CA Papeete, ch. com., 12 octobre 2023, n° 22/00093
PAPEETE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
TDF (SAS)
Défendeur :
Inter Actions Polynésiennes (SARL), Office Notarial Clémencet & Pinna (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guengard
Conseiller :
M. Ripoll
Avocats :
Me Lamourette, Me Bouyssie
Exposé du litige
A R R E T,
Suivant requête du 3 septembre 2020, la SARL Inter Actions Polynésiennes, ci-après l'agence IAP représentée par sa gérante et associée unique, [T] [Z], a engagé une action devant le tribunal mixte de commerce de Papeete, à l'égard de la société anonyme à conseil d'administration 'TELE DIFFUSION DE FRANCE' (TDF), en demandant qu'elle soit condamnée au principal au paiement de la somme principale de 108'480'000 XPF ou subsidiairement de 97'632'000 XPF.
La demanderