ALH et Cooperl ARC atlantique (ci-après le « groupe Cooperl ») demandent à la Cour, notamment :

In limine litis,

- de surseoir à statuer jusqu'au rendu de l'ordonnance de règlement du juge d'instruction saisie de la plainte pénale pour faux, usage de faux, dénonciation calomnieuse et escroquerie qu'elles ont déposée à l'encontre du groupe Campofrio, de ses filiales et de M. [KT] [AB] ;

- d'annuler la procédure d'instruction, et par voie de conséquence la décision attaquée :

- En raison de la durée excessive de l'instruction,

- En raison de la présence des rapporteurs et du rapporteur général adjoint lors du délibéré du Collège de l'Autorité,

- En raison de l'absence de signature de la décision.

- En raison de l'ensemble des irrégularités concernant l'expertise confiée à Mme [LX],

- de nommer un expert en écriture ;

À titre principal,

- de juger qu'il n'est pas établi que le groupe Cooperl a participé à l'entente visée au grief n° 3 ou qu'il existe un doute sérieux devant lui profiter ;

- d'écarter le carnet de M. [KT] [AB] des débats ;

- d'annuler la décision attaquée, notamment en ce que l'Autorité a violé son communiqué du 16 mai 2011, n'a pas pris en considération leurs capacités contributives et au regard de ses conséquences manifestement excessives ;

- d'ordonner le remboursement immédiat des sommes indûment versées, ainsi que les frais de publication, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et capitalisation dans les conditions de l'article 1342-2 du code civil ;

- de condamner l'Autorité à leur payer, à chacune, 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

112.Dans les exposés des moyens (n° 2), invoqués à l'appui des recours en annulation formés à titre principal et incident, rédigés en termes identiques, elles demandent, nouvellement, à la Cour, au surplus :

- d'annuler également la procédure d'instruction, et par voie de conséquence la décision attaquée :

- En raison de la violation de l'article R. 463-16 du code de commerce imposant au rapporteur de joindre le rapport d'expertise à son rapport.

- d'enjoindre à l'Autorité de produire l'ensemble des notes et factures remis par les experts en écriture consultés à la suite de la décision du rapporteur générales du 14 novembre 2018

- de rejeter la demande de clémence déposée par le groupe Campofrio qui ne respectait pas les conditions de l'article L. 464-2 IV du code de commerce;

- d'annuler la décision attaquée en ce qu'elle a enjoint au groupe d'insérer le texte figurant au § 1015 dans l'édition papier et sur le site internet de plusieurs revues ;

- d'ordonner à l'Autorité de publier dans les journaux Le Monde, Les Échos et de la revue Porc Mag un texte indiquant qu'elles ont été mises hors de cause dans l'affaire en référence par la décision de la cour d'appel de Paris à venir ;

- à titre infiniment subsidiaire, de réduire dans de très larges proportions toute sanction éventuelle à leur égard compte tenu de leur absence de capacité contributive dans la conjoncture économique actuelle.

- En tout état de cause, de condamner aux cotés de l'Autorité, le groupe Campofrio, ses filiales et M. [KT] [AB], à leur payer, à chacune, 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

113.Par ailleurs, saisi d'une requête du groupe Cooperl, le magistrat délégué par le premier président de la Cour a, par une ordonnance du 24 mars 2021, prononcé le sursis à exécution de la décision attaquée les ayant condamnées au versement de sanctions pécuniaires.

114.Par leur recours, les sociétés Souchon d'Auvergne, Savencia Holding et Luissier Bordeau Chesnel (ci-après le « groupe Savencia ») demandent à la Cour :

- à titre principal, d'annuler la totalité de la procédure, instruction et décision attaquée, ou à tout le moins la décision attaquée ;

- à titre subsidiaire, d'annuler la décision attaquée, en ce qu'elle a retenu leur participation à un échange le 8 juillet 2010, en violation du principe du contradictoire ;

- à titre très subsidiaire, de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a retenu leur participation à des échanges bilatéraux et aux réunions multilatérales des 25 octobre 2011 et 30 avril 2013 et en ce qu'elle a infligé une sanction de 2 257 000 euros à ce titre et, en conséquence, de réduire celle-ci à de plus justes proportions ;

- En tout état de cause, d'ordonner le remboursement immédiat à Souchon d'Auvergne des sommes indument versées et des frais de publication, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, outre la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, ainsi que la condamnation de l'Autorité aux entiers dépens.

115.Par leur recours, les sociétés CA animation, Les monts de la roche, CA Traiteur et salaisons devenu [LZ], Grand saloir Saint Nicolas, Sapresti Traiteur (ci-après le « groupe CA Animation ») demandent à la Cour, en substance, :

- à titre principal, d'annuler les articles 3, 4, 7 et 8 de la décision attaquée ;

- à titre subsidiaire, de réformer cette décision en supprimant ou réduisant substantiellement la sanction infligée et annuler l'article 7 de la décision attaquée ;

- En tout état de cause, de rappeler que la décision à intervenir constitue un titre de restitution des sommes acquittées, avec intérêts légaux à compter de la notification qui leur a été faite de la décision attaquée et capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil

- de condamner l'Autorité aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, ainsi qu'au remboursement des frais de publication de la décision attaquée paiement d'une somme de 60 000 euros, chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

116.Par leur recours, les sociétés Herta SAS, Nestle Entreprises SAS et Nestlé SA (ci-après le « groupe Nestlé ») demandent à la Cour :

- à titre principal, d'annuler la décision attaquée, en ce qu'elle a dit établi que la société Herta SAS a enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1 du TFUE (grief n° 3) ; infligé à la société Herta SAS, solidairement avec les sociétés Nestlé SA et Nestlé Entreprises, une sanction de 96 000 euros ; enjoint à ces sociétés d'insérer le texte figurant au paragraphe 1015 de la décision dans l'édition papier et sur le site Internet de trois journaux ; mis à leur charge les frais de l'expertise décidée par le rapporteur général ;

- à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée et de réduire la sanction pécuniaire infligée, en ce qu'elle a augmenté de 70 % son montant de base.

117.Par leur recours, les sociétés Les mousquetaires et Société civile Les mousquetaires (ci-après les « sociétés mères Mousquetaires ») demandent à la Cour :

- d'annuler les articles 2 et 6 de la décision attaquée en tant qu'elle les concerne ;

- de condamner l'Autorité à leur payer une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

118.Par leur recours, les sociétés [Localité 20], pour elle-même et venant aux droits et obligations de la société Salaisons Moronis SAS, Campofrío Food Group France Holding, Campofrío Food Group Holding S.L. et Campofrío Food Group S.A.U (ci-après le « groupe Campofrio ») demandent à la Cour :

- d'annuler les articles 4, 7 et 8 de la décision attaquée en ce qu'ils les concernent ;

- d'ordonner la restitution des sommes payées, avec intérêts légaux à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

' subsidiairement, de réformer l'article 4 de la décision attaquée, réduire les sanctions à de plus justes proportions et ordonner la restitution des sommes payées, avec intérêts légaux à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil

- En toutes hypothèses, de condamner l'Autorité aux entiers dépens.

119.Par son recours et aux termes de ses dernières écritures, la société Charcutière de l'Odet (ci-après « S.C.O ») demande à la Cour :

- de constater une violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CSDH ») et du principe du contradictoire à l'occasion de la désignation d'un expert par le rapporteur général et missionner un expert de la liste « investigations scientifiques et techniques » (G-02-04) pour une expertise visant à déterminer, sur la base de toutes techniques de recherches légales disponibles, si le carnet remis par Campofrio (Saisine 13/0006F, cotes 22 031 et suivantes) présente les caractéristiques d'un document rédigé ou complété après coup ; à défaut, d'écarter le carnet du faisceau d'indices pertinent pour déterminer si la décision attaquée établit à suffisance de droit l'infraction reprochée à SCO ;

- d'annuler la décision attaquée, et en particulier l'article 5 en ce qu'il concerne SCO et l'article 6 en ce qu'il a imputé l'infraction aux sociétés mères Mousquetaires ;

- à titre subsidiaire, de réformer les articles 5 et 6 et réduire le montant de la sanction

- d'ordonner le remboursement immédiat du montant résultant de l'annulation ou des réductions d'amendes susvisées, assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de paiement de ces amendes, outre capitalisation des intérêts, ainsi que le remboursement des frais de publication qui auront été exposés par SCO en application de l'article 7 de la décision attaquée et des frais de l'expertise décidée par le rapporteur général mise à sa charge en application de l'article 8 ;

- de condamner l'Autorité à payer à SCO une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

120.La Cour précise que la société S.C.O. avait, par ailleurs, déposé le 4 novembre 2020 un mémoire spécial par lequel elle demandait à la Cour de transmettre à la Cour de cassation, en vue de son renvoi devant le Conseil constitutionnel, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité des dispositions de l'article L. 463-8 du code de commerce et que par un arrêt du 4 mars 2021 il a été dit qu'il n'y avait pas lieu de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité.

121.Par son recours, la société Salaisons celtiques, agissant en son nom et venant aux droits de Salaisons du [Localité 63] (ci-après les « filiales Mousquetaires SCSG » lorsqu'elle défend la position des deux filiales) demande à la Cour :

- d'annuler la décision attaquée, et en particulier les articles 1, 2, 5 et 6 en ce qu'ils concernent le groupe Mousquetaires ;

- à titre subsidiaires, de réformer ces articles et réduire le montant des sanctions infligées ;

- En toute hypothèse, d'ordonner le remboursement immédiat du montant résultant de l'annulation ou des réductions d'amendes susvisées, assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de paiement de ces amendes, outre capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, ainsi que des frais de publication exposés en application de l'article 7 et d'expertise mis à sa charge en application de l'article 8 de la décision attaquée ;

- de condamner l'Autorité à leur payer une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

122.Par son recours, la Compagnie Financière de participations Roullier (ci-après la « CFPR ») demande à la Cour, en substance :

- de juger non fondé le grief n° 3, à tout le moins à l'égard de la société Charcuteries Gourmandes, anciennement filiale de la société CFPR ;

- de réformer en conséquence la décision attaquée ;

- de juger erronée l'application de la circonstance aggravante de réitération ou, à défaut, de surseoir à statuer et saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante :

« L'article 5 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (devenus les articles 101 TFUE et 102 TFUE) doit-il être interprété en ce sens qu'une autorité nationale de concurrence est compétente pour prendre en compte une précédente infraction à l'article 101 TFUE pour des pratiques mises en œuvre sur le territoire de l'Union, constatée par une décision de la Commission européenne devenue définitive, aux fins de caractériser la circonstance aggravante tirée de la situation de réitération au regard de l'article 101 TFUE dans laquelle se trouverait l'entreprise, à l'encontre de laquelle ladite autorité nationale de concurrence entend constater une seconde infraction à ladite disposition pour des pratiques mises en œuvre uniquement sur le territoire national »

- d'annuler l'article 5 par voie de conséquence ;

- à titre subsidiaire, de réformer l'article 5 de la décision attaquée et d'écarter l'application de la circonstance aggravante de réitération ;

- de condamner l'Autorité au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

123.Par son intervention volontaire, la société Aubret entend soutenir « toute demande des sociétés susvisées sollicitant de la Cour ['] qu'elle prononce notamment le caractère irrecevable du carnet de Monsieur [KT] [AB] cité par la décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 en cause sous le nom du « Carnet » ou à tout le moins qu'elle rejette toute valeur probante au Carnet concernant les griefs ayant motivés la décision en cause ».

124.Elle demande ainsi à la Cour :

- à titre principal, de « prononcer le caractère irrecevable du Carnet de M. [KT] [AB] »,

- à titre subsidiaire, de « rejeter toute force probante au Carnet de M. [KT] [AB] ».

125.L'Autorité conclut au rejet des moyens et recours.

126.Le ministre chargé de l'économie demande à la Cour de confirmer l'essentiel de la décision attaquée, à l'exception des réserves qu'il a émises relatives à une erreur matérielle concernant la société Souchon d'Auvergne, à l'imputabilité des pratiques en tant qu'auteur aux sociétés Salaisons Celtiques et Salaisons du [Localité 63], au coefficient des sanctions du grief n° 3 et à l'évaluation de la capacité contributive des entreprises en cause.

127.Le ministère public invite la Cour à :

- déclarer caduque la déclaration de recours principal des sociétés Brocéliande - ALH SAS et Cooperl Arc Atlantique SCA ;

- déclarer irrecevables les chefs et moyens nouveaux contenus dans l'exposé des moyens n° 2 des mêmes sociétés déposé le 18 janvier 2023 ;

- rejeter la demande de sursis à statuer ;

- réformer la décision en ce qu'elle a retenu un taux de valeur des ventes de 16 % pour les trois griefs ; qu'elle a imputé et sanctionné la société Les Mousquetaires SAS en qualité de société mère des sociétés Salaisons de [Localité 63] SASU et Salaisons Celtiques SASU au titre du grief n° 3 ;

- évaluer au regard des éléments produits, la capacité contributive de chaque entreprise ;

- rejeter pour le surplus les recours formés.

MOTIVATION

I. SUR LA PROCÉDURE

A. Sur la recevabilité du recours principal du groupe Cooperl

128.Le groupe Cooperl a formé un recours principal le 24 septembre 2020 contre la décision attaquée, qui avait été notifiée à ses sociétés par lettres du 03 septembre 2020, réceptionnées le 4 septembre 2020.

129.Il a, par la suite, déposé une déclaration de recours incident le 25 novembre 2020 dans chacune des procédures.

130.À l'audience de procédure du 14 février 2023, et par avis écrits adressés le même jour aux conseils des parties, à l'Autorité, au ministre chargé de l'économie et au ministère public, complété par courriel du 22 février 2023, les parties ont été invitées à présenter leurs observations avant le 2 mars 2023 sur la caducité encourue au titre du recours principal en application de l'article R. 464-13 du code de commerce, moyen relevé d'office.

131.Le groupe Cooperl, par des observations du 24 février 2023, a indiqué avoir dénoncé son recours au Commissaire du gouvernement auprès de l'Autorité de la concurrence - [Adresse 31], par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 24 Septembre 2020, de sorte que l'Autorité n'en a rien ignoré.

132.Il estime qu'il convient en tout état de cause de lui donner acte de ce qu'il a également exercé des recours incidents, à la suite des recours principaux formés par d'autres, conformément à l'article R. 464-16 du code de commerce, dont la recevabilité n'est pas contestée. Il observe que rien n'interdit, dès lors qu'existe un recours principal recevable exercé par une partie, de former un recours incident.

133.L'Autorité et le ministre chargé de l'économie s'en sont remis à la sagesse de la Cour.

134.Le ministère public constate qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que la copie de la déclaration du recours principal formé le 24 septembre 2020 par Brocéliande - ALH et Cooperl Arc Atlantique, a été adressée par ces sociétés à l'Autorité, pas plus qu'il n'a été justifié auprès du greffe de la Cour de la notification dans les délais de la déclaration de recours à l'Autorité, justification également exigée par l'article R. 464-13 du code de commerce. Il en déduit que la sanction prévue en cas de non-respect de l'obligation de dénonciation, est la caducité de la déclaration de recours. Il invite la Cour à la relever d'office et à écarter, par voie de conséquence les mémoires du 3 novembre 2011 [2020] et du 10 janvier 2023 déposés au soutien de ce recours principal.

Sur ce, la Cour :

135.Aux termes de l'article R. 464-13 du code de commerce, « Dans les cinq jours qui suivent le dépôt de la déclaration et à peine de caducité de cette dernière relevée d'office, le demandeur en adresse une copie, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, d'une part, aux parties auxquelles la décision de l'Autorité de la concurrence a été notifiée, mentionnées en annexe de la lettre de notification prévue au deuxième alinéa de l'article R. 464-30, et d'autre part, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie. Dans le même délai et sous la même sanction, il justifie auprès du greffe de ces notifications ».

136.En l'espèce, la déclaration de recours principal ayant été déposée au greffe le 24 septembre 2020, le délai de notification précité expirait le 1er octobre 2020. Le groupe Cooperl qui a signifié sa déclaration de recours et le procès-verbal de dépôt auprès de la juridiction à la DGCCRF le 24 septembre 2020, au lieu de le faire auprès de l'Autorité de la concurrence, encourt par conséquent la caducité de ce recours.

137.Le groupe Cooperl n'établit, ni même n'invoque, aucun fait susceptible de constituer un cas de force majeure à l'origine du non-respect des délais et modes de significations précités, d'ordre public, qui concourent à une bonne administration de la justice. Il y a lieu en conséquent de prononcer la caducité de la déclaration de recours principal.

B. Sur la recevabilité des moyens et prétentions nouvellement invoqués au soutien des recours incidents du groupe Cooperl, examinée d'office par la Cour

138.Par l'avis précité du 14 février 2023, la Cour a informé les parties de ce qu'elle envisageait de relever d'office l'irrecevabilité des prétentions et moyens figurant pour la première fois dans l'exposé des moyens n° 2 de Brocéliande/Cooperl au soutien de son recours incident, en application de l'article R. 464-15 du code de commerce, et plus précisément :

- du moyen d'annulation de la procédure d'instruction pris de la violation de l'article R. 463-16 du code de commerce imposant au rapporteur de joindre le rapport d'expertise à son rapport ;

- de la demande d'injonction à l'Autorité de produire l'ensemble des notes et factures remis par les experts en écriture, consultés à la suite de la décision du rapporteur général du 14 novembre 2018 ;

- de la demande de rejet de la demande de clémence déposée par le groupe Campofrio qui ne respectait pas les conditions de l'article L. 464-2 IV du code de commerce ;

- de la demande tendant à ordonner à l'Autorité de publier dans les journaux Le Monde, Les Echos et de la revue Porc Mag un texte indiquant qu'elles ont été mises hors de cause dans l'affaire en référence par la décision de la cour d'appel de Paris à venir ;

- de la demande de condamner aux côtés de l'Autorité (demande initiale), le groupe Campofrio, ses filiales et M. [KT] [AB], à leur payer, à chacune, 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

139.S'agissant de cette dernière demande, la Cour les a également informées du fait que M. [AB] n'étant pas partie à l'instance, cette situation constituait une autre cause d'irrecevabilité.

140.La Cour a invité les parties intéressées, ainsi que l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'économie, à adresser leurs observations sur ces moyens relevés d'office pour le 2 mars 2023.

141.Le groupe Cooperl, par des observations du 24 février 2023, fait valoir, en premier lieu, qu'il ne ressort ni de l'article R. 464-15 du code de commerce, ni de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris rendue sur ce texte, une quelconque irrecevabilité venant sanctionner la production de prétentions et moyens nouveaux figurant dans l'exposé des moyens en réplique.

142.En deuxième lieu, il invoque le caractère complémentaire et accessoire - Et non nouveau - des prétentions et moyens produits dans son exposé des moyens n° 2, par rapport à l'exposé des moyens n° 1, au sens des articles 565 et 566 du code de procédure civile.

143.Ainsi, relève-t-il que :

- le moyen d'annulation de la procédure d'instruction pris de la violation de l'article R. 463-16 du code de commerce complète et tend aux mêmes fins que le moyen figurant dans le dispositif de l'exposé des moyens n° 1 par lequel il sollicitait déjà de la Cour « la nullité de la procédure d'instruction, et par voie de conséquence de la décision 20-D-09 de l'Autorité de la concurrence » ;

- la demande d'injonction à l'Autorité de produire l'ensemble des notes et factures remis par les experts en écriture, consultés, constitue l'accessoire du moyen par lequel il sollicitait déjà, dans le dispositif de son exposé des moyens n° 1, que la Cour juge « que la procédure d'instruction par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence a été menée en violation des droits de la défense, du principe du contradictoire, du principe de l'égalité des armes et des dispositions de l'article 6.1 de la CSDH »

- la demande de rejet de la demande de clémence déposée par le groupe Campofrio qui ne respectait pas les conditions de l'article L. 464-2 IV du code de commerce, constitue à la fois l'accessoire et la conséquence du moyen figurant dans le dispositif de l'exposé des moyens n° 1 par lequel il sollicitait déjà de la Cour qu'elle juge « que le groupe CAMPOFRIO, ses filiales et Monsieur [KT] [AB] se sont comportés d'une manière déloyale envers les sociétés COOPERL ARC ATLANTIQUE et BROCELIANDE ALH » ;

- la demande tendant à ordonner à l'Autorité de publier dans les journaux le Monde, les Echos et la revue Porc Mag un texte indiquant qu'elles ont été mises hors de cause dans l'affaire en référence par la décision de la cour d'appel de Paris à venir constitue le complément nécessaire de la demande formée auprès de la Cour que cette dernière prononce « l'annulation de la Décision en ce qu'elle a enjoint aux sociétés BROCÉLIANDE ALH et COOPERL ARC ATLANTIQUE d'insérer le texte figurant au § 1015 de la Décision dans l'édition papier et sur le site Internet des journaux Le Monde, Les Échos et de la revue Porc Mag » figurant dans le dispositif de l'exposé des moyens n° 1 ;

- la demande de condamner aux côtés de l'Autorité (demande initiale), le groupe Campofrio, ses filiales et M. [KT] [AB], à leur payer, à chacune, 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ne peut s'analyser que comme étant le complément nécessaire de la demande de « condamnation de l'Autorité de la concurrence au versement de la somme de 50 000 € à chacune des appelantes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile » et à la demande par laquelle le Groupe COOPERL sollicite de la Cour qu'elle juge « que le groupe CAMPOFRIO, ses filiales et Monsieur [KT] [AB] se sont comportés d'une manière déloyale envers les sociétés COOPERL ARC ATLANTIQUE et BROCELIANDE ALH », figurant toutes deux dans le dispositif de l'exposé des moyens n° 1.

144.Il en déduit que la Cour ne saurait relever d'office l'irrecevabilité des prétentions et moyens contenus dans l'exposé des moyens n° 2 et énumérés dans l'avis remis aux conseils des parties lors de l'audience de procédure du 14 février 2023.

145.Concernant les effets de la caducité visée par l'article R. 464-15 du code de commerce et ses conséquences sur les prétentions et moyens contenus dans l'exposé des moyens n° 2 précités, le groupe Cooperl a confirmé à l'audience qu'il se prévalait de la même argumentation, laquelle valait également pour la demande dirigée contre « le groupe Campofrio, ses filiales et M. [KT] [AB] ou toutes parties défaillantes à rembourser les sociétés Brocéliande ALH et Cooperl Arc Atlantique de toutes les sommes indûment versées ainsi que les frais de publication, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ».

146.Le groupe Campofrio, par des observations du 2 mars 2023, a demandé à la Cour de déclarer irrecevables les prétentions nouvelles du groupe Cooperl.

147.À cet égard, il relève que l'exposé n° 2 qui les contient a été déposé près de deux ans après l'introduction du recours principal, que les articles R. 464-15 et R. 464-16 du code de commerce poursuivent un objectif de célérité et d'efficacité et que l'irrecevabilité des prétentions et moyens présentés hors du délai de deux mois impartis par ces textes est consacrée de longue date par la jurisprudence.

148.Il ajoute que l'invocation des articles 565 et 566 du code de procédure civile est inopérante dès lors qu'il ne s'agit pas d'une irrecevabilité résultant du caractère nouveau des demandes par rapport à celles présentées en première instance, mais de leur caractère tardif au regard des délais impartis.

149.Il souligne également, comme l'a fait l'avis de la Cour, que M. [AB] n'est pas partie à l'instance et ne saurait être condamné, les demandes dirigées contre lui étant irrecevables.

150.L'Autorité et le ministre chargé de l'économie s'en sont remis à la sagesse de la Cour.

151.Le ministère public invite la Cour à déclarer ces moyens et prétentions irrecevables, comme n'ayant pas été exposés dans l'exposé n° 1 déposé au soutien du recours dans le délai de l'article R. 464-15 du code de commerce.

Sur ce, la Cour :

152.Conformément à l'article R. 464-16 du code de commerce, le demandeur à un recours incident doit, à peine de caducité relevée d'office, déposer au greffe, dans les deux mois de la notification qui lui a été faite en application du troisième alinéa de l'article R. 464-15, l'exposé complet des moyens invoqués au soutien de son recours.

153.Il ressort par ailleurs de l'article R. 464-10 code de commerce, que les recours exercés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions de l'Autorité de la concurrence sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de la présente section, de sorte que les dispositions du code de procédure civile cèdent devant celles expressément contraires précitées.

154.Il s'en déduit que le demandeur à un recours, soumis au régime procédural des articles R. 464-10 et suivants du code de commerce, ne peut utilement invoquer les articles 565 et 566 du code de procédure civile pour déroger aux dispositions de l'article R. 464-15 du code de commerce. Il le peut d'autant moins que ce texte sanctionne la nouveauté du moyen en raison de sa tardiveté et non en l'absence de lien avec les moyens débattus en première instance.

155.La jurisprudence qui appliquait déjà ces principes sous l'empire du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la Concurrence (Com. 8 novembre 1994, pourvoi n° 92-20285, Bull n° 330) les a repris sous l'empire de la nouvelle codification qui figurait à l'article R. 464-12 du code de commerce (Com. 22 septembre 2021, pourvoi n° 18-21.485 et autres), pour écarter les moyens présentés hors des délais impartis. Les dispositions, désormais prévues à l'article R. 464-15 depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2017-823 du 5 mai 2017, n'ont modifié ni les délais impartis ni la célérité qu'ils imposent en sanctionnant leur non-respect par une caducité relevée d'office.

156.En l'espèce, le 25 novembre 2020, le groupe Cooperl a formé des recours incidents dans chaque dossier et déposé à cette occasion l'exposé des moyens n° 1 à leur soutien.

157.Après jonction de ces instances, il a déposé le 18 janvier 2023 un mémoire récapitulatif en réplique, dénommé « exposé invoqués à l'appui des recours en annulation incident formés à l'encontre de la décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 de l'autorité de la concurrence n° 2 ».

158.Comme il a été rappelé dans les développements exposant les prétentions des parties, le dispositif de cet « exposé des moyens n° 2 » saisit la Cour de plusieurs demandes et moyens qui ne figuraient pas dans l'exposé des moyen n° 1, tendant, notamment, à :

- annuler la procédure d'instruction, et par voie de conséquence la décision attaquée, au titre de l'atteinte portée aux droits de la défense « en raison de la violation de l'article R. 463-16 du code de commerce imposant au rapporteur de joindre le rapport d'expertise à son rapport » ;

- Enjoindre à l'Autorité de produire l'ensemble des notes et factures remis par les experts en écriture consultés à la suite de la décision du rapporteur générales du 14 novembre 2018 ;

- rejeter la demande de clémence déposée par le groupe Campofrio qui ne respectaient pas les conditions de l'article L. 464-2 IV du code de commerce;

- ordonner à l'Autorité de publier dans les journaux Le Monde, Les Echos et de la revue Porc Mag un texte indiquant qu'elles ont été mises hors de cause dans l'affaire en référence par la décision de la cour d'appel de Paris à venir ;

159.Le groupe Cooperl ne justifie d'aucun élément ou circonstance ayant fait obstacle à l'expression des demandes et moyens qui précèdent, dans le délai de deux mois impartis par l'article R. 464-16 précité. La caducité résultant de l'application de ce texte ne permet donc pas de saisir valablement la Cour de ces prétentions et moyens.

160.S'agissant des demandes de remboursement, qui figuraient dans l'exposé n° 1 mais étaient dirigées exclusivement contre l'Autorité, le groupe Cooperl y ajoute désormais, aux termes de son exposé n° 2, une demande tendant également à condamner :

-  (') le groupe Campofrio, ses filiales et Monsieur [KT] [AB] ou toutes parties défaillantes à rembourser les sociétés Brocéliande ALH et Cooperl Arc Atlantique de toutes les sommes indûment versées ainsi que les frais de publication, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

-  (') le groupe Campofrio, ses filiales et Monsieur [KT] [AB] au versement de la somme de 50 000 euros à chacune des appelantes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

161.Ces demandes, qui constituent des prétentions nouvelles à l'encontre du « groupe Campofrio, ses filiales et Monsieur [KT] [AB] ou toutes parties défaillantes » ne peuvent valablement saisir la Cour, pour les mêmes motifs tirés d'un caractère tardif que rien ne justifie.

162.Elles sont également irrecevables en ce qu'elles sont dirigées contre une personne, M. [AB], qui n'est pas dans la cause.

C. Sur le sursis à statuer

163.Le groupe Cooperl, sollicite, in limine litis, un sursis à statuer jusqu'à l'issue de la procédure ouverte à la suite du dépôt de sa plainte pour faux, usage de faux, dénonciation calomnieuse et escroquerie au jugement, dans laquelle il a, en substance, fait valoir que M. [AB] et les sociétés du groupe Campofrio ont, pour les besoins du dépôt de demandes de clémence devant les services de l'Autorité, au mois d'octobre 2012, fabriqué et rédigé le Carnet ayant servi de fondement aux demandes de clémence (en y alléguant faussement et frauduleusement de prétendus échanges anticoncurrentiels avec d'autres sociétés, dont le groupe Cooperl). Il soutient que, conformément à l'article 378 du code de procédure civile, la Cour ne saurait statuer tant que la question de l'authenticité et de l'absence de valeur probante de ce Carnet, qui fonde l'accusation au titre du grief n° 3, n'a pas été définitivement tranchée. Il précise qu'un juge d'instruction a été désigné le 15 juillet 2020 et que par ordonnance du 10 décembre 2021 le juge d'instruction saisi du dossier a dit « y avoir lieu à informer » (pièce n° 10 venant au soutien de la demande de sursis). Il ajoute qu'il ne s'agit pas uniquement de définir la valeur probante du Carnet mais de savoir, dans un souci de bonne administration de la justice, s'il s'agit d'une escroquerie au jugement menée à l'occasion de la demande de clémence, au moyen d'un faux carnet et de fausses déclarations.

164.Le groupe Campofrio conteste le bien-fondé de la demande de sursis à statuer, considérant qu'il s'agit d'une instrumentalisation de la procédure pénale à des fins dilatoires, que les motifs retenus par l'Autorité pour écarter la demande de sursis à statuer en première instance sont toujours pertinents, et ce malgré les éléments nouveaux relatifs à la procédure pénale et à l'ouverture d'une instruction, qu'un sursis à statuer serait susceptible d'allonger de manière excessive la procédure devant la Cour et qu'une telle demande est en contradiction avec la demande d'annulation de la procédure en raison de sa durée excessive.

165.L'Autorité, comme la décision attaquée avant elle, rappelle qu'en tant qu'autorité administrative, elle n'est pas tenue d'attendre que le tribunal judiciaire de Paris ait statué pour qualifier et sanctionner, au regard des règles du droit de la concurrence, les comportements dénoncés devant elle. Elle estime également que le sursis à statuer ne s'impose pas davantage à la cour d'appel qui dispose de tous les éléments utiles pour apprécier l'authenticité et la valeur probante du Carnet. Elle conclut au rejet de la demande de sursis.

166.Le ministre chargé de l'économie relève que la Cour dispose de toute latitude pour se prononcer, au regard du standard de preuve applicable en droit de la concurrence, sur la recevabilité et la valeur probante du carnet. Il observe qu'elle peut s'appuyer sur l'ensemble des éléments du dossier et sur les nouvelles pièces produites devant elle, incluant un nouveau rapport d'expertise du Carnet. Il en déduit que la Cour est en mesure de juger l'affaire sans attendre l'ordonnance de règlement du juge d'instruction.

167.Le ministère public rappelle, tout d'abord, qu'en l'absence de disposition spécifique ou d'exclusion au sein des règles applicables à la procédure de recours contre les décisions de l'Autorité devant la cour d'appel de Paris le droit commun de la procédure civile est applicable. Il constate, ensuite, que la règle posée par l'article 378 du code de procédure civile ne concerne que les actions civiles en réparation du dommage causé par l'infraction. Rappelant les termes de l'article 4 du code de procédure pénale, il en déduit que, dans le présent contentieux, si le juge peut prononcer un sursis, il n'en a pas l'obligation. Il considère que la Cour dispose d'éléments suffisants pour apprécier, au regard du standard de preuve applicable en droit de la concurrence, la recevabilité et la valeur probante du Carnet et des informations qui s'en évincent. Il ajoute que la demande de sursis apparaît en contradiction avec l'exigence de rendre des décisions dans un délai raisonnable, qui donne lieu dans le présent recours à un moyen soulevé par certains requérants tiré d'une durée excessive, et conduirait à retarder de plusieurs années la décision à intervenir dès lors que la procédure pénale n'en est encore qu'au stade de l'instruction. Il invite la Cour à rejeter cette demande.

Sur ce, la Cour :

168.À titre liminaire, il convient de rappeler que le principe, posé par le deuxième alinéa de l'article 4 du code de procédure pénale, selon lequel le pénal tient le civil en état, ne vaut que pour les actions civiles en réparation du dommage causé par une infraction. Tel n'étant pas le cas du contentieux en cause, aucune obligation de surseoir à statuer ne pèse sur la Cour dans l'attente de l'issue de la procédure pénale pendante.

169.S'agissant de l'opportunité d'ordonner une telle mesure, la Cour constate qu'aux termes de la décision attaquée (§ 664 et suivants) l'Autorité s'est appuyée sur un faisceau d'indices comportant, outre le Carnet apporté par le primo-demandeur de clémence, des éléments extérieurs tels que des relevés d'appels téléphoniques et des courriels (annexe 4, et en particulier tableau 4.3 pour ce qui concerne l'existence d'échanges bilatéraux impliquant Brocéliande).

170.Il y a lieu de relever, d'abord, que la nature du recours qui saisit la Cour n'implique pas d'apprécier l'allégation selon laquelle une escroquerie au jugement aurait été commise par le demandeur de clémence. Il convient, ensuite, de constater que la Cour est en capacité d'apprécier la valeur probante attachée au faisceau d'indices précité, sans qu'il soit nécessaire d'attendre l'issue de la plainte pénale déposée. Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer.

D. Sur la demande de protection au titre du secret des affaires

171.Par conclusions déposées au greffe le 17 février 2023, le groupe Cooperl a demandé la protection du secret des affaires au bénéfice de sa pièce complémentaire n° 36 relatives à sa situation financière et sa communication restreinte, en sa version confidentielle intégrale, à la Cour, à l'Autorité et au ministre chargé de l'économie.

172.Cette pièce venant au soutien d'un moyen tendant à adapter le montant de la sanction aux capacités contributives du groupe au 31 janvier 2023, portant sur des données financières confidentielles et étant sans aucune incidence sur l'exercice des droits de la défense des autres parties à l'instance, il y a lieu de faire droit à cette demande, qui n'est au demeurant pas contestée.

E. Sur la présence des rapporteurs lors du délibéré,

173.Le groupe Cooperl fait valoir, eu égard aux dispositions de l'article 6 § 1 de la CSDH, à la pratique décisionnelle de l'Autorité en la matière et à la jurisprudence de la cour d'appel de Paris et de la chambre commerciale de la Cour de cassation, que la décision attaquée ne pourra qu'être annulée en raison, lors du délibéré, de la présence de Mme [TX] [PK] et M. [RR] [Z], rapporteurs, et de l'intervention, de M. [IK] [IN], rapporteur général adjoint. Il tire pour preuve d'une telle intervention l'indication figurant en page 254 de la décision attaquée, rédigée en ces termes : « délibéré sur le rapport oral de Mme [TX] [PK] et M. [RR] [Z], rapporteurs, et l'intervention de M. [IK] [IN], rapporteur général adjoint, ['] ».

174.Il souligne, également, que la décision n'est pas signée.

175.L'Autorité rappelle, en premier lieu, s'agissant de la présence alléguée des rapporteurs lors du délibéré, ainsi que l'avaient fait avant elle tant le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 07-D-15 du 9 mai 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans les marchés publics relatifs aux lycées d'Ile de France, que la cour d'appel de Paris (arrêt du 24 septembre 2002, RG n° 2002/04232), que la mention « délibéré sur le rapport oral de », de manière non équivoque, ne peut s'analyser que comme une référence au rapport oral effectué lors de la séance et ne signifie nullement que les rapporteurs ont participé au délibéré.

176.En second lieu, s'agissant de l'absence de signature, elle rappelle l'article 52 de son règlement intérieur pour justifier du fait que les originaux signés sont conservés au secrétariat des séances, unité du service de la procédure, tandis que la décision notifiée par le secrétariat des séances aux parties, au ministère chargé de l'économie et à la DGCCRF ne comporte pas les signatures du président de séance et de la secrétaire de séance mais un tampon mentionnant « ampliation conforme à l'original » et la signature de la secrétaire de séance qui en certifie la conformité.

177.Elle en déduit que ce moyen de procédure doit être écarté.

178.Le ministère public invite la Cour à rejeter ce moyen, comme elle l'a déjà fait (CA Paris, 24 septembre 2002, RG n° 2002/04232). Il considère que cette mention ne signifie pas que les rapporteurs ont participé au délibéré.

Sur ce, la Cour :

179.Il est constant, en premier lieu, ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation, que la participation du rapporteur au délibéré de l'Autorité, serait-ce sans voix délibérative, est contraire à l'article 6 § 1 de la CSDH; dès lors que celui-ci a procédé à des investigations utiles pour l'instruction des faits dont l'Autorité est saisie, et qu'il en est de même pour la présence à ce délibéré du rapporteur général, l'instruction du rapporteur étant accomplie sous son contrôle (Com. 5 octobre 1999, pourvois n° 97-15.617 et autres, Bull. civ. 1999, IV, n° 159).

180.Toutefois, en l'espèce, la mention « délibéré sur le rapport oral de », qui est dépourvue de toute équivoque, ne peut s'analyser que comme une référence au rapport oral effectué lors de la séance et n'induit pas que les rapporteurs ont participé au délibéré. Le moyen, qui manque en fait, doit être rejeté.

181.En second lieu, il ressort de l'article 52 du règlement intérieur de l'Autorité que « [c]haque décision ou avis fait l'objet d'une minute établie en un seul exemplaire, sous la responsabilité du chef du bureau de la procédure » et que cette minute « est signée par le président de séance et par le secrétaire de séance. En cas d'empêchement du président de séance, elle est signée par le vice-président ou, à défaut, par le membre le plus ancien dans ses fonctions parmi ceux ayant siégé et, en cas de concours d'ancienneté, par le plus âgé. En cas d'empêchement du secrétaire de séance, elle est signée par le chef du bureau de la procédure. Les minutes sont conservées par le bureau de la procédure. ».

182.L'article 53 du même règlement précise que « [l]es décisions de l'Autorité sont notifiées dans les conditions prévues aux articles L. 464-8, R. 430-7, R. 464-8 et R. 464-30 du code de commerce, après l'établissement de la minute, par le président de l'Autorité ou par le chef du bureau de la procédure » et son article 56 prévoit que « [l]es ampliations des décisions et des avis sont certifiées conformes par le chef du bureau de la procédure ou par le secrétaire de séance ».

183.Ces articles n'exigent pas que la décision notifiée aux parties soit une reproduction de la minute signée, mais impliquent uniquement que son contenu soit conforme en tous points à la minute, ce dont il est attesté par l'ampliation dont la régularité n'est pas discutée devant la Cour.

184.Il n'est, en conséquence, justifié d'aucune irrégularité de nature à entraîner l'annulation de la décision attaquée. La demande présentée à ce titre par le groupe Cooperl est rejetée.

F. Sur l'atteinte aux droits de la défense résultant de la durée de la procédure

185.Les filiales Mousquetaires SCSG et SCO constatent, à titre liminaire, que la durée de traitement de l'affaire est en limite de prescription absolue dès lors que les premières auraient participé au grief n° 1 « du 14 janvier 2011 au 26 avril 2013 » et qu'elles auraient toutes participé au grief n° 3 du « 30 mars 2011 au 3 janvier 2012 », alors que la décision attaquée n'est intervenue que le 16 juillet 2020, soit sept à huit ans et demi après la fin des pratiques alléguées.

186.Elles font valoir, ensuite, qu'elles ont été dans l'incapacité de reconstituer en février 2018 les éléments de preuve qui auraient permis d'assurer leur défense de manière effective, en raison du temps écoulé.

187.Elles invoquent, en particulier, les relevés téléphoniques du salarié de Salaisons du [Localité 63] (M. [NC] [PJ]) qui auraient permis de démontrer l'absence de contact direct à l'origine des mentions inscrites par M. [KT] [AB] dans le Carnet utilisé dans le cadre du grief n° 3, dans la mesure où il leur a été opposé le fait que les relevés de M. [AB] n'identifiaient que les appels sortants et qu'ils ne pouvaient exclure leur participation. À cet égard, elles observent qu'il leur est reproché de ne pas démontrer l'absence de contact téléphonique entre ces deux salariés, alors que ces contacts sont mis en évidence par les relevés téléphoniques de M. [AB] pour tous les autres participants. Elles insistent sur le fait qu'elles étaient dans l'incapacité de produire les relevés d'appels de leur propre ligne téléphonique pour une période antérieure de 6 à 8 ans à la notification de griefs, les opérateurs téléphoniques ayant l'obligation de détruire les données concernées à l'issue d'une période de 12 mois conformément à l'article R. 10-14 du code des postes et des communications électroniques.

188.Elles rappellent également que si Salaisons Celtiques a fait l'objet des visites et saisies, c'est uniquement au titre de ce qui est devenu le grief n° 1 et qu'elles n'ont toutes découvert qu'elles étaient mises en cause au titre du grief n° 3 qu'à la réception de la notification de griefs. Elles estiment que les entreprises n'ayant pas fait l'objet de visites et saisies avaient tout lieu de penser qu'elles n'étaient pas concernées par l'affaire et qu'il doit en être tenu compte sur le plan de la charge probatoire.

189.Elles ajoutent qu'elles ont, parallèlement, dû répondre à un rapport d'obstruction (relatif à une absence d'information considérée comme volontaire et immédiate concernant la dissolution-confusion de Salaisons du [Localité 63] intervenue fin 2018) et dû consacrer une part du temps de réponse au rapport qui leur était imparti et de leurs ressources à répondre à cette mise en cause, à laquelle il n'a pas été donné suite à ce jour.

190.Elles précisent enfin que ce n'est que dans le délai de recours que des analyses ont pu être menées, sur des bases qui sont toutefois incomplètes compte tenu du temps écoulé.

191.SCO indique à cet égard que, lorsqu'en 2018, il lui a été demandé de s'exprimer sur le fait que le Carnet de Campofrio fournissait un indice de ce qu'en janvier 2012 ce groupe aurait eu vent d'une hausse des prix qu'elle pratiquait à l'égard de Casino sur les knacks, elle n'a pu immédiatement étayer les éléments de contexte permettant d'affirmer en particulier qu'aucune hausse n'avait été passée à ce client début 2012. Elle fait valoir que ce n'est que dans le délai de recours qu'elle a pu faire procéder à la restauration et à l'analyse des données informatiques de vente de l'époque. SCO indique fournir aujourd'hui la preuve que son prix à Casino est resté parfaitement inchangé jusqu'à l'été 2012 (pièce SCO n° 10 relatives à l'analyse des données de facturation pour 2011-2012) et qu'ainsi l'information mentionnée au Carnet n'est pas exacte et n'était en réalité qu'une rumeur de marché. Elle estime que dans le cadre d'une procédure plus respectueuse des droits de la défense, cette preuve aurait pu être apportée dans le cours de la procédure et éviter les conséquences d'une décision de condamnation.

192.Les filiales du groupe Mousquetaire SCSG et SCO soutiennent également qu'elles n'ont pu s'engager dans une conversion des données comptables antérieures à leur changement de système comptable en 2012 que dans le délai de recours. Elles précisent que les analyses conduites ont permis d'établir la répartition des ventes de produits de charcuterie cuite par famille de produits en 2011 (selon qu'il s'agisse de produits destinés au groupement ou à d'autres acteurs de la grande distribution) ainsi que les niveaux de prix pratiqués, par famille de produits ou par référence, vis-à-vis des rares clients externes par rapport à ceux pratiqués en interne auprès des sociétés du groupement, ainsi que leur évolution en 2011 et 2012 (pièces des filiales du groupe Mousquetaire SCSG n° 9). En revanche, s'agissant de Salaisons du [Localité 63], elles indiquent ne plus avoir de données de tonnage (et donc de prix au kilo) ni de données mensuelles permettant de suivre l'évolution des prix infra-annuelle. Les filiales du groupe Mousquetaire SCSG ajoutent qu'elles ne disposaient pas en 2011 et 2012 de système de comptabilité analytique et, eu égard au temps écoulé depuis, qu'il n'a pas été possible de retrouver les éléments qui auraient permis de procéder à des analyses comparées de leurs niveaux de marges sur coûts variables et de marges nettes, afin de fournir des illustrations supplémentaires des différences fondamentales existant entre les produits destinés au Groupement et les quelques références produites sous MDD pour des tiers.

193.Elles concluent par le fait que ces différentes atteintes aux droits de la défense justifieraient à elles seules l'annulation de la décision attaquée.

194.Le groupe Cooperl se prévaut de la nullité de la procédure en raison de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense. Il soutient en ce sens que les pratiques qui lui sont reprochées concernent le grief n° 3 (période comprise entre le 1er juillet 2010 et le 19 septembre 2012 et notification des griefs du 12 février 2018, à prendre en compte), que la durée de la procédure (et plus précisément de l'instruction, supérieure à cinq ans) a rendu impossible la production d'explications et d'éléments à décharge sur les faits qui lui ont été reprochés, en raison notamment du départ à la retraite de deux salariés du groupe (MM. [CR] [T] et [KT] [VD]). Il précise que les auditions de MM. [T] et [VA] se sont déroulées environ quatre ans après la fin des prétendues pratiques reprochées, alors que le groupe n'avait pas connaissance des éléments d'accusation et qu'il n'avait plus à sa disposition ni M. [VD] ni M. [T] lorsqu'il a eu connaissance des accusations portées par le groupe Campofrio. Il invoque l'écoulement de huit années entre les faits reprochés et la notification de griefs, rendant impossible la production d'éléments à décharge et portant une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, cause de nullité de la procédure.

195.Le ministre chargé de l'économie relève, qu'en l'espèce, la phase d'instruction non contradictoire, qui a débuté avec la saisine du 21 septembre 2012 et s'est achevée avec la notification de griefs du 16 février 2018, a duré près de 5 ans et demi, que la phase contradictoire, qui s'étend de la notification de griefs à la décision attaquée du 16 juillet 2020, a duré 2 ans et 4 mois et qu'ainsi la durée totale de la procédure devant l'Autorité a été de 7 ans et 9 mois. Il estime, au regard des points 295 et 296 de la décision attaquée, qui développent les circonstances de l'espèce, que ces délais sont justifiés par l'ampleur et la complexité de l'affaire, ainsi que par des événements non imputables à l'Autorité qui ont conduit à allonger la phase contradictoire de la procédure (demande de désignation d'un expert à la demande notamment du groupe Cooperl et saisine du conseiller auditeur par ce même groupe). Il en déduit que la durée de la procédure ne peut être considérée comme excessive.

196.Il constate, au surplus, qu'aucune des requérantes ne démontre en quoi cette durée aurait porté une atteinte concrète et irrémédiable à son droit de se défendre. Il ajoute que l'Autorité a parfaitement démontré aux points 299 et 300 de la décision attaquée que dès le mois de mai 2013, au moment des opérations de visites et saisies, les requérantes ont, directement ou indirectement, eu connaissance de l'enquête en cours et de son objet et qu'il leur appartenait de rassembler et conserver toutes les pièces nécessaires à leur défense.

197.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce, la Cour :

198.Les exigences du procès équitable, découlant de l'article 6 de la CSDH, imposent à l'Autorité l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable sur le bien-fondé des griefs qui lui sont soumis.

199.Il résulte d'une jurisprudence constante que la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi (Com. 28 janvier 2003, bull. n° 12, pourvoi n° 01-00 528 ; 22 novembre 2005, bull. n° 231, pourvoi n° 04-19 108 ; 13 juillet 2004, bull. n° 163, pourvoi n° 06-13.598 et a., 6 mars 2007, bull. IV, n° 77, pourvoi n° 0613.598, 22 juillet 2010, pourvoi n° 0916269) sous réserve qu'il n'ait pas été porté une atteinte personnelle, effective et irrémédiable au droit de se défendre (Com. 23 novembre 2010, pourvoi n° 09-72.031 ; Com. 19 juin 2001, bull. n° 120, 20 novembre 2001, bull. n° 182, pourvoi n° 99-16.776). En conséquence, la durée d'une procédure peut avoir pour conséquence l'annulation d'une décision attaquée si deux conditions sont satisfaites, de manière cumulative, la première étant que cette longueur apparaisse comme ayant été déraisonnable et la seconde étant que le dépassement du délai raisonnable ait entravé l'exercice des droits de la défense, en compromettant la faculté, pour les entreprises concernées, de recueillir les preuves et de présenter leurs arguments, situation constitutive d'une atteinte personnelle, effective et irrémédiable au droit de se défendre.

200.S'agissant, en premier lieu, du caractère raisonnable du délai, il convient de rappeler qu'il s'apprécie au regard, notamment, de l'ampleur et de la complexité de l'affaire, ainsi que du comportement des parties au cours de la procédure.

201.En l'espèce, l'Autorité a été saisie le 21 septembre 2012 d'une plainte relative à des pratiques, en cours, mettant en cause plusieurs sociétés de charcuterie-salaisonnerie. Elle a instruit deux demandes de clémences enregistrées le 2 octobre 2012, pour le compte de sociétés appartenant au groupe Campofrio, la conduisant à se saisir d'office de pratique mises en œuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie. Elle a, après autorisation du juge des libertés et de la détention obtenue le 2 mai 2013, effectué des opérations de visite et saisie le 15 mai 2013 dans les locaux de treize entreprises, dont la société Salaisons Celtiques pour ce qui concerne le groupe Les Mousquetaires - Et Cooperl Arc Atlantique et Brocéliande "pour le groupe Cooperl (la liste des autres entreprises concernées étant reprise au § 9 de la décision attaquée). De nombreux documents ont été saisis, cotés et instruits à cette occasion, comme le confirment les annexes 24 à 111 du dossier 13/0006F, dans lesquelles ils ont été intégrés. Concernant la société Salaisons Celtiques, l'inventaire dressé au cours des opérations détaille le contenu de trois scellés (comportant respectivement 496, 360 et 136 cotes). À la suite de ces opérations, une nouvelle demande de clémence a été formulée le 25 septembre 2013 pour le compte du groupe Coop. Plusieurs avis de clémence ont ainsi été instruits et rendus (avis n° 13-AC-02 pour les pratiques dénoncées dans le secteur des achats de JSM auprès des abatteurs par les charcutiers-salaisonniers ; avis n° 13-AC-01 pour les pratiques dénoncées dans le secteur des produits de charcuterie vendus sous MDD ou sous forme de premier prix et l'avis n° 14-AC-02 pour les pratiques dans le secteur de la fourniture sur le marché français de produits de charcuterie crus, vendus sous MDD). Outre les demandes de communication de pièces et de renseignements, de nombreuses auditions se sont succédées de 2014 à 2017 (annexes 126 à 144 du dossier 13/0006F). Concernant la société Salaisons Celtiques une audition s'est tenue le 29 décembre 2015 (annexe 130 du dossier 13/0006F). Le 16 février 2018, le rapporteur général a adressé une notification portant sur trois griefs d'entente, à quatorze groupes regroupant cinquante-sept sociétés, incluant le groupe Les Mousquetaires . Une notification rectificative a été adressée le 13 avril 2018 à la suite de procédures de redressement ou liquidation judiciaire ouvertes au bénéfice de certaines d'entre elles. Il n'est pas contesté que plus de 45 000 cotes ont en définitive été versées au dossier et analysées par les services d'instruction, ainsi que l'a rappelé la décision attaquée (§ 295). La désignation d'un expert aux fins d'analyse du Carnet remis par le groupe Campofrio et la saisine du Conseiller auditeur par le groupe Cooperl a, par ailleurs, allongé la phase contradictoire de la procédure. Le rapport d'expertise définitif a été notifié le 2 mai 2019 aux parties et le rapport d'instruction l'a été le 17 juillet 2019, les parties ayant disposé d'un délai expirant le 14 octobre 2019 pour produire des observations. La séance de l'Autorité s'est tenue les 22 et 24 janvier 2020. La décision attaquée a été rendue le 16 juillet 2020. Il ressort de cette synthèse que l'Autorité a ainsi mené une activité continue en raison des sollicitations abondantes qui lui parvenaient des parties.

202.Au regard de l'ampleur et de la complexité du dossier, tenant notamment à la pluralité de griefs, au nombre significatif d'acteurs et au volume important de documents fournis ou obtenus au cours des opérations de visite et saisies, la durée de la procédure n'est pas excessive. La première condition n'étant pas remplie la Cour n'est, en principe, pas tenue d'examiner la seconde.

203.Ce n'est donc qu'à titre surabondant que la Cour examinera si la longueur de la procédure a porté une atteinte personnelle, effective et irrémédiable au droit de se défendre des filiales du groupe Mousquetaires SCSG et SCO, ainsi que du groupe Cooperl.

204.À cet égard, la Cour rappelle, d'abord, que la violation du droit des entreprises de se défendre utilement, liée à la durée de la procédure, s'apprécie nécessairement à l'aune du devoir général de prudence incombant à chaque opérateur économique qui se doit de veiller à la bonne conservation de ses livres et archives, comme de tous éléments permettant de retracer la licéité de ses pratiques en cas d'actions judiciaire ou administrative, d'autant que le législateur l'expose à des sanctions dans la limite du délai de 10 ans prévu à l'article L. 462-7 du code de commerce. Le seul fait qu'une décision de sanction soit rendue « sept à huit ans » après la cessation des pratiques reprochées n'est donc pas, en lui-même, un élément pertinent au regard du délai de 10 ans précité.

205.La Cour relève, ensuite, qu'il ne peut être utilement invoqué les difficultés de disposer de certains éléments de preuve, dues à des causes internes à l'entreprise, qui sont sans lien avec le déroulement de l'instruction et de la procédure suivie devant l'Autorité.

206.En l'espèce, sur le premier point relatif au devoir de prudence, s'agissant du groupe Mousquetaire, le grief n° 1, notifié aux sociétés Salaisons Celtiques et à ses sociétés mères le 16 février 2018, et le grief n° 3, notifié concomitamment aux mêmes sociétés ainsi qu'aux sociétés Salaisons du [Localité 63] et SCO, portaient, respectivement, sur les périodes du « 14 janvier 2011 au 26 avril 2013 » et du « 1er juillet 2010 au 19 septembre 2012 », et faisait suite à des opérations de visite et saisie menées le 15 mai 2013 dans les locaux de nombreuses entreprises du secteur, dont la société Salaisons Celtiques, à l'occasion desquelles avait été notifiée l'ordonnance du JLD exposant les indices et motifs justifiant cette mesure. Cette dernière avait par ailleurs été destinataire de demandes de pièces du rapporteur le 15 mai 2014, précisant qu'elle s'inscrivait dans le cadre de l'instruction d'une saisine d'office ayant pour objet des « pratiques mises en œuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie » (annexe 160 du dossier 13//0006F, cote 8293). Le rapporteur y avait précisé : « [i]l conviendra d'établir, également, auprès de quelle (s) société (s), MM. [VC] [NE], [M] [XL], [G] [I], [DE] [BG], [GD] [U], [WE] [MA], ont été salariés depuis 2010 et pour quelle (s) fonction (s) [directeur ou responsable des achats] » et demandait encore, notamment, : « D'autres sociétés du groupe Intermarché/ Salaisons Celtiques, notamment Ranou, [SCO] Onno, ont-elles été impliquées dans des achats de jambon sans mouille en France sur la période 2010 à 2014 - dans cette hypothèse, je vous remercie d'avance de me faire procurer auprès d'elles, les mêmes éléments d'informations les concernant (') ». Dans un tel contexte, qui n'excluait pas d'étendre les investigations à d'autres entités du groupe, et compte tenu de l'objet de l'instruction en cours, qui couvrait les « pratiques mises en œuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie », le devoir de prudence précité était d'autant plus prégnant.

207.Le même constat s'impose à l'égard du groupe Cooperl, dont les deux sociétés mises en cause au titre du grief n° 3 ont fait l'objet d'opérations de visite et saisie le 15 mai 2013 et à l'égard desquelles la prudence commandait de conserver toute preuve de nature à établir la licéité de leurs pratiques. Comme l'a justement relevé la décision attaquée (§ 300), la circonstance que deux salariés supposés avoir participé aux pratiques (MM. [T] et [VD]), n'étaient plus présents dans l'entreprise à la date à laquelle les griefs lui ont été communiqués (février 2018), ne peut utilement être invoquée dès lors qu'il n'est pas établi qu'il était impossible pour le groupe de recueillir leur témoignage ou de reprendre contact avec eux et, partant, de produire des éléments à décharge concernant des pratiques qui avaient déjà été portées à sa connaissance, même si elles ne lui avaient pas encore été reprochées. À cet égard, la Cour observe que M. [T], qui avait succédé à M. [VD] lors du départ à la retraite de ce dernier (avec des fonctions et périmètres d'intervention identiques, cotes 20393, VC20394/VNC 37661), avait été auditionné par les services d'instruction le 14 février 2016 (cotes 17098 à 17102, également en pièce Cooperl n° 1) alors qu'il était lui aussi à la retraite, et un second salarié du groupe Cooperl, M. [X] [VA], avait été auditionné le 15 septembre 2016 (cotes 17282 à 17293, également en pièce Cooperl n° 2), et qu'à cette occasion leurs commentaires avaient été sollicités concernant les notes manuscrites de M. [KT] [AB], notamment celles faisant état d'un échange téléphonique du 10 mai 2011 avec M. [T] (cote 17100) et d'un échange téléphonique le 9 juillet 2010 avec M. [VA] (cote 17286) dans un contexte d'appel d'offres en cours.

208.Sur le second point relatif aux difficultés de disposer de certains éléments de preuve, force est de constater que l'absence de comptabilité analytique et le changement de système comptable en 2012, dus à des causes internes à l'entreprise, sont sans lien avec le déroulement de l'instruction et de la procédure. Les filiales du groupe Mousquetaires SCSG et SCO, loin d'établir que la durée de la procédure a fait obstacle à l'exercice des droits de leur défense, démontrent au contraire l'avoir mis à profit pour entreprendre « dans le délai du recours » une conversion de leurs données comptables antérieures, ainsi qu'une analyse des données informatiques de vente de l'époque. Soutenant disposer « aujourd'hui » d'éléments de preuve permettant de démentir l'exactitude des informations contenues dans le Carnet remis par le demandeur de clémence et d'analyses venant au soutien de leur argumentation (pièces des filiales du groupe Mousquetaires SCSG et SCO n° 9/10), ces sociétés n'établissent pas en quoi il aurait été irrémédiablement porté atteinte à leurs droits de la défense. Quant à l'incapacité pour ces sociétés d'exploiter les relevés téléphoniques de M. [NC] [PJ], du fait de la conservation limitée de ces données par les opérateurs de téléphonie et de la durée excessive de la procédure, cet argument est inopérant dès lors qu'il ne ressort pas de la décision attaquée que leur condamnation se fonde sur l'absence de production de cet élément. L'Autorité se borne en effet à constater que les relevés téléphoniques de M. [AB] ne permettent de retracer que les appels émis par ce dernier et non ceux qu'il a reçus, et en déduit que le fait que les échanges entre M. [AB] et M. [PJ] n'apparaissent pas sur les relevés téléphoniques de M. [AB] ne permet pas d'exclure de tels contacts. L'existence de ces échanges est quant à elle déduite, dans la décision attaquée, du rapprochement des mentions du Carnet (§ 273 à 275 de la décision attaquée) et d'un courriel du 9 décembre 2011 (§ 699), dont la pertinence a pu être discutée par les parties tout au long de la procédure et qui sera examinée par la Cour dans la partie consacrée à la caractérisation des pratiques.

209.Enfin, concernant les filiales du groupe Mousquetaires SCSG et SCO, celles-ci ne sauraient pas davantage invoquer la notification, à leur encontre, d'un rapport d'obstruction le 26 juillet 2019, comme une circonstance ayant mobilisé leur temps et leurs ressources, dès lors qu'il leur incombait de porter à la connaissance de l'Autorité les changements intervenus en cours de procédure (la « dissolution-confusion de la société Salaisons du [Localité 63] »). Il suit de là qu'elles ne justifient nullement de l'impossibilité dans laquelle elles se seraient trouvées de conserver et faire réaliser les travaux d'analyses et de restauration de données utiles à leur défense, dès que l'objet de l'instruction en cours a été porté à leur connaissance, ce qui leur aurait manifestement permis de disposer de données plus complètes.

210.Les parties ne sont donc pas fondées à demander l'annulation de la procédure au motif que sa durée serait excessive et aurait porté atteinte aux droits de la défense.

G. Sur la régularité de l'expertise, la valeur probante du Carnet et la demande de nouvelle expertise

211.Les filiales Mousquetaires SCSG et SCO, comme le groupe Cooperl, invoquent différentes violations des droits de la défense inhérentes à la mesure d'expertise.

212.Ils mettent en cause, en premier lieu, les conditions de désignation de l'expert. Ils soutiennent qu'elles méconnaissent le principe du contradictoire faute de consultation préalable des parties tant sur le champ de la mission que sur le choix de l'expert et que les services d'instruction auraient dû respecter le principe du contradictoire dès lors que l'expertise avait pour but de justifier le statut probatoire d'un document central retenu à charge contre les parties. Ils estiment que le principe d'égalité des armes commandait également de faire ordonner l'expertise par un magistrat, indépendant tant des parties que des services d'instruction. Ils ajoutent que les conditions de désignation établissent également une violation du secret de l'instruction, de la loyauté de la preuve et du principe d'égalité des armes, dès lors que plusieurs experts (dont Mme [DT]) ont été consultés préalablement à la désignation de l'expert au principal (Mme [LX]) privant les entreprises de la possibilité de recourir aux principaux experts de la place. Ils déduisent de cette situation que si plusieurs experts ont été auditionnés, certains rémunérés, et qu'un seul (Mme [LX]) a été finalement retenu, c'est parce que cet expert était le plus favorable à l'Autorité. Le groupe Cooperl considère que la problématique soulevée n'est pas la liberté pour le juge de consulter plusieurs experts avant de procéder à la désignation de l'un d'eux, mais de recevoir des experts, puis de leur confier une mission et de les rémunérer pour cette mission, sans que leurs échanges avec les rapporteurs ne fassent l'objet d'observations des parties. Il ajoute qu'en sollicitant, en amont, plusieurs experts, l'Autorité a cherché à priver ces entreprises de l'opportunité de se défendre en se faisant accompagner d'un expert en écritures. Il dénonce le caractère déloyal des agissements de l'Autorité, qui a ainsi interpellé Mme [LX] quant à l'existence d'un soi-disant conflit d'intérêts existant dans le recours aux services de Mme [DT] par le groupe Cooperl et relève que n'ayant pas eu la liste des experts consultés par l'Autorité, il n'a pas eu le temps matériel de trouver un autre expert pour la réunion du 13 décembre 2018, à 8 heures 30.

213.Ils critiquent, en deuxième lieu, la définition de son ordre de mission et le refus du rapporteur général de le modifier, ainsi que les irrégularités commises lors du déroulé de l'expertise.

214.Les requérants précités, à l'instar du groupe Nestlé, considèrent que la mission de l'expert aurait dû être formulée différemment. Pour le groupe Cooperl, elle aurait pu se résumer à la question de savoir si M. [AB] a menti ou dit la vérité en affirmant que « - le plus souvent, je notais directement l'information sur mon carnet, au moment de l'appel téléphonique ». Pour les filiales Mousquetaires SCSG et SCO, il aurait dû être uniquement question de déterminer si le Carnet présentait les caractéristiques d'un écrit rédigé après coup et non sur l'instant, au lieu des termes étroits employés, qui n'habilitaient pas l'expert à se prononcer utilement et biaisaient sa mission. Ils considèrent que le rapporteur général a commis une erreur manifeste d'appréciation en désignant un expert ne disposant manifestement pas des compétences requises (expertise scientifique nécessaire) et que le fait qu'il ait usé, en droit, d'un pouvoir d'appréciation tiré de l'article L. 463-8 du code de commerce ne signifie pas qu'il n'a pas pu en abuser en fait.

215.Le groupe Cooperl reproche également à l'expert l'absence de remise d'un carnet de « comparaison » par le groupe Campofrio. Il considère que le cahier vert à spirales remis par ce groupe, dont il affirme qu'il a été utilisé par M. [AB] dans le cadre de son activité professionnelle entre 2014 et 2016, ne peut être assimilé à un véritable document de comparaison, au sens juridique du terme en matière d'expertise, dans la mesure où il n'a pas été rédigé dans les mêmes conditions que le carnet original. Il considère, au regard de la personnalité de M. [AB] qui, à l'évidence, a l'habitude de tout prendre en note, qu'il est très étonnant qu'il n'ait pas fourni d'autres carnets avant 2010 et après 2012. Il en déduit que cet élément constitue la preuve d'un mensonge et que l'expert aurait dû procéder à une prise de notes de M. [AB] dans une mise en situation d'appel téléphonique.

216.Les requérants précités, la société Aubret, ainsi que CFPR et les groupes Savencia, CA Animation et Nestlé, mettent en cause, en troisième lieu, la valeur et le statut probatoire du Carnet remis par le groupe Campofrio. Ils demandent de l'écarter, voire d'annuler toute la procédure. Ils contestent ses caractères authentique et contemporain des infractions dénoncées, considérant que des doutes sérieux résultent de son examen (absence de rature, absence d'usure, trait d'écriture constant), ainsi que son caractère crédible. Ils dénoncent une absence d'élément corroborant le Carnet. Ils estiment que ce dernier, reconstitué a posteriori, ne constitue tout au plus que le prolongement des déclarations du demandeur de clémence. Le groupe CA Animation considère que l'Autorité a tiré d'une impossibilité technique et matérielle de datation une conséquence juridique quant à la crédibilité du Carnet comme élément de preuve, sans l'établir ni la démontrer. Tous considèrent que l'Autorité n'a pas satisfait à son obligation de motivation concernant la force probante de ce Carnet (authenticité, crédibilité).

217.Ils invoquent les principes de loyauté de la preuve et de droit à un procès équitable et reprochent à l'Autorité, en particulier, d'avoir renversé la charge de la preuve quant au caractère non contemporain du document. Certains soulignent que le fait que M. [AB] a organisé la dernière réunion du 30 avril 2013, soit après l'avis de clémence, sans en informer spontanément les services d'instruction, démontre la volonté du groupe Campofrio de prendre en défaut ses concurrents et de les piéger, de sorte qu'il ne peut être considéré qu'un Carnet rédigé par un salarié au comportement si singulier soit totalement fiable. Tous reprochent à l'Autorité de ne pas s'être interrogée davantage sur les circonstances d'élaboration du Carnet.

218.Ils soulignent l'opposition entre le fait que l'Autorité se prévaut de l'expertise, en ce qu'elle conclut qu'elle ne dispose d'aucun élément objectif probant pour déterminer qu'il est manifeste que les notes manuscrites ont été fabriquées de toute pièce en une seule traite et pour en déduire que la charge de la preuve que le Carnet est falsifiée incombe aux entreprises, tout en retenant qu'elle n'est pas liée par les conclusions du rapport lorsqu'il s'agit d'écarter les constats de l'expert sur lesquels les entreprises se fondent pour émettre des doutes sérieux concernant les déclarations du demandeur de clémence. Ils contestent également l'affirmation d'un « tout indivisible » permettant à l'Autorité de retenir « par définition » que le Carnet peut être considéré comme crédible dans son ensemble, aux motifs qu'il est considéré comme crédible pour le grief n° 2 et constitue un tout indivisible, sans distinguer entre les griefs quant à sa valeur probante, alors qu'une même pièce n'a pas forcément le même niveau de précision et de crédibilité pour chacun des aspects qu'elle évoque. Le groupe Savencia fait à cet égard observer que l'Autorité a elle-même écarté la participation des Établissements Rochebillard et Blein à la réunion du 25 octobre 2011 alors qu'elle était indiquée dans le Carnet. Les requérants estiment que la Cour doit annuler la totalité de la procédure (instruction et décision attaquée) dès lors que l'élément principal de preuve du dossier aurait dû être écarté des débats.

219.Le groupe Cooperl produit quant à lui le rapport de Mme [DT], qui conclut, en substance, que le Carnet aurait été fabriqué de toutes pièces pour les besoins de la demande de clémence. Il invoque également des circonstances de fait, comme le rapport client à fournisseur qui explique les échanges téléphoniques entre M. [AB], salarié du groupe Campofrio, client de Cooper, fournisseur de matière première (produisant en ce sens la pièce n° 35 - compte SNC [Localité 20] / liste des factures Cooperl). Il considère que ce contexte, comme le fait qu'aucune autre entreprise n'accuse Cooperl et qu'aucune réunion multilatérale n'a eu lieu dans le cadre du grief n° 3, auraient dû être pris en compte pour apprécier les mentions du Carnet. Il reproche également à l'Autorité d'avoir porté atteinte aux droits de la défense en dénaturant le rapport d'expertise, ce qui résulte, selon lui, de la contradiction entre l'affirmation de l'Autorité selon laquelle la déclaration de M. [AB] serait crédible et l'analyse de l'expert la remettant en cause. Il considère que cette dénaturation justifie l'annulation de la décision.

220.Le groupe Cooperl et SCO demandent, en quatrième lieu, une expertise judiciaire. La première demande à la Cour de nommer un expert chargé de vérifier la capacité de M. [AB] à reproduire un style d'écriture régulière identique à celle de son carnet lors d'une mise en situation de prise de notes au cours de conversations téléphoniques. La seconde demande qu'une expertise judiciaire soit confiée à un expert de la liste « investigations scientifiques et techniques (G-02-04) » pour déterminer si le Carnet a été rédigé sur l'instant tout au long des appels recensés ou s'il s'agit d'un document complété après coup.

221.L'Autorité fait valoir, s'agissant des conditions de désignation de l'expert, que les requérants n'apportent aucun élément permettant de considérer que les prescriptions de l'article L. 463-8 du code de commerce n'auraient pas été respectées. Elle rappelle le déroulement de l'expertise et ses différentes étapes au cours desquelles les parties ont pu transmettre leurs dires et formuler des observations. Elle relève, d'une part, que les parties ont eu la faculté de demander au rapporteur général de modifier les termes de la mission ' ce que plusieurs d'entre elles ont fait en l'espèce - Et qu'elles avaient la possibilité de demander une expertise complémentaire, d'autre part, que le fait que le rapporteur général n'ait pas fait droit à leurs demandes ne saurait caractériser une violation des droits de la défense.

222.Elle conteste l'allégation selon laquelle les services d'instruction auraient confié, en dehors de la présence des parties, des missions à plusieurs experts, qui iraient au-delà d'une simple consultation du dossier et constate que la seule pièce produite (facture de Mme [DT] du 24 septembre 2018) établit que les seules diligences apparaissant sur cette facture se rapportent à la rubrique « consultation » du dossier. Elle constate par ailleurs que le groupe Cooperl n'explique pas en quoi la consultation du Carnet par plusieurs experts judiciaires, tenus au secret professionnel, serait de nature à caractériser une violation du secret de l'instruction, ni en quoi cette situation aurait été de nature à lui faire grief.

223.S'agissant de la définition de l'ordre de mission de l'expert, elle considère que le fait que la définition de la mission de l'expert intervienne sans débat contradictoire ne peut pas être critiqué au regard des droits de la défense, dans la mesure où les parties sont associées au déroulement de l'expertise. La décision de recourir à un expert restant une simple faculté laissée à l'appréciation du rapporteur général, elle estime qu'il reste libre de refuser une demande d'expertise formulée par une partie, comme de refuser les demandes de modifications de l'expertise. Elle rappelle en tout état de cause que l'expertise du Carnet a été mise en œuvre en raison des accusations portées par les groupes [XI] et Cooperl.

224.S'agissant des prétendues irrégularités commises pendant le déroulé de l'expertise, elle renvoie aux motifs de la décision attaquée en l'absence d'éléments nouveaux. Elle considère que le fait que l'expert n'ait pas jugé utile de faire droit à la demande du groupe Cooperl (reconstitution de prises de notes) ne saurait constituer une irrégularité de nature à affecter la validité de l'expertise. Elle ajoute, s'agissant du cahier vert remis à titre de comparaison, qu'il constitue bien la preuve que M. [AB] a été en mesure de prendre des notes soignées et organisées dans un cahier de notes professionnel, de manière similaire à celles retraçant les échanges téléphoniques relatés dans le Carnet. Elle souligne que le fait que le groupe Campofrio n'ait pas remis une pièce « régulièrement comparable » au Carnet, au motif qu'il ne s'agirait pas d'un carnet dédié à recenser des appels téléphoniques, s'explique par son objet spécifique. Elle rappelle qu'il n'est pas inhabituel, en matière de cartels, que les protagonistes utilisent des carnets dédiés pour recenser des échanges illicites, distincts de leur carnet de notes professionnelles usuels.

225.S'agissant de l'impossibilité prétendue du groupe Cooperl d'être assisté de l'expert de son choix, elle observe que dans le courriel du 12 décembre 2018, auquel le groupe Cooperl se réfère, les rapporteurs se contentent d'interroger l'expert sur la présence de Mme [DT] à une réunion d'expertise au regard des règles déontologiques de sa profession. Elle rappelle que le conseiller-auditeur a d'ailleurs jugé cette interrogation légitime, dans la mesure où Mme [DT] faisait partie des experts rencontrés par les services d'instruction lors du processus de sélection de l'expert. Elle ajoute que l'absence de la personne choisie par le groupe Cooperl lors de l'expertise ne peut, à elle seule, caractériser une violation du principe du contradictoire, dès lors que les parties ont eu la possibilité de formuler leurs observations tout au long de cette procédure

226.S'agissant de la valeur probante du Carnet, elle estime que les paragraphes 365 et 368 de la décision attaquée expliquent de manière détaillée pourquoi les différences constatées entre la copie certifiée conforme et l'original du Carnet ne sont pas de nature à mettre en cause son authenticité.

227.Elle fait valoir qu'elle ne procède à aucun renversement de la charge de la preuve, dès lors qu'il appartient aux mises en cause d'étayer les accusations de falsification de preuve qu'elles portent à l'encontre du demandeur de clémence.

228.Elle ajoute, outre qu'en droit l'Autorité n'est pas liée par les conclusions d'un rapport d'expertise, qu'au cas d'espèce, le rapport de l'expert ne conclut pas à une falsification du Carnet. Quant aux modifications du Carnet par rapport à sa copie certifiée conforme constatées par l'expert (documents manquants ou déplacés, insertion de feuilles volantes dans une nouvelle spirale), elle considère qu'elles ne sont pas de nature à étayer la thèse d'une falsification des éléments de preuve transmis au soutien de la demande de clémence, dès lors que c'est la copie certifiée conforme du Carnet qui a été produit au soutien de la demande de clémence et non l'original du Carnet et que des explications parfaitement plausibles ont été apportées par le groupe Campofrio pour expliquer ces modifications. Elle rappelle que l'original du Carnet a été restitué à M. [AB], afin de préserver la confidentialité de la démarche du demandeur de clémence, de sorte qu'il ne lui apparaît pas anormal que ce document ait pu, entre la date de certification par huissier de justice et sa récupération par le groupe Campofrio, connaître des évolutions. Elle ajoute, au regard des constats réalisés par l'expert, que rien ne permet de considérer que M. [AB] aurait modifié le Carnet après la demande de clémence pour compromettre le groupe Cooperl ou d'autres concurrents.

229.Elle précise que pour fonder sa demande de clémence, le groupe Campofrio a produit comme élément de preuve, non pas l'original du Carnet, mais la copie certifiée conforme et que le Carnet, tel qu'il a été décrit dans le procès-verbal de constat du 4 septembre 2012, n'était pas un document classeur recomposé, l'huissier ayant indiqué que de nombreuses feuilles volantes y figuraient. Elle en déduit que l'élément de preuve apporté par le groupe Campofrio, montre qu'à la date du 4 septembre 2012, le Carnet ne présentait aucun signe de « remontage » ou d'« assemblage ». Elle considère l'explication apportée par le groupe Campofrio quant au changement de spirale lié aux manipulations successives du Carnet postérieurement au constat d'huissier comme plausible.

230.Elle considère que le caractère uniforme de l'écriture de M. [AB] dans le Carnet et l'utilisation unique d'un crayon à papier pour consigner ses notes ne sont pas de nature à introduire un doute sur l'authenticité de ce document, compte tenu des travaux de rapprochement effectués par l'expert avec le cahier vert qui révèlent que M. [AB] a été en mesure de prendre avec un crayon à papier, dans un autre cahier de notes professionnelles, des notes soignées et organisées, de manière similaire à celles retraçant les échanges téléphoniques relatés dans le Carnet. Elle ajoute, concernant l'état d'usure du Carnet, que le groupe Campofrio a apporté des explications sur son bon état de conservation, en soulignant d'abord que les fonctions de M. [AB] ne l'amenaient que rarement à se déplacer et qu'il prenait ses appels, et donc ses notes, dans son bureau, ensuite que le Carnet était dédié à conserver une trace des informations échangées avec les concurrents de sorte qu'il n'avait pas à être emporté lors des contacts avec les clients. Elle ajoute que les caractéristiques du Carnet « Activebook » expliquent la différence d'usure par rapport au cahier vert de comparaison (matière, dimension, usage).

231.Elle estime que le rapport d'expertise ne permet pas de considérer que M. [AB] aurait délibérément menti sur les conditions d'élaboration du Carnet et rappelle qu'une réponse s'apprécie au regard du contexte et de la manière dont la question a été posée. Or, elle considère que lors de l'audition du 21 septembre 2016, les services d'instruction ont demandé à M. [AB] si les notes du Carnet avaient été prises « juste après l'appel téléphonique ou longtemps après » et que l'expression utilisée par M. [AB] n'excluait pas une prise de note non parfaitement concomitante aux appels. Elle ajoute que le cahier vert démontre que M. [AB] a été en mesure de prendre des notes afférentes à des réunions professionnelles de manière parfaitement soignée avec un mode d'écriture similaire dans un autre cahier de notes manuscrites.

232.S'agissant de l'expertise de Mme [DT], réalisée sans aucun respect du contradictoire, elle considère qu'elle ne saurait par elle-même remettre en cause l'authenticité du Carnet et l'expertise réalisée à la demande du rapporteur général qui bénéficie des garanties s'attachant à une expertise indépendante et contradictoire. Elle considère que les conclusions de ce rapport reposent sur une extrapolation des constats beaucoup plus nuancés de Mme [LX], qu'elles ne tiennent pas compte des explications apportées par le groupe Campofrio et qu'elles reprennent de manière imprécise ou incomplète les constats de l'expert.

233.S'agissant de la crédibilité du Carnet et des déclarations de M. [AB], l'Autorité relève que de nombreux éléments extérieurs au Carnet confirment la teneur des informations qui y sont contenues, ce qui permet de considérer que les notes du Carnet ont été rédigées par M. [AB] durant la commission des infractions et qu'il est donc contemporain des faits. Elle ajoute que la décision attaquée ne s'est pas fondée uniquement sur les déclarations de M. [AB], ou sur le Carnet pour établir la participation des requérants aux pratiques, mais s'est appuyée sur un faisceau d'éléments probants permettant de retenir leur responsabilité. Elle estime, en tout état de cause, qu'il n'était pas nécessaire que chacun des échanges relatés dans le Carnet soit corroboré par des éléments extrinsèques au Carnet, dès lors que la valeur probante du Carnet, qui constitue un document unique, doit s'apprécier de manière globale et que la majorité des échanges relatés dans le Carnet est corroboré par des éléments extrinsèques. Elle en déduit qu'il ne saurait être question de mettre en cause la fiabilité du Carnet s'agissant du grief n° 3, au seul motif que les éléments corroboratifs externes sont moins nombreux que pour le grief n° 2. Elle réfute l'analyse de SCO afférente au standard de preuve applicable aux déclarations orales d'un demandeur de clémence et relève que le Carnet constitue une preuve documentaire et non testimoniale. Elle souligne également que les requérants n'apportent aucun élément tangible permettant de remettre en cause la crédibilité des déclarations de M. [AB] et de son Carnet, plusieurs d'entre eux reconnaissant, au contraire, la véracité de certaines informations qui y sont contenues.

234.S'agissant de la nouvelle expertise sollicitée, elle considère que les raisons exposées concernant la validité de l'expertise réalisée, doivent conduire au rejet de cette demande.

235.Le ministre chargé de l'économie souscrit aux motifs de la décision attaquée (§ 335 à 350) et partage, sur les autres critiques, l'analyse de l'Autorité. Il estime également que l'absence de simultanéité de la prise de note dans le Carnet n'est pas de nature à écarter sa crédibilité et qu'en l'absence d'éléments caractérisant une irrégularité manifeste, il n'y a pas lieu d'écarter le Carnet des débats.

236.Le ministère public fait valoir, à l'instar du ministre chargé de l'économie, que l'absence de simultanéité de la prise de note dans le Carnet n'est pas de nature à écarter toute crédibilité aux informations consignées. Il considère qu'il s'infère également de la conclusion de l'expert qu'aucun élément ne permet d'établir le caractère non contemporain du Carnet, dont le contenu bénéficie d'une présomption de crédibilité au regard des critères de l'arrêt Beauté Prestige (CA Paris, 26 janvier 2012, RG n° 10/23945) invoqué par les requérants et ajoute que pour apprécier le caractère contemporain du Carnet, l'Autorité s'est fondée sur les nombreux éléments extrinsèques le corroborant.

237.Il estime que les éléments d'ores et déjà avancés permettent à la Cour de retenir qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause la valeur probante des informations produites par M. [AB] qui pouvaient être valablement retenues dans le cadre d'un faisceau d'indices pour démontrer l'existence de pratiques anticoncurrentielles. Il considère que c'est dès lors valablement que l'Autorité a retenu que le contenu du Carnet est relatif à des pratiques anticoncurrentielles, qu'il leur est contemporain et qu'il a été rédigé par un des participants. Il souscrit également à l'analyse du Carnet, apprécié comme formant un seul et même document, dont la valeur probante doit s'apprécier de manière globale.

238.Il considère par ailleurs, dès lors que l'expert Mme [LX] a souligné l'impossibilité de dater la trace graphique d'un crayon de papier et qu'il n'est pas ou plus contesté que les notes ont été retranscrites en une ou plusieurs fois, que la demande de nouvelle expertise doit être rejetée.

Sur ce, la Cour :

239.En premier lieu, s'agissant des conditions de désignation de l'expert, la Cour rappelle, d'abord, qu'aux termes de l'article L. 463-8 du code de commerce « [l]e rapporteur général peut décider de faire appel à des experts en cas de demande formulée à tout moment de l'instruction par le rapporteur ou une partie ». Il est donc vain d'invoquer une violation du secret de l'instruction du fait de l'accès ainsi donné au dossier. En effet, la mise en œuvre de ces dispositions législatives implique nécessairement d'avoir accès aux pièces utiles pour l'expertise et n'interdit pas de contacter plusieurs experts, soumis au secret professionnel, avant de procéder à la désignation de celui qui la réalisera. La circonstance que la mobilisation de l'un d'entre eux ait pu donner lieu à rétribution des frais qu'il a été amené à exposer à ce stade est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. À cet égard, la facture adressée par Mme [DT] à l'Autorité (pièce n° 7 du groupe Cooperl) correspond à des frais de « consultation » du dossier et non à une rémunération en lien avec une expertise qui aurait été menée à l'écart des parties et il n'est pas crédible de prétendre que des experts auraient mené un travail d'analyse sans qu'une décision, conditionnant leur rémunération, les ait officiellement désignés à cette fin.

240.Il est tout aussi vain d'invoquer une instruction à charge ou un parti pris visant à ne pas remettre en cause la crédibilité des éléments contenus dans le Carnet fourni par le demandeur de clémence, au moyen d'une expertise qui ne permettrait pas de répondre utilement aux questions en litige. En effet, les parties avaient mis en doute le Carnet tant sur le fond que sur la forme, de sorte que le choix d'un expert en graphologie, comme les termes de la mission confiée, répondaient à la nature de leurs critiques. À cet égard, le conseil des sociétés du groupe Cooperl, dans une lettre du 31 janvier 2019 adressée au Conseiller auditeur lui rappelait que ces sociétés avaient souligné « le caractère falsifié, tant du point de vue de la forme que du fond, du Carnet », développant des critiques portant, « d'un point de vue formel » sur « l'écriture de M. [KT] [AB] » (cote 53929, Annexe 01 de la saisine 13/0006F). C'est dans ce contexte que la mesure a été ordonnée, les groupes [XI] (mis en cause dans le grief n° 2) et Cooperl (mis en cause dans le grief n° 3) ayant soutenu, en réponse à la notification de griefs, que le Carnet était un document « falsifié » et « fabriqué de toute pièce ». Aucune erreur manifeste d'appréciation ne saurait donc être retenue à raison du choix d'un expert en graphologie. Il n'est pas davantage établi en quoi le rapporteur général aurait abusé du pouvoir d'appréciation qui lui est reconnu en la matière lorsqu'il a refusé de modifier une mission qui s'inscrivait dans le champ des contestations élevées.

241.Ensuite, conformément à l'article L. 463-8 du code de commerce, « [l]e déroulement des opérations d'expertise se fait de façon contradictoire » et l'article R. 463-16 du même code précise que lorsqu'un ou plusieurs experts sont désignés en application de l'article L. 463-8 précité, « [l]e ou les experts doivent prendre en considération les observations des parties, qui peuvent être adressées par écrit ou être recueillies oralement, et doivent les joindre à leur rapport si elles sont écrites et si la partie concernée le demande. Ils doivent faire mention, dans leur rapport, de la suite qu'ils leur ont donnée ».

242.La phase contradictoire n'intervient en conséquence qu'à partir du moment où la décision qui définit l'objet de l'expertise et le délai de sa réalisation est mise en œuvre. Les requérants ne sont donc pas fondés à invoquer une violation du principe du contradictoire « en amont de la mission de l'expert retenu », c'est-à-dire au cours de la phase préparatoire, antérieure à sa désignation, pour ne pas avoir été mis en mesure de faire des observations sur les échanges intervenus entre le rapporteur et les experts envisagés.

243.Enfin, ils ne sont pas plus fondés à invoquer une violation des principes de l'égalité des armes et de loyauté de la preuve, en ce que, selon eux, l'expert retenu pourrait être considéré comme étant celui qui était le plus favorable à l'Autorité, alors qu'à ce stade prospectif les experts sont consultés sur leur capacité à mener la mission en cause mais n'en ont encore réalisé aucune.

244.En outre, ainsi qu'il résulte du rapport de Mme [LX], la présence de Mme [DT], expert agréé, mandaté à titre privé par le groupe Cooperl « en tant qu'expert et soutien technique » avait été annoncée pour la réunion d'expertise du 13 décembre 2018 sur la fiche jointe à la convocation. Il est constant que cette nomination a fait l'objet de débats, portés à la connaissance de tous les participants en ouverture de séance, compte tenu du fait que lors de la préparation de l'expertise les services d'instruction avaient rencontré plusieurs experts, dont Mme [DT], en vue d'en retenir un et que cette dernière avait facturé l'Autorité à ce titre (en rétribution de la consultation du dossier et des pièces, ainsi que de son déplacement, pièce Cooperl n° 7). C'est dans ce contexte que les services d'instruction ont fait part à l'expert retenu de leur étonnement (par courriel) et s'interrogeaient, d'un point de vue déontologique, sur le fait que Mme [DT] puisse assister une des parties. Si Mme [LX] a indiqué à l'Autorité que cette situation lui paraissait constituer un conflit d'intérêts rendant sa présence « déontologiquement contestable », force est de constater, contrairement à ce que prétend le groupe Cooperl, que sa réponse complète ne constituait pas « indubitablement un refus des plus ferme ». Cette dernière indiquait en effet, en fin d'échange avec l'Autorité, qu'elle n'avait « personnellement pas autorité sur le sujet » et il ne ressort d'aucun des éléments invoqués devant la Cour que Mme [DT] se soit vue interdire l'accès à cette réunion, qui avait pour objet d'exposer le déroulement des opérations d'expertise, l'étendue de la mission confiée et de permettre la remise de documents extérieurs, sans requérir à ce stade une connaissance fine en matière de graphologie. Il est constant qu'en définitive Mme [DT] ne s'est pas présentée à la réunion du 13 décembre 2018, mais qu'elle a néanmoins établi un rapport, à la demande du groupe Cooperl, ayant pour objet de « prendre connaissance du rapport d'expertise rédigé par Mme [LX] que lui a confié le Rapporteur Général de l'Autorité de la Concurrence en novembre 2018 ; examiner en particulier le cahier transmis par Monsieur [KT] [AB] et déterminer s'il est manifeste, conformément à ce que soutiennent certaines entreprises mises en cause, que les notes manuscrites émanant de M. [KT] [AB] et portées dans son carnet ont été fabriquées de toutes pièces, d'une seule traite, contrairement à ce que M. [KT] [AB] a déclaré aux rapporteurs en audition ».

245.Il ne ressort pas de ces éléments que l'Autorité, en contactant plusieurs experts en amont de la décision du Rapporteur général, a entendu priver les entreprises de la possibilité de s'adjoindre un expert en écritures pour les assister lors des opérations d'expertise, ni que ce choix était en lui-même de nature à exclure toute possibilité de le faire. En effet, de nombreux experts sont agréés par les tribunaux, au plan national, et la liste des experts agréés, près la cour d'appel de Paris, comporte deux rubriques relatives à l'expertise de documents et écritures qui comportaient, en 2018, chacune plusieurs noms (la première B01.01 comportait 7 noms (dont Mesdames [LX] et [DT]) la seconde G02.04 mentionnait encore deux autres noms différents) et le groupe Cooperl ne justifie, ni ne soutient, avoir vainement tenté d'obtenir d'eux une assistance pour sa défense. Il ne résulte pas du fait que les services d'instruction de l'Autorité se sont interrogés, sur un plan déontologique, en amont de la réunion de présentation des opérations d'expertises, sur le concours de Mme [DT] pour assister l'une des parties, que l'Autorité a fait preuve d'un comportement déloyal, porté atteinte au principe d'égalité des armes et au respect de la contradiction au cours de la procédure. Au demeurant, si Mme [DT] ne s'est pas rendue à la réunion d'expertise liminaire, elle a bien accepté d'examiner l'affaire et, in fine, a établi un rapport à la demande du groupe Cooperl, sans se sentir liée par aucune contrainte déontologique.

246.En deuxième lieu, s'agissant de la définition de l'ordre de mission et du refus du rapporteur général de le modifier, il importe peu, en définitive, que l'objet de l'expertise, comme le choix de l'expert, soient déterminés par le rapporteur général, et non à l'issue d'une phase contradictoire impliquant les parties, ni que l'expert n'accède pas à toutes les demandes qui lui sont faites par les parties. En effet, celles-ci sont associées au déroulement de la mesure à chaque étape et mises en mesure d'en discuter tous les points, étant observé que la faculté de recourir à un expert n'a pas pour effet de priver le rapporteur des pouvoirs d'instruction et d'enquête qui lui sont confiés par l'article L. 450-1 du code de commerce. En outre, les conclusions du rapport d'expertise ne lient ni l'Autorité ni la Cour qui demeurent libres de s'en écarter si la méthodologie suivie ne leur paraît pas adéquate pour remplir leur office ou satisfaisante pour lever l'incertitude qui a justifié d'y recourir. En l'espèce, les requérants ont adressé leurs observations à l'expert, ont été en mesure de discuter le « pré-rapport » comme le rapport d'expertise litigieux, au stade de l'instruction, comme devant le Collège, et le groupe Cooperl produit devant la Cour le rapport de 71 pages, établi à sa demande par Mme [DT], qui fournit un éclairage critique sur le rapport d'expertise et le Carnet de référence (pièces du groupe Cooperl n° 7-1/7-2). Aucune rupture de l'égalité des armes, aucune atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, ni déloyauté, ne sont caractérisées.

247.Il ne saurait par ailleurs être admis qu'en considérant ce Carnet comme un élément de preuve crédible, l'Autorité, qui s'est bornée à apprécier sa valeur probante, aurait porté atteinte aux droits de la défense en dénaturant les termes d'un rapport d'expertise, qui ne la liait pas. En outre, la décision attaquée, qui a consacré les paragraphes 351 à 386 à l'examen de l'authenticité et de la crédibilité de ce document, y a exposé les considérations de fait et de droit qui soutiennent son analyse. Par conséquent, les requérants ne sont pas davantage fondés à invoquer un manquement de l'Autorité à son obligation de motivation, dont la Cour va examiner la pertinence dans les développements qui suivent.

248.En troisième lieu, s'agissant de la valeur et du statut probatoire du Carnet, il ressort tout d'abord des constatations de l'expertise, non contestées sur ce point, que le Carnet (qui a donné lieu à la copie certifiée conforme remise au soutien de la demande de clémence) n'est pas un carnet standard du « modèle ACTIVEBOOK », puisque des modifications y ont été apportées. Ainsi, l'expert observe que « (') le carnet a été augmenté, en plus des feuillets de base d'un carnet standard 'modèle ACTIVEBOOK', de documents 'extérieurs' (tableaux, notes manuscrites diverses, pages de bloc, courriels, télécopies, post-it etc...) ». Il en a été déduit que « le carnet de Mr [AB] ne correspond ainsi plus à un simple 'carnet de base', de modèle standard ACTIVEBOOK mais davantage à un document 'classeur', dans la mesure où il a fait l'objet d'un 'assemblage' voire d'un 'remontage- Pour insérer dans la spirale, à plusieurs reprises (ou en une seule fois), à différents endroits, de nombreux documents » (cote 47138). Il a également été constaté, concernant le Carnet expertisé, que « la spirale de la reliure a été remplacée par rapport à la spirale d'origine noire (cf. constat d'huissier en date du 4 septembre 2012) ».

249.L'expert précise que tous les écrits sont du même auteur (M. [AB]) et que « [l]'écriture des feuillets à petits carreaux du carnet d'origine (Carnet ACTIVEBOOK) correspon[d] par leur organisation soignée, leur densité, les particularités graphiques observées et déjà commentées, à des - retranscriptions- de notes, d'échanges ou d'informations téléphoniques, effectuées 'a posteriori', et non à des notes prises, en direct et 'sur le vif- au moment précis de l'appel téléphonique » (cote 47135 -pré-rapport).

250.Le rapport établi à la demande du groupe Cooperl contient des constatations similaires, en ce qu'il indique que « [l]es notes manuscrites (28 feuillets à petits carreaux) émanant de M. [AB] et portées dans son carnet sont des informations 'retranscrites- avec une écriture précise, régulière, compacte et très homogène qui contraste avec l'écriture imprécise, mouvementée et nettement moins ordonnée qui apparait dans la retranscription d'échanges pris sur le vif, directement au moment des appels téléphoniques ».

251.L'absence alléguée de véritable carnet « de comparaison » et de « mise en situation de M. [AB] », telle qu'elle était demandée par certaines parties et sur laquelle l'expert s'est expliqué en raison de son caractère inutile et nécessairement biaisé (la reproduction de prise de notes dans des conditions strictement identiques étant impossible), n'est de nature, ni à affecter la régularité de l'expertise réalisée, ni à modifier les constats qui précèdent quant au caractère « retranscrit » des notes manuscrites. La critique est donc inopérante.

252.Au terme de ses opérations, l'expert indique « (') nous ne disposons parmi les observations recueillies et les constatations mises en évidence, d'aucun élément objectif qui soit 'probant- Pour déterminer qu'il est manifeste, conformément à ce que soutiennent certaines entreprises mises en cause, que ces mêmes notes manuscrites 'retranscrites' ont été fabriquées de toutes pièces, d'une seule traite » (cote 47195).

253.Le rapport établi à la demande du groupe Cooperl parvient à une conclusion différente, estimant que le Carnet « a été fabriqué de toutes pièces, quelle que soit l'origine des informations qu'il contient. Ce "Carnet d'appels téléphoniques" n'a pas été rempli sur deux années au fil des conversations mais rédigé de manière continue dans un laps de temps relativement court puisque le cahier ne porte aucune trace de manipulation, d'usure et de vieillissement alors que la retranscription des appels qui sont dispatchés sur plusieurs « rubriques/clients- En permanence aurait nécessité d'incessants allers et retours d'une page à l'autre sur l'ensemble du cahier ». Cette conclusion omet toutefois de prendre en compte certains éléments pertinents, intégrés dans l'analyse de l'expert.

254.L'expert a, tout d'abord, relevé l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de « dater de façon exacte les inscriptions manuscrites tracées sur les feuillets ACTIVEBOOK du carnet » (cote 47138) et le fait qu'« il est impossible de préciser la chronologie des faits, de déterminer si Mr [AB] a 'retranscrit- les notes des appels téléphoniques le jour même, juste après l'échange, dans la semaine, dans le mois, dans l'année, ou de façon différée, beaucoup plus tard (') » (cote 47141), avec « [l]'impossibilité de dater la trace graphique, de déterminer la chronologie des étapes et du mode opératoire utilisé pour la prise ou le traitement des notes manuscrites » (cote 47194). La Cour fait sienne cette analyse et en déduit qu'il ne peut ainsi être affirmé que le Carnet a été « rédigé de manière continue ».

255.Rejoignant, pour partie, l'analyse du rapport précité, l'expert a constaté qu'il « 'est possible de dire que les notes manuscrites des feuillets du carnet ACTIVEBOOK sont des notes "retranscrites" ultérieurement, que des documents extérieurs de travail ont été insérés ultérieurement ( dans la spirale) au sein d'un bon nombre de 'rubriques' (') ». (cote 47140)

256.Il a également considéré que « l'écriture des documents ajoutés, insérés dans la reliure en spirale, correspond pour la grande majorité des documents, en tous points, à l'écriture usuelle de M. [AB] quand il écrit vite, spontanément ou directement, prend des notes 'à la volée' (notes rapides, brouillons etc...) » (cote 47141).

257.Il a également noté, « en résumé », que la spirale présente sur le Carnet expertisé en 2019 n'était pas d'origine, qu'elle ne présentait pas de signes de déformations ou de manipulation visibles (ouverture, étirements') « ce qui nous amène à penser que les documents ont été insérés dans un même temps, en une seule fois » (cote 47194). Il doit toutefois être rappelé, d'une part, que le Carnet expertisé a été restitué au groupe Campofrio en 2012, d'autre part, que l'Autorité a fondé ses investigations sur la copie certifiée conforme qui lui a été remise à la même date. Il est donc vain de reprocher à l'Autorité de ne pas s'être interrogée sur l'« inauthenticité » du Carnet expertisé au regard de différences formelles relatives à son aspect actuel, dès lors que l'instruction s'est fondée sur la pièce certifiée conforme conservée au dossier, et a rapproché les informations qui y sont contenues des autres pièces de la procédure. C'est donc à titre surabondant, que la Cour examinera les critiques qui suivent.

258.S'agissant de l'organisation interne du Carnet expertisé, l'expert a constaté que « le carnet original de Mr [AB] a supporté des modifications de forme après la copie certifiée conforme » (cote 47171). Il a également noté que la copie certifiée conforme comporte plus de documents que le Carnet expertisé (cote 47150). Il n'est toutefois pas contesté, comme cela vient d'être relevé, qu'après le versement de la copie certifiée conforme au dossier, le Carnet a été restitué au groupe Campofrio qui l'a conservé entre 2013 et 2017, pour finalement le remettre à l'Autorité le 15 mars 2017 (décision attaquée, 365). Or, en 2012, au moment de la copie certifiée conforme, le Carnet était composé de nombreux feuillets volants, ainsi que de « post-it intercalaires ». Par suite, cette situation et la nécessité, manifeste, d'éviter la perte des éléments rassemblés constituent une explication cohérente concernant les différences formelles observées entre la copie conforme remise en 2012 et le Carnet expertisé en 2018/2019.

259.S'agissant de l'aspect physique du Carnet expertisé, l'expert l'a décrit en cotes 47138, 47192 et 47194 comme étant en « bon état général (excepté les post-it, intercalaires, plus usés') », « blancheur des feuilles, état intact de la spirale, peu d'usure des pages de couverture, » « tranches du carnet peu jaunies », à la différence du cahier vert de comparaison, remis à l'expert par le groupe Campofrio (appartenant également à M. [AB]), décrit comme étant « en état 'correct' tout en étant 'usé', présentant des 'couvertures cartonnées, légèrement plastifiées ; ['] ternies par le temps, salies et nettement usées par les manipulations », et précisant que la « couleur blanche du papier des pages écrites a un aspect terne et jauni » (cote 47095). En réponse aux dires des parties, l'expert a indiqué que « [c]onfronté à l'état général du cahier vert, le carnet de Mr [AB] 'apparaît- Moins dégradé, ayant moins 'souffert- des manipulations courantes pendant le travail, en quelque sorte plus 'neuf', c'est indéniable, alors qu'il est plus ancien de deux ans » (cote 47148). Si le rapprochement entre l'écriture du Carnet et celle du cahier vert de M. [AB], est pertinent, pour apprécier le graphisme de l'écriture dans des notes manuscrites prises dans un cadre professionnel, en revanche, il ne peut être tiré aucun enseignement probant de la comparaison de l'état d'usure de ces deux documents qui sont de qualité et de format différents. À cet égard, il doit être relevé que le Carnet, appartenant à la gamme « ACTIVEBOOK » de la marque Oxford présente une couverture en polypropylène (décrite par le constructeur comme « imperméable, durable et indéchirable résist[ant] à une usure intense » (expertise, cote 47092) à la différence du cahier vert qui est doté d'une couverture cartonnée légèrement plastifiée (cotes 47098, 47095 et 47131). Ensuite, le fait qu'un carnet plus ancien présente un aspect plus neuf qu'un autre peut aussi résulter de ses conditions d'utilisation. Or, aucun élément ne permet d'établir que ces deux cahiers, qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques, avaient vocation à être utilisées dans les mêmes conditions. Un carnet format A4 (tel que le Carnet), utilisé en prise de notes dans un bureau, peut présenter une usure différente d'un cahier format A5 (comme le cahier vert, de dimension « 149 X 210mm » selon la cote 47095) qui a vocation à être utilisé de manière différente, en ce qu'il se transporte plus facilement. Cette hypothèse n'a d'ailleurs pas été exclue par l'expert qui relève qu' « il est impossible de savoir si les deux documents ont eu le même vécu, le même usage ('). Ils ne sont pas de la même taille, l'un a pu être davantage transporté, en tant que cahier de petit format, l'autre posé dans un tiroir car moins facile à transporter », et en déduit que « n'ayant pas de réponse exacte et objective » sur ce sujet, il convient de rester très prudent (cote 47148).

260.Ces différents éléments ne permettent donc pas de remettre en cause, en eux-mêmes, la valeur probante intrinsèque du Carnet transmis en 2012, dont la composition est attestée par la copie certifiée conforme sur laquelle l'Autorité a conduit ses investigations. L'expert a d'ailleurs constaté que « les 21 feuillets de notes manuscrites du carnet de Mr [AB] sont en totalité en copie dans la copie certifiée conforme » (cote 47151), de même que « Si vous confrontez les documents inclus dans le carnet de Mr [AB] avec les documents présents dans la copie certifiée conforme (selon PV d'huissier en date du 4 septembre 2012), les documents insérés dans la spirale du carnet de Mr [AB] font partie des documents inclus dans la copie certifiée conforme » (cote 47157).

261.Il est donc vain de reprocher à l'Autorité de ne pas s'être interrogée sur le défaut d'intégrité de cette pièce documentaire, dès lors qu'elle a mené ses investigations et poursuites sur la base de la pièce certifiée conforme conservée au dossier, qu'elle a rapprochée des autres éléments recueillis au cours de la procédure.

262.S'agissant du caractère contemporain du Carnet par rapport aux pratiques et sa valeur de preuve documentaire, il est constant que M. [AB] a déclaré « Je n'avais pas tout le temps mon carnet sous la main. Parfois je prenais des notes sur un Post-It ou sur une feuille volante, que je retranscrivais ensuite dans le carnet. Mais le plus souvent, je notais directement l'information sur mon carnet au moment de l'appel téléphonique ».

263.Les constats qui précèdent tendent à établir que la fréquence des « notes directes » est inférieure à celle suggérée par la formule « le plus souvent » employée par M. [AB], dès lors que les notes manuscrites « retranscrites » relatives aux appels téléphoniques sont les plus nombreuses dans le Carnet.

264.Au regard de l'ensemble de ces éléments, il ne peut être établi que la rédaction du Carnet a été systématiquement concomitante à tous les faits qui y sont notés et se serait donc échelonnée entre 2010 et 2012, ni à l'inverse être exclu que des retranscriptions de données éparses sont intervenues à intervalles réguliers pour en conserver la teneur.

265.Il est en revanche constant, d'une part, que la rédaction du Carnet est antérieure au 4 septembre 2012, compte tenu de la date du procès-verbal qui a certifié conforme la copie remise à l'Autorité au soutien de la demande de clémence enregistrée le 2 octobre 2012, d'autre part, que la rédaction du Carnet est antérieure à la cessation des pratiques en cause et comporte de nombreuses informations corroborées par des éléments extérieurs contemporains des faits (notamment des relevés d'appels téléphoniques ou des courriels).

266.La circonstance qu'une réunion s'est tenue le 30 avril 2013 ne suffit pas à conférer aux conditions de l'élaboration de ce Carnet un caractère déloyal, dès lors qu'elle concerne un évènement postérieur à la remise de la copie certifiée conforme du Carnet, qui a seule été versée à la procédure en octobre 2012. De même, le fait qu'aucune nouvelle prise de notes de M. [AB] ne soit intervenue après restitution du Carnet original en septembre 2012 (la date des dernières annotations étant celle du « 21/08/12 » selon le constat figurant cote 47151 du rapport d'expertise) et qu'il ne soit pas fait référence de la présence de ce Carnet dans le bureau de M. [AB] lors des opérations de visite et saisie réalisées le 15 mai 2013 sont indifférentes pour apprécier les circonstances d'élaboration d'un Carnet retraçant des activités présentées comme s'étant échelonnées entre 2010 et 2012.

267.En définitive, si les différents constats formels, précités, ne permettent ni de confirmer ni d'infirmer le fait que les premières retranscriptions datent de l'année 2010, force est de constater qu'ils ne remettent pas en cause le fait que ce Carnet a été écrit par le directeur commercial d'une société mise en cause dans des pratiques anticoncurrentielles qui n'avaient pas cessé à la date à laquelle il a été rédigé, qu'il rapporte des évènements impliquant directement son auteur, qu'il se présente comme un assemblage de documents dont la teneur a été confirmée, pour partie du moins, par le groupe Coop, ainsi que par l'exploitation de documents appréhendés lors des opérations de visites et saisies et des relevés de téléphonie, éléments conférant de la crédibilité au document.

268.En tant que tel, ce Carnet constitue une preuve documentaire, qui n'est donc pas dépourvue de toute valeur probante et dont aucun élément de la procédure ne permet d'écarter le caractère contemporain aux pratiques. Il ne saurait avoir, en tout état de cause, une valeur moindre que celle des déclarations qui ont été faites devant les services d'instruction.

269.En revanche, émanant d'un demandeur de clémence, il doit être apprécié avec prudence, notamment lorsque les informations qu'il contient sont contestées par certaines des entreprises mises en cause. Par suite, si le Carnet doit se voir reconnaître une crédibilité globale certaine, pour les motifs exposés dans les paragraphes qui précèdent, il ne saurait emporter preuve suffisante de tous les éléments qu'il rapporte, sans considération du contexte dans lequel ils s'inscrivent. Il convient donc d'en analyser le contenu au regard des autres pièces du dossier, ce que la Cour effectuera dans les développements consacrés à la matérialité des pratiques, lorsque celle-ci est contestée.

270.C'est dans cette limite que doit être confirmée la décision attaquée, en ce qu'elle a retenu que ce Carnet devait être considéré comme un élément de preuve et ne pouvait être écarté du faisceau d'indices. Il n'y a donc pas lieu de l'écarter des débats, ni d'annuler toute la procédure, comme le demandent les requérants, dès lors qu'aucun des moyens n'a été accueilli.

271.En quatrième lieu, s'agissant du recours à une expertise judiciaire, les différents constats précités permettent à la Cour de retenir le Carnet comme un élément, parmi d'autres, du faisceau d'indices invoqué par l'Autorité et rendent inutile une telle mesure. Les demandes d'expertise présentées par le groupe Cooperl et SCO sont, en conséquence, rejetées.

H. Sur le respect du principe d'appréciation objective et individualisée des pratiques au regard de la motivation commune des griefs 2 et 3

272.Les filiales SCO et SCSG reprochent à la décision attaquée d'avoir motivé conjointement. les griefs 2 et 3 - alors même que les pratiques ne sont pas de même nature et concernent des entreprises majoritairement différentes, à l'exception de deux d'entre elles - dans le but de masquer la faiblesse des éléments de preuve produits au soutien du grief n° 3. Elles soutiennent qu'en les traitant ensemble et en renvoyant pour le surplus à des tableaux en annexe la décision a, en substance, fait produire à la théorie du « tout indivisible » qu'elle a appliquée au Carnet les mêmes effets sur le fond, s'agissant de la preuve des infractions.

273.Elles estiment qu'en procédant ainsi la décision attaquée les a privées de l'appréciation objective et individualisée qui s'impose au Collège, lequel doit examiner s'il existe dans le dossier constitué par les services d'instruction des éléments permettant de caractériser une infraction et la participation des différentes entreprises mises en cause. Elles rappellent que le doute doit profiter aux entreprises.

274.L'Autorité fait tout d'abord valoir que les griefs n° 2 et n° 3 ont été traités séparément, quand bien même ils se fondent tous deux, entre autres, principalement (mais pas uniquement) sur le carnet de M. [AB].

275.Elle estime, ensuite, que les éléments matériels concernant les pratiques mises en œuvre pour les produits de charcuterie cuits sont clairement indiqués concernant le grief n° 3, comme pour le grief n° 2, pour chacune des sociétés mises en cause, et notamment celles du groupe Les Mousquetaires, aussi bien dans la notification des griefs que dans le rapport et la décision attaquée.

276.Le ministre chargé de l'économie considère que la réponse conjointe à des arguments identiques n'appelle pas, en elle-même, de critique, ce d'autant que la décision attaquée prend soin de traiter distinctement les arguments spécifiques soulevés par les parties au titre des griefs n° 2 et 3.

Sur ce, la Cour :

277.Il ressort du paragraphe 524 de la décision attaquée que l'Autorité a estimé que « les arguments soulevés par les parties mises en cause pour contester la matérialité des pratiques, leur qualification juridique et leur participation individuelle présentent à bien des égards des caractéristiques identiques pour les infractions poursuivies au titre des griefs n° 2 et 3 » et, en conséquence, a fait le choix d'y répondre « de manière commune ».

278.La lecture de la motivation qui suit établit toutefois que le regroupement des thématiques dans une même partie « a) en ce qui concerne la matérialité des pratiques », est ensuite ventilé en fonction de la nature des échanges (« En ce qui concerne les réunions multilatérales (grief n° 2) » ; « En ce qui concerne les échanges bilatéraux (griefs n° 2 et 3) »), puis affiné en fonction des parties concernées (« Sur les échanges bilatéraux entre [Localité 20] et les concurrents (griefs n° 2 et 3) » ; « Sur les échanges bilatéraux entre Salaison [SV] et les concurrents (grief n° 2) »).

279.Dans le cadre de ces développements, et en particulier ceux des paragraphes 544 à 557 consacrés aux « échanges bilatéraux entre [Localité 20] et les concurrents (griefs n° 2 et 3) », la décision attaquée examine les critiques dirigées contre la valeur probante reconnue au Carnet concernant les échanges qui y sont consignés et répond aux arguments des parties qui étaient sensiblement les mêmes que les échanges bilatéraux concernent le grief n° 2 ou le grief n° 3. C'est ainsi, qu'après avoir exposé son analyse concernant la valeur probante du Carnet et le faisceau d'indices réunis, elle a écarté un certain nombre d'arguments communs relatifs au contenu des relevés téléphoniques en production et à l'existence d'informations erronées concernant certaines parties.

280.Il est donc indifférent que les pratiques, les produits et les entreprises concernés aient été différents, dès lors que l'Autorité n'a pas apprécié de manière indifférenciée la situation propre à chacune des parties mais a apporté une réponse commune aux arguments de même nature qu'elles défendaient.

281.La Cour relève également que le paragraphe 557 précise que « [l]a question de savoir si ces échanges peuvent être retenus à l'encontre des parties pour établir leur participation individuelle à des pratiques anticoncurrentielles sera examinée ci-après (voir paragraphes 607 et suivants), au regard du contenu de ces échanges, de la possibilité de les dater précisément et de la source des informations qui y sont consignées ».

282.Il ne saurait donc être déduit de cette méthode de rédaction aucune atteinte au principe d'appréciation concrète et individualisée des pratiques.

283.Le moyen n'est pas fondé.

II. SUR LE GRIEF N° 1

284.La décision attaquée a retenu que treize sociétés (dont [Localité 20] SNC, Jean Caby, Salaisons Celtiques, Fleury Michon, Charcuteries Cuisinées du Plélan et Société d'Innovation Culinaire), appartenant à quatre groupes (groupes Campofrio, Fleury Michon, Les Mousquetaires et Financière Turenne Lafayette dit « FTL »), ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1 du TFUE (article 1) et les a sanctionnées à ce titre (article 2). La durée globale de l'infraction, qui n'a pas, en tant que telle, été contestée, couvre la période comprise du 14 janvier 2011 au 26 avril 2013 (§ 521 de la décision attaquée).

285.Seul le groupe Fleury Michon et la société Salaisons Celtiques (du groupe Les Mousquetaires) contestent la caractérisation de l'infraction, la qualification appliquée et leur participation à l'entente en cause.

A. Sur la caractérisation de l'infraction

286.La décision attaquée a retenu l'existence d'une entente, considérant que les entreprises s'étaient accordées et concertées, au travers d'échanges bilatéraux, pour défendre une position commune sur les variations de prix d'achat hebdomadaire du jambon sans mouille (JSM) dans leurs négociations avec les abatteurs. Pour la caractériser, elle a utilisé la méthode du faisceau d'indices graves, précis et concordants et analysé, ensemble, ses différents éléments. Elle a exploité les déclarations du primo-demandeur de clémence (Campofrio) (§ 157 et suivants). Elle a ensuite dressé la liste des indices qui complètent ces déclarations (§ 164 et suivants) et a exposé son analyse aux paragraphes 441 et suivants, fournissant certaines illustrations de la force probante de son faisceau d'indices.

287.Ces indices correspondent, aux termes de la décision attaquée, à :

- 58 extraits de notes manuscrites de M. [G] [VB] (salarié de Fleury Michon Charcuterie, en qualité d'acheteur de matières premières carnées (cote VNC 20970)) consignant des noms de concurrents et des informations sur la variation du prix du JSM sur la période janvier 2011 - avril 2013 ;

- 76 courriels internes aux groupes Campofrio, Fleury Michon et FTL, le plus souvent envoyés et/ou reçus par M. [OF] [YN] (employé de Jean Caby en qualité d'adjoint au directeur des achats de viande, conduisant les négociations avec les abatteurs, tant pour la société [Localité 20] que pour la société Jean Caby, en raison de l'appartenance de ces sociétés au même groupe Campofrio), M. [G] [VB] (Fleury Michon) ou M. [GD] [P] (employé par Madrange puis FTL, en qualité de directeur des achats du groupe) relatifs aux négociations sur la variation du prix d'achat du JSM ;

- 142 appels identifiés sur des relevés téléphoniques de M. [OF] [YN] (Campofrio) sur les périodes octobre 2011 - octobre 2012 (ligne mobile) et août 2010-octobre 2012 (ligne fixe) faisant apparaitre des appels avec, notamment MM. [GD] [P] (Madrange puis FTL), [G] [VB] (Fleury Michon) et [VC] [NE] (employé de Salaisons Celtiques en qualité de responsable des achats, groupe Les Mousquetaires).

288.La décision attaquée précise que son annexe 1 liste de manière exhaustive tous les échanges retenus et les éléments de corroboration. Elle a également comparé le contenu des échanges précités avec les synthèses hebdomadaires des pièces vendues sur le MIN de [Localité 78], réalisées par le RNM.

289.Le groupe Fleury Michon estime, en premier lieu, que les comportements identifiés par l'Autorité sont de « simples échanges d'informations » qui ne sont pas assimilables à une entente horizontale de fixation de prix. Il soutient que l'Autorité n'a pas démontré d'accord de volontés entre les parties visant à adopter une « position commune ». En définitive, il considère que la qualification retenue repose sur un postulat factuel erroné, selon lequel les échanges seraient intervenus dans le cadre d'une véritable stratégie tarifaire commune, alors que les trois tableaux invoqués (n° 53, 54 et 55) n'établissent aucune « position commune » des charcutiers-salaisonniers, mais, tout au plus, un échange d'informations entre concurrents sur leurs positions respectives et l'état d'avancement de leurs négociations individuelles avec les abatteurs.

290.Il soutient, en deuxième lieu, que le fonctionnement concret du marché des pièces de jambon (structurellement sous-capacitaires) exclut toute possibilité de stratégie tarifaire commune, dès lors que les stratégies de négociation dépendent des contraintes propres à chaque charcutier-salaisonnier, notamment en termes de volumes, en lien avec l'état des stocks et le niveau de la demande anticipée (stratégie d'achat nécessairement individuelle).Il relève à cet égard que les intérêts des charcutiers-salaisonniers sont divergents : ceux commercialisant sous MDD ont intérêt à ce que le prix moyen hebdomadaire du MIN de [Localité 78] soit le plus élevé possible puisque leur chiffre d'affaires auprès de la grande distribution dépend de prix indexés sur le prix d'achat du JSM au MIN de [Localité 78], alors que ceux qui ne font pas de MDD n'ont aucun intérêt à ce que le prix du MIN de [Localité 78] soit surévalué.

291.Il soutient, en troisième lieu, que les pièces retenues par l'Autorité ne suffisent pas à caractériser une entente anticoncurrentielle. Il soutient que ces indices, qu'il examine de manière séparée, ne sont pas de nature à établir la participation des parties à un accord anticoncurrentiel visant à adopter une position commune à l'égard des abatteurs lors des négociations portant sur le JSM.

292.Concernant le carnet de M. [G] [VB] [Fleury Michon], le groupe Fleury Michon affirme qu'il ne permet pas de savoir si les informations qui y sont mentionnées sont des informations passées ou futures, c'est-à-dire si elles ont été obtenues et retranscrites avant ou après le début des négociations avec les abatteurs sur le MIN de [Localité 78]. Il relève également que l'origine des informations y figurant n'est pas connue. À cet égard, le groupe Fleury Michon, comme la société Salaisons Celtiques, fait valoir que les notes qui y sont retranscrites résultent d'échanges avec les abatteurs et non d'échanges entre concurrents.

293.Concernant les courriels internes, le groupe Fleury Michon relève que certains (comme celui relatif à l'échange du 14 novembre 2011) ne lui ont pas été adressés et que les courriels saisis ont la nature d'un compte-rendu de négociations, rédigé à l'issue des négociations avec les abatteurs et ne font état d'aucune « position commune ».

294.Concernant les relevés téléphoniques, le groupe Fleury Michon, comme la société Salaisons Celtiques, soutient que ces relevés ne peuvent suffire à prouver une entente, dans la mesure où le contenu des conversations n'est pas retranscrit, qu'elles pouvaient avoir un objet licite et qu'en outre leur durée était trop courte pour permettre des échanges de nature anticoncurrentielle entre les parties.

295.Le groupe Fleury Michon ajoute que la Synthèse du MIN n'est pas conforme aux positions annoncées par les charcutiers-salaisonniers.

296.La société Salaisons Celtiques ajoute, s'agissant du standard de preuve, qu'aucun des courriels internes invoqués n'émane du groupe Les Mousquetaires et, concernant le carnet de [G] [VB], qu'il ne recense jamais l'accord de Salaisons Celtiques sur une position commune de négociation.

297.Concernant la synthèse hebdomadaire du MIN de [Localité 78], elle considère que le fait que la variation issue des négociations est identique ou proche (+/- 4 centimes) des variations communiquées par les entreprises mises en cause, dans plus de 85 % des cas, n'est pas un élément de nature à confirmer l'existence d'échanges anticoncurrentiels entre concurrents. Elle estime que la marge d'erreur de 4 centimes retenue par l'Autorité est considérable par rapport aux variations hebdomadaires et considère qu'un écart inférieur à 10 % entre la variation échangée et celle constatée n'est observé que dans 22 % des cas. Le groupe Fleury Michon considère également que le fait que les variations tarifaires négociées soient souvent uniformes ne s'explique pas par une prétendue stratégie commune mais par le fonctionnement normal du marché, en raison notamment de son caractère sous-capacitaire et de la transparence des prix dans le cadre des négociations.

298.S'agissant de l'accord de volonté, la société Salaisons Celtiques fait valoir une série d'arguments tenant au fait que, pour certaines dates, la preuve d'un échange avec des concurrents ne repose que sur des relevés téléphoniques, pour d'autres dates, les éléments mis en avant ne comportent aucune référence à elle, que certains documents montrent son autonomie par rapport aux concurrents et dans un grand nombre de cas, que des documents montreraient la détention d'informations sur sa position sans pour autant apporter le moindre indice d'échanges avec elle. Elle estime qu'aucun élément n'établit sa participation à un échange consistant à définir une position commune. Invoquant l'affaire « Kadolis » (CA Paris, 13 décembre 2018, société Transdev Ile-de-France S.A., RG n° 12/12066) selon laquelle la preuve d'un accord avec une entreprise, à la suite d'échanges bilatéraux, ne suffit pas à caractériser sa participation à une entente avec les autres participants, elle conteste toute participation à une entente multilatérale.

299.L'Autorité, s'agissant du standard de preuve, estime s'être conformée aux exigences rappelées par la jurisprudence européenne et avoir réuni un faisceau d'indices graves, précis et concordants. Elle souligne que les déclarations du groupe Campofrio, confortées par les relevés téléphoniques des lignes fixe et portable de M. [YN], les courriels appréhendés lors des opérations de visite et saisies, ainsi que le carnet de notes de M. [VB] et les synthèses hebdomadaires du RNM concernant les pièces de porc vendues sur le MIN de [Localité 78] pour la période considérée, attestent de l'existence de la pratique anticoncurrentielle en cause. Elle soutient que le fait que certaines informations puissent provenir des abatteurs n'est pas de nature à contredire le fait que des concurrents aient, eux-mêmes, également pu communiquer ces informations à M. [VB].

300.Concernant la synthèse hebdomadaire du MIN de [Localité 78], l'Autorité rappelle qu'elle ne s'est pas appuyée uniquement sur cette synthèse pour établir l'existence d'échanges anticoncurrentiels mais sur un ensemble d'éléments. Elle met en doute la pertinence d'une approche en termes d'écart relatif, compte tenu du fait que celui-ci est rapporté à la variation constatée à [Localité 78]. Elle rappelle qu'un écart d'un centime entre la variation constatée et la variation échangée va très fréquemment représenter un écart relatif élevé alors qu'il s'agit de l'écart le plus petit qui puisse être constaté. Elle observe également que sur 68 à 70 % des semaines étudiées, la variation issue des négociations est égale, en termes absolus, à un centime près, à celle communiquée par les entreprises en cause.

301.Concernant les indices se rapportant à la société Salaisons Celtiques ne comportant pas directement le nom de M. [NE] ou des informations sur sa position, elle les juge suffisants pour prouver sa participation aux échanges dans la mesure où, lorsque M. [VB] note le nom d'un concurrent dans son carnet, c'est qu'il a eu des échanges avec lui. Elle renvoie au faisceau d'indices composé des courriels internes et relevés téléphoniques qui étayent un grand nombre de mentions figurant dans ces notes.

302.Elle considère qu'il ressort du faisceau d'indices graves, précis et concordants listé à l'Annexe n° 1 à la décision, que chaque participant, incluant Salaisons Celtiques et Fleury Michon, a entendu contribuer, par son propre comportement à l'objectif commun, qui était de défendre une position commune fixée ensemble face aux abatteurs, afin de limiter les hausses de prix demandées ou inciter à des baisses de prix plus importantes.

303.Le ministère public rappelle le standard de preuve général applicable en matière d'ententes horizontales, tel qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a. c. Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, pts. 55-57), reposant sur la technique du faisceau d'indices. Il estime, en l'espèce, que la démonstration de la participation des entreprises concernées aux pratiques en cause et de l'objet anticoncurrentiel des échanges repose sur de multiples indices précis, graves et concordants, décrits dans la décision attaquée aux paragraphes 157 et suivants. Il observe que les déclarations du demandeur de clémence, comme les relevés téléphoniques qu'il a remis, sont corroborés par d'autres preuves (des courriels internes et/ou les notes du carnet de M. [VB]). Il invite la Cour à rejeter les moyens.

Sur ce, la Cour :

304.En premier lieu, sur le standard de preuve, il y a lieu de rappeler que, dans la mesure où les comportements par lesquels des entreprises s'adonnent à des pratiques anticoncurrentielles se déroulent usuellement de manière clandestine, les contacts entre concurrents se tenant secrètement, la documentation qui s'y rapporte est le plus souvent réduite au minimum. Il s'ensuit que, même si les autorités de concurrence découvrent des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront généralement que fragmentaires et éparses. C'est pourquoi, il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. L'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel doit dès lors être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de la concurrence (CJUE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/200 et autres, points 55 à 57).

305.La Cour de justice de l'Union européenne a rappelé que, pour établir l'existence d'une infraction à l'article 101, paragraphe 1, TFUE, il est nécessaire de faire état de preuves sérieuses, précises et concordantes. Toutefois, chacune des preuves apportées ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l'infraction. Il suffit que le faisceau d'indices invoqués par l'autorité de concurrence, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C-407/08 P, point 47). Elle a également précisé que le concept de corroboration signifie qu'un élément de preuve peut être renforcé par un autre élément et qu'il n'existe pas de règle dans l'ordre juridique de l'Union empêchant que l'élément de preuve corroboratif soit de même nature que l'élément corroboré (CJUE, 26 janvier 2017, Commission / Keramag Keramische Werke e.a. et Sanitec Europe, C-613/13P, points 44). Il convient ainsi d'examiner si les éléments de preuve, analysés de façon globale, peuvent se renforcer mutuellement (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Salzgitter Mannesmann/Commission, C-411/04 P, points 44 à 48).

306.Il est par ailleurs constant que la déclaration d'une entreprise poursuivie pour avoir participé à une entente, dont l'exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises mises en cause au même titre, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de la participation de ces dernières à l'infraction, sans être étayée par d'autres éléments de preuve. Le degré de corroboration requis est par ailleurs nécessairement en rapport avec la fiabilité et la crédibilité des déclarations. De même, un document régulièrement saisi est opposable à l'entreprise qui en est l'auteur, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve, par le rapprochement avec d'autres indices concordants, d'une concertation ou d'un échange d'informations entre concurrents.

307.En l'espèce, les déclarations du demandeur de clémence (groupe Campofrio, annexe 5 procédure 12/0084) ont révélé que des salariés de plusieurs groupes (notamment Campofrio, Fleury Michon et Les Mousquetaires au travers de la société Salaisons Celtiques, sous l'enseigne « Onno ») se contactaient, via des appels téléphoniques bilatéraux, avant d'entamer leurs négociations avec les abatteurs pour faire front commun.

308.Ces déclarations doivent se voir reconnaître un degré de crédibilité élevé, en ce qu'elles ont été étayées par des éléments matériels (relevés téléphoniques, courriels internes contemporains des pratiques) et sont corroborées par d'autres éléments extérieurs, notamment les courriels et notes saisis lors de l'opération de visite et saisie effectuée dans les locaux du groupe Fleury Michon le 15 mai 2013, ainsi que la décision attaquée l'a mis en évidence dans l'annexe 1 de la décision attaquée en fournissant la synthèse).

309.À titre d'illustration, cette présentation est, notamment, corroborée par les courriels internes de Jean-Caby du jeudi 15 décembre 2011, 22 h 04, coté 13764 : « J'ai eu Onno [Salaisons Celtiques/Onno] et Fleury [FMC] (c'est eux qui ont appelé j'ai aut' chose à fout !) Ils attaquent demain [vendredi] a -5 !! Laissons faire. » et du vendredi 5 août 2011, 18 h 06, coté 13757 : « just finish a call with [GD] [P] from Piffaut/Madrange [FTL ex-CCA], it was difficult to convince him to decrease but we agree to discuss -0,05 today with slaughter houses. Same thing with Onno [Salaisons Celtiques/Onno]...(') ».

310.De même, les relevés téléphoniques des employés du groupe Campofrio, versés à la procédure, confirment la réalité d'appels à destination des concurrents cités dans la demande de clémence et révèlent qu'ils ont majoritairement été passés le vendredi, jour où débute habituellement les négociations avec les abatteurs.

311.À cet égard, la Cour constate que les appels parfois observés un lundi ou mardi confortent à nouveau les déclarations du demandeur de clémence qui a signalé que « si l'objectif du secteur est d'avoir finalisé la négociation hebdomadaire le vendredi après-midi, cette négociation peut n'aboutir que la semaine suivante, le lundi, le mardi voire dans les cas les plus extrêmes le mercredi ou même le jeudi » (cote 28).

312.Au regard des principes qui ont été énoncés dans les développements qui précèdent, la circonstance que certaines pièces retenues pour établir l'existence des pratiques ont été saisies chez d'autres entreprises (en l'occurrence des courriels échangés en interne au sein de certains groupes ou les notes retranscrites dans un carnet) et qu'elles n'émanent pas directement de l'entreprise en cause est tout aussi inopérante. Elle n'est en effet pas de nature à empêcher qu'elles puissent être opposées aux entreprises qui y sont mentionnées, dès lors que la pièce est corroborée.

313.Tel est le cas concernant la société Salaisons Celtiques, au regard de la convergence d'un ensemble d'éléments précis, graves et concordants, l'impliquant dans les pratiques portées à la connaissance de l'Autorité :

- les déclarations du demandeur de clémence, l'ayant désignée sous sa dénomination commerciale « Onno », comme ayant participé aux pratiques, en la personne de M. [VC] [NE], responsable achats, ses coordonnées téléphoniques ayant également été communiquées ;

- les nombreux courriels, contemporains des pratiques, échangés en interne au sein de groupes différents (Campofrio et Fleury Michon), faisant référence à des contacts et échanges concernant la position à adopter ;

- les notes prises dans son carnet par M. [G] [VB], acheteur « viandes » au sein du groupe Fleury Michon retranscrivant la variation souhaitée par Onno (Salaisons Celtiques);

- les relevés téléphoniques confirmant des appels de Campofrio à Onno/Salaisons Celtiques (tableau 3 et annexe 1 de la décision attaquée, cotes 377, procédure 12/0084AC et cote 46921)

314.Quant au groupe Fleury Michon, la Cour constate la même convergence d'éléments l'impliquant dans les pratiques portées à la connaissance de l'Autorité :

- les déclarations du demandeur de clémence, désignant Monsieur [G] [VB], acheteur, et occasionnellement [GE] [OH], directeur des achats comme étant le représentant du groupe Fleury Michon dans les pratiques en cause ;

- les nombreux courriels, contemporains des pratiques, échangés en interne au sein du groupe Campofrio, mais également ceux émanant du groupe Fleury Michon lui-même, faisant référence à des contacts et échanges concernant la position à adopter ;

- les notes prises par M. [VB], acheteur « viandes » au sein du groupe, saisies lors des opérations de visite et saisies réalisées dans les locaux du groupe Fleury Michon, qui font référence à des contacts et données commercialement sensibles de certains concurrents sur les variations du prix du JSM (volume et/ou variation de prix consentie ou souhaitée) dans un contexte de négociation avec les abatteurs.

315.Il s'infère de la convergence de ces éléments, que la Cour examinera plus en détail dans les développements qui suivent, en liaison temporelle immédiate avec les pratiques, un standard de preuve approprié tant au regard des exigences du droit national qu'européen.

316.En deuxième lieu, sur la caractérisation de l'infraction, la Cour rappelle qu'aux termes d'une jurisprudence constante, pour qu'il y ait un « accord », au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C-306/20, point 94 et jurisprudence citée). Il en ressort également que « les critères de coordination et de coopération constitutifs d'une pratique concertée, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable 'plan', doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun et les conditions qu'il entend réserver à sa clientèle » (CJUE, 28 mai 1998, Deere / Commission, C-7/95 P, point 86 ; 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, point 173, et 14 juillet 1981, Züchner, 172/80, point 13 ).

317.S'il est par ailleurs exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, « elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause » (CJUE, 8 juillet 1999, Commission / Anic Partecipazioni, C-49/92 P, points 116-117).

318.Sur un marché fortement concentré, l'échange d'informations est de nature à permettre aux entreprises de connaître les positions sur le marché, ainsi que la stratégie commerciale de leurs concurrents et de ce fait à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques en ce qu'il atténue ou supprime le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché en cause (voir, notamment, arrêt précité, Jhon Deere/Commission, points 88 et suivants, et arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax, C-238/05, point 58).

319.La jurisprudence rappelle, avec tout autant de constance, qu'il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu'il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. Il en sera d'autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d'une longue période (CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands, C-8/08, point 51).

320.En l'espèce, pour caractériser les pratiques reprochées, consistant à s'être accordées et concertées, au travers d'échanges bilatéraux d'informations, en vue de défendre une position commune sur la variation du prix du JSM, la décision attaquée a pu s'appuyer sur le faisceau d'indices précité.

321.Les déclarations du demandeur de clémence, qui en font partie, ont révélé que les contacts mis en œuvre entre les entreprises concurrentes en cause visaient à se mettre d'accord « sur la variation du prix » d'achat du JSM, « et non sur le prix lui-même », avant d'engager les négociations bilatérales de gré à gré avec les abatteurs de porcs, qui commençaient dans le courant de la matinée du vendredi. Aux termes de ces déclarations, ces contacts visaient à fixer une position commune à l'égard des abatteurs « de manière à présenter un front commun aux abatteurs, à mieux résister aux hausses de prix souhaitées par ceux-ci ou encore à pousser pour une baisse plus forte du prix » (cote 24 de l'annexe précitée).

322.Certaines des notes de M. [Y] [VB] (Fleury Michon), tout en présentant les positions respectives des charcutiers salaisonniers concernés, révèlent, dans le contexte d'échanges téléphoniques décrit par le demandeur de clémence et confirmé par de nombreux relevés d'appels et courriels, leur volonté commune de se comporter d'une manière déterminée sur le marché.

323.Ainsi, à titre d'exemple :

- les notes de M. [VB] correspondant au jeudi 13 octobre 2011 :

« le 13/10/11

(')

[Localité 20] : Message

Onno : O ds le jbs

(')

CCA : Ne comprend pas Ne veut pas bouger

- rev demain matin (') » (cotes 1573 et 1575)

- les appels téléphoniques de M. [OF] [YN] (Campofrio), débutés le jeudi 13 octobre 2011 à destination de M. [VB] (Fleury Michon), qui se sont poursuivis les vendredi 14 et lundi 17 octobre 2011 à destination de MM. [P] (FTL) [VB] (Fleury Michon) et [NE] (Les Mousquetaires), ces contacts étant répertoriés dans le tableau 55 de la décision attaquée ;

- le courriel interne de M. [YN] (Campofrio) du lundi 17 octobre 2011, 14h52, « [P] [acheteur FTL ex-CCA] a appelé, rien de confirmé en prix, tout le monde campe sur ses positions : même cours pour les jambonniers et = 0,08 ou autre pour les abattoirs » (caractères gras ajoutés par la Cour)

324.Les notes suivantes révèlent également la recherche d'une position commune entre les salaisonniers :

 « le 14/1/11 (')

[Localité 20] : tt [tout] le monde attend (') (')

MADRANGE : : m[ême] cours ' [WH] [[WH] [ZR], acheteur Madrange] aucune idée : Reconduction

ONNO : JC [NE] - reconduction

(')

CCA : [P] ' jb [jambon] m[ême] cours » (tableau 53, notes de M. [VB] relatives au vendredi 14 janvier 2011), (caractères gras ajoutés par la Cour) :

 « Le 2/2/2012

[Localité 20] : jb [jambon] ' +8cts/7cts (')

Onno : jb : +8 arrondi (')

Piffaut [FTL]: jb : 8 (') » (tableau 1 de la décision attaquée, notes de M. [VB] du jeudi 2 février 2012) :

- Et pour la journée du 26 avril 2013, dernier indice de participation à l'entente :

« Piffaut [FTL]: souhaite même cours pour que tout le monde se cale sur 7 cts Ha [achats] actuellement » (cote 1911) (caractères gras ajoutés par la Cour) :

325.La Cour retient que l'accord de Salaisons Celtique sur une position commune de négociation s'infère de la teneur des échanges sans qu'il soit nécessaire d'exiger qu'un tel accord soit explicitement indiqué. À cet égard, il convient de rappeler que les pratiques anticoncurrentielles se déroulent usuellement de manière clandestine et que les contacts entre concurrents se tenant secrètement, la documentation qui s'y rapporte est le plus souvent réduite au minimum.

326.Contrairement à ce que soutient le groupe Fleury Michon, ces notes ne sauraient être interprétées comme se bornant à présenter les positions respectives adoptées par les entreprises, compte tenu du contexte de concertations décrit par le demandeur de clémence et le contenu des courriels versés à la procédure, dont il ressort que ces échanges étaient destinés à parvenir à faire front commun à l'égard des abatteurs. À cet égard, les indications qui précèdent, concernant le 2 février 2012, sont explicitées dans le courriel adressé le même jour, à 15h43, par M. [Y] [VB] au service Achats de Fleury Michon ayant pour objet « Negos [Localité 20] est pour un + 8 (') » et se sont vues confirmées par un autre courriel du lendemain, adressé à 18h24 entre les mêmes services, indiquant « Jambon : + 8 centimes » (cote 16684), ainsi qu'avec la synthèse du JSM qui s'est avérée en hausse de 8 centimes le vendredi 10 février 2012 (cote 17063, annexe 154).

327.Le mécanisme d'accords et concertations par le biais de contacts téléphoniques, décrit par le demandeur de clémence, est également corroboré par d'autres types d'éléments notamment, à titre d'illustration, le courriel interne de Fleury-Michon du vendredi 27 janvier 2012, 8 h 28, coté 16134 : « [Localité 20] est en train de faire le con, selon [Localité 78], il signerait à +10 ! Onno me dit qu'il le soupçonne aussi, mais que lui n'est pas ok sur +10 évidemment ! Je lui ai expliqué (très très) vivement notre position...!! +10, c'est un scandale !!!!! J'attends [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] qui doit être au téléphone avec [OF] [[YN] Jean Caby/[Localité 20]], et en fonction je lui remets une couche par derrière. Je pense que si le +10 se dessine, il ne faut pas qu'on signe aujourd'hui et il faut qu'on propose des baisses de volumes chez [PSA] en compensant [PSA] Je te tiens au courant, mais ça va chauffer » (caractères gras ajoutés par la Cour).

328.La mise en œuvre d'un front commun est illustrée par le courriel interne adressé le lundi 14 novembre 2011 par M. [YN] (Campofrio). Ce document fait état de la position commune des charcutiers-salaisonniers lors des négociations du vendredi en ces termes : « les salaisonniers français ont donc décidé de freiner les demandes de hausses des abattoirs pour cette semaine, soit + 0.05 en jambon pour +0.10/0.15 demandé » (cote 392 - 12/0084 AC, caractères gras ajoutés par la Cour). Sur ce point, la Cour précise que les concertations qui ont permis l'émergence de la position commune évoquée sont corroborées par la preuve de contacts téléphoniques ayant eu lieu dès le jeudi 10 novembre, soit avant le début des négociations avec les abatteurs, notamment entre M. [YN] et M. [NE] (Salaisons Celtiques) (cotes 239, 12/0084 AC). Ce point est établi par les relevés téléphoniques versés à la procédure, étant observé qu'ils sont limités aux appels émis par M. [YN] - dans la mesure où les opérateurs de téléphonie ne sont pas en mesure de produire la liste des appels reçus par leurs clients - Mais ne sont, en eux-mêmes, pas exclusifs d'appels reçus par M. [YN] ou émis par d'autres concurrents, comme cela ressort de nombreux courriels en faisant état (« J'ai eu Onno [Salaisons Celtiques] et Fleury [FMC] (c'est eux qui ont appelé j'ai aut'chose à fout !) » cote 13764, caractères gras ajoutés par la Cour). Les notes prises par M. [VB] (Fleury Michon), relatives à la journée du 10 novembre 2011, corroborent également les termes du courriel précité de M. [YN] : « [Localité 78] : 10 jbs (') Cooperl [ici référence à l'abatteur] : 10 cts indispensable) Piffaut [FTL] : + 5 cts ». (cote 1598). Par suite, il s'infère des termes des courriels et notes, comme des relevés d'appels, que les échanges bilatéraux ne se sont pas limités à certaines entreprises mais qu'ils étaient fréquents et réciproques entre tous les participants aux pratiques en vue de constituer un front commun.

329.De même, le courriel interne adressé par M. [G] [VB] (Fleury Michon) le 12 octobre 2012 indique que « [l]a synthèse du jambon a fait - 5 cts cette semaine. Fleury Michon n'est pas d'accord avec cette variation de prix car nous pensons que le marché justifiait - 7 cts. Nous avons donc pratiqué avec une majorité d'opérateurs - 7 cts cette semaine ». (cote 16688, 13/006F, caractères gras ajoutés par la Cour), à l'instar du courriel interne de Fleury-Michon du jeudi 2 février 2012, coté 16142, selon lequel « Objet Négos [Localité 20] est pour un +5 pour arriver à 2,00 à synthèse puis on ne bouge pas de février. Je lui ai dit qu'on était très à l'aise et qu'on pouvait sans problème résister ! On verra avec les autres demain, mais ça sent quand même le +8 ! ». (cote 14091, caractères gras ajoutés par la Cour)

330.En quatrième lieu, la preuve de l'implication de la société Salaisons Celtiques et du groupe Fleury Michon et de leur adhésion à l'entente litigieuse s'infère d'un ensemble d'éléments, qui doivent s'apprécier globalement et non de manière isolée.

331.Concernant la société Salaisons Celtiques, la Cour renvoie plus précisément à la concordance :

- des déclarations du demandeur de clémence, l'ayant désignée sous sa dénomination commerciale « Onno », comme ayant participé aux pratiques, en la personne de M. [VC] [NE], responsable achats, ses coordonnées téléphoniques ayant également été communiquées ;

- des nombreux courriels, contemporains des pratiques, échangés en interne au sein de groupes différents (Campofrio et Fleury Michon), faisant référence à des contacts et échanges concernant la position à adopter, notamment (caractères gras ajoutés par la Cour) :

- d'[Localité 20]/Jean-Caby du lundi 21 février 2011, 8 h 16, coté 13753, mentionnant :

« Concernant les négos, voir si on peut rattraper le coup avec Cooperl principalement pour le cuit car on est en promo ! S'il faut céder avec les autres OK, faire le point avec Onno [Salaisons Celtiques/Onno], [GD] [[GD] [P] directeur des achats chez FTL ex-CCA] et Madrange. Puisque Cooperl a déjà retiré les quantités ne pas lui donner la hausse si on la donne aux autres à l'exception près c'est qu'ils nous remettent les quantités. ».

- de Jean-Caby du vendredi 5 août 2011, 18 h 06, coté 13757 : « I just finish a call with [GD] [P] from Piffaut/Madrange [FTL ex-CCA], it was difficult to convince him to decrease but we agree to discuss -0,05 today with slaughterhouses. Same thing with Onno [Salaisons Celtiques/Onno]... It seems that Ranou [même groupe ITM que Salaisons Celtiques/Onno], Fleury [FMC] have already signed steady priceH » (traduction du rapporteur en cote 16813 : « Je viens juste de terminer un appel avec [GD] [P] [V]/Madrange [FTL ex-CCA], il était difficile de le convaincre de baisser mais nous sommes mis d'accord de discuter -0,05 aujourd'hui avec les abattoirs. Même chose avec Onno [Salaisons Celtiques/Onno]... I1 semble que Ranou [même groupe ITM que Salaisons Celtiques/Onno], Fleury [FMC] aient déjà signé pour un prix stable !! ») ;

- de Jean-Caby du mardi 18 octobre 2011, 14 h 21, coté 13762 : « J'ai eu [P], Fleury et Onno ; »

- de Jean-Caby du jeudi 15 décembre 2011, 22 h 04, coté 13764 : « J'ai eu Onno [Salaisons Celtiques/Onno] et Fleury [FMC] (c'est eux qui ont appelé j'ai aut'chose à fout !) Ils attaquent demain [vendredi] a -5 !! Laissons faire. »

- de Fleury-Michon du vendredi 27 janvier 2012, 8 h 28, coté 16134 : « [Localité 20] est en train de faire le con, selon [Localité 78], il signerait à +10 ! Onno me dit qu'il le soupçonne aussi, mais que lui n'est pas ok sur +10 évidemment ! Je lui ai expliqué (très très) vivement notre position...!! +10, c'est un scandale !!!!! J'attends [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] qui doit être au téléphone avec [OF] [[YN] Jean Caby/[Localité 20]], et en fonction je lui remets une couche par derrière. Je pense que si le +10 se dessine, il ne faut pas qu'on signe aujourd'hui et il faut qu'on propose des baisses de volumes chez [PSA] en compensant [PSA] Je te tiens au courant, mais ça va chauffer. »

- de Fleury-Michon du vendredi 16 mars 2012, 17 h 27, coté 16178 : « Pour les négos Bingo ! [Localité 20] à acheté à -5 centimes [GD] [[P] FTL ex-CCA], [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] et moi, on est très énervé. Il va falloir qu'ils se ressaisissent chez [Localité 20]... (...) »

- de Fleury Michon du jeudi 22 mars 2012, 14h58, cote 16185-16186 :

« J'ai mis le feu un peu partout pour demain :

=> [Localité 20] [Campofrio] : je lui ai dit que j'avais ordre de la Direction d'être très offensif, et que -15 ne me gênais pas !

=> il m'a souhaité bon courage...je pense qu'il sera évidemment plus modéré. (')

=> Onno [Les Mousquetaires] : je l'aurai tout à l'heure »

(caractères gras ajoutés par la Cour)

- des relevés téléphoniques confirmant des appels de Campofrio à Onno/Salaisons Celtiques (tableau 3 et annexe 1 de la décision attaquée, cotes 377, procédure 12/0084AC et cote 46921) : appel du vendredi 4 février 2011, à 17h27, appel du lundi 14 février 2011 à 14h34 et 14h35, appel du vendredi 18 février 2011, à 15h20, appel du lundi 21 février 2011 à 14h57, appel du mardi 22 février 2011 à 8h50, 10h19 et 16h06, appel du vendredi 11 mars 2011 à 11h26, appel du vendredi 1er avril 2011 à 11h27 et 16h01, appel du jeudi 7 avril 2011 à 14h25, appel du mercredi 3 août 2011 à 15h43, appel du mercredi 24 aout 2011 à 15h21, mercredi 7 septembre 2011 à 15h06, vendredi 14 octobre 2011 à 16h47, mercredi 11 janvier 2012 à 9h57, vendredi 27 janvier 2012 à 15h29, vendredi 24 février 2012 à 9h12, vendredi 11 mai 2012 à 15h06, vendredi 25 mai 2012 à 8h22 ;

- des notes de M. [VB] (Fleury Michon) mentionnant la position d'Onno (Salaisons Celtiques/Les Mousquetaires), notamment :

 « le 14/1/11 (') Onno : JC [NE] - reconduction » (cote 3988)

 « le 20/1/11 (') Onno : JC [NE] - reconduction avec tt le monde

Semaine prochaine Ø (') » (cote 3996)

 « le 2/3/12 (') Onno veut baisse - 5 cts -5 cts jbs (') » (cote 1692)

 « le 7/2/11 Madranges/onno : souhaitent 7 » (cote 4019)

332.Les circonstances tenant au fait que le contenu des conversations téléphoniques ne puisse être établi à la lecture des seuls relevés d'appels, que la durée qui y apparaît soit, le cas échéant, brève ou que certains appels aient pu avoir un objet licite (comme les travaux menés au sein de la FICT) sont indifférentes. En effet, l'indice tiré des relevés téléphoniques ne s'apprécie pas de manière autonome mais s'interprète nécessairement à la lumière du faisceau d'indices, dans son ensemble, lequel, en l'espèce, établit à suffisance un contexte d'échanges réguliers tout au long des négociations menées avec les abatteurs, dont le contenu s'infère des déclarations du demandeur de clémence et des courriels et notes versées à la procédure, contemporaines des pratiques.

333.Concernant le groupe Fleury Michon, une même analyse doit être adoptée, son adhésion à l'entente devant être déduite de la concordance des éléments suivants (caractères gras ajoutés par la Cour) :

- les déclarations du demandeur de clémence, désignant M. [G] [VB], acheteur, et occasionnellement [GE] [OH], directeur des achats, comme étant le représentant du groupe Fleury Michon dans les pratiques qui ont été dénoncées ;

- les nombreux courriels, contemporains des pratiques, échangés en interne au sein du groupe Campofrio, mais également ceux émanant du groupe Fleury Michon lui-même, faisant référence à des contacts et échanges concernant la position à adopter, notamment:

- le courriel adressé en interne par M. [YN] (Campofrio) du mardi 18 octobres 2011 ayant pour objet « j'ai eu [P] [FTL], Fleury [Fleury Michon] et Onno [Les Mousquetaires] » (cote 391 - 12/0084 AC), dont la teneur est confirmée par les relevés téléphoniques de M. [YN] du même jour (appels à 9h50, 14h09 et 14h13 vers M. [VC] [NE] [Les Mousquetaires] et à 14h10 vers M. [G] [VB] [Fleury Michon]) (cote 46922), contacts qui s'inscrivaient dans le prolongement d'échanges entre concurrents débutés dès le jeudi 13 octobre et poursuivis pendant toute la durée du blocage des négociations (cotes 46921 et 46922) ;

- le contenu du courriel interne de Fleury-Michon du vendredi 27 janvier 2012, 8h28, coté 16134 : « [Localité 20] est en train de faire le con, selon [Localité 78], il signerait à +10 ! Onno me dit qu'il le soupçonne aussi, mais que lui n'est pas ok sur +10 évidemment ! Je lui ai expliqué (très très) vivement notre position...!! +10, c'est un scandale !!!!! J'attends [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] qui doit être au téléphone avec [OF] [[YN] Jean Caby/[Localité 20]], et en fonction je lui remets une couche par derrière. Je pense que si le +10 se dessine, il ne faut pas qu'on signe aujourd'hui et il faut qu'on propose des baisses de volumes chez [PSA] en compensant [PSA] Je te tiens au courant, mais ça va chauffer. » ;

- le courriel interne du vendredi 27 janvier 2012, 14 h 07, coté 16137, qui suit le courriel précité : « Et paf Gad [abatteur] vient de signer à +7. Je viens d'avertir [P] [FTL groupe Piffaut] => on balance la synthèse à +7... » ;

- le courriel interne de Fleury-Michon Charcuterie du jeudi 2 février 2012, 14h53, coté 16142 : « Objet. ' Négos [Localité 20] est pour un +5 pour arriver à 2,00 à synthèse puis on ne bouge pas de février. Je lui ai dit qu'on était très à l'aise et qu'on pouvait sans problème résister ! On verra avec les autres demain, mais ça sent quand même le +8 ! »

- le courriel interne Fleury Michon, lundi 19 mars 2012, 7 h 50, cotés 16178, 16177 selon lesquels : « Pour les négos Bingo ! [Localité 20] a acheté à -5 centimes [GD] [[P] FTL ex-CCA], [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] et moi, on est très énervé. Il va falloir qu'ils se ressaisissent chez [Localité 20]... (...) »

- le courriel interne Fleury Michon, jeudi 22 mars 2012 : « J'ai mis le feu un peu partout pour demain.

- [Localité 20] : je lui ai dit que j'avais ordre de la Direction d'être très offensif, et que -15 ne me gênait pas !

- il m'a souhaité bon courage... je pense qu'il sera évidemment plus modéré.(') » ; « Pour demain, je viens de faire un très long point avec F. [P] [FTL ex-CCA]. Je lui ai expliqué notre position et je lui ai proposé de s'associer avec nous pour marginaliser [Localité 20], voire Onno. Il est plutôt d'accord sur le principe... mais je demande à voir ! »

- les deux courriels internes Fleury-Michon Charcuterie du lundi 30 avril 2012, à 11h24, 11h38 coté 16208: « SBS/ [Localité 20] vient de m'appeler pour m'informer qu'il avait fait -4 avec Cooperl. Je contacte tout le monde pour connaître la position de chacun... (...) » ; « Les achats se déclenchent tous à -4 ... Onno/ Ranou/SBS [Jean-Caby/[Localité 20]]... + Pijfaud dont je vais avoir la confirmation d'ici peu... Je pense qu'il va falloir mettre les 'choses au point- avec SBS [Jean-Caby/ [Localité 20]] peut-être lors d'une commission matière première. Si on cumule son impact depuis le début de Vannée, on doit être autour de 5 centimes ! ».

(Caractères gras ajoutés par la Cour)

- les notes prises dans son carnet par M. [G] [VB], acheteur « viandes » au sein du groupe Fleury Michon, saisies lors des opérations de visite et saisies réalisées dans les locaux de l'entreprise, qui font référence à des contacts et données commercialement sensibles de certains concurrents sur les variations du prix du JSM (volume et/ou variation de prix consentie ou souhaitée) dans un contexte de négociation avec les abatteurs.

334.Le faisceau d'indices réuni démontre ainsi que les entreprises en cause, actives sur le même marché, et notamment Fleury Michon, ont sollicité des informations sur les variations de prix du JSM auprès de leurs concurrents avant la fin des négociations menées avec les abatteurs afin d'adapter leur comportement sur le marché en conséquence et qu'elles ont consenti, en ce compris la société Salaisons Celtiques, à échanger entre elles, de manière régulière, des informations relatives à des données futures influant sur la variation des cours du JSM pour mieux résister aux hausses de prix souhaitées par les abatteurs ou inciter à des baisses plus fortes. Cette situation traduit, comme l'a justement retenu l'Autorité, la volonté commune des entreprises de se comporter sur le marché d'une manière déterminée, et ce, peu important qu'in fine la politique d'approvisionnement des charcutiers-salaisonniers leur soit personnelle, comme étant définie par rapport aux besoins identifiés sur chaque période et aux contraintes inhérentes.

335.La forte valeur probante du faisceau d'indices précité rend indifférente la circonstance que les charcutiers-salaisonniers aient également pu obtenir des abatteurs eux-mêmes certaines indications concernant les variations de cours, ou relayer des rumeurs, les échanges litigieux n'étant pas nécessairement exclusifs d'autres modes d'information parallèles ou de « bluff » dans la conduite de leurs négociations.

336.À cet égard, la Cour relève que le demandeur de clémence a expliqué de manière très claire qu'« [e]n fonction des circonstances, l'accord sur la variation peut être très aisé à trouver pour les concurrents. Parfois, obtenir un consensus peut s'avérer plus difficile en fonction, par exemple, de besoins particuliers de volumes d'un acheteur en décalage avec les besoins de ses concurrents (si, par exemple, cet acheteur a besoin de quantités importantes car un client est en promotion). Quand un acheteur est dans une situation de négociation peu favorable, il en informe les autres lors du premier round d'appels du vendredi matin ». Il a également précisé qu'« [e]n début d'appel, les deux interlocuteurs s'informent mutuellement de leurs besoins pour la prochaine semaine », se communiquent « une tendance en indiquant s'ils auront besoin de volumes faibles, normaux ou importants (par exemple en raison d'une promotion à venir chez un client) » (cote 24). Les notes du carnet manuscrit de M. [G] [VB] (acheteur pour le compte de Fleury Michon) saisi le 15 mai 2013 dans les locaux du groupe Fleury Michon confirment également ce point, mentionnant par exemple : « le 14/3/2013 [OI] Ranou Très forts volumes » suivi d'un point d'exclamation placé dans un triangle (cote 1880).

337.Contrairement à ce que soutient la société Salaisons Celtiques, et comme il a déjà été observé, la teneur des échanges bilatéraux mentionnés entre les différentes entreprises démontre qu'ils n'étaient pas circoncis à deux entreprises mais qu'ils étaient généralisés entre les différentes entreprises en cause et ont eu pour objet de relayer entre tous les participants à l'entente des données commercialement sensibles en vue d'adopter un certain comportement dans le cadre des négociations en cours. Elle n'est donc pas fondée à soutenir qu'il s'agirait de simples échanges bilatéraux qui ne suffiraient pas à caractériser sa participation à une entente avec les autres participants.

338.La Cour renvoie à cet égard, notamment, aux mentions suivantes (caractères gras ajoutés par la Cour :

- courriel d'[Localité 20]/Jean-Caby du lundi 21 février 2011, 8 h 16, coté 13753, mentionnant : « (') S'il faut céder avec les autres OK, faire le point avec Onno [Salaisons Celtiques/Onno], [GD] [[GD] [P] directeur des achats chez FTL ex-CCA] et Madrange (') » ;

- courriel interne de Fleury-Michon du vendredi 27 janvier 2012, 8 h 28, coté 16134 : « (') Onno me dit qu'il le soupçonne aussi, mais que lui n'est pas ok sur +10 évidemment (') J'attends [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] qui doit être au téléphone avec [OF] [[YN] Jean Caby/[Localité 20]](') » ;

- courriel interne Fleury Michon, lundi 19 mars 2012, 7 h 50, cotés 16178, 16177 selon lesquels : « Pour les négos Bingo ! (...) [Localité 20] a acheté à -5 centimes [GD] [[P] FTL ex-CCA], [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] et moi, on est très énervé. Il va falloir qu'ils se ressaisissent chez [Localité 20]... (...) » ;

- courriels internes Fleury-Michon Charcuterie du lundi 30 avril 2012, à 11h24, 11h38 coté 16208: « SBS/ [Localité 20] vient de m'appeler pour m'informer qu'il avait fait -4 avec Cooperl. Je contacte tout le monde pour connaître la position de chacun... » ;

- courriel interne de Fleury-Michon Charcuterie du jeudi 2 février 2012, 14h53, coté 16142 : « (...) On verra avec les autres demain, mais ça sent quand même le +8 ! ».

- ou encore, à titre d'exemple, les relevés d'appels révélant un échange téléphonique entre Campofrio et CCA suivi d'un appel dans la même journée de Campofrio à Onno (les 18 et 21 février 2011), ou les trois appels successifs passés par Campofrio à FTL, Fleury Michon et [KT] [NE] [Les Mousquetaires/Onno] les 14 et 18 octobre 2011 (annexe 1)

339.Il n'est pas sérieux de soutenir que ces pièces n'établissent pas qu'Onno [Les Mousquetaires/Salaisons Celtiques] avait connaissance des comportements de ses concurrents et que par son propre comportement elle n'a pas contribué à des concertations destinées à défendre une position commune sur la variation du prix hebdomadaire du JSM.

340.Le groupe Fleury Michon n'est pas plus fondé à soutenir, au regard de la teneur des courriels précités, que les pratiques identifiées par l'Autorité seraient de « simples échanges d'informations » dépourvus de tout objet anticoncurrentiel. En effet, les éléments du dossier ont révélé que les quatre principaux charcutiers-salaisonniers se sont accordés et concertés pour défendre une position commune sur la variation du prix hebdomadaire du JSM dans leur négociation avec les abatteurs, afin « de mieux résister aux hausses de prix souhaitées par les abatteurs ou à inciter à des baisses plus fortes », et ce « au travers d'échanges bilatéraux d'informations ». Il est ainsi bien question d'une entente horizontale, alimentée par des échanges entre concurrents actifs sur le même marché portant sur des informations commercialement sensibles, dont l'examen qui suit confirme qu'elles interviennent de façon au moins indirecte dans la détermination du prix et suppriment l'incertitude sur les positions des autres opérateurs lors de ces négociations, conduisant ces derniers à se comporter sur le marché d'une manière déterminée et affectant ainsi l'autonomie dont les entreprises doivent faire preuve lorsqu'elles sont en concurrence sur un marché. Le moyen n'est donc pas fondé.

341.Toutes les parties s'accordent sur le fait que les acheteurs industriels sont contraints par leurs besoins de matière première. Le rapport de force dans les négociations leur est ainsi défavorable lorsqu'ils ont des besoins importants de volumes sur une semaine donnée, dans la mesure où les cheptels porcins européens se raréfient et que leurs besoins ne pourront pas être couverts chez des concurrents s'ils ne parviennent pas à s'accorder sur le prix avec l'abatteur. Il est par ailleurs constant que la filière de l'abattage de porc est très concentrée (trois abatteurs représentant près de 50 % du marché de l'abattage national en 2009).

342.Ce contexte rend les informations échangées entre concurrents (sur les volumes escomptés ou leurs positionnements face aux variations souhaitées par les abatteurs) particulièrement sensibles pour mener les négociations.

343.Par suite, loin d'exclure toute possibilité de stratégie tarifaire commune entre charcutiers-salaisonniers, comme le prétend le groupe Fleury Michon, le fonctionnement concret du marché, ainsi décrit, tend au contraire à établir l'intérêt que les participants entendaient retirer de ces échanges, ceux-ci intervenant concomitamment aux négociations, en supprimant l'incertitude qui gouverne le jeu normal de la concurrence sur le marché concernant des composantes essentielles dans le processus de fixation des cours.

344.Il ressort par ailleurs des révélations du demandeur de clémence, corroborées par les termes des notes et courriels saisis, que « [t]out au long des négociations, les industriels acheteurs se tiennent au courant les uns les autres par téléphone de l'avancement des négociations en temps réel et des contrats qu'ils ont éventuellement réussi à conclure avec les abatteurs ». Sans qu'il soit nécessaire de les énumérer un à un, la Cour renvoie, à titre d'exemple, au courriel du vendredi 5 août 2011, dans lequel M. [ZR] (FTL) écrit en interne à M. [P] (FTL) pour lui indiquer qu'il a eu M. [YN] (Campofrio) au téléphone pour évoquer sa demande de baisse du cours du jambon (« pour info, nous avons bloqué les HA. J'ai demandé à [CR] et à Fleury d'attendre après déjeuner mais je pense que certains ont déjà bouclé chez quelques FRS » ; « j'ai eu pascal personnic qui demande de la baisse en jambon » cote 15467, 13/0006F). Une heure plus tard, M. [YN] (Campofrio) écrit en interne à d'autres employés du groupe pour évoquer des échanges, en ces termes : « I just finish a call with [GD] [P] from Piffault/MAdrange [FTL]. It was difficult to convince him to decrease but we agree to discuss ' 0.05 today with slautherhouses. Same thing with Onno [les Mousquetaires] » (cote 386 - 12/0084 AC).

345.De même, le courriel adressé le vendredi 27 avril 2012 au service Achats de Fleury Michon Charcuterie par M. [VB] (Fleury Michon), dans lequel il indique « Pour l'instant, sur le jambon, les positions sont les suivantes : Abattoirs : -3 centimes Salaisonniers : - 5 centimes Les négociations reprendront lundi, toutefois, il est probable que la position des salaisonniers l'emporte (...) » (cote 16 036, 12/0080 F, caractères gras ajoutés par la Cour) doit être lu à la lumière des notes qu'il a prises dans son carnet (« Onno [Les Mousquetaires] : - 5jbs ([Localité 78] : jbs -3 (') Cooperl : -3 cts », cote 1 729, 12/0084 AC) et du contexte d'appels téléphoniques mis en évidence par les relevés téléphoniques de M. [OF] [YN] (acheteur Campofrio) (cotes 239 et 46922 : appels à M. [VC] [NE] (Les Mousquetaires) à 9h00 et 16h25, à M. [GD] [P] (FTL) à 11h39, 13h56 et 14h12 et à M. [GE] [OH] (Fleury Michon) à 17h13). Il ressort de l'ensemble de ces éléments que ces différents concurrents ont accepté de dévoiler leur positionnement commercial respectif et avaient ainsi, à la faveur de leurs contacts téléphoniques, connaissance des variations de prix proposées par chacun d'eux, alors que les négociations avec les abatteurs étaient en cours.

346.Le courriel interne d'[Localité 20]/Jean-Caby du lundi 21 février 2011, 8 h 16, coté 13753 en est une autre illustration : « Concernant les négos, voir si on peut rattraper le coup avec Cooperl principalement pour le cuit car on est en promo ! S'il faut céder avec les autres OK, faire le point avec Onno [Salaisons Celtiques/Onno], [GD] [[GD] [P] directeur des achats chez FTL ex-CCA] et Madrange. Puisque Cooperl a déjà retiré les quantités ne pas lui donner la hausse si on la donne aux autres à l'exception près c'est qu'ils nous remettent les quantités. ». (caractères gras ajoutés par la Cour).

347.S'il n'est pas exclu que ces concurrents aient pu être naturellement incités par les abatteurs, en cours de négociation, à s'aligner sur le prix moyen proposé par d'autres acheteurs, force est de constater que la teneur des échanges qui précèdent démontre des prises de contact directes entre ces opérateurs, ayant pour objet ou pour effet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel (en ce sens, courriels précités : « Je lui ai expliqué (très très) vivement notre position...!! +10, c'est un scandale !!!!! J'attends [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] qui doit être au téléphone avec [OF] [[YN] Jean Caby/[Localité 20]], et en fonction je lui remets une couche par derrière (') ») soit de dévoiler à un concurrent le comportement qu'il est décidé à tenir ou qu'il envisage de tenir (en ce sens, « Je contacte tout le monde pour connaître la position de chacun » ; « J'ai eu Onno [Salaisons Celtiques/Onno] et Fleury [FMC] (') Ils attaquent demain à -5 »).

348.Il est par ailleurs vain de prétendre qu'une incertitude entoure la temporalité des informations échangées, au prétexte qu'il ne serait pas précisé dans les notes de M. [VB] s'il s'agit d'informations passées ou futures. La teneur des différents échanges précités établit en effet, sans ambiguïté, qu'ils sont contemporains de négociations en cours. A cet égard, sur la base de l'exemple qui précède (cote 13753), les relevés téléphoniques de M. [OF] [YN] [Campofrio] confirment que des échanges avec FTL (14h50) et Onno [Les Mousquetaires] (14h47) ont bien eu lieu dans la journée du 21 février 2011 (cote 377, procédure 12/0084AC) dans un contexte de blocage de négociations avec les abatteurs qui se sont poursuivies au-delà du vendredi.

349.L'ensemble de ces éléments établit la participation des entreprises en cause à un accord anticoncurrentiel et notamment celle du groupe Fleury Michon et de la société Salaisons Celtiques (Onno /groupe Les Mousquetaires). Ces entreprises ont manifesté leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée à la faveur d'échanges sur leurs positions respectives relatives à la variation du prix d'achat du JSM, afin d'aboutir à un positionnement commun dans la conduite des négociations avec les abatteurs et ainsi de mieux résister aux hausses de prix souhaitées par ces derniers ou inciter à des baisses plus importantes. La Cour observe que, dans le principe, chaque entreprise ne s'est vu opposer que les échanges qui l'impliquaient sur la durée de sa participation, de sorte qu'il est vain pour la société Salaisons Celtiques d'invoquer les standards de preuve applicables aux infractions uniques complexes et continues.

350.La circonstance que les concertations pour contenir certaines hausses n'ont pas toujours abouti ou que les accords passés entre les entreprises pour adopter un comportement déterminé sur le marché n'aient pas toujours été scrupuleusement appliqués est sans incidence sur l'existence de l'entente précitée.

351.Par ailleurs, compte tenu de la nature secrète de telles pratiques et du fait que les échanges entre concurrents ont essentiellement pris la forme d'appels téléphoniques intervenus sur une longue période, la preuve des échanges à certaines dates ne saurait être jugée insuffisante, comme le prétend la société Salaisons Celtiques, au motif qu'elle reposerait uniquement sur des relevés téléphoniques, alors que tous ces échanges s'inscrivent dans un faisceau d'indices (tableau 56 et annexe 1 de la décision attaquée) graves, précis et concordants. À cet égard, la Cour signale à nouveau, à titre surabondant, que seuls les relevés du demandeur de clémence (M. [YN] (Campofrio)) ont pu être analysés et seulement les appels qu'il a lui-même passés et non ceux qu'il a pu recevoir, de sorte que le nombre d'échanges intervenus est manifestement supérieur à celui retenu pour fonder les poursuites (comme le démontre le courriel précité : « J'ai eu Onno [Salaisons Celtiques] et Fleury [FMC] (c'est eux qui ont appelé j'ai aut'chose à fout !) » cote 13764, caractères gras ajoutés par la Cour) . En outre, les relevés téléphoniques contestés, lorsqu'ils n'ont pas été étayés d'éléments matériels extérieurs, révèlent que de nombreux échanges sont intervenus avant ou pendant la période de négociations habituelles avec les abatteurs (jeudi ou vendredi matin) ou s'inscrivaient dans une suite d'échanges consécutifs, notamment en cas de blocage des négociations.

352.Enfin, il est indifférent, en cet état, que la synthèse hebdomadaire du MIN de [Localité 78] reflète de façon plus ou moins proche les positions communiquées. Cette circonstance étant éventuellement de nature à éclairer les effets des échanges entre concurrents, non leur existence et la caractérisation de la pratique litigieuse. Elle ne constitue pas, en tout état de cause, un élément essentiel de la décision attaquée.

353.Les moyens sont rejetés.

B. Sur l'objet anticoncurrentiel des pratiques et l'existence d'effets anticoncurrentiels

354.Après avoir relevé que les parties ne contestent pas l'objet anticoncurrentiel des pratiques en cause - la discussion ayant porté essentiellement sur l'existence d'un accord de volonté entre charcutiers-salaisonniers pour défendre une position commune et la valeur probante des éléments retenus - la décision attaquée a rappelé que les pratiques qui tendent à fausser la formation du prix présentent, par nature, un objet anticoncurrentiel. Elle a retenu que les pratiques en cause ' consistant pour les groupes Campofrio, Fleury Michon, FTL et Les Mousquetaires à s'accorder et se concerter, au travers d'échanges bilatéraux d'informations pour défendre une position commune sur la variation du prix hebdomadaire du JSM dans leurs négociations avec les abatteurs afin de maintenir le statu quo sur la variation du prix d'achat du JSM d'une semaine sur l'autre ou, lors des périodes de tension avec les abatteurs, résister à des hausses de prix ou faire passer des baisses de prix ' constituent des infractions par objet au sens de l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du code de commerce (§ 508 et suivants de la décision attaquée).

355.À l'occasion de l'évaluation du dommage à l'économie causé par les pratiques, elle a relevé que si l'entente n'avait effectivement regroupé que quatre opérateurs, elle comprenait cependant les trois opérateurs les plus importants du secteur de la charcuterie en France (Campofrio, Fleury Michon, FTL) étant observé que le quatrième opérateur le plus important du secteur, Nestlé (pour sa marque Herta), ne s'approvisionne presque plus en France (§ 843). Elle a retenu que l'entente a conduit, au moins durant les semaines concernées, à modifier le rapport de force entre acheteurs et vendeurs, au bénéfice des premiers et au détriment des seconds. Elle a constaté que l'impact potentiel de cette entente sur les variations des prix d'achat du JSM est d'autant plus marqué que les variations arrêtées dans ce cadre vont déterminer la variation de la cotation du JSM sur le MIN de [Localité 78], laquelle est un indicateur important puisqu'elle impacte les transactions d'achat et de vente réalisées hors de ce marché (§ 844). Elle a toutefois également relevé que la mise en œuvre de l'entente à l'achat s'est à plusieurs reprises heurtée à des obstacles (nécessité pour les participants à la pratique de disposer de volumes de jambon suffisants pour répondre aux commandes des GMS conduisant à l'apparition de divergences entre acheteurs, capacité des abatteurs français à exporter leur production) et qu'indépendamment des pratiques mises en œuvre, la pression qui s'exerçait sur les abatteurs était de toute façon très forte, éléments qui ont limité l'effet potentiel de la pratique (§ 846). Elle en a déduit que les fluctuations naturelles de l'offre et de la demande ont pu fréquemment continuer d'exercer une influence déterminante sur les cours, ce que les résultats de l'analyse économétrique produite par Fleury-Michon tendaient à confirmer (§ 847).

356.Le groupe Fleury Michon fait valoir que les conditions requises pour établir une restriction par objet ne sont pas remplies sur la base des effets des pratiques.

357.Il soutient, en premier lieu, que les pratiques étaient insusceptibles d'avoir le moindre effet sur la concurrence et considère que l'Autorité l'a elle-même reconnu (§ 845 et 847 de la décision attaquée). Il estime que les analyses économétriques en production confirment que les variations de prix d'achat du jambon durant la période des pratiques alléguées résultent du fonctionnement normal du marché (pièce 1 du mémoire en réponse au rapport et pièce Fleury Michon n° 9) et ressortaient d'une logique de maximisation du profit de court terme de chaque entreprise (typique du fonctionnement normal du marché) non des profits collectifs de long terme (propre de toute entente).

358.Il considère que si la notion de restriction par objet peut conduire à sanctionner des pratiques n'ayant eu aucun effet, au motif qu'elles n'ont pas été mises en œuvre, elle ne saurait en revanche être retenue pour des pratiques qui, bien que mises en œuvre, n'ont manifestement pas eu le moindre effet sur le marché. Il en déduit que l'absence d'effet démontre que les pratiques concernées n'avaient tout simplement pas la « capacité » de restreindre le jeu de la concurrence.

359.Il fait valoir, en deuxième lieu, qu'en justifiant cette qualification par la pratique décisionnelle et la jurisprudence rendues en matière d'ententes horizontales de fixation de prix, l'Autorité a commis une erreur de droit.

360.En conclusion, et en tout état de cause, il rappelle la nécessité d'interpréter strictement la notion d'infraction « par objet » et estime que l'analyse des quatre critères habituels (teneur / objectifs / absence d'expérience acquise/ contexte juridique et économique) ne permettent pas de retenir cette qualification pour de simples échanges d'informations portant sur des prix d'achat et des données passées émanant très souvent des abatteurs eux-mêmes et non des concurrents. Il ajoute que les échanges litigieux s'inscrivaient uniquement dans une logique de gestion individuelle et optimisée des stocks et donc de gains d'efficacité, dans un secteur où la compétitivité des acteurs repose essentiellement sur leur capacité à fonctionner à flux tendus dès lors que le marché du jambon est structurellement sous-capacitaire. Il considère ainsi que les échanges d'informations visés par le grief n° 1 s'expliquent avant tout par le souhait des charcutiers-salaisonniers de sécuriser leurs approvisionnements et d'améliorer leur compétitivité, notamment en se positionnant par rapport à leurs concurrents au moyen d'une méthode de benchmarking.

361.La société Salaisons Celtiques soutient que l'Autorité n'a pas examiné les pratiques dans leur juste contexte économique. Elle relève que le marché en cause se situe au niveau directement aval d'un marché entre les mains d'organisations de producteurs qui constituent une offre unique, échappant largement aux règles de concurrence et sur lequel tout est transparent (volumes, clients, prix etc.). Elle fait grief à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte du fonctionnement des négociations sur le marché de [Localité 78], du fort pouvoir de négociation des abatteurs, du contexte de crise de la filière porcine et des situations spécifiques des requérantes. Elle rappelle notamment son absence d'intérêt à s'entendre dès lors qu'elle appartient à un groupement intégrant un abatteur (Gatine Viandes).

362.Elle rappelle qu'il n'existait à l'époque des faits aucun indice public fiable de l'évolution des prix des pièces de découpe du porc, rappelant que la synthèse du MIN de [Localité 78] était notoirement connue pour ne pas du tout refléter la réalité du marché, puisqu'elle représentait moins de 3 % du marché réel du jambon en France.

363.Le groupe Fleury Michon et la société Salaisons Celtiques invoquent la décision n° 13-D-03 du 13 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du porc charcutier qui a rejeté toute qualification de restriction par objet pour des faits qu'ils estiment proches de ceux de l'espèce, ainsi que la jurisprudence de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 1ère chambre, section H, 9 décembre 2003, Esso S.A. e.a., n° 2003/07056).

364.L'Autorité maintient, en premier lieu, que les échanges d'informations ayant eu lieu entre les parties, retracés aux paragraphes 440 et suivants de la décision attaquée, ainsi qu'à l'annexe n° 1 de celle-ci, avaient un objet restrictif de concurrence dès lors qu'en échangeant des informations sur les variations du prix d'achat hebdomadaire du JSM et en s'accordant pour défendre une position commune lors des négociations avec les abatteurs, les parties à l'entente ont imposé sur le marché français des achats en JSM un mode d'organisation collusif, au détriment du libre jeu de la concurrence fondé notamment sur l'autonomie des opérateurs et l'incertitude sur les positions des autres opérateurs. Elle relève, en deuxième lieu, qu'il n'est pas nécessaire que les pratiques en cause concernent directement un prix de vente pour être qualifiées de restriction par objet et renvoie à cet égard à la lettre des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, ainsi qu'à la jurisprudence européenne l'ayant rappelé. Elle constate, en troisième lieu, sur la base du faisceau d'indices exposé aux paragraphes 440 et suivants de la décision attaquée que les parties, qui sont des concurrents, se concertaient en amont de l'ouverture des négociations sur le marché de [Localité 78] sur leurs positions respectives s'agissant des variations du prix du JSM - Et donc sur des données futures - afin d'aboutir à une position commune. Elle maintient que ces échanges ont permis aux parties de s'accorder sur des variations de prix futures, ce qui a incontestablement réduit le degré d'incertitude sur la politique de prix future des concurrents. En quatrième lieu, concernant la jurisprudence invoquée, elle relève que l'affaire examinée par la cour d'appel de Paris le 9 décembre 2003 concernait des échanges d'informations intervenus sur un marché qualifié de très transparent du fait de l'affichage des prix des carburants sur les panneaux autoroutiers, de sorte que l'alignement des prix entre concurrents a été expliqué par les caractéristiques du marché, sans que les échanges d'informations en cause n'aient eu d'effet sur le prix et la transparence du marché. S'agissant de l'application de la décision n° 13-D-03, précitée, rendue dans le secteur du porc charcutier, elle rappelle que les parties en cause avaient échangé des informations sur leur « prix de retrait » respectifs, soit le prix en deçà duquel elles n'accepteraient pas d'offre d'achat, et que ce « prix de retrait » est différent du prix de marché et n'aboutit jamais à la fixation d'un prix individuel ou moyen. Elle considère donc que cette décision n'est pas transposable en l'espèce.

365.Concernant le contexte économique et juridique, elle indique que la Cour de justice a rappelé que pour les accords de prix ou les accords ayant pour objet la fixation des prix « qui constituent des violations particulièrement graves de la concurrence, l'analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s'insère peut (') se limiter à ce qui s'avère strictement nécessaire en vue de conclure à l'existence d'une restriction de concurrence par objet » (CJUE, 27 avril 2017, FSL Holdings NV e.a./Commission, C-469/15 P, point 107) et qu'en l'espèce il a été longuement exposé aux paragraphes 69 et suivants de la décision attaquée, notamment concernant le fonctionnement spécifique du MIN de [Localité 78] et l'existence d'une asymétrie d'informations entre les abatteurs et les charcutiers salaisonniers (§ 24 et 25 de la décision attaquée). Elle observe qu'en tout état de cause ces circonstances ne permettent pas d'écarter le caractère particulièrement nocif des pratiques en cause. Elle relève, de même, que la situation difficile d'un secteur ne peut justifier la mise en place d'une entente, ce qui a déjà été retenu par la jurisprudence européenne et interne.

366.Concernant les situations spécifiques, elle indique les avoir prises en compte. S'agissant de la société Salaisons Celtiques, elle relève qu'il ressort des tableaux de M. [NE] (§ 178 de la décision attaquée) ' qui font matériellement partie du dossier et qui ne sont pas contestés sur ce point ' que cette société se fournissait pour une partie majoritaire de ses achats auprès d'autres abatteurs que Gatine Viandes. S'agissant du groupe Fleury Michon, elle considère que ce dernier avait également tout intérêt à participer à l'entente dès lors que la variation hebdomadaire arrêtée dans le cadre de l'entente entre les quatre principaux charcutiers-salaisonniers détermine la variation de la cotation du JSM au marché de [Localité 78]. Or, cette cotation est utilisée non seulement pour les achats de JSM par tous les charcutiers-salaisonniers, qu'ils soient ou non présents sur le marché de [Localité 78], mais aussi lors des négociations entre les charcutiers-salaisonniers et leurs clients distributeurs.

367.Concernant les effets des pratiques, elle rappelle que l'objet anticoncurrentiel des pratiques ayant été démontré, il n'est pas nécessaire de revenir sur les effets anticoncurrentiels résultant de l'entente.

368.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent cette analyse et invitent la Cour à rejeter les moyens.

Sur ce, la Cour :

369.Il résulte des termes de l'article 101 du TFUE que sont prohibés « toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ».

370.De même, l'article L. 420-1 du code de commerce prohibe expressément les pratiques tendant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

371.Il ressort de la jurisprudence européenne que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour être qualifiés de restriction par objet et relever de l'interdiction précitée, de sorte que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C-382/12 P, points 184 et 185, ainsi que du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C-373/14 P, point 26).

372.Afin d'apprécier si la pratique litigieuse présente un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour être considéré comme une restriction de concurrence « par objet », au sens de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, il convient de s'attacher à sa teneur, aux objectifs qu'elle vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel elle s'insère. Dans le cadre de l'appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13 P, point 53 et jurisprudence citée).

373.Il résulte d'une jurisprudence constante que la notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière restrictive, sous peine de dispenser l'autorité de concurrence de l'obligation de prouver les effets concrets sur le marché d'accords dont il n'est en rien établi qu'ils sont, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence. La notion de restriction de concurrence « par objet » ne peut ainsi être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire.

374.La Cour rappelle également que pour justifier une telle qualification, sans que s'impose une analyse des effets, il doit exister une expérience suffisamment solide et fiable pour qu'il puisse être considéré que cet accord est, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (CJUE, 2 avril 2020, C-228/18, Budapest Bank e.a., point 76), l'expérience acquise ressortant traditionnellement de l'analyse économique, telle qu'elle a été entérinée par les autorités chargées de la concurrence, confortée, le cas échéant, par la jurisprudence.

375.En l'espèce, s'agissant, en premier lieu, de la teneur des pratiques, la Cour renvoie aux développements qui précèdent ayant établi qu'il ne s'agissait pas en l'espèce de « simples échanges d'informations ». Comme l'a justement retenu la décision attaquée, en échangeant des informations sur les variations du prix d'achat hebdomadaire du JSM et en s'accordant pour défendre une position commune dans la négociation avec les abatteurs (en l'espèce tendant à obtenir une baisse du cours, une limitation des hausses, ou le maintien des cours, même s'il n'a pas été arrêté systématiquement un taux de variation prédéterminé entre tous les participants) les quatre entreprises concernées ont imposé sur le marché français des achats en JSM un mode d'organisation substituant une collusion entre les principaux salaisonniers au libre jeu de la concurrence, notamment fondé sur l'autonomie des opérateurs et l'incertitude sur les positions des autres opérateurs. Il ressort également des développements qui précèdent que les échanges n'ont pas concerné des données passées, mais portaient sur des informations sensibles et stratégiques, en amont des négociations sur les prix. Or, chaque entreprise doit s'abstenir rigoureusement de participer à des prises de contact, directes ou indirectes, avec ses concurrents en vue d'échanger sur les politiques commerciales ou les stratégies qu'ils envisagent de mener, notamment à l'égard de leurs fournisseurs. À cet égard, la circonstance que les concertations aient porté sur le sens (à la baisse, à la hausse ou au maintien) et l'amplitude des variations de prix, plutôt que sur les prix eux-mêmes, est indifférente. Il est constant que les charcutiers salaisonniers n'ont pas tous les mêmes prix, compte tenu des caractéristiques de leurs produits et des pouvoirs de négociation différents, de sorte que la concertation sur une variation offre indéniablement l'avantage de préserver ces particularités et, indirectement, d'intervenir dans la formation du prix. Comme l'a justement rappelé l'Autorité, le prix est un paramètre essentiel de concurrence, de sorte que des pratiques qui tendent à fausser sa formation présentent, par nature, un objet anticoncurrentiel.

376.S'agissant en deuxième lieu de l'existence d'une expérience acquise, la Cour rappelle que pour justifier le fait qu'un accord soit qualifié de restriction de la concurrence « par objet », sans que s'impose une analyse de ses effets, il doit exister une expérience suffisamment solide et fiable pour qu'il puisse être considéré que cet accord est, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (CJUE, 2 avril 2020, C-228/18, Budapest Bank e.a., point 76), l'expérience acquise ressortant traditionnellement de l'analyse économique, telle qu'elle a été entérinée par les autorités chargées de la concurrence, confortée, le cas échéant, par la jurisprudence.

377.Si l'expérience acquise à laquelle la décision attaquée renvoie (§ 416 et suivants) fait référence à des ententes horizontales ayant consisté à fixer les prix de façon directe, non sur des ententes horizontales portant sur des variations de cours, cette circonstance est indifférente. D'abord, l'article 101 du TFUE prohibe expressément, comme contribuant à restreindre la concurrence, les pratiques consistant à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat. À l'instar de l'article L. 420-1 du code de commerce, qui prohibe expressément les pratiques tendant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse. Ensuite, ainsi que l'a jugé la Cour de justice, il n'est nullement requis que le même type d'accords que l'accord litigieux ait déjà été condamné pour que celui-ci puisse être considéré comme restrictif de la concurrence par objet, et ce alors même qu'il intervient dans un domaine spécifique (CJUE, 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, C-611/16 P, points 119). En effet, « [a]ux fins de la qualification de 'restriction par objet- d'un accord donné, seules importent les caractéristiques propres de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85], dont doit être déduite l'éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l'issue d'une analyse détaillée de cet accord, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s'insère » (même arrêt, point 120).

378.S'agissant de pratiques contrevenant au principe d'autonomie dont les entreprises doivent faire preuve lorsqu'elles sont en concurrence sur un marché, notamment à raison de contacts révélant aux concurrents les politiques commerciales et les stratégies envisagées à l'égard des fournisseurs, la jurisprudence européenne rappelle avec constance, que « ce type d'accords se heurte de manière patente à la conception inhérente aux dispositions du traité CE relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché. L'article 81, paragraphe 1, CE vise en effet à interdire toute forme de coordination qui substitue sciemment une coopération pratique entre entreprises aux risques de la concurrence. Tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché » (CJCE, 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society Ltd/Commission, C-209/07, points 33 et 34).

379.De même, une jurisprudence tout aussi constante rappelle qu'« une pratique concertée peut avoir un objet anticoncurrentiel bien qu'elle n'ait pas de lien direct avec les prix à la consommation. En effet, le libellé de l'article 81, paragraphe 1, CE ne permet pas de considérer que seules seraient interdites les pratiques concertées ayant un effet direct sur le prix acquitté par les consommateurs finaux (voir, en ce sens, arrêt T Mobile Netherlands e.a., EU:C:2009:343, point 36). Au contraire, il ressort dudit article 81, paragraphe 1, sous a), CE qu'une pratique concertée peut avoir un objet anticoncurrentiel si elle consiste à 'fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction' (arrêt T-Mobile Netherlands e.a., EU:C:2009:343, point 37) » (CJUE, 19 mars 2015, Dole Food Company Inc., C-286/13 P, points 123 à 125).

380.Il ne saurait être déduit par ailleurs d'une décision n'ayant pas retenu cette qualification pour des échanges d'informations relatifs aux intentions de prix de retrait des abatteurs présents sur le marché du porc breton (décision n° 13-D-03 du 13 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du porc charcutier) que les concertations en cause, portant sur la variation des cours du JSM, ne présentent pas de nocivité. L'analyse de la teneur des pratiques exclut toute analogie dès lors que l'information relative à un prix de retrait n'intervient ni directement ni indirectement dans la formation du prix de la marchandise.

381.L'arrêt rendu par la Cour (CA Paris, 1ère chambre, section H, 9 décembre 2003, Esso S.A. e.a., RG n° 2003/07056), invoqué par les parties, qui constitue un cas d'espèce déterminé sur les considérations factuelles qui lui sont propres, n'est pas davantage de nature à remettre en cause l'expérience acquise précitée.

382.En tout état de cause, la Cour procèdera à une analyse circonstanciée rendant la critique inopérante.

383.S'agissant en troisième lieu du contexte économique et juridique, il est constant, tout d'abord, que le marché de l'abattage est un marché sous-capacitaire, de sorte que le niveau de production de pièces de porc français est très largement inférieur à celui de la demande.

384.Comme il a déjà été relevé, il n'est pas contesté que la filière de l'abattage de porc est très concentrée, puisque les trois principaux abatteurs (Cooperl Arc Atlantique, Bigard (Socopa) et Gad) représentaient ensemble près de 50 % du marché de l'abattage national en 2009. Le même phénomène de concentration s'observe dans le secteur de la charcuterie-salaisonnerie (décision attaquée, § 48).

385.Par ailleurs, la filière connaît plusieurs types d'organisation. Certaines entreprises charcutières, qui ne sont pas directement liées à l'abattage, achètent leurs viandes sur le marché comme FTL, Fleury Michon, ou [Localité 20]. D'autres, sont intégrées dans des groupes d'abattage, qui peuvent également être eux-mêmes des OP de porcs, comme Gâtines-Viandes (groupe Les Mousquetaires), ou encore constituent une unité de production appartenant à un groupe de distribution comptant une société d'abattage. Tel est le cas de la société Salaisons Celtiques, qui appartient au Groupement Les Mousquetaires, qui comptait à l'époque des faits la société d'abattage Gatine Viandes.

386.Quelle que soit leur situation, il existe un enjeu à sécuriser leurs approvisionnements en jambons, que ce soit pour être en mesure de satisfaire leurs engagements de volumes vis-à-vis de la grande distribution ou face à des concurrents de plus grande envergure. Il existe également une asymétrie d'informations entre les parties aux négociations (abatteurs/charcutiers-salaisonniers), dès lors que, chaque semaine, les charcutiers-salaisonniers communiquent à leurs fournisseurs les quantités de jambons dont ils ont besoin permettant aux abatteurs de connaître les besoins en volume de chacun des charcutiers-salaisonniers avant même de discuter du prix des pièces qui ne sera négocié que le vendredi. Cette situation expose, en amont, les charcutiers-salaisonniers à un fort pouvoir de négociation des abatteurs. Les courriels versés à la procédure confirment qu'à plusieurs reprises les abatteurs ont obtenu la variation de cours souhaité du fait des impératifs de volume auxquels était soumis un charcutier-salaisonnier et que cette situation les a contraints à s'aligner pour ne pas prendre le risque de ne pas être suffisamment approvisionnés en jambons (en ce sens, le courriel interne du 1er février 2013, de M. [VB] (Fleury Michon) cité dans ses écritures (pièce Fleury Michon n° 4) : « Nous étions seuls ce début de semaine à poursuivre nos négociations avec les abatteurs. Toutefois, nous avons dû céder rapidement aux demandes de reconduction car nos fournisseurs nous supprimaient des volumes en 'représailles' »). L'anticipation d'éventuelles difficultés entre opérateurs économiques ne peut cependant justifier la conclusion d'accords anticoncurrentiels.

387.Il est tout aussi constant, qu'en aval, les charcutiers-salaisonniers subissent une forte pression de la part des acteurs de la grande distribution qui disposent également d'un très fort pouvoir de négociation, du fait notamment de leur forte concentration à l'achat, le cas échéant via des centrales communes. Il est également tenu pour constant que dans leurs négociations à l'amont avec les abatteurs, les charcutiers-salaisonniers doivent prendre en compte les volumes et les prix déterminés en aval avec les acteurs de la grande distribution, à l'origine d'une autre asymétrie, tenant aux difficultés de répercuter en aval les hausses de coûts des matières premières (la convention commerciale avec la grande distribution étant annuelle, alors que le prix d'achat du JSM est fixé de manière hebdomadaire) et d'adapter les volumes fournis aux volumes disponibles, sauf à s'exposer à des pénalités pouvant être importantes. Pour autant, il ne saurait en être déduit que dans ce contexte la pratique en cause s'avère insusceptible de restreindre le jeu normal de la concurrence. En effet, le but même des concertations en cause était d'empêcher les abatteurs de faire jouer la concurrence par les prix entre les charcutiers salaisonniers, en neutralisant l'incertitude dans laquelle ils auraient dû être placés concernant le positionnement de leurs concurrents dans la conduite des négociations, qui influait sur leur capacité à obtenir les prix souhaités en fonction des volumes dont ils avaient besoin. Or, il ressort des courriels saisis et de nombreuses synthèses hebdomadaires du MIN de [Localité 78] versées à la procédure révélant une concordance entre les concertations et la variation observée que les charcutiers salaisonniers sont parvenus, à plusieurs reprises, à bloquer les négociations et refuser les hausses demandées par les abatteurs, conduisant ainsi à modifier le rapport de force entre acheteurs et vendeurs au bénéfice des premiers. La pratique revêtait donc, par sa nature même, un caractère anticoncurrentiel, indépendamment du contexte qui a pu en limiter l'intensité des effets sur certaines semaines. Ainsi, si le fort pouvoir de négociation auxquels sont confrontés les charcutiers-salaisonniers en amont et en aval peut avoir une incidence sur l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques, cette circonstance n'est pas de nature à justifier leurs concertations ni à exclure la caractérisation de l'infraction et sa qualification de restriction par objet.

388.Comme l'a relevé l'Autorité dans les développements consacrés au dommage causé à l'économie, les fluctuations naturelles de l'offre et de la demande ont pu « fréquemment » continuer d'exercer une influence déterminante sur les cours, ce que tendent à confirmer les résultats de l'analyse économétrique produite par le groupe Fleury-Michon, mais non pas « toujours » continuer à le faire. Par conséquent, le groupe Fleury Michon n'est pas fondé à soutenir que la pratique s'avère, rétrospectivement, insusceptible d'avoir eu le moindre effet ce qui exclurait la qualification d'infraction par objet. À cet égard, si la décision attaquée a pris en compte un certain nombre de facteurs extérieurs pour retenir, dans le cadre de son appréciation du dommage causé à l'économie, que les effets de la pratique ont été très limités (§ 847), elle n'a pas constaté que la pratique avait été dépourvue de tout effet sur le marché amont. À cet égard, le fait que les synthèses hebdomadaires établies par M. [NE], mentionnant des variations de cours qui se sont avérées inexactes dans environ la moitié des cas, n'ont pas été retenues comme élément du faisceau d'indices de l'existence de l'entente n'exclut pas davantage que les concertations n'ont eu aucun effet, mais tend uniquement à confirmer que des facteurs extérieurs ont pu en limiter les effets.

389.Concernant l'objectif poursuivi, il résulte d'une jurisprudence constante que « le fait qu'une mesure soit considérée comme poursuivant un objectif légitime n'exclut pas que, eu égard à l'existence d'un autre objectif poursuivi par celle-ci et devant être regardé, quant à lui, comme illégitime, compte tenu également de la teneur des dispositions de cette mesure et du contexte dans lequel elle s'inscrit, ladite mesure puisse être considérée comme ayant un objet restrictif de la concurrence » (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13P, point 70 et du 2 avril 2020, Budapest Bank, C-228/18, point 52).

390.De même, comme l'a rappelé la Cour de justice, il est indifférent, en ce qui concerne l'existence de l'infraction, que la conclusion de l'accord ait été ou non dans l'intérêt commercial de l'entreprise (CJUE, 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries/Commission (C-403/04 P) points 44 et 45).

391.Il est donc vain d'invoquer la circonstance que le groupe Les Mousquetaires comprend en son sein un abatteur, la société Gatine Viandes, et qu'en conséquence la société Salaisons Celtiques n'aurait pas eu d'intérêt à participer à l'entente. Outre que cette circonstance est inopérante au stade de la qualification des pratiques, elle s'avère factuellement inexacte. Comme la relève à juste titre l'Autorité, les éléments versés à la procédure (tableaux de M. [NE] évoqués § 178 et suivants de la décision attaquée) révèlent que la société Salaisons Celtiques se fournissait pour une partie majoritaire de ses achats auprès d'autres abatteurs que la société Gatine Viandes, de sorte que la société Salaisons Celtiques avait bien un intérêt à participer à l'entente.

392.Pour le même motif, il est tout aussi vain de prétendre comme le fait le groupe Fleury Michon, que les intérêts des charcutiers salaisonniers divergeaient selon qu'ils commercialisaient des produits sous MDD ou non ' ce qui démontrerait qu'ils poursuivaient des stratégies individuelles distinctes ' ou que les échanges traduiraient une tentative de maximiser le profit individuel de court terme contrairement à la logique des ententes par laquelle les entreprises décideraient collectivement de renoncer à la maximisation de leur profit individuel de court terme, dans l'espoir d'augmenter - artificiellement - leur profit de moyen ou long terme. En tout état de cause, il a été établi que les pratiques ont consisté à se concerter pour pouvoir présenter un front commun lors des négociations en cours (pour obtenir des baisses de cours ou résister aux hausses souhaitées par les abatteurs, sans nécessairement toujours parvenir à un taux de variation conforme à celui qui avait pu être évoqué) confirmant l'intérêt pour Fleury Michon d'y participer.

393.Enfin, concernant le contexte de crise de la filière, qui n'est pas contestable et trouve son origine dans de multiples causes (notamment l'augmentation des coûts de production de l'élevage, résultant elle-même d'une forte hausse des prix des matières premières de l'alimentation animale), la Cour rappelle qu'aux termes d'une jurisprudence constante « l'existence d'une crise sur le marché ne saurait en elle-même exclure le caractère anticoncurrentiel d'une entente » (CJUE, 15 octobre 2002, C-238/99, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a. / Commission, point 487). Ce contexte n'est donc pas de nature, au stade de la qualification, à exclure la nocivité intrinsèque de concertations entre charcutiers salaisonniers concurrents portant sur un élément (la variation du cours du JSM) intervenant, indirectement, dans la formation du prix d'achat négocié entre charcutiers salaisonniers et abatteurs.

394.S'agissant, en quatrième lieu, d'éventuels effets pro-concurrentiels ou gains d'efficience, la Cour rappelle qu'à les supposer avérés, pertinents et propres à l'accord concerné, ce qu'il appartient aux entreprises en cause de démontrer, ces effets pro-concurrentiels doivent être suffisamment importants, de sorte qu'ils permettent de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif de l'accord à l'égard de la concurrence, et, partant, de son objet anticoncurrentiel (CJUE, 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a, C-307/18, points 103 et 107).

395.La circonstance, alléguée par le groupe Fleury Michon, que les échanges en cause s'inscrivaient dans une logique de gestion individuelle et optimisée des stocks, ne constituent pas des gains d'efficacité propres aux concertations litigieuses. Il n'est donc fourni à la Cour aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation globale du degré suffisamment nocif de la pratique en cause.

396.De cet examen circonstancié, la Cour déduit que la pratique présente, de façon manifeste, un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'elle puisse être considérée comme constitutive d'une restriction de concurrence par objet, comme l'a justement retenu la décision attaquée.

397.Il importe de rappeler, comme l'a déjà fait la Cour de justice (CJUE, 13 décembre 2012, Expedia Inc. c/ Autorité de la concurrence, C-226/11, § 35 et suivants), qu'aux fins de l'application de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, « la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue dès qu'il apparaît qu'il a pour objet de restreindre, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et [BM]/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, ainsi que du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C-272/09 P, non encore publié au Recueil, point 65, et KME Germany e.a./Commission, C-389/10 P, non encore publié au Recueil, point 75) ».

398.Comme celle-ci l'a également précisé au point 37 du même arrêt, « il y a donc lieu de considérer qu'un accord susceptible d'affecter le commerce entre États membres et ayant un objet anticoncurrentiel constitue, par sa nature et indépendamment de tout effet concret de celui-ci, une restriction sensible du jeu de la concurrence ». Il s'en déduit que la constatation d'une restriction de concurrence « par objet », telle que celle en cause, dispense la Cour de la nécessité de rechercher les effets de la pratique pour faire application de l'article 101 § 1 du TFUE, et par suite d'examiner les analyses économiques invoquées par les parties pour échapper à son application.

C. Sur la durée de participation individuelle

399.La décision attaquée a retenu une entente, du 14 janvier 2011 au 26 avril 2013 (tableau 61 de la décision attaquée), correspondant à 119 échanges recensés dans le tableau 56, entre les groupes Campofrio, Fleury Michon, FTL et Les Mousquetaires (Salaisons Celtiques/Onno).

400.Pour l'ensemble des entreprises, le début de participation à l'entente, fixé au 14 janvier 2011, est déduit des notes manuscrites de M. [G] [VB] (Fleury Michon) (cotes 3987 et suivantes et 1344) (décision attaquée, § 516) et la fin de participation à l'entente, fixée au 26 avril 2013, établie sur la base du dernier indice correspondant également à des notes manuscrites de M. [VB] (Fleury Michon) (cote 1912) (décision attaquée, § 518).

401.La participation individuelle des sociétés Fleury Michon et Salaisons Celtiques a été établie sur la base des indices précisément répertoriés dans le tableau 56, auquel la Cour renvoie, listant une participation à 88 échanges pour Fleury Michon et une participation à 92 échanges pour Les Mousquetaires [Salaisons Celtiques].

402.La société Salaisons Celtiques conteste sa participation aux 92 échanges retenus à son encontre par l'Autorité sur la base des critiques qui suivent.

403.Elle relève, d'abord, que pour 19 de ces prétendus échanges (en date des 04/02/2011 ; 14/02/2011 ; 18/02/2011 ; 22/02/2011 ; 11/03/2011 ; 01/04/2011 ; 07/04/2011 ; 03/08/2011 ; 24/08/2011 ; 07/09/2011 ; 14/10/2011 ; 02/11/2011 ; 11/01/2012 ; 26/01/2012 ; 12/03/2012 ; 20/04/2012 ; 26/04/2012 ; 16/05/2012 et 01/06/2012), la lecture du tableau 56 révèle que le seul élément mis en avant à son encontre correspond à des relevés téléphoniques qui ne permettent pas d'établir leur objet illicite. Elle relève que de tels contacts téléphoniques pouvaient tout à fait avoir un objet licite dans la mesure où M. [NE] entretenait des rapports extra-professionnels avec M. [YN] de longue date (cotes 42 299 à 42 302).

404.Elle observe ensuite que :

- dans 15 cas (échanges en date des 17/10/2011 ; 10/11/2011 ; 14/11/2011 ; 02/12/2011 ; 03/02/2012 ; 09/03/2012 ; 13/03/2012 ; 19/03/2012 ; 13/04/2012 ; 04/05/2012 ; 25/05/2012 ; 12/10/2012 ; 19/10/2012 ; 30/11/2012 et 26/04/2013) les éléments mis en avant (notes de M. [VB] ou courriels internes) ne comportent aucune référence à la société Salaisons Celtiques (Onno/Mousquetaires) ou à son représentant (M. [NE]) ;

- dans 4 cas (échanges en date des 20/05/2011 ; 07/10/2011 ; 25/11/2011 et 23/03/2012), il est uniquement inscrit « Onno » ou « JC » sur le carnet de M. [VB], et ce sans aucune autre indication de position associée ou s'y rapportant ;

- dans 6 cas (échanges en date des 23/03/2011 ; 30/03/2011 ; 13/10/2011 ; 13/01/2012 ; 24/02/2012 et 15/11/2012), les mentions mises en avant ne concernent pas des achats de JSM ou n'ont aucun sens ;

- dans 2 cas (échanges en date des 21/02/2011 et 22/03/2012), les éléments mis en avant font état d'une volonté du concurrent de prendre contact avec elle sans qu'il soit démontré qu'il a effectivement eu lieu, ni a fortiori que son contenu ait été illicite ;

- dans 1 cas (échange du 18/10/2011), il est fait état d'un contact récent, sans aucune précision sur le contenu.

405.Elle considère qu'en définitive seuls sept indices résistent à l'analyse, correspondant aux vendredi 8 avril 2011, lundi 11 avril 2011, jeudi 15 décembre 2011, vendredi 27 janvier 2012, vendredi 27 avril 2012, lundi 30 avril 2012 et vendredi 11 mai 2012, qui s'inscrivent dans « 5 rounds » de négociations différents, mais n'apportent pas davantage la preuve de sa participation à un échange consistant à définir une position commune ou à caractériser une entente allant au-delà de simples échanges d'informations bilatéraux. Elle conteste ainsi chacun de ces sept échanges.

406.La société Fleury Michon ne consacre aucun développement à l'étendue de sa participation individuelle, ayant uniquement contesté l'analyse des indices retenus pour caractériser l'entente en cause et en particulier celle de huit échanges (des 10 novembre 2011, 14 novembre 2011, 15 décembre 2011, 3 février 2012, 9 mars 2012, 19 mars 2012, 12 octobre 2012 et 26 avril 2013) sur lesquels l'Autorité s'est appuyée pour démontrer la stratégie de négociation commune, qu'elle a estimé non établie.

407.L'Autorité rappelle que les très nombreux éléments du dossier, qui se corroborent mutuellement, attestent d'un grand nombre d'échanges, réguliers et souvent consécutifs, entre tous les acteurs de l'entente, en amont de l'ouverture des négociations avec les abatteurs, excluant de « simples échanges d'informations ».

408.S'agissant de la société Salaisons Celtiques, elle rappelle que des preuves directes permettent d'établir de nombreux échanges avec les sociétés Fleury Michon, d'une part, et Campofrio, d'autre part. Elle considère que chaque participant, et notamment la société Salaisons Celtiques, a entendu contribuer, par son propre comportement à l'objectif commun qui était de défendre une position commune fixée ensemble face aux abatteurs, afin de limiter les hausses de prix demandées ou inciter à des baisses de prix plus importantes.

409.S'agissant de la société Fleury Michon, l'Autorité renvoie aux indices qui démontrent sa participation notamment aux échanges des jeudi 10 novembre 2011, lundi 14 novembre 2011, vendredi 3 février 2012, vendredi 9 mars 2012, lundi 19 mars 2012, vendredi 12 octobre 2012 ou encore vendredi 26 avril 2013.

410.Le ministère public estime que les échanges au cours desquels la société Salaisons Celtiques n'est pas mentionnée et auxquels elle n'était pas partie doivent être écartés. En ce sens, il invite la Cour à se reporter au tableau 56 et à l'annexe 1 de la décision attaquée et dresse la liste des échanges pouvant être retenus contre elle.

411.S'agissant de la participation du groupe Fleury Michon, il estime qu'elle a été démontrée, concernant les échanges des jeudi 10 novembre 2011, lundi 14 novembre 2011, vendredi 3 février 2012, vendredi 9 mars 2012, lundi 19 mars 2012, vendredi 12 octobre 2012 et vendredi 26 avril 2013.

Sur ce, la Cour :

412.À titre liminaire, la Cour renvoie à l'analyse qui précède, aux termes de laquelle il a été rappelé que les éléments d'un faisceau d'indices s'apprécient ensemble et non séparément.

413.Concernant la société Salaisons Celtiques, et sur la base de l'analyse qui précède, c'est donc en vain que cette dernière fait valoir que 19 relevés d'appels entre concurrents l'impliquant (en date des vendredi 04/02/2011 ; lundi 14/02/2011 ; vendredi 18/02/2011 ; mardi 22/02/2011 ; vendredi 11/03/2011 ; vendredi 01/04/2011 ; jeudi 07/04/2011 ; mercredi 03/08/2011 ; mercredi 24/08/2011 ; mercredi 07/09/2011 ; vendredi 14/10/2011 ; mercredi 02/11/2011 ; mercredi 11/01/2012 ; jeudi 26/01/2012 ; lundi 12/03/2012 ; vendredi 20/04/2012 ; jeudi 26/04/2012 ; mercredi 16/05/2012 et vendredi 01/06/2012) ne sont corroborés par aucun élément permettant d'établir leur objet illicite. Comme il a été dit, ils doivent être replacés dans le contexte décrit par le demandeur de clémence et sont étayés tant par les courriels appréhendés lors des visites et saisies dans les locaux des entreprises que par les notes du carnet de M. [VB] qui confirment le mode opératoire des pratiques, consistant en des contacts bilatéraux téléphoniques « le plus souvent les jeudi et vendredi avant le début des échanges avec les abatteurs, mais parfois également les lundi et/ou mardis, voire le mercredi et le jeudi lorsque les négociations avec les abatteurs étaient bloquées » (décision attaquée, § 432 renvoyant aux déclarations du demandeur de clémence). À titre d'illustration, concernant le mardi 22/02/2011, il s'agit de trois appels passés par M. [YN] (Campofrio) à Onno à 08h50, 10h19 et 16h06 qui sont eux même contemporains d'appels passés par M. [YN] à CCA (FTL) le même jour à 8h54, 9h00, 10h20 et 10h29. Le même processus s'observe concernant le mercredi16/05/2012 au cours duquel l'appel passé par M. [YN] à M. [NE] (Onno/Les Mousquetaires) est contemporain d'un appel passé juste avant à M. [P] (FTL). Il est donc raisonnable d'interpréter tous ces appels, qui s'inscrivent dans la période de l'entente et s'intercalent entre les données communiquées par courriels ou les notes du carnet M. [VB], comme des contacts sur les positions des concurrents sur les cours du JSM. À cet égard, la Cour relève que l'allégation selon laquelle des appels pourraient correspondre aux travaux préparatoires amorcés par les charcutiers sous l'égide de la FICT et de France AgriMer, et notamment de M. [NE] en qualité de membre du comité matières premières de la Fédération, est dépourvue d'offre de preuve et de crédibilité. En effet, les appels recensés émanent de M. [YN] et non de M. [NE]. Ils ne concernent pas non plus « les découpeurs de [Localité 78] » et « les abatteurs bretons » qui ont vocation à faire émerger une tendance de marché sur la matière première et ces appels sont fréquemment contemporains d'un échange avec un autre participant à l'entente comme l'établissent les relevés téléphoniques, les courriels et notes du Carnet de M. [VB] listés en annexe 1. La Cour relève également, dans le contexte décrit par le demandeur de clémence et au regard des éléments mentionnés dans certains courriels (notamment le courriel interne de Fleury-Michon du vendredi 27 janvier 2012, cote 16134 : « (') Onno me dit (') que lui n'est pas ok sur +10 évidemment ! Je lui ai expliqué (très très) vivement notre position...!! +10, c'est un scandale !!!!! J'attends [VC] [[NE] Salaisons Celtiques/Onno] qui doit être au téléphone avec [OF] [[YN] Jean Caby/[Localité 20]], et en fonction je lui remets une couche par derrière (') »), que le caractère parfois répétitif et bref des appels et leur caractère fréquemment contemporain d'autres appels à des concurrents, privent de crédibilité l'explication alternative avancée sur l'objet licite des contacts tenant aux liens personnels allégués entre M. [NE] et M. [YN].

414.Concernant les 15 échanges rattachés à des courriels ou notes de M. [VB] dans lesquels il n'est fait aucune référence à Onno ou à son représentant M. [NE], il convient également de les replacer dans leur contexte pour en apprécier la force probante et la portée.

415.Ainsi, s'agissant de l'échange du lundi 17/10/2011, les courriels internes de Campofrio au service achats viandes du groupe, outre la référence aux contacts téléphoniques avec FTL, font état des négociations avec les abatteurs et de leurs positions, ainsi que de celles des charcutiers-salaisonniers en faveur d'une reconduction du cours du JSM (courriel envoyé à 12h13 : « Ils ont fait pareil chez tout le monde ! Je viens d'avoir [P]. Gatine auraient fait pareil mais + à + 0,07 !! » et 14h52 : « [P] a appelé, rien de confirmé en prix, tout le monde campe sur ses positions : même cours pour les jambonniers et = 0,08 ou autre pour les abattoirs », (cote 390 - 12/0084 AC, caractères gras ajoutés par la Cour). Ils sont intervenus dans un contexte d'appels établis par des relevés téléphoniques qui révèlent, le même jour, des appels de M. [YN] (Campofrio) à M. [NE] (Onno) à 9h50, 14h09 et 14h13, à M. [P] (FTL) à 14h02 et à M. [VB] (Fleury Michon) à 14h10 (cote 14922). Un courriel de M. [YN] échangé en interne, le 18/11/ 2011 à 14h21 (cote 391) est également intéressant en ce qu'il mentionne en objet « Subject: J'ai eu [P], Fleury et Onno ». Il est par ailleurs éclairant de se reporter aux jours qui précèdent l'échange du 17 octobre 2011 pour en apprécier la portée, en particulier aux notes de M. [VB] du jeudi 13 octobre 2011 (cotes 1573, 1575 qui feront l'objet d'une analyse dans les développements qui suivent) et aux relevés téléphoniques du vendredi 14 octobre 2011. Il peut donc être déduit de ce faisceau d'indices que la position décrite dans les courriels (« tout le monde campe sur ses positions : même cours' ») inclut bien Onno. La Cour retient néanmoins que l'ensemble de ces indices (s'échelonnant du 13 au 18 octobre 2011) correspond à la même concertation et non à des épisodes distincts, comme pourrait le laisser penser la présentation retenue dans le tableau 56. C'est sur cette base que sera appréciée la participation individuelle de la société Salaisons Celtiques.

416.S'agissant des indices relatifs aux jeudi 10/11/2011 et lundi 14/11/2011, l'Autorité a réuni un extrait du carnet de M. [VB] (Fleury Michon) qui mentionne la position de FTL pour une hausse de 5 centimes du cours du JSM (cote 4237) et un relevé téléphonique qui établit que, le même jour, M. [YN] a également appelé M. [NE] (cote 46922). Ces éléments doivent être interprétés à l'aune du contexte dans lequel il s'insère. En effet, le lundi suivant (14/11/11) M. [YN] informait le service achats viande du groupe du fait que « nous assistons depuis plusieurs semaines à une 'guerre du cochon- au marché de [Localité 75]. (') Les salaisonniers français ont décidé de freiner les demandes de hausse des abattoirs pour cette semaine, soit +0,05 en jambon pour +0,10/+0,15 demandé (') », (caractères gras ajoutés par la Cour). Dans ce contexte, il peut être déduit que des échanges ont bien eu lieu sur cette période, au cours de laquelle Onno a communiqué sa position concernant les demandes des abattoirs, dans un contexte de blocage des négociations. La Cour retient néanmoins que l'ensemble de ces indices correspond à la même concertation et non à deux épisodes distincts comme pourrait le laisser penser la présentation retenue dans le tableau 56. C'est sur cette base que sera appréciée la participation individuelle de la société Salaisons Celtiques.

417.S'agissant de l'échange du vendredi 02/12/2011, l'Autorité a réuni un extrait du carnet de M. [VB] (Fleury Michon), qui mentionne, notamment, les positions de CCA (FTL) pour une baisse de 5 centimes et d'[Localité 20] pour une baisse de 3/10 centimes (cote 1612), un courriel interne du service achat à la direction des achats du groupe Campofrio envoyé à 18h06 mentionnant l'issue des négociations du jour ( « Unfortunatly, we haven't been followed by our competitors and the result is steady price in hams and others pieces (') We have to discuss about our action for the following weeks, knowing that we were a few alone today working for adrop in ham. » - traduction libre de la Cour « Malheureusement, nous n'avons pas été suivis par nos concurrents et le résultat est un prix stable en jambon et autres pièces (') Nous devons discuter de notre action pour les semaines suivantes, sachant que nous étions quelques uns aujourd'hui à travailler pour une baisse du jambon »), ainsi qu'un échange téléphonique avec CCA (« After a long discussion with the purchases manager of CCA group (Paul Prédault + Madrange) I think to understand his 'stategy' » - traduction libre de la Cour « Après une longue discussion avec le responsable des achats du groupe CCA (Paul Prédault + Madrange) je pense comprendre sa 'stratégie' ») et les propos tenus par [GD] [P] concernant la baisse du prix du jambon (« It seems that this deal is apply because [GD] [P] said that we will decrease the ham's price only after a drop of the carcasse's price ! » - traduction libre de la Cour « Il semble que cet accord soit d'application car [GD] [P] a déclaré que nous ne baisserions le prix du jambon qu'après une baisse du prix de la carcasse ») (cote 387). Y ont été ajoutés, des relevés établissant des appels téléphoniques de M. [YN] (Campofrio) à destination de M. [VB] (Fleury Michon) à 14h21 et 15h09 et de M. [P] (FTL) à 9h00 et 15h08 (cote 46922). Contrairement aux autres faisceaux d'indices examinés, les termes de ces échanges et l'identité des interlocuteurs de M. [YN] ne permettent pas de déduire l'implication de Onno dans la concertation en cause. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

418.S'agissant des indices relatifs au vendredi 03/02/2012, selon l'annexe 1 de la décision attaquée, le faisceau d'indices comprend un relevé d'appel téléphonique entre M. [YN] et M. [P] (FTL) intervenu à 11h39 et un courriel interne de M. [VB] (Fleury Michon) au service achats de ce groupe envoyé à 18h24. La lecture de cette pièce révèle qu'il y est mentionné, notamment, un « Jambon : + 8 centimes » avec l'indication que « sur 15 jours le jambon augmente de 15 centimes. L'Italie, bassin concurrent pour l'achat du jambon, a également augmenté ses prix de 8 centimes cette semaine » (cote 16684). Pris isolément ces indices ont peu de portée, mais il convient de relever ici qu'ils doivent être interprétés à l'aune du contexte dans lequel ils s'insèrent. En effet, la veille, le jeudi 02/02/2012, un courriel interne de M. [VB] (Fleury Michon) au service achats du groupe avait été adressé à 14h53, faisant état d'un échange avec [Localité 20] (Campofrio) lui communiquant sa position pour les négociations du lendemain (cote 14091) et un extrait du carnet de M. [VB], concernant la même date, mentionne également les positions d'[Localité 20] (Campofrio) (« [Localité 20] : jb +8cts/7 cts »), Onno (Les Mousquetaires) (« [OI] jb +8 arrondi » et Piffaut (FTL) (« Riffaut jb : 8 ») révélant une position commune pour une hausse du cours du JSM de 8 centimes (cote 1661). Dans ce contexte, il peut être déduit de l'ensemble de ces éléments (figurant tous en annexe 1) que des échanges ont bien eu lieu sur cette période entre les salaisonniers, au cours de laquelle Onno a communiqué sa position concernant les négociations en cours. La Cour retient néanmoins que l'ensemble de ces indices correspond à la même concertation et non à deux épisodes distincts comme pourrait le laisser penser la présentation retenue dans le tableau 56. C'est sur cette base que sera appréciée la participation individuelle de la société Salaisons Celtiques.

419.S'agissant des indices relatifs au vendredi 09/03/2012, il doit être observé qu'ils s'inscrivent dans un contexte de blocage des négociations qui exclut de l'appréhender de manière isolée. Selon l'annexe 1, l'Autorité a réuni, pour cette date, des relevés d'appels de M. [YN] (Campofrio) à destination de M. [NE] (Les Mousquetaires) à 8h40, de M. [P] (FTL) à 8h44, et M. [VB] (Fleury Michon) à 14h54, et un courriel interne de M. [VB] au service achat de son groupe Fleury Michon envoyé à 17 h33 (cote 16685) mentionnant la situation du marché. Ces indices doivent être interprétés à l'aune du contexte dans lequel ils s'insèrent. Ainsi, l'extrait du carnet de M. [VB] consacré au jeudi 08/03/2012 (soit la veille) mentionne la position d'Onno (« Onno : Jb : - 10 c »), comme celle de Piffaut (FTL) et d'[Localité 20] pour une baisse de 8 centimes, traduisant un front commun pour obtenir une baisse du cours. De même, les indices relatifs aux jours suivants sont tout aussi éclairants. Le lundi 12/03/2012, les relevés établissent des appels de M. [YN] (Campofrio) à destination de M. [NE] (Les Mousquetaires) à 10h35, à M. [P] (FTL) à 14h14 et 15h26, et à M. [VB] (Fleury Michon) à 14h32. Les indices relatifs au mardi suivant, le mardi 13/03/2012, comportent à nouveau des relevés d'appels de M. [YN] à M. [NE] (Les Mousquetaires) à 7h43 et 8h54 et à M. [P] (FTL) à 8h55 et à un courriel interne de M. [F] (Campofrio) au service achats viande de ce groupe envoyé à 18h10, constatant la fin de la négociation ce jour et la baisse de 7 centimes du cours du JSM (« Pour info la négo s'est terminée ce jour à midi ON a quand même obtenu une baisse de 0,07€/kg bravo à [OF] et sabine (') Malheureusement vu la tension avec les abattoirs, ce genre de situation ( finir la négo des prix debut de la semaine suivante) qui était exceptionnelle dans le passé devient de plus en plus fréquente » (cote 16036). Cette chronologie justifie que ces indices soient examinés ensemble pour préserver leur cohérence. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que des échanges et concertations sont bien intervenus entre Onno (Les Mousquetaires/ Salaisons Celtiques) et ses concurrents sur la période considérée, dans un contexte de blocage de négociations qui se sont poursuivies sur plusieurs jours. La Cour constate cependant, à nouveau, que l'ensemble de ces indices correspond à un ensemble de concertations se rapportant aux mêmes négociations en cours, qui n'ont abouti que le 13 mars 2012, et non à plusieurs épisodes distincts comme pourrait le laisser penser la présentation retenue dans le tableau 56. C'est sur cette base que sera appréciée la participation individuelle de la société Salaisons Celtiques.

420.S'agissant du lundi 19/03/2012, il s'agit essentiellement d'un courriel interne de M. [VB] (Fleury Michon) adressé au sein du groupe, à 7h50, précisant le fonctionnement du marché et notamment les conséquences en termes d'approvisionnement si Fleury Michon propose un prix différent de ceux acceptés par ses concurrents. De nature explicative et sans référence directe à des contacts avec les concurrents, cet indice est sans lien suffisant avec des concertations en cours et n'est pas de nature à impliquer la société Salaisons Celtiques dans l'entente reprochée. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

421.S'agissant du vendredi 13/04/2012, il s'agit de courriels internes, dont le premier a été confirmé par M. [YN] en audition. Ce courriel, adressé par M. [YN] au service achats viande du groupe Campofrio à 15 h37, fait brièvement état d'un message de M. [P] (FTL) sur la reconduction du cours du jambon (« Un petit coucou du pays basque (') J'ai eu un message de [P] qui disait que le jbon était reconduit ' J'espère que c'était cool pour toi. Je te donnerai qques bons plans pour tes vac si tu viens par ici (') ». (Cote 396). Le second, adressé par M. [VB] (Fleury Michon) au service achats de son groupe à 14h58 confirme la stabilité des cours (cote 14148). Ni le contexte ni la teneur de ces courriels ne permettent d'établir l'implication de la société Salaisons Celtiques (Onno) dans des concertations tendant à la reconduction du cours du JSM. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

422.S'agissant du vendredi 04/05/2012, il s'agit d'un courriel interne de M. [VB] (Fleury Michon) au service achats de son groupe, adressé à 14h39, mentionnant l'issue des négociations du jour en ces termes « Ce début de semaine nous avons fini la négociation du jambon à - 4 centimes. => Une position intermédiaire a été retenue pour débloquer la situation. Aujourd'hui, les achats se sont déroulés très rapidement dès début de matinée, à même cours. Nos besoins sont importants et des opérateurs ont choisi de supprimer des volumes pour nous faire 'signer- la reconduction ». (cote 16687), et d'un appel intervenu entre M. [YN] (Campofrio) et M. [NE] (Les Mousquetaires) à 9h52. Si le premier ne mentionne pas Onno, il peut être déduit du second que ces deux concurrents se sont concertés au cours des négociations, compte tenu du mode opératoire habituellement observé sur la période 2011-2012 visée par le grief, et du contexte manifeste de pression des abatteurs qui ont joué sur les volumes pour obtenir la reconduction des cours auprès des salaisonniers les plus captifs. La critique étant inopérante, il n'y a pas lieu à réformation sur ce point.

423.S'agissant du vendredi 25/05/2012, l'Autorité a d'abord réuni des courriels internes. Le premier émane de M. [YN] (Campofrio) adressé au sein de son groupe à 8h45, lequel, après voir exposé le système de la cotation du JSM encadrée par le MIN de [Localité 78] (impliquant un certain volume de vente par an et un prix basé sur la moyenne des prix d'achat) écrit « suite à la remise en cause et à la consigne de [AR] hier à [Localité 70], merci de me dire comment on fait aujourd'hui ' » (cote 474), pour le second de M. [VB] (Fleury Michon) adressé au sein de son groupe à 10h06 mentionnant exclusivement que « [OF] [YN] a reçu l'ordre de '[Localité 70]- de ne plus échanger avec les autres salaisonniers français » (cote 14175), et des relevés établissant des appels téléphoniques de M. [YN] au groupe Mousquetaire à 8h22 et 8h23 (ce dernier appel auprès de M. [NE]). Il ne peut se déduire de ce faisceau d'indices une implication de la société Salaisons Celtiques dans des concertations en cours, dès lors qu'à la lumière des courriels, les contacts téléphoniques tendaient plutôt à suspendre la pratique habituelle. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

424.S'agissant du vendredi 12/10/2012, l'Autorité a réuni des courriels internes. Le premier a été échangé entre M. [GE] [OH] et M. [B] [JO] (au sein du groupe Fleury Michon), à 12h51 (cote VNC 16355, VC 14304) et fait état de la position de CCA (FTL) (« Pour info, les prix de la semaine ont été bouclé à -5 cent hier, CCA ayant lâché alors que l'on tenait au minimum le -7 cent. Et cela recommence aujourd'hui : le marché est mûr pour que l'on fasse entre -8 et -10, mais CCA est en train de boucler de nouveau à -5. Je considère que la synthèse est gérée par CCA et que leurs intérêts sont contraires aux nôtres depuis 15 jours. J'ai demandé à [G] de décrocher de la synthèse cette semaine et de négocier en direct nos prix/nos volumes pour cette semaine. (') »). Le second, émanant de M. [G] [VB] (Fleury Michon) a été adressé à trois fournisseurs de Fleury Michon, à 15h01, 15h08, 16h57 (cotes VC 14306, 14309, 14313, VNC 16688, 16689, 16690) mentionnant l'issue des négociations et le positionnement de Fleury Michon (« La synthèse du jambon a fait - 5 cts cette semaine. Fleury Michon n'est pas d'accord avec cette variation de prix car nous pensons que le marché justifiait - 7 cts. Nous avons donc pratiqué avec une majorité d'opérateurs - 7 cts cette semaine »). Ces éléments, qui ne peuvent être rapprochés d'aucun autre indice contemporain susceptible d'en éclairer la portée, ne permettent pas d'impliquer Onno dans des concertations en cours. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

425.S'agissant du vendredi 19/10/2012, l'Autorité a réuni un extrait du carnet de M. [VB] (acheteur Fleury Michon) (cote1792) mentionnant la position de Piffaut pour une baisse de 7 centimes et un courriel interne du même auteur adressé au service Achats Fleury Michon, à15h24 (cotes 14319/14320 et VNC 16371) dressant l'état du marché du porc en France, Espagne et Allemagne et précise « Jambons : - 7 cts ». Il explique ensuite « Les achats se déclenchent à -7 cts sous l'impulsion des fabricants de MDD qui n'ont pas intérêt, selon leurs dires, à faire baisser plus rapidement le prix du jambon. De notre côté, nous achetons à -7 cts sur la grande majorité de nos approvisionnements et nous achetons à -10 cts sur quelques camions en marge du marché ». Ces éléments, qui ne peuvent être rapprochés d'aucun autre indice contemporain susceptible d'en éclairer la portée, ne permettent pas d'impliquer Onno dans des concertations en cause. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

426.S'agissant du vendredi 30/11/2012, l'indice retenu correspond à un courriel interne de M. [VB] au service Achats Fleury Michon, adressé à 16h06 (VC 14355 -VNC 16404) mentionnant la baisse du cours (« Jambons : - 5cts ») et indiquant « Les positions des salaisonniers étaient aujourd'hui très différentes. Certains souhaitaient rapidement se garantir les volumes, d'autres souhaitaient au contraire prendre plus de temps et accentuer la baisse. Les premiers dès 16h00 ont choisi d'acheter à -5cts entraînant avec eux l'ensemble de la profession sur les mêmes bases ». Il ne ressort pas davantage de cet élément, pour les mêmes motifs que ceux qui précèdent, que Onno ait participé à la concertation litigieuse tendant à faire front commun dans les négociations en cause. La décision attaquée sera réformée en ce sens

427.S'agissant du vendredi 26/04/2013, l'indice retenu correspond à un « post-it » inséré dans le carnet de M. [VB] (Fleury Michon), (cote 1912) rédigé en ces termes « Piffaud : souhaite même cours pour que tout le monde se cale sur -7 cts- Ha actuellement ». Cette note, qui traduit le positionnement d'un concurrent et la recherche d'une position commune entre salaisonniers, est rédigée dans des termes qui ne permettent pas d'impliquer la société Salaisons Celtiques dans les concertations litigieuses. En outre, cet indice étant utilisé comme dernier indice manifestant la participation à l'entente de la société Salaisons Celtiques, la décision attaquée sera également réformée en ce qu'elle a retenu cette date comme fin de sa participation à l'entente.

428.Concernant les cas considérés comme imprécis (échanges en date des 20/05/2011 ; 07/10/2011 et 25/11/2011), dans lesquels il est uniquement inscrit « Onno » ou « JC » sur le carnet de M. [VB], et ce sans aucune autre indication de position associée ou s'y rapportant, la Cour constate effectivement que ces indices, dont la portée ne peut être éclairée par un autre élément contemporain, n'établissent pas la participation de la société Salaisons Celtiques à des échanges à ces dates.

429.Ainsi, s'agissant du vendredi 20/05/2011, l'extrait du carnet manuscrit de M. [VB] (Fleury Michon) (cote 1461) a uniquement inscrit « Onno : jambon : » , sans ensuite donner aucune indication de position associée, à la différence de celles fournies pour Madranges (FTL) et Piffaut (FTL) dont les noms sont suivis de la mention « -10 ».

430.La même analyse s'impose s'agissant du vendredi 25/11/2011 dans la mesure où l'extrait du carnet manuscrit de M. [VB] (Fleury Michon) (cote 1605) comporte la seule mention « Jean [M] : » sans aucune indication de positionnement, à la différence de celle fournie concernant [Localité 20] (« - 10 cts ferme sur - 8 cts ». Si ces notes confirment l'existence de concertations en vue de parvenir à présenter un front commun dans les négociations et le fait que Fleury Michon s'attendait manifestement à obtenir le positionnement de Onno/ M. [VC] [NE], son libellé ne permet pas de confirmer qu'aux 20 mai et 25 novembre 2011 Onno (Salaisons Celtiques) a effectivement pris part à l'échange litigieux.

431.De même, s'agissant du vendredi 07/10/2011, l'extrait du carnet manuscrit de M. [VB] (Fleury Michon) (cote 1566) mentionne « JC [NE] : ». À l'instar de l'analyse qui précède, la Cour retient que cette note confirme que Fleury Michon avait manifestement préparé son cahier pour noter le positionnement de Onno, mais que son libellé ne permet pas de confirmer qu'au 7 octobre 2011, Onno a effectivement pris part à une concertation.

432.En revanche, s'agissant du quatrième cas contesté, relatif à l'échange du vendredi 23/03/2012, l'extrait du carnet manuscrit de M. [VB] (Fleury Michon) (cote 1706) mentionnant simplement « [VC] » « [P] » « [OF] », sans faire état d'aucune position des salaisonniers concernés, doit être analysé avec les éléments contemporains réunis. Un courriel interne de M. [VB] au service Achats du groupe Fleury Michon, adressé le même jour à16h29 (cote VNC 16191- VC 14140) précise « PIECES : suspension des négociations ! Malgré des besoins importants en jambons, nous ne pouvons accepter les propositions de baisses des abatteurs ; de - 3 centimes à - 5 centimes ! (') Les négociations reprendront lundi matin ». Les relevés téléphoniques de M. [YN] (acheteur Campofrio), sur une ligne mobile, établissent par ailleurs un appel à M. [GD] [P] (acheteur FTL) le même jour à 16h55. Un courriel de M. [VB] au service Achats du groupe Fleury Michon adressé la veille, soit le jeudi 22 mars 2012, à 14h58 (VC 14134/14135 VNC 16185/16186) éclaire enfin la portée de l'ensemble des indices qui précèdent en indiquant :

« J'ai mis le feu un peu partout pour demain.

=> [Localité 20] : je lui ai dit que j'avais ordre de la Direction d'être très offensif, et que -15 ne me gênais pas !

=> il m'a souhaité bon courage... je pense qu'il sera évidemment plus modéré.

(')

=> Piffaud : je lui ai laissé un message,

=> Onno : je l'aurai tout à l'heure ».

433.Tous ces indices correspondent à un ensemble de concertations se rapportant aux mêmes négociations en cours, tendant à la recherche d'un front commun par les salaisonniers, incluant Onno (« [VC] »), ayant ici conduit à la suspension des négociations au 23 mars 2012 et non à plusieurs épisodes distincts comme pourrait le laisser penser la présentation retenue dans le tableau 56. C'est sur cette base que sera appréciée la participation individuelle de la société Salaisons Celtiques.

434.La décision sera réformée uniquement en ce qu'elle a comptabilisé, à tort, des échanges en date des 20/05/2011, 07/10/2011 et 25/11/2011 impliquant Les Mousquetaires (Salaisons Celtiques/ Onno).

435.Concernant les 6 cas (échanges en date des 23/03/2011 ; 30/03/2011 ; 13/10/2011 ; 13/01/2012 ; 24/02/2012 et 15/11/2012), dans lesquels il est contesté que les mentions mises en avant concernent des achats de JSM ou qu'elles aient un sens, la Cour les examinera un à un. Toutefois, il peut d'ores et déjà être observé, comme l'avait fait la décision attaquée, au paragraphe 455, qu'il ressort de la lecture des notes de M. [VB] que c'est lorsque le produit concerné n'était pas du JSM qu'il prenait soin de le préciser.

436.S'agissant du mercredi 23/03/2011, l'extrait du carnet manuscrit de M. [VB] (Fleury Michon) (cotes 1407, 1408- VNC 4047, caractères gras ajoutés par la Cour) mentionne des informations concernant CCA, ainsi que les indications suivantes :

« Madranges : demande [nom d'un abatteur] +5

ONNO : [texte raturé] OK »

437.Une référence à l'abatteur précité figure à nouveau en bas de page faisant apparaître l'indication « +5 cts dans le jb ». Différents choix sont ensuite envisagés, et la Cour constate dans une colonne « + » l'indication « jbs volumes ». Il n'est donc pas sérieusement contestable que cet échange concernait bien le JSM. La critique est rejetée.

438.S'agissant du mercredi 30/03/2011, les extraits du carnet de M. [VB] (Fleury Michon) concernant cette date se bornent, en cote 1411, à indiquer « JC Nedlec » sans aucun positionnement ou autre indication, ce nom étant inséré dans une colonne de noms, sans titre ni objet, de sorte qu'il n'est pas possible de retenir que cette seule référence est en lien avec l'achat du JSM.

439.Dans la suite du document, en cote 1415, il est indiqué en revanche :

« [Localité 78] +jbs 5 cts (')

(')

Madrange : [non renseigné]

CCA [GD] : même cours

ONNO : [non renseigné] »

440.Puis en cote 1416 (caractères gras ajoutés par la Cour)

« Ranou lâche/ONNO

CCA : [non renseigné]

SBS [[Localité 20]/Campofrio] : [non renseigné] »

441.Inexploitable dans sa première partie, cet indice permet en revanche, dans la suite du document, d'identifier l'objet des négociations (jambon) et peut être raisonnablement interprété comme confirmant l'existence de concertations impliquant Onno dont le positionnement commun « Ranou / Onno » est acté.

442.S'agissant du jeudi 13/10/2011, l'Autorité a réuni un extrait du carnet de M. [VB] (Fleury Michon) (cotes 1573, 1575) et des relevés établissant des appels téléphoniques de M. [YN] (Campofrio/[Localité 20]) à M. [VB] (Fleury Michon) à 17h38 et 17h39. Le carnet mentionne :

« [Localité 20] : message

Onno : [symbole O barré = rien] dans le jbs

CCA : Ne comprend pas

Ne veut pas bouger non plus

-> [abréviation illisible] demain matin »

443.Il n'est pas sérieusement contestable que cette note concernait bien le JSM. La Cour ajoute que les relevés téléphoniques de M. [YN] (Campofrio) du lendemain, vendredi 14 octobre 2011, établissent également que des appels ont encore été passés auprès de M. [P] (FTL) à 11h38 et 17h07, de M. [VB] (Fleury Michon) à 16h47 et16h52, et de M. [NE] (Onno) à 16h58 (annexe 1, cote 46922). Comme la Cour l'a déjà relevé dans les développements qui précèdent, des courriels internes de M. [YN] au service Achats Viandes du groupe ont encore suivi, le lundi 17 octobre 2011. Ces courriels éclairent la portée de la note du 13 octobre, révélant une situation de blocage des négociations en ces termes : « [P] a appelé, rien de confirmé en prix, tout le monde campe sur ses positions : même cours pour les jambonniers et = 0,08 ou autre pour les abattoirs » (envoi à 14h52, cote 390). Les relevés téléphoniques de M. [YN] (Campofrio) du même jour (17 octobre 2011) confirment également des appels à destination, notamment, de M. [NE] à 8h17, 17h42 et 18h39. Par ailleurs, un courriel de M. [YN] échangé en interne, le 18/10/ 2011 à 14h21 (cote 391) mentionne en objet « Subject: J'ai eu [P], Fleury et Onno ». Il peut être déduit de l'ensemble de ces éléments qu'Onno a bien pris part aux concertations en cause. Comme la Cour l'a déjà indiqué, l'ensemble de ces indices (s'échelonnant du 13 au 18 octobre 2011) correspond à la même concertation et non à des épisodes distincts, de sorte que la participation de la société Salaisons Celtiques sera appréciée sur cette base.

444.S'agissant du vendredi 13/01/2012, l'extrait du carnet de M. [VB] (Fleury Michon) (cote1642) fait apparaitre en haut de page :

« [Localité 78] : jb -10 cts

Epaule -5cts

Poitrine m[ême] cours

Longe : chute libre »

445.S'ensuit, le nom « ONNO » suivi d'un commentaire, sans lien apparent avec la cotation du JSM, étant précisé que les noms de ses concurrents ne sont pas mentionnés à la suite :

446.Après avoir évoqué différentes situations, sans lien avec les entreprises en cause, dont un cours en Espagne (« -1,8 cts ») sans autre précision, le carnet mentionne la position d'un abatteur (« -5 cts sur le jb ») puis, la position de Piffaut (« -7 cts ») sans autre précision.

447.Le tableau 56 rapproche ce document du courriel interne de M. [VB] au service Achats Fleury Michon, adressé le même jour à 17h34 (cote VC 14077/ 14078 VNC 16129) mentionnant :

« Jambon : baisse de 7 centimes.

Les programmes de production sont moyens et l'offre, en particulier Espagnole, est très importante.

Les opérateurs, 'sans se battre- Mais en protestant vivement, acceptent une baisse importante ».

Il ne ressort pas des mentions figurant dans ces documents de preuve suffisante permettant d'impliquer Onno dans des concertations avec ses concurrents, ayant pour objet les négociations menées sur le JSM le 13 janvier 2012. La décision est réformée en ce sens.

448.S'agissant du vendredi 24/02/2012, l'extrait du carnet de M. [VB] (acheteur Fleury Michon) (cote 1690) mentionne :

« [OI] : beaucoup de volumes

-> 5 camions étrangers ».

449.Sont ensuite évoquées les positions d'abatteurs, puis la mention « GAD » suivie de positions sur différentes pièces de porc (en débutant par le jambon), une cotation en Espagne, puis en bas de page la mention « F.[P] : » dépourvue d'autre indication.

450.Le tableau 56 rapproche ce document des relevés téléphoniques de M. [YN] (Campofrio), révélant, depuis la ligne mobile, des appels à M. [GD] [P] (acheteur FTL) à 9h31 et à 18h09 et M. [VC] [NE] (Les Mousquetaires) à 17h47 et 18h05 et, depuis la ligne fixe, un appel à Onno à 9h12 (annexe 1). Nonobstant la brièveté des mentions portées sur le carnet, il peut être déduit de l'ensemble de ces indices qu'Onno a communiqué des informations commercialement sensibles à ses concurrents concernant les volumes en jambon dont il avait besoin, ayant une incidence directe sur ses capacités de négociation, et qu'il a été en relation téléphonique avec ses concurrents au moment de la négociation du vendredi sur le jambon, selon le mode opératoire décrit par le demandeur de clémence. Si aucune référence explicite n'est faite au JSM lorsqu'est évoquée les besoins de Onno pour d'importants volumes, la Cour constate que l'échange en interne au sein du groupe Fleury Michon intervenu le lundi suivant (27 février 2012, cote 16159, citée en annexe 1) confirme la cohérence de cette interprétation et le fait qu'il concernait bien le JSM, puisque M. [OH] (Fleury Michon), l'auteur du courriel, impute à Onno la responsabilité de la hausse des cours, en indiquant qu'il aurait « lâché » et que « C'est donc Intermarché qui fait monter le prix du jambon cette semaine à 2,3€ / kg ». Le moyen est rejeté.

451.S'agissant du jeudi 15/11/2012, cet extrait du carnet de M. [VB] (Fleury Michon) (cote 1813) donne des indications d'ordre général sur l'organisation de M. [NE] au cours de la semaine :

« Jean [M] :

semaine à 4 jours

-> [OI]

-> Ranou »

452.Il ne saurait cependant, être déduit, sur la base de ces seules mentions, que des contacts ont eu lieu entre eux, s'inscrivant dans le cadre de concertations lors des négociations relatives au JSM. La décision attaquée sera réformée en ce sens.

453.Concernant les 2 cas (échanges en date des 21/02/2011 et 22/03/2012) dans lesquels il est soutenu que les éléments mis en avant font état d'une volonté du concurrent de prendre contact avec Onno sans qu'il soit démontré qu'il a effectivement eu lieu, ni a fortiori que son contenu ait été illicite, la critique manque en fait ou est contredite par la fiabilité et la précision des indices convergents réunis.

454.S'agissant du lundi 21/02/2011, le courriel interne du service Achats Viande du groupe Campofrio, envoyé à 8h16 (cote 382) mentionne : « Concernant les négos, voir si on peut rattraper le coup avec Cooperl principalement pour le cuit car on est en promo ! S’il faut céder avec les autres OK , faire le point avec Onno, [GD] et Madrange (') ». Dans son commentaire du courriel en cause, M. [YN] (Campofrio) (cote 8327) précise que ce contact « avec nos trois confrères chez Onno, FTL/CCA et Madrange » était destiné à voir « si la hausse plus importante voulue par cet abattoir va passer » dans un contexte de « blocage par Cooperl des quantités demandées par Jean Caby et [Localité 20] ». Les relevés téléphoniques de M. [YN], confirment, depuis la ligne fixe, des appels le lundi 21/02/2011 à CCA (FTL) à 14h50 et Onno (Les Mousquetaires) à 14h57, outre, sur le mardi 22/02/2011, trois appels passés par M. [YN] (Campofrio) à Onno à 08h50, 10h19 et 16h06 qui sont eux même contemporains d'appels passés par M. [YN] à CCA (FTL) le même jour à 8h54, 9h00, 10h20 et 10h29. La critique manque en fait.

455.S'agissant du jeudi 22/03/2012, les éléments contestés sont issus de courriels internes de M. [VB] à M. [OH] (Fleury Michon), (cotes VC 14134/14135, VNC 16186) indiquant notamment « [p]our demain, je viens de faire un très long point avec F. [P] » ; « J'ai mis le feu un peu partout pour demain.(') => [Localité 20] : je lui ai dit que j'avais ordre de la Direction d'être très offensif, et que -15 ne me gênais pas ! => il m'a souhaité bon courage...je pense qu'il sera évidemment plus modéré. => Piffaud : je lui ai laissé un message, => Onno : je l'aurai tout à l'heure »). Comme il a été déjà dit, le lendemain, vendredi 23 mars 2012, un courriel a été adressé à16h29 (cote VNC 16191- VC 14140) précisant « PIECES : suspension des négociations ! Malgré des besoins importants en jambons, nous ne pouvons accepter les propositions de baisses des abatteurs ; de - 3 centimes à - 5 centimes ! (') Les négociations reprendront lundi matin ». Il est constant que tel a bien été le cas et les relevés téléphoniques de M. [YN] (acheteur Campofrio), relatifs à sa ligne mobile, établissent par ailleurs un appel à M. [GD] [P] (acheteur FTL) le même jour à 16h55. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, concordants, une forte valeur probante dont il s'infère que Onno a bien pris part aux concertations litigieuses ayant conduit salaisonniers et abatteurs à suspendre les négociations, les premiers recherchant à obtenir une variation du cours à la baisse plus importante.

456.Concernant l'échange du 18/10/2011, critiqué en ce qu'il est fait état d'un contact récent, sans aucune précision sur le contenu, la Cour rappelle qu'il s'agit d'un courriel interne de M. [YN] au service Achats Viande du groupe Campofrio, envoyé à14h21 (cote 391) indiquant en objet : « Subject: J'ai eu [P], Fleury et Onno ». Les relevés téléphoniques de M. [YN] (Campofrio), confirment, depuis la ligne mobile, des appels le même jour à M. [VC] [NE] (Les Mousquetaires) à 9h50, 14h09 et 14h13, à M. [GD] [P] (acheteur FTL) à 14h02 et à M. [G] [VB] (acheteur Fleury Michon) à 14h10.

457.Cet élément doit être replacé dans son contexte pour permettre d'en apprécier la portée. Il s'inscrit en l'occurrence dans le cadre de difficultés apparues dès le jeudi 13 octobre 2011 (cotes 1573 et 1575 déjà analysées), ayant donné lieu le vendredi 14 octobre 2011 à de nombreux appels de M. [YN] passés auprès de M. [P] (FTL) à 11h38 et 17h07, de M. [VB] (Fleury Michon) à 16h47 et16h52, et de M. [NE] (Onno) à 16h58 (annexe 1, cote 46922), ayant conduit à la situation de blocage évoquée la veille, dans un courriel, également déjà analysé, du lundi 17 octobre 2011, adressé à 14h52 : « [P] a appelé, rien de confirmé en prix, tout le monde campe sur ses positions : même cours pour les jambonniers et = 0,08 ou autre pour les abattoirs » (cote 390) dont l'issue n'était pas encore acquise au 18 octobre. Comme la Cour l'a déjà relevé à l'occasion de l'analyse de ces autres indices, la participation de la société Salaisons Celtiques dans les concertations tenues entre le 13 et le 18 octobre 201,1 concernant les négociations en cours, ressort clairement du faisceau d'indices précité.

458.Concernant les sept indices restants, correspondant aux mentions relatives aux vendredi 8 avril 2011, lundi 11 avril 2011, jeudi 15 décembre 2011, vendredi 27 janvier 2012, vendredi 27 avril 2012, lundi 30 avril 2012 et vendredi 11 mai 2012, il convient également de procéder à certains rapprochements.

459.S'agissant des vendredi 8 avril 2011 et lundi 11 avril 2011, la Cour constate que pour la première de ces dates l'Autorité a réuni un extrait du carnet de M. [VB] (Fleury Michon) et les relevés téléphoniques de M. [YN] (Campofrio) révélant un appel passé à M. [NE] (Les Mousquetaires) à 14h51. Sur cet extrait figure une mention « [Localité 78] : » suivi d'un trait vertical à la droite duquel sont inscrits sur la ligne du haut « ONNO 5 cts » et sur la ligne du dessous « jbs à -20 cts », puis, de manière distincte, le nom des concurrents et leur position, comme « ONNO : +5 cts » et « [Localité 20] +5 cts », par suite, le fait qu'une information ait, le cas échéant, été confirmée par « [Localité 78] » à l'occasion des négociations avec les abatteurs n'est pas de nature à contredire le fait que les concurrents, dont Onno, ont communiqué en parallèle des informations concordantes. Les mentions portées sur le même carnet le lundi suivant confirment également des concertations menées en réaction aux demandes des abatteurs :

« ONNO : + 5 cts des vendredi

Les autres à même cours Gâtines demande +8 centimes ».

460.Il est indifférent à cet égard que dans la négociation finale, et en fonction des contraintes qui leur étaient propres, les charcutiers-salaisonniers aient pu contracter à des cours s'écartant de la variation initialement souhaitée, cette observation étant valable pour tous les échanges en discussion.

461.Comme l'admettent tant l'Autorité que la société Salaisons Celtiques, les échanges des 8 et 11 avril 2011 sont dans la continuité de contacts ayant débuté le jeudi 7 avril (cote 378), de sorte que l'ensemble de ces indices correspond à un ensemble de concertations se rapportant aux mêmes négociations en cours, et non à plusieurs épisodes distincts comme pourrait le laisser penser la présentation retenue dans le tableau 56. C'est sur cette base que sera appréciée la participation individuelle de la société Salaisons Celtiques.

462.S'agissant du jeudi 15 décembre 2011, date à laquelle l'Autorité a réuni des courriels internes échangés au sein du groupe Campofrio entre M. [YN] et Mme [IM] à 19h18 et 22h04 (cote 393), ces derniers indiquent, pour le premier, « (') J'ai eu onno et fleury (c'est eux qui ont appelle j'ai aut'chose a fout !) Ils attaquent demain a - 5 !! Laissons faire je te rappelle juste avant de décoller @+ », pour le second « Dac on fait comme ça mais je n'y crois pas beaucoup a la baisse ...on verra bien !!! ». Il s'infère de cet échange, replacé dans le contexte décrit par le demandeur de clémence, que des contacts ont bien eu lieu entre les concurrents, dont Onno, en amont du début des négociations et en vue de parvenir à faire front commun par rapport aux exigences des abatteurs dans un contexte de tension, confirmé notamment par les indices relatifs aux vendredi 16 décembre (courriel interne Fleury Michon (cote 16113) : « Les positions sont figées, rien n'est complètement entériné ce soir. Les négociations se poursuivront lundi ».

463.S'agissant du vendredi 27 janvier 2012, cet extrait du carnet de M. [VB] (cote 4294) indique le cours du jambon souhaité par plusieurs fournisseurs, ainsi que les mentions « ONNO : confirmation [Localité 20] » et « [Localité 20] : + 7 jb ». Le sens de cette mention est explicité par le courriel interne du même jour (cote 16134) de M. [VB] au service achat du groupe (« (') [Localité 20] est en train de faire le con, selon rungis, il signerait à + 10 ! [OI] me dit qu'il le soupsonne aussi, mais que lui n'est pas ok sur + 10 évidemment ! Je lui ai expliqué (très très) vivement notre position...!! +10, c'est un scandale !!!!! J'attends [VC] [[NE]/Onno] qui doit être au téléphone avec [OF] [[YN]/Campofrio], et en fonction je lui remets une couche par derrière (') ». Il s'infère de ces éléments qu'Onno, Campofrio et Fleury Michon se sont bien concertés en amont des négociations et, ce peu important qu'un abatteur ait également relayé les positions de marché d'[Localité 20]. Il en ressort également qu'ils se sont dévoilés leur positionnement respectif en vue de faire bloc face aux abatteurs. Le fait que, ce jour-là, les parties ne soient pas parvenues à atteindre une position commune est sans incidence sur l'existence des concertations entreprises à cette fin.

464.S'agissant des vendredi 27 avril 2012 et lundi 30 avril 2012, qui s'inscrivent dans le prolongement des mêmes négociations en cours, l'extrait du carnet de M. [VB] mentionne pour la première date « Onno -5 cts » avec, sous la ligne en dessous, une flèche suivie du nom d'un abatteur pouvant s'interpréter comme étant le prix qui a été proposé par Onno à cet abatteur. Contrairement à ce que soutient la société Salaisons Celtiques, il ne résulte pas de cette flèche que l'information proviendrait nécessairement de cet abatteur, et exclurait qu'elle provienne de Onno. Cette interprétation est d'autant moins crédible que les relevés d'appels téléphoniques sur la journée du 27 avril établissent des contacts de M. [YN] avec trois concurrents dont M. [NE] (Les Mousquetaires) à 9h et 16h25 et M. [CO] (Fleury Michon) à 17h13 et qu'un courriel interne de M. [VB] (Fleury Michon) adresse, le même jour, au service achat du groupe, l'état du positionnement commun des salaisonniers :

« Pour l'instant, sur le jambon, les positions sont les suivantes :

- Abattoirs : - 3 centimes

- Salaisonniers ; - 5 centimes

Les négociations reprendront lundi, toutefois, il est probable que la position des salaisonniers l'emporte. En effet, les volumes disponibles pour ces semaines de 4 jours, sont importants et les abattoirs devront écouler la marchandise... » (cote 16206).

465.La journée du 30 avril 2012 est dans le prolongement de cette situation de blocage, comme le révèle la succession de courriels internes de M. [VB] (cote 14157). « Les achats se déclenchent tous à - 4 ... Onno / Ranou / SBS ... + Piffaud dont je vais avoir la confirmation d'ici peu... Je pense qu'il va falloir mettre les 'choses au point- avec SBS » (envoyé à 9h38) « SBS / [Localité 20] vient de m'appeler pour m'informer qu'il avait fait - 4 avec Cooperl !!! ('). Je contacte tout le monde pour connaître la position de chacun... » (envoyé à 11h24), étant précisé que les relevés téléphoniques confirment également des appels de M. [YN] à M. [NE] (Les Mousquetaires) le même jour à 10h07 et 11h20, à M. [P] (FTL) à 11h33, 14h32 et 15h47 et à M. [CO] (Fleury Michon) à 11h18 (annexe 1).

466.Il ressort ainsi des indices précités, qui s'apprécient ensemble, que les concurrents se sont bien concertés sur plusieurs jours pour faire émerger une position commune afin de faire front aux demandes des abatteurs. Comme la Cour l'a déjà indiqué précédemment, ces différents indices correspondent à un ensemble de concertations se rapportant aux mêmes négociations en cours, et non à plusieurs épisodes distincts comme pourrait le laisser penser la présentation retenue dans le tableau 56. C'est sur cette base que sera appréciée la participation individuelle de la société Salaisons Celtiques.

467.Enfin, s'agissant du vendredi 11 mai 2012, la Cour constate que les indices ne se limitent pas à l'extrait du carnet de M. [VB] et que tous les éléments en cause doivent être replacés dans le faisceau d'indices réunis. Ainsi, l'extrait de ce carnet (cote 4374) indique « Onno : souhaite même cours » et « Piffaud + [Localité 20] : Promos VPF tous ensemble pendant 10 jours », un courriel interne adressé par M. [CO] à 8h04 au sein du groupe Fleury Michon (cote 16216) dresse le constat suivant « Pour info, reconduction des cours (') aujourd'hui », un courriel adressé dans l'après-midi par M. [VB] au service achat du même groupe (Fleury Michon) confirme également cette situation et son origine « Jambons : Plusieurs promotions MDD VPF assèchent le marché français du jambon. Cette semaine, les volumes livrés ont été fortement diminués par nos fournisseurs. Nous espérons être correctement servi la semaine prochaine, mais nous avons [d'ores] et déjà prévu des volumes en décongélation pour répondre aux besoins des usines. Nos concurrents sont dans le même cas que nous : nous reconduisons le prix pour la semaine prochaine » (cote 14168, caractères gras ajoutés par la Cour), étant précisé que les relevés téléphoniques de M. [YN] établissent des appels à destination de M. [P] (FTK) à 8h27 et à Onno (Les Mousquetaires) à 15h06. Il s'induit de l'ensemble de ces indices que des informations commercialement sensibles ont bien été communiquées entre concurrents, dans un contexte de négociations en cours, tendant à aboutir à une position commune face aux abatteurs. La circonstance que la même indication ait été fournie par « [Localité 78] » concernant le souhait d'un même cours est à cet égard indifférente et ne contredit pas la portée des éléments qui précèdent, établissant des accords ou recherches d'accords sur une position commune de négociation concernant la variation du cours du JSM sur le MIN de [Localité 78].

468.S'agissant du point de départ de la participation à l'entente de la société Salaisons Celtiques, fixé au 14 janvier 2011, qui n'est pas utilement contesté, la Cour confirme qu'il ressort - dans le contexte, concordant, décrit par le demandeur de clémence (Campofrio) - des notes manuscrites de M. [VB] (Fleury Michon), dans lesquelles, outre les positions de CCA et de Madrange (FTL) concernant l'évolution du cours du JSM, celle de Salaisons Celtiques/Onno (Campofrio), est mentionnée en ces termes : « ONNO JC [NE] Reconduction » (cote 3988).

469.Au regard des réformations intervenues, qui ne remettent pas en cause le caractère continu de la participation au regard du caractère suffisamment rapproché dans le temps des indices retenus, permettant d'admettre qu'elle s'est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises, la Cour retient une participation du 14 janvier 2011 au 5 avril 2013. La date de fin de participation de la société Salaisons Celtiques est fixée à la date du dernier indice l'impliquant, soit l'extrait du carnet de M. [VB] (Fleury Michon) mentionnant la position d'Onno pour une baisse du cours du JSM de 5 centimes (cote 1898) en date du 5 avril 2013, qui concorde avec les déclarations du demandeur de clémence relatives aux contacts noués entre concurrents en vue de rechercher une position commune pour résister aux exigences des abatteurs, ainsi qu'avec le mode opératoire ressortant de l'ensemble du faisceau d'indices analysé.

470.Concernant le groupe Fleury Michon, la Cour constate que si le groupe Fleury Michon renvoie à de « précédentes écritures, notamment dans le cadre de la procédure devant l'Autorité » concernant l'analyse des indices réunis par l'Autorité pour qualifier les pratiques d'entente, il se borne, dans le dernier mémoire qui saisit la Cour (§ 112 et suivants du mémoire du 10 janvier 2023), dans une partie revendiquant la qualification de simples échanges d'informations pour les pratiques visées par le grief n° 1, à contester huit échanges évoqués aux points 344 et 345 des observations de l'Autorité, sans consacrer aucun développement, subsidiaire, concernant l'étendue de sa participation. En note de bas de page n° 154 de ses dernières écritures, il précise d'ailleurs que « Pour mémoire, Fleury Michon ne conteste pas l'existence d'échanges d'informations sur la période infractionnelle, mais uniquement leur qualification (i) en tant que pratiques de fixation de prix et (ii) en tant qu'infraction par objet ».

471.La critique, dirigée contre la qualification des échanges, n'emportant pas nécessairement contestation de la durée de participation à l'entente retenue à l'égard du groupe Fleury Michon, la Cour constate qu'elle n'est saisie d'aucune demande visant à réformer la durée de participation à l'entente de celui-ci.

III. SUR LE GRIEF N° 2

472.La décision attaquée a retenu (article 3) que huit entreprises (les groupes CA Animation, Campofrio, Coop, La Financière du Haut Pays, FTL, Savencia, [XI], ainsi que la société Salaisons du Mâconnais) ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE, en s'accordant et se concertant pour la commercialisation de produits crus de charcuterie sous marques de distributeurs (ci-après « MDD ») ou premiers prix, d'une part, pour coordonner leurs demandes d'augmentation de prix auprès des enseignes de la grande distribution, et d'autre part, pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, sur la période du 8 avril 2010 au 30 avril 2013 (§ 280).

473.Elle s'est fondée sur :

- les déclarations du primo-demandeur de clémence, Campofrio, qui a révélé l'existence de contacts fréquents avec ses concurrents dans le secteur de la vente de produits de charcuterie crue, via soit des réunions physiques multilatérales, soit des appels téléphoniques bilatéraux ;

- Et les déclarations du second demandeur de clémence, Coop, qui a confirmé l'existence d'échanges bilatéraux et multilatéraux et a révélé l'existence d'une réunion multilatérale en avril 2013, non révélée par le primo-demandeur.

474.Elle s'est également appuyée sur un faisceau d'indices composé des éléments suivants (§ 196 à 256) :

- la copie certifiée conforme du Carnet de M. [KT] [AB] (du groupe Campofrio) mentionnant des échanges bilatéraux intervenus avec les représentants de sept charcutiers salaisonniers concurrents ;

- des notes manuscrites se rapportant à 5 réunions multilatérales ;

- des relevés téléphoniques fournis par le groupe Campofrio sur la base desquels elle a recensé des appels sortants, émis par M. [AB] à destination de concurrents, depuis les lignes fixe et mobile de celui-ci. Pour la ligne fixe, les relevés portent sur la période août 2010 à septembre 2012, pour la ligne mobile, la période s'étale de novembre 2011 à octobre 2012 ;

- le carnet manuscrit de M. [CR] [GB] (directeur commercial de la société Salaison [SV]) qui recense tous les appels sortants depuis sa ligne mobile sur une période allant d'octobre 2012 à avril 2013 ;

- les relevés téléphoniques de M. [CR] [GB] qui recensent tous les appels sortants depuis sa ligne mobile sur la même période ;

A. Sur le défaut de motivation et l'atteinte aux droits de la défense nés de la qualification d'infraction unique, complexe et continue, alléguée

475.La décision attaquée, au paragraphe 646, a précisé que les services d'instruction n'ont pas retenu la qualification juridique d'infraction complexe et continue et qu'ils n'ont donc, dès lors, pas soutenu la thèse de l'existence d'un plan d'ensemble auquel les entreprises auraient adhéré.

476.Le groupe CA Animation soutient, en premier lieu, au regard de la description des pratiques reprochées, que la qualification juridique d'infraction unique, complexe et continue (ci-après « ICC ») a été retenue par les services d'instruction et le collège. À cet égard, il renvoie, notamment, à la référence faite à la « volonté d'adopter une position commune en matière de hausse de tarifs » (§ 571 de la décision attaquée) et à l'objectif de ces échanges qui était « d'avoir une approche cohérente des hausses de tarifs à soumettre aux distributeurs » (§ 384 de la notification des griefs), les appels téléphoniques ayant pour objet d'approfondir les informations obtenues lors des réunions et de mettre en application les objectifs décidés. Il fait valoir que l'Autorité a admis cette qualification, aux paragraphes 863 et suivants de la décision attaquée, pour moduler à la baisse la sanction infligée, en reconnaissant qu'une entreprise n'est pas tenue responsable de toutes les pratiques concertées constitutives d'une « entente unique ».

477.Sur cette base, il reproche, en deuxième lieu, un défaut de motivation de la décision attaquée en l'absence de réponse aux arguments développés pour contester sa participation à l'ICC reprochée et notamment faute d'établir son adhésion à un plan d'ensemble. Il fait valoir que l'Autorité s'est contentée d'affirmer au paragraphe 646 de la décision attaquée que « les services d'instruction n'ont pas retenu la qualification juridique d'infraction complexe et continue et n'ont donc, dès lors, pas soutenu la thèse de l'existence d'un plan d'ensemble auquel les entreprises auraient adhéré », alors même que, pour les motifs précités, l'infraction reprochée était une ICC. Il estime que cette simple négation ne permet pas aux sociétés du groupe de vérifier que l'Autorité a bien examiné ses prétentions, ni à la Cour d'exercer son contrôle, et qu'elles ont été placées dans l'incapacité de comprendre la nature de l'infraction reprochée.

478.Il soutient, en troisième lieu, qu'à défaut d'une notification de griefs complémentaire, le groupe CA Animation ne pouvait être sanctionné pour une entente indépendante de l'ICC faisant l'objet du grief n° 2. À cet égard, il fait valoir que la mise hors de cause d'une entreprise au titre de sa participation à une ICC s'impose dès lors qu'il n'est pas établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer aux objectifs communs poursuivis par les autres participants à l'entente et que s'il est envisageable de diviser une décision qualifiant une entente globale d'infraction unique et continue, pour ne pas exonérer une entreprise de sa responsabilité pour les comportements auxquels elle a pris part, encore faut-il, d'une part, que l'entreprise en cause ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de comprendre qu'il lui était également reproché chacun des comportements composant l'ICC et donc de se défendre sur ce point et, d'autre part, que la décision de l'Autorité soit suffisamment claire à cet égard. Il cite la jurisprudence européenne en ce sens (CJUE, 6 décembre 2012, Commission/ Verhuizingen Coppens, C-441/11, points 44 et 45 et TUE, 10 octobre 2014, Soliver/ Commission, T-68/09). Il fait valoir, qu'en l'espèce, il n'était pas en mesure de déduire de la seule notification des griefs qu'il était poursuivi en raison de prétendus échanges bilatéraux entretenus avec [Localité 20] et qu'une entente particulière avec [Localité 20] pouvait lui être reprochée, ni apprécier l'étendue de son éventuelle responsabilité, à défaut pour la notification des griefs de contenir le moindre élément relatif à sa situation individuelle (appréciation de l'accord de volonté avec [Localité 20], caractère anticoncurrentiel de l'éventuel échange d'informations particulier').

479.L'Autorité rappelle qu'elle demeure libre de retenir la qualification d'ICC qui, sans constituer une nouvelle forme d'infraction, offre des « facilités procédurales » permettant d'appréhender des comportements illicites composites, dès lors que ceux-ci poursuivent un objectif unique. Elle soutient qu'en l'espèce la qualification d'ICC n'a pas été appliquée et que la décision attaquée a considéré que le grief n° 2 recouvrait, d'une part, la participation à des réunions multilatérales et, d'autre part, la participation à des échanges bilatéraux entre charcutiers salaisonniers.

480.Elle constate que s'il n'a pas participé aux réunions entre concurrents, le groupe CA Animation a échangé des informations de nature commerciale avec le groupe Campofrio, permettant à ces deux groupes de se coordonner et d'atténuer ou de supprimer toute incertitude quant au caractère prévisible du comportement de l'autre concurrent. Elle relève, en tout état de cause, à supposer même que le grief n° 2 doive être qualifié d'ICC, que cela n'aurait pas pour effet de l'exonérer de sa responsabilité, dès lors qu'il a été mis en mesure, au cours de la procédure administrative, de comprendre qu'il lui était également reproché certains des comportements composant cette infraction, et donc de se défendre sur ce point. Elle rappelle que la nature des pratiques reprochées a été clairement exposée aux paragraphes 961 à 978 de la notification des griefs.

481.Le ministre chargé de l'économie relève que dans leur notification de griefs, les services d'instruction ont reproché aux sociétés mises en cause au titre du grief n° 2 de s'être « accordées et concertées » sans soutenir la thèse de l'existence d'un plan d'ensemble auquel elles auraient adhéré. Il en déduit que l'existence d'un tel plan n'avait pas à être démontrée.

482.Le ministère public considère également que l'Autorité n'a pas qualifié le grief n° 2 d'ICC, mais a considéré que celui-ci recouvrait plusieurs séries d'infractions comprenant la participation à des réunions multilatérales ainsi que la participation à des échanges bilatéraux entre charcutiers-salaisonniers. Il invite la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour :

483.L'obligation de motivation qui pèse sur l'Autorité lui impose d'énoncer les considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de sa décision. Cette obligation a pour but de permettre à la Cour d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité.

484.Si elle n'est pas tenue d'apporter une réponse détaillée à chaque argument invoqué, il doit ressortir clairement de la décision que les questions essentielles soulevées ont été examinées et qu'une réponse spécifique et explicite a été donnée aux moyens susceptibles d'avoir une incidence sur la décision.

485.Au regard de ces principes, lorsqu'une notification de griefs est établie sur le fondement de l'article 101 du TFUE et qu'une décision de sanction est prononcée au titre de sa violation, il pèse sur l'Autorité une obligation de motiver la décision individuelle rendue afin de permettre à l'entreprise mise en cause de comprendre la nature de l'infraction reprochée.

486.À cet égard, la Cour rappelle que la prohibition énoncée à l'article 101 du TFUE vise « tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées ».

487.La Cour de justice a précisé, s'agissant de la notion d'accords qu' « il ressort de la jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, arrêt ACF Chemiefarma/Commission, point 112), ('), que la notion d'accord (') résulte de l'expression, par les entreprises participantes, de la volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée » ( CJUE, 8 juillet 1999,Commission / Anic Partecipazioni, C-49/92 P, point 130).

488.S'agissant des pratiques concertées, elle a indiqué que « (...) les critères de coordination et de coopération retenus par la jurisprudence de la Cour, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable plan, doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du Traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun, y compris le choix des destinataires de ses offres et de ses ventes ». Si cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit de chacun de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à attendre de ses concurrents, elle « s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet, soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de tenir soi-même sur le marché » (CJCE, 16 déc. 1975, Suiker Unie e.a. / Commission, affaires jointes 40 à 48, 50, 54 à 56, 111, 113 et 114/73, Industrie européenne du sucre : Rec. CJCE 1975, p. 1663, pts 173 et 174).

489.Elle a ensuite relevé que « la comparaison entre cette notion d'accord et celle de pratique concertée (...) fait apparaître que, du point de vue subjectif, elles appréhendent des formes de collusion qui partagent la même nature et ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles elles se manifestent. Il s'ensuit que, si les notions d'accord et de pratique concertée comportent des éléments constitutifs partiellement différents, elles ne sont pas réciproquement incompatibles » (arrêt Commission / Anic Partecipazioni, précité, points 131 et 132). Elle a précisé, dans cette même décision, constituant à ce jour une jurisprudence constante, qu'une violation de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE peut résulter non seulement d'un acte isolé, mais également d'une série d'actes, quand bien même ces comportements pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ces dispositions.

490.Elle a encore réaffirmé dans un arrêt récent (CJUE, 16 juin 2022- C-700/19 P, Toshiba Samsung Storage Technology et Toshiba Samsung Storage Technology Korea / Commission point 110) que « le critère déterminant l'existence d'une infraction unique et continue est celui selon lequel les différents comportements faisant partie de l'infraction s'inscrivent dans un 'plan d'ensemble' visant un objectif unique ».

491.Enfin, elle a rappelé que s'il n'est pas établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer à l'ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l'entente et avait connaissance de l'ensemble des autres comportements ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque, l'Autorité n'est pas en droit de lui imputer la responsabilité des comportements mis en œuvre par les autres entreprises (CJUE, 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C-441/11 P). Dans cette hypothèse, elle peut lui imputer la responsabilité pour les comportements auxquels elle a pris part ou dont elle peut effectivement être tenue pour responsable, nonobstant les poursuites engagées sur le fondement d'une entente globale relevant de la qualification d'infraction unique et continue, à la condition d'avoir été mise en mesure de comprendre qu'il lui était également reproché chacun des comportements la composant, et donc de se défendre sur ce point. Il est à cet égard requis que la décision soit également suffisamment claire à cet égard (CJUE , arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C-441/11 P).

492.La Cour de justice a ainsi consacré la notion d'« infraction unique et complexe », admettant qu'une entreprise ayant participé à une telle infraction par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d'accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens des textes précités et qui visaient à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble, peut être également, sous certaines conditions, responsable des comportements mis en œuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction. (CJUE, 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P).

493.Cette notion ne renvoie pas à une nouvelle forme d'infraction, mais à un régime offrant des facilités procédurales permettant d'appréhender ensemble, dès lors qu'ils s'inscrivent dans un « plan d'ensemble » visant un objectif unique, des comportements illicites complexes que les qualifications d'accords ou de pratiques concertées classiques ne permettent pas toujours d'apprécier à leur juste mesure. Il n'existe donc aucune obligation pour l'Autorité d'y recourir.

494.En l'espèce, s'agissant de la qualification appliquée aux pratiques litigieuses, la Cour rappelle, d'abord, que la notification relative au grief n° 2 a reproché à huit entreprises (les groupes CA Animation, Campofrio, Coop, La Financière du Haut-Pays, FTL, Savencia, [XI], ainsi que la société Salaisons du Maconnais), par l'intermédiaire de plusieurs sociétés, « d'avoir participé à des réunions secrètes (à l'exception des sociétés du groupe CA Animation) et d'avoir échangé des informations, du 8 avril 2010 au 30 avril 2013, et ainsi de s'être accordées et concertées, pour la commercialisation de produits de charcuterie crus sous marque de distributeur ou sous premiers prix, pour coordonner leurs demandes d'augmentation de prix auprès des enseignes de la grande distribution et pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution », pratiques qui contreviennent aux dispositions des articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du code de commerce (notification de griefs, § 1537 et pages 351 et 352, caractères gras ajoutés par la Cour).

495.La participation individuelle de chaque entreprise a été analysée et, s'agissant des sociétés du groupe CA Animation, il a été relevé qu'elles n'étaient pas impliquées dans les réunions secrètes. La participation du groupe CA Animation à une entente a été exclusivement rattachée aux échanges reproduits aux paragraphe 961 à 978 de la notification des griefs, lesquels décrivent et analysent dans le détail huit échanges, intervenus entre « [Localité 20] et Sapresti Traiteur ([LZ]) », s'échelonnant entre le 12 septembre 2011 et le 24 juillet 2012, portant sur les prix négociés pour certains produits auprès de certaines enseignes et faisant état de demandes de hausses de prix.

496.Le rapport a procédé de manière identique.

497.En exposant au paragraphe 446 que les pratiques décrites dans la notification de griefs « montrent que les entreprises mises en cause ont eu la volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée, tout en limitant leur comportement commercial respectif, en échangeant des informations, lors d'échanges bilatéraux puis lors d'échanges bilatéraux et multilatéraux, sur les prix ou hausses de prix de nature à atténuer ou à supprimer toute incertitude quant au caractère prévisible du comportement des concurrents », le rapport n'a fait que reprendre les critères de coordination et de coopération inhérents aux notions de pratiques concertées et d'accords. À l'instar de la notification des griefs, il a examiné les comportements propres aux entreprises pour déterminer l'étendue de leur responsabilité. Il a également mis en évidence que les huit échanges recensés avec le groupe Campofrio établissaient en eux-mêmes la participation du groupe CA Animation à une entente, prenant soin de préciser que « le fait que le groupe CA Animation n'a pas participé aux réunions multilatérales et qu'aucun échange bilatéral n'a été établi avec le second demandeur de clémence » ne remettait pas en cause cette participation à une entente.

498.Ensuite, par l'article 3 de la décision attaquée, l'Autorité a dit établi que « [19 sociétés] et les sociétés Grand Saloir Saint-Nicolas (RCS n° 709 200 133), Les Monts de la Roche (RCS n° 390 618 890), (') Sapresti Traiteur (RCS n° 316 431 691) [constituant les sociétés du groupe CA Animation] ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1 du TFUE, en s'accordant et se concertant pour la commercialisation de produits crus de charcuterie sous marques de distributeurs ou 1er prix, d'une part, pour coordonner leurs demandes d'augmentation de prix auprès des enseignes de la grande distribution, d'autre part, pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution (grief n° 2) ». Elle a identifié les accords et concertations en cause (§ 525 à 566 de la décision attaquée) ainsi que les parties concernées, sans davantage avoir recours à la qualification d'infraction complexe et continue. Comme la notification des griefs l'avait fait au paragraphe 1593, la décision attaquée relève au paragraphe 593, qu' « [e]n l'espèce, les entreprises concernées ont mis en œuvre des pratiques, en matière de produits crus et/ou cuits, tendant, d'une part, à faire passer des demandes de hausses de prix de vente auprès des enseignes de la grande distribution, d'autre part, à se concerter et à s'accorder sur les offres, notamment en prix, à proposer en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution ».

499.Elle a également analysé dans quelle mesure le groupe CA Animation avait pris part à une entente en retenant aux paragraphes 642 et 867 que « Sapresti Traiteur a échangé à 8 reprises avec la société [Localité 20] par téléphone », renvoyant aux paragraphes 240 à 242 de cette décision, qui eux-mêmes renvoyaient, par note de bas de page, aux paragraphes 961 à 978 de la notification de griefs et à l'annexe n° 2 du rapport. Il est notamment question, à titre d'exemples, du contenu d'échanges téléphoniques entre [Localité 20] et [LZ] « sur l'appel d'offres frais emballé Auchan » et « l'appel d'offres saucissons EMC/ Leader Price/ Casino » (§ 961 et 974 de la notification des griefs) ou des prix négociés pour certains produits (« picorer et sticks (mini bâtonnets 3x50g) EMC) » (§ 962) « le snacking EMC » (§ 969)). La décision attaquée a également rappelé que le groupe CA animation n'avait participé à aucune réunion multilatérale et conclu au fait qu'il avait échangé des informations de nature commerciale avec le groupe Campofrio [[Localité 20]], leur permettant de se coordonner et d'atténuer ou de supprimer toute incertitude quant au caractère prévisible du comportement de l'autre concurrent (§ 646).

500.Il ressort ainsi de la lettre de la notification de griefs et du rapport que les services d'instruction n'ont pas qualifié les pratiques d' « infraction complexe et continue »

(Ci-après « ICC », notion à laquelle ils n'ont jamais fait référence pour mettre en œuvre les poursuites, et qu'au regard des principes précités une telle qualification ne s'imposait ni aux services d'instruction, ni au collège.

501.Il résulte également des développements qui précèdent que les éléments de fait et de droit retenus à l'encontre du groupe CA Animation sont les même que ceux qui lui ont été notifiés, à savoir des échanges en matière de produits crus avec le groupe Campofrio (§ 961 à 978 de la notification de griefs), intervenus sur le marché français de la commercialisation de produits de charcuterie et salaisonnerie MDD, sur lequel les entreprises visées par le grief n° 2 ont imposé un mode d'organisation substituant au libre jeu de la concurrence, à l'autonomie et à l'incertitude des opérateurs, une collusion qui s'est généralisée entre eux (§ 1588 de la notification des griefs). Ces éléments ont été exposés au groupe CA Animation à tous les stades de la procédure, de sorte qu'il a été mis en mesure de comprendre la nature des pratiques reprochées, d'apprécier l'étendue de sa responsabilité et de se défendre, contrairement à ce qu'il soutient. Aucune atteinte aux droits de la défense n'est en conséquence caractérisée.

502.S'appuyant sur le postulat erroné que le grief n° 2 notifié correspondait à une ICC, le groupe CA Animation n'est pas davantage fondé à soutenir que les pratiques retenues contre lui nécessitaient une notification de griefs complémentaires pour pouvoir être sanctionnées « de manière autonome ».

503.S'agissant du régime appliqué, la Cour relève qu'à l'instar du rapport, la décision attaquée s'est attachée à examiner les comportements en cause à l'aune des critères inhérents aux notions de pratiques concertées et d'accords et à définir les responsabilités de chacune des entreprises au regard de leurs agissements propres.

504.La décision attaquée a notamment retenu, dans le prolongement du grief notifié, que le groupe Campofrio avait participé à toutes les réunions multilatérales et échangé avec les autres entreprises en cause (§ 607 à 609) tandis que, pour sa part, le groupe CA Animation, qui n'avait participé à aucune réunion multilatérale, avait échangé des informations de nature commerciale avec le groupe Campofrio à huit reprises, leur permettant de se coordonner et d'atténuer ou de supprimer toute incertitude quant au caractère prévisible du comportement de l'autre concurrent (§ 642 et 646). Elle a ainsi circonscrit la responsabilité de chaque entreprise au comportement qui lui était propre. Il ne saurait donc être reproché à la décision attaquée de ne pas être entrée dans le détail d'une argumentation inopérante, dès lors que l'Autorité, qui ne s'est pas référée à la notion d'ICC, n'a pas appliqué le régime de responsabilité inhérent à cette qualification, comme le prétend à tort le groupe CA Animation.

505.À cet égard, la Cour relève qu'au paragraphe 863, la décision attaquée a indiqué « qu'il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, du fait qu'une entreprise n'est pas tenue responsable de toutes les pratiques concertées constitutives d'une entente unique ». Ce faisant l'Autorité a analysé l'intensité de la participation du groupe CA Animation à l'entente reprochée, au regard des comportements qui lui étaient propres (§ 868), pour déterminer le montant de la sanction à lui infliger et n'a pas fait application du régime inhérent à la notion d'ICC qui aurait permis, en la supposant caractérisée, d'imputer au groupe CA Animation la responsabilité des comportements mis en œuvre par les autres entreprises, dans le cadre de la même infraction, pour toute la période de sa participation à l'entente.

506.Le moyen est rejeté.

B. Sur la matérialité des pratiques et la participation individuelle des entreprises

507.La décision attaquée a retenu que les entreprises en cause ont mis en œuvre des accords et pratiques concertées au cours de réunions secrètes et d'échanges bilatéraux, à l'exception du groupe CA Animation auquel il n'a pas été reproché d'avoir participé à ces réunions (§ 280 de la décision attaquée).

508.La Cour rappelle, concernant l'existence des six réunions multilatérales retenues par la décision attaquée, que celle-ci n'est pas contestée et ressort des témoignages, notes manuscrites, pièces saisies et auditions, mentionnés au paragraphe 198 de cette décision, auquel la Cour renvoie.

509.Il s'agit des réunions qui se sont tenues le :

- Mardi 26 avril 2011 à l'hôtel Ibis [Localité 73] Gare de [Localité 69] Ledru-Rollin ;

- Mardi 17 mai 2011 à l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58] ;

- Mercredi 22 juin 2011 à l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58] ;

- Mardi 30 août 2011 à l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58] ;

- Mardi 25 octobre 2011 à l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58] ;

- Mardi 30 avril 2013 à l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58]

510.Leur matérialité n'étant pas discutée, leur existence est tenue pour constante sur la base du faisceau d'indices précité, précisément analysé par la décision attaquée (§ 196 à 256), étant précisé :

- Que les groupes Campofrio et Coop ne discutent pas de cette question ;

- Et que le groupe Savencia ne conteste pas devant la Cour l'existence de ces réunions mais seulement la participation de Souchon d'Auvergne, en ce qui concerne uniquement les deux dernières réunions des 25 octobre 2011 et 30 avril 2013.

511.Concernant les échanges bilatéraux, comme la Cour l'a précédemment rappelé, la décision attaquée en a identifié 322, intervenus entre plusieurs charcutiers-salaisonniers concurrents : 282 mentionnés dans le Carnet de M. [KT] [AB] (groupe Campofrio, premier demandeur de clémence) , 40 consignés dans les notes manuscrites de M. [CR] [GB] (groupe Coop, deuxième demandeur de clémence), « la majorité d'entre eux » étant, selon l'Autorité, corroborée par des pièces saisies ou communiquées par les parties.

512.Sur cette base, elle a retenu au paragraphe 649, concernant Sapresti Traiteur (CA Animation), que « les dates de sa première et de sa dernière participation à un échange anticoncurrentiel dont l'existence a été établie remontent respectivement au 12 septembre 2011 (premier échange bilatéral avec [Localité 20]) et au 24 juillet 2012 (dernier échange bilatéral avec [Localité 20]) ». Elle a par ailleurs retenu, au paragraphe 662, concernant Souchon d'Auvergne (Savencia) que « les dates de la première et de la dernière participation de Souchon d'Auvergne à un échange anticoncurrentiel dont l'existence a été établie remontent respectivement au 8 juillet 2010 (premier échange bilatéral avec [Localité 20]) et au 30 avril 2013 (dernière réunion multilatérale) ».

513.Seuls sont contestés devant la Cour les échanges bilatéraux impliquant les groupes Savencia et CA Animation.

514.La Cour examinera ainsi la participation individuelle de ces deux groupes et les points de désaccord tenant à la participation à certaines réunions multilatérales ou à certains échanges bilatéraux.

1. Sur la participation individuelle du groupe Savencia (Souchon d'Auvergne)

515.Concernant les réunions multilatérales, le groupe Savencia ne conteste pas la participation à celles des 26 avril, 17 mai, 22 juin et 30 août 2011 mais soutient que c'est à tort que l'Autorité a retenu la participation de Souchon d'Auvergne aux réunions des 25 octobre 2011 et 30 avril 2013. Il fait valoir que la présomption d'innocence commande d'écarter l'existence d'une infraction lorsque subsiste le moindre doute, ce que l'Autorité a fait au bénéfice du groupe La Financière du Haut Pays (société Établissements Rochebillard et Blein) concernant sa participation à deux réunions multilatérales (§ 533 et 541 de la décision attaquée). Il invoque une rupture du principe d'égalité de traitement, considérant qu'il incombe à l'Autorité, d'appliquer des critères identiques et de soumettre aux mêmes exigences de preuve deux sociétés se trouvant dans des situations similaires.

516.Concernant la réunion du 25 octobre 2011, il considère que les éléments du dossier sont insuffisants pour démontrer la participation de Souchon d'Auvergne, la décision s'appuyant pour l'essentiel sur les déclarations du primo-demandeur de clémence (§ 528 de la décision attaquée), alors même que celles-ci ont été écartées par l'Autorité concernant la participation de la société Établissements Rochebillard et Blein à cette même réunion (§ 534) et qu'elles sont contredites par M. [CC] (Souchon d'Auvergne) qui a, dès le début de la procédure, déclaré au rapporteur de l'Autorité ne pas avoir participé à cette réunion (dossier 13/0006F - Annexe 135 - cote 17149) alors qu'il a, de manière très honnête, reconnu sa participation aux quatre premières réunions. Il ajoute que le Carnet ne contient qu'une unique information relative à Souchon d'Auvergne et relève, dans la mesure où les notes du Carnet (tableau 18, décision attaquée) comportent des informations relatives à des sociétés absentes de cette réunion (Établissements Rochebillard et Blein, Salaison [SV] ou encore CCA - FTL), que cet élément ne prouve pas que Souchon d'Auvergne a participé à cette réunion. Il relève par ailleurs que certaines mentions du Carnet ont été remises en cause par le demandeur de clémence en personne (§ 655-656 de la décision attaquée), ce qui est de nature à démontrer que ce qui est écrit dans ce Carnet ne correspond pas à la réalité. Il relève également que les déclarations de M. [AB] ne constituent pas un élément permettant de corroborer le contenu des notes manuscrites du Carnet puisque ces deux éléments proviennent de la même source. Il considère que le fait que le seul nom de Souchon d'Auvergne soit « mentionné à deux reprises sur les notes de M. [NC] [K] ([XI]) » (§ 528 de la décision attaquée), sans aucune autre information relative à la société, ne permet pas de considérer que Souchon d'Auvergne aurait participé à cette réunion, d'autant que ces mêmes notes mentionnent également les noms des entreprises « [SV] » ou encore « Rochebillard » (tableau 19 de la décision attaquée) considérées par l'Autorité comme n'ayant pas participé à cette réunion. Il rappelle que dans ses observations écrites sur le rapport, le Commissaire du gouvernement avait, à très juste titre, souligné que les notes de M. [NC] [K] étaient de nature à créer un doute sur la participation de Souchon d'Auvergne (dossier 13/0006F - Annexe 32 - cote 50742 et § 527 de la décision attaquée). En définitive, il considère que les éléments de preuve en la possession de l'Autorité susceptibles d'établir la participation d'Établissements Rochebillard et Blein et de Souchon d'Auvergne à la réunion du 25 octobre 2011 étaient identiques (tableau A de son mémoire récapitulatif, page 37) et que la seule circonstance que l'agenda électronique de M. [F] (Établissements Rochebillard et Blein) appréhendé dans son bureau lors des opérations de visite et saisie mentionne une toute autre réunion à [Localité 54], le 25 octobre 2011 entre 14 et 15h 78 , ne suffit pas à considérer que cette société serait placée dans une situation différente de celle de Souchon d'Auvergne alors qu'il n'est pas démontré que M. [F] aurait effectivement participé à cette réunion à [Localité 54]. Il estime que l'Autorité tente de renverser la charge de la preuve en faisant peser sur Souchon d'Auvergne la charge de démontrer qu'elle n'aurait pas participé à cette réunion. Il demande à la Cour de réformer en conséquence la décision attaquée et d'en tirer les conséquences au stade de l'individualisation de la sanction.

517.Concernant la réunion du 30 avril 2013, le groupe développe la même analyse, fondée sur l'insuffisance des éléments retenus pour établir sa participation (notes et déclarations de M. [AB] et notes de M. [K]) ainsi que sur les contestations de M. [CC]. Il ajoute que les notes manuscrites de Messieurs [K] et [AB] étaient divergentes, en particulier concernant Auchan et Système U, et que plusieurs d'entre elles étaient inexactes. Il estime que ce constat est de nature à établir que ces informations sont en réalité des propos rapportés par les participants à la réunion et n'ont pas été communiquées par Souchon d'Auvergne au cours de cette réunion

518.Il relève, à titre surabondant, que M. [CS] [CC] a participé, ce jour-là, à une réunion (dossier 13/0006F - Annexe 35 - cotes 44957 et 44958 et Annexe 33 : Annexe 3 « Document de préparation rendez-vous Dia » des Observations des requérantes en réponse à la notification des griefs) qui a débuté à 11h00 chez son client distributeur Dia (à Vitry sur seine) et fait valoir, au regard des temps de transport, que sa présence à [Localité 73] en fin de matinée puis, son retour en train à [Localité 80] (lieu de son domicile) l'après-midi s'avère incompatible avec sa participation à une réunion qui se serait tenue l'après-midi à l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58] situé à presque 1 heure de voiture de la Gare de [Localité 80] [Adresse 60].

519.Concernant les échanges bilatéraux, le groupe Savencia rappelle, en premier lieu, qu'au stade de la notification de griefs (§ 979 à 1065) puis du rapport (dans l'onglet « Savencia » de l'Annexe n° 2), les services d'instruction ont reproché à Souchon d'Auvergne d'avoir participé à 44 échanges bilatéraux avec [Localité 20], sur la base du Carnet de M. [AB], l'échange le plus ancien reproché à Souchon d'Auvergne étant du 8 juillet 2010 (§ 1026 de la notification de griefs). Il constate que dans la décision attaquée, l'Autorité a écarté l'échange visé au paragraphe 1026 de la notification des griefs, pour les motifs exposés au paragraphe 655, mais qu'elle a toutefois retenu à son encontre un autre échange du même jour, qui n'avait jamais été reproché à Souchon d'Auvergne au cours de l'instruction, intervenu en réalité entre [Localité 20] et Salaisons du Mâconnais mais présenté de façon trompeuse comme étant le « premier échange du Carnet entre [Localité 20] et Souchon d'Auvergne » dans le tableau 35 de la page 91 de la décision attaquée. Il estime qu'en faisant remonter le début de sa participation au 8 juillet 2010, sur la base de cet échange, l'Autorité a violé le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense, inscrits dans la CSDH, et rappelés à l'article L. 463-1 du code de commerce. Il en déduit que la Cour annulera la décision en ce qu'elle a retenu la participation de Souchon d'Auvergne à un échange bilatéral avec [Localité 20] le 8 juillet 2010 et en ce qu'elle a considéré que le début de sa participation aux pratiques remonterait à cette date.

520.Il soutient, pour le même motif tiré d'une violation du principe du contradictoire, que la Cour devra également annuler la décision en ce qui concerne la participation à cet échange du 8 juillet 2010 d'Alliance Charcutière (aux droits de laquelle est venue Luissier Bordeau Chesnel), dès lors que la décision attaquée a considéré que M. [CC], dont le nom figure dans le tableau 35 de la page 91 de la décision attaquée, représentait à la fois les intérêts de Souchon d'Auvergne et d'Alliance Charcutière.

521.Il fait valoir, en deuxième lieu, concernant le nombre d'échanges bilatéraux reprochés avec [Localité 20], qu'une erreur matérielle affecte la décision attaquée qui se réfère à 44 échanges bilatéraux entre M. [CC] (Souchon d'Auvergne) et M. [AB] ([Localité 20]), au lieu de 41 puisque trois échanges ont été écartés (§ 655 et suivants). Il considère que le tableau 2.7 figurant en Annexe à la décision attaquée doit également être corrigé, en ce qu'il mentionne l'échange daté de « début 2012 », cité au paragraphe 1005 de la notification de griefs, alors qu'il a été écarté par l'Autorité (§ 655 et suivants). Il demande à la Cour de constater cette erreur matérielle, d'écarter les trois échanges de la comptabilisation du nombre d'échanges auxquels il est reproché à Souchon d'Auvergne d'avoir participé avec [Localité 20] et de procéder à la correction du tableau 2.7 en annexe. Il considère que ces corrections auront nécessairement des conséquences concernant l'individualisation de la sanction infligée à Souchon d'Auvergne.

522.En troisième lieu, s'agissant de la participation de Souchon d'Auvergne à des échanges bilatéraux, il indique qu'elle est fermement contestée concernant les échanges bilatéraux avec [Localité 20] et qu'elle n'est pas démontrée concernant Salaison [SV].

523.Concernant les échanges avec [Localité 20], il reproche à l'Autorité de s'être contentée de considérer les échanges bilatéraux listés dans le Carnet comme établis. Il soutient qu'en l'absence de preuve se suffisant à elle-même, le rapprochement des divers éléments recueillis au cours de l'instruction doit conduire à l'élaboration d'un faisceau d'indices qui soient véritablement graves, précis et concordants et considère que plusieurs éléments provenant d'une même source ne sauraient constituer un faisceau d'indices graves, précis et concordants. Il rappelle en outre, d'une part, que M. [AB] avait lui-même écarté plusieurs échanges bilatéraux mentionnés dans son Carnet, dont un échange daté du 8 juillet 2010 concernant Lidl visé paragraphe 1026 de la notification des griefs, en soulignant qu'il n'était pas certain que les informations consignées dans ledit Carnet lui aient effectivement été communiquées par Souchon d'Auvergne, d'autre part, que l'Autorité a écarté un échange de même type en date du 8 avril 2010, intervenu entre [Localité 20] et Salaisons du Mâconnais, qui incriminait de façon indirecte France Salaisons, aux motifs qu'« il n'est pas possible d'affirmer que les informations communiquées à [Localité 20] par Salaisons du Mâconnais sur les tarifs de France Salaisons proviennent nécessairement d'un échange anticoncurrentiel entre ces deux dernières sociétés » (§ 624 de la décision attaquée). Il soutient par ailleurs que M. [AB] pouvait avoir connaissance de certaines informations relatives à ses concurrents, sans que celles-ci ne lui aient été communiquées par Souchon d'Auvergne. Il observe que treize de ces échanges reposent uniquement sur des notes manuscrites contenues dans le Carnet de M. [AB], dont la valeur probante est contestable. Il relève que les éléments extérieurs au Carnet de M. [AB] qui, selon l'Autorité, permettraient de corroborer les 31 échanges qui restent (listés dans le tableau 2.7 figurant en Annexe n° 2 de la décision attaquée), ne permettent pas de corroborer le contenu des notes du Carnet et de démontrer la participation de Souchon d'Auvergne à ces échanges. Il en déduit que la Cour devra réformer la décision attaquée en ce qu'elle a dit que Souchon d'Auvergne avait participé à des échanges bilatéraux avec [Localité 20], pour les raisons détaillées pour chaque échange en pièce n° 7.

524.Concernant l'échange du 8 juillet 2010, il relève également que cette date correspond à celle de l'échange entre [Localité 20] et Salaisons du Mâconnais mais que l'échange litigieux n'est pas daté. Il observe ensuite que cet échange n'est pas mentionné dans le Carnet de M. [AB] et que le demandeur de clémence a lui-même indiqué qu'il n'était pas possible d'affirmer avec certitude que les informations du 8 juillet 2010 concernant l'enseigne Lidl avaient été obtenues auprès de M. [CC] (Souchon d'Auvergne). Il ajoute qu'un premier échange qui ne serait « pas daté avec suffisamment de précision » ne saurait permettre d'établir le début de la participation d'une entreprise aux pratiques incriminées, ce que la décision attaquée a retenu aux § 633 et suivants au bénéfice des Établissements Rochebillard et Blein.

525.Il relève également la brièveté de certains appels retenus comme éléments corroborant le Carnet (entre 9 secondes et 35 secondes).

526.Concernant les échanges avec Salaison [SV], il rappelle que deux échanges sont reprochés à Souchon d'Auvergne au cours de l'année 2011 sur la base du carnet du directeur commercial de Salaison [SV] et deux autres échanges, datés des « 7 janvier 2013 » et « 2 mai 2013 » lui sont reprochés sur la base de courriels internes à Salaison [SV]. Il conteste chacun d'eux, mettant en cause, en substance, leur absence de datation certaine, l'origine des informations mentionnées comme leur caractère sensible, et l'absence d'élément corroborant l'existence de ces échanges.

527.L'Autorité, concernant les réunions multilatérales du 25 octobre 2011 et du 30 avril 2013, estime que sa participation est établie par les éléments évoqués aux paragraphes 528 et 537 de la décision attaquée.

528.Elle fait valoir que la circonstance que la présence de certaines sociétés (comme Rochebillard & Blein) n'ait pas été retenue est inopérante et ne saurait être qualifiée d'inégalité de traitement dès lors qu'elle est liée à des considérations factuelles qui leur sont propres et non pertinentes pour Souchon d'Auvergne. Elle relève également que les divergences d'informations portées sur les notes de M. [AB] et de M. [K] ne remettent pas en cause la présence de M. [CC] (Savencia) lors de cette réunion dans la mesure où chaque participant à une réunion peut ne pas noter toutes les informations prises par les autres.

529.S'agissant de la seconde réunion, elle estime que la tenue d'une autre réunion avec un de ses clients à 11h le même jour en région parisienne, invoquée par Savencia, n'est pas incompatible avec sa présence à la réunion anticoncurrentielle qui a eu lieu à [Localité 69] entre 16h et 18h30 et qu'il est parfaitement plausible qu'à son retour de [Localité 73], M. [CC] ait arrêté son trajet à [Localité 69] [Adresse 74] (qui est à deux heures de trajet de [Localité 73]) pour assister à la réunion anticoncurrentielle du 30 avril 2013, au lieu de prendre la correspondance vers [Localité 80] [Adresse 60].

530.Concernant la participation aux échanges bilatéraux reportés dans le Carnet, elle relève la concordance entre les dates rapprochées de nombreux appels et les réunions de cartel qui se sont tenues sur la même période, auxquelles le groupe Savencia a admis sa participation. Concernant les erreurs de comptabilisation, l'Autorité signale que 46 échanges anticoncurrentiels ont été retenus à l'encontre du groupe Savencia, et non 44 comme le mentionne à tort le paragraphe 879 de la décision attaquée, mais considère que cette erreur matérielle est non-significative et joue, en tout état de cause, au bénéfice du groupe Savencia. Elle récapitule sous forme de tableau, au paragraphe 417 de ses observations, les échanges litigieux s'échelonnant du 8 juillet 2010 au 22 aout 2012. Elle souligne que les appels téléphoniques qui font l'objet de plusieurs mentions dans le Carnet correspondent généralement à des appels dépassant 10 minutes, qui font apparaître un nombre important d'informations échangées, comme l'appel du 27 avril 2011, qui fait l'objet de 4 mentions dans le Carnet, qui a duré plus de 33 minutes.

531.Sur les 41 autres échanges mentionnés dans le Carnet, l'Autorité se prévaut de la valeur probante globale du Carnet, qui a été corroborée par de nombreux éléments externes. Parmi ces éléments, elle relève que les documents recueillis auprès du groupe Savencia, tableau 2.7 figurant en Annexe 2, corroborent exactement les échanges :

- du 12 juillet 2011 mentionné au § 989 de la notification de griefs,

- du 8 février 2011 mentionné au § 993 de la notification de griefs,

- du 2 mai 2012 mentionné au § 1006 de la notification de griefs,

- du 27 avril 2011 mentionné au § 1029 de la notification de griefs,

- du 2 mai 2012 mentionné au § 1051 de la notification de grief.

532.Concernant la participation aux échanges bilatéraux avec Salaison [SV], elle relève que les indices sont corroborés par les déclarations du second demandeur de clémence et pour certains, par d'autres documents comme un compte rendu daté du 15 mars 2011 établi par M. [GB] et qu'ils sont souvent contemporains des réunions multilatérales retenues à l'encontre du groupe.

533.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent l'analyse de l'Autorité.

Sur ce la Cour :

534.S'agissant des réunions multilatérales, la Cour constate que dans ses déclarations auprès du rapporteur (cotes 17092 et suivantes) M. [CS] [CC], qui occupait le poste de directeur commercial MDD et 1er prix au sein de la société Souchon d'Auvergne, n'a pas remis en cause les notes prises par M. [CR] [GB] (Salaison [SV]) et M. [AB] ([Localité 20]) faisant état de sa présence au cours des quatre premières réunions. Il a ainsi reconnu sa participation aux réunions des mardi 26 avril 2011, mardi 17 mai 2011, mercredi 22 juin 2011 et mardi 30 août 2011, fournissant des explications et précisions sur leur organisation, leur déroulement et leur objet.

535.La Cour renvoie aux développements de la décision attaquée qui ne sont pas ici contestés.

536.S'agissant de la participation à la réunion du 25 octobre 2011, la Cour relève que dans les déclarations écrites transmises au rapporteur (cote 8347), M. [AB] a indiqué qu'« [é]taient présents à cette réunion des représentants des entreprises suivantes :

- je représentais [Localité 20] ;

- Salaisons du Mâconnais était représentée par M. [RR] [TY] ;

- France Salaisons était représentée par M. [NC] [K] ;

- Souchon / Alliance Océane et Charcutière était représentée par M. [CS] [CC] ;

- Rochebillard et Blein était représentée par M. [WF] [F] ».

537.La Cour constate que ces déclarations explicitent les mentions figurant dans le Carnet de M. [AB] (cote 270), dont le contenu est repris dans la décision attaquée (tableau 18, § 216). Les notes de ce Carnet, présentées en colonnes, font ainsi apparaitre, sur un plan horizontal, des initiales ( « Ph H », « EB », « OJ » et « JC ») dont il n'est pas contesté qu'elles correspondent aux initiales des personnes précitées.

538.M. [RR] [TY] a confirmé sa participation lors de son audition et les notes prises lors de cette réunion par M. [NC] [K], saisies le 15 mai 2013, corroborent également la participation de ce dernier. Par ailleurs, comme les notes du Carnet de M. [AB], celles de M. [K] mentionnent les sociétés « [Localité 20] », « Maconnais », « Souchon », « Robillard » et « [SV] » (cote 2014, 13/0006F).

539.Toutefois, il n'est pas contesté que « [SV] » n'était pas représentée à cette réunion, ce que M. [AB] a confirmé dans les déclarations précitées. L'Autorité a également écarté la participation de la société Etablissements Rochebillard et Blein au regard des indications figurant dans l'agenda de M. [WF] [F] saisi lors les opérations effectuées dans les locaux de cette société, qui mentionnait, sur le même créneau horaire que celui de la réunion litigieuse, la tenue d'une réunion « IGP » à [Localité 54].

540. En définitive, il est acquis que toutes les sociétés figurant dans ces notes avaient déjà participé à d'autres réunions dans le même type d'hôtel et que les points abordés étaient sensiblement notés de la même manière d'une réunion à l'autre, rendant parfois leur individualisation plus délicate. Ainsi, M. [AB] indique-t-il parfois dans ses déclarations qu'un dirigeant « a participé à une réunion, mais [qu'il] ne saurai[t] confirmer laquelle avec certitude » (cote 8342) ou qu'un deuxième responsable « était peut-être également présent » lors d'une réunion pour représenter une société (cote 8345).

541.Il résulte des éléments qui précèdent que, nonobstant l'indication de certains noms, voire la concordance des noms figurant sur les notes prises par MM. [AB] et [K] lors de la réunion du 25 octobre 2011, toutes les sociétés qui y sont mentionnées n'y étaient pas représentées. Cette circonstance affaiblit la force probante des éléments réunis.

542.Il suit de là qu'un doute existe concernant la participation de la société Souchon d'Auvergne, dont la présence n'est étayée par aucun autre élément. L'Autorité n'établissant pas la preuve qui lui incombe concernant la participation de la société Souchon d'Auvergne à cette réunion, la décision attaquée sera réformée en ce sens.

543.Concernant la participation de Souchon d'Auvergne à la réunion du 30 avril 2013, la Cour relève que dans les déclarations écrites transmises au rapporteur (cote 8350), M. [AB] a indiqué qu' « [é]taient présents à cette réunion des représentants des entreprises suivantes :

- je représentais [Localité 20] ;

- Salaisons du Mâconnais était représentée par M. [RR] [TY] ;

- France Salaisons était représentée par M. [NC] [K] ;

- [SV] était représentée par M. [CR] [GB] ;

- Souchon / Alliance Océane et Charcutière était représentée par M. [CS] [CC] ;

- Rochebillard et Blein était représentée par M. [WF] [F] ».

544.La Cour constate que ces déclarations explicitent les mentions figurant dans les notes prises par M. [AB], saisies dans son bureau lors des opérations menées le 25 mai 2013 (cote 1149), qui comportent également un certain nombre d'initiales qui sont en concordance avec la liste précitée : « PO » [[SV]] ; « FS » [France Salaisons] ; « SM » [Salaisons du Maconnais] ; « OJ » [[CS] [CC] [IL]] ; « GP » [[CR] [GB] [O]] ; « [KT] » [[KT] [AB] d'[Localité 20]] ; « JC » [[WF] [F] [J]] ; « EB » [[NC] [K] de France Salaisons].

545.M. [RR] [TY] a confirmé sa participation lors de son audition et les notes prises lors de cette réunion par M. [NC] [K], saisies le 15 mai 2013, corroborent également la participation de ce dernier (cote 1980).

546.Comme les notes prises par M. [AB] qui se réfèrent à « OJ » [[CS] [CC]], celles de M. [K] mentionnent la société Souchon.

547.Ces notes comportent les éléments suivants concernant la société Souchon d'Auvergne :

Notes de M. [AB]

Notes de M. [K]

« Dia

=> OJ [[CS] [CC], Souchon] a redemandé 8,5 % »

« Dia

Souchon 8,5 % - demande »

« Auchan

OJ [[CS] [CC], Souchon] demande 4,5 %

« Auchan Souchon 0,80 ct si IGP

6 % sur courbe 6 % sur Bâton »

« SU [Système U] tel »

« Système U

Souchon courbe veut la garder »

548.Si ces éléments tendent à établir que la position de la société Souchon concernant plusieurs enseignes a pu être évoquée et que les indications de M. [AB] et M. [K] se recoupent pour un client (Dia), la Cour relève des différences entre les indications portées par l'un et l'autre de ces rédacteurs, notamment à l'égard du client Auchan. Ces divergences ne permettent pas d'avoir une interprétation univoque concernant l'origine de ces indications et le fait que M. [CC] les ait lui-même annoncées lors de cette réunion.

549.Par ailleurs, à l'instar de ce qui a été observé concernant la réunion du 25 octobre 2011, il n'est pas contesté que toutes les sociétés qui sont mentionnées dans ces notes n'y étaient pas représentées. Ainsi, l'Autorité a retenu que la participation de la société Rochebillard et Blein ne pouvait se déduire des seules mentions des initiales « JC » [[WF] [F] [J]] apparaissant à plusieurs reprises dans les notes de M. [AB]. De même, la société « CCA » du groupe FTL apparait dans les notes de M. [AB] aussi bien que dans celles de M. [K], à l'instar de la société Souchon d'Auvergne, alors que le groupe FTL n'était pas représenté à cette réunion selon les déclarations mêmes de M. [KT] [AB] (cote 8350).

550.Il est également constant qu'aucune visite et saisie n'a été réalisée dans les locaux de Souchon d'Auvergne permettant de corroborer sa présence par d'autres éléments.

551.M. [K] de la société France Salaisons n'a par ailleurs pas pu être entendu en raison d'un arrêt de travail et l'audition de cette société a été effectuée en la personne de M. [H] (cotes 16963 et suivantes), de sorte qu'aucune explication n'a pu être recueillie concernant l'origine des pourcentages relatifs à certains clients associés au nom de Souchon et la confirmation de sa présence à cette réunion.

552.Si M. [RR] [TY] (salaisons Maconnais) indique en audition que « [l]ors de ces réunions participaient systématiquement M. [AB] qui en était l'organisateur, M. [CC] [IL], M. [TZ] de FTL pour les deux premières réunions puis on n'a plus revu ni M. [TZ] ni un autre représentant de FTL, M. [K] de France Salaisons, M. [GB] [O], M. [F] [J] mais je me suis demandé les raisons de sa présence car Rochebillard intervient très peu sur le marché de la GMS », force est de constater que certaines de ses affirmations ont été écartées, notamment concernant la société Rochebillard.

553.Dans ce contexte, et pour les mêmes motifs que ceux déjà évoqués aux paragraphes 540 et suivants qui précèdent, les seules mentions figurant sur les deux notes précitées, brièvement explicitées par M. [AB] dans ses déclarations écrites, sont insuffisantes à établir avec certitude la présence de M. [CC] lors de cette réunion. La référence faite à des sociétés absentes et les contradictions relevées dans les positionnements notés, créent un doute sérieux sur la participation de M. [CC] à cette réunion.

554.À cet égard, l'Autorité ne peut, sans inverser la charge de la preuve, opposer à M. [CC] que son absence à la réunion ne serait pas établie avec certitude par les éléments qu'il a produits, tenant à l'existence d'un rendez-vous avec un distributeur à [Localité 93] à partir de 11h, lequel a été étayé par les éléments suivants :

un reçu SNCF et la facturation de billets de train « [Localité 73] gare de [Localité 69]/[Localité 80] [Adresse 60] » (aller et retour) en date du 30 avril 2013 (cote 42454) ;

- l'estimation des temps moyens de déplacement, établie sur une application de cartographie en ligne, calculés entre les locaux du distributeur et la gare de [Localité 69] à [Localité 73] (environ 30 minutes), puis le temps de trajet entre cette gare et le terminus de son billet à [Localité 80] où il demeure (durée du trajet TGV direct 2h51, avec correspondance 3h22) puis le délai moyen pour un trajet en voiture de son domicile au lieu de la réunion situé à l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58] (de l'ordre d'une heure).

555.Ces éléments, au demeurant, confortent le doute sérieux relevé par la Cour, en fournissant un emploi du temps alternatif crédible.

556.L'Autorité n'établissant pas la preuve qui lui incombe concernant la participation de la société Souchon d'Auvergne à cette réunion, la décision attaquée sera réformée en ce sens.

557.La Cour réformera également la décision attaquée, par voie de conséquence, en ce qu'elle a fixé la date de fin de participation du groupe Savencia au 30 avril 2013.

558.S'agissant des échanges bilatéraux, la Cour relève, en premier lieu, concernant la violation du principe du contradictoire alléguée, que la notification de griefs a dressé la liste d'échanges bilatéraux directs que les services d'instruction ont considérés comme établis, et indiqué, pour certains d'entre eux, qu'ils révélaient « indirectement » des échanges intervenus entre d'autres sociétés.

559.Ainsi, est-il indiqué au paragraphe 915 de cette notification, que « [l]e 8 juillet 2010, il y a eu un échange téléphonique entre [Localité 20] et Mâconnais sur la saucisse sèche courbe Lidl : 'Tel Ph. H le 08/07 [[RR] [TY] Mâconnais] Souchon serait à 1,33/ 1,34 sur la courbe OJ [[CS] [CC] Souchon] avait indiqué à [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] 1,39' (cote 209 -12/0083AC) » puis, au paragraphe 916, que « [c]et échange entre [Localité 20] et Mâconnais en révèle un autre entre [Localité 20] et Souchon sur le prix de 1,39 euro l'uvc par celle-ci sur la saucisse sèche courbe vendue à Lidl ».

560.Le groupe Savencia n'est donc pas fondé à soutenir que les termes de cet échange du 8 juillet 2010 ne lui ont jamais été reprochés au cours de l'instruction.

561.La Cour constate qu'une erreur matérielle affecte la retranscription de l'échange qui, comme le relève justement Savencia, n'indique pas « Tel » devant la mention « Ph. H ». Néanmoins, il n'est pas sérieusement contestable que la mention du Carnet renvoie implicitement à un appel téléphonique de [RR] [TY] et reste sans incidence sur la question en débat.

562.Le moyen, qui manque en fait, est rejeté.

563.En deuxième lieu, concernant le nombre, contesté, d'échanges bilatéraux reprochés à la société Souchon d'Auvergne avec [Localité 20], la Cour constate qu'au paragraphe 651, la décision attaquée relève que « Souchon d'Auvergne a échangé par téléphone à 48 reprises avec les sociétés [Localité 20] (44 échanges) et Salaison [SV] (4 échanges) ».

564.Au paragraphe 655 de la même décision, trois échanges, parmi les 44 relatifs à [Localité 20], ont été écartés :

- l'échange du 8 juillet 2010 entre [Localité 20] et Souchon mentionné au paragraphe 1026 de la notification de griefs : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] a proposé baisse 3,3 % sur sse courbe » (cote 209 - 12/0083AC);

- l'échange situé « vers le 7 février 2011 » mentionné au paragraphe 1062 de la notification de griefs ;

- ainsi que l'échange situé « début 2012 » mentionné au paragraphe 1005 de la notification de griefs.

565.En revanche, a été retenu, au paragraphe 659 de la décision attaquée, la mention d'un échange du 8 juillet 2010 entre [Localité 20] et Mâconnais visé au paragraphe 915 de la notification de griefs, distincte de celle mentionnée au paragraphe 1026. Cette mention, correspondant à la cote 209 (dossier 12/0083AC) indique « Ph. H le 08/07 [[RR] [TY] Mâconnais] Souchon serait à 1,33/ 1,34 sur la courbe OJ [[CS] [CC] Souchon] avait indiqué à [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] 1,39 » (soulignement ajouté par la Cour). Comme il a été dit plus haut, l'Autorité a retenu que l'échange entre [Localité 20] et Mâconnais en révélait « indirectement » un autre, intervenu entre les sociétés Souchon et [Localité 20].

566.Il est donc inexact de soutenir, comme le fait le groupe Savencia, que les trois échanges écartés dans les motifs ne l'auraient pas été lors de la comptabilisation des échanges reprochés.

567.Par ailleurs, aux 42 mentions d'échanges listées par l'Autorité (§ 417 des observations, incluant l'échange du 8 juillet 2010 (notification de grief § 915) précité), devaient s'ajouter les 4 échanges anticoncurrentiels supplémentaires bilatéraux entre [SV] et le groupe Savencia, précités, révélés sur la base des déclarations et des documents fournis par le second demandeur de clémence.

568.C'est donc par une erreur matérielle manifeste que la décision attaquée a mentionné dans la figure 5 synthétisant les échanges du Carnet se rapportant au grief n° 2 et au paragraphe 879 que « 44 échanges bilatéraux » étaient établis et fait apparaitre en annexe 2 de la décision attaquée, dans le tableau 2.7, page 23, « l'échange situé début 2012 » qui avait été écarté. Ces erreurs, qui ne sont pas significatives, ne sauraient entrainer l'annulation de la décision attaquée. En effet, l'erreur de comptabilisation, qui revient à retenir à l'encontre du groupe Savencia un nombre d'échanges (44) inférieur aux échanges effectivement révélés par les pièces du dossier (46), est à son bénéfice et l'appréciation de sa participation individuelle ne s'en trouve pas défavorablement affectée.

569.En troisième lieu, concernant le standard de preuve, la Cour constate que de nombreux appels téléphoniques visés dans les mentions du Carnet de M. [AB] interviennent à des dates très proches et portent sur des sujets identiques à ceux évoqués lors des réunions multilatérales auxquelles le groupe Savencia a reconnu avoir participé, ce qui est de nature à corroborer les déclarations du premier demandeur de clémence.

570.Comme le souligne l'Autorité, le Carnet mentionne ainsi de nombreux échanges anticoncurrentiels entre M. [AB] et M. [CC] au cours du mois de février 2011 et du début du mois de mars 2011, contemporains de la réunion de cartel du 26 février 2011 à laquelle M. [CC] a reconnu avoir participé. De même, il mentionne 5 autres échanges anticoncurrentiels entre eux au cours du mois de mai 2011, contemporains de la réunion de cartel du 17 mai 2011 et à nouveau 5 échanges anticoncurrentiels entre eux au cours du mois de juin 2011, également contemporains de la réunion de cartel du 22 juin 2011, auxquelles M. [CC] a reconnu avoir participé.

571.Par ailleurs, la lecture du tableau 2.7, annexe 2, permet de constater que les mentions du Carnet évoquant des échanges sont majoritairement corroborées par les relevés téléphoniques de M. [AB] (Campofrio) de ses lignes fixe et mobile et/ou les tableaux des hausses de prix pratiqués par Souchon (pour illustration : l'échange du 12 juillet 2011 mentionné au § 989 de la notification de griefs, par lequel Souchon d'Auvergne indique avoir passé 3 % de hausse sur les produits MDD et 1,72 % sur les produits premier prix au 1er juillet 2011 (cote VC 98 12/0083AC) est corroboré par le tableau des hausses de prix passées auprès d'Auchan sur 2011 montrant que le prix facturé du saucisson sec Terroir Auvergne 300g marque MDD Auchan ainsi que celui du saucisson 250g marque 1er Prix Pouce sont passés au 1er juillet 2011, pour le premier, de 1,72 euro l'uvc à 1,771 euro l'uvc, soit une hausse de 3 %, pour le second, de 0,996 euro l'uvc à 1,013 euro l'uvc, soit une hausse de 1,71 % (cote VC 12 576)).

572.Il est donc inexact de prétendre que la preuve de l'existence d'échanges bilatéraux ne repose que sur une source unique (émanant des déclarations du demandeur de clémence) puisqu'elle ressort dans une large proportion du rapprochement concordant des déclarations du demandeur de clémence, des notes de son Carnet, de l'objet des réunions de cartel contemporaines des échanges rapportés et/ou des relevés téléphoniques versés à la procédure. Par ailleurs, le second demandeur de clémence a également déclaré avoir eu des échanges téléphoniques à caractère anticoncurrentiel avec le groupe Savencia, ce qui prive de crédibilité les dénégations du groupe concernant l'existence de tels échanges et de portée ses allégations selon lesquelles M. [AB] disposait « nécessairement » d'un certain nombre d'informations nées de sa connaissance du marché sans qu'il soit établi que M. [CC] serait à l'origine de leur communication.

573.En quatrième lieu, concernant la nature des différents échanges reprochés entre [Localité 20] et Souchon, la Cour rappelle, outre l'échange déjà cité du 8 juillet 2010 (notification de griefs § 915) dont la retranscription a été rectifiée ci-dessus, que les mentions du Carnet de M. [AB] (Campofrio) sont rédigées de la manière suivante (pièce n° 7 du groupe Savencia) :

- 29 octobre 2010 (notification de griefs § 1059) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 29/10 a ses PRUs [prix de revient unitaire] qui augmentent mais pense avoir du mal à justifier 1 demande de hausse car tendance MP [baisse]. Pensait demander hausses par rapport aux coûts fixes mais pas avant 2011 » (cote VC 273 12/0083AC)

- 30 novembre 2010 (notification de griefs § 1060) « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 30/11 en train de préparer ses tarifs [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] indique envoyer cette semaine. OJ [[CS] [CC] Souchon] me rappelle le 1 ou 2 déc » (cote VC 273 12/0083AC) ;

- Entre le 3 janvier et le 23 février 2011(notification de griefs §1009) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] => a demande sur sse cbe U pensait demander 0,13/0,14€/kg mais demandera 0,15€/kg. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce à OJ [[CS] [CC] Souchon] 0,18/0,20 + indexation sur sauc sec » (cote VC 149 12/0083AC) ;

- 12 janvier 2011 (notification de griefs § 992) : « Tel OJ [OJ [CS] [CC] Souchon] le 12/01/11 a eu demande de prix de Casino sur picorer. N'a pas répondu » (cote VC 134 12/0083AC) ;

- 12 janvier 2011 (notification de griefs § 1028) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 12/01 a demandé hausse 3,5% sur sse courbe » (cote VC 209 12/0083AC) ;

- 12 janvier 2011 (NG § 1061) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 12/01/11 a envoyé demandes de hausses ~3,5 % sauf Auchan Sauc PPX [Premier Prix] car avait passé hausse début 2010 » (cote VC 273 12/0083AC) ;

- 8 février 2011 (notification de griefs § 993) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 08/02/11 info prix Ssse dte PPX [saucisse sèche droite premier prix] 250g => 0,95€/P [pièce] » (cote VC 134 12/0083AC) ;

- 8 février 2011 (notification de griefs § 996) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 08/02 sse dte PG LP [Prix Gagnant, c. à d. gamme 1er Prix Leader Price]. Souchon actuel fournisseur dte ppx 250 casino => 0,95. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] communique notre offre dte PG 250 => 1,045. OJ [[CS] [CC] Souchon] me tient au courant si contacté par LP [Leader Price] et offre prix > » (cote VC 244 12/0083AC) ;

- 23 février 2011 (notification de griefs § 1018) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 23/02 a AO en DS [Dry Sausage, saucisse Strasbourg/ knacks] PE [pièce entière] a senti que CCA pourrait être visé cause pb qualité. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] doit rappeler le 25/02 pour prix » (cote 184 - 12/0083AC) ;

- 28 février 2011 (notification de griefs § 1019) « Tel OJ le 28/02 [OJ [CS] [CC] Souchon] [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] communique prix :

Act [actuel] Demande

Ct 400 1,74 1,80

Cbe 300 1,40 1,445

Dte 250 1,075 1,113

OJ [[CS] [CC] Souchon] veut récupérer 1 dossier, va se mettre à mes prix ou très proche. Demande recette sans ail : va faire recette spécifique » (cote VC 185 12/0083AC) ;

- 28 février 2011 (notification de griefs § 998) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 28/02 [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] demande à OJ [[CS] [CC] Souchon] de passer hausse sur droite 250 PPX Casino. En attente envoi hausse sur MP [Matières premières] saucisson (1 à 2 semaines) » (cote VC 273 12/0083AC) ;

- 9 mars 2011 (notification de griefs § 1011) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 09/03 Demande VPF sur saucisson sec / doit répondre très rapidement. Pense demander ~0,17€/kg (coût réel estimé à 0,12€/kg) » (cote VC 149 12/0083AC) ;

- 14 avril 2011 (notification de griefs § 979) : « Tel OJ [ [CS] [CC] Souchon] le 14/04 AO Saucisson : va se positionner sur RDF [MDD Carrefour Reflets de France] / ' [attention] [SV] » (cote VC 60 12/0083AC) ;

- Vers le 18 avril 2011 (notification de griefs § 999) : « Tel OJ [OJ [CS] [CC] Souchon] - Sauc 400/600, sauc PPX 200 et 3x50 => [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] ne fait pas d'offre - Porc fermier et Auvergne => ne fera pas d'offre - Sur cbe 300 /dte 250 fera offre > [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] - [[KT] [AB] [Localité 20]] Ne fera pas d'offre sur dte PG [Prix Gagnant, i.e. gamme 1er Prix Leader Price] (') - Saucisse dte PG [Prix Gagnant c. à d. gamme 1er Prix Leader Price] 1,05 '' (voir avec [NB] [[NB] Mehats groupe [Localité 20] Directeur d'Enseigne Nationale MDD]) / demande OJ [[CS] [CC] Souchon] chez Casino 1,02 » (cote VC 243 12/0083AC) ;

- 27 avril 2011 (notification de griefs § 1022) : « OJ [[CS] [CC] Souchon] => le 27/04 n'a pas de nouvelle à date » (cote VC 188 12/0083AC) ;

- 27 avril 2011 (notification de griefs § 1029) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 27/04 a proposé 1,14 pour la dte et 1,83 pour le 400. A donné son prix de sse cbe à DR [[N] [TZ] FTL ex-CCA] » (cote VC 215 12/0083AC) ;

- 27 avril 2011 (notification de griefs § 980) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 27/04: - va répondre sur 3x50/ cbe 300 / court BN 250 > prix annoncé - a pb [problème] sur Noix de Jbs car prix Ed 11,08€/kg alors que [SV] est entre 7 et 8 chez CRF. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] dit que c'est Roches Blanches [76450 [Localité 59]] qui fait la noix de Jbs chez CRF- à vérifier » (cote VC 61 12/0083AC) ;

- 27 avril 2011 (notification de griefs § 1000) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 27/04 - cbe PPX 300 => 1,23 - dte PPX 250 => 1,02 (actuel 0,95) / [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce 1,04 si demande Casino » (cote VC 132 12/0083AC) ;

- 28 avril 2011 (notification de griefs § 982) : « Tel de OJ [[CS] [CC] Souchon] le 28/04 / vu avec GP [[CR] [GB] [SV]] : - =>Nx Jbs Ed => [SV] - =>3x50 et ct [court] 250 Ed act [actuellement] [SV] => possible Souchon - => voir [KT]/ OJ [[KT] [AB] [Localité 20]/ [CS] [CC] Souchon] prix 3x50 et ct 250 » (cote VC 61 12/0083AC- VNC 13311) ;

' 6 mai 2011 (notification de griefs § 1034) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 06/05 DR [[N] [TZ] FTL ex-CCA] coterait 1,48 sur la cbe 300 vu avec OJ [[CS] [CC] Souchon]. Le patron de OJ [[CS] [CC] Souchon] lui aurait demandé de rentrer dans la bagarre mais OJ [[CS] [CC] Souchon] freine » (cote VC 211 12/0083AC) ;

' 6 mai 2011 (notification de griefs § 1023) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 06/05 n'a toujours pas de retour sur le DS [Dry Sausage, saucisse Strasbourg/ knacks] PE [pièce entière] » (cote VC 185 12/0083AC) ;

' Vers le 6 mai 2011 (notification de griefs § 1037) : « Tel de OJ [[CS] [CC] Souchon] à date maintient sa position sur sse cbe. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] indique également maintenir à date. Rappeler si changement » (cote VC 211 12/0083AC) ;

- 26 mai 2011 (notification de griefs § 1038) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 26/05 a pour l'instant maintenu sa position sur la cbe. A demande forte sur la droite mais ne bougera pas son prix (1,14). [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] indique faire nvelle offre sur gamme avec petite baisse [cf. télécopie « cotation pour application au 01/06/2011 » cotes VC 215 12/0083AC VNC 5236 VNCD 13358] => OJ [[CS] [CC] Souchon] fera sans doute pareil => tenir informé » (cote VC 211 12/0083AC) ;

- 27 mai 2011 (notification de griefs § 1043) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 27/05 [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce avoir baissé demande de 0,5 % = ~0,6cts€/p sur la droite » (cote VC 213 12/0083AC) ;

' 7 juin 2011 (notification de griefs § 1045) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 07/06 n'a toujours pas rebougé après sa dernière contre-offre. [E] [Lidl] semble mettre moins de pression » (cote VC 213 12/0083AC) ;

' 7 juin 2011 (notification de griefs § 1013) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 07/06 Sur saucisse cbe BN n'a passé que 0,17€/kg pour viande OF [origine France], n'a pas passé de hausse tarif autre » (cote VC 149 12/0083AC) ;

- 20 juin 2011 (notification de griefs § 1046) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 20/06 a fini négo sse courbe avec hausse 5,25% au 01/07 » (cote VC 213 12/0083AC) ;

- 20 juin 2011 (notification de griefs § 985) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 20/06 (') Est toujours en course sur sauc 250g Dia [Ed] (n'a pas répondu pour CRF et n'a pas de contact avec C. [A] [[C] Cechetto Carrefour]). Ok avec GP [[CR] [GB] [SV]] ([SV] reprendrait la nx de Jbs à Souchon et Souchon le sauc 250 à [SV]) » (cote VC 234 12/0083AC) ;

- 20 juin 2011 (notification de griefs § 1003) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 20/06/11 ne bouge pas son offre Casino et va appliquer son tarif au 01/08 » (cote VC 134 12/0083AC) ;

- 12 juillet 2011 (notification de griefs § 1004) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 12/07 va envoyer courrier pour application tarif au 01/09. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] indique position idem avec application août » (cote VC 135 12/0083AC) ;

- 12 juillet 2011 (notification de griefs § 989) : « Tel OJ le 12/07 [OJ [CS] [CC] Souchon] a passé 3 % de hausse sur MDD et 1,72 % sur PPX au 01/07 » (cote VC 98 12/0083AC) ;

- 21 novembre 2011 (notification de griefs § 1063) : « 21/11 OJ [[CS] [CC] Souchon] a envoyé entre 6 et 8 % (9 % chez Casino) tous clients sauf LIDL. Pour LIDL pense qu'il faut attendre qu'ALDI monte les PVC. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce préparer hausses entre 5 % et 10 % » (cote VC 275 12/0083AC) ;

- 9 décembre 2011 (notification de griefs § 1024) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 09/12 a demandé de Aldi pour cotation pour juillet 2012 sur gamme saucissons secs. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] communique dte 1,10 / 400 1,83 / crbe 1,46 » (cote VC 198 12/0083AC) ;

- 3 janvier 2012 (notification de griefs § 1025) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 03/01/12 ok se positionne ä [au-dessus] » (cote VC 198 12/0083AC) ;

- 16 janvier 2012 (notification de griefs § 1048) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 16/01 a envoyé sa hausse semaine dernière (réponse non pour l'instant) doit rappeler [E] [Lidl] le 20/01 » (cote VC 213 12/0083AC) ;

- 2 avril 2012 (notification de griefs § 1049) : « Tel OJ [ [CS] [CC] Souchon] le 02/04/12 a demandé de cotation. Ne répondra pas sur 400g, dte noisette et sauc aux noix. A dit à M. [E] qu'il répondrait en S 19 [semaine 19 de l'année] + échantillons » (cote VC 213 12/0083AC) ;

- 2 mai 2012 (notification de griefs § 988) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 02/05/12 demande de hausse en cours sauc 250g ~3,5 % » (cote VC 234 12/0083AC) ;

- 2 mai 2012 (notification de griefs § 1006) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 02/05/12 => demande de hausse 8,6% sur PPX, si pas acceptée arrêts produits en S 23 [23ème semaine de l'année]. EB [[NC] [K] France Salaisons] aurait apparemment même position sur PPX » (cote VC 137 12/0083AC) ;

- 2 mai 2012 (notification de griefs § 1051) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon]02/05/12 demande hausse sur sse cbe de 1,42 prix act [prix actuel] à 1,505 » (cote VC 213 12/0083AC) ;

- 24 mai 2012 (notification de griefs § 1058) : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 24/05/12 Ne répondra pas sur la sse dte BN [boyau naturel]. Se positionne à 1,633 en courbe BN. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] indique position [Localité 20] 1,695 sur cbe BN si relance demande LIDL » (cote VC 213 12/0083AC) ;

- 22 août 2012 (notification de griefs § 1016) « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 22/08 demande hausse 5 % sur Sse cbe et a obtenu 3,5 % en juillet sur Nx de Jbs » (cote VC 149 12/0083AC).

574.La Cour relève qu'au cours de son audition M. [AB] a précisé : «[ j]e prenais toujours mes notes sous la même forme et elles avaient toujours la même signification : les initiales désignaient mon interlocuteur ; la date désignait le jour de notre appel téléphonique » (cote 17495). À deux exceptions près, tous ces échanges mentionnent ainsi explicitement des contacts téléphoniques passés à M. [CS] [CC] (« Tel OJ ») et le tableau 2.7 reprend à 27 reprises la référence aux relevés téléphoniques comme élément corroborant ces mentions, de sorte que la réunion de ces éléments suffit, à défaut de preuve contraire, à établir que les informations mentionnées qui concernent la stratégie commerciale des entreprises en cause, ont été directement échangées entre M. [AB] et M. [CC] à ces dates, peu important à cet égard que certains appels (sortant) aient été de courte durée. Au demeurant, de tels appels ne sont pas exclusifs d'appels entrants concomitants. La Cour renvoie d'ailleurs aux relevés téléphoniques de M. [GB] qui font apparaitre 37 appels à destination de M. [AB] (cotes 40195 à 40197) constituant des appels entrants pour ce dernier, par définition, absents de ses relevés d'appels.

575.La Cour constate, en outre, comme l'Autorité dans ses observations, que de nombreux échanges mentionnés dans le Carnet (en l'occurrence 20) sont corroborés par les relevés téléphoniques des appels sortants réalisés par M. [AB] établissant des échanges de plusieurs minutes :

- échange du 29 octobre 2010 (§ 1059 de la notification de griefs) : appel de 8mn20s ;

- échange du 12 janvier 2011 (§ 992 et 1028 de la notification de griefs) : appel de 4mn53s ;

- échange du 8 février 2011 (§ 993 et 996 de la notification de griefs) : appel de 8mn59s ;

- échange du 27 avril 2011 (§ 980, 1001, 1022 et 1029 de la notification de griefs) : appel de 33mn58s ;

- échange du 7 juin 2001 (§ 1013 et 1045 de la notification de griefs) : appel de 18mn01s;

- échange du 24 juin 2011 (§ 985, 1003 et 1004 de la notification de griefs) : appel de 4mn03s;

- échange du 21 novembre 2011 (§ 1063 de la notification de griefs) : appel de 14mn27s;

- échange du 9 décembre 2011 (§ 1024 de la notification de griefs) : appel de 11mn53s ;

- échange du 3 janvier 2012 (§ 1025 de la notification de griefs) : appel de 7mn23s ;

- échange du 16 janvier 2012 (§ 1048 de la notification de griefs) : appel de 12mn31s ;

- échange du 24 mai 2012 (§ 1058 de la notification de griefs) : appel de 25mn57s.

576.Sans revenir sur chacun des échanges, la Cour entend apporter quelques explications complémentaires permettant d'apprécier chacun d'eux.

577.Sur la mention relative à l'échange du 8 juillet 2010 précité, la Cour constate qu'il concerne, de manière directe, un échange téléphonique entre [Localité 20] et Salaisons du Mâconnais qui n'a pas été contesté par Salaisons du Mâconnais et dont l'existence est ainsi tenue pour établie, nonobstant l'absence de mention « Tel » précédant le nom de M. [TY]. Pour autant, la preuve de l'existence de cet échange direct entre [Localité 20] et Salaisons du Mâconnais n'emporte pas automatiquement preuve de ce qu'il révèle indirectement. Il convient donc d'en apprécier la portée.

578.La Cour observe, tout d'abord, que la date du 8 juillet 2010 correspond à celle de l'échange entre [Localité 20] et Salaisons du Mâconnais : « Ph.H le 08 /07 (') Souchon serait à 1,33/ 1,34 sur la courbe (') » et que la concordance des temps employée induit que l'échange dont il est question entre M. [CC] et M. [AB] lui est antérieur, sans qu'il soit possible de le dater avec plus de précision : « (') Souchon serait à 1,33/ 1,34 sur la courbe. OJ [[CS] [CC] Souchon] avait indiqué à [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] 1,39 » (cote 209 - 12/0083AC) (soulignement ajouté par la Cour). La datation retenue correspond ainsi à une approximation qui ne permet pas de retenir, comme le fait la décision attaquée, un « échange du 8 juillet 2010 ». Ensuite, il résulte de la décision attaquée elle-même (§ 655) « que le groupe Campofrio a écarté de lui-même trois échanges bilatéraux dans le cadre de ses observations au rapport, en soulignant qu'il n'était pas certain que les informations consignées dans le Carnet aient été communiquées par Souchon d'Auvergne » en désignant spécifiquement l'échange du 8 juillet 2010 « mentionné au paragraphe 1026 de la notification de griefs ». Si les mentions d'échanges visées aux paragraphes 1026 et 915 sont distinctes et rédigées en termes différents, force est de constater qu'elles ont le même objet. Il est en effet question d'un échange téléphonique entre [Localité 20] et Souchon sur la saucisse sèche courbe Lidl (§ 1026) et d'un échange téléphonique entre [Localité 20] et Mâconnais sur le même sujet faisant référence à un échange entre [Localité 20] et Souchon (§ 915). La chronologie précitée tend à établir que l'échange révélé au paragraphe 915 renvoie à celui, antérieur, du paragraphe 1026. C'est donc à juste titre que le groupe Savencia fait valoir que les raisons ayant conduit l'Autorité à écarter l'échange du 8 juillet 2010 visé au paragraphe 1026 ne permettent pas de retenir celui, indirectement, révélé au paragraphe 915. Par suite, la décision attaquée doit être réformée.

579.L'indice du 29 octobre 2010 (échange visé au § 1059 de la notification des griefs), qui constitue par suite le premier indice de participation, est explicite sur l'existence d'un échange téléphonique entre [Localité 20] et Souchon et sa lecture confirme la nature confidentielle des informations transmises : « Tel OJ le 29/10 [[CS] [CC] Souchon] a ses PRUs [prix de revient unitaire] qui augmentent mais pense avoir du mal à justifier 1 demande de hausse car tendance MP [baisse]. Pensait demander hausses par rapport aux coûts fixes mais pas avant 2011 » (cote 273 - 12/0083AC), (soulignement ajouté par la Cour). À cet égard, la circonstance que M. [AB] ait pu lui-même disposer de certaines informations tirées de sa connaissance du marché (les prix de revient unitaires augmentent) n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de cet échange anticoncurrentiel, et ce d'autant moins que les relevés téléphoniques de la ligne fixe de M. [AB] établissent un appel à destination de M. [CC] le 29 octobre 2010 d'une durée de 8mn20s (cote 46923). Ces indices n'étant pas utilement contestés, c'est à cette date que sera fixé le début de la participation du groupe Savencia aux pratiques.

580.Sur l'échange du 6 mai 2011 (notification de griefs § 1034), la Cour relève que l'emploi du conditionnel concerne surtout la position qu'aurait FTL : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 06/05 DR [[N] [TZ] FTL ex-CCA] coterait 1,48 sur la cbe 300 » et celle qui aurait été tenue par l'employeur de M. [CC] (soulignement ajouté par la Cour). En revanche, le mode indicatif et l'emploi du présent sont utilisés pour rendre compte des échanges intervenus entre M. [AB] et M. [CC] : « Tel OJ [[CS] [CC] Souchon] le 06/05 (') vu avec OJ [[CS] [CC] Souchon]. Le patron de OJ [[CS] [CC] Souchon] lui aurait demandé de rentrer dans la bagarre mais OJ [[CS] [CC] Souchon] freine » (cote VC 211 12/0083AC), (soulignement ajouté par la Cour). Contrairement à ce que soutient le groupe Savencia, il ne ressort pas de cette rédaction que les indications relatives à M. [CC] correspondent à des propos rapportés à la suite d'une discussion entre M. [TZ] (FTL) et M. [AB] ([Localité 20]). L'existence de cet échange est établie à suffisance.

581.Sur l'échange du 20 juin 2011 (notification de grief, § 1046) mentionnant l'appel passé à [CS] [CC] et l'information selon laquelle il « a fini négo sse courbe avec hausse5,25 % au 01/07 » concernant le client Lidl (cote VC 213 12/0083AC), la Cour constate que les services d'instruction avaient rapproché cette mention d'un courrier de Souchon du 20 juin 2011 adressé à Lidl montrant « une offre de prix de la saucisse sèche courbe 300g marque MDD Le Césarin à 1,32 euro l'uvc contre un prix facturé précédent de 1,253 euro l'uvc, soit une hausse de 5,34% », considérant cet élément comme « de nature à confirmer, à l'arrondi près, l'indication précitée échangée entre [Localité 20] et Souchon le même jour 20 juin 2011 (cotes VC 12596, 12598, VNC 13116, 13117) » (notification des griefs § 1047). S'il est exact que ces chiffrages ne sont pas strictement identiques, la Cour observe que ces différences ne remettent pas en cause l'existence de l'échange qui reste corroborée par les relevés téléphoniques de M. [AB] établissant un appel depuis la ligne fixe, passé à M. [CC] (cote 46923).

582.La Cour relève, pour cet échange, comme pour les autres, que la participation de Souchon d'Auvergne à des échanges bilatéraux est établie par un faisceau d'indices qui ne sauraient être appréciés isolément sans les replacer dans leur contexte (en l'occurrence les échanges décrits par les deux demandeurs de clémence) en les mettant en perspective les uns par rapport aux autres. Ainsi, les mentions du Carnet de M. [AB], fréquemment contemporaines de réunions multilatérales auxquelles la société Souchon d'Auvergne a participé et qui sont dans une très large proportion corroborées par des relevés téléphoniques (voir annexe 2, tableau 2.7), doivent se voir reconnaître une importante force probante concernant cette société, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de preuve contraire crédible, de les écarter, y compris lorsqu'à certaines dates elles ne sont pas étayées d'autres éléments que ceux émanant du premier demandeur de clémence.

583.Dans la mesure où les comportements anticoncurrentiels se déroulent, usuellement, de manière clandestine et génèrent une documentation le plus souvent réduite à son minimum, il ne saurait être reproché à l'Autorité d'avoir procédé par déductions, y compris pour dater certains échanges, en les rapprochant des relevés téléphoniques versés à la procédure (comme par exemple l'échange situé « entre le 3 janvier et le 23 février 2011 », visé à la notification des griefs § 1009) ou en considération des autres éléments fournis par l'indice (la mention de l'échange « vers le 18 avril 2011 » visé à la notification des griefs § 999, a ainsi pu être induite de la première datation (« 18/04 ») portée plus bas dans la même colonne ; de même que l'échange « vers le 6 mai 2011 » visé à la notification des griefs § 1037, a pu être induite des trois dates indiquées juste au-dessus faisant référence à d'autres appels qui ont tous été datés au « 06/05/11 »).

584.La circonstance qu'une information aurait également pu être déduite d'un autre évènement ne remet pas davantage en cause l'existence d'un échange ayant confirmé la stratégie commerciale de l'entreprise (comme par exemple celui du 12 janvier 2011, visé dans la notification des griefs au § 992, concernant le fait que Souchon d'Auvergne, qui ne produisait pas de mini-saucissons apéro, ne répondrait pas à la demande de Casino pour les produits « picorer »).

585.De même encore, l'intérêt que présente une information pour le concurrent qui la reçoit est sans incidence sur l'existence d'échanges concernant des propositions de prix sur certains produits, pas plus que l'intérêt de celui qui la communique. À titre d'illustration, la Cour renvoie à l'échange du 8 février 2011, visé dans la notification de grief § 996, concernant la communication à M. [CC] par [Localité 20] de l'offre faite à Leader Price, et au fait que M. [AB] entendait manifestement anticiper une éventuelle sollicitation par le client au regard de la mention « OJ me tient au courant si contacté par LP »). Il en va de même de l'échange du 2 mai 2012, visé à la notification de grief § 1006 (« Tel OJ le 02/05/12 [[CS] [CC] Souchon] => demande de hausse 8, 6 % sur PPX, si pas acceptée arrêt produits en S 23 [23ème semaine de l'année] (')) », dont il n'est pas contesté que les informations sont confirmées par un courrier du 11 avril 2012 adressé par Souchon d'Auvergne à EMC/Casino (cote VC 12645-12647) de même que l'appel est également établi par les relevés téléphoniques de la ligne mobile de M. [AB] (cote 17731), échange que le groupe Savencia remet ainsi vainement en cause en s'interrogeant sur l'intérêt qu'il aurait eu à communiquer cette information.

586.Sur l'échange du 21 novembre 2011 (notification de griefs § 1063), il est exact que la mention portée sur le Carnet indique « OJ [[CS] [CC], Souchon] a envoyé entre 6 et 8 % (9 % chez Casino) tous clients sauf LIDL (') » sans reprendre l'indication « Tel » qui précède le nom de l'interlocuteur sur la majorité des autres mentions. Toutefois, la situation qui précède confirme que l'absence de cette précision, qui n'a donc pas été systématique, n'exclut pas que le contact téléphonique ait bien eu lieu et l'emploi du présent est sans ambiguïté quant à la source de l'information « 21/11 OJ [[CS] [CC] Souchon] a envoyé entre 6 et 8 % (9 % chez Casino) tous clients sauf LIDL. Pour LIDL pense qu'il faut attendre qu'ALDI monte les PVC. » (cote VC 275 12/0083AC), (soulignement ajouté par la Cour). Ensuite, un courrier de Souchon du 22 novembre 2011 communiquant ses hausses auprès d'EMC/Casino confirme le principe de la demande de hausse communiquée à [Localité 20] la veille, même si celle-ci s'avère d'une moindre ampleur (+ 5 % et non + 9 %). Enfin, le tout est complété par un relevé téléphonique établissant un appel de M. [AB], depuis sa ligne fixe, à M. [CC] le 21 novembre 2011 (cote 46923). L'existence de cet échange est ainsi établie à suffisance.

587.Sur l'échange du 22 août 2012 (notification de griefs, § 1016), la Cour observe, d'abord, en le replaçant dans son contexte, qu'il est contemporain d'autres échanges du même jour de M. [AB] intervenus avec Salaisons [SV] (groupe Coop) et Salaisons du Mâconnais, qui révèlent que M. [AB] a manifestement cherché à dresser un état du marché en listant les positionnements de ses concurrents concernant de nombreuses enseignes, notamment Leclerc/Provera/Cora et Aldi pour le premier, Carrefour et Leclerc pour le second. La mention relative au positionnement de Souchon d'Auvergne « Tel OJ le 22/08 [[CS] [CC] Souchon] demande hausse 5 % sur Sse cbe et a obtenu 3,5% en juillet sur Nx de Jbs » est ainsi cohérente avec la démarche observée chez M. [AB] et avec les autres mentions du même jour qui ne sont pas contestées devant la Cour. Un courrier du 20 août 2012 adressé par Souchon d'Auvergne à Système U tend par ailleurs à confirmer la demande de hausse, même si elle ressort dans des proportions différentes de l'information transmise à [Localité 20]. (cotes 12620, VC 12622, VNC 13124).

588.La Cour relève, pour cet échange, comme pour les autres échanges révélant les mêmes caractéristiques, que l'existence d'écarts entre ce qui a pu être indiqué par M. [CC] à M. [AB] et ce qui a été effectivement demandé aux clients n'est pas de nature à remettre en cause l'existence d'échanges entre ces concurrents concernant la politique commerciale que l'un a pu annoncer à l'autre concernant certains clients, fusse de manière inexacte.

589.En cinquième lieu, concernant les autres échanges bilatéraux reprochés entre Salaisons [SV] et Souchon d'Auvergne, la Cour rappelle, à titre liminaire, qu'outre les mentions du Carnet de M. [AB] (Campofrio/[Localité 20]), M. [CR] [GB] (Coop) a indiqué lors de son audition qu'en plus d'avoir participé aux réunions multilatérales précitées, il avait lui aussi eu des contacts téléphoniques bilatéraux avec certains de ses concurrents à l'occasion d'appels d'offres, incluant Souchon d'Auvergne. Ces échanges bilatéraux sont décrits en détail en annexe n° 3 de la décision attaquée.

590.Les opérations de visite et saisie intervenues dans les locaux du groupe Coop ont par ailleurs amené à la découverte de documents en étayant l'existence (comptes rendus élaborés par M. [GB] à la suite de conversations téléphoniques visant à recenser la position de ses concurrents par produit concerné et tableaux Excel enregistrés sur l'ordinateur de M. [SV]). Les relevés téléphoniques de M. [GB] font notamment apparaitre 7 appels à destination de M. [CC], 37 à destination de M. [AB] et 12 à destination de M. [TY] (Salaisons du Maconnais) (cotes 40195 à 40197).

591.C'est dans ce contexte que doivent être appréciées les mentions ci-dessous.

592.Sur l'échange mentionné dans les notes de M. [GB] (groupe Coop), daté « entre avril et mai 2011 », concernant l'enseigne Carrefour/Ed/DIA, il est retranscrit en ces termes : « [CS] [CC] s'est battu pour l'offre Reflet de France. OK avec M. [JP] » (cote VC 355), (soulignements ajoutés par la Cour). Il a été précisé que M. [JP] est le Directeur Général de M. [CC] chez Souchon et que le second demandeur de clémence (Coop) a confirmé la nature anticoncurrentielle de l'échange (cote 395, 13/0069 AC), la société Salaison [SV] étant alors le fournisseur en place chez Carrefour pour les produits Reflets de France. Par suite, l'absence d'information chiffrée n'est pas de nature, dans le contexte en cause, à priver ce document de toute portée. Nonobstant la circonstance qu'il ne soit pas précisément daté, il induit la révélation d'une information commercialement sensible relative au positionnement d'un concurrent et l'existence de concertations dans le cadre du renouvellement de l'appel d'offres, dans un contexte d'échanges fréquents sur des dates contemporaines ou proches de cet évènement. L'appel en cause se situe en effet dans une période rapprochée de la réunion de cartel du 26 avril 2011, à laquelle M. [GB] et M. [CC] ont reconnu avoir participé et s'inscrit dans des échanges récurrents entre concurrents au sujet d'appels d'offres lancés par le groupe Carrefour (auquel l'enseigne Dia appartient). À cet égard, la Cour renvoie, à titre d'illustration, à un document informatique établi par M. [CR] [GB], intitulé « compte rendu étude appel d'offres Carrefour avril 2011», daté du 15 mars 2011, qui mentionne : « Souchon me demande de faire l'offre à 1,63 € car il souhaiterait récupérer ce marché ». De même, le Carnet de M. [AB] relatif à l'échange bilatéral daté du 28 avril 2011 entre [Localité 20] et Salaison [SV] visé au paragraphe 476 de la notification de griefs, concernant l'enseigne Carrefour/Ed/Dia, induit un échange avec M. [CC], ce document mentionnant Souchon en ces termes :

« Tel GP le 28/04 [[CR] [GB] [SV]] (') GP [[CR] [GB] Coop] va essayer de conserver le 250 g Dia - 1,63 à voir,

GP [[CR] [GB] Coop] ne fera pas d'offre sur CRF [pour la saucisse sèche droite 250g],

OJ [[CS] [CC] Savencia] voudrait le reprendre mais GP [[CR] [GB] Coop] n'est pas OK,

Rosette 400 => GP [[CR] [GB] Coop] demande 2,18 Ssse 3x50 => a demandé 1,03 mais va refaire à 1,08 pour OJ [[CS] [CC] Savencia] » (cote VC 61 - 12/0083 AC).

593.Sur l'échange mentionné dans les notes de M. [GB] (groupe Coop), situé « fin juin 2011 », rédigées en ces termes : « Rappeler [CS] [CC] pour Dia » (cote VC 370), force est de constater que, contrairement à ce que soutient le groupe Savencia, cette rédaction induit un appel de M. [CC] auquel M. [GB] entend donner suite. Par ailleurs, si les motifs de l'appel ne sont pas précisés, son objet est compatible avec l'appel d'offres Carrefour Dia de mars 2011 qui a été clôturé en septembre 2011 (cote 397, 13/0069AC) auquel Salaisons [SV] l'a rattaché (cote 513). Comme la précédente note, l'appel téléphonique en cause se situe dans une période de temps rapprochée de la réunion de cartel du 22 juin 2011, à laquelle M. [GB] et M. [CC] ont reconnu avoir participé et s'inscrit dans des échanges récurrents entre concurrents au sujet d'appels d'offres lancés par le groupe Carrefour.

594.Sur l'échange mentionné dans le courriel envoyé en interne au sein de Salaison [SV] par M. [GB] à M. [SV], le 7 janvier 2013 (notification de griefs § 1209), concernant l'enseigne Auchan, ce document est en ces termes :

« Le PA [prix d'achat] actuel de Souchon sur les 2 références d'Auvergne est :

- Saucisson 300g PA pièce 1,880€ soit 6,27€ le kg 41,11F le kg,

- Saucisse sèche 300g PA pièce 1,757€ soit 5,86€ le kg 38,42F le kg,

J'ai eu [CS] [CC] de chez Souchon qui m'a confirmé ces PA. Sa demande de tarif en vue de la nouvelle IGP Auvergne est de :

- 2,05€ sur le saucisson 300g soit 6,83€ le kg 44,82F le kg,

- 1,93€ sur la saucisse sèche 300g soit 6,43€ le kg 42,20F le kg

Je pense qu'à ces prix-là il ne nous est pas possible de faire quoi que ce soit. Y a-t-il moyen de gagner un petit peu sur les prix conforme IGP que vous m'avez donné ci-dessous » (cote VC 225 - 13/0069AC, VNC 9589). », soulignement ajouté par la Cour.

595.Si la date du 7 janvier 2013 correspond à la date d'envoi du courriel, l'expression « j'ai eu [CS] [CC] » permet raisonnablement de retenir qu'un échange a eu lieu au plus tard le 7 janvier 2013.

596.S'il résulte de l'audition de M. [GB] que celui-ci a contacté M. [CC] après avoir appris de l'acheteur Auchan certaines informations concernant Souchon, cette circonstance ne remet pas en cause l'existence de l'échange intervenu entre eux. M. [GB] en a d'ailleurs confirmé la teneur, précisant que « notre échange a ainsi porté sur les prix pratiqués par Souchon et sur les demandes de prix demandés pour les produits bénéficiant de la nouvelle IGP Auvergne qui allait être effective prochainement » (cote 225, 13/0069AC). Il est indifférent que cette appellation contrôlée ne soit concrètement intervenue que bien plus tard, dès lors que les concurrents ont bien échangé sur leurs prix actuels et envisagés.

597.La circonstance que les relevés téléphoniques, qui ne recensent que les appels sortants depuis le téléphone portable de M. [GB] entre octobre 2012 et avril 2013, ne fassent pas référence à un tel appel à la date précitée n'est pas en elle-même exclusive d'appels réalisés depuis une ligne fixe, de sorte qu'elle ne suffit pas à établir une preuve permettant de démentir la mention précitée. Au regard des circonstances de son élaboration (courriel contemporain des pratiques, impliquant directement son auteur dans un échange anticoncurrentiel) et de la cohérence de son contenu par rapport aux échanges déjà observés, la Cour retient la crédibilité du document et ainsi l'existence de l'échange qui y est rapporté.

598.Sur l'échange mentionné dans le courriel interne de Salaison [SV] du 2 mai 2013 (notification de griefs, § 1211), la Cour rappelle qu'il s'agit d'un document qui correspond, selon les explications de M. [GB], à un courriel qu'il s'est adressé à lui-même afin de résumer les tâches qu'il devait accomplir. Il est rédigé en ces termes « (') Appel d'offre aujourd'hui on s'appelle. Souchon a la courbe et ne veut pas la perdre (') ». Comme pour le courriel précédent, la datation retenue correspond à la date d'envoi du courriel, en revanche un doute subsiste quant à la source de cette information. M. [GB] ne fait pas référence à un échange direct entre eux et, sur cette période, l'implication de Souchon n'est plus relayée par des échanges aussi récurrents que pour les périodes antérieures, ce qui fait naitre un doute concernant l'existence d'un échange intervenu le 2 mai 2013.

599.Les arguments visant à contester la participation du groupe Savencia aux échanges bilatéraux avec le groupe Coop (Salaisons [SV]) sont ainsi rejetés, à l'exception du dernier échange daté du 2 mai 2013.

600.En cet état, la Cour retient, après réformation, que la participation du groupe Savencia est fixée du 29 octobre 2010 (premier indice correspondant à un échange bilatéral [Localité 20]/Souchon) au 7 janvier 2013 (dernier indice correspondant à l'échange bilatéral Salaisons [SV]/Souchon précité).

2. Sur la participation individuelle du groupe CA Animation (Sapresti Traiteur)

601.Le groupe CA Animation reproche, en premier lieu, à l'Autorité l'absence totale de motivation concernant l'existence des huit échanges reprochés, dont la décision attaquée se contente de citer le premier et le dernier échange.

602.Il relève, en deuxième lieu, qu'il n'a participé à aucune réunion physique, ce qui a été admis par la décision attaquée paragraphe 867, et que le second demandeur de clémence, comme les documents qu'il a produits, ne le mentionnent pas. Il en déduit que les éléments de corroboration « globaux » avancés par l'Autorité pour retenir la crédibilité des notes de M. [AB] sont inopérants s'agissant du groupe CA Animation.

603.Il ajoute que la déclaration d'un demandeur de clémence, contestée par l'entreprise mise en cause, ne constitue qu'un simple indice qui doit être apprécié avec prudence et être corroboré par d'autres éléments de preuve. Il examine enfin chacun des huit échanges reprochés, aux paragraphes 170 à 238 de son mémoire auxquels la Cour renvoie, pour en déduire que l'Autorité n'a pas établi sa participation aux pratiques visées par le grief n° 2.

604.L'Autorité fait valoir, d'abord, que la valeur probante du Carnet, qui forme un document unique et indivisible, ne saurait être remise en cause, compte tenu des nombreux éléments externes le corroborant. Elle souligne, ensuite, que le contenu des échanges relatés dans le Carnet fait clairement apparaître l'existence de discussions anticoncurrentielles entre MM. [AB] et [S], employé de la société Grand Saloir Saint-Nicolas en qualité de directeur d'enseignes secteur GMS. Elle rappelle que le caractère inexact de certaines informations reste sans incidence sur l'existence de l'entente et maintient que tous les échanges sont démontrés.

605.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent l'analyse de l'Autorité.

Sur ce, la Cour :

606.À titre liminaire, la Cour renvoie aux développements qu'elle a consacrés à la valeur et au statut probatoire du Carnet de M. [AB], en partie I, G, du présent arrêt, pour admettre sa crédibilité globale certaine.

607.Il convient également de renvoyer à la partie « faits et procédure » présentant les entreprises en cause, pour de plus amples détails concernant le poste occupé par M. [FA] [S] (directeur d'enseigne) au sein du groupe CA Animation.

608.Il est constant que la décision attaquée, aux paragraphes 240 à 242, et 642, renvoie à la notification de griefs, laquelle reproduit et analyse dans le détail les huit échanges reprochés aux paragraphes 961 à 978, ainsi qu'à l'annexe 2 au rapport. Il est donc inexact de soutenir une absence totale de motivation, tenant au fait que seuls les premier et dernier échanges sont formellement reproduits, dès lors que la décision attaquée a procédé à un renvoi à la notification des griefs, dans un souci de synthèse et de clarté.

609.Sur le fond, tous les échanges retenus à l'encontre du groupe sont mentionnés dans le Carnet de M. [AB] (Campofrio/[Localité 20]).

610.La Cour rappellera, d'abord, les principes qui conduisent l'analyse, puis complètera, le cas échéant, par un examen plus individualisé de chacun des échanges, selon la nature des arguments avancés.

611.Comme cela a déjà été indiqué lors de l'analyse des échanges reprochés à Souchon d'Auvergne, la circonstance que les prix communiqués se révèleraient différents de ceux effectivement proposés en réponse à un appel d'offres n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de l'entente. À cet égard, M. [AB] a d'ailleurs indiqué en audition « Si je prenais beaucoup de notes, c'était pour me rappeler précisément ce que je disais et ce que les autres concurrents me disaient, dans un contexte où, parfois, il pouvait y avoir des situations de 'bluff' (c'est-à-dire qu'il pouvait m'arriver d'indiquer un prix légèrement différent du prix réel et les autres pouvaient faire de même) » (cote 17493).

612.Au demeurant, comme le souligne justement l'Autorité, plusieurs échanges sont corroborés par des éléments transmis par le groupe CA Animation. Ainsi, les échanges datés « entre le 30 septembre 2011 et 16 janvier 2012 » et ceux du 19 décembre 2011 mentionnent que le groupe CA Animation a demandé une hausse de prix de 7,5 %, ce qui est confirmé par le courriel adressé par le groupe CA Animation à l'enseigne Casino le 9 décembre 2011, comprenant M. [S] en copie, qui indique: « Compte tenu de la flambée des cours du porc structurelle (cf pièce jointe), nous sommes dans l'obligation d'augmenter les prix facturés de + 7,5 % sur les produits de saucissons secs commandés dans vos enseignes (') » (cote 14813).

613.La Cour constate, ensuite, que les échanges des 26 janvier et 24 juillet 2012 sont corroborés par les relevés téléphoniques du téléphone portable de M. [AB], qui font apparaître à ces dates des appels à M. [S] (cotes 17727 et 17736). Sur ce point, la Cour rappelle que l'opérateur téléphonique du groupe Campofrio n'a pu communiquer que les relevés portant sur la période novembre 2011 à octobre 2012 (pour le portable), ce qui ne couvre pas la période de septembre 2011.

614.Compte tenu des éléments précités (courrier du groupe CA Animation et relevés téléphoniques de M. [AB]) corroborant de nombreuses mentions du Carnet concernant le groupe CA Animation, il est donc inexact de prétendre que la mise en cause de ce groupe ne repose que sur les mentions du Carnet émanant du demandeur de clémence. L'implication du groupe CA Animation ressort bien ainsi d'un faisceau d'indices, dont la portée doit être appréciée globalement et non isolément, et dont la Cour constate qu'il converge également avec les indices relevés à l'encontre des autres participants, conférant au Carnet une forte valeur probante. Les informations figurant dans les mentions du Carnet font ainsi clairement apparaitre des discussions anticoncurrentielles entre les deux groupes Campofrio et CA Animation, à l'instar de ce qui a déjà été observé pour les autres entreprises qui y sont mentionnées.

615.À cet égard, comme la Cour l'a déjà relevé, M. [AB] a précisé en audition « [j]e prenais toujours mes notes sous la même forme et elles avaient toujours la même signification : les initiales désignaient mon interlocuteur ; la date désignait le jour de notre appel téléphonique ». Comme le révèlent toutes les mentions ci-après, il est explicitement fait référence à des échanges téléphoniques avec M. [S] (« Tel L. [S] » ; « Tel LA [LZ] »') ou avec un autre représentant du même groupe (« Tel de [GC] [EY] [LZ] »).

616.Par suite, la circonstance que certaines informations aient pu également être transmises par certains distributeurs, même à la supposer établie, ce qui n'a pas été fait, est sans incidence sur l'existence des contacts entre concurrents.

617.La Cour rappelle également qu'aux termes de son audition, M. [AB] a indiqué « Seuls M. [ZS] [L], Directeur commercial du groupe [Localité 20], et moi-même étions au courant de mes échanges avec les concurrents » (cote 17498), de sorte que la référence à M. [L], figurant dans certaines mentions, loin de remettre en cause l'existence d'un échange téléphonique entre les deux groupes, lui confère au contraire de la crédibilité.

618.Le premier échange reproché, du 12 septembre 2011, visé à la notification des griefs, paragraphe 962, relatif à l'enseigne EMC/Leader Price, est rédigé en ces termes :

« Tel L. [S] [[FA] [S] Directeur d'enseigne LS [LZ]/ Sapresti Traiteur]

le 12/09/11 ([KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] / PC [[ZS] [L], [Localité 20]]). Cherche du volume en snacking / ont capacité 300T (Pic [picorer] + sticks)

ont fait offre chez Casino à 0,61€/p sur Pic 75g (=prix LP).

Fait actuellement des offres en sticks en GMS.

Est à 0,91 sur dte 3x50 chez LP.

Fait également offre en Pic 200g ' [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] doit rappeler pour prix de marché.

Vu [ZS] [L] [[Localité 20]] Fin octobre 11.

A eu TH Deleval [[WE] [XJ], EMC] au tel sur AO Pocket sticks : va se positionner ~1,15 » (cote 135 - 12/0083AC) (soulignement ajouté par la Cour)

619.La référence, en fin de prise de note, à un contact « fin octobre 11 » n'est pas davantage de nature à remettre en cause la datation explicite de l'appel (« Tel L. [S] le 12/09/11 ») dès lors qu'au cours de son audition M. [AB] a indiqué « [j]e n'avais pas tout le temps mon carnet sous la main. Parfois, je prenais des notes sur un Post-It ou sur une feuille volante, que je retranscrivais ensuite dans le carnet » (cote 17494).

620.Enfin, la référence à un contact pris en octobre 2011 avec un salarié d'EMC n'induit pas que l'échange précédent (« Tel [S] le 12/09/11 ») correspondrait à un échange intervenu entre M. [L] et le même représentant d'EMC et qu'il ne s'agirait donc que d'une preuve indirecte. La mention « Tel [S] » est à cet égard sans ambiguïté.

621.La Cour observe également que la circonstance que l'information, « Vu (') fin octobre 11 » selon laquelle CA Animation « va se positionner à ~ 1,5 » sur le stick correspondait à un prix qui avait été proposé à Casino le 23 septembre 2011 ne rend pas l'information tarifaire inexacte, mais souligne uniquement un léger décalage entre la communication et l'application de prix qui n'en demeurent pas moins actuels.

622.En effet, le courriel du 23 septembre 2011 adressé par Sapresti Traiteur à EMC/Casino par lequel lui est proposée une offre de1,15 euros l'uvc sur le stick 100g (cotes VC 14 815, 14 818, 14 819, VNC 15 629, 15 630, 15 631) corrobore la communication d'une offre de prix « en cours ».

623.Le deuxième échange reproché, du 12 septembre 2011, visé à la notification des griefs, paragraphe 966, relatif à l'enseigne EMC/Casino, est rédigé en ces termes :

« Tel L. [S] [[FA] [S]] ([KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] / PC [[ZS] [L], [Localité 20]]) le 12/09/11. Avait passé de la hausse fin 2010 chez LP en contrepartie budget. N'a pas redemandé de hausse cette année » (cote VC 244 12/0083AC) (soulignement ajouté par la Cour)

624.Si cet indice n'est pas corroboré par un élément extérieur, force est de constater qu'il s'inscrit dans un faisceau d'indices (déjà évoqué) qui établissent, ensemble, la participation du groupe CA Animation à l'entente qui lui est reprochée. La crédibilité de cette mention n'est ainsi pas utilement remise en cause. Le positionnement commercial évoqué fait par ailleurs référence à « cette année » de sorte qu'il est vain de prétendre qu'il s'agirait d'informations passées.

625.Le troisième échange reproché, daté « entre le 30 septembre et le 16 janvier 2012 », visé à la notification des griefs, paragraphe 967, relatif à l'enseigne EMC/Leader Price, est rédigé en ces termes :

« Tel LA [LZ] [LA : [FA] [S]] n'a pas information AO sur snacking LP. A demande de budget => propose 1 % sur 2ème semestre en contrepartie hausse 7,5 % » (cote VC 244 12/0083AC) (soulignement ajouté par la Cour).

626.La Cour rappelle qu'en matière d'entente la preuve ressort fréquemment, au regard du caractère souvent restreint des éléments documentaires s'y rapportant, d'un certain nombre de rapprochements et déductions. Il convient de constater, en l'espèce, que si la mention relative à cet échange n'est pas datée, il a raisonnablement été déduit des retranscriptions qui l'encadrent que cet échange est situé entre les deux dates précitées (celle du « 30/09 » qui la précède et celle du « 16/01/12 » qui la suit).

627.La circonstance que le pourcentage de 1 % également évoqué n'aurait pas été proposé par le groupe CA Animation mais aurait été imposé par EMC est indifférent et n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de ces échanges anticoncurrentiels.

628.Enfin, la durée de la période concernée ne saurait conduire à considérer les informations qui y sont mentionnées comme étant des informations « passées ne pouvant avoir un objet anticoncurrentiel et n'ayant pu produire aucun effet anticoncurrentiel », dès lors que le courriel du 9 décembre 2011 qui les corrobore (pièce CA Animation n° 6) précise « nous vous demandons l'application de ces nouveaux prix au 1er janvier 2012 », leur conférant une portée future.

629.Le quatrième échange reproché, du 19 décembre 2011, visé à la notification des griefs, paragraphe 975, est rédigé en ces termes :

« Tel LA [LZ] [[FA] [S]] 19/12 demande hausse ~7,5 % » (cote VC 275 12/0083AC) (soulignement ajouté par la Cour).

630.La circonstance que la demande de hausse évoquée ait été adressée à EMC/ Casino par courriel du 9 décembre 2011 ne confère pas davantage à l'information communiquée au concurrent le 19 décembre 2011 la nature d'un « échange d'information passée » puisqu'elle porte sur une information commerciale sensible en cours, contemporaine de l'échange.

631.Le cinquième échange reproché, du 20 décembre 2011, visé à la notification des griefs, paragraphe 961, relatif à l'enseigne Auchan, est rédigé en ces termes :

« Tel de [GC] [EY] [LZ] [[GC] [EY] [LZ]] AO frais emballé : est

interrogé pour fournir Tranchage de la Jasse sur ' pdts cuit et sec ['] =>

va proposer prix cession fourchette haute »

632.Si cet indice n'est pas corroboré par un élément extérieur, force est de constater qu'il s'inscrit dans un faisceau d'indices (déjà évoqué) qui établissent, ensemble, la participation du groupe CA Animation à l'entente qui lui est reprochée. La crédibilité de cette mention n'est ainsi pas utilement remise en cause.

633.Le sixième échange reproché, daté « entre le 19 et le 23 décembre 2011 », visé à la notification des griefs, paragraphe 969, relatif à l'enseigne EMC/Casino, est rédigé en ces termes :

« Tel LA [LZ] [[FA] [S]] a négocié le stick à 1,13 l'uvc » (cote VC 135 12/0083AC).

634.La Cour constate, à nouveau, que si la mention à cet échange n'est pas datée, il a raisonnablement été déduit des retranscriptions qui l'encadrent que cet échange peut être situé entre les deux dates précitées (celle du 19 décembre qui précède et celle du 23 décembre qui la suit).

635.Le septième échange reproché, du 26 janvier 2012 relatif à l'enseigne EMC/Casino (notification des griefs, § 972) est rédigé en ces termes :

« Tel LA [LZ] [[FA] [S]] le 26/01 Négocie une demande de hausse => a problème sur Picorer car est à 0,61/0,62 chez LP et LA [[FA] [S]] annonce 0,58 chez Casino. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce être à 0,614 de moyenne sur nature et noix (1 peu moins en nature et 1 peu + en noix). LA [[FA] [S]] va suspendre sa demande de hausse sur picorer. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] refusera volume LP si proposé par Casino » (cote VC 135, 137) (soulignement ajouté par la Cour).

636.Dans le contexte d'échanges observé depuis 2011, étayé par un faisceau d'indices, les relevés d'appel de M. [AB] constituent un élément de corroboration suffisant et l'explication apportée par le groupe CA Animation relative aux relations commerciales nouées avec le demandeur de clémence qui suffiraient « à elles seules à justifier l'existence de cet appel » est peu crédible.

637.Il est tout aussi vain de prétendre que la demande de hausse sur les « Picorer » date en réalité

du 9 décembre 2011 et non du 26 janvier 2012, dès lors que la pièce n° 6 évoquait précisément une demande d'application des tarifs « au 1er janvier 2012 ». Cet élément confère à l'information un caractère encore tout à fait actuel concernant la stratégie commerciale du concurrent, permettant de se coordonner.

638.Le huitième échange reproché, du 24 juillet 2012, relatif à l'enseigne EMC/Casino (notification des griefs, § 974) est rédigé en ces termes :

« Tel LA [[FA] [S] ] le 24/07

ACT [actuel] demande Annonce [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]]

Sse dte 3x50g 0,90 1,01 Casino, 1,035 ([LZ] a arrêté de livrer)

0,96 LP

Picorer 75g nature 0,62 0,66 LP Casino 0,675 LP ~0,665, Casino 0,67

Picorer chorizo/Noix 0,73/0,74 0,72 » (cote VC 137) (soulignement ajouté par la Cour)

639.Pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, dans le contexte d'échanges observé depuis 2011, étayé par un faisceau d'indices, les relevés d'appel de M. [AB] constituent un élément de corroboration suffisant et l'explication apportée par le groupe CA Animation relative aux relations commerciales nouées avec le demandeur de clémence qui « suffisent à elles seules à justifier l'existence de cet appel » est peu crédible.

640.Il est tout aussi vain d'invoquer, au stade de la caractérisation des pratiques, une circonstance relative à ses effets, tenant au fait que « CA Animation n'a réussi à passer aucune hausse de prix auprès d'EMC les prix figurant dans le Carnet de M. [AB] étant les mêmes que les prix auxquels il était fait référence le 12 septembre 2011 ».

641.Les moyens sont rejetés.

642.Au regard de la nature de l'ensemble des éléments précités, comme des motifs consacrés à l'absence d'application du régime afférent à la qualification « d'infraction unique, complexe et continue », la décision attaquée n'est pas utilement contestée en ce qu'elle a établi que les groupes Savencia et CA Animation, avaient, pour le premier, participé à des réunions secrètes et échangé des informations avec d'autres entreprises, pour le second, uniquement échangé des informations (à l'exclusion des réunions) avec la concurrence, leur permettant de se concerter, pour la commercialisation de produits de charcuterie crus sous MDD ou premiers prix, pour coordonner leurs demandes d'augmentation de prix auprès des enseignes de la grande distribution et pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution. La Cour précise, s'agissant du groupe CA Animation, que son implication dans l'entente a été circonscrite aux échanges intervenus avec le groupe Campofrio ([Localité 20]), comme le mentionne le paragraphe 646 de la décision attaquée, de sorte qu'il ne lui a pas été reproché le comportement des autres entreprises intervenu au cours de sa participation à l'entente.

643.Ces comportements, qui permettaient aux concurrents d'atténuer ou supprimer toute incertitude quant au caractère prévisible du comportement des concurrents constituent des pratiques contraires à l'article 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, ce que les groupes Savencia et CA Animation n'ont pas davantage utilement contesté.

C. Sur l'objet ou l'effet anticoncurrentiel des pratiques

644.La décision attaquée a retenu que les entreprises en cause avaient mis en œuvre des accords et pratiques concertées au cours de réunions secrètes et d'échanges bilatéraux, d'une part, pour faire passer des demandes de hausses de prix de vente auprès des enseignes de la grande distribution et, d'autre part, pour se concerter, sur les offres de prix à proposer en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution. La participation aux pratiques a en revanche été différenciée selon les entreprises, le groupe CA Animation n'ayant pas participé aux réunions secrètes.

645.Le groupe CA Animation se prévaut du principe d'interprétation stricte de la notion d'objet anticoncurrentiel, qui ne trouve à s'appliquer qu'aux pratiques dont l'expérience acquise des autorités de concurrence doit être suffisamment générale et constante pour démontrer une nocivité manifeste. Il distingue les échanges d'informations portant essentiellement sur les prix, et les paramètres de prix, actuels et futurs, constitutifs de restrictions par objet et ceux portant sur des données passées, susceptibles d'être qualifiés de restrictions de concurrence par effet.

646.Il rappelle que dans l'hypothèse où une pratique ne présente pas un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence, il convient d'en examiner les effets réels et/ou potentiels, en comparant les effets de l'échange avec la situation concurrentielle telle qu'elle se présenterait si cet échange n'avait pas eu lieu.

647.S'agissant de l'objet anticoncurrentiel, il reproche à l'Autorité de ne pas préciser en quoi les quelques contacts parcellaires et non systématiques qui lui sont reprochés, concernant pour l'essentiel des informations passées, pourraient être considérés comme conduisant nécessairement à restreindre la concurrence, si bien qu'il s'avèrerait inutile de démontrer leurs effets concrets sur le marché. Il relève que les décisions mentionnées portent sur des pratiques totalement différentes de celles qui lui sont reprochées, qui ne peuvent constituer une « expérience acquise » lui permettant de retenir la qualification de restriction par objet.

648.S'agissant des effets réels, il considère que l'Autorité n'apporte aucun élément établissant un effet anticoncurrentiel réel. Il se prévaut par ailleurs de l'arrêt du 12 décembre 2018 rendu par le Tribunal de l'Union dans l'affaire Servier, qui a énoncé que, dès lors que des accords ou des pratiques concertées ont été mis en œuvre, l'autorité de poursuite ne peut plus, pour entrer en voie de condamnation, se contenter de prendre en compte des effets potentiels des accords ou pratiques (TUE, 12 décembre 2018, Servier, T-691/14). Il en déduit, dans la mesure où la pratique d'échanges d'informations imputée aurait été mise en œuvre entre le 12 septembre 2011 et le 24 juillet 2012, que l'Autorité aurait dû vérifier l'existence d'effets anticoncurrentiels réels résultant de cette pratique, sans pouvoir se limiter à tenir compte des seuls effets potentiels des échanges d'informations (évoqués au § 594 de la décision attaquée) pour entrer en voie de condamnation.

649.S'agissant des effets potentiels, il invite la Cour à constater qu'ils ne sont pas établis dans la mesure où l'Autorité s'est abstenue de démontrer de manière concrète en quoi les échanges auraient pu réduire l'incertitude sur le marché et concourir à la fixation de prix supérieurs à ceux qui auraient résulté d'une situation normale de concurrence. Il soutient, au surplus, au regard des développements relatifs au dommage causé à l'économie, que les pratiques n'ont pu produire aucun effet compte tenu, d'une part, du pouvoir de négociation important des enseignes de la GMS, d'autre part, du fonctionnement de l'entente caractérisé par une absence de mécanisme de police et de représailles qui n'était pas de nature à contrer ce pouvoir de négociation.

650.L'Autorité relève que si certains échanges entre salaisonniers ont pu porter sur des hausses de prix passées, de nombreux autres ont, sans conteste, porté sur des hausses de prix futures auprès des distributeurs et se sont situés en amont des soumissions aux appels d'offres des distributeurs. Elle en déduit que ces échanges d'informations sont par objet anticoncurrentiels et qu'en tout état de cause, les informations sur les hausses de prix passées, qui ne sont pas publiquement disponibles et qui présentent un caractère récent, sont sensibles d'un point de vue de la concurrence et ne sauraient faire l'objet d'échanges entre concurrents.

651.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent cette analyse.

Sur ce, la Cour :

652.À titre liminaire, la Cour renvoie aux paragraphes 371 et suivants pour l'exposé des principes gouvernant l'interprétation stricte de la notion de restriction par objet et, sur cette base, examinera les pratiques visées par le grief n° 2.

653.En l'espèce, s'agissant, en premier lieu, de la teneur de ces pratiques, la Cour rappelle que l'infraction en cause s'est matérialisée au travers de réunions secrètes et d'échanges bilatéraux intervenus entre concurrents, ayant pour objet les prix pratiqués auprès des enseignes de la grande distribution ou proposés en réponse à leurs appels d'offres. Si le groupe CA Animation n'a participé à cette infraction qu'à la faveur de huit échanges bilatéraux, celle-ci n'en demeure pas moins une entente ayant conduit des entreprises en concurrence sur le même marché à partager des informations sensibles sur leurs prix et leur ayant permis d'adapter leurs stratégies respectives, faussant le libre jeu de la concurrence.

654.Il n'est pas contesté que, dès la première réunion du 26 avril 2011, l'objet des discussions portait sur des projets de hausse de prix de produits de charcuterie vendus sous MDD à faire passer auprès de la grande distribution et que les parties aux réunions multilatérales ont manifesté leur volonté d'adopter une position commune en la matière, ce que révèlent clairement les notes prises par M. [CR] [GB] (directeur commercial de la société Salaison [SV]/Coop) :

« Ordre du jour, hausse de tarif. Il faut essayer d'avoir une position commune. Il faut se battre sur le taux et la date. Chez Casino la réponse à l'appel d'offre correspond au tarif + hausse de 5 % minimum (') ». (Côte VNC 9636)

655.Il n'est pas davantage contesté que les réunions suivantes ont donné lieu à une intensification des échanges, plus détaillés et chiffrés, les hausses de tarifs en cours ou souhaitées ayant été abordées client par client. La Cour renvoie à cet égard aux déclarations, extraits de notes et Carnet reproduits dans la décision attaquée (§ 202 à 220).

656.S'agissant des échanges bilatéraux, auxquels le groupe CA Animation a pris part, il résulte des motifs qui précèdent relatifs aux huit échanges déjà analysés, que les informations communiquées, en lien avec la tarification en cours ou souhaitées, correspondaient bien à des données commercialement sensibles actuelles ou futures, et non à des informations passées.

657.Les notes prises lors des nombreux échanges bilatéraux par M. [AB] (Campofrio), ainsi que l'ensemble des éléments venant les étayer, établissent qu'un volet des pratiques a consisté pour les concurrents du secteur MDD à coordonner leurs réponses aux appels d'offres des clients de la grande distribution. À titre d'illustration, la Cour renvoie à la mention du Carnet relative à l'échange du 24 juillet 2012, visé à la notification des griefs, paragraphe 757, indiquant « Tel EB [[NC] [K] [XI]] le 24/07 => Ne répond pas sur LP [Leader Price] et si répond sera calé sur prix ci-dessus [tableau] » (cote VC 137 12/0083AC).

658.Il ressort également des pièces de la procédure qu'au-delà de cette coordination entre concurrents sur des appels d'offres spécifiques, un flux continu d'échange d'informations, instaurant un grand niveau de transparence dans ce marché, s'est instauré à la faveur d'un grand nombre d'appels téléphoniques entre concurrents, consigné dans de multiples notes du Carnet.

659.La nature des échanges reprochés au groupe CA Animation, qui y ont concouru, est sans équivoque à cet égard, peu important, au stade de la qualification, que leur nombre se soit limité à huit échanges. La Cour renvoie, à titre d'illustration, à l'échange du 12 septembre 2011, visé à la notification des griefs, paragraphe 962, relatif à l'enseigne EMC/Leader Price (« Tel L. [S] le 12/09/11 ([KT] / PC). Cherche du volume en snacking / ont capacité 300T (Pic [picorer] + sticks) ' ont fait offre chez Casino à 0,61€/p sur Pic 75g (= prix LP). Fait actuellement des offres en sticks en GMS. Est à 0,91 sur dte 3x50 chez LP. Fait également offre en Pic 200g ' [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] doit rappeler pour prix de marché. (') » (cote 135 - 12/0083AC).

660.Comme l'a justement retenu la décision attaquée, les contacts, sous forme de réunions multilatérales ou d'échanges bilatéraux, peuvent être assimilés à des pratiques concertées ayant concouru, soit directement, soit indirectement, à la fixation de hausses tarifaires à un niveau supérieur à celui qui aurait résulté d'une situation de concurrence non faussée, en diminuant significativement l'incertitude lors de chaque appel d'offre.

661.L'objet de telles pratiques est par nature anticoncurrentiel.

662.S'agissant, en deuxième lieu, de l'existence d'une expérience acquise, la Cour renvoie, d'abord, aux termes de l'article 101 du TFUE qui prohibe expressément, comme contribuant à restreindre la concurrence, les pratiques consistant à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat, à l'instar de l'article L. 420-1 du code de commerce, qui prohibe expressément les pratiques tendant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse. Elle rappelle, ensuite, ainsi que l'a jugé la Cour de justice, qu'il n'est nullement requis que le même type d'accords que l'accord litigieux ait déjà été condamné pour que celui-ci puisse être considéré comme restrictif de la concurrence par objet, et ce alors même qu'il intervient dans un domaine spécifique (CJUE, 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, C-611/16 P, points 119). En effet « [a]ux fins de la qualification de 'restriction par objet- d'un accord donné, seules importent les caractéristiques propres de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85], dont doit être déduite l'éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l'issue d'une analyse détaillée de cet accord, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s'insère » (même arrêt, point 120).

663.S'agissant, comme en l'espèce, de pratiques contrevenant au principe d'autonomie dont les entreprises doivent faire preuve lorsqu'elles sont en concurrence sur un marché, notamment à raison de contacts révélant aux concurrents les politiques commerciales et les stratégies envisagées à l'égard des fournisseurs, la jurisprudence européenne rappelle avec constance que « ce type d'accords se heurte de manière patente à la conception inhérente aux dispositions du traité CE relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché. L'article 81, paragraphe 1, CE vise en effet à interdire toute forme de coordination qui substitue sciemment une coopération pratique entre entreprises aux risques de la concurrence. Tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché » (CJCE, 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society Ltd/Commission, C-209/07, points 33 et 34). Il est donc vain de soutenir qu'aucune expérience acquise ne peut être invoquée au soutien de la qualification de restriction par objet.

664.En tout état de cause, l'analyse circonstanciée qui suit rend la critique soutenant l'absence d'expérience acquise inopérante.

665.Ainsi, s'agissant, en troisième lieu, du contexte économique et juridique, il est constant que les pratiques sont intervenues dans un contexte de marché sous tension du fait des hausses de prix des matières premières et que ces échanges ont ainsi permis aux participants d'obtenir une meilleure visibilité sur les actions de leurs concurrents et, le cas échant, de coordonner leurs actions auprès de certains clients ou, à tout le moins, ainsi que la décision attaquée l'a justement relevé, de mettre à profit ces informations pour ajuster leur stratégie commerciale lors de la négociation avec leurs clients respectifs.

666.Il n'est pas contestable que les industriels mis en cause ont pu être soumis à une double pression entre, en amont, la flambée du prix du porc et, en aval, un rapport de force déséquilibré favorable aux acheteurs, les grandes surfaces alimentaires. Il est néanmoins de jurisprudence constante que l'anticipation d'éventuelles difficultés entre opérateurs économiques ne peut justifier de tels comportements.

667.En définitive, la pratique a, par sa nature même, un caractère anticoncurrentiel, indépendamment du contexte qui a pu en limiter l'intensité des effets. Ainsi, si le fort pouvoir de négociation auxquelles sont confrontées les entreprises en cause, en amont et en aval, peut avoir une incidence sur l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques, cette circonstance n'est pas de nature à justifier leurs concertations ni à exclure la caractérisation de l'infraction et sa qualification de restriction par objet.

668.À cet égard, si la décision attaquée a pris en compte un certain nombre de facteurs extérieurs pour retenir, dans le cadre de son appréciation du dommage causé à l'économie, que les effets de la pratique ont été très limités (§ 853), elle n'a pas constaté que la pratique avait été dépourvue de tout effet sur le marché. Il ressort d'ailleurs des constatations qui précèdent qu'en bénéficiant de la transparence offerte par ces échanges, les entreprises ont modifié les paramètres normaux du jeu de la concurrence et nécessairement influencé les conditions dans lesquelles les offres de prix se sont formées.

669.La pratique relevant d'une restriction de concurrence par objet, l'Autorité n'était pas tenue d'en établir les effets réels pour faire application de l'article 101, § 1, du TFUE.

670.Les moyens du groupe CA Animation sont rejetés.

IV. SUR LE GRIEF N° 3

671.La décision attaquée a retenu que seize sociétés (dont notamment [Localité 20] et Jean Caby [groupe Campofrío], Aubret, Brocéliande-ALH [groupe Cooperl], Herta [groupe Nestlé] les filiales SCO/SCSG et leurs sociétés mères [groupe Les Mousquetaires], ainsi que les Charcuteries Gourmandes [groupe CFPR] ) avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE, en s'accordant et se concertant pour la commercialisation de produits de charcuterie cuits sous MDD ou 1er prix pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution.

672.Elle s'est appuyée sur :

- les déclarations du groupe Campofrío, primo-demandeur de clémence, qui a révélé l'existence de contacts fréquents avec ses concurrents, via des appels téléphoniques bilatéraux, dans le secteur de la vente de produits de charcuterie cuite ;

- la copie certifiée conforme du Carnet de M. [AB], fournie par le groupe Campofrío dans le cadre de la procédure de clémence, recensant les échanges bilatéraux intervenus entre lui (société Jean Caby, du groupe Campofrío) et les représentants de six charcutiers salaisonniers concurrents ;

- Et les éléments considérés comme corroborant ces échanges (relevés téléphoniques, courriels)

A. Sur l'imprécision, alléguée, de la notification du grief n° 3

673.Les filiales Mousquetaires SCSG et SCO soutiennent que le défaut de précision suffisante de la notification de griefs relative au grief n° 3 ne leur a pas permis d'assurer effectivement leur défense, en violation du droit à un procès équitable.

674.Elles rappellent que cette notification de griefs évoque leur participation à une pratique d'organisation des réponses aux appels d'offres de charcuterie cuite MDD à différents stades (énoncé du grief lui-même, imputabilité des pratiques, participation individuelle des entreprises') ce qui ne correspondait pas à ce qui figure au dossier concernant SCO et a fortiori concernant les sociétés Salaisons Celtiques et Salaisons du [Localité 63]. Elles relèvent que le seul indice, issu du Carnet remis par Campofrío, était relatif à une information générale sur les niveaux de prix de certains produits (les knacks) et qu'elles en avaient déduit qu'il s'agissait d'une erreur puisque des échanges sur des niveaux de prix en général ne peuvent être assimilés à une pratique de concertation des réponses à des appels d'offres. Elles expliquent n'avoir dès lors consacré que cinq pages à cette question, en attendant que l'erreur soit rectifiée au stade du rapport. Elles observent que, loin d'y procéder, le rapport a significativement complété le libellé du grief pour tenter de régulariser son imprécision initiale, en exposant, outre des coordinations de réponse aux appels d'offres au titre desquelles aucune des sociétés du groupement Mousquetaire n'est citée (point 568 et s.), un nouveau développement consacré aux « échanges au sujet des hausses tarifaires à faire passer auprès des distributeurs » (points 575 et s.), dont il n'avait été nulle part question au stade de la notification de griefs. Elles constatent que ce pan additionnel du grief n° 3 introduit dans le rapport, qui n'avait aucune substance, n'a finalement pas été retenu dans la décision attaquée et n'avait manifestement eu pour but que de rattacher les sociétés du groupement au grief initialement notifié.

675.L'Autorité fait valoir que la notification de grief doit être lue à l'aune de l'ensemble des éléments qui y sont exposés, incluant les échanges opposés à SCO visés aux paragraphes 1444 à 1450 de cette notification, dont certains se rattachent expressément aux prix facturés à certaines enseignes (EMC/Leader Price et Provera/Cora). Elle relève, comme cela a été fait aux paragraphes 382 et 1219 de la notification de griefs, que M. [AB] ([Localité 20]/Jean Caby/Campofrío) a dénoncé, s'agissant des produits cuits, des pratiques d'échanges bilatéraux entre concurrents, en précisant que ces échanges avaient « généralement » lieu « en amont des soumissions d'appels d'offres de la GMS ». Elle en déduit qu'il n'a, ainsi, pas exclu d'autres types d'échanges entre les groupes Campofrío et Les Mousquetaires, tels ceux portant sur des hausses générales de prix, décrits aux paragraphes 1444 et suivants de la notification des griefs. Elle ajoute que les éléments matériels concernant les pratiques mises en œuvre pour les produits de charcuterie cuits sont clairement indiqués pour chacune des sociétés mises en cause et notamment celles du groupe Les Mousquetaires, aussi bien dans la notification des griefs que dans le rapport et la décision attaquée.

676.Le ministre chargé de l'économie rappelle, comme l'Autorité, que la précision de la notification de griefs n'exclut pas que les juges d'appel et de cassation recherchent, dans le corps même de la notification de griefs, la portée de ces derniers et observe que les pratiques qui sont décrites par la notification de griefs font partie intégrante du grief n° 3. Il invite en conséquence la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour :

677.Le respect des principes fondamentaux de la procédure, que sont le respect du contradictoire, des droits de la défense et du droit à un procès équitable, impose que les faits soient formulés de manière suffisamment précise et les pratiques incriminées étayées d'éléments de preuve suffisants pour que les parties puissent préparer utilement leur défense.

678.En l'espèce, aux termes de la notification des griefs consacrée au grief n° 3 (page 352), il a été reproché à plusieurs entreprises, dont les filiales Mousquetaires SCSG et SCO « au titre de leur participation directe », de « s'être accordées et concertées, pour la commercialisation de produits de charcuterie cuits sous marque de distributeur ou sous premier prix, du 1er juillet 2010 au 19 septembre 2012, pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, grâce à des échanges d'informations ».

679.Au paragraphe 1528 (page 292), la notification de griefs indique qu'« [e]n l'espèce, il ressort des constatations exposées dans la première partie de cette notification des griefs que trois séries de pratiques ont été mises en œuvre », la troisième correspondant à « des accords et pratiques concertées entre sept charcutiers-salaisonniers, en matière de produits cuits, sur les offres, notamment en prix, à proposer en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution ».

680.Au paragraphe 1543 (page 295), elle précise qu'« [e]n l'espèce, il ressort des constatations exposées dans la première partie de cette notification des griefs que sept entreprises (les groupes d'Aucy, Campofrío, Cooperl Arc-Atlantique, FTL, Les Mousquetaires, Nestlé, Roullier), par l'intermédiaire de dix-sept sociétés (Aubret, [Localité 20], Jean Caby, Cooperl Arc Atlantique, Brocéliande - ALH, Etablissements Germanaud et Cie, Financière Turenne Lafayette, Géo, Madrange, Paul Prédault, Salaisons de l'Arrée, Salaisons Celtiques, Salaisons du [Localité 63], SCO, Herta, Charcuteries Gourmandes, Compagnie Financière et de Participations Roullier) ont mis en œuvre des accords et pratiques concertées, en matière de produits cuits. Elles se sont ainsi accordées et concertées sur les offres, notamment en prix, à proposer en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution (notamment Carrefour, Auchan, Leclerc, Casino, Système U, ITM, Cora, Aldi, Lidl, Metro) ».

681.Elle indique ensuite que l'existence de ces accords et pratiques concertées ressortait, « en premier lieu, des déclarations du groupe Campofrío premier demandeur de clémence ayant dénoncé des échanges bilatéraux entre concurrents, généralement en amont des soumissions aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution » (§ 1544), en second lieu, « des pièces du dossier et, notamment, des éléments communiqués par le groupe Campofrío » : notamment, « le Carnet de Monsieur [KT] [AB] dans lequel le directeur commercial des activités MDD d'[Localité 20], Jean Caby et Salaisons Moroni, a consigné la date et le contenu de ses échanges avec ses concurrents, ainsi que des relevés téléphoniques corroborant l'existence des échanges bilatéraux dénoncés (voir les constatations exposées dans la première partie de cette notification des griefs) » (§ 1545).

682.Cette indication reprenait les précisions fournies au paragraphe 1219 (page 249), selon lesquelles « [s]'agissant des produits cuits, le premier demandeur de clémence a dénoncé des pratiques d'échanges bilatéraux entre concurrents, généralement en amont des soumissions aux appels d'offres de la GMS. Il a ainsi relaté ses échanges avec FTL (ex-CCA) pour Paul Prédault, Madrange, Aubret, Cooperl/Brocéliande, Charcuteries Gourmandes, SCO-Monique Ranou, Herta ».

683.Au paragraphe 1222 (page 250), elle a par ailleurs mentionné que « M. [KT] [AB] a également expliqué qu'à la différence des pratiques relatives aux produits crus, celles relatives aux produits cuits ne se sont pas accompagnées de réunions entre concurrents ».

684.En cet état, les « accords et pratiques concertées » reprochés aux sept charcutiers-salaisonniers identifiés, « en matière de produits cuits, sur les offres, notamment en prix, à proposer en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution » étaient présentés comme ayant été mis en œuvre au moyen « d'échanges bilatéraux entre concurrents », d'une part, et intervenant « généralement en amont des soumissions aux appels d'offres de la GM », d'autre part. Ce libellé ne limite donc pas la portée du grief aux seuls échanges intervenant « en cours d'appels d'offres » et les mentions « offres (') à proposer en réponse » et « généralement en amont » incluent clairement les échanges préparatoires à des appels d'offres. Formulé en termes clairs, il permettait d'apprécier la nature des pratiques reprochées.

685.Aux paragraphes 1444 à 1450 de la notification de griefs, introduits par le titre « Échanges entre Jean Caby et SCO-Monique Ranou », la notification identifie, à ce stade, des échanges « Sur EMC/ Leader Price », « Sur Provera/ Cora », et « Sur les 'Divers tarifs- du Carnet Jean Caby », exposant leur date, leur objet et les cotes sur la base desquelles ces échanges ont été retenus :

- échange téléphonique du 3 janvier 2012 entre Jean Caby et SCO-Monique Ranou sur la demande de hausse knacks et cocktails EMC Leader Price (cote 135 - 12/0083AC) et un courriel du 9 décembre 2011 de nature à en confirmer la teneur (cotes 15093, 15096) ;

- échanges téléphoniques « entre le 9 septembre 2011 et janvier 2012 » (cote 173 - 12/0083AC) ;

- échanges téléphoniques des 30 mars 2011 et 5 décembre 2011 sur une demande transversale de hausses de prix pour les knacks (cote 275 - 12/0083AC) et un courriel du 9 décembre 2011 de nature à en confirmer la teneur (cotes 15093, 15096).

686.La notification de griefs relative au grief n° 3 a ainsi identifié clairement les pièces sur lesquelles s'appuyaient les poursuites à l'encontre du groupe Les Mousquetaires et la nature des échanges reprochés.

687.Au paragraphe 1548, la notification de griefs a déduit de ces éléments qu' « [i]l ressort de l'ensemble de ce qui précède que, du 1er juillet 2010 au 19 septembre 2012, les groupes d'Aucy, Campofrío, Cooperl Arc-Atlantique, FTL, Les Mousquetaires, Nestlé, Roullier se sont accordés et se sont concertés, en matière de produits cuits, pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution ».

688.Au paragraphe 1598, elle a encore indiqué que « [p]our établir si les accords et pratiques concertées entre les sept entreprises concernées, en matière de produits cuits, sur les offres, notamment en prix, à proposer en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution présentent un objet anticoncurrentiel, il convient d'examiner si, par leur nature même, et compte tenu du contexte économique et juridique dans lequel elles s'inscrivent, ces pratiques sont susceptibles d'avoir restreint la concurrence ».

689.Au paragraphe 1600, elle a retenu qu' « [e]n se concertant et en s'accordant, en matière de produits cuits, sur les offres, notamment en prix, à proposer en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, les sept entreprises concernées ont imposé sur le marché français de la commercialisation de produits de charcuterie et salaisonnerie MDD un mode d'organisation substituant au libre jeu de la concurrence, à l'autonomie et à l'incertitude des opérateurs, une collusion généralisée entre les principaux charcutiers-salaisonniers ».

690.Enfin, dans des développements intitulés « Sur les accords et pratiques concertées entre charcutiers-salaisonniers relatifs à la commercialisation des produits cuits de charcuterie MDD et 1er prix » (pages 315 à 319), cette notification des griefs a identifié, pour chaque entreprise, l'identité et la qualité des personnes physiques considérées comme ayant participé aux pratiques litigieuses. Dans la partie dénommée « Les sociétés du groupe Les Mousquetaires impliquées dans les pratiques », la notification a identifié plus précisément « M. [NC] [PJ] (cote 335 - 12/0083AC) » (§ 1707, page 318).

691.À cet égard, la Cour relève que la cote 335 à laquelle il est fait référence correspond à la dernière page d'une annexe 5 « liste et coordonnées des participants aux pratiques » qui indique :

« [p]ar souci de complétude, le tableau ci-dessous liste les entreprises avec lesquelles des contacts occasionnels ont pu avoir lieu par le passé :

SOCIETE

NOM

INITIALES UTILISEES DANS LE CARNET

(le cas échéant)

TELEPHONE

Charcuteries Gourmandes

[KU] [ST]

FF

06 XXXXXXXX

Delpeyrat

[DD] [PL]

06 XXXXXXXX

Eurexia

C.Dayo

[Adresse 64]

Régis Benezeth

06 XXXXXXXX

Herta

[HH] [VE]

DV

06 XXXXXXXX

01 XXXXXXXX

Onno (ITM)

E.[PJ]

[LZ]

[FA] [S]

[GC] Laudriot

L.[S]

06 XXXXXXXX

06 XXXXXXXX

Salaisons Debroas

[X] Dutertre

Salaisons Moroni (chorizo)

[RO] [EX]

LPP

06 XXXXXXXX

05 XXXXXXXX

Annexe 5- Liste des participants.DOC/+ 160487-0001 »

(Les numéros de téléphone apparaissant dans le tableau ont été occultés par la Cour et le caractère gras ajouté par la Cour)

692.La notification précise que « Onno » est l'une des quatre marques MDD distribuées par le groupe Les Mousquetaires (ITM) (§ 1708) et indique à quel titre M. [PJ] intervenait dans la commercialisation des marques MDD hors groupement Mousquetaires pour le compte des filiales Salaisons du [Localité 63], Salaisons Celtiques et SCO, celui-ci ayant été directeur du pôle carné de Salaisons du [Localité 63] de 2010 à 2012 et mis à disposition des deux autres filiales dans le cadre d'un contrat de prestations de service (§ 1708 à 1710). Elle a également rappelé l'activité de ces filiales, portant sur la commercialisation des produits de charcuterie cuite (§ 1711).

693.Un tableau figure en pages 321, dans une partie « c) Synthèse de la participation individuelle des entreprises aux infractions », présentée de la manière suivante concernant les requérantes :

Dénomination sociale

Numéro d'identification

Grief n° 1

Grief n° 2

Grief n° 3

Groupe Les Mousquetaires

Salaisons Celtiques

862 500 279

X

X

Salaisons du [Localité 63]

388 199 143

X

SCO

342 048 055

X

694.La notification relative au grief n° 3, qui ne se limite pas aux termes figurant en page 352 mais doit être lue à l'aune de l'ensemble des éléments qui sont exposés dans la notification de griefs, est ainsi suffisamment précise pour que les parties aient été mises en mesure de préparer utilement leur défense.

695.Le groupe Les Mousquetaires a présenté des observations à tous les stades de la procédure (en réponse à la notification des griefs et au rapport, en séance et encore devant la Cour), se voyant même accorder certaines prorogations de délai pour y procéder dans les meilleures conditions, et a versé des pièces au soutien de sa défense.

696.Le moyen n'est pas fondé.

B. Sur la qualification applicable aux pratiques

697.SCO rappelle, en premier lieu, que les pratiques concernées par le grief n° 3 ont été qualifiées « d'accord » et qu'aux termes de la notification des griefs, point 1523, il a été précisé qu'un tel accord suppose que les entreprises « s'entendent sur un plan commun qui limite ou est susceptible de limiter leur comportement commercial respectif en déterminant les lignes de leur action ou abstention réciproque sur le marché. (') [C]e plan commun d'action anticoncurrentiel fixe une stratégie commune : l'accord a un objet précis, par exemple se partager le marché ou encore fixer des prix à un certain niveau. En s'accordant sur les termes de ce plan, les entreprises savent qu'elles s'entendent et que cette entente aura des conséquences ». Elle observe que la décision attaquée a également qualifié les comportements allégués de « pratiques concertées », ce qui suppose tout autant la démonstration d'un « but commun » et de l'adhésion des différentes entreprises à ce but commun. Or, elle considère que l'Autorité n'a pas démontré en l'espèce que le grief n° 3 constituait un accord ou une pratique concertée d'organisation des réponses aux appels d'offres, dès lors qu'elle n'a pas établi l'existence d'un plan commun auquel les entreprises auraient adhéré. Elle ajoute que le Carnet remis par Campofrío, partie intégrante des déclarations du demandeur de clémence à défaut de pouvoir être considéré comme un document contemporain des pratiques, ne conforte que l'échange bilatéral d'informations de certains acteurs avec Campofrío, le cas échéant, sur des sujets d'appels d'offres, sans jamais faire état ni soutenir l'existence d'un plan commun d'organisation des appels d'offres qui aurait été partagé par M. [AB] avec chacun de ses interlocuteurs. Elle considère qu'il en est de même des autres éléments décrits, tels les relevés téléphoniques et certaines réponses faites par les entreprises aux appels d'offres.

698.En deuxième lieu, elle soutient que son adhésion à une concertation sur les réponses aux appels d'offres, à sept, ou même à deux entreprises, n'est pas plus établie et que la décision attaquée ne contient d'ailleurs aucun développement dédié à cette démonstration. Elle constate que les paragraphes 698 à 702 de la décision attaquée dédiés à l'établissement de sa participation aux pratiques évoquent quatre indices de contacts bilatéraux avec Campofrío qui, au demeurant, ne concernent pas des appels d'offres de distributeurs mais des informations vagues sur le niveau général des prix. Elle reproche ainsi à l'Autorité d'avoir, sur la base de prétendus échanges avec une seule autre entreprise et en l'absence de toute expression ou même connaissance alléguée d'un but commun, retenu sa participation à une coordination entre de multiples entreprises ayant pour objet de coordonner leurs réponses aux appels d'offres.

699.Elle ajoute que ni la déclaration de clémence (saisine 12/0083AC, cote 334), ni aucune autre entreprise d'ailleurs, n'identifiait SCO ou une entité du groupement parmi les « concurrents impliqués dans les pratiques ». elle constate également que le demandeur de clémence avait même pris soin de préciser aux services d'instruction que les mentions du Carnet visant SCO (ou plus exactement M. [NC] [PJ]) concernant le groupe Casino (Leader Price) « ne concernai[en]t pas un appel d'offre particulier » (saisine 13/0006F, cote 46772) et « par souci de complétude » qu'il avait signalé que « de manière tout à fait marginale » quelques échanges auraient « également occasionnellement eu lieu » avec quelques autres entreprises, dont « Onno (ITM) », ce qui visait Salaisons Celtique et non SCO.

700.Elle fait encore valoir, en réplique à l'Autorité, que dès lors que la pratique n'est pas une ICC, l'Autorité aurait dû, conformément à la jurisprudence Transdev (CA [Localité 73], arrêt du 13 décembre 2018, RG n° 12/12066, § 71) prouver l'existence d'échanges avec chacun des membres de l'entente alléguée, afin d'aboutir à la caractérisation d'un « accord » ou d'une « pratique concertée » entre l'ensemble des parties, visés au grief n° 3.

701.L'Autorité relève, d'abord, qu'elle n'a pas qualifié le grief n° 3 d'ICC, mais a considéré qu'il recouvrait la participation à des échanges bilatéraux entre charcutiers salaisonniers, et rappelle qu'elle peut librement décider de ne pas retenir cette qualification qui, sans constituer une nouvelle forme d'infraction, offre des facilités procédurales permettant d'appréhender des comportements illicites composites, dès lors que ceux-ci poursuivent un objectif unique.

702.Elle estime, ensuite, que, même à supposer que cette qualification doive être appliquée aux pratiques, cela n'exonère pas les requérantes de leur participation à l'infraction dès lors qu'elles ont été mises en mesure, au cours de la procédure administrative, de comprendre qu'il leur était également reproché certains des comportements composant cette infraction, et donc de se défendre sur ce point. Elle invoque la jurisprudence européenne en ce sens (notamment, CJUE, 6 décembre 2012, Verhuizingen Coppens, C-441/11, point 47). Elle ajoute que le fait qu'une entreprise n'a pas participé à tous les éléments constitutifs d'une entente ou qu'elle a joué un rôle mineur est indifférent au stade de la qualification et ne doit être pris en compte qu'au stade de la détermination de la sanction.

703.Le ministre chargé de l'économie relève que dans leur notification de griefs, les services d'instruction ont reproché aux sociétés mises en cause de s'être « accordées et concertées » sans soutenir la thèse de l'existence d'un plan d'ensemble auquel elles auraient adhéré. Il en déduit que l'existence d'un tel plan n'avait donc pas à être démontrée et que c'est ainsi à juste titre que la décision s'est fondée sur des échanges anticoncurrentiels bilatéraux pour établir la participation de SCO aux pratiques visées par le grief n° 3. Il conclut au rejet des moyens.

704.Le ministère public rappelle que la démonstration de l'existence d'un plan commun se limite à l'hypothèse d'une ICC, que la décision attaquée n'a pas retenu une telle qualification mais a considéré que le grief n° 3 recouvrait la participation à des échanges bilatéraux entre charcutiers-salaisonniers. Il en déduit qu'il n'était dès lors pas attendu d'elle de démontrer l'existence d'un plan commun.

Sur ce, la Cour :

705.La Cour rappelle que la prohibition énoncée à l'article 101 du TFUE vise « tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées » qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment de fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction, ou encore de limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements.

706.La Cour renvoie aux paragraphes 487 et suivants du présent arrêt qui rappellent l'interprétation donnée par la Cour de justice concernant les notions d'accords, de pratiques concertées et d'« infraction unique et complexe » qu'elle a consacrée.

707.Il en ressort que cette dernière notion ne renvoie pas à une nouvelle forme d'infraction, mais à un régime offrant des facilités procédurales permettant d'appréhender ensemble, dès lors qu'ils s'inscrivent dans un « plan d'ensemble » visant un objectif unique, des comportements illicites complexes que les qualifications d'accords ou de pratiques concertées classiques ne permettent pas toujours d'apprécier à leur juste mesure. Il n'existe donc aucune obligation pour l'Autorité de recourir à une telle qualification, comme celle-ci le relève à juste titre.

708.En l'espèce, la Cour renvoie aux constats opérés aux paragraphes 678 et suivants du présent arrêt, dont il ressort que la notification de griefs, le rapport et la décision attaquée ont reproché aux entreprises visées par le grief n°3 de « s'être accordées et concertées » par le biais d'échanges bilatéraux.

709.L'implication individuelle de chaque entreprise dans des échanges bilatéraux a été analysée et, concernant les sociétés du groupe Mousquetaire, incluant SCO, les services d'instruction ont estimé que les pièces du dossier (examinées aux paragraphes 1444 à 1450 de la notification des griefs) établissaient que M. [NC] [PJ] avait participé aux pratiques constatées et qu'il était intervenu pour le compte des filiales SCO et SCSG.

710.Le rapport a relevé que « l'existence des échanges bilatéraux entre concurrents recensés dans la notification des griefs au titre du grief n° 3 » était établie sur la base des éléments de preuve qu'il a listés au paragraphe 552 et a renvoyé au tableau constituant l'annexe n° 4 du rapport, consacrant un onglet aux échanges du groupe Campofrío:

- avec la société Aubret ;

- avec Charcuterie Gourmande(groupe CFRPR) ;

- avec le groupe Cooperl Arc-Atlantique ;

- avec le groupe FTL ;

- avec le groupe Les Mousquetaires ;

- avec le groupe Nestlé.

711.Il a ensuite rappelé, aux paragraphes 566 et 567, que les services d'instruction n'avaient pas recouru à la notion d' « infraction complexe, unique et continue » mais avaient retenu la qualification « d'accords et de pratiques concertées ».

712.Il ressort ainsi de la lettre de la notification de griefs et du rapport que les services d'instruction n'ont pas qualifié les pratiques d' « ICC », notion à laquelle ils n'ont jamais fait référence pour mettre en œuvre les poursuites et, compte tenu des principes rappelés au paragraphe 707 du présent arrêt, qu'une telle qualification ne s'imposait ni aux services d'instruction, ni au collège.

713.S'appuyant sur le postulat erroné que le grief n° 3 notifié relevait du régime de l'ICC, SCO n'est pas fondée à soutenir que son adhésion à un plan d'ensemble devait être caractérisée pour que l'Autorité puisse, à supposer l'infraction caractérisée par des éléments matériels suffisants, la sanctionner au titre de l'entente en cause.

714.À cet égard, la Cour relève qu'à l'instar du rapport, la décision attaquée s'est attachée à examiner les échanges bilatéraux caractérisant, selon elle, l'entente poursuivie, à l'aune des critères inhérents aux notions de pratiques concertées et d'accords et à définir les responsabilités de chacune des entreprises au regard de leurs agissements propres. L'Autorité n'a donc pas davantage appliqué le régime de responsabilité inhérent à la qualification d'ICC.

715.La Cour constate également, qu'au paragraphe 863, la décision attaquée a indiqué « qu'il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, du fait qu'une entreprise n'est pas tenue responsable de toutes les pratiques concertées constitutives d'une entente unique ». Ce faisant l'Autorité a entendu analyser l'intensité de la participation des sociétés du groupe Les Mousquetaires à l'infraction qu'elle considérait établie, au regard des comportements qui leur étaient propres (§ 888), pour déterminer le montant de la sanction à leur infliger. Elle n'a pas fait application du régime inhérent à la notion d'ICC qui aurait permis, en la supposant caractérisée, d'imputer au groupe Les Mousquetaires la responsabilité des comportements mis en œuvre par les autres entreprises, dans le cadre de la même infraction, pour toute la période de sa participation à l'entente.

716.La décision attaquée n'était donc pas tenue de démontrer l'existence et l'adhésion à un plan commun pour pouvoir faire application de l'article 101 du TFUE à l'encontre des sociétés en cause. Le moyen est rejeté.

C. Sur la caractérisation d'échanges anticoncurrentiels et la participation à l'entente

717.Sur la base des constatations exposées aux paragraphes 190 et suivants, la décision attaquée a retenu, s'agissant des produits de charcuterie cuite (grief n° 3), comme il a déjà été dit, que sept entreprises (les groupes Campofrío, Cooperl Arc Atlantique, FTL, Les Mousquetaires, Nestlé et Roullier, ainsi que la société Aubret), ont mis en œuvre des accords et pratiques concertées, dans le cadre d'échanges bilatéraux, pour se concerter sur les offres de prix à proposer, notamment en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution (§ 570 de la décision attaquée).

718.Concernant SCO-Monique Ranou (groupe Les Mousquetaires), elle a retenu une participation du 30 mars 2011 au 3 janvier 2012, sur la base de quatre échanges téléphoniques avec la société Jean Caby, examinés aux paragraphes 273 à 275 de la décision attaquée.

719.Elle a ensuite retenu l'imputabilité des pratiques en tant qu'auteures aux sociétés Salaisons Celtiques, Salaisons du [Localité 63] et S.C.O (§ 760 et suivants) au motif que M. [PJ], mentionné comme partie aux échanges dans les notes du Carnet, était, de 2010 à 2012, employé de la société Salaisons du [Localité 63] en qualité de directeur du pôle carné du groupe ITM, qu'en application de contrats de prestation de services passés au sein du groupe, il était chargé, pour les sociétés S.C.O. et Salaisons Celtiques, de la commercialisation des produits de charcuterie transformés, hors groupement et qu'il a eu des échanges avec M. [AB] (groupe Campofrío) concernant la commercialisation de produits de charcuterie cuits. Elle a également retenu s'agissant de la société Salaisons du [Localité 63] que sa dissolution- confusion avec la société Salaisons Celtiques, intervenue le 21 novembre 2018, avait pour conséquence, en application du critère de la continuité économique, de rendre les pratiques imputées à la société Salaisons du [Localité 63] au titre du grief n° 3 imputables à la société Salaisons Celtiques.

720.Concernant Herta (groupe Nestlé), elle a retenu (§ 692) une participation d'Herta à des échanges anticoncurrentiels du 29 octobre 2010 au 25 mars 2011 sur la base d'échanges téléphoniques avec la société Jean Caby, en date des 29 octobre 2010, 23 et 24 février 2011 et 25 mars 2011 (examinés aux paragraphes 276 à 278, étant précisé qu'un deuxième échange en date du 25 mars 2011, afférent à une coordination logistique entre Herta et Jean Caby, a été écarté).

721.Concernant le groupe Cooperl, elle a retenu (§ 678 à 686 de la décision attaquée) une participation du 07 juillet 2010 au 07 juin 2012 sur la base de 42 échanges téléphoniques avec la société Jean Caby mentionnés dans le Carnet de M. [AB], dont elle a considéré qu'ils étaient, pour 30 d'entre eux, corroborés par les relevés téléphoniques de M. [AB] (Campofrío) et/ou par des documents internes et des correspondances du groupe Cooperl avec différents distributeurs (annexe n° 4 de la décision attaquée, tableau n° 4.3).

722.Certains de ces groupes contestent leur participation à l'entente.

1. Concernant les filiales du groupe Les Mousquetaires

723.SCO fait valoir que la communication d'informations entre concurrents n'entre dans le champ de l'interdiction de l'article 101 du TFUE que pour autant que cet échange d'informations ait un objet ou un effet concurrentiel et relève que lorsqu'une entreprise dispose d'une information sur un concurrent, il doit d'abord être établi que les informations proviennent bien d'une communication par celui-ci et non d'un tiers.

724.Elle soutient qu'en l'espèce sa participation à une communication d'informations à l'égard d'un concurrent sur les tendances de prix de ses knacks n'est pas établie et que les « informations » en cause insignifiantes voire erronées n'établissent pas l'existence d'un objet anticoncurrentiel et aucun effet restrictif de concurrence n'est établi.

725.Sur l'origine des informations, elle rappelle, d'abord, que Campofrío n'avait cité ni SCO ni aucune autre entité du groupement parmi les participants aux pratiques dans sa demande de clémence. Elle relève, ensuite, que SCO n'apparaît pas dans le Carnet et que la décision a néanmoins considéré que quatre mentions faisant apparaitre le nom de « M. [NC] [PJ] » reflèteraient des contacts entre SCO et Campofrío, alors que M. [PJ] n'était pas un salarié de SCO mais était chargé par SCO et les filiales SCSG de commercialiser une partie de leur production sur les marchés. Elle souligne que seules les références aux knacks ou saucisses cocktail les rattachent à SCO, dans la mesure où les autres unités de production du groupement visées ne vendent pas ces produits sous MDD. Elle soutient également que les notes du Carnet qui la mentionnent, concernant le groupe Casino (Leader Price), ne concernaient pas un appel d'offre particulier, ce que Campofrío a d'ailleurs précisé (cote 46772).

726.Sur la matérialité des pratiques et l'adhésion à l'entente, elle considère que les paragraphes 698 à 702 de la décision attaquée n'explicitent pas en quoi les quatre contacts retenus - à les supposer avérés ' sur d'autres sujets que des appels d'offres permettraient de conclure à l'adhésion de SCO à une entente et/ou pratique concertée de coordination des réponses aux appels d'offres avec au total six autres entreprises. Elle souligne également le caractère vague de ces quatre mentions, qu'elle analyse dans le détail.

727.S'agissant de la première mention datée du 30 mars, qui concerne a priori 2011, elle constate qu'il n'y est fait aucune référence à un prix, à un client ou un appel d'offres et qu'il y est uniquement question du fait que M. [PJ] ne prévoirait pas de hausse de prix sur les knacks en raison de cours stables sur les « coproduits », à savoir les produits issus de la découpe utilisés pour fabriquer certains produits de charcuterie (comme le gras et la gorge de porc qui sont utilisés pour fabriquer les knacks). Elle estime qu'une information aussi vague qui pouvait provenir de multiples sources et même être déduite de l'observation des cours, n'établit ni l'existence d'un contact téléphonique, ni l'entrée de SCO dans l'entente à cette date.

728.S'agissant des deux mentions suivantes, des 5 décembre 2011 et 3 janvier 2012, elle observe qu'elles rapportent le même contenu, concernant une hausse de 10 % sur les knacks auprès de EMC (Casino) mais qu'aucun appel d'offres n'est en cause, pas plus qu'un engagement de procéder à une hausse donnée et que rien n'indique une adhésion de SCO à quoi que ce soit. Leur libellé, selon la norme d'écriture adoptée, correspondrait à un appel de M. [AB] à M. [PJ]. Or, elle relève que l'indice fourni par le Carnet est contredit par les autres pièces au dossier : d'abord, par l'absence de confirmation par les relevés téléphoniques fournis par Campofrío, ensuite, par le fait qu'aucune hausse de prix des knacks n'a été passée début 2012 et enfin par la circonstance que les échanges entre SCO et Casino (cote 15 093, pièce SCO 11) font état d'une tentative de hausse d'environ 10 % à cette période s'agissant de l'enseigne Leader Price mais ne corrobore pas le contact allégé entre M. [PJ] et M. [AB]. Elle maintient que M. [AB] pouvait parfaitement avoir eu vent de cette tentative de hausse à l'occasion de ses propres contacts avec Casino, avec lequel il était également en relation d'affaires.

729.S'agissant de la dernière mention, qui concerne l'acceptation par un client (Provera) d'une modification de composition de produit sur des saucisses, elle constate qu'elle n'est ni datée ni datable et, à nouveau, qu'aucun élément ne corrobore un contact entre M. [AB] à M. [PJ]. Elle ajoute qu'aucune trace n'a été conservée de l'époque qui permettrait de valider ou d'infirmer l'information alléguée, que les services d'instruction ne lui en ont jamais fait la demande et que la durée de la procédure fait qu'il est aujourd'hui impossible de tenter d'éclairer cette mention.

730.Elle rappelle également, de manière plus globale, qu'aucun appel n'a été passé par M. [AB] à M. [PJ] pendant la période des pratiques, son numéro de téléphone n'étant pas même mentionné en annexe 5 de sa demande de clémence. Elle estime, en outre, que l'Autorité aurait dû prouver l'existence d'échanges avec chacun des membres de l'entente alléguée pour caractériser un « accord » ou une « pratique concertée » entre l'ensemble des parties, comme visé au grief n° 3. Elle produit au soutien de son analyse une consultation délivrée par un ancien Président du TPICE et ancien juge et avocat général à la Cour de Justice de l'Union (pièce SCO n°14).

731.Elle ajoute que le Carnet révèle qu'elle faisait des offres là où ses concurrents ne l'attendaient pas et remportait le cas échéant les appels d'offres en cause, démontrant ainsi son absence de participation à toute concertation ou échange d'informations :

« AT le 07/07 [Cooperl Atlantique] perd l'andouillette PP [Pur Porc] (250T) suite AO => pris par Ranou (Triskel) [Ranou et Salaisons du [Localité 63]] » (cote 234, citée au point 268 de la décision attaquée) ;

« Tel de FF [Roullier] (') - aO Jbs cuit EMC/LP ' pense que Ranou va casser les prix » . (cote 22 057, pièce SCO n° 13).

732.Elle soutient qu'à supposer établis ces échanges, il aurait fallu en toutes hypothèses démontrer les effets restrictifs de concurrence d'échanges n'ayant pas un objet anticoncurrentiel. Elle fait valoir que les informations qui auraient été transmises ici étaient impropres à avoir un tel impact sur les prix et, au surplus, que les prix de SCO n'ont pas évolué à la hausse dans les semaines et même les mois qui ont suivi (analyse économique des données de facturation de SCO pour 2011-2012, pièce SCO n° 10).

733.Elle en déduit que l'Autorité n'a pas caractérisé sa participation au grief notifié et à l'infraction sanctionnée correspondant à une entente sur les ventes de charcuterie cuite et plus précisément sur l'organisation des réponses aux appels d'offres.

734.Les filiales SCSG contestent leur mise en cause, relevant, en substance, que les échanges reprochés concernent un produit (les knacks) qu'elles ne commercialisaient pas.

735.L'Autorité, en réponse à SCO, rappelle qu'au-delà d'une coordination entre concurrents sur des appels d'offres spécifiques, le grand nombre d'appels téléphoniques entre concurrents consigné dans le Carnet traduit l'existence d'un flux continu d'échange d'informations, permettant la coordination des comportements des acteurs (renvoyant au § 575 de la décision attaquée). Elle ajoute que les pratiques d'échanges bilatéraux entre concurrents avaient « généralement » lieu « en amont des soumissions d'appels d'offres de la GMS », selon les précisions fournies par M. [AB], sans qu'il ait exclu d'autres types d'échanges, tels ceux portant sur des hausses générales de prix, comme ceux décrits aux paragraphes 1444 et suivants de la notification des griefs.

736.Sur le contenu des échanges bilatéraux entre M. [AB] et M. [PJ], elle relève qu'il permet d'établir l'existence de discussions sur les prix et qu'un courriel du 9 décembre 2011 confirme l'indication du 5 décembre 2011. Elle relève que la date de l'information reportée dans le Carnet (5 décembre 2011) étant antérieure à celle du courrier adressé à Casino (9 décembre), ce courriel permet d'établir l'existence d'une discussion sur les prix futurs qu'envisageait d'appliquer SCO à cette enseigne, et corrobore les déclarations du demandeur de clémence.

737.Sur la mise en cause des filiales SCSG, elle l'estime justifiée dès lors qu'elles commercialisaient chacune les produits de charcuterie cuite visés par le grief n° 3 (dont relèvent les knacks) en dehors des ventes intra-groupe au sein du groupement Les Mousquetaires et que M. [PJ], qui était directeur commercial de Salaisons du [Localité 63] et détaché chez Salaisons Celtiques et SCO, pendant la période des faits, pouvait, lors des échanges identifiés, représenter l'une ou l'autre de ces sociétés. Elle maintient que M.[PJ] a pris part à des échanges sur le prix des knacks avec Jean Caby.

Sur ce, la Cour :

738.À titre liminaire, la Cour rappelle qu'aux termes de la demande de clémence afférente aux pratiques portant sur les produits MDD, Campofrío avait déclaré que « [l]es concurrents avec lesquels des contacts réguliers sont intervenus sont (par ordre alphabétique) : Aubret (groupe Cecab Gad) ; CCA Madrange ; Cooperl Brocéliande ; France Salaisons ; [SV] (groupe Bell) ; Rochebillard et Blein ; Salaisons du Maconnais ; Souchon, ainsi que Alliance Océane et Charcutière appartenant au même groupe (groupe Soparind Bongrain). » ajoutant « [p]ar ailleurs, de manière tout à fait marginale, quelques échanges ont également occasionnellement eu lieu, par le passé, avec (par ordre alphabétique) : CharcuterieGourmande ; Delpeyrat ; Eurexia ; Haraguy Montagne Noire ; Herta ; [LZ] (société anciennement détenue par le groupe [Localité 20]) ; Onno (ITM) ; Salaisons [CB] ; Salaisons Moroni (société acquise par le groupe [Localité 20] en septembre 2010) » (soulignements ajoutés par la Cour) (cotes 23 et 25, saisine 12/00083 AC).

739.Cette déclaration était accompagnée d'une « annexe 5- Liste et coordonnées des participants aux Pratiques » (saisine 12/0083AC), déjà examinée au paragraphe 691 du présent arrêt, comprenant, pour mémoire, un premier tableau renvoyant aux contacts réguliers mentionnés à la cote 23 précitée, présenté en quatre colonnes : « société » ; « nom » [de la personne physique contact] ; « initiales utilisées dans le Carnet (le cas échéant) » et « téléphone » (cote 334).

740.Un second tableau (cote 335), reprenant la même présentation, était précédé de la mention « Par souci de complétude, le tableau ci-dessous liste les entreprises avec lesquelles des contacts occasionnels ont pu avoir lieu par le passé », renvoyant aux sociétés mentionnées en cote 25

741.Concernant l'identité de l'auteur des pratiques au sein du groupe Les Mousquetaires, il ressort des déclarations du premier demandeur de clémence et des annexes précitées, qu'aucune référence n'est faite aux filiales SCO et Salaisons du [Localité 63].

742.La précision donnée dans les déclarations ' concernant le fait que « de manière tout à fait marginale, quelques échanges ont également occasionnellement eu lieu, par le passé, avec (') Onno (ITM) (') » - Et dans l'annexe 5 - dans laquelle apparait l'indication de la société « Onno (ITM )», société à laquelle est associée le nom de « E. [PJ] » sans renseigner aucune coordonnée téléphonique - renvoient sans équivoque à la société Salaisons Celtiques qui était anciennement dénommée « Onno » et à son appartenance au groupement des Mousquetaires, étant rappelé que la société de tête de ce groupement est ITM Entreprises.

743.La Cour précise toutefois que dans ce document, le demandeur de clémence visait toutes les pratiques portant sur les produits MDD, sans procéder à la distinction ultérieurement opérée par les services d'instruction entre les griefs n° 2 et 3. Il décrivait en effet les pratiques portées à la connaissance de l'Autorité de la manière suivante : « 8.1 Forme des contacts entre concurrents : contacts téléphoniques bilatéraux intensifs » et « 8.2 Forme des contacts entre concurrents : réunions physiques », lesquelles ne concernent que le grief n° 2.

744.Outre, « 8.3 Echanges intensifs d'informations commercialement sensibles et coordination entre concurrents des réponses aux appels d'offres », « 8.4 Coordination entre concurrents de leurs stratégies de hausses de prix ».

745.Ce document (commun à deux griefs distincts) ne permet donc pas, en lui-même, d'identifier pour le compte de quel interlocuteur les échanges reprochés au titre du grief n° 3 avec la société Jean Caby ont eu lieu et de corroborer les mentions du Carnet qui ont été rattachées, par l'Autorité, à SCO et non à Salaisons Celtiques.

746.M. [AB], intervenant pour le compte de la société Jean Caby s'agissant des produits cuits objets du grief n° 3, indique dans son Carnet le nom de M. [PJ], dans des mentions ainsi rédigées :

 « ITM E. [PJ] le 30/03 pas de hausse prévue sur les knacks car estime qu'il n'y a pas de hausse sur les coproduits » (cote 275 - 12/0083AC, visée à la notification de griefs § 1447).

 « Tel de E. [PJ] Provera a accepté modif qualité sur sse Winny [MDD Cora] équivalent à 10 % de hausse » (cote 173 - 12/0083AC, visée à la notification de griefs § 1446).

« Tel 5/12 E. [PJ] demande hausse 10 % sur knacks » (cote 275 - 12/0083AC, visée à la notification des griefs § 1448).

« Tel E. [PJ] 3/01/12 demande hausse 10 % sur knacks PPX / knacks et cocktails Leader Price » (cote 135 - 12/0083AC, visée à la notification des griefs § 1444).

747.Il n'est pas contesté que M. [PJ], sur la période 2010-2012, était employé de Salaisons du [Localité 63] en qualité de directeur du pôle carné du groupe ITM, chargé de la commercialisation des quatre marques MDD distribuées par ITM : Triskel, Onno, Lignon et Monique Ranou et qu'il était détaché auprès de Salaisons Celtiques et SCO dans le cadre d'un contrat de prestations de services lui permettant de représenter l'une ou l'autre de ces sociétés.

748.À la demande de la Cour, les parties ont été invitées à fournir, par note en délibéré, leurs explications et justificatifs concernant les conditions dans lesquelles les knacks étaient commercialisés pendant la période concernée.

749.Les filiales SCSG qui indiquaient ne pas avoir commercialisé de produits knacks sur le marché MDD sur toute la période infractionnelle, ont maintenu leurs affirmations, les étayant par renvoi à l' « Annexe relative aux données de ventes des sociétés Salaisons Celtiques, Salaisons du [Localité 63] et SCO en charcuterie cuite » correspondant aux pièces n° 9 et 10 qui ont été annexées, respectivement, aux recours des filiales SCSG et SCO et aux attestations de leurs commissaires aux comptes correspondant aux pièces n° 8 et 9 annexées aux mêmes recours. L'étude économique en production a examiné les données relatives aux trois filiales et consacré, notamment, une analyse à l'évolution des prix de vente sur les knacks exclusivement afférente à SCO. Par ailleurs, les attestations des commissaires aux comptes comportent, sous forme de tableaux, des données comptables révélant que les filiales SCSG n'ont pas réalisé de chiffres d'affaires avec des ventes MDD et 1er prix aux GMS portant sur des « knacks (et autres saucisses) » en 2011, à la différence de SCO.

750.La Cour observe que l'Autorité avait elle-même explicité la référence « E. [PJ] » présente dans les mentions précitées comme se rapportant à « [NC] [PJ] pour SCO-Monique Ranou » et ce, tant au stade de l'instruction (notification des griefs, § 1444 à 1450, exposant les « échanges entre Jean Caby et SCO-Monique Ranou » ayant porté sur les produits cuits de la charcuterie, « en l'occurrence les knacks, en libre-service, pour lesquels Jean Caby et SCO-Monique Ranou sont spécialisées ») que dans la décision attaquée (§ 273 à 275 reprenant le premier et le dernier des « Échanges entre Jean Caby et SCO-Monique Ranou (Les Mousquetaires) »). Il est donc peu cohérent d'imputer également ces échanges aux autres filiales, au stade de la sanction, au regard des seuls pouvoirs de représentation qui étaient confiés à M. [PJ].

751.Sur cette base, la Cour relève, s'agissant de la participation de SCO à l'entente, comme il a été dit plus haut, que les mentions du Carnet, rappelées au paragraphe 746 du présent arrêt, ne présentent pas de concordance avec les déclarations faites par le demandeur de clémence lorsqu'il a présenté le contexte des pratiques ayant affecté les produits MDD, dès lors que ces déclarations ne mentionnent pas SCO.

752.Elles ne sont pas davantage corroborées par les relevés téléphoniques de M. [AB] qui ne font état d'aucun appel susceptible de correspondre aux quatre échanges que ces mentions induiraient.

753.Il ne ressort pas davantage des éléments retenus à l'encontre des autres participants d'indices révélant, de manière indirecte, la communication par SCO d'informations destinées à coordonner les réponses à des appels d'offres, comme cela est apparu dans le cadre de l'analyse des faisceaux d'indices exploités au titre des griefs n° 1 et n° 2.

754.Il est également constant qu'aucune des quatre mentions ne se rapporte à un appel d'offre particulier, en cours ou à venir, ce que Campofrío a confirmé : les mentions des 30 mars 2011 et 5 décembre 2011 figurent dans un onglet « Tarifs », de portée générale ; la mention non datée relative à des modifications de qualité de produits pour des produits MDD Cora concerne la relation d'affaires en cours avec un client (Provera) ; celle du 3 janvier 2012 concerne également les conditions tarifaires appliquées dans le cadre d'une relation d'affaires en cours avec EMC/Leader Price. Or, la Cour rappelle que le grief n° 3 notifié reproche à SCO de s'être accordée et concertée pour la commercialisation de produits de charcuterie cuits sous marques de distributeurs ou sous 1er prix, « pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, grâce à des échanges d'informations ».

755.L'indication (§ 1219 de la notification des griefs) selon laquelle le premier demandeur de clémence a dénoncé des pratiques d'échanges bilatéraux entre concurrents « généralement en amont des soumissions aux appels d'offres de la GMS » n'a pas pour effet de limiter la portée du grief aux seuls échanges intervenant « en cours d'appels d'offres » et permet d'inclure des échanges précédant des appels d'offre à venir, comme la Cour l'a déjà rappelé. Elle ne saurait pour autant inclure des échanges déconnectés de toute procédure d'appel d'offres en cours ou à venir et étendre le champ du grief à des échanges d'informations portant sur les prix dans le cadre de relations commerciales en cours.

756.Par suite, si certaines informations mentionnées sont de nature à instaurer un grand niveau de transparence sur le marché, elles ne s'inscrivent pas dans le périmètre du grief notifié.

757.En cet état, la participation de SCO a une entente ayant pour objet d'organiser les réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, grâce à des échanges d'informations n'est pas établie. La décision est réformée sur ce point. SCO est mise hors de cause. Il convient d'annuler, par voie de conséquence la sanction qui lui a été infligée à l'article 6 de la décision attaquée, solidairement avec ses sociétés mères.

758.Il s'ensuit que ces éléments sont tout aussi insuffisants pour permettre d'imputer les mêmes pratiques, en tant qu'auteures, aux sociétés Salaisons Celtiques et Salaisons du [Localité 63].

759.La Cour ajoute, au-delà même de l'insuffisance des quatre indices retenus pour caractériser l'infraction reprochée, que la seule existence d'un contrat de prestations de service conclu entre les filiales Salaisons du [Localité 63], Salaisons Celtiques et SCO, pour organiser le détachement de M. [PJ] auprès des deux dernières pour les commercialisations hors groupement de produits cuits ne saurait suffire à imputer les échanges litigieux relatifs à des informations portant sur les knacks aux filiales SCSG qui n'en commercialisent pas et de sanctionner ces dernières « en raison de leur participation directe » (termes de la notification du grief n° 3).

760.La décision attaquée est également réformée sur ce point. Il y a lieu de mettre les filiales SCSG hors de cause au titre du grief n° 3 et d'annuler, par voie de conséquence les sanctions qui leur ont été infligées à l'article 6 de la décision attaquée, solidairement avec leurs sociétés mères.

2. Concernant Herta (groupe Nestlé)

761.Le groupe Nestlé, après avoir contesté la valeur probante du Carnet, fait valoir que sur les quatre échanges reprochés, figurant dans le Carnet de M. [AB], deux ne sont corroborés par aucun autre élément (les échanges des 29 octobre 2010 et 25 mars 2011).

762.Concernant l'échange du 29 octobre 2010 sur les hausses de prix qui aurait été envisagées, il fait valoir qu'Herta avait un seul client MDD et un seul contrat se terminant en mars 2011, lequel ne contenait pas de clause de révision de prix. Il en déduit que Herta n'était donc pas en mesure, contractuellement, de faire une demande de hausse de prix en cours d'exécution du contrat.

763.Concernant l'échange du 25 mars 2011, qui serait intervenu dans le cadre de l'appel d'offres Aldi sur les knacks de février-mai 2011 et au cours duquel Herta aurait indiqué avoir fait des demandes de hausse de prix, il estime qu'il ne correspond pas à la réalité dans la mesure où, à cette date, Herta était déjà sortie du marché des produits de charcuterie cuits sous MDD après avoir perdu l'appel d'offre d'Aldi le 17 mars 2011.

764.S'agissant des deux autres échanges, en date des 23 et 24 février 2011, il estime que la simple correspondance entre le prix figurant dans le Carnet comme étant celui annoncé par Herta et celui figurant dans le courrier adressé à Aldi ne suffit pas à corroborer l'existence des échanges. Il considère que si Jean Caby avait eu connaissance du prix proposé par Herta il n'aurait pas proposé à l'appel d'offres en cause un prix si largement inférieur. Il en déduit que cette information lui a été communiquée par Aldi à l'issue de l'appel d'offres et qu'elle a été reportée dans le Carnet a posteriori et non lors de la candidature à l'appel d'offres.

765.Il relève que l'Autorité estime que ces échanges auraient pu néanmoins concerner un « échange de vue général sur l'activité des deux entreprises » (observations, § 482), ce qui constitue une pure spéculation non étayée et hors de propos dans la mesure où le grief n° 3 ne concerne que la commercialisation de produits MDD et premiers prix.

766.Il demande à la Cour, faute de preuve suffisante apportée par l'Autorité, d'annuler la décision attaquée le concernant.

767.L'Autorité rappelle que la valeur probante du Carnet, qui forme un document unique et indivisible, ne saurait être remise en cause, compte tenu des nombreux éléments externes le corroborant.

768.Elle considère que le contenu des quatre échanges retenus, relatés dans le Carnet, fait clairement apparaître l'existence de discussions anticoncurrentielles entre MM. [AB] et [VE], employé d'Herta en qualité de directeur de clientèle de plusieurs enseignes de grande distribution.

769.S'agissant de l'échange du 29 octobre 2010, elle relève la portée générale de l'échange qui ne concernait pas uniquement le contrat MDD avec l'enseigne Aldi, mais également sur l'ensemble de son activité de charcuterie cuite. Elle souligne que le fait que le contrat avec Aldi ne contienne pas de clauses de révision de prix n'est pas incompatible avec la volonté de Herta de renégocier une hausse des prix avec son distributeur en cours de contrat.

770.S'agissant des échanges des 23 et 24 février 2011, elle rappelle que le prix des saucisses knacks de Herta reporté dans le Carnet correspond exactement à celui figurant dans le courrier envoyé par Herta à Aldi le 24 février 2011 (cotes VC 10 928 et 10 929 et VNC 12 306 et 12 307).

771.S'agissant de l'échange du 25 mars 2011, elle considère qu'il importe peu qu'elle ait perdu l'appel d'offre Aldi le 17 mars 2011 dans la mesure où cet échange est reporté dans l'onglet « Tarifs » du Carnet et qu'il a été précisé par le demandeur de clémence qu'il s'agissait d'un échange de vues général sur l'activité des deux entreprises, en particulier s'agissant de la répercussion des hausses des coûts des matières premières dans les tarifs aux clients, l'intérêt de l'échange résidant dans le fait de savoir si d'autres concurrents envisageaient de formuler des demandes de hausses de prix aux clients de la grande distribution.

772.Le ministre chargé de l'économie note que 3 mentions sur 5 sont corroborées par des propositions tarifaires adressées aux distributeurs (§ 693 de la décision attaquée).

Sur ce, la Cour :

773.La Cour rappelle qu'il est constant que la déclaration d'une entreprise poursuivie pour avoir participé à une entente, dont l'exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises mises en cause au même titre, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de la participation de ces dernières à l'infraction, sans être étayée par d'autres éléments de preuve.

774.À cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé que le concept de corroboration signifie qu'un élément de preuve peut être renforcé par un autre élément et qu'il n'existe pas de règle dans l'ordre juridique de l'Union empêchant que l'élément de preuve corroboratif soit de même nature que l'élément corroboré (CJUE, 26 janvier 2017, Commission / Keramag Keramische Werke e.a. et Sanitec Europe, C-613/13P, points 44). La Cour observe que le droit national n'en comporte pas davantage.

775.Le degré de corroboration requis est par ailleurs nécessairement en rapport avec la fiabilité et la crédibilité des déclarations.

776.Comme la Cour l'a déjà retenu dans la partie I, G du présent arrêt, le Carnet de M. [AB] a été écrit par le directeur commercial d'une société mise en cause dans des pratiques anticoncurrentielles qui n'avaient pas cessé à la date à laquelle il a été rédigé, il rapporte des évènements impliquant directement son auteur, il se présente comme un assemblage de documents dont la teneur a été confirmée, pour partie du moins, par le groupe Coop, ainsi que par l'exploitation de documents appréhendés lors des opérations de visite et saisie et des relevés de téléphonie, ce qui confère de la crédibilité au document.

777.En revanche, émanant d'un demandeur de clémence, il doit être apprécié avec prudence, notamment lorsque les informations qu'il contient sont contestées par certaines des entreprises mises en cause. Comme la Cour l'a déjà indiqué, si le Carnet doit se voir reconnaitre une crédibilité globale certaine, pour les motifs qui précèdent, il ne saurait, de manière automatique, emporter preuve suffisante de tous les éléments qu'il rapporte. Il convient donc d'en analyser le contenu au regard des autres pièces du dossier.

778.En l'espèce, la Cour rappelle que dans le cadre de sa demande de clémence afférente aux pratiques portant sur les produits MDD, Campofrío avait déclaré que « (') de manière tout à fait marginale, quelques échanges ont également occasionnellement eu lieu, par le passé, avec (par ordre alphabétique) : ('); Herta ; (') » (cote 25, saisine 12/00083 AC) et que l'« annexe 5- Liste et coordonnées des participants aux Pratiques » (saisine 12/0083AC), déjà examinée, mentionnait le nom de la société « Herta », auquel était associé le nom de « [HH] [VE] », les initiales « DV » et deux numéros de téléphone (lignes portable et fixe).

779.La Cour constate que les quatre mentions litigieuses du Carnet de M. [AB] sont rédigées de la manière suivante :

- échange du 29 octobre 2010 (visé à la notification des griefs § 1460) « Tel [HH] [VE] le 29/10 n'avait pas spécialement prévu de hausse sur cuits (pas une priorité à date) mais serait ok pour en passer. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] rappelle » (cote 273 - 12/0083AC) ;

- échange du 23 février 2011 (visé à la notification des griefs § 1451) « Tel DV 23/02 va demander hausse 16 % => 0,94/ uvc => prêt à perdre le marché » (cote 184 - 12/0083AC) ;

- échange du 24 février 2011 (visé à la notification des griefs § 1454) « Tel DV le 24/04 Le 24/02 a demandé 0,94 sur knacks 350 => [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce 0,895. Maintiendra son prix sinon arrête le marché » (cote 184 - 12/0083AC) ;

- échange du 25 mars 2011 (visé à la notification des griefs § 1461) « Tel DV le 25/03 [[HH] [VE] Herta] demande en cours 2ème hausse en knacks 1,5 % (prix net net actuel 4,28€/kg) et 3,5 % en jambon cuit (net net act 8,8€/kg) » (cote 275 - 12/0083AC).

780.Une concordance existe entre les désignations figurant dans les déclarations effectuées au soutien de la demande de clémence et les mentions du Carnet versé à la procédure, qui est constitutif d'une preuve documentaire qui devant être considérée comme contemporaine des pratiques, et ce même si sa rédaction n'a pas systématiquement été concomitante à tous les faits qui y sont notés.

781.La rédaction reprend par ailleurs les codes d'écriture déjà évoqués, relatifs au renvoi à un contact téléphonique par l'usage de la locution « Tel » et à la désignation de l'interlocuteur par la mention d'initiales ou d'un nom placé juste après. Il convient toutefois de relever qu'à la différence de nombreuses autres mentions, les relevés téléphoniques n'ont pas permis de corroborer d'appels sortants depuis la ligne fixe à destination de Herta et que les relevés des appels sortants du téléphone portable ne couvraient que la période postérieure à novembre 2011.

782.S'agissant de l'échange du 29 octobre 2011, M. [AB] a précisé au cours de la procédure (dossier 13/0006F-cote 46769) que cette mention, figurant dans l'onglet « Tarifs » du Carnet, « avait une portée générale » et pour objectif « de recueillir la position de Herta quant à une éventuelle demande de hausse de tarifs auprès des clients, de manière générale, compte tenu du contexte de hausse du cours des matières premières à cette époque ». C'est donc à tort que l'Autorité le rattache aux pratiques visées par la notification du grief n° 3 mises en œuvre « pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, grâce à des échanges d'informations ». Il ne ressort en effet ni du libellé de cette mention, ni des explications apportées par son auteur que l'échange mentionné se rapporte à un appel d'offres en cours ou en préparation. La décision est réformée sur ce point et notamment en ce qu'elle a fixé à cette date le début de la participation d'Herta à l'entente.

783.S'agissant des deux échanges des 23 et 24 février 2011, la Cour constate que les deux mentions se réfèrent explicitement au positionnement commercial d'Herta - En l'occurrence, la hausse demandée (de 16 %) correspondant à un certain prix (« 0,94/ uvc ») - Et renvoient implicitement à un appel d'offres (« prêt à perdre le marché » « Maintiendra son prix sinon arrête le marché » ). Il se déduit par ailleurs du rapprochement de cet indice avec les autres éléments de la procédure, qui rejoignent les explications de Nestlé, qu'il est ici question de l'appel d'offre lancé par Aldi en février 2011 pour le renouvellement d'un marché venant à terme en mars 2011 et qui était alors détenu par Herta. La Cour relève que ces points n'ont d'ailleurs pas été contestés par le groupe Nestlé dans sa réponse à la notification des griefs du 22 mai 2018 (dossier 13/0006F- cote 42550 -). Il y confirmait en effet que la société Herta avait eu des « contacts avec [Localité 20]/Jean Caby (quatre en tout) » et qu'elle n'était concernée que « par un seul appel d'offres, lancé par Aldi en février 2011 pour la fourniture de knacks, auquel seulement [Localité 20]/Jean Caby et Aubret ont participé ».

784.La Cour constate d'ailleurs que ces éléments convergent avec les indices figurant en annexe 4-2 de la décision attaquée. Les deux échanges précités sont en effet contemporains d'un échange téléphonique du 24 février 2011 (visé dans la notification des griefs § 1338) intervenu entre Aubret et Jean Caby, relatif au même appel d'offres, figurant en ces termes dans le Carnet de M. [AB] : « Tel GG [[ND] [YO] Aubret] le 24/02 va proposer ~0,905 / [KT] [[KT] [AB] pour Jean Caby] indique 0,898 et prix Herta 0,94. GG [[EZ] [YO] Aubret] souhaite se positionner pour prendre du volume » (cote 184 - 12/0083AC). Les relevés téléphoniques de M. [AB] ont également permis de confirmer l'appel sortant passé à M. [YO] (Aubret) (cote 46923) le 24 février 2011, renforçant la crédibilité globale des mentions relatives aux échanges intervenus au cours de la procédure de cet appel d'offres entre des concurrents actifs sur le même marché.

785.Ces éléments privent en outre de pertinence l'observation du groupe Nestlé selon laquelle l'information proviendrait du client et aurait été reportée a posteriori dans le Carnet, aussi bien que l'hypothèse selon laquelle si Jean Caby avait obtenu de Herta la communication de ses prix, celui-ci n'aurait pas proposé en réponse à cet appel d'offres un prix si largement inférieur. Il ressort en effet des éléments de la procédure que Jean Caby a manifestement tenu compte des prix communiqués par ses deux concurrents pour élaborer sa réponse à l'appel d'offres et non simplement du positionnement de Herta.

786.Le courrier envoyé par Herta à Aldi le 24 février 2011, en réponse à l'appel d'offres, confirme également que le prix des saucisses knacks de Herta communiqué à Jean Caby dès le 23 février 2011, comme reporté dans le Carnet, correspond exactement au même montant (cote VC 10 928 et VNC 12 306 et 12 307).

787.Il résulte de la teneur de ces échanges des 23 et 24 février 2011, intervenus entre concurrents actifs sur le même marché (portant sur le prix d'un produit et la stratégie financière d'un concurrent), comme du contexte dans lequel ils interviennent (renouvellement d'un marché sur appel d'offres contemporain des échanges), que leur objet anticoncurrentiel est établi. En procédant ainsi, ils ont diminué l'incertitude devant normalement peser sur chaque opérateur et pu concourir, soit directement soit indirectement, à la fixation de prix supérieurs à ceux qui auraient résulté d'une situation normale de concurrence. Ces deux échanges, qui portent sur un même appel d'offres, caractérisent la pratique concertée visée au grief n° 3.

788.S'agissant du dernier échange mentionné dans le Carnet, en date du 25 mars 2011, la Cour relève, à l'instar de ce qui a été dit pour la première mention, qu'il figure dans l'onglet « Tarifs » du Carnet, qu'il ne ressort pas du libellé de cette mention que l'échange mentionné en cause se rapporte à un appel d'offres en cours ou à venir, notamment celui d'Aldi dont il n'est pas contesté qu'il était clos depuis le 17 mars 2011. C'est donc à tort que l'Autorité le rattache aux pratiques visées par la notification du grief n° 3, mises en œuvre « pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, grâce à des échanges d'informations ».

789.La décision est en conséquence réformée sur ce point et notamment en ce qu'elle a fixé à cette date la fin de la participation d'Herta à l'entente. La participation du groupe Nestlé est donc limitée à deux échanges du 23 au 24 février 2011.

3. Concernant le groupe Cooperl

790.Le groupe Cooperl, après avoir contesté la crédibilité du Carnet remis par le demandeur de clémence et souligné qu'il est impossible de connaître la date précise à laquelle il a été rédigé, soutient, en premier lieu, que les informations du Carnet l'impliquant ne sont pas corroborées par d'autres éléments de preuve et qu'en procédant ainsi l'Autorité n'a pas respecté son standard de preuve. Il conteste à cet égard la valeur probante des factures et relevés téléphoniques utilisés par l'Autorité, le défaut de pertinence des courriers et courriels communiqués par les sociétés en cause, ainsi que les réponses des groupe Campofrío et de M. [AB] à ses observations.

791.Il fait d'abord valoir le manque de valeur probante des factures et relevés téléphoniques utilisés, dans la mesure où le contenu des prises de contacts téléphoniques n'est pas établi, aucun enregistrement n'étant produit par l'Autorité. Il relève que l'existence d'appels ne saurait, en soi, être interprétée comme suspecte dans la mesure où Cooperl était l'un des fournisseurs d'[Localité 20], de Jean Caby et de Campofrío en matières premières Il précise qu'une situation de pénurie de viande pouvait menacer les débouchés commerciaux de M. [AB] pour les produits MDD (pièce Cooperl n° 25 - échange de courriels émanant de la société [Localité 20] à la suite d'un premier mail de M [CR] [KV], responsable commercial export Cooperl). Il souligne également que la plupart des appels du poste de M. [AB] vers les sociétés du groupe Cooperl ont été émis les jeudis et vendredis, jours de négociations et de commandes (pièce Cooperl n° 9 - Tableau de comparaison entre les appels téléphoniques du Carnet de M. [AB] et les relevés d'appels téléphoniques). Il estime que ces éléments témoignent donc, tout au plus, de l'existence de relations commerciales bien établies entre les groupes Campofrío et Cooperl arc atlantique et de la peur du groupe Campofrío de ne pas se voir attribuer des quantités suffisantes de matières premières, sujet de conversation revenant régulièrement dans les discussions observées dans le grief n° 1 (pièce Cooperl n° 35 Compte SNC [Localité 20] - liste des factures Cooperl).

792.Il ajoute que si le poste téléphonique de M. [AB], sans que l'on sache si ce dernier était véritablement l'auteur de l'appel, a contacté le standard téléphonique de Cooperl Arc atlantique, il est en réalité impossible de déterminer vers qui l'appel a été redirigé. Il relève également qu'une très grande quantité d'appels apparaissant dans le Carnet n'est pas recoupée par les relevés téléphoniques. Il en déduit que si l'on écarte les appels figurant dans la notification de griefs qui n'apparaissent pas dans les relevés téléphoniques, les appels téléphoniques sur les numéros fixes des standards de Cooperl et de Broceliande et les dates des appels évoqués dans la notification de griefs qui ne sont pas précises ou qui ne correspondent pas aux dates des relevés, il ne reste en réalité que six appels du téléphone portable de M. [AB] vers le téléphone portable de M. [VA]. Il observe que ces appels (en dates des 11 janvier 2012 ; 12 janvier 2012 ; 9 février 2012 ; 10 février 2012 ; 6 juin 2012 et 7 ; juin 2012) ont une durée, un objet et un contenu inconnus.

793.Il invoque ensuite les termes de l'audition de M. [X] [VA] du 15 septembre 2016 (pièce Cooperl n° 2), qui confirment que « [Localité 20] est l'un des trois plus gros clients de la société Cooperl, abattoir, pour la fourniture de pièces de découpe » ; que « [l]es rares échanges téléphoniques avec M. [AB] étaient plus pour me parler de problèmes d'approvisionnement, de livraison vers leurs usines » ; que « [l]es échanges avaient lieu une ou deux fois par an » et que « [l]es échanges en cause n'avaient donc rien à voir avec le commerce de MDD, il s'agissait d'un échange entre le Groupe COOPERL en tant qu'abatteur et la société [Localité 20] ».

794.Concernant les quelques documents saisis chez Cooperl arc atlantique et Brocéliande ALH (qui ne concernent que des échanges avec leurs clients), il estime qu'ils ne présentent pas de concordance avec les mentions du Carnet. Il soutient que ces informations sont devenues publiques sur le marché à partir du moment où le client a pu les divulguer aux autres entreprises dans le cadre de négociations commerciales et que M. [AB] n'a fait que les retranscrire a posteriori dans son Carnet. Il soutient également que le caractère similaire des prix notés dans le Carnet et dans les documents saisis ou communiqués par le groupe Cooperl prouve que c'est l'acheteur/client qui communique à ses fournisseurs des indications des tarifs pratiqués par les concurrents. Il soutient que si ces tarifs avaient été fournis par les fournisseurs eux-mêmes, des écarts auraient été observés, les fournisseurs ayant tendance à entretenir une forme de « bluff » entre eux. Il produit également une consultation juridique (pièce Cooperl n° 26) aux termes de laquelle des échanges bilatéraux ascendants (de l'offreur « A » vers le client) puis descendants (du client vers l'offreur « B ») ne doivent pas être analysés comme une pratique « hub and spoke », car ils sont l'expression d'un processus de négociation bilatérale de nature verticale et non le vecteur d'une concertation multilatérale horizontale. Il rappelle en outre que le contrat MDD est un contrat d'entreprise, dans le cadre duquel le distributeur dicte comment et à quel prix il souhaite voir le produit fabriqué, le prix étant, bien évidemment négocié entre le distributeur et le fournisseur qui répond à l'appel d'offres mais l'acheteur GMS négocie et fait converger les prix en informant les entreprises des prix pratiqués par leurs concurrents. Il souligne qu'aucun résultat d'enquête auprès desdites GMS n'a été fourni par l'Autorité sur cette question.

795.Concernant les réponses du groupe Campofrío à ses observations, il les met en doute, renvoyant à la plainte pénale déposée.

796.Il estime que huit échanges restent au final en discussion et fournit un argumentaire destiné à les remettre en cause (pièce Cooperl n° 16). Concernant les huit pièces censées corroborer lesdits échanges (correspondant aux cotes 2204, 2207, 12691, VC 2459, VNC 13 232, 12 695, 2676, VC 12 726, VNC 13 235 et VNC 13 237), il fait valoir qu'aucune d'elles, servant d'élément corroboratif à l'Autorité dans son tableau 4.3, ne saurait être interprétée comme démontrant l'existence de collusions et donc d'une entente horizontale entre le groupe Cooperl et ses concurrents. Il considère que ces éléments ne sauraient constituer un faisceau d'indices graves et concordants permettant de démontrer l'existence d'échanges d'informations entre concurrents pour s'entendre sur les prix, étant entendu qu'ils ne reflètent que la politique tarifaire du groupe Cooperl à l'égard de ses clients sur certaines références.

797.Il soutient, en deuxième lieu, que la concurrence exacerbée entre les groupes Cooperl et Campofrío et l'opposition frontale de leurs modèles économiques (statut coopératif et organisation en filière verticale pour le premier, intégration horizontale pour le second) excluent toute entente possible entre eux. Il rappelle sa politique volontariste de promotion de la qualité et de l'origine France et le fait que, sur la période 2009-2012, Brocéliande a perdu 25 % de ses volumes de jambons cuits vendus sous MDD au rayon libre-service (pièce Cooperl n° 10 - attestation en date du 22/10/2020 du commissaire aux comptes). Il propose une explication alternative du dossier tenant au comportement déloyal de son concurrent. À cet égard, il rappelle que ce groupe avait menti en tentant de l'impliquer dans le grief n° 1.

798.Il relève, en troisième lieu, que l'Autorité ne démontre rien s'agissant de la participation de Cooperl arc atlantique, l'Autorité ne mentionnant que Brocéliande ALH dans les prétendus échanges avec la société Jean Caby (Campofrío) (§ 267 et 665 de la décision attaquée) l'Annexe 4.3 étant intitulée « Échanges bilatéraux entre Jean-Caby et Brocéliande (Cooperl Arc Atlantique) ». Il rappelle à cet égard qu'au stade du rappel des griefs notifiés (§ 281 de la décision attaquée) il était fait grief à « Cooperl Arc Atlantique (RCS n° 383 986 874) et Brocéliande - ALH (RCS n° 412 082 224), en raison de leur participation directe, d'une part, et Cooperl Arc Atlantique (RCS n° 383 986 874), en sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur Brocéliande - ALH (RCS n° 412 082 224) » de s'être accordées et concertées « pour la commercialisation de produits de charcuterie cuits sous marque de distributeur ou sous premier prix, du 1er juillet 2010 au 19 septembre 2012, pour organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, grâce à des échanges d'informations ». Il constate, alors que l'Autorité n'a pas fait état ni démontré la participation directe de Cooperl arc atlantique, que cette dernière se retrouve injustement impliquée directement dans les pratiques en cause par voie de simple affirmation (§ 726 de la décision attaquée).

799.L'Autorité invoque la valeur probante du Carnet, qui forme un document unique et indivisible, et rappelle qu'elle ne saurait être remise en cause compte tenu des nombreux éléments externes le corroborant, en l'occurrence des relevés téléphoniques, des notes manuscrites, des courriels et des télécopies saisies chez Cooperl.

800.Elle relève que le contenu des échanges relatés dans le Carnet (qu'elle reproduit et insère dans un tableau figurant au paragraphe 459 de ses observations) fait clairement apparaître l'existence de discussions anticoncurrentielles entre M. [AB], d'une part, et MM. [VA], [T] et [VD], employés du groupe Cooperl, d'autre part. Elle maintient que les documents émanant du groupe Cooperl confirment l'exactitude des informations sur les prix reportés dans le Carnet et que les relevés téléphoniques des lignes fixes et portables de M. [AB] permettent non seulement de corroborer les échanges reportés dans le Carnet mais aussi le caractère mensonger des déclarations faites par M. [VA] aux services d'instruction concernant la fréquence de ses contacts avec M. [AB]. Elle ajoute que la circonstance que le groupe Cooperl soit un des principaux fournisseurs de Campofrío est inopérante, dès lors que le contenu des conversations téléphoniques reportées dans le Carnet se rapporte à des discussions de nature anticoncurrentielle, et non à des relations d'achats.

801.Le ministre chargé de l'économie relève que la grande majorité des échanges est corroborée par des éléments extérieurs au Carnet et que certaines mentions sont suffisamment explicites à elles seules, s'agissant de contenus précis et portant sur des prix futurs de produits.

Sur ce, la Cour :

802.Sur le standard de preuve, comme la Cour l'a déjà rappelé à l'occasion de l'examen des deux griefs précédents, dans la mesure où les comportements par lesquels des entreprises s'adonnent à des pratiques anticoncurrentielles se déroulent usuellement de manière clandestine, les contacts entre concurrents se tenant secrètement, la documentation qui s'y rapporte est le plus souvent réduite au minimum. Il s'ensuit que, même si les autorités de concurrence découvrent des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses. C'est pourquoi, il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. L'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel doit dès lors être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de la concurrence (CJUE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/200 et autres, points 55 à 57).

803.La Cour de justice de l'Union européenne a rappelé que, pour établir l'existence d'une infraction à l'article 101, paragraphe 1, TFUE, il est nécessaire de faire état de preuves sérieuses, précises et concordantes. Toutefois, chacune des preuves apportées ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l'infraction. Il suffit que le faisceau d'indices invoqués par l'autorité de concurrence, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C-407/08 P, EU:C:2010:389, point 47)

804.En l'espèce, la Cour rappelle que par la déclaration venant au soutien de sa demande de mise en œuvre du programme de clémence, le groupe Campofrío a décrit des pratiques entre concurrents du secteur de la production et commercialisation de produits de charcuterie sous MDD, premier prix et hard discount aux distributeurs (grande distribution GMS traditionnelle et hard discount) sur le marché français. Il a désigné « Cooperl Brocéliande » comme étant l'un des concurrents avec lesquels des contacts réguliers sont intervenus, précisant que les pratiques ont pris la forme de « contacts téléphoniques bilatéraux intensifs ». Il a expliqué que le Carnet rédigé par M. [AB] son directeur commercial MDD au sein du groupe [Localité 20], consignant la date et la nature de ses échanges avec ses concurrents « montre l'existence d'échanges généralisés d'informations commercialement sensibles sur les prix, les hausses de prix, les capacités et les volumes. Ces échanges instaurent une grande transparence sur le marché et permettent la coordination des comportements des acteurs sur le marché » et a évoqué le fait que « [l]es auteurs des Pratiques coordonnent également leurs réponses aux appels d'offres concernant l'attribution de contrats MDD avec les distributeurs français (') ». Il a également indiqué qu' « [a]u-delà de ces coordinations entre concurrents sur des appels d'offres spécifiques, un grand nombre d'appels téléphoniques entre concurrents consignés dans de nombreuses notes du Carnet permet de constater l'existence d'un flot continu d'informations sensibles entre eux qui introduit un grand niveau de transparence dans ce marché, permettant un suivi des Pratiques et la coordination des comportements des acteurs ».

805.Le demandeur de clémence a enfin répertorié « Cooperl Brocéliande » dans l'annexe 5, déjà évoquée, qui dresse la liste des participants aux pratiques. Il y a fourni de manière très détaillée les coordonnées téléphoniques de M. [VA] (mobile et fixe) de M. [VD] (mobile et fixe) et de M. [T] (mobile), qui sont tous trois employés du groupe Cooperl. Il n'est en effet pas contesté que M. [VA] était, sur la période 2010-2012, employé de Cooperl Arc Atlantique en qualité de directeur commercial de l'industrie de la salaison de Cooperl Arc Atlantique et Brocéliande - ALH (cotes 20542, 20393) (décision attaquée, § 106, non contesté), que M. [VD] était, sur la période 2010-avril 2012, salarié de Brocéliande - ALH et intervenait pour le compte de celle-ci en qualité de responsable commercial (décision attaquée, §108, non contesté) et que M. [T], qui a pris la suite de M. [VD] lors du départ en retraite de ce dernier exerçait les mêmes fonctions et avait le même périmètre d'intervention (décision attaquée, § 108, non contesté).

806.Ces déclarations présentent une forte crédibilité, notamment en ce qu'elles ont été confirmées par le second demandeur de clémence et sont étayées par les relevés téléphoniques de M. [AB] et d'autres pièces documentaires (courriels et notes saisis au cours des opérations de visite de 2013).

807.Pour les motifs déjà évoqués en partie I, G, du présent arrêt, la Cour considère que le Carnet de M. [AB] constitue également une preuve documentaire, qui n'est pas dépourvue de toute valeur probante, contemporaine des pratiques, même si la rédaction du Carnet n'a pas été systématiquement concomitante à tous les faits qui y sont notés. Elle renvoie également aux motifs du présent arrêt ayant reconnu à ce Carnet une crédibilité globale certaine, même s'il ne saurait emporter de manière automatique preuve suffisante de tous les éléments qu'il rapporte. Il convient donc d'en analyser le contenu au regard des autres pièces du dossier et en particulier du faisceau d'indices réunis, apprécié globalement.

808.À cet égard, c'est en vain que le groupe Cooperl procède à une analyse individuelle des documents saisis dans ses locaux (qualifiés de « point commerce en interne » (cotes 2204 et 2207) de simples courriels soumettant à un client une offre ou un changement de tarif (cotes 12691 et 12695 VC 12 726 / VNC 13 235, VC 12731 et VNC 13237) ou de simple « tableau interne de synthèse » (cote VC 2459 / VNC 13232)). En effet, ces éléments doivent être replacés dans leur contexte et s'apprécier globalement. En l'espèce, ces documents corroborent l'exactitude des informations échangées (sur les prix retranscrits dans le Carnet) et, partant, renforcent la crédibilité des mentions du Carnet.

809.Il en va de même de la cote 2676, qui correspond à un extrait de l'agenda de M. [CR] [T] indiquant « Appel [KT] [OG] [Localité 20]. AO Pâté - Il est chez DIA », dont il peut raisonnablement se déduire qu'il a conduit à un contact entre eux concernant des appels d'offres (« AO ») sur les « pâtés », ce que confirment les relevés d'appel des 12 et 13 octobre 2011 émis par M. [AB] à destination du groupe Cooperl (cote 46923) et la mention du Carnet rédigée en ces termes : « Tel GC en octobre 11 AO Pâté : A demandé hausse sur tous les pâtés (+ de 20 %). Vise la défense de son volume. AO Jambon cuit : a demandé hausse mais voudrait plutôt du volume en HM [hypermarché] à la place du SM [Supermarché] » (cote 73 - 12/0083AC), (caractères gras ajoutés par la Cour)

810.Pour le même motif, le groupe Cooperl n'est donc pas fondé à soutenir que les relevés téléphoniques fournis comme éléments corroborant les mentions du Carnet ne peuvent revêtir une valeur probante qu'à la condition qu'il ait été établi le contenu des prises de contacts téléphoniques en cause, ce que les relevés ne permettent pas, puisqu'ils s'inscrivent au sein d'un faisceau d'indices qui s'apprécient globalement. Il en est de même de l'objection selon laquelle la preuve d'un appel émis depuis le poste téléphonique de M. [AB] dirigé vers le standard de Cooperl serait en elle-même insuffisante au motif qu'elle ne permettrait pas d'identifier, de part et d'autre, les interlocuteurs de l'échange. À cet égard, la Cour constate que, contrairement à ce que soutient le groupe Cooperl, la majorité des appels de M. [AB] apparaissant sur les relevés n'a pas été passée vers le standard du groupe Cooperl. En effet, sur les 17 appels y figurant 14 sont passés vers les lignes portables de MM. [VA], [VD] et [T].

811.Concernant la structure du marché des produits de charcuterie cuits sous MDD ou premiers prix, qui induirait, selon le groupe Cooperl, que les négociations entre distributeur et fournisseur s'appuient sur la communication par les premiers des prix pratiqués par les concurrents pour faire converger les tarifs vers le niveau souhaité, la Cour relève que la nature oligopolistique du marché peut expliquer que des entreprises, de façon spontanée et autonome, adoptent des comportements similaires. Toutefois, il ressort des indices retenus par l'Autorité que des contacts directs sont intervenus entre concurrents. Si le faible pouvoir de marché des fournisseurs de produits MDD face aux distributeurs GMS peut les conduire à adopter des comportements similaires, force est de constater qu'il est également de nature à les inciter à se concerter pour résister au fort pouvoir de marché des GMS. En l'occurrence, la concordance entre les déclarations du demandeur de clémence, les mentions du Carnet de M. [AB], les relevés téléphoniques et l'exactitude des informations sur les prix reportées dans le Carnet confirmée par les documents émanant du groupe Cooperl suffit à démontrer l'existence de contacts directs entre Jean Caby et Cooperl/Brocéliande à l'origine de la transmission d'informations commercialement sensibles.

812.À titre d'illustrations, la Cour renvoie au rapprochement :

- de la mention relative à un échange du 9 mars 2011 concernant l'enseigne Lidl (visée dans la notification de griefs § 1423) :

« Tel AT [[X] [VA], Cooperl] le 09/03 s'est positionné à 0,995 en DD 4T. Récupérerait 3 entrepôts [Localité 62], [Localité 65] et [Localité 61] » (cote 210 - 12/0083AC)

et de la télécopie du 18 mars 2011 concernant les « offres charcuterie-salaison Cooperl » adressées au service achats de Lidl :

« Vous m'avez Interrogé pour recevoir des offres de prix sur quelques-uns de nos produits, et je vous en remercie.

Voici un éventail de nos possibilités :

(')

Jambon cuit supérieur DD 4 tranches barquette sous atmosphère 200g, 0,995€ HT/UVC

(')

Si mes offres paraissent correspondre à vos objectifs de prix d'achat, n hésitez pas à demander l'envoi des produits pour vos tests.

Bien à vous,

[X] [VA]

Directeur commercial Brocéliande-Cooperl »

813.Ou encore, au rapprochement :

- de la mention relative à un échange du jeudi 12 janvier 2012 concernant l'enseigne Auchan (visée dans la notification des griefs § 1401), se référant explicitement à un appel d'offre (« AO ») en cours :

« Tel AT le 12/01/12 Prix actuel Cooperl avec 5 % de hausse passée en décembre 2011 :

- Lardons 2x150g 3,87 demande en cours AO => 4,07 Prix annoncé [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] base 2,35 [indexation JSM [Localité 78]] 4,045

- Allumettes 2x150g 3,97 demande en cours AO => 4,17 Prix annoncé [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] base 2,35 [indexation JSM [Localité 78]] 4,474

D'après AT on ne peut pas justifier plus de 10 à 15cts d'écart entre lardons et allumettes » (cote 98 - 12/0083AC) ».

- des relevés téléphoniques (cote 17727, 13/00006F)) confirmant un échange téléphonique entre les portables de M. [AB] et de M. [VA] d'une durée de 07mn36

- Et des notes manuscrites saisies dans le bureau de M. [VA] dans les locaux du groupe Cooperl le 15 mai 2013, confirmant les prix mentionnés ci-dessus (cote 2207, 13/00006F).

814.Concernant la circonstance que les relations commerciales nouées entre Cooperl (abatteur) et [Localité 20] seraient de nature à justifier les appels téléphoniques en cause et que des références avaient d'ailleurs été faites à Cooperl (abatteur) dans le cadre des échanges intervenus entre concurrents lors des négociations du tarif des matières premières (JSM, relatif au grief n° 1), la Cour relève que M. [X] [VA] lors de son audition du 15 septembre 2016 (pièce Cooperl n° 2) a précisé, concernant cette relation commerciale, que « [l]es échanges avaient lieu une ou deux fois par an » et que « [l]es rares échanges téléphoniques avec M. [AB] étaient plus pour me parler de problèmes d'approvisionnement, de livraison vers leurs usines ». Il en ressort que les nombreux échanges observés sur les relevés téléphoniques de M. [AB] (15 appels sortants depuis le portable de M. [AB] vers le portable de M. [VA] sur une période d'un an, cote 47331 à 47337, et 11 appels sortants depuis sa ligne fixe vers le même téléphone portable sur une période de deux ans cotes 17722 à 17740 ) ne sont manifestement pas en lien avec l'activité d'abattage et de fourniture de matières premières de Cooperl, qui donnait lieu à des échanges de l'ordre de une à deux fois par an, selon les propres déclarations de M. [VA]. À cet égard, la circonstance que le relevé des appels téléphoniques de M. [AB] vers le groupe Cooperl révèle certains appels passés des jeudis et vendredis (jours de négociations des matières premières) est sans incidence sur l'analyse qui précède et la force probante du faisceau d'indices réunis, compte tenu du contexte décrit et des éléments corroborant l'objet de leurs échanges.

815.Sur le fond, s'agissant de l'identité des auteurs des pratiques, la Cour rappelle, tout d'abord, que la notification des griefs, est dirigée contre les sociétés Cooperl Arc Atlantique (RCS n° 383 986 874) et Brocéliande-ALH (RCS n° 412 082 224) « en raison de leur participation directe », étant précisé que la société Cooperl Arc Atlantique est également poursuivie en sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur Brocéliande-ALH, qu'elle a acquise en 2009, ce qui fera l'objet de développements distincts.

816.Dans une partie intitulée « Échanges entre Jean Caby et Cooperl/Brocéliande », cette notification liste les contacts litigieux, les regroupant par enseignes (Carrefour/Ed, Auchan, EMC, Système U, Provera/Cora, Aldi et Lidl) et y ajoutant « les divers tarifs » du Carnet.

817.Les notes du Carnet figurant dans la notification des griefs, qui reprennent la norme d'écriture déjà analysée à l'occasion des autres griefs, mentionnent (§ 1361 à 1435) des contacts de M. [AB] avec :

« AT » pour désigner M. [X] [VA] : « AT le 01/07/10 » ; « AT le 07/07 [2010]» ; « AT le 09/07 [2010] » ; « AT le 29/07[2010] » ; « AT 7 fev [2011] » ; « Tel AT le 08/02 [2011] » ; « Tel AT le 6/5/11 » ; « Tel AT/ (') 09/05 [2011] » ; « Tel AT le 23/05 [2011]» ; « AT le 23/05[2011] » ; « Tel AT le 19/12 [2011] » ; « Tel AT le 23/02 [2011] » ; : « Tel AT le 11/01/12 » ; « Tel AT le 12/01/12 » ; « Tel AT le 09/02/12 » ; « Tel AT le 06/05/11 » ; « Tel AT le 19/12[2011] » ; « Tel AT » mention rattachée à un échange situé entre le 3 janvier et le 23 février 2011 ; « Tel AT le 06/05 [2011] » ; « Tel AT le 6/5/11 » ; « Tel AT le 07/07[2010] » ; « Tel AT 23/02 [2011] » ; « Tel AT le 25/02 [2011] » ; « Tel AT le 6/5/11 » ; « Tel AT le 09/03[2011] » ; « Tel AT le 6/05/11 » ; « Tel AT le 10/02/12 » ; « Tel AT le 07/06/12 » ; « Tel AT le 29/10 [2010] » ; « Tel AT le 08/02/11 » ; « Tel AT le 23/02 [2011] » ; « Tel AT le 6/6/12 »

 

« JLS » pour désigner M. [KT] [VD] : « On se rappelle avec JLS (') lundi 9 [5/2011] » (NG § 1371) ; « Tel (') JLS(') 09/05 [2011] » ; « JLS le 10/05 [2011] » ; « Tel de JLS » mention rattachée à un échange du 24 juin 2011 ;

« GC » ou « [CR] » pour désigner M. [CR] [T], qui a pris la suite de M. [KT] [VD] lors du départ en retraite de ce dernier. Leurs fonctions et périmètres d'intervention étant identiques (décision attaquée, § 108, non contesté) : « On se rappelle avec (') [CR] lundi 9[5/2011] » ; « Tel (') GC 09/05 [2011] » « Tel G [T] le 24/06/11 » ; « Tel G. [T] » mentions rattachées à des échanges situés entre « le 21 juillet et le 6 septembre 2011 » ainsi qu'entre « le 24 août et le 6 septembre 2011 » ; « Tel GC le 07/09[2011] » ; « Tel GC en octobre 11 » ; « Tel GC 20/11/11 » ; « Tel G [T] le 24/06/11 »

818.La Cour observe que le Carnet fait apparaitre alternativement ou cumulativement le nom de ces employés, ainsi à titre d'illustrations :

- Concernant l'échange du 1er juillet 2010 relatif au prix des lardons pour Ed/Carrefour : « AT le 01/07/10 Lardons PA [prix d'achat] Cooperl 0,66 / [Localité 20] (en fait, Jean Caby) 0,667 Marion [07310 St-Martial] serait -cher 10cts/kg que nous => système livraison en baratte (Lutecia) CDC [cahier des charges] Lardons Ed 25 % MG [matière grasse] Cooperl doit passer en barquette (surcoût 1ct l'uvc) [ci-après unité de vente consommateur] Système fumage Cooperl : nébulisation » (cote 234 - 12/0083AC, notification des griefs §1361) ;

- Concernant l'échange du 9 mai 2011 sur l'appel d'offres Carrefour en jambons cuits libre-service « Tel AT/ JLS/ GC 09/05 AO Jbs cuit CRF LS => ne répondent pas sur UE [viande origine Union européenne] sauf sur le BIO. Vont demander hausse entre 0,10 et 0,15€/kg. Veulent garder leur volume sans +. Répondent sur CRFD [Carrefour Discount] VPF [Viande Porcine Française] => Niveau de prix : en AC [jambon avec couenne] 4T [4 tranches] (cart 12p) => 4,55 base 2€ [indexation JSM [Localité 78]] et VPF. Prix un peu -cher en carton 24p » (cote 60 - 12/0083AC, notification de griefs § 1372), (caractères gras ajoutés par la Cour)

819.La décision attaquée a retenu que « le groupe Cooperl Arc Atlantique a échangé à 42 reprises par téléphone avec la société Jean Caby, comme cela ressort des paragraphes 267 à 269 », lesquels renvoient aux paragraphes 1361 à 1436 de la notification des griefs et à l'annexe 4 du rapport.

820.Il se déduit des constatations qui précèdent (tirées des mentions reproduites dans la notification de griefs) que le nom de M. [VA] (« AT »), qui était employé de Cooperl Arc Atlantique en qualité de directeur commercial de l'industrie de la salaison de Cooperl Arc Atlantique et Brocéliande, est l'interlocuteur le plus souvent mentionné, M. [T] et M. [VD], salariés de Brocéliande, étant désignés de manière moins fréquente.

821.Il est donc inexact de soutenir, comme le fait le groupe Cooperl, que l'Autorité ne mentionne que Brocéliande comme participant aux échanges et qu'elle procèderait par simple voie d'affirmation pour impliquer la société Cooperl arc atlantique dans les pratiques. En effet, il ressort des mentions précitées et éléments corroborant celles-ci (notamment les relevés téléphoniques mentionnés dans le tableau 4.3, cote 46923) que les échanges litigieux ont le plus souvent été noués avec M. [VA]. Le moyen est rejeté.

822.S'agissant de la teneur des échanges, la Cour observe, sans qu'il soit nécessaire de les reproduire une à une, que les mentions figurant dans la notification des griefs font référence au positionnement commercial de groupes actifs sur le même marché et aux prix qu'ils entendent proposer, dans un contexte d'appel d'offre en cours ou à venir (renouvellement de contrats venant à échéance) non utilement contesté.

823.Elle renvoie à titre d'illustrations aux mentions suivantes (caractères gras ajoutés par la Cour) :

- Mention relative à un échange du 7 juillet 2010 (visé dans la notification des griefs, § 1412) concernant l'enseigne Aldi : « Tel AT le 07/07 va coter sur marché lardons. [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce prix actuel 0,68 demande hausse 0,695~ » (cote 184 - 12/0083AC) ;

- Mention relative à un échange du 9 juillet 2010 (visé dans la notification des griefs, § 1363) concernant l'enseigne Carrefour/ Ed : « AT le 09/07 [KT] [[KT] [AB] pour Jean Caby] annonce faire 0,65 lardons Ed/ AT actuel 0,66 fera aussi 0,65 » (cote 234 - 12/0083AC).

- Mention relative à un échange daté entre le 3 janvier et le 23 février 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1409 ) concernant l'enseigne Système U « Tel AT => est déjà en origine France sur tous ses produits Jbs/ pâté MDD et PPX => va demander 12cts sur Jbs pour passer en VPF » (cote 149 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 7 février 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1369) concernant l'enseigne Carrefour/ Ed : « AT 7 fev [[X] [VA] Cooperl] 6 %/6,5 % AO CRF Produits indexés => vont demander ~2/ 3% » (cote 274 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 23 février 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1413) concernant l'enseigne Aldi : « Tel AT 23/02 a préparé offre Aldi sur base jambon SM [sans mouille] 2,20 [indexation JSM [Localité 78]] => pensait proposer 0,995 en DD sup mais va revoir son offre (mini 1,04 notre prix). Aimerait bien se positionner en jambon chez Aldi. Sur les pâtés [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce 0,57, AT fera + » (cote 184 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 25 février 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1419) concernant l'enseigne Aldi « Tel AT le 25/02 se positionne sur AO Jbs cuit Prix annoncés :

AT [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]]

- DD sup > 1,04

- [Localité 73] [jambon de Paris]5€/kg 4,80

-[BC] ~ 6€/kg ~6€/kg » (cote 184 - 12/0083AC);

- Mention relative à un échange du 9 mars 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1423 ) concernant l'enseigne Lidl « Tel AT le 09/03 s'est positionné à 0,995 en DD 4T. (') » (cote 210 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 6 mai 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1410) concernant l'enseigne Système U « Tel AT le 06/05 prix actuel en DD 4T Bien Vu [MDD Bien Vu Système U] 0,72€/p / a demandé 5 % = ~20cts/kg de hausse mais va demander + (en adéquation avec hausse JSM [Jambon sans mouille]). Son prix avait baissé suite AO AMS [Centrale d'achats européenne Système U], à une MCV [marge sur coût variable] très faible » (cote 149 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 9 mai 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1372) concernant l'enseigne Carrefour/Ed : « Tel AT/ JLS/ GC 09/05 [[X] [VA] / [KT] [VD] / [CR] [T]] AO Jbs cuit CRF LS => ne répondent pas sur UE [viande origine Union européenne] sauf sur le BIO. Vont demander hausse entre 0,10 et 0,15€/kg. Veulent garder leur volume sans +. Répondent sur CRFD [Carrefour Discount] VPF [Viande Porcine Française] => Niveau de prix : en AC [jambon avec couenne] 4T [4 tranches] (cart 12p) => 4,55 base 2€ [indexation JSM [Localité 78]] et VPF. Prix un peu -cher en carton 24p » (cote 60 - 12/0083AC) ;

- Mention relative à un échange du 23 mai 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1377) concernant l'enseigne Carrefour/Ed : « Tel AT le 23/05 AO Jbs cuit MDD LS [Libre service] a demandé ~0,10€/kg de hausse sur MDD / N'a pas répondu sur origine UE [jambon non VPF origine Union européenne] » (cote 60 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange daté entre le 24 juin 2011 et le 12 juillet 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1383) concernant l'enseigne Carrefour/Ed « Tel de JLS [[KT] [VD] Brocéliande] a eu [YM] [[Y] [YM] acheteur Carrefour] au tel qui lui a demandé 15cts sur le DD [découenné et dégraissé] entier et demi, n'a rien demandé sur le AC [jambon avec couenne]. JLS va proposer 5cts donc sera à 3,54 sur le DD entier et 3,56 sur le ¿ » (cote 72 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 24 juin 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1381) concernant l'enseigne Carrefour/Ed : « Tel G [T] le 24/06 => AO Jbs coupe => a eu demande de baisse de [YM] [[Y] [YM] acheteur Carrefour] mais ne changera pas son offre. =>AO saucisson sec PE [pièce entière] a 3 produits enpanel et est très intéressé par une réf car besoin de volume sur l'usine de [Localité 76] » (cote 72 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange d'octobre 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1392) concernant l'enseigne Carrefour/Ed : « Tel GC en octobre 11 AO Pâté : A demandé hausse sur tous les pâtés (+ de 20 %). Vise la défense de son volume. AO Jambon cuit : a demandé hausse mais voudrait plutôt du volume en HM [hypermarché] à la place du SM [Supermarché] » (cote 73 - 12/0083AC)

824.Le groupe Cooperl n'est donc pas fondé à soutenir que de tels échanges entre concurrents actifs sur le même marché, portant sur les prix, dans un contexte d'appel d'offres, ne sont pas anticoncurrentiels.

825.Concernant l'adhésion du groupe Cooperl à des pratiques concertées relatives à la commercialisation de produits de charcuterie cuits sous MDD ou premier prix destinées à organiser les réponses, notamment en prix, aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution, grâce à des échanges d'informations, la Cour renvoie à nouveau au faisceau d'indices réunis apprécié globalement, tout en relevant, plus particulièrement, les mentions non équivoques suivantes (caractères gras ajoutés par la Cour):

- Mention relative à un échange du 9 juillet 2010 (visé dans la notification des griefs, § 1363) concernant l'enseigne Carrefour/ Ed : « AT le 09/07 [KT] [[KT] [AB] pour Jean Caby] annonce faire 0,65 lardons Ed/ AT actuel 0,66 fera aussi 0,65 » (cote 234 - 12/0083AC) ;

- Mention relative à un échange du 23 février 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1413) concernant l'enseigne Aldi, précitée « (') Sur les pâtés [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] annonce 0,57, AT fera + » (cote 184 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 6 mai 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1422) concernant l'enseigne Aldi : « Tel AT le 6/5/11 Prend tout le marché du AC [jambon avec couenne] a fait des offres en DS [dry sausage knacks] PE [pièce entière] - dte 250 1,40, - cbe 300 1,80, - pas d'offre en 400 » (cote 210 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 6 mai 2011, (visé dans la notification des griefs, § 1371) concernant l'enseigne Carrefour/Ed : « Tel AT le 6/5/11 offre en Jbs cuit obj conserver sa MCV [Marge sur coût variable] => demande hausse. Ne répond que sur le VPF [viande porcine française] et EQC [engagement qualité Carrefour]. Coupe : AC [jambon avec couenne] et DD [jambon découenné dégraissé] Compagnon [marque [Localité 20] de jambon cuit à la coupe] sur 1 entrepôt représente -de 100 T. Marché ne l'intéresse pas. On se rappelle avec JLS [[KT] [VD]] et [CR] [[CR] [T]] lundi 9. Pas présent sur Promocash [Grossiste Carrefour cash & carry] » (cote 60 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 24 juin 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1385) concernant l'enseigne Carrefour/Ed : « Tel G. [T] le 24/06/11 n'avait pas répondu à l'AO Jbs cuit car tout en UE [Union européenne]. L'acheteuse lui demande de coter en VPF. A actuellement l'épaule 8T BIO à 0,859 => demande 0,965 et ne bougera pas sa demande. Prêt à perdre le produit » (cote 234 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 7 septembre 2011 (visé dans la notification des griefs, § 1390) concernant l'enseigne Carrefour/Ed : « Tel GC le 07/09 ne répond qu'en VPF : - AC [jambon avec couenne] => 3,22 ¿ [demi-jambon] 3,34 - DD [découenné et dégraissé] => 3,53 ¿ [demi-jambon] 3,64 - Dernière offre Souhaite garder la ligne VPF - Vu P. [D] 9/09 [[ZS] [D] Directeur National d'Enseigne [Localité 20] Food Service] notre dernière offre AC [jambon avec couenne] => 3,115 (-1 ct vs dernière offre) - AC VPF => 3,297 on ne bouge pas » (cote 66 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 10 février 2012 (visé dans la notification des griefs, § 1426) concernant l'enseigne Lidl : « Tel AT le 10/02/12 Va se positionner sur AO Jbs cuit Prix annoncé [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] Prix AT

- AC 4T 0,912 0,97

- DD 4T 0,962 > 1,00

- [Localité 73] 1,172 1,24 »

(cote 213 - 12/0083AC)

- Mention relative à un échange du 7 juin 2012 (visé dans la notification des griefs, § 1427) concernant l'enseigne Lidl : « Tel AT le 07/06/12 Prix Pic [picorer] de [KT] [[KT] [AB] [Localité 20]] 0,75 => se mettra > [au-dessus] » (cote 213 - 12/0083AC)

826.Aucun des indices retenus n'étant utilement contesté, la Cour rejette la demande d'annulation ou subsidiairement de réformation.

V. SUR L'IMPUTATION DES PRATIQUES AUX SOCIÉTÉS MÈRES

827.La décision attaquée a retenu l'imputabilité des pratiques à un certain nombre de sociétés mères, dont les sociétés mères Mousquetaires au titre des griefs n° 1 et 3 et Cooperl arc atlantique au titre du grief n° 3.

828.Les sociétés mères Mousquetaires relèvent, en premier lieu, que la Société Les Mousquetaires (ci-après « SLM ») a été constituée le 30 octobre 2012, de sorte qu'elle n'existait pas pendant la durée des pratiques visées par le grief n° 3 qui concernait la période du 30 mars 2011 au 3 janvier 2012, et qu'elle n'a vu le jour qu'en toute fin s'agissant du grief n° 1 reproché à Salaisons Celtiques, qui concernait la période du 14 janvier 2011 au 26 avril 2013. Elles demandent en conséquence à la Cour d'annuler les articles 2 et 6 en ce qu'ils concernent la SLM.

829.Elles soutiennent, en deuxième lieu, qu'aucune influence déterminante n'était exercée sur les trois filiales concernées, qui sont des unités de production autonomes. Elles précisent que chaque unité de production est gérée par son propre management, même si certaines décisions peuvent être prises en commun par celles dont les activités sont les plus proches et qui le souhaitent. Elles relèvent que tel a été le cas de SCO, Salaisons Celtiques et Salaisons du [Localité 63] au cours de la période, lorsqu'elles ont concomitamment choisi de se diversifier dans le domaine de la MDD, décidé que l'une d'entre elles recruterait un responsable commercial ayant l'expérience requise et conclu une convention de prestations entre elles en ce sens. Elles ajoutent que les unités de production définissent leur propre cahier des charges et animent leurs propres marques. Dans le même sens, elles soutiennent que les infractions reprochées concernent un niveau de responsabilité propre aux unités de production dans la mesure où les négociations de prix d'achat de JSM étaient de la seule responsabilité de M. [VC] [NE] au sein de la société Salaisons Celtiques et qu'il en allait de même des décisions prises par les trois unités de production concernant leurs ventes sur le marché de la MDD qui représentaient pour chacune moins de 10 % de leur chiffre d'affaires. Elles ajoutent que les décisions de candidater à une consultation ou un appel d'offres donné étaient prises seules par M. [NC] [PJ] au titre du contrat de « Prestations Promotion Hors Groupement » daté du 27 juin 2007.

830.Les sociétés mères précisent qu'elles sont des entités détenues et contrôlées par des adhérents personnes physiques et gestionnaires de leur(s) point(s) de vente indépendant(s) et qu'étant dépourvues de personnel et dirigeant elles ne contrôlent pas les décisions des filiales et sont insusceptibles d'exercer une influence sur elles. Elles précisent que la fonction de contrôle des sociétés de production est dévolue à ITM Entreprises, qui est une holding opérationnelle qui assure un certain nombre de services communs au bénéfice des entités qu'elle contrôle. Elles estiment que l'autonomie de décision des unités de production est d'autant plus grande que l'activité de production agro-alimentaire est fondamentalement différente de l'activité de distribution sur laquelle se concentrent, chacun à leur niveau, les adhérents du groupement et les équipes d'ITM Entreprises, essentiellement dédiées à des services de support d'activités de distribution.

831.En quatrième lieu, elles estiment que la décision attaquée ne saurait leur imputer la responsabilité de pratiques qui leur auraient directement porté préjudice. Elles ajoutent que le groupement accompagne les unités de production dans les investissements dans l'outil de production et que chaque année des montants importants sont investis, notamment au bénéfice des unités de production charcutières, dans un contexte financier particulièrement difficile. Elles en déduisent que l'investissement du groupement au soutien des éleveurs, de la filière porcine et des prix bas aux consommateurs contredit toute éventualité d'influence déterminante sur les filiales.

832.S'agissant du grief n° 1 reproché à la société Salaisons Celtiques, elles rappellent que le groupement détenait également des sociétés d'abattage, dont notamment la société Gatine Viandes, à l'époque considérée. Or, elles estiment qu'une entente sur les variations de prix d'achat hebdomadaire de JSM aurait été incohérente puisque cela aurait nécessairement conduit à une perte pour la société Gatine Viandes, laquelle aurait été supérieure aux gains qui auraient été générés pour la société Salaisons Celtiques dès lors que la société Gatine Viandes vendait plus de JSM que la société Salaisons Celtiques n'en achetait sur la période 2011-2013.

833.S'agissant du grief n° 3, elles relèvent que de telles pratiques portent directement préjudice à l'activité de distribution du groupement et auraient eu vocation à augmenter les prix de vente internes des trois unités de production.

834.En cinquième lieu, elles dénoncent l'absence de réponse spécifique aux arguments avancés par le groupement, conduisant l'Autorité à leur appliquer une présomption irréfragable. Elles estiment que la jurisprudence invoquée par l'Autorité ne peut pas être applicable par analogie aux faits en cause et, partant, n'explique en rien comment la société civile Les Mousquetaires (ci-après « SCM ») et SLM pourraient être présumées responsables du comportement de leurs filiales dans le cadre d'une infraction aux règles de concurrence. Elles ajoutent que le fait que les entreprises puissent invoquer des éléments tirés de l'autonomie structurelle de la filiale pour renverser la présomption ne signifie pas que la démonstration de ladite autonomie soit limitée exclusivement à de tels liens. Elles font valoir que rien n'exclut qu'une filiale soit considérée comme agissant de façon autonome dès lors que sa conduite, comme en l'espèce, contredit directement les intérêts de la société qui la contrôle.

835.Les filiales SCSG et SCO s'associent aux arguments invoqués par leurs sociétés mères.

836.Le groupe Cooperl, quant à lui, fait valoir, dans l'hypothèse où la participation de Brocéliande dans les pratiques serait retenue, que rien ne démontre qu'une telle participation soit issue ou en lien avec une influence déterminante de la société mère sur sa filiale, la reprise de Brocéliande par Cooperl ayant été signée le 4 décembre 2009.

837.L'Autorité, concernant le groupe Les Mousquetaires, fait valoir, en premier lieu, que la décision attaquée ne retient les responsabilités des sociétés mères Les Mousquetaires qu'au titre des périodes pertinentes visées par le grief n° 1 et seulement celle de la SCM pour le grief n° 3.

838.En deuxième lieu, elle rappelle le principe de présomption réfragable d'exercice d'influence déterminante issue de la jurisprudence de la Cour de justice et sa constance concernant le caractère inopérant de la circonstance que la société mère soit une holding non opérationnelle, de même que la non-immixtion de la holding dans l'activité de la filiale, la diversité des activités réalisées par le groupe, le fait qu'une filiale dispose de sa propre direction locale ou encore l'absence de dirigeants communs, pour renverser cette présomption d'influence déterminante sur sa filiale.

839.En troisième lieu, elle écarte l'argument du groupe Les Mousquetaires selon lequel son engagement au profit de la filière du porc et des prix bas aux consommateurs contreviendrait à une éventuelle influence, en indiquant que la jurisprudence européenne considère que le fait qu'une filiale ne se conforme pas à une instruction donnée par sa société mère ne suffit pas, à lui seul, à établir l'absence d'exercice effectif d'une influence déterminante.

840.Enfin, l'Autorité estime que l'argument selon lequel les infractions reprochées ont été commises à son détriment ne répond pas à la nécessité pour la société mère, dans l'objectif de renverser la présomption d'influence déterminante, de produire des éléments économiques, organisationnels et juridiques susceptibles de caractériser l'autonomie de la filiale.

841.Concernant le groupe Cooperl, elle ne formule pas d'observation.

842.Le ministre chargé de l'économie, concernant le groupe Les Mousquetaires, relève, en ce qui concerne l'argument tiré de la non-existence de la SLM au moment de l'infraction, d'une part que les périodes d'influence déterminante reprochées seraient intervenues pendant les années 2010 à 2012 pour la SCM et pendant l'année 2013 pour la SLM, qui était donc bien constituée.

843.Il soutient, d'autre part, que le critère de détention capitalistique nécessaire à l'imputabilité d'une présomption d'influence déterminante de la société mère n'a pas été remis en cause par la SLM et la SMC qui détenaient directement ou indirectement par l'intermédiaire de l'ITME 100 % du capital des filiales Salaisons du [Localité 63] et Salaisons Celtiques, l'ITME étant elle-même détenue à 100 % par la tête du groupe.

844.Enfin, le ministre chargé de l'économie soutient qu'il n'est pas nécessaire que la société mère ait été directement impliquée dans les pratiques ou ait eu connaissance de ces pratiques pour que l'imputabilité soit retenue.

845.Concernant le groupe Cooperl, il relève que la décision attaquée a précisé que les pratiques reprochées aux sociétés Cooperl Arc Atlantique et Brocéliande ALH avaient été mises en œuvre par MM. [X] [VA], [CR] [T] et [KT] [VD] (§ 267) et qu'elle a établi également qu'au vu du périmètre de leurs fonctions, tous trois intervenaient pour le compte de ces deux sociétés (§ 106 à 108). Il en déduit que les moyens relatifs à l'imputabilité des pratiques doivent être rejetés.

Sur ce, la Cour :

846.Il résulte d'une jurisprudence constante que lorsqu'une société mère détient, directement ou indirectement, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l'Union européenne, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale (CJUE, 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521/09 P, point 56 ; 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C-93/13 P et C-123/13 P, point 41 ; Com. 6 janvier 2015, pourvois n° 13-22.477 et n° 13-21.305, Bull. n° 1 )

847.Il incombe, dès lors, à la société mère contestant l'imputation d'un comportement commis par sa filiale de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer l'autonomie de cette dernière (TUE, 27 septembre 2006 , Avebe/Commission, T-314/01, point 136 ; CJUE 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286/98 P, point 29) relatifs aux « liens économiques, organisationnels et juridiques » unissant les deux entités et établissant que sa filiale ne constitue donc pas avec elle une unité économique (Com., 6 janv. 2015, n° 13-21.305).

848.En l'espèce, concernant le groupe Les Mousquetaires, la Cour rappelle, en premier lieu, qu'aux termes de la notification du grief n° 1, il a été reproché à treize sociétés, dont la société Salaisons Celtiques et les sociétés mères du groupe Les Mousquetaires, « de s'être accordées et concertées, au travers d'échanges bilatéraux d'informations, du 14 janvier 2011 au 26 avril 2013 » et aux termes de la notification relative au grief n° 3, il a été reproché à seize sociétés, dont les sociétés Salaisons Celtiques, les Salaisons du [Localité 63], SCO et leurs sociétés mères du groupe Les Mousquetaires, « de s'être accordées et concertées, du 1er juillet 2010 au 19 septembre 2012 ». La décision attaquée a retenu une participation de la société Salaisons Celtiques sur toute la période visée au grief n°1, puis a examiné l'imputabilité des pratiques, en tant que sociétés mères, à la SCM pour la période 2011-2012 et à la SLM pour 2013 (§ 758).

849.Il n'est pas contesté que la SCM détenait directement ou indirectement par l'intermédiaire de la société ITM Entreprises, la totalité ou quasi-totalité du capital des filiales auteures sur la période 2011-2013. Il n'est pas utilement contesté que la SLM détient, depuis 2013, 100 % du capital de la SCM, laquelle détient 100 % de la société ITM Entreprises, de sorte qu'elle détient également indirectement la totalité ou quasi-totalité du capital des filiales.

850.Par conséquent, sur la période 2011-2012, pour la première, et 2013, pour la seconde, la présomption d'influence déterminante était applicable à la SCM et la SLM qui détenaient indirectement la totalité du capital de la société Salaisons Celtiques, auteure de l'entente sur la variation du prix hebdomadaire du JSM (grief n° 1).

851.Il ressort par ailleurs de la lecture des paragraphes 758 et 759 de la décision attaquée que, nonobstant la rédaction maladroite du paragraphe 759, la décision attaquée n'a pas imputé à la SLM, au titre du grief n° 1, des pratiques antérieures à sa constitution intervenue le 30 octobre 2012, mais a retenu, par application de la présomption précitée, sa responsabilité pour les pratiques qui se sont poursuivies sur l'année 2013, soit postérieurement à l'opération de restructuration qui lui a transféré 100 % du capital social de la SCM à compter de 2013 et l'a placée à la tête du groupe en lieu et place de cette dernière (opération décrite au § 758 de la décision attaquée). L'argument selon lequel l'Autorité aurait appliqué la présomption et imputé à la SLM des pratiques antérieures à sa constitution manque ainsi en fait, s'agissant du grief n° 1.

852.La Cour ayant réformé la décision attaquée et mis hors de cause les filiales au titre du grief n° 3 le moyen est devenu sans objet concernant ce grief.

853.S'agissant des éléments invoqués par la SLM et la SMC pour renverser la présomption résultant des liens capitalistiques précités, il convient de relever, en premier lieu, que la circonstance qu'elles ne soient que des holdings de portage des actions des entités opérationnelles du groupement, n'est pas, elle-même, suffisante pour renverser la présomption, comme le rappellent avec constance les juridictions nationales comme européennes (Com. 18 octobre 2017, pourvoi n° 16-19.120 ; CJUE, 5 mars 2015, C-93/13 P et C-123/13 P, Commission e.a. / Versalis e.a, point 43). En effet, l'imputation du comportement infractionnel d'une filiale à sa société mère ne requiert pas que la société mère dispose d'une compétence technique ou de moyens humains lui permettant d'interférer dans le domaine spécifique ayant fait l'objet de l'infraction.

854.Il convient de rappeler également que ce n'est pas une implication de la société mère dans la commission de l'infraction, mais le fait qu'avec sa filiale elles constituent une seule entreprise, qui habilite l'Autorité à imputer à la société mère les agissements de la filiale qu'elle détient en totalité ou quasi-totalité, par application d'une présomption réfragable, selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale.

855.Par ailleurs, si certains indices corroborent habituellement l'influence déterminante de la société mère et une absence d'autonomie de la filiale (tels des personnels et locaux communs, une gestion commune des ressources humaines ou une similitude dans les activités ') il ne saurait être déduit de la seule circonstance que de tels éléments n'auraient pas été constatés à l'égard des filiales en cause, une preuve suffisante de l'absence d'influence déterminante de ses sociétés mères. Dès lors, c'est en vain que les requérantes, pour renverser la présomption, invoquent la diversité des activités exercées, la non-immixtion de la holding dans les activités de la filiale, la configuration du groupe ou le Contrat de « Prestations Promotion Hors Groupement » qui permettait à M. [NC] [PJ] de répondre à un appel d'offre.

856.L'exercice effectif d'une influence déterminante par la société mère sur sa filiale étant considéré comme établi en vertu de la présomption en cause, l'Autorité est fondée à tenir la première responsable du comportement de la seconde, sans avoir à produire aucune preuve supplémentaire. L'Autorité n'avait donc ni à démontrer que les sociétés mères exerçaient concrètement une influence déterminante sur les filiales, ni qu'elles connaissaient les pratiques reprochées à celles-ci.

857.En deuxième lieu, il doit être rappelé que l'application de la présomption s'applique quel que soit le degré d'interposition entre l'auteur matériel et la société faitière. Il est donc vain d'invoquer la circonstance que la fonction de contrôle des sociétés de production est dévolue à ITM Entreprise et que les infractions reprochées concernent un niveau de responsabilité propre aux unités de production, puisqu'il est constant que SLM détient 100 % du capital de la SCM, laquelle détient 100 % de la société ITM Entreprises.

858.Par ailleurs, la notion d'entreprise au sens de l'article 101 du TFUE ne suppose pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale, ni une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise au sens d'unité économique (CJUE, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel NV et autres contre Commission des Communautés européennes, C-97/08 P) ce que les éléments précités ont établi en l'espèce.

859.S'agissant du fait que l'engagement du groupement en faveur de la filière porc et des prix bas aux consommateurs depuis plusieurs années contredirait l'influence déterminante sur les filiales pour des pratiques qui y seraient contraires, la Cour rappelle qu'il est indifférent en ce qui concerne l'existence de l'infraction que la pratique ait été ou non contraire aux objectifs que l'entreprise affiche publiquement.

860.Il en va de même concernant l'argument tiré de ce que les pratiques du grief n° 1 ont directement porté préjudice au groupement dès lors qu'il est tout aussi indifférent, en ce qui concerne l'existence de l'infraction, que la pratique ait été ou non dans l'intérêt commercial de l'entreprise (CJUE, 25 janvier 2007, C-403/04 déjà cité) et que la présomption en cause est applicable en vertu des seules relations capitalistiques. La Cour ajoute qu'un tel argument est en outre sans portée dès lors qu'il n'apporte aucun élément susceptible de démontrer en quoi les liens économiques, organisationnels et juridiques en place attestent de l'autonomie de la filiale.

861.Enfin, la Cour rappelle, par ailleurs, que le fait qu'une filiale ne se conforme pas à une instruction donnée par sa société mère ne saurait suffire à écarter le présomption (CJUE 16 juin 2016, Evonik Degussa/Commission, C-155/14 P) et il n'est établi par aucun des éléments du dossier que les filiales auraient systématiquement été à l'encontre des instructions données par leur société mère.

862.C'est ainsi à juste titre que la décision attaquée a retenu que la SLM et la SMC n'avaient pas renversé la présomption d'influence déterminante. Le moyen est rejeté.

863.Concernant le groupe Cooperl, la Cour rappelle que la responsabilité des sociétés Cooperl Arc Atlantique et Brocéliande - ALH a été retenue en tant qu'auteures des pratiques sur la base des éléments examinés en partie IV, C) du présent arrêt - Et que celle de la société Cooperl Arc Atlantique l'a également été en sa qualité de société mère de la société Brocéliande.

864.La société Cooperl Arc Atlantique ayant été détentrice de 100 % du capital de la société Brocéliande - ALH sur la période infractionnelle s'étendant du 7 juillet 2010 au 7 juin 2012 (pour l'avoir acquise en octobre 2009) c'est à juste titre que la décision attaquée a fait application de la présomption d'influence déterminante de la société mère sur sa filiale.

865.Le groupe Cooperl ne fournissant aucun élément en vue de renverser ladite présomption, le moyen est rejeté.

VI. SUR LES SANCTIONS

A. Sur le montant de base et le coefficient appliqué à la valeur de référence

1. Concernant le grief n° 1

866.La décision attaquée a retenu (§ 802 et suivants) la valeur des achats de JSM réalisés en France, telle que figurant au tableau 58, à laquelle elle a appliqué un coefficient de 16 % tenant compte du fait, notamment, que les pratiques sont « particulièrement graves par nature » mais ont eu des « effets très limités » s'agissant du dommage causé à l'économie.

867.La société Salaisons Celtiques conteste tous les niveaux du calcul de la sanction, qu'il s'agisse de la valeur des ventes, du coefficient en lien avec la gravité et le dommage à l'économie, ou encore de la durée.

868.Elle soutient, en premier lieu, que l'Autorité a méconnu les principes du Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le « Communiqué sanctions »), en retenant, sans justification, le montant des achats de JSM réalisés en France pour établir l'assiette de sa sanction, alors que celui-ci se réfère uniquement à la prise en compte « d'une valeur des ventes ». Elle estime que si la valeur des achats de chacun des participants est un indicateur parmi d'autres de leur poids respectif en tant qu'acheteurs, il est permis de douter de la pertinence de l'indicateur, en tant que tel, s'agissant d'adapter la sanction à l'infraction retenue. Elle relève d'ailleurs que les ententes à l'achat sont rarement sanctionnées et observe que dans la décision du porc-charcutier, déjà évoquée (décision n° 13-D-03, § 317), il avait été considéré qu'il serait plus opportun de retenir « l'ensemble des ventes de viande de porc sur le marché aval », affecté d'une décote de 75 %. Elle ajoute que, s'il n'est pas certain que cette approche soit théoriquement meilleure, elle aurait eu, en l'occurrence, le mérite de réduire l'assiette pour éviter de déconnecter le niveau de sanction du comportement en cause. Elle souligne que le point 39 du Communiqué sanctions ne prévoit une exception à la possibilité de prendre en compte la valeur des ventes que dans « les cas particuliers où l'Autorité estime que la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise », à l'instar de la décision n° 13-D-03 précité. Elle ajoute que le fait que l'approche proposée par les services d'instruction dans leur rapport n'ait pas été contestée est sans incidence dans la mesure où l'obligation de motivation revêt un caractère d'ordre public et qu'il ne saurait être considéré que toute appréciation qui n'a pas été contestée par une partie ne pourrait plus être remise en cause par la cour d'appel.

869.Elle fait valoir également que les achats internes effectués auprès de la société Gâtine Viandes, une société sur représentant des achats de 2,1 M€ en 2012, soit 9 % du montant d'achats retenu par l'Autorité, doivent être exclus de l'assiette de la valeur des ventes. Elle considère en effet que ces achats ne se réalisaient pas sur le marché concurrentiel et qu'il convient de déduire la valeur des achats internes du montant de base, ce qui conduit à un montant de base de 21 279 541 euros après correctif (sur la base des données communiquées à l'Autorité dans le cadre de la procédure, le 14 octobre 2019, saisine 13/0006F - Mémoires en réponse et autres pièces - annexe 69 VC). Elle précise qu'il ne s'agit pas ici de dénoncer une éventuelle double-comptabilisation des achats effectués auprès de la société Gatine Viandes, mais de contester le fait que ces achats ne sont pas réalisés sur un « marché » au sens du droit de la concurrence (étant interne au groupement). Elle estime, à l'instar de ce que la cour d'appel a déjà admis dans l'affaire Apple, que les achats internes « relevaient d'un canal d'approvisionnement distinct et hors du champ d'application de l'entente » et ne peuvent être considérés comme en lien avec l'infraction, ce qui justifierait de les exclure.

870.Elle soutient, en deuxième lieu, que la décision attaquée a procédé à l'application d'un coefficient de gravité et de dommage à l'économie manifestement disproportionné. Elle lui reproche, d'abord, de ne pas avoir tenu compte du fonctionnement du secteur, en s'écartant sans raison d'une pratique décisionnelle constante, alors que cela aurait dû la conduire à constater que les pratiques ont porté une atteinte moyennement grave à la concurrence. Elle relève, ensuite, que les échanges d'information en cause auraient dû la conduire à réduire le coefficient retenu, en appliquant un coefficient de gravité bien inférieur à 15 %. Elle lui reproche, encore, de ne pas avoir renoncé à la mise en œuvre du Communiqué sanctions, comme elle l'avait fait dans la décision n° 15-D-08 du 5 mai 2015, au regard du dommage à l'économie « très limité », et d'avoir même retenu un coefficient bien supérieur à celui retenu dans des affaires comparables. Elle invoque le respect des principes d'égalité de traitement et de sécurité juridique dans la mise en œuvre des textes adoptés pour calculer le montant des sanctions. Enfin, elle conteste la similitude de coefficient appliquée pour toutes les entreprises impliquées dans le grief n° 1 - alors qu'elle aurait dû procéder à une appréciation distincte faute pour l'Autorité d'avoir caractérisé l'existence d'une infraction unique complexe et continue et/ou une participation à une entente avec toutes les autres entreprises - ainsi que la similitude de coefficient appliqué pour les trois griefs, qui révèle, selon elle, une sanction calculée sur une base forfaitaire en violation de l'article L. 464-2 du code de commerce et du principe de proportionnalité. Elle soutient que les facteurs d'atténuation de gravité et dommage reconnus pour le grief n° 1 devaient conduire à retenir un taux inférieur à celui retenu pour le grief n° 2. Elle souligne également que la sophistication des pratiques visées par le grief n° 1 est nettement moins importante que celle des pratiques visées au grief n° 2, excluant également qu'un même coefficient puisse être retenu.

871.Le groupe Fleury Michon soutient que l'application d'un coefficient de 16 % résulte de plusieurs erreurs manifestes d'appréciation concernant la gravité des pratiques et le dommage causé à l'économie.

872.Concernant la gravité des pratiques, il reproche à l'Autorité d'avoir assimilé les pratiques à des accords de fixation de prix, alors que les faits visés par le grief n° 1 constituent une pratique concertée d'échange d'informations et que les simples échanges d'informations sont, par nature, moins graves que les accords de fixation de prix entre concurrents. Comme la société Salaisons Celtiques, il critique l'application d'un même coefficient multiplicateur pour les trois griefs, alors que les griefs n° 2 et n° 3 concernent des pratiques de fixation tarifaires. Comparant avec les précédents ayant sanctionné de simples échanges d'informations il constate que les coefficients appliqués s'échelonnent entre 6 et 10 %. Il lui reproche également de ne pas avoir tenu compte du fait que les pratiques, qui ont eu pour objet selon l'Autorité de limiter les hausses de prix que les abatteurs cherchaient à imposer aux charcutiers-salaisonniers, n'ont pas directement affecté le consommateur final et ont ainsi affecté des opérateurs disposant d'un très fort pouvoir de négociation, lié notamment au caractère sous-capacitaire du marché de l'abattage ainsi qu'à la très forte concentration de la filière de l'abattage en France. Il en déduit que l'application d'un coefficient multiplicateur significativement inférieur à 15 % s'impose.

873.Concernant le dommage causé à l'économie, il relève que, selon la thèse de l'Autorité, les échanges d'informations auraient dû permettre aux charcutiers salaisonniers de bénéficier de conditions d'achat plus favorables et que l'analyse économique démontre que cela n'a pas été le cas. Il constate que la décision attaquée reconnaît que les pratiques ont causé un dommage à l'économie non significatif à l'amont et inexistant à l'aval (pour le consommateur) et qu'en dépit de la quasi-absence de dommage à l'économie, elle retient un coefficient de 16 %, manifestement disproportionné au regard de ceux appliqués dans d'autres affaires.

874.S'appuyant sur une nouvelle étude économique (pièce n° 9), ainsi que sur la jurisprudence de la Cour (CA [Localité 73], 6 octobre 2022, RG n° 20/01494, points 560 à 565), il estime que la Cour ne pourra que retenir un coefficient multiplicateur sensiblement inférieur à 10 %.

875.L'Autorité fait valoir, en premier lieu, concernant la valeur de référence, avoir, conformément au point 39 de son Communiqué sanctions, retenu comme assiette de sanction la valeur des achats et avoir motivé ce choix par le fait que les pratiques ont concerné les achats de JSM réalisés en France (§ 802 de la décision attaquée). Elle observe également que cette approche, proposée par les rapporteurs dans leur rapport, n'avait pas été contestée dans le mémoire en réponse. Elle en déduit que c'est en cohérence avec le débat contradictoire, et sans méconnaître le Communiqué sanctions, ni la réalité des pratiques, que l'Autorité a justifié dans sa décision le recours aux achats pour la détermination de la sanction. À titre subsidiaire, elle relève que le choix des achats constitue une solution favorable à l'ensemble des mises en cause, en ce qu'il minore l'assiette des sanctions par rapport à la valeur des ventes.

876.S'agissant de la comptabilisation des achats réalisés auprès de la société Gatine Viandes, elle constate, d'abord, que leur poids évalué à 9 % du montant total des achats de la société Salaisons Celtiques, est dépourvu de justificatif et que la prise en compte des achats réalisés auprès de la société Gatine Viandes n'est pas susceptible de générer un double compte. Elle relève, ensuite, que dès l'instant où une catégorie de produits ou de services est « en relation avec l'infraction », la valeur des ventes de cette catégorie de produits ou de services doit être prise en compte, sans avoir besoin d'être affectée par l'entente. Elle cite en ce sens la jurisprudence de la Cour (CA [Localité 73], 19 juillet 2018, Chronopost SAS e.a., n° 16/01270, point 859). En l'espèce, elle rappelle qu'il est reproché aux entreprises de s'être accordées et concertées sur la variation du prix d'achat hebdomadaire du JSM et que cette cotation constituait, à l'époque des pratiques, une référence pour l'ensemble des acteurs de la charcuterie-salaisonnerie, de nature à affecter l'ensemble des transactions d'achat de JSM. Elle en déduit que c'est donc sans méconnaître sa pratique et la jurisprudence précitée qu'elle a retenu l'ensemble des achats de JSM de la société Salaisons Celtiques, dès lors que ces derniers sont en relation avec l'infraction.

877.Concernant la gravité et le dommage à l'économie sur la base desquels a été défini le coefficient de valeur, elle estime que c'est de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce, que ces éléments ont été appréciés. Elle rappelle que les ententes horizontales entre concurrents sur un même marché sont considérées comme les pratiques anticoncurrentielles les plus graves et la circonstance invoquée selon laquelle l'infraction serait justifiée par le fonctionnement du secteur demeure sans influence sur l'appréciation de sa gravité. Elle souligne que dans la décision n° 15-D-03 du 11 mars 2015, dite l'affaire des « produits laitiers », la Cour a relevé qu' « aucune de ces considérations [forte volatilité du prix du lait, grande dépendance à l'égard des GMS, fort pouvoir de négociation des distributeurs, nécessité vitale de répercuter ces hausse'] n'est de nature à remettre en cause le constat précédent que, par nature, les pratiques objets de la présente instance sont, les unes, d'une particulière gravité, les autres, les infractions les plus graves en droit de la concurrence. L'interprétation contraire reviendrait à admettre qu'il est, dans cette hypothèse, légitime pour les opérateurs économiques de violer les règles les plus fondamentales du droit de la concurrence » (CA Paris, 23 mai 2017, société Laïta e.a., n° 2015/08224, § 225).

878.Quant au dommage à l'économie, elle souligne que la décision attaquée a conclu que celui-ci a été très limité. Elle estime qu'il ne peut pour autant être qualifié de nul au regard des différents constats opérés, notamment l'ampleur de l'entente reprochée qui a couvert une large part du marché, lui conférant ainsi la capacité de fausser le jeu concurrentiel. Elle rappelle que les effets potentiels d'une pratique anticoncurrentielle doivent être pris en compte pour apprécier le dommage causé par cette pratique à l'économie (Com, 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13910). Elle fait encore valoir la jurisprudence constante aux termes de laquelle « les arguments sur le niveau de la sanction ou le taux de réduction appliqués dans d'autres affaires sont inopérants, la sanction devant être individualisée en fonction des seuls critères légaux » (CA Paris, 24 avril 2007, société JH Industrie, n° 2006/06912, précité, p. 7 et 29 septembre 2009, Etablissements Mathé, n° 2008/12495, p. 17, Trib., 13 janvier 2004, JCB Service/Commission, T-67/01, Dansk Rorindustri e.a./Commission, C-189/01 P, § 173).

879.Concernant la disproportion alléguée concernant le taux retenu, par comparaison avec certaines autres affaires, l'Autorité relève également que ces dernières ne sont pas comparables notamment au regard de la nature des pratiques en cause. Elle observe, en tout état de cause, que concernant des infractions similaires de concertation sur les prix, impliquant notamment de nombreux acteurs du secteur, la comparaison révèle une parfaite cohérence décisionnelle avec des taux de 16 à 20 %. Elle ajoute qu'il suffit de se référer à la décision attaquée, qui analyse bien séparément la gravité et le dommage de chaque grief, pour constater que les pourcentages retenus ne font que traduire ces analyses respectives, même s'ils sont, in fine, identiques pour les trois griefs.

880.Elle indique, par ailleurs, que la portée des résultats statistiques issus de la nouvelle étude produite par le groupe Fleury-Michon, pâtit de ce qu'aucun autre déterminant des taux de répercussion des variations du cours du MPB sur la cotation du JSM au marché de [Localité 78] ou sur les prix d'achat de Fleury-Michon (comme la concentration des abatteurs ou le niveau de demande des clients) n'est pris en compte hormis l'existence de la pratique reprochée. Elle soutient que les mêmes remarques s'appliquent d'ailleurs à l'étude économétrique produite par la société Salaisons Celtiques. Elle ajoute que la comparaison de l'évolution des cours du JSM en France, en Allemagne et en Espagne proposée dans l'étude économique du groupe Fleury Michon ne tient pas compte des déterminants des cours dans ces trois pays et n'étudie pas comment l'évolution des cours a pu être modifiée pendant les pratiques comparé à une période antérieure et/ou postérieure à celles-ci. En tout état de cause, elle considère que l'absence d'effet des pratiques appréhendable au travers de ces méthodologies simples, combinée à la dégradation continue des résultats des entreprises du secteur et autres éléments présents au dossier présentés dans la décision attaquée, confirme la conclusion selon laquelle les effets réels de la pratique étaient très limités. Elle ajoute que des variations constatées différentes de celles échangées par les mises en cause ne démontrent pas une absence d'effet. Elle estime en effet que, sans toujours parvenir à imposer leurs vues au marché, les participants aux pratiques ont pu influencer, par ces dernières, la fixation du cours à un niveau différent de celui qui aurait été constaté en l'absence des pratiques. Enfin, elle estime que le fait que l'entente reprochée portait sur les prix d'achat n'est pas de nature à la priver d'effets anticoncurrentiels, fussent-ils d'ampleur limitée. Elle renvoie à cet égard aux Lignes directrices sur l'applicabilité de l'article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale, et, plus particulièrement, sur les accords à l'achat (point 202).

881.Le ministre chargé de l'économie partage l'analyse de l'Autorité concernant la valeur des ventes retenue, la gravité et le dommage causé à l'économie.

882.En revanche, concernant le coefficient retenu, il estime que la prise en compte du caractère très limité du dommage causé à l'économie, en raison notamment des caractéristiques et difficultés du secteur aurait justifié, à défaut d'écarter le communiqué sanctions, de retenir le taux minimum de 15 %.

883.Le ministère public rappelle que la Cour a déjà considéré que l'application de la règle générale édictée au point 41 du Communiqué sanctions qui fixe un plancher de 15 % de la valeur de ventes au regard de la seule gravité intrinsèque de l'infraction, sans considération de ses effets sur le marché, pouvait conduire à retenir une proportion de valeur de vente excessive au regard de certaines des caractéristiques objectives des pratiques exposées et du très faible impact que ces pratiques ont eu sur le jeu concurrentiel des secteurs concernés. Il conclut au fait qu'un taux de valeurs des ventes moins élevé paraît devoir être retenu et que la décision pourra être réformée de ce chef.

Sur ce, la Cour :

884.Concernant le montant de base contesté par la société Salaisons Celtiques, la Cour rappelle qu'aux termes du Communiqué sanctions, point 23, « pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause. La valeur de ces ventes constitue en effet une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d'en proportionner au cas par cas l'assiette à l'ampleur économique de l'infraction ou des infractions en cause, d'une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d'autre part ».

885.Le point 39 du même Communiqué permet par ailleurs de s'écarter de cette méthode dans « les cas particuliers où l'Autorité estime que la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ».

886.En l'espèce, la Cour constate que les pratiques sanctionnées ont affecté les conditions dans lesquelles sont intervenus les achats de JSM et qu'il est indifférent à cet égard que la facturation soit établie par le fournisseur et non par l'acheteur. Il est tout aussi indifférent que, dans d'autres affaires relatives à une entente entre abatteurs, l'Autorité ait choisi d'amender sa méthodologie en appliquant une décote forfaitaire de la valeur des ventes réalisées sur le marché aval pour sanctionner une entente ayant consisté « à s'entendre sur des réductions de volumes d'abattage afin de diminuer leurs achats sur le marché amont de l'élevage porcin, et non leurs ventes en aval », l'Autorité appréciant la pertinence de la méthode à appliquer au regard des spécificités de chaque affaire. En l'espèce, après avoir rappelé à quoi correspondait la valeur affectée par les pratiques et avoir ainsi justifié son choix de s'y référer, c'est à juste titre que la décision attaquée a retenu comme montant de base le montant des achats de JSM, qui est, d'une part, représentatif de la valeur des transactions affectées par l'infraction et ce peu important que les ventes affectées interviennent sur le marché amont et non sur le marché aval, d'autre part, un indicateur du poids respectif de chaque acheteur sur le marché concerné.

887.S'agissant des achats réalisés auprès de la société Gatine Viandes, il est constant qu'ils portaient sur le même produit que celui concerné par l'entente (le JSM). Si à l'époque des pratiques cette société d'abattage était détenue par le groupement Les Mousquetaires, comme la société Salaisons Celtiques, elle n'en constituait pas pour autant une voie d'approvisionnement réservée, hors de toute concurrence sur le marché des achats de JSM réalisés en France. En effet, selon le tableau produit par les sociétés mères Les Mousquetaires (mémoire du 10 janvier 2023, § 94 et suivants) la répartition du chiffre d'affaires de la société Gatine Viandes révèle que la part d'achats hors groupement était supérieure aux achats au sein du groupement et il n'est pas contesté que la variation de la cotation du JSM sur le MIN de [Localité 78] impacte aussi les transactions d'achat et de vente réalisées hors de ce marché. Les sociétés mères du groupe Les Mousquetaires ont d'ailleurs fait valoir, dans l'hypothèse où les pratiques seraient avérées, ce qui est bien le cas, que l'implication des « trois principaux acheteurs de JSM et Salaisons Celtiques » dans l'entente « affecte la quasi-totalité des ventes de Gatine Viandes et non seulement les achats faits par Salaisons Celtiques auprès d'elle ». Il s'en déduit que ce canal d'approvisionnement ne peut être considéré comme hors du champ d'application de l'entente et sans lien avec l'infraction. Les valeurs retenues correspondant à des achats effectués auprès d'une entité qui intervient sur le marché affecté par les pratiques, c'est à juste titre que l'Autorité les a prises en compte pour apprécier l'ampleur économique de l'infraction.

888.Concernant le coefficient appliqué aux valeurs précitées, il y a lieu de rappeler, qu'aux termes du troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés et à l'importance du dommage causé à l'économie.

889.Comme le précise le Communiqué sanctions, au paragraphe 23, « pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retient, comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause. La valeur de ces ventes constitue en effet une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d'en proportionner au cas par cas l'assiette à l'ampleur économique de l'infraction ou des infractions en cause, d'une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d'autre part ».

890.Le paragraphe 41 du même communiqué indique que « [la proportion de la valeur des ventes prise en compte] est comprise entre 15 et 30 % dans le cas des accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production, en fonction de l'importance du dommage qu'ils causent à l'économie. En effet, ces pratiques se caractérisent par une manipulation directe des paramètres essentiels de la concurrence et sont parmi les plus difficiles à détecter du fait de leur caractère secret, raisons pour lesquelles elles se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence et sont considérées comme 'injustifiables' par l'OCDE (') ».

891.En l'espèce, la Cour rappelle, à titre liminaire, que l'Autorité a retenu que quatre entreprises s'étaient accordées et concertées, au travers d'échanges bilatéraux, pour défendre une position commune sur les variations de prix d'achat hebdomadaire du JSM dans leurs négociations avec les abatteurs. Au regard des développements qui précèdent consacrés à la caractérisation de l'infraction et à la teneur des pratiques, ayant confirmé la qualification de restriction de concurrence par objet qui leur a été appliquée, la Cour a retenu l'analyse selon laquelle les pratiques en cause ne relèvent pas de simples échanges d'informations. La critique du groupe Fleury Michon repose ainsi sur un postulat erroné.

892.Concernant la gravité des pratiques, il ressort des développements qui précèdent qu'elles constituent un accord horizontal entre concurrents, dont l'objet était de faire front commun face aux exigences des abatteurs, afin de parvenir à une baisse ou un statu quo des variations du prix d'achat hebdomadaire du JSM payé aux abatteurs par les charcutiers-salaisonniers. De telles pratiques font obstacle à la libre appréciation de chacune des entreprises, dans la détermination autonome de leur politique commerciale et de leur comportement sur le marché et sont en conséquence, comme l'a justement retenu la décision attaquée, susceptibles d'influencer les cotations du MIN de [Localité 78] et ainsi de fausser les relations commerciales entre les acheteurs (les charcutiers-salaisonniers) et les fournisseurs (les abatteurs). Bien que sa représentativité soit contestée, cette cotation n'en constituait pas moins également, à l'époque des faits, une référence pour l'ensemble des acteurs de la salaisonnerie, y compris hors marché, ainsi que dans le cadre des relations commerciales nouées avec les GMS pour les jambons vendus sous MDD.

893.De telles pratiques, au demeurant secrètes, sont donc particulièrement graves par nature, ce que la décision attaquée a justement retenu, tout en ne constituant pas les plus graves d'entre elles, notamment en l'absence de mécanisme de surveillance ou de représailles.

894.Concernant le dommage causé à l'économie, la Cour adopte les motifs de la décision attaquée (§ 843 et suivants), qui ne sont pas utilement contestés, dont il ressort que :

- l'entente a regroupé quatre opérateurs, incluant les trois opérateurs les plus importants du secteur de la charcuterie en France (Campofrío, Fleury Michon, FTL), étant précisé que le quatrième opérateur le plus important du secteur, Nestlé (pour sa marque Herta), ne s'approvisionne presque plus en France ;

- à l'exception de quelques cas de recours à l'exportation, l'entente a très rarement été déstabilisée par des opérateurs extérieurs ;

- les messages échangés montrent, pour certaines semaines de négociation, que la pratique a effectivement pu conduire les acheteurs mis en cause à adopter une position de négociation différente de celle qui aurait prévalu en l'absence des pratiques ;

- l'impact potentiel des pratiques est d'autant plus marqué que la cotation du JSM sur le MIN de [Localité 78] impacte aussi des transactions d'achat et de vente réalisées hors de ce marché ;

- les effets réels sont très limités en amont et l'absence d'impact négatif sur les consommateurs n'est pas contestée en raison du pouvoir de négociation de la GMS.

895.De même, la Cour retient les éléments venant modérer l'ampleur du dommage à l'économie, exposés aux paragraphes 845 et suivants de la décision attaquée, tenant aux obstacles auxquels la mise en œuvre de l'entente s'est heurtée à plusieurs reprises :

- contraintes de volumes pour répondre aux commandes des GMS, s'exerçant indépendamment de la crise du secteur qui a entrainé une hausse des coûts des intrants difficile à répercuter vers l'aval ;

- capacité des abatteurs français à exporter leur production, même si leur moindre compétitivité pouvait la limiter ;

- capacité des acheteurs à importer et à recourir à la décongélation (pour celles qui ne l'ont pas exclue dans le cadre de leur politique commerciale), qui restent des éléments de pression s'exerçant sur les abatteurs indépendamment des pratiques.

896.Force est de constater que les études tendant à démontrer que les variations constatées ont pu être différentes de celles mentionnées dans les concertations ou que les évolutions de cours en Espagne et Allemagne ont été globalement similaires, ne démontrent pas une absence de tout effet des pratiques, dès lors qu'il ressort de la teneur des échanges reproduits dans le présent arrêt, comme dans la décision attaquée, que les participants aux pratiques ont pu influencer l'évolution du cours à un niveau différent de celui qui aurait été constaté en l'absence des pratiques, même s'ils ne sont pas toujours parvenus à atteindre leur plein objectif.

897.Rien ne remet donc utilement en cause l'existence d'un dommage économique qualifié, à juste titre, de « très limité ».

898.S'agissant du principe d'égalité de traitement, il doit être rappelé qu'il implique, dans le cadre d'une même affaire, que des situations comparables ne peuvent être traitées de manière différente, ou des situations différentes traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié. Les coefficients appliqués dans d'autres affaires, qui présentent leurs particularités propres, ne lient ainsi ni l'Autorité ni la Cour. En outre, le Communiqué sanctions constitue une directive, au sens administratif du terme, et s'impose à l'Autorité, sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné. À l'inverse, le principe de sécurité juridique ne saurait figer sa pratique décisionnelle, sans considération des spécificités de chaque affaire. Il est donc vain de reprocher à l'Autorité de ne pas avoir renoncé à faire application du Communiqué sanctions par analogie avec les éléments tirés d'une autre affaire.

899.S'agissant de la circonstance tenant au fait que la situation de crise et le fonctionnement du secteur (impliquant une double pression sur les prix exercée en aval par la GMS et en amont par les éleveurs et les abatteurs et à l'absence d'indice représentatif) seraient à l'origine des pratiques, il ressort d'une jurisprudence constante qu'elle n'est pas de nature à justifier une infraction intrinsèquement grave (en ce sens notamment CJCE, 20 novembre 2008, Beef industry development society (BIDS), C-209/07). Toutefois, si ces éléments ne permettent pas d'ôter aux pratiques toute gravité, ils conduisent à distinguer celles-ci de pratiques encore plus graves (telles que les fixations de prix de vente dans le cadre d'un cartel) et tempèrent le dommage causé à l'économie, de sorte qu'il est pertinent d'en tenir compte à ce stade.

900.Force est de constater que l'application de la règle générale édictée au point 41 du Communiqué sanctions, qui fixe un plancher de 15 % de la valeur de référence au regard de la seule gravité intrinsèque d'une entente, conduirait en l'espèce à retenir une proportion de valeur excessive au regard des caractéristiques objectives de la pratique visée par le grief n° 1, exposées dans le présent arrêt (notamment, la nature d'entente sur la variation d'un prix d'achat, sans mécanisme de surveillance ni représailles, dans un contexte de secteur en crise concernant des opérateurs soumis au pouvoir de négociation de la GMS et à la hausse des coûts des intrants), ainsi qu'aux éléments figurant aux paragraphes 845 à 848 de la décision attaquée, et du très faible impact que les pratiques ont eu sur le jeu concurrentiel d'un secteur en crise (confirmé par les études produites).

901.La Cour retient en conséquence que c'est à juste titre que la société Salaisons Celtiques et le groupe Fleury Michon demandent de réformer la décision attaquée à leur bénéfice.

902.La Cour fixera le coefficient qui leur est applicable à 14 %, lequel est à la juste mesure tant des circonstances de la mise en œuvre de la pratique en cause qui tempèrent sa gravité, que des personnes susceptibles d'être affectées (les pratiques n'affectant pas directement le consommateur) et du dommage très limité constaté.

2. Concernant le grief n° 2

903.La décision attaquée a relevé que les pratiques sanctionnées au titre du grief n° 2 portaient sur les produits de salaisonnerie et charcuterie crus MDD et 1er prix et a retenu, en conséquence, le chiffre d'affaires lié à cette activité au titre de la valeur des ventes. À l'égard du groupe CA Animation, dont la période infractionnelle s'étend du 12 septembre 2011 au 24 juillet 2012, inférieure à 1 an, l'Autorité a pris en compte la moyenne de la valeur des ventes sur les exercices civils (selon les données communiquées) 2011 et 2012. Elle a retenu que les pratiques étaient « particulièrement graves par nature » (§ 835) et que le dommage causé à l'économie était très limité en raison de facteurs extérieurs en ayant limité les effets (§ 853).

904.Le groupe Savencia fait valoir que la proportion de la valeur des ventes retenue (16 %) au titre de la gravité des faits et de l'importance du dommage à l'économie doit être largement diminuée. Compte tenu des éléments d'atténuation de la gravité des pratiques et de l'absence de dommage causé à l'économie ' ou en tout état de cause du caractère « très limité » d'un potentiel dommage, ' il considère que l'Autorité aurait dû retenir une proportion de la valeur des ventes bien inférieure.

905.Concernant la nature des pratiques reprochées, il soutient qu'elles ont consisté en des échanges d'informations qui étaient principalement des informations passées. Concernant leurs caractéristiques objectives, il estime que l'Autorité ne démontre pas que les pratiques alléguées auraient présenté un degré particulier de sophistication ou un caractère secret particulièrement marqué. Il invoque en ce sens l'absence de recours à des messageries privées, à des téléphones secrets ou à des noms de code. Il ajoute que l'existence ou non de mécanismes de surveillance et de représailles est un élément important qu'il convient également de prendre en considération pour apprécier la gravité des pratiques et demande à la Cour de tirer les conséquences de l'absence de tels mécanismes.

906.Concernant les personnes susceptibles d'être affectées, il fait valoir qu'il s'agissait en premier lieu des enseignes de la grande distribution, qui disposent d'une puissance d'achat phénoménale et d'un pouvoir de négociation considérable et qu'ayant relevé que les pratiques incriminées n'étaient pas de nature à s'opposer au contre-pouvoir de négociation des enseignes de GMS alimentaires, la décision attaquée ne pouvait pas retenir que les personnes affectées par les pratiques seraient les consommateurs. Il ajoute qu'il est faux de prétendre que dès lors que le seuil de revente à perte augmente, le prix de vente au détail augmente automatiquement.

907.Il souligne également que l'étude menée à sa demande par un Cabinet d'économistes, versée à la procédure (dossier 13/0006F - annexe 35 - cotes 44985 et suivantes et dossier 16/0006F - annexe 53 - cotes 53640 et suivantes) démontre que, sur toute la période de l'entente alléguée, la forte augmentation du coût de la matière première n'a pas pu être répercutée par Souchon d'Auvergne sur le prix de vente des saucissons MDD.

908.Il soutient encore que si le fonctionnement du secteur n'est pas de nature à « justifier » les pratiques mises en œuvre, il doit en revanche être tenu compte de ce fonctionnement et du contexte économique dans lequel les pratiques se sont inscrites pour en apprécier la gravité.

909.Concernant le dommage causé à l'économie, il relève que si la décision attaquée évoque un certain nombre de facteurs atténuants du dommage, elle n'en tire toutefois pas la conclusion qui s'impose, les paragraphes 850 à 851 démontrant, selon lui, l'absence de dommage. Il ajoute que les conclusions de l'étude économétrique produite par Souchon d'Auvergne, rejetée par l'Autorité, sont également de nature à démontrer l'absence d'effet des pratiques sur l'économie. Il relève que cette étude met en évidence le fait que les pratiques n'ont eu aucun impact sur la politique tarifaire de Souchon d'Auvergne et que cette dernière s'est trouvée, pendant la période de l'entente alléguée, dans l'incapacité de répercuter les hausses de prix des matières premières auprès de la grande distribution, ce qui témoigne de la réalité du pouvoir de négociation de la grande distribution qui entrave la formation normale des prix. Il ajoute que le prix moyen des saucissons MDD de Souchon d'Auvergne était au plus bas durant la période de l'entente reprochée, et d'ailleurs inférieur pendant les années situées durant la période d'entente à celui facturé pendant les années qui ont précédé et suivi l'entente.

910.Il observe que les objections de l'Autorité ont potentiellement pour conséquence de disqualifier toute analyse économique puisqu'aucune entreprise ne peut, par définition, disposer de l'ensemble des données du marché. Il relève qu'il lui appartenait d'ailleurs de démontrer le dommage « très limité » causé à l'économie dès lors qu'il ne se présume pas. Procédant à la comparaison des coefficients retenus dans d'autres affaires, qu'il considère comparables, et au regard de la proportion de la valeur des ventes retenue de manière générale par la pratique décisionnelle en matière d'échanges d'informations et de pratiques concertées visant à faire passer des hausses de prix, comme des circonstances de l'espèce, il considère que la proportion de la valeur des ventes retenue ne saurait excéder 10 %.

911.Le groupe CA Animation relève, s'agissant de l'assiette de la sanction, que les échanges qui lui sont reprochés ont concerné, non pas l'ensemble des produits de charcuterie-salaisonnerie crus sous MDD et 1er prix, mais uniquement les mini saucissons secs, les mini saucisses sèches et les sticks de saucisson sec sous MDD, à savoir des produits appartenant à la catégorie des produits crus de snacking. Il en déduit que seule cette catégorie de produits est « en relation avec l'infraction » en cause et qu'il aurait été plus proportionné de prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par CA Animation au titre de la vente de ces produits crus de snacking sous MDD comme assiette de la sanction.

912.S'agissant du coefficient appliqué, il estime que le montant retenu est totalement disproportionné dès lors qu'il lui est reproché « à 8 reprises » seulement d'avoir échangé des informations avec la société [Localité 20] par téléphone, ce qui revêt un degré de gravité bien moindre que d'autres pratiques d'entente. Il invoque également d'autres caractéristiques venant amoindrir la gravité éventuelle des échanges : faible degré de sophistication, absence de tout mécanisme de surveillance des politiques de prix et de système de représailles, dans un contexte marqué par l'instabilité du cours du porc et par la pression sur les prix exercée par la GMS en aval qui pouvait s'accompagner de menaces de déréférencement ou encore des demandes de contributions financières sans contrepartie. Concernant le dommage causé à l'économie, et l'ampleur des pratiques, il considère que l'absence de tout mécanisme de surveillance et/ou de tout dispositif de représailles, cumulée au faible degré de sophistication des échanges, réduisent drastiquement l'efficacité et l'ampleur des échanges en cause. Il relève que le « niveau de détail » des informations retenu pour renforcer la gravité des pratiques est en contradiction avec les situations de « bluff » avancées pour justifier certaines différences d'informations. Il invoque également les caractéristiques économiques du secteur tenant au pouvoir de négociation des distributeurs au détriment des fabricants. Il estime que la multiplication des appels d'offres et consultations segmentés par sous-catégories de produits, les changements constants d'interlocuteurs, l'allongement excessif de la durée des négociations visant à profiter d'un cours du porc plus favorable, ainsi que les menaces de déréférencement et autres pressions verbales, constituaient autant de pratiques qui contribuaient, lors de la période en cause, à accentuer le pouvoir de négociation de la GMS au détriment des charcutiers-salaisonniers. Il ajoute que la société Les Monts de la Roche réalisait à l'époque plus de [20-30] % de son activité avec Leader Price et que cette position de faiblesse était encore accentuée par le fait que CA Animation ne produisait pas de produits de charcuterie-salaisonnerie crus sous MDF à destination de la grande distribution en France sur la période des pratiques. Comme le groupe Savencia, il estime également que par le paragraphe 850 de la décision attaquée l'Autorité reconnait que les pratiques n'ont pu produire de dommage à l'économie.

913.Le groupe Coop fait également valoir le caractère disproportionné du coefficient de 16 % appliqué et considère que les faits de l'espèce justifiaient que l'Autorité s'éloigne de la méthode du Communiqué sanctions, comme l'y autorise son point 7.

914.Il estime, en premier lieu, que l'Autorité n'a pas démontré en quoi les pratiques en cause revêtaient une gravité particulière, se limitant à affirmer le caractère par nature « très grave » d'une entente horizontale et du « niveau de détail des informations échangées et des concertations », sans aucune démonstration ou analyse de manière concrète et détaillée du contenu de ces échanges ou de leurs caractéristiques objectives. Il estime que les échanges en cause résidaient dans des discussions informelles et souvent vagues entre des acteurs aux profils et intérêts divers, dont l'objectif était de tenter de se rassurer mutuellement sur le fait qu'une demande de hausse de prix ne serait pas complètement isolée. Il souligne qu'il n'existait pas d'objectifs chiffrés de hausse de prix. Il développe la même analyse que celle qui précède concernant l'absence de sophistication, l'absence de mécanisme de police ou représailles et le contexte, éléments qui relativisent fortement la gravité des pratiques.

915.Il relève, en deuxième lieu, s'agissant de l'ampleur de l'infraction et le dommage à l'économie, que les pratiques ont concerné un nombre limité de produits, à savoir les produits de charcuterie crus vendus sous MDD, à l'exclusion des produits sous MDF et la présence en dehors de l'entente de grands groupes (tels que Fleury Michon) ou de PME pouvant rivaliser avec les participants à l'infraction. Il invoque également les conséquences conjoncturelles des pratiques sanctionnées, rappelant que les producteurs de produits de charcuterie restent très fortement dépendants des distributeurs en GMS qui exercent un contrepouvoir. Il rappelle que le groupe [SV] réalise 95 % de ses ventes en France avec la grande distribution française. Il soutient en outre que les effets réels des pratiques sur les prix de vente aux consommateurs ne sont pas établis.

916.Il fait valoir, en troisième lieu, que le pourcentage retenu est contradictoire avec la pratique décisionnelle constante de l'Autorité et rappelle à titre de comparaison les coefficients appliqués dans d'autres affaires. Il invoque également la jurisprudence de la Cour qui a déjà procédé à la réduction du coefficient, en dessous du plancher de 15 % fixé par le Communiqué sanctions pour les ententes horizontales. Il observe que les réserves quant à l'existence d'un dommage à l'économie, partagées par le ministre chargé de l'économie, sont en complète contradiction avec l'application d'un pourcentage de valeur de ventes aussi élevé que 16 %.

917.Il en déduit, au regard de l'extrême fragilité du secteur, que l'application du Communiqué sanctions doit être écartée par la Cour au bénéfice d'une amende symbolique ou à tout le moins d'un taux de moins de 10 %.

918.L'Autorité invite la Cour à rejeter les moyens. Concernant la gravité, elle relève que les ententes horizontales entre concurrents sur un même marché sont les pratiques anticoncurrentielles les plus graves. S'agissant de la nature des personnes susceptibles d'avoir été affectées par les pratiques alléguées, elle rappelle que lorsque des distributeurs sont impliqués, la gravité est appréciée en tenant compte également des consommateurs, dans la mesure où toute augmentation des tarifs a pour effet l'augmentation du seuil de revente à perte et donc, in fine, du prix de vente au détail (citant en ce sens CA Paris, 27 octobre 2016, société Beiersdorf e.a, RG n° 2015/01673, points 246 et 247). Concernant les caractéristiques de l'infraction, elle renvoie aux motifs de la décision attaquée étayant son caractère secret et sa sophistication. S'agissant de la situation économique particulière du secteur, elle rappelle que cette circonstance demeure sans influence sur l'appréciation de la gravité des pratiques, dans la mesure où l'interprétation contraire reviendrait à admettre qu'il est, dans cette hypothèse, légitime pour les opérateurs économiques de violer les règles les plus fondamentales du droit de la concurrence, comme l'a déjà jugé la Cour (CA Paris, 23 mai 2017, société Laïta e.a., n° 2015/08224, point 225). Concernant le dommage causé à l'économie, elle relève que la décision attaquée a pris en compte la totalité des facteurs atténuants du dommage mis en avant par les requérantes. Elle rappelle que l'étude économique communiquée par Souchon d'Auvergne lors de l'instruction présentait deux limites importantes, tenant aux faits qu'elle étudie les prix de détail et non les prix de gros et qu'elle ne couvre qu'une part minime des ventes effectuées par les participants à la pratique reprochée. Elle ajoute qu'elle n'a pas à quantifier le dommage, même lorsqu'une étude, ne portant que sur les prix de détail d'une seule entreprise, est produite aux débats.

919.Le ministre chargé de l'économie estime que la prise en compte du caractère très limité du dommage causé à l'économie, en raison notamment des caractéristiques et difficultés du secteur aurait justifié, à défaut d'écarter le communiqué sanctions, de retenir le taux minimum de 15%.

920.Le ministère public observe que les pratiques ont eu pour objet d'affecter des paramètres essentiels de la concurrence que sont les prix, et qui relèvent de celles expressément visées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE, se rangent ainsi parmi les infractions les plus graves aux règles de la concurrence. Il estime toutefois que la Cour pourrait reprendre le raisonnement développé dans son arrêt du 19 juillet 2018 (CA [Localité 73], 19 juillet 2018, RG n° 16/01270) où malgré la gravité des pratiques - En l'espèce des ententes horizontales portant sur les prix ' il n'a pas été fait application de la règle générale édictée au point 41 du Communiqué sanctions. Il conclut à la réformation et à un abaissement du taux au regard du caractère très limité du dommage à l'économie admis par l'Autorité, du fort pouvoir de marché des distributeurs, également admis par la décision attaquée sur les segments de marché en cause, de l'absence de mécanismes de police et de représailles et du contexte économique.

Sur ce, la Cour :

921.Sur la valeur des ventes servant d'assiette au calcul, la Cour rappelle que les ventes en relation avec l'infraction, au sens du point 23 du Communiqué sanctions, sont les ventes réalisées sur le marché sur lequel les pratiques en cause ont été établies - à savoir, en l'espèce, celui des produits de salaisonnerie et charcuterie crus MDD et 1er prix ' constituées d'échanges d'informations dans le cadre d'accords et pratiques concertées portant sur des demandes de hausse de prix de vente auprès des enseignes de la grande distribution et sur les offres de prix aux appels d'offres de ces dernières, qualifiées de pratiques anticoncurrentielles par objet. La valeur des ventes « en relation avec l'infraction » ne saurait être réduite à une valeur des ventes qui serait en relation avec l'étendue de la participation de l'entreprise à l'infraction, tenant compte des spécificités de certains produits du côté de l'offre et de la demande, comme le soutient à tort le groupe CA Animation.

922.Si la notion de valeur des ventes visée au point 23 précité ne saurait s'étendre jusqu'à englober les ventes réalisées par l'entreprise en cause qui ne relèvent pas du champ d'application de l'entente reprochée, il serait toutefois porté atteinte à l'objectif poursuivi par cette disposition si cette notion s'entendait comme ne visant que le chiffre d'affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu'elles ont réellement été affectées par cette entente et en cantonnant son montant pour tenir compte de l'ampleur de la contribution de telle ou telle entreprise au dommage causé à l'économie, alors que celui-ci est le fruit de la pratique incriminée en son entier.

923.En l'espèce, les ventes en relation avec l'infraction, au sens du Communiqué sanctions, n'étant pas limitées aux produits appartenant à la catégorie des produits crus de snacking, le groupe CA Animation n'est pas fondé à soutenir que la valeur des ventes à retenir devrait être limitée aux produits concernés par les huit échanges auxquels elle a participé.

924.Sur la gravité des pratiques, la Cour constate que la décision attaquée a, d'abord, justement caractérisé la gravité intrinsèque des pratiques en cause au regard de l'objet de l'entente horizontale en cause. Il ressort de l'analyse des indices matérialisant l'entente et de la teneur des échanges ayant conduit la Cour, à l'issue d'un examen circonstancié, à admettre la pertinence de la qualification de restriction par objet qui leur a été appliquée, que les pratiques n'ont pas consisté en de simples échanges d'informations principalement passées et sont graves par nature. Le moyen, qui s'appuie sur un postulat qui manque en fait, est rejeté.

925.Il est tout aussi vain pour le groupe CA Animation de circonscrire la gravité de l'infraction aux seules manifestations de l'entente qui peuvent lui être imputées puisqu'à ce stade, la gravité de l'infraction est appréciée dans sa globalité.

926.De la même manière, il ne saurait être déduit de la circonstance qu'aucune réunion multilatérale ne s'est tenue entre octobre 2011 et avril 2013 que les échanges en cause n'étaient pas réguliers, alors que l'infraction a combiné deux types de contact, les échanges bilatéraux ayant été très nombreux tout au long de la période infractionnelle.

927.La décision attaquée a, ensuite, in concreto, relevé les caractéristiques objectives renforçant cette gravité, tenant à son caractère secret et à sa sophistication, en raison notamment du niveau de détail des informations échangées et des concertations et a tenu compte du fait que, en plus de porter sur des hausses tarifaires, ces pratiques visaient à maintenir la répartition des volumes entre fournisseurs. Le fait que, parfois, certains concurrents aient eu recours au « bluff » concernant l'intensité des variations envisagées est sans incidence sur le niveau de détail de l'essentiel des informations échangées et des concertations en cause.

928.Contrairement à ce que soutient le groupe Savencia, il ressort des constatations de la décision attaquée que les pratiques visées au grief n° 2 ont revêtu un certain degré de sophistication, tenant à la structure des pratiques organisée autour de deux types de contacts (réunions multilatérales et échanges bilatéraux) et à la mise en œuvre d'échanges bilatéraux parallèles permettant de rassembler des informations sensibles relatives à un nombre important de sociétés, parmi les opérateurs les plus importants du secteur. Il ressort également des constatations de la décision attaquée que ces pratiques ont été secrètes. Il suffit à cet égard d'observer que les réunions multilatérales ont été organisées dans des hôtels et non dans les locaux des entreprises et que les informations ont été majoritairement échangées par téléphone, dans des échanges qui n'ont pas été rendus publics au sein même des entreprises.

929.Si la clandestinité et la sophistication des pratiques sont d'un niveau moindre que celui qui a pu être observé dans d'autres affaires, elles n'en sont pas moins d'un niveau supérieur à celui observé pour les pratiques visées au grief n° 1. La critique n'est pas fondée.

930.S'agissant de la nature des personnes susceptibles d'être affectées, il est exact qu'il s'agit en premier lieu des enseignes de la grande distribution qui n'ont pu bénéficier du jeu normal de la concurrence. Cette circonstance n'empêchait toutefois pas la décision attaquée de relever que de telles pratiques étaient aussi susceptibles d'affecter le consommateur final individuel en France, dont la possibilité de faire pleinement jouer la concurrence et de bénéficier du meilleur prix est limitée, puisque si le pouvoir de négociation des grandes surfaces a limité les effets de l'entente, il n'en a pas pour autant fait disparaitre tous les effets dès lors qu'en s'accordant sur des hausses de tarifs, sur des volumes ou en renonçant à concourir sur certains appels d'offre, le comportement des entreprises a influé sur l'offre finale disponible pour les consommateurs. Le moyen est rejeté.

931.En revanche, si l'Autorité a pris en compte l'absence de mécanismes de surveillance et/ou de représailles c'est uniquement pour apprécier dans quelle mesure les pratiques étaient de nature à contrer le pouvoir de négociation des enseignes de GMS alimentaires. Or, cette circonstance doit également être retenue pour situer les pratiques dans l'échelle de gravité des ententes horizontales.

932.De la même manière, comme la Cour l'a déjà indiqué à l'occasion des développements consacrés au grief n° 1, si les éléments relatifs au fonctionnement du secteur et aux difficultés économiques ne permettent pas d'ôter aux pratiques toute gravité, ils conduisent à distinguer celles-ci de pratiques encore plus graves (telles que les fixations de prix de vente dans le cadre d'un cartel cherchant à optimiser des bénéfices), de sorte qu'il est également pertinent d'en tenir compte à ce stade.

933.La Cour en tiendra compte dans l'appréciation finale portée sur la proportionnalité du coefficient appliqué.

934.Sur le dommage causé à l'économie, la Cour rappelle qu'aux termes d'une jurisprudence ancienne et constante (Com., 30 mai 2012, n° 11-22.144) l'article L. 464-2 du code de commerce exige, non pas un chiffrage précis du dommage à l'économie, mais seulement une appréciation de son existence et de son importance reposant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier. Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent également être pris en considération (Com., 28 juin 2005, n° 04-13.910).

935.La décision attaquée a mis en évidence les facteurs de dommage, tenant à l'objet des pratiques (des accords et concertations reposant sur des échanges relatifs aux demandes de hausses de prix, substituant au libre jeu de la concurrence, à l'autonomie et à l'incertitude des opérateurs, une collusion généralisée entre les principaux charcutiers-salaisonniers) au nombre de fabricants impliqués dans l'entente et à leur poids sur le marché, l'entente rassemblant les opérateurs les plus importants. De telles pratiques concourent, soit directement, soit indirectement, à la fixation de hausses tarifaires à un niveau supérieur à celui qui aurait résulté d'une situation de concurrence non faussée, en diminuant significativement l'incertitude lors de chaque appel d'offre.

936.Il résulte toutefois des éléments pertinents mentionnés aux paragraphes 849 à 853 de la décision attaquée, qu'il a été tenu compte de facteur extérieurs, tels que le fait que :

- des fabricants non participants aux pratiques auraient pu relativement aisément répondre à la demande des distributeurs si les prix des produits vendus sous MDD des participants aux pratiques avaient été trop élevés ;

- les enseignes de GMS alimentaires, notamment les plus importantes d'entre elles, disposent vis-à-vis de leurs fournisseurs en MDD d'un pouvoir de négociation important ;

- Et encore que le fonctionnement de cette entente, notamment caractérisé par une absence de mécanismes de police et de représailles, n'était pas de nature à contrer le pouvoir de négociation des GMS.

937.Elle a également relevé le contexte économique et la situation des opérateurs à l'époque des faits.

938.Contrairement à ce que soutient le groupe CA Animation, la décision attaquée n'a pas relativisé le contre-pouvoir de la GMS, mais bien l'importance du dommage causé à l'économie.

939.Contrairement également à ce que soutient le groupe Savencia, l'Autorité a expliqué, pour des motifs figurant au paragraphe 853 de la décision attaquée que la Cour adopte, les raisons pour lesquelles les études invoquées n'ont pas permis de retenir l'absence de tout dommage à l'économie, notamment en tenant compte de ce que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie de façon globale pour les pratiques en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants (Com., 18 février 2004, n° 02-11.786). Par suite, la seule étude des prix de Savencia ne peut permettre d'apprécier le dommage à l'économie de façon globale.

940.La décision attaquée a ainsi, justement, pris en compte différents facteurs qui ont été de nature à limiter l'effet des pratiques, la conduisant à retenir un dommage très limité.

941.À la différence du grief n° 1, l'application de la règle générale édictée au point 41 du Communiqué sanctions, qui fixe un plancher de 15 % de la valeur de référence au regard de la gravité intrinsèque d'une entente, ne conduirait pas en l'espèce à retenir une proportion de valeur excessive au regard des caractéristiques objectives de la pratique visée par le grief n° 2. La Cour relève en revanche que ces caractéristiques, ainsi que le dommage à l'économie très limité, rendent l'application d'un coefficient de 16 % disproportionné. Il convient donc de réformer la décision attaquée en retenant un coefficient de 15 % à l'égard des groupes Savencia CA Animation et Coop qui ont élevé une contestation à ce titre devant la Cour.

3. Concernant le grief n° 3

942.À la suite de la mise hors de cause des filiales mousquetaires, la Cour n'est plus saisie de leurs moyens dirigés contre le coefficient appliqué au titre du grief n°3.

943.Pour sa part, le groupe Cooperl reproche à l'Autorité, en premier lieu, de ne pas avoir indiqué la proportion de la valeur des ventes retenue au titre de ce grief. Il observe ainsi qu'à l'issue de l'analyse sur l'importance du dommage causé à l'économie, l'indication de la proportion de la valeur des ventes retenue fait complètement défaut à la page 208 de la décision attaquée, qui passe directement à la prise en compte de la durée de participation supposée des entreprises aux pratiques. Il en déduit qu'il était dans l'impossibilité de connaître, précisément, la proportion retenue par l'Autorité de la valeur des ventes en relation avec l'infraction et que cette situation justifie de prononcer l'annulation des sanctions pécuniaires infligées.

944.Il critique, en deuxième lieu, le fait que l'Autorité n'a pas tenu compte du fait que les produits sont strictement répartis entre les sociétés Cooperl arc atlantique et Brocéliande, ces deux sociétés ne faisant pas du tout les mêmes produits. Il souligne que la première ne fabrique pas de jambons libre-service à MDD et premier prix et que la seconde ne fabrique pas les lardons, la poitrine et le pâté. Il en déduit qu'il a ainsi prononcé des sanctions aussi injustifiées que disproportionnées à leur encontre.

Sur ce, la Cour :

945.Sur l'obligation de motivation, la Cour relève que la valeur des ventes retenues (§ 818 de la décision attaquée, tableau 60), le coefficient de durée appliqué (§ 857, tableau 63) et le montant de base en résultant (§ 858, tableau 66) permettent de reconstituer la proportion retenue et de le comparer à l'appréciation portée sur la gravité (grave par nature) et le dommage causé à l'économie (très limité), comme le confirment les observations unanimes mettant en exergue l'application d'un taux de 16 % pour chacun des trois griefs. Par suite, compte tenu du fait que le groupe Cooperl a été mis en mesure de contester la proportionnalité du taux par rapport aux éléments de référence, l'absence d'indication explicite du taux appliqué n'est pas de nature à justifier l'annulation de la décision attaquée.

946.Sur l'assiette du montant de base, la Cour rappelle que la valeur des ventes « en relation avec l'infraction » ne saurait être réduite à la valeur des ventes concrètement affectées par l'entente.

947.Si le groupe Cooperl relève que les produits de charcuterie cuite commercialisés par la société Cooperl arc atlantique et Brocéliande sont strictement répartis entre elles et reproche à l'Autorité de ne pas s'être intéressée aux fabrications et productions de chacune d'elles, il ne fournit aucune indication permettant à la Cour de comprendre en quoi cette circonstance rendrait les sanctions infligées disproportionnées, étant rappelé que les pratiques sanctionnées au titre du grief n°3 portent sur les produits de salaisonnerie et charcuterie cuits MDD et 1er prix, qu'il a été retenu pour chacune des sociétés le chiffre d'affaires lié à cette activité au titre de la valeur des ventes de référence et qu'une sanction a été infligée à chacune d'elles en leur qualité d'auteure des pratiques.

948.Le moyen est rejeté.

B. Sur le coefficient de durée

1. Concernant le grief n° 1

949.La décision attaquée a retenu que toutes les entreprises avaient participé à l'entente du 14 janvier 2011 au 26 avril 2013 et leur a donc appliqué un coefficient de durée identique de 1,62.

950.La société Salaisons Celtiques fait valoir, à supposer que les deux indices en date des 15 décembre 2011 et 27 janvier 2012 soient susceptibles de relever du grief notifié, que le coefficient de durée la concernant devrait être considérablement réduit (2 mois) soit un coefficient de 0,17.

951.L'Autorité, qui a retenu l'intégralité de la période visée par le grief au titre de la participation de la société Salaisons Celtiques, ne se prononce pas sur le coefficient applicable.

Sur ce, la Cour :

952.La Cour ayant réformé la période de participation à l'entente de la société Salaisons Celtiques, en la fixant du 14 janvier 2011 au 05 avril 2013, le coefficient qui lui est applicable doit être ramené à 1,58.

2. Concernant le grief n° 2

953.La décision attaquée a retenu que les pratiques s'étaient déroulées du 8 avril 2010 au 30 avril 2013 et défini la participation individuelle de chaque entreprise, auxquelles elle a appliqué des coefficients allant de 2 (groupe Campofrío) à 0,83 (groupe CA Animation). La société Souchon d'Auvergne (groupe Savencia) s'est vu appliquer un coefficient de 1,87 pour une participation du 8 juillet 2010 au 30 avril 2013.

954.Les groupes Savencia et CA Animation ont contesté la période de leur participation et, par voie de conséquence, le coefficient qui en est résulté.

Sur ce, la Cour :

955.La Cour ayant réformé la période de participation à l'entente de la société Souchon d'Auvergne en la fixant du 19 octobre 2010 au 7 janvier 2013, le coefficient qui lui est applicable doit être ramené à 1,58.

956.La durée de participation du groupe CA Animation n'ayant pas été réformée, il n'y a pas lieu de modifier le coefficient qui lui a été appliqué.

3. Concernant le grief n° 3

957.La décision attaquée a retenu à l'encontre du groupe Nestlé un coefficient de durée de 0,33 correspondant à une participation du 29 octobre 2010 au 25 mars 2011 et à l'encontre des filiales sociétés du groupe Les Mousquetaires un coefficient de 0,75 correspondant à une participation du 30 mars 2011 au 3 janvier 2012.

958.Les groupes Nestlé et Les Mousquetaires ont contesté leur participation à une entente et, par voie de conséquence, le coefficient qui en est résulté.

Sur ce, la Cour :

959.La Cour rappelle qu'aux termes du point 42 du Communiqué sanctions « dans le cas des infractions qui se sont prolongées plus d'une année, leur durée est ensuite prise en considération selon les modalités suivantes. La proportion retenue par l'Autorité est appliquée, au titre de la première année complète de participation de chaque entreprise ou organisme en cause à l'infraction, à la valeur des ventes réalisées pendant l'exercice comptable de référence, et, au titre de chacune des années suivantes, à la moitié de cette valeur. Au-delà de la dernière année complète de participation à l'infraction, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent ».

960.En l'espèce, concernant les sociétés du groupe Les Mousquetaires, celles-ci ayant été mises hors de cause, la réformation du coefficient de durée est devenue sans objet.

961.Concernant le groupe Nestlé, il convient de rappeler que la Cour, qui n'est pas liée par les termes du Communiqué sanctions, a réformé la période de participation à l'entente de la société Herta, en la fixant du 23 au 24 février 2011. La méthodologie précitée n'étant plus appropriée pour une telle durée, il convient de revenir aux critères généraux d'appréciation de la proportionnalité de la sanction définis par l'article L. 464-2 du code de commerce, ce que la Cour effectuera dans les développements qui suivent.

C. Sur la participation individuelle et les circonstances atténuantes alléguées

1. Concernant le grief n° 1

962.La décision attaquée a retenu que le dossier établissait une intensité de participation homogène entre les différentes entreprises mises en cause.

963.La société Salaisons Celtiques fait valoir que dans de nombreux cas les carnets de M. [VB] (Fleury Michon) ne mentionnaient pas d'informations concernant sa position de négociation et que de nombreux documents établissent que ses postures de négociation provoquaient l'insatisfaction des autres entreprises concernées parce qu'elle acceptait très fréquemment les hausses. Elle en déduit que cela aurait dû conduire à appliquer un pourcentage de réduction pour moindre participation, comme pour le grief n° 3 même si cela a été fait de manière insuffisante. Elle impute à l'Autorité une confusion entre la qualification de l'infraction (qui peut être globale) et la sanction de l'infraction (qui repose sur une individualisation de la sanction).

964.Elle reproche également, de manière plus générale, à l'Autorité de ne pas avoir pris en compte sa situation tout à fait spécifique par rapport aux autres entreprises mises en cause. Elle rappelle en effet que les trois autres entreprises concernées étaient à l'époque des faits les trois opérateurs les plus importants du secteur, ayant besoin chaque semaine de volumes de JSM tout à fait considérables alors qu'elle-même n'est qu'un acheteur tout à fait modeste de JSM, qui ne représentait que 2 à 2,5 % des achats totaux de JSM en France (§ 73 de la décision attaquée) et de l'ordre de 4 % en 2011 (Agrest, Chiffres et Données, numéro 180, janvier 2015). Elle rappelle que son intégration au groupement Les Mousquetaires lui offrait le bénéfice d'un ajustement automatique des prix de cession, sans crainte de remise en concurrence, ce qui modifiait totalement sa perception du sujet des hausses de coûts matières, en comparaison des principaux acheteurs. Elle signale également qu'elle n'est qu'une des unités de production de la filière porc du groupement qui compte également des sociétés d'abattage, dont à l'époque la société Gatine Viandes qui vendait plus de JSM qu'elle-même n'en achetait. Elle relève que les pertes éventuelles subies par la société Gatine Viandes n'étaient ainsi pas compensées par les gains qu'elle même pouvait en retirer.

965.En réplique, l'Autorité fait valoir que la participation des entreprises aux pratiques visées par le grief n° 1 étant homogène, il n'y avait pas lieu de retenir une plus faible participation pour la société Salaisons Celtiques.

Sur ce, la Cour :

966.La Cour relève au regard des indices analysés (tant dans la partie caractérisation de l'infraction que dans la partie relative à la durée de participation individuelle du présent arrêt), que l'existence, ponctuelle, de postures de négociation s'écartant du front commun souhaité par les participants tenant notamment aux contraintes de volume auxquelles la société Salaisons Celtiques a pu être soumise lors de certaines négociations ne justifie pas l'application d'un pourcentage de réduction pour moindre participation. En effet, sur les 92 indices retenus dans le tableau 56, seuls 13 des indices critiqués ont été écartés par la Cour.

967.Les indices sur lesquels reposent les poursuites établissent l'existence de nombreux appels téléphoniques avec ses concurrents, dont 19 au moins ressortent des seuls relevés de M. [YN] (Campofrío) et dont d'autres se déduisent de la teneur de courriels explicites décrivant un comportement actif (pour illustration : « j'ai eu Onno et Fleury (c'est eux qui ont appelé j'ai aut' chose à fout') Ils attaquent demain à -5 ! » extrait du courriel de Jean Caby du 15/12/11 cote 13764).

968.Les courriels saisis démontrent également que la société Salaisons Celtiques (Onno) était aussi investie que les autres participants (à titre d'exemple : « [VC] [[NE]-Onno/ Salaisons Celtiques] et moi on est très énervé. Il va falloir qu'ils se ressaisissent chez [Localité 20]' » extrait du courriel Fleury Michon du 16/03/12 cote 16178).

969.Ces différents éléments ne traduisent pas un moindre engagement dans l'entente.

970.Le moyen est rejeté.

2. Concernant le grief n° 2

971.La décision attaquée a accordé au titre de leur moindre intensité de participation une réduction de 30 % du montant de base au groupe CA Animation.

972.Le groupe CA Animation fait valoir, en premier lieu, que ce taux est insuffisant eu égard à sa faible participation au grief n° 2. Il rappelle qu'il n'est poursuivi que pour un seul des trois griefs et que la participation reprochée est extrêmement limitée (aucune participation aux réunions multilatérales ou bilatérales avec les autres entreprises concernées, nombre de contacts avec [Localité 20] dérisoire comparé à ceux faisant l'objet du grief n° 2 (8 sur 249), participation purement passive, d'une durée limitée, portant sur des échanges eux-mêmes limités aux produits crus de snacking).

973.Il rappelle, en deuxième lieu, que, dans d'autres affaires dont les faits sanctionnés étaient plus graves que ceux qui lui sont reprochés, en ce qu'ils portaient sur une entente sur les prix et une répartition de marchés, la Cour a déjà accordé un abattement de 40 % (CA [Localité 73], 23 mai 2017, n° 2015/08224, point 411). Il observe également que, dans la présente affaire, l'abattement qui lui a été octroyé n'est que de 5 % supérieur à celui octroyé au groupe FTL (25 %), et ce alors même que l'intensité de sa participation aux pratiques est bien moindre, tant au regard de la nature (participation à deux réunions multilatérales) que de la fréquence des échanges retenus à l'encontre de ce groupe (quinzaine d'échanges).

974.Il demande en conséquence à la Cour de réformer la décision attaquée en ce qu'elle lui a infligé une sanction de 203 000 euros (cumul de celles infligées aux sociétés Sapresti Traiteur et Les Monts de la Roche), en supprimant totalement cette sanction ou en réduisant très significativement son montant.

975.L'Autorité relève que la décision attaquée a pris en compte le fait que le groupe CA Animation n'avait participé à aucune réunion multilatérale et à moins de dix échanges bilatéraux, qualifiant ainsi l'intensité de sa participation aux pratiques de « très modérée ». Elle souligne qu'elle lui a en conséquence appliqué l'abattement le plus élevé sur le montant de base de sa sanction, soit 30 %. Elle précise avoir ainsi défini selon l'intensité de participation retenue un taux de 30 % en cas de participation très modérée, 25 % en cas de participation modérée et 15 % en cas de participation moyenne. Elle en déduit que la faible intensité de la participation du groupe CA Animation a ainsi été prise en compte.

976.Le ministre chargé de l'économie considère, compte tenu du fait que la société FTL, qui a participé à deux réunions multilatérales et à 17 échanges bilatéraux, a obtenu un abattement de 25 %, qu'il n'est pas inenvisageable d'augmenter le taux d'abattement accordé au groupe CA Animation.

Sur ce, la Cour :

977.Il est constant, même si l'Autorité a déjà tenu compte de la durée des pratiques pour chaque entreprise au travers du coefficient de durée appliqué au montant de base, qu'il est accordé une réduction supplémentaire du montant de la sanction aux entreprises dont la participation aux pratiques est moins intense.

978.Cette réduction, qui correspond à un abattement forfaitaire appliqué au montant de base, tient compte, pour chaque entreprise, de la nature (réunions multilatérales, bilatérales, échanges par courriel ou téléphone) et de la fréquence des échanges entretenus avec ses concurrents.

979.Il est constant, en l'espèce, que le groupe CA Animation n'est pas tenu responsable de toutes les pratiques concertées constitutives de l'infraction visée au grief n° 2.

980.Comme l'a justement relevé la décision attaquée, le groupe CA Animation n'a participé à aucune réunion multilatérale et a eu 8 échanges bilatéraux avec le groupe Campofrío, qui doivent être mis en rapport avec le nombre total d'échanges intervenus dans le cadre de cette entente et identifiés dans la décision attaquée, de sorte que l'intensité de sa participation aux pratiques a été, à juste titre, qualifiée de très modérée.

981.Si l'Autorité soutient avoir appliqué « l'abattement le plus élevé sur le montant de base de sa sanction, soit 30 % », la Cour constate que le Communiqué sanctions ne prévoit aucun plafond en la matière, de sorte qu'il lui est loisible, le cas échéant, d'adapter sa pratique décisionnelle aux particularités de chaque affaire.

982.S'il n'est pas pertinent de procéder par voie de comparaison avec d'autres affaires pour déterminer le niveau d'abattement reflétant l'intensité de la participation du groupe CA Animation, compte tenu des particularités propres à chaque entente et à chaque entreprise, il est en revanche éclairant, dans le cadre de la même affaire, de constater qu'un taux d'abattement de 25 % a été appliqué au bénéfice du groupe FTL au titre d'une participation qualifiée de « relativement modérée » (deux réunions multilatérales et moins d'une quinzaine d'échanges bilatéraux).

983.Cette situation fait ressortir le fait que l'application d'un abattement cantonné à 30 % ne permet pas de retenir une prise en compte proportionnée de l'intensité « très modérée », de la participation du groupe CA Animation, qui n'a comporté aucune participation aux réunions multilatérales et en conséquence n'a pris part qu'à des échanges de portée plus restreinte.

984.Au regard des constatations qui précèdent la Cour réforme la décision attaquée et porte le taux d'abattement à 35 %.

3. Concernant le grief n° 3

985.La décision attaquée a notamment accordé au titre de leur moindre intensité de participation une réduction de 30 % du montant de base aux filiales Mousquetaires SCSG et SCO, ainsi que des réductions de 25 % à Herta eu égard au fait qu'il n'existait dans le carnet que cinq mentions la concernant.

986.Les filiales Mousquetaires SCSG soutiennent qu'une réduction bien supérieure aurait dû leur être accordée compte tenu du fait qu'aucun indice n'a été relevé à leur encontre et qu'elles ne vendaient même pas les produits concernés par les indices retenus contre SCO.

987.Le groupe Nestlé fait valoir la participation « très limitée et purement passive de Herta ».

Sur ce, la Cour :

988.Concernant les sociétés du groupe Les Mousquetaires, celles-ci ayant été mises hors de cause, la réformation du coefficient de réduction est devenue sans objet.

989.Concernant Herta, la Cour a réformé la décision attaquée en ne retenant que deux échanges en dates des 23 et 24 février 2011, portant sur un unique appel d'offres de février 2011. Sa participation à l'entente a ainsi été très modérée. Cette circonstance a une incidence sur le montant final de la sanction, dont il sera tenu compte au stade de l'individualisation finale.

D. Sur le coefficient de réduction au titre du caractère mono-produit

990.La décision attaquée a accordé le bénéfice d'une réduction du montant de la sanction aux seules sociétés Salaisons du Mâconnais, Charcuteries Gourmandes et Jean Caby (§ 897 à 902).

991.Le groupe Les Mousquetaires fait valoir que l'essentiel de l'activité des filiales intervient dans le secteur de la charcuterie cuite en relation avec les infractions alléguées et qu'une adaptation est nécessaire s'agissant des entreprises « mono-produit », représentant 97,5 % du chiffres d'affaires pour la société Salaisons Celtiques. Les sociétés mères Mousquetaires soutiennent que l'annulation de la décision attaquée en ce qui concerne l'imputabilité des pratiques aux sociétés mères du groupe aura pour conséquence de rendre éligibles les filiales auteurs au critère du « mono-produit ». En vertu du principe d'égalité de traitement et de non-discrimination, il est demandé le bénéfice de la réduction de 90 % accordée, à ce titre, à Charcuteries Gourmandes et Jean Caby.

992.L'Autorité rappelle que le caractère mono-produit s'apprécie à l'échelle de l'« entreprise » lorsque les pratiques de filiales sont imputées aux sociétés mères, comme en l'espèce. Elle constate que le rapport entre la valeur des ventes respective des requérantes et le chiffre d'affaires consolidé du groupe, inférieur à 2 %, permet d'écarter le caractère d'entreprise « mono-produit ».

993.Le ministre chargé de l'économie considère que les données transmises ne répondent pas aux critères permettant d'établir le caractère mono-produit de l'entreprise en cause, au sens du Communiqué sanctions.

Sur ce, la Cour :

994.Le Communiqué sanctions prévoit, au point 47, que « [a]fin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire, l'Autorité peut ensuite adapter, à la baisse ou à la hausse, le montant de base en considération d'autres éléments objectifs propres à la situation de l'entreprise ou de l'organisme concerné ».

995.Son point 48 indique qu'« [e]n particulier, elle peut l'adapter à la baisse pour tenir compte du fait que : - l'entreprise concernée mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction (entreprise 'mono-produit') ».

996.Il ressort d'une jurisprudence constante que l'appréciation du caractère « mono-produit » d'une entreprise repose sur la comparaison entre l'assiette de la sanction - la valeur de référence en lien avec l'infraction réalisée en France, c'est-à-dire, en général, les opérations réalisées par l'auteur de l'infraction - Et le chiffre d'affaires de l'entreprise supportant la charge de l'amende ou de l'unité économique à qui est imputée la sanction, laquelle comprend son auteur et, le cas échéant, sa société mère.

997.En l'espèce, les filiales ayant été mises hors de cause au titre du grief n° 3, la critique des filiales Salaisons du [Localité 63] et SCO est devenue sans objet.

998.Concernant la société Salaisons Celtiques, la décision attaquée a retenu, à juste titre, l'imputabilité des pratiques visées au grief n° 1 aux sociétés mères. Les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que l'annulation de la décision attaquée en ce qui concerne l'imputabilité des pratiques aux sociétés mères aura pour conséquence de rendre la filiale auteur éligible au critère du « mono-produit ».

999.La Cour observe que le rapport entre la valeur des ventes respective des requérantes et le chiffre d'affaires consolidé du groupe, évalué à un montant inférieur à 2 % dans les observations de l'Autorité, n'est pas contesté devant la Cour. Il ne ressort pas de ce taux que la société Salaisons Celtiques soit en situation de bénéficier de la réduction au titre d'une activité mono-produit au sens du Communiqué sanctions.

1000.Les données communiquées, qui ne prennent pas en compte les chiffres d'affaires des sociétés mères auxquelles sont imputées les infractions, ne permettent pas d'établir le caractère mono-produit de son activité, contrairement aux autres entreprises en cause en ayant bénéficié. Aucune violation du principe d'égalité de traitement n'est donc établie.

1001.Le moyen est rejeté.

E. Sur le coefficient de majoration au titre de l'appartenance à un groupe

1002.La décision attaquée a retenu un coefficient de majoration de 10 % pour le groupe Les Mousquetaires (§ 929), 10 % pour le groupe Campofrío (§ 918), 20 % pour le groupe Coop (§ 914) et 70 % pour le groupe Nestlé (§ 925).

1003.Les filiales Mousquetaires SCSG soutiennent que l'Autorité ne pouvait pas imputer la responsabilité des pratiques sanctionnées à SLM et SCM et, en conséquence, leur appliquer une majoration de 10 % au titre de leur appartenance à un grand groupe. Elles ajoutent qu'en l'absence d'imputabilité, les sanctions infligées sont déconnectées de leur capacité contributive.

1004.Le groupe Coop rappelle, en premier lieu, que cette majoration ne présente aucun caractère automatique et que la marge d'appréciation de l'Autorité n'est pas illimitée et doit s'effectuer notamment dans le respect des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité. Il rappelle que, conformément au point 49 du Communiqué sanctions, une majoration de la sanction est justifiée lorsque « l'entreprise concernée dispose d'une taille, d'une puissance économique ou de ressources globales importantes, notamment par rapport aux autres auteurs de l'infraction ». Il fait valoir que la majoration de 20 % appliquée au groupe [SV], tenant compte des ressources financières globales du groupe de 26,5 milliards d'euros, est incohérente au regard du montant infligé aux autres entreprises. Il constate ainsi que l'Autorité augmente de seulement 10 % le montant de base de la sanction infligée aux sociétés appartenant au groupe Les Mousquetaires pour les griefs n° 1 et 3, pour un groupe disposant de ressources financières globales de 29,4 milliards d'euros. Il relève que le groupe [SV], qui n'a participé qu'à une seule infraction et a eu un rôle décisif en étant demandeur à la clémence, se voit infliger un taux de majoration de sa sanction deux fois supérieur à celui du groupe Les Mousquetaires, alors même que ce dernier a participé à deux infractions et dispose de ressources globales plus importantes que celles du groupe Coop.

1005.Il soutient, en deuxième lieu, que le critère du ratio entre la valeur des ventes, assiette de la sanction, et le chiffre d'affaires total du groupe n'est pas pertinent car, d'une part, le chiffre d'affaires d'une entreprise n'est pas représentatif du montant de ses ressources disponibles, d'autre part, cela conduit à considérer que plus la part de la valeur des ventes est importante - Et partant plus la pratique a engagé l'ensemble de l'entreprise ' plus le taux pris en compte pour la majoration est faible. Il ajoute que la part des ventes affectées par rapport au poids de l'entreprise est déjà prise en compte au titre du caractère « mono-produit ». Il observe que ce critère est appliqué de manière difficilement compréhensible, dès lors que le groupe Coop a un taux de majoration seulement 3 fois inférieur à celui du groupe Nestlé, alors même que le ratio entre la valeur des ventes et le chiffre d'affaires de ce groupe (0,002 %) est 50 fois plus faible que le sien (0,1 %). Il estime que cette situation porte ainsi atteinte au principe d'égalité de traitement.

1006.Il invoque, en troisième lieu, la violation du principe de proportionnalité, la majoration devant être proportionnée, notamment aux objectifs de répression et de dissuasion de la sanction. Il ajoute que cette majoration se justifie d'autant moins que les sociétés Coop et Bell Food Group n'ont pas été impliquées dans les pratiques et que leurs liens avec les sociétés françaises sont inexistants et très distendus en termes capitalistiques. Il invoque également les difficultés financières des sociétés françaises du groupe dans un contexte de secteur sinistré.

1007.Le groupe Nestlé fait valoir que la participation de Herta aux pratiques, si elle devait être validée, serait en tout état de cause extrêmement marginale, rendant l'imputation au groupe Nestlé d'autant moins justifiée. Il considère que le pourcentage de majoration appliqué, de 70 %, est particulièrement élevé et disproportionné et demande à la Cour d'en réduire le montant comme elle y a déjà procédé dans le récent arrêt Apple.

1008.L'Autorité considère, en premier lieu, que, par leurs critiques, les requérants dénaturent le critère de prise en compte de l'appartenance à un groupe et rappelle qu'en l'absence d'autonomie des filiales auteures des pratiques, elle était fondée à prendre en compte la puissance de l'entreprise qu'elles constituent avec leurs sociétés mères.

1009.Elle relève, en deuxième lieu, qu'il a été admis en jurisprudence que cette puissance pouvait être révélée par le faible ratio entre la valeur des ventes retenues pour le calcul de l'assiette de la sanction et le chiffre d'affaires du groupe auquel appartient l'auteur de l'infraction. Elle considère que, par la mise en œuvre de ce critère objectif et transparent, elle est en mesure de conférer un caractère dissuasif à ses sanctions pécuniaires.

1010.Elle rappelle, en troisième lieu, que les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de l'appréciation portée par l'Autorité dans de précédentes décisions dès lors que le montant des sanctions est déterminé conformément aux critères définis par l'article L. 464-2 du code de commerce et au Communiqué sanctions, après avoir pris en compte les circonstances spécifiques à chaque cas d'espèce. En tout état de cause, à la seule fin d'éclairer la Cour, elle relève que les taux retenus dans la présente affaire ne sont ni inédits, ni incohérents avec ceux retenus dans des espèces comparables.

1011.En quatrième lieu, s'agissant du principe d'égalité de traitement, en traitant différemment la situation des groupes Coop et Les Mousquetaires, dont les ratios de valeur des ventes rapportés au chiffre d'affaires diffèrent sensiblement malgré des chiffres d'affaires d'ampleur comparables, l'Autorité estime ne pas avoir méconnu le principe en cause.

1012.Le ministre chargé de l'économie observe que les taux de majoration appliqués aux différents groupes formant une entreprise au sens du droit de la concurrence, ont été définis au vu d'un critère objectif et reconnu par la jurisprudence, correspondant au ratio « valeur des ventes/chiffre d'affaires total du groupe », de sorte que l'application de ce critère n'altère pas le principe de l'égalité de traitement.

Sur ce, la Cour :

1013.Conformément au troisième alinéa de l'article L. 464-2, alinéa 3 du code de commerce, dans sa rédaction applicable, les sanctions pécuniaires doivent également être proportionnées « à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient » et « sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

1014.Dans son prolongement, le Communiqué Sanctions prévoit, au paragraphe 49, que l'Autorité peut adapter le montant de base de la sanction à la hausse pour tenir compte du fait que l'entreprise concernée et/ou le groupe auquel elle appartient disposent d'une taille, d'une puissance économique ou de ressources globales importantes.

1015.Les sanctions pécuniaires devant être déterminées individuellement pour chaque entreprise sanctionnée, leur fixation est nécessairement liée aux faits et au contexte propres à chaque espèce. Aussi convient-il d'écarter les arguments par lesquels les requérantes entendent contester le taux de majoration qui leur a été appliqué en invoquant des décisions antérieures de l'Autorité à titre de comparaison.

1016.En l'espèce, concernant le groupe Les Mousquetaires, la décision attaquée a retenu, à juste titre, l'imputabilité des pratiques visées au grief n° 1 aux sociétés mères du groupe Les Mousquetaires. Les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que l'annulation de la décision attaquée en ce qui concerne l'imputabilité des pratiques aux sociétés mères aura pour conséquence d'exclure la majoration de 10 % qui leur a été appliquée.

1017.Il n'est pas contesté que les ressources financières globales du groupe Les Mousquetaires sont très importantes, au regard du chiffre d'affaires mondial consolidé pour 2018 de 29,4 milliards d'euros, et que les valeurs qui avaient été retenues comme assiette de la sanction au titre des griefs n° 1 et 3 ne représentaient que 1 % du chiffre d'affaires total du groupe. C'est donc à juste titre que la décision attaquée, tenant compte de l'impératif de dissuasion comme de la situation financière propre de l'entreprise sanctionnée, a retenu une majoration de 10 % applicable à la sanction à infliger au titre du grief n° 1.

1018.Concernant le groupe Coop, il convient de rappeler que les infractions en cause ont été imputées aux sociétés Bell France Holding, Maison de Savoie, Le Saloir de [Adresse 71], Le Saloir de [Localité 92], Salaisons [SV] et Cie, Bell France anciennement Salaisons de [Localité 79] et Val de [Localité 69], en tant qu'auteures et aux sociétés Groupe Coop Société Coopérative, Bell Food Group, Bell France Holding, en tant que sociétés mères. Il n'a pas été contesté par le groupe Coop, second demandeur de clémence, que toutes ces sociétés constituent, ensemble, une entreprise au sens du droit de la concurrence, ainsi que cela ressort des paragraphes 703 et suivants de la décision attaquée. Il est tout aussi constant que les ressources financières globales du groupe sont très importantes, au regard du chiffre d'affaires mondial consolidé pour 2018 de 26,5 milliards d'euros et que les valeurs retenues comme assiette de la sanction au titre du grief n° 2 ne représentaient que 0,1 % du chiffre d'affaires total du groupe, ce qui constitue un critère objectif mis en œuvre de manière habituelle dans la pratique décisionnelle de l'Autorité.

1019.La puissance économique d'une entreprise pouvant ainsi être révélée par le faible ratio entre la valeur des ventes retenues pour le calcul de l'assiette de la sanction et le chiffre d'affaires du groupe auquel appartient l'auteur de l'infraction, la critique est vaine.

1020.Ces éléments et l'impératif de dissuasion requis en la matière, justifient l'application d'une majoration au regard de la situation financière propre à l'entreprise au moment où elle est sanctionnée, comme l'a justement retenu la décision attaquée. En l'espèce, après réduction du coefficient appliqué à la valeur des ventes, la Cour ne constate aucune disproportion à raison du principe de majoration appliqué et des valeurs retenues en résultant.

1021.S'agissant de la disproportion invoquée au regard du traitement appliqué à d'autres entreprises mises en cause dans la même affaire, notamment par rapport au groupe Les Mousquetaires, la Cour constate que la même méthode a été appliquée pour apprécier la nécessité de majorer les sanctions infligées à ces deux entreprises. En revanche, il ne ressort pas de la motivation identique des paragraphes 912 à 914 de la décision attaquée relative au groupe Coop et 927 à 929 relative au groupe Les Mousquetaires (chiffre d'affaires mondial consolidé très important représentant un ordre de grandeur comparable par rapport aux autres entreprises sanctionnées, ratio de 1 % identique, impératif de dissuasion mis en œuvre) que ces deux groupes aient été placés dans des situations si différentes qu'il soit justifié d'opérer entre eux une différence de traitement, conduisant à appliquer au premier une majoration représentant le double de celle retenue pour le second. Cette situation commande de réformer la décision attaquée et de ramener la majoration appliquée à 10 %.

1022.Concernant le groupe Nestlé, la Cour a rappelé que la méthodologie du Communiqué sanctions n'était pas adaptée à la situation résultant de la réformation entreprise et qu'il convenait de revenir aux critères généraux d'appréciation de la proportionnalité de la sanction définis par l'article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable.

1023.Ce texte prend en compte, outre la gravité des faits reprochés et l'importance du dommage causé à l'économie, « la situation (') de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient ».

1024.Il n'est pas contesté que l'infraction a été imputée à la société Herta, en tant qu'auteure et aux sociétés Nestlé SA et Nestlé Entreprises, en tant que sociétés mères, qui constituent, prises ensemble, une entreprise au sens du droit de la concurrence et que les ressources financières globales du groupe Nestlé sont très importantes, son chiffre d'affaires mondial consolidé pour 2018 atteignant 79,1 milliards d'euros.

1025.La Cour observe également que le groupe Nestlé ne l'a saisie d'aucune demande de réformation portant sur l'appréciation de la gravité et du dommage causé à l'économie par le grief n° 3, les critiques mettant en cause la disproportion de la sanction sont en effet relatives au taux de majoration appliquée au titre de l'appartenance au groupe Nestlé, laquelle, comme cela a déjà été indiqué, sera appréciée dans le respect des critères légaux prévus à l'article L. 464-2 du code de commerce.

1026.Par suite, sur la base de l'appréciation de la gravité ressortant des paragraphes 837 et 838 de la décision attaquée, d'un dommage causé à l'économie très limité (§ 849 à 853), d'une participation à l'entente très modérée et d'une durée très limitée, du contexte dans lequel sont survenues ces pratiques, de la situation du groupe auquel l'entreprise sanctionnée appartient, précitée, et tenant compte de l'impératif de dissuasion attaché à la sanction à infliger au regard de la situation financière propre à l'entreprise au moment où elle est sanctionnée, la Cour fixe la sanction à 85 000 euros.

F. Sur la réitération

1027.La décision attaquée a retenu que la CFPR se trouvait dans une situation de réitération justifiant une majoration de 20 % de la sanction, au regard de la décision de l'Autorité n° 08-D-20 du 1er octobre 2008 relative à des pratiques d'entente verticale et de la décision de la Commission européenne n° COMP/38866 du 20 juillet 2010 503 relative à une entente horizontale sur les prix sur le marché des phosphates destinés à l'alimentation, la première ayant sanctionné le groupe Roullier et la seconde, la CFPR (§ 935 à 940).

1028.La CFPR invoque un défaut de motivation et une erreur de droit quant à l'application de la circonstance aggravante de réitération.

1029.Elle estime, en premier lieu, qu'en se bornant à rappeler que sa responsabilité a précédemment été retenue par la décision n° 08-D-20 relative à des pratiques d'entente verticale et par la décision de la Commission européenne n° COMP/38866 du 20 juillet 2010 et, d'autre part, en se limitant à constater que « les pratiques visées au titre du grief n° 3 constituent également une entente et relèvent ainsi du même fondement légal que celui sur la base duquel le groupe Roullier a déjà été sanctionné », l'Autorité n'a pas motivé en quoi « la pratique en cause [est] identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d'infraction ». Elle considère que si la réitération n'est exclue que lorsque les fondements juridiques des infractions sont différents, cela ne signifie pas pour autant que la seule similitude des fondements juridiques suffit à caractériser automatiquement la réitération. Elle déduit de ce défaut de motivation que cette circonstance aggravante doit être écartée.

1030.Elle estime, en deuxième lieu, que l'Autorité ne pouvait pas prendre en compte la décision de la Commission européenne, dans la mesure où l'intérêt juridique protégé par la mise en œuvre de l'article 101 du TFUE dans cette précédente décision diffère de celui en cause dans la présente procédure. Elle relève que, certes, la décision attaquée est fondée sur l'article 101 du TFUE, mais que la compétence attribuée à l'Autorité pour appliquer cette disposition trouve nécessairement sa limite dans sa compétence territoriale, restreinte au territoire français. Elle ajoute que la décision de la Commission a sanctionné des pratiques qui concernaient « la plupart du territoire de l'Union européenne et par la suite également une partie du territoire de l'EEE » (Com. eur. 20 juillet 2010, déc. COMP/38866, point 4), alors que, même en faisant application de l'article 101 du TFUE, l'Autorité ne pourrait sanctionner des pratiques que pour leurs effets sur le territoire français. Elle en déduit que les pratiques sanctionnées par une décision de la Commission et celles poursuivies par une autorité nationale de concurrence ne peuvent en aucun cas être regardées comme étant identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, du point de vue de ladite autorité nationale.

1031.Elle ajoute, qu'en France, aucun texte applicable à l'époque des faits ne prévoyait que l'Autorité tenait compte, au titre des circonstances aggravantes liées à la réitération, des décisions rendues par la Commission européenne. Elle constate que le nouveau Communiqué sanctions de l'Autorité adopté le 30 juillet 2021 a d'ailleurs modifié son approche en précisant qu'il est désormais possible de prendre en compte « l'existence d'une décision constatant une infraction au droit français et/ou européen de la concurrence (') ».

1032.À titre subsidiaire, CFPR demande à la Cour qu'il soit sursis à statuer et de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante, en application de l'article 267 du TFUE :

L'article 5 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (devenus les articles 101 TFUE et 102 TFUE) doit-il être interprété en ce sens qu'une autorité nationale de concurrence est compétente pour prendre en compte une précédente infraction à l'article 101 TFUE pour des pratiques mises en œuvre sur le territoire de l'Union, constatée par une décision de la Commission européenne devenue définitive, aux fins de caractériser la circonstance aggravante tirée de la situation de réitération au regard de l'article 101 TFUE dans laquelle se trouverait l'entreprise, à l'encontre de laquelle ladite autorité nationale de concurrence entend constater une seconde infraction à ladite disposition pour des pratiques mises en œuvre uniquement sur le territoire national.

Sur ce, la Cour :

1033.La réitération est une circonstance aggravante, visée de façon autonome par le I de l'article L. 464-2 du code de commerce, permettant à l'Autorité de prendre en compte la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de concurrence et d'y apporter une réponse proportionnée, en termes de répression et de dissuasion.

1034.Aux termes du Communiqué sanctions, point 51, l'existence d'une réitération repose sur quatre éléments cumulatifs :

« une précédente infraction au droit de la concurrence doit avoir été constatée avant la fin de la nouvelle pratique ; ce précédent constat d'infraction, qui ne doit pas nécessairement avoir été assorti d'une sanction pécuniaire, ne peut résulter ni d'une décision prononçant une mesure conservatoire en vertu de l'article L. 464-1 du code de commerce, ni d'une décision rendant obligatoires des engagements au titre du I de l'article L. 464-2 du même code ;

- la nouvelle pratique doit être identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d'infraction ;

ce dernier doit avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l'Autorité statue sur la nouvelle pratique, et

- le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et le début de la nouvelle pratique est pris en compte pour apporter une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise ou de l'organisme concerné à s'affranchir des règles de concurrence ; l'Autorité n'entend pas opposer la réitération à une entreprise ou à un organisme lorsque le délai en question est supérieur à 15 ans ».

1035.Par ailleurs, « [e]n cas de réitération, le montant individualisé peut être augmenté dans une proportion comprise entre 15 et 50 %, en fonction notamment du délai séparant le début de la nouvelle pratique du précédent constat d'infraction, et de la nature des différentes infractions en cause » (point 52 du même communiqué).

1036.La Cour relève qu'aucune limitation n'est apportée, ni par l'article L. 464-2 du code de commerce, ni par le Communiqué sanctions dans sa version applicable, concernant l'origine des décisions retenues pour caractériser le premier terme de la réitération (jurisprudence européenne ou nationale), dès lors qu'elles satisfont les critères précités. La circonstance que le nouveau Communiqué du 30 juillet 2021 ait pris soin de développer ce point n'a pas pour effet de priver l'Autorité de la capacité de le faire sous l'empire du Communiqué précédent.

1037.En l'espèce, il est constant que la décision de l'Autorité n° 08-D-20 du 1er octobre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par des filiales de la CFPR, devenue définitive pour n'avoir fait l'objet d'aucun recours, a dit établi que la société CFPR a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce, en organisant une entente verticale visant à imposer un prix minimum de revente au détail avec ses distributeurs.

1038.Par la décision de la Commission européenne n° COMP/38866 du 20 juillet 2010 relative à une entente horizontale sur les prix sur le marché des phosphates destinés à l'alimentation, confirmée par un arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 20 mai 2015 puis de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 12 janvier 2017 (C-411/15 P, affaire Timab Industries et CFPR / Commission), CFPR et l'une de ses filiales ont été sanctionnées sur le fondement de l'article 101 du TFUE.

1039.La CFPR n'est pas fondée à soutenir que cette seconde décision ne devrait pas être retenue, au motif que l'intérêt juridique protégé par la mise en œuvre de l'article 101 TFUE dans cette précédente décision diffèrerait de celui en cause dans la présente procédure, alors que le grief n° 3 est fondé tant sur le droit national que sur le droit de l'Union et que l'Autorité a compétence pour appliquer l'article 101 du TFUE par application de l'article 5 du règlement n° 1/2003. Il importe peu en l'occurrence que le constat d'infraction émane de la Commission européenne ou de l'Autorité, l'une et l'autre ayant compétence pour y procéder.

1040.Aucun doute raisonnable n'existant concernant l'interprétation de l'article 5 du règlement (CE) n° 1/2003, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle.

1041.La décision attaquée a ainsi caractérisé le premier élément de la réitération, une précédente infraction au droit de la concurrence ayant été constatée tant en 2008 qu'en 2010, impliquant la CFPR, avant la fin des pratiques en cause, mises en œuvre jusqu'au 7 juin 2012 (décision attaquée, § 935).

1042.La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, la réitération peut être retenue pour de nouvelles pratiques similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction, sans que cette qualification n'exige une identité quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné.

1043.Les pratiques visées au titre du grief n° 3 sont des pratiques d'entente horizontale « pour se concerter sur les offres en prix à proposer, notamment en réponse aux appels d'offres des enseignes de la grande distribution » ayant « diminué l'incertitude devant normalement peser sur chaque opérateur » et ayant pu « concourir, soit directement soit indirectement, à la fixation de prix supérieurs à ceux qui auraient résulté d'une situation normale de concurrence ».

1044.Il ressort des constatations opérées au paragraphe 935 de la décision attaquée que les décisions précitées de 2008 et 2010 sont toutes deux des ententes, relevant ainsi du même fondement légal, ayant eu pour objet ou pour effet de fausser la formation des prix (étant pour l'une, « une entente verticale visant à imposer un prix minimum de revente au détail » pour l'autre « une entente horizontale sur les prix »).

1045.Les constatations de la décision attaquée permettent ainsi de caractériser la deuxième condition, les ententes en cause étant identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu aux précédents constats d'infraction, peu important l'absence d'identité complète quant à la pratique mise en œuvre ou aux marchés affectés.

1046.Ces deux décisions étaient définitives au 16 juillet 2020, date à laquelle l'Autorité a statué sur la présente infraction, comme cela résulte de l'absence de recours pour l'une et du rejet des recours pour l'autre, de sorte que la troisième condition est satisfaite comme l'a justement retenu le paragraphe 938 de la décision attaquée.

1047.Enfin, comme l'a encore justement relevé la décision attaquée (§ 939) le délai écoulé entre les constats de première infraction, respectivement les 1er octobre 2008 et 20 juillet 2010, d'une part, et le début des pratiques visées par le grief n° 3, soit le 23 mars 2011, d'autre part, est inférieur à 15 ans pour les pratiques imputées. La dernière condition est ainsi remplie.

1048.La décision attaquée comportant tous les éléments nécessaires à sa compréhension, la demande d'annulation pour défaut de motivation doit être rejetée. La réitération étant caractérisée, les autres moyens sont rejetés.

G. Sur la capacité contributive

1. Sur le défaut de motivation concernant la capacité contributive de certaines sociétés

1049.Le groupe Fleury Michon se prévaut de l'obligation de motivation qui incombe à l'Autorité pour satisfaire les droits de la défense et le droit au recours effectif. Il invoque en ce sens les articles L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, l'article L. 464-2, I, du code de commerce, l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CSDH), ainsi que la jurisprudence rendue en ce sens. Il considère que cette obligation implique celle d'entendre les parties, qui suppose d'examiner effectivement l'ensemble des pièces et documents produits, dont le défaut ne peut être régularisé a posteriori au stade du recours. Il en déduit que l'Autorité ne peut développer pour la première fois devant la Cour des éléments qui ne figuraient pas dans la décision attaquée afin de la justifier. Il soutient, qu'en l'espèce, la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure en ce qu'elle omet de répondre au mémoire du 14 octobre 2019 relatif à la capacité contributive des sociétés du groupe, dont l'Autorité a accusé réception en tamponnant la lettre de couverture (pièces Fleury Michon n° 6 et 7) qui était rappelé dans la réponse au rapport et qui a été complété par l'envoi d'éléments complémentaires (par voie postale et par mail - pièce Fleury Michon n° 8). Il observe que ce mémoire et les éléments complémentaires ne figurent pas au dossier (renvoyant au sommaire du dossier d'instruction n° 12/0080F-13/0006F) et que la décision attaquée ne vise ni ne discute ces éléments, alors même qu'elle comporte des arguments équivalents présentés par les autres entreprises mises en cause. Considérant la décision attaquée comme irrémédiablement viciée, il demande à la Cour d'annuler l'article 2 en ce qu'il concerne le groupe Fleury Michon.

1050.En réponse à l'Autorité, il relève que le caractère opérant d'un moyen n'est pas subordonné à son bien-fondé, de sorte que cette dernière était tenue d'y répondre, même si elle n'y faisait pas droit et devait le faire dans la décision attaquée, sans pouvoir procéder à aucune régularisation a posteriori. Enfin, il indique que les difficultés s'étant accrues, cette situation justifie, dans l'hypothèse où la Cour devait se prononcer sur ce point, de réduire très substantiellement le montant infligé conformément aux points 61 et suivants du Communiqué sanctions.

1051.Le groupe Coop invoque le même manquement, tenant au fait que la décision attaquée a ignoré sa demande, alors qu'elle était étayée (pièces Coop n° 1 et 2).

1052.L'Autorité reconnaît l'existence « d'une erreur matérielle » au paragraphe 1011 de la décision attaquée, lequel n'évoque pas la situation des groupes Fleury Michon et Coop. Elle considère toutefois cette erreur comme étant sans incidence sur le calcul de la sanction.

1053.S'agissant du groupe Fleury Michon, elle constate que les éléments d'analyse versés aux débats (annexe 3 de l'Autorité) relatifs à la situation de ce groupe, correspondant aux derniers comptes consolidés disponibles (2020 et premier semestre 2021), montrent sa capacité à générer de la trésorerie et la marge de manœuvre financière dont il dispose pour s'acquitter du montant de la sanction.

1054.S'agissant du groupe Coop, elle parvient à la même conclusion en relevant que l'analyse de la situation des filiales n'est pas pertinente pour apprécier la capacité du groupe à s'acquitter du montant de la sanction et constate qu'une telle analyse a une portée d'autant plus limitée qu'elle n'est accompagnée d'aucun élément financier concernant la situation des sociétés mères solidairement responsables du paiement de la sanction.

1055.Elle ajoute, au regard des comptes consolidés du groupe, tant concernant Coop société coopérative que Bell Food AG (annexes 2 de l'Autorité), que le groupe dispose des capacités de s'acquitter de la sanction.

1056.Le ministre chargé de l'économie relève que la Cour, saisie d'un recours, apprécie la situation à la date à laquelle elle statue, de sorte que l'appréciation ou l'omission d'appréciation de la décision attaquée importe peu.

1057.Le ministère public s'en rapporte sur l'évaluation de la capacité contributive de chaque entreprise en cause.

Sur ce, la Cour :

1058.En application du paragraphe I de l'article L. 464-2 du code de commerce, alinéa 3, du code de commerce, les sanctions sont déterminées, individuellement pour chaque entreprise sanctionnée et doivent l'être de façon motivée.

1059.Il en résulte une obligation de motivation qui implique pour l'Autorité d'énoncer les considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de sa décision. Si elle n'est pas tenue d'apporter une réponse détaillée à chaque argument invoqué, il doit ressortir clairement de la décision que les questions essentielles soulevées ont été examinées et qu'une réponse spécifique et explicite a été donnée aux moyens susceptibles d'avoir une incidence sur la décision. Par suite, l'Autorité ne saurait fournir les raisons de sa décision à l'occasion de l'examen du recours dirigé contre elle et suppléer, devant la Cour, l'insuffisance de sa motivation initiale.

1060.En l'espèce, il n'est pas contesté, concernant le groupe Fleury Michon, qu'il a transmis à l'Autorité un mémoire relatif à la capacité contributive des sociétés de son groupe, ainsi que des éléments complémentaires relatifs à sa situation financière, afin qu'il en soit tenu compte au stade de la sanction (pièces Fleury Michon n° 6 et 8), et qu'un tel moyen, régulièrement présenté, était susceptible d'avoir une incidence sur la décision attaquée. Or, le mémoire et les pièces produits par le groupe Fleury Michon n'ont été ni discutés ni même visés dans la décision attaquée, qui n'y consacre aucun développement dans la partie dédiée à la situation financière des entreprises (§ 1010 à 1013).

1061.De la même manière, concernant le groupe Coop, il n'est pas contesté qu'il a régulièrement transmis à l'Autorité des éléments relatifs aux capacités contributives de ses filiales françaises (pièces Coop n° 1 et n° 2) invoquant leur absence de capacité propre à supporter la sanction et qu'un tel moyen était également susceptible d'avoir une incidence sur la décision attaquée. Or, les écritures et les pièces produites par le groupe Coop n'ont pas davantage été ni discutées ni même visées dans la décision attaquée aux paragraphes 1010 à 1013.

1062.Comme le soulignent à juste titre les requérants, l'Autorité était tenue de répondre à tout moyen susceptible d'avoir une incidence sur la décision, même si elle n'y faisait pas droit.

1063.Ce manquement, qui ne constitue pas une erreur matérielle susceptible de rectification, entraine nécessairement une annulation au titre du respect des droits de la défense et du droit à être entendu. Une telle annulation n'est toutefois pas générale, comme le prétendent les requérants, mais doit être circonscrite à l'article du dispositif pour lequel les motifs ont été insuffisants et être limitée aux sociétés du groupe Fleury Michon et Coop concernées par cette insuffisance de motifs. Il y a donc lieu d'annuler l'article 2 de la décision attaquée, en qu'il a infligé une sanction pécuniaire aux sociétés du groupe Fleury Michon et l'article 4, en ce qu'il a infligé une sanction pécuniaire aux sociétés du groupe Coop, sans apprécier au stade des ajustements finaux leurs capacités contributives.

1064.Par l'effet dévolutif du recours, la situation financière des sociétés des groupes Fleury Michon et Coop sera examinée à la date à laquelle la Cour statue, dans les développements qui suivent.

2. Sur la situation financière des parties

1065.L'Autorité relève de manière générale, dans ses observations, s'agissant du périmètre d'analyse, que pour apprécier la réalité des difficultés contributives susceptibles d'être invoquées par l'auteur d'une pratique, elle prend en compte la situation financière de cette entité mais également, quand les pratiques lui ont été imputées, celle de sa société mère et, s'agissant de la méthode d'analyse, que dans le cadre d'un recours la Cour doit examiner la situation des entreprises à la date à laquelle elle statue. L'Autorité relève, s'agissant du périmètre d'analyse, que pour apprécier la réalité des difficultés contributives susceptibles d'être invoquées par l'auteur d'une pratique, elle prend en compte la situation financière de cette entité mais également, quand les pratiques lui ont été imputées, celle de sa société mère. Elle considère par ailleurs, s'agissant de la méthode d'analyse, que, dans le cadre d'un recours, la Cour doit examiner la situation des entreprises à la date à laquelle elle statue. Elle observe que les éléments, qu'elle a analysés dans les annexes confidentielles de ses observations, ne justifient pas de réduction au bénéfice des entreprises concernées.

1066.À l'audience et par notes en délibéré autorisées par la Cour, elle a complété ses observations au regard des éléments actualisés qui ont été produits ou allégués.

a. Sur la capacité contributive du groupe Fleury Michon

1067.Ce groupe fait valoir que les difficultés financières qu'il connaissait à la date de la décision attaquée, qui se sont accrues depuis lors, justifient que la Cour réduise très substantiellement le montant de la sanction. Il renvoie aux éléments produits à l'appui de son mémoire relatif à sa capacité contributive ainsi qu'à l'évolution de sa situation financière depuis 2020 (pièceFleury Michon n° 10), considérant qu'ils justifient une réduction de la sanction infligée.

1068.En substance et sans entrer dans le détail en raison de la protection du secret des affaires accordée, il invoque, en premier lieu, une réduction tendancielle de son chiffre d'affaires qui s'est traduite, en 2019 puis 2020, par un résultat net négatif, en deuxième lieu, un effondrement de ses capitaux propres et de son cours de bourse depuis 2019, en troisième lieu la nécessité de recourir à un prêt garanti par l'Etat, en quatrième lieu l'aggravation de ses difficultés dans le contexte des chocs économiques récurrents qui affectent sa rentabilité. Il ajoute que les éléments de contexte, qui affectent la situation individuelle du groupe Fleury Michon (et continueront de l'affecter à l'avenir), doivent être pris en compte au titre de l'examen de la capacité contributive de ce dernier - ainsi que l'Autorité l'a déjà admis - En particulier dans sa décision n° 14-D-20 du 22 décembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du papier peint en France (§ 345 et 346).

1069.L'Autorité relève, dans l'annexe 3 de ses observations, que le groupe Fleury Michon n'a pas soutenu dans ses écritures qu'il serait en incapacité de s'acquitter du montant de l'amende, sa contestation n'ayant porté que sur l'absence de motivation concernant sa situation. Sur la base du schéma d'imputabilité retenu au cas d'espèce (§ 750 et 751 de la décision attaquée), et du fait que la société Fleury Michon est la société consolidante du groupe, elle considère que les données disponibles montrent la capacité du groupe à générer de la trésorerie.

1070.À l'audience, elle souligne que le ministre chargé de l'économie a accordé un échéancier prévoyant le règlement de 25 % de la sanction au 15 février 2021, 25 % au 15 février 2022 et le solde à régler dans les 15 jours de l'arrêt à intervenir et qu'au 9 juin 2021 (soit 4 mois après la demande d'échelonnement, les actionnaires ont approuvé les comptes du groupe 2020 et le versement de dividendes de près de 4,4 milliards d'euros, en hausse de 25 % par rapport à l'an passé (renvoyant au compte-rendu de l'assemblée générale mixte ordinaire annuelle et extraordinaire du 9 juin 2021, rapport annuel 2020 publié sur le site du groupe Fleury Michon) Elle fait le même constat concernant le rapport annuel 2021 dont il ressort qu'au 28 juin 2022 les actionnaires ont à nouveau approuvé le versement de dividendes de près de 5 milliards d'euros. Elle en déduit que la situation financière du groupe est saine, l'activité en hausse et que 9 millions d'euros ont ainsi été versés en dividendes aux actionnaires (majoritairement à la famille fondatrice) pour un montant supérieur à ce qui reste dû.

1071.En réplique, il a été indiqué par le groupe que les dividendes versés rémunèrent une grande famille.

Sur ce, la Cour :

1072.Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 464-2, I, du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées « à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient ».

1073.La Cour rappelle à cet égard que les difficultés du secteur économique concerné par les pratiques ne figurent pas parmi les critères à prendre en considération pour la détermination des sanctions figurant au I de l'article précité, seules les difficultés actuelles, rencontrées individuellement par les entreprises, étant prises en compte dans le calcul de la sanction. Par suite, si, dans un contexte de crise, la baisse importante du chiffre d'affaires et du résultat d'une entreprise est prise en compte, les difficultés du secteur qui rendent une activité moins rentable que par le passé ne permettent pas de réduire la sanction encourue au titre de capacités contributives réduites.

1074.Il ressort des éléments produits, comme des données disponibles débattues à l'audience, une capacité du groupe à générer de la trésorerie. La Cour constate effectivement que les exercices 2019 et 2020 ont été marqués par des pertes d'exploitation et des résultats nets négatifs, toutefois, comme l'a relevé l'Autorité sans être contredite sur ce point, ces chiffres s'expliquent en 2020 par des dépréciations et des pertes générées par la cession d'une filiale italienne, ainsi que par une provision de 14 millions d'euros pour le paiement de la sanction. Force est de constater que les pertes subies en 2019 et 2020 n'ont pas affecté la capacité du groupe à s'acquitter de la sanction sans s'exposer à un risque financier.

1075.À cet égard, il est constant qu'à la suite de l'échéancier accordé par le ministre chargé de l'économie, le groupe a procédé au règlement de 25 % de la sanction au 15 février 2021 (3 690 250 euros) et à un règlement identique de 25 % au 15 février 2022, le solde étant à régler dans les 15 jours de l'arrêt à intervenir. Il s'ensuit que 50 % de la sanction infligée par la décision attaquée ont déjà été acquittés (7 380 500 euros).

1076.Si le groupe Fleury Michon allègue à l'audience que la société Charcuteries cuisinées du Plélan aurait annoncé fin février 2023 un plan social et la fermeture de l'usine, les autres éléments mis dans les débats contredisent le fait que le groupe serait en difficulté pour régler le solde de la sanction.

1077.Outre que le reliquat de la sanction à payer va être réduit par suite des réformations intervenues sur le coefficient appliqué à la valeur des ventes, la Cour retient le fait, tiré du rapport annuel 2021 publié sur le site Fleury Michon invoqué à l'audience par l'Autorité et non contesté, qu'au 9 juin 2021 les actionnaires ont approuvé les comptes du groupe 2020 et le versement de dividendes (1 euro par action) de près de 4,4 milliards d'euros, représentant une hausse de 25 % par rapport à l'année passée (compte rendu de l'assemblée générale mixte ordinaire annuelle et extraordinaire du 9 juin 2021). De la même manière, aux termes du compte-rendu de l'assemblée générale mixte ordinaire annuelle et extraordinaire du 28 juin 2022 (publié sur le même site, également mis dans les débats par l'Autorité et non contesté à l'audience) : « [l]es actionnaires ont notamment approuvé les comptes sociaux de la société Fleury Michon S.A. et les comptes consolidés du groupe Fleury Michon de l'exercice clos le 31 décembre 2021, ainsi que le versement d'un dividende de 1.20 € par action » représentant près de 5 milliards d'euros. Le rapport sur les comptes semestriels 2022 mentionne également que « [a]u 30 juin 2022, Fleury Michon enregistre un chiffre d'affaires de 374,5 millions d'euros en progression de 9,6 % comparé au premier semestre 2021 » (rapport annuel, page 3) et que « [l]a gestion prudente des liquidités mise en place depuis 2020 permet au Groupe de conserver une situation financière saine, malgré les très fortes perturbations exogènes qui se succèdent. » (rapport annuel, page 6).

1078.Il résulte de ce qui précède que, nonobstant la variation du « flux de trésorerie disponible » invoqué par le groupe Fleury Michon entre 2021 et 2022, 9 millions d'euros ont été versés en dividendes aux actionnaires (majoritairement à la famille fondatrice) pour un montant très supérieur à ce qui reste dû au titre de la sanction, démontrant la capacité du groupe à dégager de la trésorerie et à s'acquitter du solde de la sanction sans mettre en péril l'entreprise.

1079.Le moyen est rejeté.

b. Sur la capacité contributive du groupe Coop

1080.Le groupe Coop verse différents rapports, couverts par le secret des affaires, au soutien de sa demande de prise en compte des difficultés financières des filiales françaises du groupe en vue d'écarter la sanction, ou a minima d'en diminuer très significativement le montant, à l'instar de ce que l'Autorité a fait pour de nombreuses autres entreprises dans la procédure.

1081.À cet égard, il invoque l'approche suivie envers la société Jean Caby, dont les difficultés financières ont été prises en compte (§ 1012 de la décision attaquée), nonobstant le fait qu'elle appartient au groupe Campofrío (dont la capacité contributive n'était pas contestée et a donné lieu à une majoration au titre de l'appartenance à un groupe aux paragraphes 915 à 918 de la même décision). Il considère que c'est en méconnaissance de la pratique décisionnelle que l'Autorité, dans ses observations, considère comme non pertinente la situation des filiales et analyse exclusivement la situation des sociétés-mères. Il en déduit que, sauf à violer le principe d'égalité de traitement, les difficultés financières de ses filiales doivent être prises en compte, et ce malgré l'éventuelle capacité contributive des sociétés mères.

1082.En réplique à l'Autorité, il a été précisé à l'audience qu'il n'y a pas eu de dividendes versés au niveau des filiales, mais uniquement au niveau du groupe.

1083.L'Autorité maintient que la capacité de la filiale non autonome s'apprécie au regard de l'entreprise et relève que le groupe réalise un chiffre d'affaires tel qu'il traduit sa capacité à générer des ressources et disposer de marges de manœuvres financières importantes (renvoyant à son annexe 2 au regard des secrets d'affaires invoqués). Elle relève également que les exercices clos de 2019 à 2022 ont permis une distribution de dividendes aux actionnaires en hausse (rapports de gestion Bell Food group). Elle demande en conséquence à la Cour le rejet du moyen.

Sur ce, la Cour :

1084.Conformément au troisième alinéa de l'article L. 464-2, I, du code de commerce, les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées « à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient ».

1085.Il doit être rappelé, en premier lieu, que l'imputation des pratiques aux sociétés mères d'un groupe et la condamnation solidaire subséquente de ces dernières impliquent qu'il y ait lieu de prendre en considération, au titre de la capacité contributive, les comptes consolidés et non pas les seuls comptes des filiales auteurs des pratiques.

1086.Il convient également de renvoyer au principe énoncé en propos liminaires, concernant le fait que les difficultés du secteur économique concerné ne figurent pas parmi les critères à prendre en considération pour la détermination des sanctions figurant au I de l'article L. 464-2 du code de commerce, seules les difficultés actuelles, rencontrées individuellement par les entreprises, étant prises en compte dans le calcul de la sanction.

1087.En l'espèce, la Cour observe, tout d'abord, qu'il est justifié de tenir compte des ressources apparaissant dans les comptes consolidés du groupe (incluant, pour mémoire, le groupe Coop coopérative et le groupe Bell), les pratiques ayant été imputées aux sociétés mères, dont la société faîtière. Comme le relève à juste titre l'Autorité, il ressort des résultats d'exploitation du groupe une capacité à générer des ressources sans commune mesure avec le montant total des sanctions infligées et les comptes consolidés du groupe révèle une situation de liquidité saine (annexe 2 bis de l'Autorité). Il n'est pas davantage contesté que les exercices clos de 2019 à 2022 du groupe Bell ont permis une distribution de dividendes aux actionnaires en hausse, au regard des rapports de gestion Bell Food group, publiés sur son site.

1088.Il n'est, ensuite, fait état d'aucune difficulté au niveau du groupe empêchant ce dernier de s'acquitter de la sanction et il n'est d'ailleurs pas contesté que ce dernier en a déjà réglé le montant.

1089.En tout état de cause, il n'est pas démontré au regard des éléments qui précèdent, que le montant des sanctions, après réformations, infligées au titre du grief n° 2, de 623 600 euros (Maison de Savoie) 3 046 200 euros (Salaisons [SV] & Cie) 13 507 euros (Saloir de [Localité 92]) 736 272 euros (Val de [Localité 69]) est de nature à menacer la pérennité économique de chacune de ces filiales.

1090.Quant à la différence de traitement alléguée par référence à la situation de la filiale Jean Caby du groupe Campofrío, la Cour rappelle que cette société ayant été placée en liquidation judiciaire en juin 2018 (décision attaquée, § 87) aucune sanction n'a été prononcée contre elle. C'est donc en vain que le groupe Coop soutient l'existence d'une différence de traitement dans la prise en compte des difficultés financières d'une filiale, non autonome, appartenant à un groupe puissant, dès lors qu'aucune des filiales du groupe Coop ne démontre être dans la même situation que celle de la filiale Jean Caby.

1091.Les moyens sont rejetés.

c. Sur la capacité contributive de la société Salaisons Celtiques

1092.La société Salaisons Celtiques se prévaut de la crise du secteur (hausse des coûts matières et baisse constante et significative de la consommation) et fait valoir qu'éprouvée par ce contexte, elle n'est pas en mesure d'assumer des sanctions d'une telle importance. Pour l'exercice 2019 elle indique que son résultat d'exploitation affiche une perte de plusieurs millions. Elle ajoute que pour se maintenir sur le marché elle va devoir faire face à des défis couteux dans les trois prochaines années, représentant des investissements conséquents pour les unités de production de charcuterie du groupement évalué à [plusieurs] millions d'euros par an en moyenne à engager sur les années 2021 à 2025. Elle ajoute que même en cas d'imputation des pratiques à un groupe disposant de facultés contributives plus importantes, une sanction dont la charge « serait de nature à mettre en péril la continuité d'exploitation de la société [concernée] au détriment de l'animation concurrentielle du marché à laquelle elle contribue » doit conduire à sa réduction. Elle demande à la Cour d'annuler la sanction dans sa totalité ou à défaut de la réduire considérablement.

1093.L'Autorité rappelle que les infractions au droit de la concurrence sont mises en œuvre par des « entreprises », notion économique qui s'apprécie distinctement de la personnalité juridique et que, sauf dans l'hypothèse où une filiale auteure de pratiques anticoncurrentielles a agi de manière autonome, il convient, pour apprécier sa situation financière, de prendre également en compte la situation financière de sa société mère. Elle estime que c'est à tort que la situation est appréciée à l'échelle de la filiale sans tenir compte de la situation des sociétés mères et renvoie à l'annexe 4 de ses observations, compte tenu de la confidentialité des données en cause.

Sur ce, la Cour :

1094.Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 464-2, I, du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées « à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient ».

1095.Il doit être rappelé, en premier lieu, que l'imputation des pratiques aux sociétés mères d'un groupe et la condamnation solidaire subséquente de ces dernières impliquent qu'il y ait lieu de prendre en considération, au titre de la capacité contributive, les comptes consolidés et non pas les seuls comptes des filiales auteurs des pratiques.

1096.Il convient de renvoyer, en deuxième lieu, au principe énoncé en propos liminaires, concernant le fait que les difficultés du secteur économique concerné ne figurent pas parmi les critères à prendre en considération pour la détermination des sanctions figurant au I de l'article L. 464-2 du code de commerce, seules les difficultés actuelles, rencontrées individuellement par les entreprises, étant prises en compte dans le calcul de la sanction.

1097.En l'espèce, la Cour observe que la société Les Mousquetaires est l'entreprise consolidante du groupe, de sorte qu'il est justifié de tenir compte des ressources apparaissant dans les comptes consolidés de la société mère à laquelle les pratiques ont été imputées. Il n'est pas fait état de difficultés au niveau du groupe empêchant ce dernier de s'acquitter de la sanction pécuniaire et il ressort de l'examen des comptes consolidés 2020, analysés par l'Autorité en annexe 4 de ses observations, des ressources très significatives permettant de s'acquitter du montant total de sanction. Il n'est pas contesté que les marges observées ont permis de constituer des capitaux propres élevés, supérieurs au niveau de l'endettement net, et que si le poids de ce dernier n'est pas négligeable le paiement de la sanction n'est pas de nature à exposer le groupe à un risque affectant sa solvabilité. Compte tenu des données couvertes par le secret des affaires la Cour renvoie aux éléments chiffrés, non contestés, figurant aux paragraphes 18 à 20 de l'annexe 4 précitée et aux pièces jointes.

1098.Enfin, la Cour ne saurait accueillir l'argumentation selon laquelle la sanction serait de nature à mettre en péril la continuité d'exploitation de la filiale au détriment de l'animation concurrentielle du marché à laquelle elle contribue dès lors, d'une part, qu'une provision a d'ores et déjà été passée au titre de la sanction infligée laissant subsister des ressources très significatives, d'autre part, que le groupe Les Mousquetaires a été en capacité de verser au cours des deux derniers exercices clos des dividendes d'un montant équivalent à celui de la sanction redevable par le groupe, confirmant la marge de manœuvre financière du groupe dans sa politique de gestion de ses capitaux.

1099.Le moyen est rejeté.

d. Sur la capacité contributive du groupe Cooperl

1100.La décision attaquée a retenu (§ 1011) que l'analyse des éléments financiers et comptables communiqués n'attestait pas de difficultés financières particulières empêchant cette entreprise de s'acquitter de la sanction envisagée au paragraphe 941.

1101.La société Cooperl arc atlantique et sa filiale Brocéliande ALH se prévalent de l'existence de difficultés financières particulières affectant leurs capacités contributives les empêchant de s'acquitter en tout ou partie des sanctions pécuniaires imposées par l'Autorité. Elles produisent au soutien de leur demande des éléments d'ordre économiques et financiers (pièces Cooperl n° 11 et n°31).

1102.Elles soulignent que l'existence d'une provision enregistrée au plan comptable n'a pas de répercussion financière, dès lors que la somme provisionnée n'est pas mise de côté au niveau de la trésorerie, et ne remet pas en question l'absence de capacité contributive en cause.

1103.Elles relèvent également que l'Autorité a condamné la société Broceliande ALH à une pénalité supérieure à la valeur des capitaux propres de cette dernière et considèrent que la prise en compte de la nature solidaire de la sanction infligée est contestable compte tenu de l'absence de participation directe de la société mère et du climat de concurrence exacerbée qui existait lors du rachat de Brocéliande. Elles invoquent également le contexte économique de crise grave, le fait que toutes les activités amont et aval de Cooperl arc atlantique sont concernées par l'inflation et que la situation historique des coûts de production qui menace la capacité de Cooperl arc atlantique et de Brocéliande à maintenir leurs activités de production a conduit les commissaires aux comptes du groupe à s'en inquiéter (pièce Cooperl n° 34). Elles font également valoir qu'à cette grave crise du « mur de l'inflation » s'ajoute celle de la peste porcine africaine qui se propage très dangereusement en Europe (pièce Cooperl n° 12).

1104.Par une note en délibéré du 31 mars 2023, autorisée par la Cour, le groupe Cooperl a apporté un certain nombre d'éléments complémentaires, versant à la procédure des pièces financières confidentielles venant au soutien de la note en délibéré. Il y expose, en substance, sa situation sur le plan du recours à des financements externes, son niveau d'endettement, la dégradation de son niveau de trésorerie, ses besoins d'investissements, l'absence de trésorerie mobilisable auprès de ses filiales.

1105.L'Autorité pour des raisons de confidentialité renvoie à l'annexe 1 de ses observations, comprenant les comptes annuels consolidés du groupe au 31 décembre 2020 et ses comptes statutaires. Elle rappelle que la situation s'apprécie à l'échelle du groupe compte tenu des comptes consolidés en cause et que les éléments financiers soumis aux débats ont une antériorité de plus de quatre années (les états financiers les plus récents datant de l'exercice comptable clos au 31/12/2017) ne permettant pas d'étayer la situation actuelle du groupe Cooperl.

1106.Elle a également communiqué une note en délibéré en réponse aux éléments invoqués à l'audience. Au terme de celle-ci, elle conclut par le fait qu'elle s'en remet à la sagesse de la Cour s'agissant des capacités contributives du groupe tout en relevant que les éléments apportés ne répondent pas de manière étayée et/ou pertinentes aux interrogations soulevées lors de l'audience et que les éléments ne sont pas suffisants pour rendre compte de la situation du groupe à la date à laquelle l'arrêt sera rendu.

1107.Le ministre chargé de l'économie invite globalement la Cour à évaluer la véritable capacité contributive de chaque entreprise.

Sur ce, la Cour :

1108.Conformément au troisième alinéa de l'article L. 464-2, I, du code de commerce, les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées « à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient ».

1109.Il doit être rappelé, en premier lieu, que l'imputation des pratiques aux sociétés mères d'un groupe et la condamnation solidaire subséquente de ces dernières impliquent qu'il y ait lieu de prendre en considération, au titre de la capacité contributive, les comptes consolidés et non pas les seuls comptes des filiales auteurs des pratiques.

1110.Il convient également de renvoyer au principe énoncé en propos liminaires, concernant le fait que les difficultés du secteur économique concerné ne figurent pas parmi les critères à prendre en considération pour la détermination des sanctions figurant au I de l'article L. 464-2 du code de commerce, mais que les difficultés actuelles en résultant, rencontrées individuellement par les entreprises, sont prises en compte dans le calcul de la sanction.

1111.En l'espèce, il est constant que la société Cooperl Arc Atlantique, à laquelle les pratiques ont été imputées en qualité d'auteure et de société mère de la société Brocéliande - ALH, consolide les comptes du groupe Cooperl, notamment ceux de sa filiale Brocéliande - ALH (selon la méthode de l'intégration globale). Il est donc justifié de tenir compte des ressources de l'entreprise sanctionnée, au sens du droit de la concurrence, lesquels apparaissent au travers des comptes consolidés du groupe Cooperl.

1112.La Cour observe, à titre surabondant, comme l'Autorité, que cette approche correspond également à l'analyse du groupe qui, tenant compte du fait que la filiale Brocéliande dépendait économiquement du groupe, a comptabilisé la provision pour risque et charge afférente aux sanctions infligées dans les comptes sociaux de la coopérative (à hauteur de 90 % soit pour un montant de 31 977 000 euros, annexe 1 ter, p. 48). Il suit de là que le paiement de la sanction n'est manifestement pas à la charge de la filiale, rendant inopérante l'analyse se prévalant de la situation individuelle de cette dernière.

1113.Concernant les possibilités de financements externes en 2023, la Cour constate que les pièces n° 1 et n° 2 versées au soutien de la note en délibéré (désignées « pièces financières » ci-après, afin de les différencier des pièces de fond versées au soutien du recours ayant la même numérotation) correspondent, respectivement, au courrier d'un établissement bancaire en date du 12 mai 2021 adressé à Cooperl arc Atlantique, ayant pour objet une notification de résiliation de facilité de caisse sur compte courant à la suite du refus du groupe « de modifier le fonctionnement bilatéral bancaire auquel Cooperl a actuellement recours » et au courrier d'un autre établissement bancaire adressé à la « compagnie Madrange » en date du 18 mai 2021, ayant pour objet la « résiliation de concours à durée indéterminée ». Il s'agit d'éléments anciens. En revanche, les pièces financières n° 4 à n° 9 (circularisations émanant de différents établissements bancaires relatives à la situation de Cooperl arc atlantique) n° 11 (attestation du commissaire aux comptes relative à la situation de trésorerie disponible au 28 février 2023 du groupe Cooperl arc atlantique) auxquelles la Cour renvoie (étant couvertes par le secret des affaires) confirment un niveau d'endettement net déjà très élevé par rapport à l'indicateur financier EBITDA (« Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization ») et une trésorerie centralisée négative.

1114.Il est également justifié par la pièce financière Cooperl n° 14 du lancement d'une procédure d'alerte par le commissaire aux comptes, dans un contexte de crise - résultant notamment de la hausse des prix des matières premières, de l'énergie et des emballages qui affecte plus spécifiquement le groupe Cooperl qui est un groupement coopératif intégré. Ces éléments justifient la réalité de difficultés affectant ses capacités contributives.

1115.Néanmoins, la Cour constate que le groupe dispose toujours de capitaux propres élevés, que les besoins d'investissement du groupe à moyen terme en lien avec l'animation concurrentielle du marché restent incertains, de même que l'arrêt des dispositifs d'aides gouvernementales à la date de l'arrêt. La Cour déduit de tous ces éléments qu'ils ne démontrent pas une « absence de toute capacité contributive » mais justifient une adaptation de la sanction. Il convient donc de faire droit à la demande de réformation et de réduire les sanctions infligées dans des proportions adaptées aux éléments justificatifs communiqués, conformément aux développements qui suivent.

H. Sur les montants finaux résultant des réformations intervenues

1. Au titre du grief n° 1

1116.Concernant la société Salaisons Celtiques, solidairement sanctionnée avec la société civile les Mousquetaires (RCS n° 344 092 093) et Les Mousquetaires (RCS n° 789 169 323) sur la base d'une valeur des achats (inchangée) de 23 384 111 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 14 %, d'un coefficient de durée réduit à 1,58, d'une majoration au titre de l'appartenance à un groupe de 10 %, la sanction est fixée à un montant arrondi de 5 689 800 euros

1117.Concernant la société Charcuteries Cuisinées du Plélan solidairement sanctionnée avec la société Fleury Michon (RCS n° 572 058 329), sur la base d'une valeur des achats (non contestée) de 25 970 100 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 14 %, d'un coefficient de durée de 1,62 (non contesté), la sanction est fixée à un montant arrondi de 5 890 000 euros.

1118.Concernant la société Fleury Michon LS (RCS n° 340 545 441), solidairement sanctionnée avec la société Fleury Michon (RCS n° 572 058 329), sur la base d'une valeur des achats (non contesté) de 30 981 255 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 14 %, d'un coefficient de durée de 1,62 (non contesté) la sanction est fixée à un montant arrondi de 7 026 500 euros.

1119.Le total des sanctions infligées au groupe s'élève ainsi à 12 916 500 euros, étant précisé que 7 380 500 euros ont déjà été acquittés, en exécution de l'échéancier précité.

2. Au titre du grief n° 2

1120.Concernant la société Souchon d'Auvergne (RCS n° 389 758 731), solidairement avec la société Savencia Holding (RCS n° 679 808 147), sur la base d'une valeur des ventes de 7 545 189 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 15 %, d'un coefficient de durée ramené à 1,58, la sanction est fixée à un montant arrondi de 1 788 200 euros.

1121.Concernant le groupe CA Animation, correspondant aux sociétés Sapresti Traiteur et Les Monts de la Roche, solidairement avec leurs sociétés mères CA Traiteur et Salaisons (RCS n° 422 619 023) et CA Animation (Luxembourg, n° B11 3856) :

- Pour Sapresti Traiteur, sur la base d'une valeur des ventes de 937 374 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 15 %, d'un coefficient de durée de 0,83 % et d'un abattement porté à 35 % la sanction est fixée à un montant arrondi de 75 800 euros ;

- Pour Les Monts de la Roche, sur la base d'une valeur des ventes de 1 256 455 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 15 %, d'un coefficient de durée de 0,83 % et d'un abattement porté à 35 % la sanction est fixée à un montant arrondi de 101 600 euros.

1122.Concernant le groupe Coop, correspondant à Bell France, Maison de Savoie, Salaison [SV] & Cie, Saloir de [Localité 92] et Val de [Localité 69], solidairement avec leurs sociétés mères Bell France Holding, Bell Food Group AG et Group Coop Société Coopérative :

- Pour Bell France, sur la base d'une valeur des ventes de 7 256 543 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 15 %, de la durée de participation, d'une majoration pour appartenance à un groupe puissant de 10 %, puis de la réduction résultant de la procédure de clémence accordée (§ 1008 et 1009 de la décision attaquée : réduction de 50 % sur la sanction pécuniaire encourue pour la première période courant du 8 avril 2010 au 28 septembre 2012 et exonération totale d'amende sur la sanction encourue pour la deuxième période courant du 29 septembre 2012 au 30 avril 2013) la sanction est fixée à un montant arrondi de 1 017 700 euros ;

- Pour Maison de Savoie, sur la base d'une valeur des ventes de 4 446 346 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 15 %, de la durée de participation d'une majoration pour appartenance à un groupe puissant de 10 %, puis la réduction résultant de la procédure de clémence accordée (§ 1008 et 1009 de la décision attaquée précités) la sanction est fixée à un montant arrondi de 623 600 euros ;

- Pour Salaison [SV] & Cie, sur la base d'une valeur des ventes de 21 720 016 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 15 %, de la durée de participation, d'une majoration pour appartenance à un groupe puissant de 10 %, puis la réduction résultant de la procédure de clémence accordée (§ 1008 et 1009 de la décision attaquée précités) la sanction est fixée à un montant arrondi de 3 046 200 euros ;

- Pour Saloir de [Localité 92], sur la base d'une valeur des ventes de 96 305 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 15 %, de la durée de participation, d'une majoration pour appartenance à un groupe puissant de 10 %, puis la réduction résultant de la procédure de clémence accordée (§ 1008 et 1009 de la décision attaquée précités) la sanction est fixée à un montant arrondi de 13 500 euros ;

- Pour Val de [Localité 69], sur la base d'une valeur des ventes de 5 249 712 euros, d'un coefficient appliqué à cette valeur ramené à 15 %, de la durée de participation, d'une majoration pour appartenance à un groupe puissant de 10 %, puis la réduction résultant de la procédure de clémence accordée (§ 1008 et 1009 de la décision attaquée précités) la sanction est fixée à un montant arrondi de 736 200 euros.

3. Au titre du grief n° 3

1123.Concernant le groupe Les Mousquetaires, aucune sanction n'est infligée compte tenu des mises hors de cause prononcées.

1124.Concernant le groupe Cooperl, il convient de fixer les sanctions comme suit :

- à la société Brocéliande - ALH (RCS n° 412 082 224), solidairement avec la société Cooperl Arc Atlantique (RCS n° 383 986 874), une sanction 10 000 000 euros ;

- à la société Cooperl Arc Atlantique (RCS n° 383 986 874) une sanction de 3 000 000 euros.

VII. SUR LE BÉNÉFICE DE LA CLÉMENCE

1125.La décision attaquée a retenu :

- au titre du grief n° 1, que la société [Localité 20] a enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE (article 1) mais que le groupe Campofrío ayant respecté l'ensemble des conditions figurant dans l'avis de clémence n° 13-AC-02, elle a accordé une exonération totale de sanction (article 2) ;

- au titre des griefs n° 2 et n° 3, que les sociétés [Localité 20] et Salaisons Moroni ont enfreint les mêmes dispositions (articles 3 et 5).

- s'agissant du grief n° 2, que le groupe Campofrío n'a pas respecté l'ensemble des conditions de son avis de clémence n° 13-AC-01 et a infligé des sanctions à hauteur de 892 000 euros pour [Localité 20] et 108 000 euros pour Salaisons Moroni (article 4).

- s'agissant du grief n° 3, en revanche, une exonération totale de sanction (article 6).

A. Sur la violation des principes de loyauté procédurale et l'atteinte portée aux droits de la défense du groupe Campofrío

1126.Le groupe Campofrío fait valoir, en premier lieu, qu'en l'informant du prétendu manquement à son obligation de coopération (pour le grief n° 2) plus de cinq ans après les faits reprochés, l'Autorité a violé les principes de loyauté procédurale et de bonne administration et affecté irrémédiablement les droits de la défense en violation de l'article 6 de la CSDH. Il reproche ainsi à l'Autorité de l'avoir informé du défaut de coopération allégué de manière tardive, le 29 juillet 2019, jour de réception du rapport, alors qu'elle aurait dû l'informer « sans délai » ou au plus tard au moment de la notification des griefs du 12 février 2018, pour qu'il puisse faire valoir sa défense, d'autant que les faits reprochés étaient connus des services d'instruction depuis plusieurs années. Il invoque en ce sens les préconisations du programme modèle de clémence de 2006 et de 2012, point 21, élaboré par le Réseau Européen de la Concurrence (REC) dont l'Autorité est membre et estime qu'en procédant de la sorte, les services d'instruction de l'Autorité ne se sont manifestement pas conformés à ces préconisations. Il rappelle que la pratique décisionnelle européenne prend également soin d'informer immédiatement les demandeurs de clémence d'un possible manquement.

1127.Il fait valoir, en deuxième lieu, que l'absence de toute mention par le rapporteur initial ou par les rapporteurs, tout au long de la procédure et même dans la notification de griefs, ne serait-ce que du risque qu'un défaut de coopération puisse exister, a fait naître dans le chef du groupe Campofrío une espérance légitime que son immunité conditionnelle n'était jusque-là pas susceptible d'être remise en cause au titre de l'obligation de coopération.

1128.Il conteste, en troisième lieu, le fait que l'information du demandeur de clémence sur un possible manquement à son devoir de coopération puisse intervenir pour la première fois au stade du rapport par référence aux paragraphes 17 et 18 du Communiqué sanctions. Il relève que les déterminants de la sanction sont en effet des éléments connus de chaque partie à la différence d'un manquement à l'obligation de coopération.

1129.Il en déduit que la sanction prononcée à l'encontre du groupe Campofrío est irrégulière et doit être annulée.

1130.L'Autorité n'a pas formulé d'observation sur ce point, la décision attaquée y ayant consacré les paragraphes 979 et suivants.

1131.Le ministre chargé de l'économie souscrit totalement à la motivation attaquée et invite la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour :

1132.Aux termes du IV de l'article L. 464-2 du code de commerce, « [u]ne exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d'autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 s'il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'administration ne disposaient pas antérieurement. À la suite de la démarche de l'entreprise ou de l'organisme, l'Autorité de la concurrence, à la demande du rapporteur général ou du ministre chargé de l'économie, adopte à cette fin un avis de clémence, qui précise les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération envisagée, après que le commissaire du Gouvernement et l'entreprise ou l'organisme concerné ont présenté leurs observations ; cet avis est transmis à l'entreprise ou à l'organisme et au ministre, et n'est pas publié. Lors de la décision prise en application du I du présent article, l'Autorité peut, après avoir entendu le commissaire du Gouvernement et l'entreprise ou l'organisme concerné sans établissement préalable d'un rapport, et, si les conditions précisées dans l'avis de clémence ont été respectées, accorder une exonération de sanctions pécuniaires proportionnée à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction ». (Soulignement ajouté par la Cour)

1133.En l'espèce, dans son avis n° 13-AC-02 du 29 janvier 2013, l'Autorité a accordé à la société Campofrío Food Group SA, ses filiales et sociétés affiliées directement ou indirectement détenues, en particulier [Localité 20] SNC, GIE JCA Achat, [Localité 20] Libre-Service Prétranché SNC, SEC SNC, Salaisons Moroni SASU, GIE G-SEC et Jean Caby SASU : « le bénéfice conditionnel de la clémence avec une exonération totale des sanctions éventuellement encourues en France pour les pratiques dénoncées par elles (') ». L'exonération envisagée était subordonnée à certaines conditions. La première était, pour le demandeur de clémence, d'apporter à l'Autorité de la concurrence une coopération totale, permanente et rapide « tout au long de la procédure d'instruction ».

1134.Le bénéfice de l'exonération précitée étant conditionnelle et la réalisation de la première condition s'appréciant nécessairement au terme de la procédure d'instruction, en tenant compte de la coopération d'ensemble et de sa qualité sur toute la durée de l'instruction, le groupe Cooperl n'est pas fondé à invoquer l'existence d'une espérance légitime quant à son bénéfice reposant sur l'absence de toute information donnée sur cette question par les services d'instruction avant le dépôt du rapport. Il suit de là que la critique invoquant le caractère tardif de l'appréciation portée au stade du rapport sur la réalisation de la première condition tenant à l'existence d'une coopération « totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'instruction » n'est pas fondée.

1135.La Cour ajoute, comme l'avait fait la décision attaquée, que ni le IV de l'article L. 464-2 du code de commerce ni le Communiqué de procédure du 3 avril 2015 relatif au programme de clémence français (ci-après le « Communiqué clémence ») n'imposent d'obligation équivalente à celle figurant au point 21 du programme modèle du REC en matière de clémence, qui dispose que « [s]i, après avoir accordé l'immunité conditionnelle, l'autorité de concurrence découvre que l'entreprise en cause a exercé des pressions sur d'autres entreprises ou qu'elle n'a pas rempli toutes les conditions requises pour obtenir la clémence, elle l'en informe sans délai ». L'Autorité, tenue par le cadre légal précité et au respect de son Communiqué clémence, n'a donc commis aucune irrégularité procédurale en procédant comme elle l'a fait.

1136.Enfin, si la notification de griefs peut, le cas échéant, comporter une appréciation sur le respect par l'entreprise ou l'organisme bénéficiaire de l'avis de clémence des conditions prévues par celui-ci, il ne saurait être déduit du seul fait qu'il n'y a été procédé qu'au stade du rapport, soit à l'issue de l'instruction, que l'Autorité aurait manqué aux principes de loyauté procédurale et de bonne administration.

1137.La Cour ajoute que la notification des griefs comportait certes des indications selon lesquelles « le demandeur [de clémence] a fourni une description détaillée des pratiques mises en œuvre. L'ensemble des pièces et explications fournies par Campofrío dans le cadre de cette procédure de clémence fera l'objet d'une analyse complète dans les sections suivantes » (§ 212 /217) et « M. [KT] [AB] a ainsi porté à la connaissance des services d'instruction l'existence de réunions entre les salariés des six sociétés de charcuterie-salaisonnerie (') ». Néanmoins, elle signalait également que « s'agissant des réunions physiques, le second demandeur a indiqué qu'à sa connaissance, le demandeur de clémence a dénoncé uniquement trois réunions - Et non quatre ' qui se seraient déroulées au cours de l'année 2011, sans les identifier précisément » et a précisé « les thèmes évoqués au cours de ces réunions » (cote 17 - 13/0069AC) (§ 223). Les termes de la notification de griefs ne traduisent donc pas davantage une déloyauté procédurale, mais se bornent à faire état des éléments qui n'ont jamais été remis en cause et qui ont été précisément pris en compte pour accorder le bénéfice d'une exonération partielle.

1138.De la même manière, les termes de la demande d'informations adressée par les services d'instruction le 14 avril 2014 s'analysent comme le rappel du cadre procédural de la demande (« Maîtres, dans le cadre de la coopération véritable, totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'instruction consécutive à la demande de clémence de votre cliente (') je vous remercie de bien vouloir' ») sans porter, à ce stade, d'appréciation sur la qualité de la coopération apportée (pièce Campofrío n° 9).

1139.En tout état de cause, le groupe Cooperl qui a été mis en mesure de contester les termes du rapport, d'exposer ses arguments en séance et de faire valoir tous ses moyens et arguments, y compris devant la Cour, ne démontre pas en quoi l'appréciation globale portée sur la première condition, qui n'est possible qu'à l'issue de l'instruction, a affecté irrémédiablement les droits de sa défense. La demande d'annulation est rejetée.

B. Sur la caractérisation du manquement à l'obligation de coopération

1140.Le groupe Campofrío soutient que l'Autorité a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les faits qui lui sont reprochés constituent un manquement à l'obligation de coopération totale, permanente et rapide prévue dans l'avis de clémence n° 13-AC-01.

1141.Il estime, en premier lieu, que l'Autorité n'a pas pris en compte certains éléments factuels du dossier. Il relève notamment qu'il l'avait informée, lors de la demande de clémence du 2 octobre 2012, que les échanges bilatéraux et réunions physiques entre les concurrents avaient cours et se poursuivraient jusqu'aux opérations de visite et de saisie. Il invoque en ce sens le procès-verbal de réception de la demande de clémence (pièce Campofrío n° 2) et l'avis de clémence n° 13-AC-01 du 29 janvier 2013 (pièce Campofrío n° 5).

1142.Il fait également valoir que l'Autorité a ignoré le fait que les éléments saisis en mai 2013 sont les premiers éléments de preuve établissant la poursuite des pratiques litigieuses tandis que les éléments de preuve apportés par le groupe Coop, deuxième demandeur de clémence - à savoir, la liste de diverses réunions tenues entre concurrents, la déclaration de M. [GB] indiquant le lieu, l'organisateur de la réunion du 30 avril 2013 ainsi que l'un des thèmes, son agenda électronique et des captures d'écran ' sont insuffisants pour établir l'existence de cette réunion. À l'inverse, il relève que la déclaration de M. [AB] qui indique la date, le lieu, les sujets abordés, les modalités d'organisation et la liste des participants et fournit une facture de location, au nom de « Cie Groupe, [Localité 20] », d'une salle dans l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58], du 30 avril 2013 ont permis d'apporter les preuves nécessaires.

1143.Il relève qu'il a procédé à la recherche de notes supplémentaires portant sur les contacts téléphoniques entre M. [AB] et les concurrents et considère que le fait de ne pas en avoir trouvé ne peut caractériser un défaut de coopération. Il ajoute qu'il a proposé au rapporteur initial de lui fournir des relevés téléphoniques portant sur la période couvrant le début de la clémence jusqu'aux opérations de visite et de saisie et que ce dernier a décliné cette proposition.

1144.Il fait également valoir que l'Autorité lui a enjoint de continuer ces pratiques jusqu'au jour des opérations de visite et de saisie pour ne pas compromettre leur efficacité.

1145.Il soutient, en deuxième lieu, que l'Autorité a ignoré des arguments qui démontrent le caractère infondé du manquement à l'obligation de coopération qui lui est reproché au titre du grief n° 2.

1146.Il fait valoir, d'abord que le manquement reproché est en contradiction avec l'impératif de confidentialité de la demande de clémence, ensuite, qu'il a contribué de manière « très » active et volontaire, enfin, qu'il a coopéré de manière permanente et rapide.

1147.Sur le premier point, il précise n'avoir mis M. [AB] au courant de la procédure de clémence qu'à l'issue des opérations de visite et de saisie du 15 mai 2013 pour ne pas courir le risque que celui-ci informe les autres concurrents de l'existence de la procédure de clémence. Il estime que le fait qu'un demandeur de clémence soit dans l'impossibilité momentanée d'être réactif ne doit pas être qualifié de manquement à l'obligation de coopération.

1148.Sur le deuxième point, il considère que le fait qu'une information soit communiquée à l'issue d'une demande d'informations de l'Autorité, et non spontanément, ne devrait pas être interprété comme un manquement au devoir d'information et de coopération sans tenir compte des raisons sous-tendant, de la qualité de la réponse ou de la valeur probante des éléments fournis. Il soutient que l'initiative consistant à communiquer des éléments additionnels à ceux demandés, en réponse à une demande d'informations de l'Autorité, correspond à une déclaration à caractère volontaire et spontané. Il liste les éléments additionnels communiqués en réponse à la demande d'information du rapporteur initial du 14 avril 2014 et considère que le groupe Coop n'était pas en mesure de corroborer ses déclarations par des éléments de preuve précis et contemporains de ladite réunion, contrairement à ce que M. [AB] a fait.

1149.Sur le troisième point, il reproche à l'Autorité d'avoir examiné isolément le prétendu manquement à son obligation de coopération totale, permanente et rapide, sans tenir compte du fait qu'au même moment, dans la même procédure, il coopérait activement avec les services d'instruction (pièce Campofrío n° 12).

1150.L'Autorité estime qu'il a été répondu à l'ensemble de ces arguments aux paragraphes 976 et suivants de la décision attaquée. Elle ajoute que la circonstance que l'Autorité était ou non au courant de la poursuite des pratiques est indifférente à l'exécution de l'obligation de coopération, de même que les diligences invoquées ne tempèrent en rien l'absence de toute transmission par le groupe Campofrío d'information précise sur la réunion et les échanges en cause. Elle souligne que le fait que les services d'instruction aient utilisé les éléments qu'il a fini par leur communiquer, à leur demande, et que ces éléments auraient une valeur probante supérieure à celle des éléments communiqués par le groupe Coop est indifférent au fait que Campofrío n'a pas respecté l'obligation de coopération.

Sur ce, la Cour :

1151.L'avis de clémence n° 13-AC-02 du 29 janvier 2013 mettait à la charge du groupe Campofrío les conditions suivantes :

« 1. Le Demandeur devra apporter à l'Autorité de la concurrence une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'instruction, soit :

- fournir sans délai à l'Autorité toutes les informations et tous les éléments de preuves qui viendraient en sa possession ou dont elle peut disposer sur l'entente présumée ;

- se tenir à sa disposition pour répondre rapidement à toute demande visant à contribuer à l'établissement des faits en cause ;

- Mettre à la disposition de l'Autorité, pour les interroger, ses représentants légaux et ses salariés actuels, ainsi que, dans la mesure du possible, ses anciens représentants légaux et salariés.

2. Le Demandeur ne devra pas avoir pris de mesures pour contraindre d'autres entreprises à participer aux infractions.

3. Le Demandeur ne devra pas avoir détruit ou falsifié de preuves de l'entente présumée, ni avoir divulgué son intention de présenter une demande de clémence, ni l'existence ou la teneur de celle-ci, sauf à d'autres autorités de concurrence. Il ne devra pas non plus avoir fait état de la saisine enregistrée sous le numéro 12/0080F, y compris à ses filiales, susceptibles d'être impliquées dans les pratiques décrites dans cette saisine. A la requête du Demandeur et compte tenu de sa qualité d'actionnaire à 49 % de la société Jean Caby SASU, le Demandeur aura le droit, après l'opération de visite et saisie des services d'instruction de l'Autorité, de communiquer sur sa demande de clémence avec la société Foxlease Food dont M. [KS] est le représentant, laquelle contrôle 51 % de Jean Caby SASU, sans faire état de la saisine 12/0080F précitée de l'Autorité du 21 septembre 2012 tant qu'une éventuelle notification de griefs ne lui aura pas été adressée.

4. Le Demandeur devra mettre fin à sa participation aux activités illégales présumées, sans délai, et au plus tard à compter de la réalisation des opérations de visites et saisies diligentées par l'Autorité de la concurrence »

1152.Le respect des conditions énoncées aux points 2, 3 et 4 précités n'est pas contesté.

1153.Concernant le respect de la première condition, la décision attaquée a retenu que ce n'est que le 10 juin 2014, faisant suite à une demande d'informations des services d'instruction du 14 avril 2014, que le groupe Campofrío a confirmé l'existence de la réunion qui s'est tenue le 30 avril 2013, ainsi que la poursuite de contacts par téléphone sur des hausses de tarifs et sur certains appels d'offres, et qu'il a fourni des explications et des éléments complémentaires sur ces différents points (§ 974 de la décision attaquée).

1154.Il est vain, en premier lieu, d'invoquer la circonstance que les opérations de visite et saisie du 15 mai 2013 ont apporté les premiers éléments de preuve se rapportant à la réunion du 30 avril 2013, correspondant aux notes manuscrites émanant de M. [AB] saisies dans les locaux du groupe Campofrío et à celles émanant de M. [K] saisies au sein du groupe [XI], dès lors que leur découverte ne ressort pas d'une communication spontanée du premier demandeur de clémence.

1155.Dans la mesure où la saisie de ces documents résulte de la mise en œuvre des pouvoirs d'enquête de l'Autorité, une communication de nouveaux éléments s'y rapportant réalisée à sa demande en juin 2014 ne saurait caractériser le respect de l'obligation de « fournir sans délai à l'Autorité toutes les informations et tous les éléments de preuves qui viendraient en sa possession ou dont [le demandeur de clémence] peut disposer sur l'entente présumée ». Le groupe Campofrío n'est donc pas fondé à invoquer « l'antériorité des notes trouvées dans le bureau de M. [AB] lors des opérations de visite et saisie » par rapport aux éléments communiqués par le groupe Coop.

1156.Il est tout aussi vain, en deuxième lieu, de soutenir que le manquement reproché au groupe Campofrío serait en contradiction avec l'impératif de confidentialité de la demande de clémence, dans la mesure où rien ne s'opposait à ce que son employé, M. [AB], soit seul informé de la nécessité de ne pas modifier son comportement et de conserver la même discrétion que celle dont il avait fait preuve lors de ses échanges avec la concurrence. Le groupe Campofrío n'explique pas, au demeurant, en quoi il aurait été dans l'incapacité de fournir spontanément et dans les meilleurs délais les éléments qui ont été découverts lors des opérations de saisie alors qu'il avait été en mesure de mettre le Carnet de M. [AB] à disposition de l'Autorité. À cet égard la Cour fait observer que si « les personnes informées de la demande de clémence se comptaient, au sein du groupe Campofrío, sur les doigts d'une main » celles qui étaient informées des pratiques n'étaient, selon ses propres déclarations, pas plus nombreuses. Il n'est pas sérieux de soutenir que M. [AB], qui occupait le poste de directeur commercial au sein d'[Localité 20], informé par sa direction de la procédure de clémence, aurait manqué à ses obligations professionnelles de confidentialité en dévoilant l'existence de la procédure en cours à des tiers au préjudice des intérêts de l'entreprise qui l'emploie.

1157.Il est constant, en troisième lieu, que le procès-verbal de réception de la demande de clémence du groupe Campofrío mentionne qu'« afin de préserver la confidentialité et l'efficacité des mesures d'enquête futures, les demanderesses mettront en œuvre à ce stade tous les efforts raisonnables pour qu'il ne soit pas mis fin à leur participation aux pratiques et ce jusqu'à ce que l'Autorité leur communique une instruction contraire » (pièce Campofrío n° 2, page 2). Contrairement à ce que soutient le groupe Campofrío, l'Autorité ne lui a pas reproché d'avoir repris sa participation à l'infraction après l'avis de clémence, mais, après avoir constaté ce fait, de ne pas l'avoir « spontanément » informée ni de l'existence de la réunion qui avait été organisée par M. [AB] après cette date ni des échanges bilatéraux intervenus entre octobre 2012 et avril 2013 (décision attaquée, § 972). Elle s'est ainsi fondée sur le constat, objectif, de la détention par le premier demandeur de clémence d'éléments relatifs aux pratiques en cause, qu'il n'a pas communiqué « sans délai » à l'Autorité, et qui ont été portés à sa connaissance par d'autres voies, notamment les pièces et révélations du second demandeur de clémence qui ont permis d'interpréter un certain nombre d'éléments appréhendés lors des opérations de saisie.

1158.En quatrième lieu, il est inexact de prétendre que l'Autorité n'a pris en compte ni le fait que des explications et éléments complémentaires ont été fournis dans sa réponse du 10 juin 2014, ni la qualité de sa coopération, puisque la décision attaquée s'y réfère expressément aux paragraphes 974 et 989 (« quelle que soit, par ailleurs, la qualité, réelle, de sa coopération et des très nombreux éléments probants fournis par ses soins tout au long de la procédure, a partiellement failli à ses obligations (') »). Il est par ailleurs vain de s'en prévaloir à ce stade, dès lors que cette circonstance reste sans incidence sur la chronologie précitée et la caractérisation du manquement en cause. Le fait que M. [AB] ait transmis en juin 2014 des indications allant au-delà de l'objet des questions posées ou des documents demandés n'ôte rien au fait que le groupe Campofrío n'a pas communiqué « sans délai » les éléments afférents à une réunion qu'il avait lui-même organisée, comme le confirme la facture émise par l'hôtel Ibis [Localité 69] Est [Localité 58] en date du 30 avril 2013, établie au nom de « Cie Groupe [Localité 20] » pour la prestation de « Location de salle ».

1159.C'est donc à juste titre que la décision attaquée a retenu que le groupe Campofrío avait failli à ses obligations et ne pouvait bénéficier d'une exonération totale au titre du grief n° 2. Les moyens sont rejetés.

C. Sur la motivation du taux de réduction appliqué au groupe Campofrío

1160.Le groupe Campofrío reproche, en premier lieu, à l'Autorité d'avoir procédé à une analyse erronée de la portée de l'obligation de coopération, en ce qu'elle a fait abstraction de l'absence de caractère intentionnel du comportement litigieux, et d'avoir ainsi commis une erreur manifeste d'appréciation. Il invoque en ce sens la pratique décisionnelle européenne qui considère que c'est seulement en présence d'une réticence intentionnelle (« unwillingness ») à coopérer pleinement - réticence dont il lui incombe d'apporter la preuve ' que l'Autorité de concurrence pourra qualifier un manquement aux obligations de la clémence. Il soutient que l'approche catégorique et quasi mécanique que suggère l'Autorité dans la décision attaquée, consistant à sanctionner tout défaut (qu'il s'agisse d'une omission, d'une négligence, d'un retard), quels qu'en soient le contexte, les raisons ou l'impact procédural, comme constituant une violation du devoir de coopération, ne saurait devenir le standard d'analyse de l'Autorité. Il demande dès lors à la Cour de reconnaître que son comportement tout au long de la procédure a témoigné d'un véritable esprit de coopération avec l'Autorité, et ainsi de lui faire bénéficier de son immunité de sanction sur ce fondement.

1161.En deuxième lieu, il soutient que l'Autorité n'a pas motivé la décision attaquée, faute d'avoir expliqué la méthodologie suivie pour déterminer le montant de la sanction infligée du fait du prétendu manquement à son obligation de coopération. Il relève que ni le montant ni le taux de réduction ne sont motivés, alors même que l'Autorité, lorsqu'elle détermine une amende, en ce compris tout éventuelle exonération de sanction, doit la motiver pour que l'entreprise soit en mesure de comprendre comment l'Autorité a abouti à ce résultat et pour permettre un contrôle judiciaire. Il considère qu'une telle motivation, qui participe du droit au recours effectif, fait défaut. Il soutient qu'il est rigoureusement impossible, à la lecture de la décision attaquée, de déterminer les éléments pris en compte par l'Autorité afin d'établir le taux de réduction choisi, à savoir 97,325 %. Il demande à la Cour d'annuler la décision attaquée en ce que sa sanction n'est pas motivée.

1162.À titre subsidiaire, il soutient, dans l'hypothèse où la Cour ne ferait pas droit à sa demande principale, que les sanctions prononcées à son encontre sont manifestement excessives au regard du manquement reproché. Il constate, au final, qu'à l'issue de cette longue procédure, les seuls éléments qui ont été retenus pour caractériser un défaut partiel de coopération se réduisent à la non-transmission spontanée d'informations relatives à des échanges bilatéraux intervenus entre concurrents en 2012 et 2013 et à une réunion du 30 avril 2013, circonstance qu'il considère comme n'ayant strictement aucune portée. Par conséquent, il demande à la Cour de réformer la décision attaquée et de réduire la sanction prononcée à un montant symbolique correspondant au manquement virtuel reproché au groupe Campofrío.

1163.L'Autorité rappelle qu'il a été répondu à tous les arguments de fait, de procédure et de fond par lesquels le groupe Campofrío a soutenu que le bénéfice de l'exemption ne pouvait pas lui être retiré, aux paragraphes 976 et suivants de la décision attaquée. Elle relève que la coopération active et volontaire relevée par le groupe Campofrío a parfaitement été prise en compte par l'Autorité dans la décision attaquée et qu'il en a été tenu compte dans le taux d'exonération finalement retenu. Elle souligne que l'attractivité du programme de clémence n'implique pas de ne pas exiger un strict respect par les demandeurs de clémence de leurs obligations pour bénéficier d'une exonération totale.

1164.Le ministre chargé de l'économie souligne que la sanction globale infligée aux sociétés du groupe Campofrío au titre du grief n° 2 s'élève à 1 000 000 d'euros, soit 2,94 % du montant de base déterminé dans la décision et qu'une telle réduction est proportionnée.

Sur ce, la Cour :

1165.À titre liminaire, la Cour rappelle que la mise en œuvre de la procédure de clémence relève du champ de l'autonomie procédurale reconnue à l'Autorité, de sorte que, s'il lui est loisible de tenir compte de la pratique décisionnelle européenne dans la définition de sa propre pratique, elle n'y est pas contrainte.

1166.Il convient ensuite de relever qu'en application du IV de l'article L. 464-2 du code de commerce, l'Autorité peut accorder une exonération de sanctions pécuniaires proportionnée à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction « si les conditions précisées dans l'avis de clémence ont été respectées ».

1167.À cet égard, le Communiqué clémence précise, au point 23, que les conditions de l'avis de clémence sont cumulatives et « doivent être remplies dans tous les cas pour ouvrir droit à une exonération totale ».

1168.Comme la Cour l'a déjà indiqué, la première condition renvoie, en l'espèce, à l'obligation d'« apporter à l'Autorité de la concurrence une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'instruction, soit : - fournir sans délai à l'Autorité toutes les informations et tous les éléments de preuves qui viendraient en sa possession ou dont elle peut disposer sur l'entente présumée (') ». Par suite, les circonstances et le contexte d'un tel manquement sont sans influence sur sa caractérisation. Il importe donc peu de savoir, à ce stade, si un éventuel manquement à cette obligation serait intentionnel ou dû à une négligence de la part de l'entreprise. Reposant sur une approche objective, la caractérisation du manquement ne porte pas atteinte à l'efficacité et à la prévisibilité qui doit entourer les conditions de mise en œuvre de la procédure de clémence par les autorités de concurrence.

1169.Une telle approche, au stade de la caractérisation, n'exclut pas pour autant de tenir compte de l'ensemble de ces éléments pour apprécier, au stade des ajustements finaux, l'incidence du manquement sur le taux d'exonération pouvant lui être accordé, lorsque le comportement global de l'entreprise le justifie.

1170.En l'espèce, et contrairement à ce que soutient le groupe Campofrío, il ressort de la décision attaquée que l'Autorité en a tenu compte pour évaluer les sanctions infligées comme elle l'a fait. Il se déduit en effet du rapprochement des montants intermédiaires de sanction figurant dans le tableau 68 de la décision attaquée, et des montants retenus dans le tableau 71 qu'une exonération de 97,32 % a été accordée au groupe Campofrío au titre du grief n° 2 sur la base des motifs figurant aux paragraphes 966 à 989 qui explicitent la nature du manquement qui a fait obstacle au bénéfice de l'exonération totale envisagée, tout en exposant les éléments individuels dont il a été justement tenu compte pour maintenir le bénéfice d'une exonération partielle qui demeure importante (« qualité, réelle, de sa coopération » et « nombreux éléments probants fournis par ses soins tout au long de la procédure », qui étaient plus amplement évoqués dans les développements consacrés aux éléments de preuve étayant l'existence des pratiques en cause). Cette motivation induit une analyse qualitative et circonstanciée du comportement du demandeur de clémence tout au long de la procédure, que ce dernier a d'ailleurs longuement discuté dans ses écritures, ce qui confirme qu'il a été en mesure d'exercer un recours effectif.

1171.L'analyse des éléments de preuve et de l'intensité de la coopération apportés par le premier demandeur de clémence tout au long de la procédure ne révèle ainsi aucune erreur manifeste d'appréciation, ni aucune disproportion justifiant de réformer la décision attaquée. À cet égard, la Cour relève que la circonstance que le manquement n'a pas empêché, retardé ou rendu plus difficile l'établissement et la caractérisation des faits et des responsabilités en cause, qui ne procède pas de la célérité du premier demandeur de clémence mais des diligences des services d'instruction et des éléments apportés par le deuxième demandeur de clémence, n'est pas de nature à minorer l'importance du manquement qui était de nature à affecter la caractérisation des pratiques dans toute leur ampleur.

1172.Les moyens sont rejetés.

VIII. SUR LES DEMANDES RELATIVES AUX MESURES DE PUBLICATION/INJONCTION

1173.Les groupes Les Mousquetaires, CA Animation, Cooperl et Savencia (Souchon d'Auvergne) demandent à la Cour de condamner l'Autorité à leur rembourser les frais de publication de la décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 exposés.

1174.Herta demande à la Cour d'annuler la décision en ce qu'elle a mis ces frais à sa charge.

Sur ce, la Cour :

1175.La Cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 464-2, I, du code de commerce « [l]'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou leur imposer toute mesure corrective de nature structurelle ou comportementale proportionnée à l'infraction commise et nécessaire pour faire cesser effectivement l'infraction ».

1176.Comme le relève très justement l'Autorité, la faculté d'enjoindre aux intéressés une publication ou diffusion qui lui est reconnue par ce texte participe à sa mission de dissuasion et de défense de l'ordre public économique, en permettant d'alerter les acteurs du marché, les consommateurs et les collectivités publiques sur le caractère anticoncurrentiel de certaines pratiques et les inviter à faire preuve de vigilance.

1177.En l'espèce, aucun moyen ni argument n'est présenté au soutien de la demande de remboursement qui figure simplement au dispositif des écritures.

1178.La publication d'un résumé de la décision attaquée participant à l'effectivité du droit de la concurrence, elle est, dans le contexte décrit, particulièrement nécessaire et proportionnée à l'objectif qu'elle poursuit. Le coût de telles publications n'excède pas, en outre, les ressources mobilisables par les entreprises en cause. Il n'y a donc pas lieu de faire droit aux demandes de remboursement et d'annulation, à l'exception des frais supportés par les filiales SCO et Salaisons du [Localité 63] dont la responsabilité n'a été retenue pour aucun des trois griefs.

IX. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

1179.Des demandes ont été présentées à la Cour tendant à la condamnation de l'Autorité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :

- 50 000 euros, pour chacune des sociétés Brocéliande - ALH, et Cooperl arc atlantique, outre les dépens ;

- 60 000 euros, pour chacune des sociétés CA animation, Les monts de la roche, CA Traiteur et salaisons devenu [LZ], Grand saloir Saint Nicolas, Sapresti Traiteur, outre les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise ;

- 10 000 euros pour la société civile des Mousquetaires et la société Les Mousquetaires ;

- 50 000 euros pour SCO, outre les dépens ;

- 50 000 euros pour les sociétés Salaisons Celtiques et Salaisons du [Localité 63], outre les dépens ;

- 15 000 euros pour CFPR, outre les dépens.

Sur ce, la Cour :

1180.Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des entreprises qui succombent en tout ou partie dans leurs recours.

1181.Il serait en revanche inéquitable de laisser à SCO et à Salaisons du [Localité 63], mises hors de cause au titre du seul grief qui les concerne, l'intégralité des frais qu'elles ont été contraintes d'exposer pour faire valoir leurs droits. En conséquence, l'Autorité sera condamnée à leur verser à chacune la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DÉCLARE caduc le recours principal formé par les sociétés Brocéliande - ALH et Cooperl ARC Atlantique contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 ;

Et statuant sur les autres recours formés à titre principal et incident ;

REJETTE les recours du groupe Campofrío et de la société CFPR contre la même décision ;

JUGE irrecevable les prétentions et moyens présentés au soutien des recours incidents par les sociétés Brocéliande - ALH et Cooperl ARC Atlantique tendant à :

« - annuler la procédure d'instruction, et par voie de conséquence la décision attaquée, au titre de l'atteinte portée aux droits de la défense en raison de la violation de l'article R.463-16 du code de commerce imposant au rapporteur de joindre le rapport d'expertise à son rapport ;

- Enjoindre à l'Autorité de produire l'ensemble des notes et factures remis par les experts en écriture consultés à la suite de la décision du rapporteur générales du 14 novembre 2018 ;

- rejeter la demande de clémence déposée par le groupe Campofrío qui ne respectaient pas les conditions de l'article L. 464-2 IV du code de commerce ;

- ordonner à l'Autorité de publier dans les journaux Le Monde, Les Echos et de la revue Porc Mag un texte indiquant qu'elles ont été mises hors de cause dans l'affaire en référence par la décision de la cour d'appel de Paris à venir ;

- condamner le groupe Campofrío, ses filiales et Monsieur [KT] [AB] ou toutes parties défaillantes à leur rembourser toutes les sommes indûment versées ainsi que les frais de publication, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ainsi qu'à leur payer la somme de 50 000 euros à chacune ; » ;

REJETTE la demande de sursis à statuer présentée par les sociétés du groupe Cooperl ;

DIT que l'accès à la pièce complémentaire n° 36 du groupe Cooperl, protégée au titre du secret des affaires, est restreint à la Cour, à l'Autorité de la concurrence, au ministre chargé de l'économie et au ministère public et la motivation et les modalités de publicité adaptées aux nécessités de cette protection ;

REJETTE les demandes d'annulation de la décision n° 20-D-09 précitée, présentées sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH), au titre des irrégularités procédurales et des atteintes aux droits de la défense alléguées ;

REJETTE les demandes d'expertise judiciaire présentées par les sociétés du groupe Cooperl et SCO.

RÉFORME la décision n° 20-D-09 précitée :

- En ce qu'elle a retenu à l'encontre de la société Salaisons Celtiques une participation à des échanges anticoncurrentiels en date des 20 mai 2011, 07 octobre 2011, 25 novembre 2011, 02 décembre 2011, 13 janvier 2012, 19 mars 2012, 13 avril 2012, 25 mai 2012, 12 octobre 2012, 19 octobre 2012, 15 novembre 2012, 30 novembre 2012 et 26 avril 2013 ; dit cette participation non établie et fixe, en conséquence, la participation de cette société aux pratiques visées par le grief n° 1 du 14 janvier 2011 au 5 avril 2013 ;

- En ce qu'elle a retenu à l'encontre des sociétés du groupe Savencia une participation aux réunions multilatérales des 25 octobre 2011 et 30 avril 2013 et à des échanges bilatéraux du 8 juillet 2010 (suivant notification des griefs, § 915) et 2 mai 2013 (notification de griefs, § 1211) ; dit cette participation non établie et fixe, en conséquence, la durée de participation des sociétés du groupe Savencia dans les pratiques visées par le grief n° 2, du 29 octobre 2010 au 7 janvier 2013 ;

- En ce qu'elle a retenu à l'encontre des sociétés du groupe Nestlé (Herta) une participation à deux échanges bilatéraux en date des 29 octobre 2010 et 25 mars 2011 ; dit cette participation non établie et fixe, en conséquence, la durée de participation des sociétés de ce groupe dans les pratiques visées par le grief n° 3 du 23 au 24 février 2011 ;

- En ce qu'elle a appliqué aux sociétés du groupe Coop une majoration de 20 % au titre de l'appartenance à un groupe et fixe, en conséquence, ce taux à 10 % ;

- En ce qu'elle a appliqué aux sociétés ayant saisi la Cour d'un recours sur ce point un coefficient de 16 % au montant servant de base au calcul de leur sanction pour les griefs n° 1 et 2 et fixe, en conséquence, à 14 % le coefficient applicable aux sociétés du groupe Fleury Michon et à celles du groupe Les Mousquetaires au titre du grief n° 1 et à 15 % celui applicable aux sociétés des groupes CA Animation, Savencia et Coop au titre du grief n° 2 ;

DIT que la Société civile des Mousquetaires et Les Mousquetaires n'ont pas renversé la présomption d'influence déterminante concernant le grief n° 1 ;

ANNULE les articles 5 et 6 de la décision n° 20-D-09, en ce qu'ils concernent les sociétés SCO, Salaisons Celtiques, Salaisons du [Localité 63], sur le fondement desquels leur ont été infligées des sanctions, solidairement avec la Société civile des Mousquetaires (RCS n° 344 092 093) et Les Mousquetaires (RCS n° 789 169 323), et en conséquence, met hors de cause les sociétés SCO, Salaisons Celtiques, Salaisons du [Localité 63], et leurs sociétés mères, au titre du grief n° 3 ;

ANNULE également, par voie de conséquence, l'injonction mise à la charge des sociétés SCO et Salaisons du [Localité 63] par l'article 7 et les frais mis à leur charge au titre de l'article 8 de la décision n° 20-D-09 ;

ANNULE les articles 2 et 4 de la décision n° 20-D-09, en ce qu'ils concernent respectivement les sociétés du groupe Fleury Michon, auxquelles le premier a infligé une sanction pécuniaire au titre du grief n° 1, et les sociétés du groupe Coop, auxquelles le second a infligé une sanction pécuniaire au titre du grief n° 2, sans avoir examiné les facultés contributives alléguées ;

Statuant à nouveau,

DIT que les sociétés des groupes Fleury Michon et Coop n'établissent pas la situation financière qu'elles allèguent ;

DIT que les difficultés financières particulières dont justifie le groupe Cooperl doivent être prises en compte dans le montant des sanctions infligées ;

REJETTE la demande de la société Salaisons Celtiques présentée au titre de facultés contributives obérées ;

RÉFORME, en conséquence de ce qui précède, à l'égard des entreprises ayant saisi la Cour d'un recours, les articles 2, 4 et 6 de cette décision, et statuant à nouveau,

DIT que sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 1 de cette décision (grief n° 1), les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Charcuteries Cuisinées du Plélan (RCS n° 444 525 240), solidairement avec la société Fleury Michon (RCS n° 572 058 329), une sanction de 5 890 000 euros ;

- à la société Fleury Michon LS (RCS n° 340 545 441), solidairement avec la société Fleury Michon (RCS n° 572 058 329), une sanction de 7 026 500 euros;

- à la société Salaisons Celtiques (RCS n° 862 500 279), solidairement avec la Société Civile des Mousquetaires (RCS n° 344 092 093) et Les Mousquetaires (RCS n° 789 169 323), une sanction de 5 689 800 euros.

DIT que sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 3 (grief n° 2) dans les limites de la saisine de la Cour et du périmètre de la réformation précitée, les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Bell France (RCS n° 761 200 013), solidairement avec les sociétés Bell France Holding (RCS n° 504 981 945), Bell Food Group AG (Suisse, CHE - 105 805 112) et Groupe Coop Société Coopérative (Suisse, CHE - 109 029 938), une sanction de 1 017 700 euros ;

- à la société Les Monts de la Roche (RCS n° 390 618 890), solidairement avec les sociétés CA Traiteur et Salaisons (RCS n° 422 619 023) et CA Animation (Luxembourg, n° B11 3856), une sanction de 101 600 euros ;

- à la société Maison de Savoie (RCS n° 481 205 359), solidairement avec la société les sociétés Bell France Holding (RCS n° 504 981 945), Bell Food Group AG (Suisse, CHE - 105 805 112) et Groupe Coop Société Coopérative (Suisse, CHE - 109 029 938), une sanction de 623 600 euros ;

- à la société Salaisons [SV] et Cie (RCS n° 396 580 102), solidairement avec la société les sociétés Bell France Holding (RCS n° 504 981 945), Bell Food Group AG (Suisse, CHE - 105 805 112) et Groupe Coop Société Coopérative (Suisse, CHE - 109 029 938), une sanction de 3 046 200 euros ;

- à la société Saloir de [Localité 92] (RCS n° 499 035 640), solidairement avec les sociétés Bell France Holding (RCS n° 504 981 945), Bell Food Group AG (Suisse, CHE - 105 805 112) et Groupe Coop Société Coopérative (Suisse, CHE - 109 029 938), une sanction de 13 500 euros ;

- à la société Sapresti Traiteur (RCS n° 316 431 691), solidairement avec les sociétés CA Traiteur et Salaisons (RCS n° 422 619 023) et CA Animation (Luxembourg, n° B11 3856), une sanction de 75 800 euros ;

- à la société Souchon d'Auvergne (RCS n° 389 758 731), solidairement avec la société Savencia Holding (RCS n° 679 808 147), une sanction de 1 788 200 euros ;

- à la société Val de [Localité 69] (RCS n° 400 799 474), solidairement avec les sociétés Bell France Holding (RCS n° 504 981 945), Bell Food Group AG (Suisse, CHE - 105 805 112) et Groupe Coop Société Coopérative (Suisse, CHE - 109 029 938), une sanction de 736 200 euros.

DIT que sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 5 (grief n° 3), dans les limites de la saisine de la Cour et du périmètre des réformations précitées, les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Brocéliande - ALH (RCS n° 412 082 224), solidairement avec la société Cooperl Arc Atlantique (RCS n° 383 986 874), une sanction de 10 000 000 euros ;

- à la société Cooperl Arc Atlantique (RCS n° 383 986 874) une sanction de 3 000 000 euros ;

- à la société Herta (RCS n° 311 043 194), solidairement avec les sociétés Nestlé SA (Suisse, CHE - 105 909 036) et Nestlé Entreprises (RCS n° 345 019 863), une sanction de 85 000 euros ;

RAPPELLE que les sommes qui auraient été payées excédant le montant fixé par le présent arrêt devront être remboursées aux entreprises concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt par le greffe et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;

DIT n'y avoir lieu à annulation de la décision n° 20-D-09 en ce qu'elle a enjoint aux sociétés des groupes Nestlé, CA Animation et Cooperl, ainsi qu'à la société Souchon d'Auvergne, à la société Salaisons Celtiques et ses sociétés mères, d'insérer le texte figurant au paragraphe 1015 de la décision dans l'édition papier et sur le site Internet de trois journaux en exécution de son article 7 ;

REJETTE les demandes de remboursement des frais d'expertise mis à la charge des sociétés en cause en application de l'article 8 de cette décision, à l'exception de celles des société SCO et Salaisons du [Localité 63] qui bénéficient de l'annulation de l'article 8 par le présent arrêt ;

DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission européenne en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;

CONDAMNE l'Autorité de la concurrence à payer aux sociétés S.C.O et Salaisons du [Localité 63] la somme de 10 000 euros à chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens exposés par ces dernières ;

REJETTE le surplus des demandes ;

LAISSE aux autres sociétés la charge de leurs propres dépens.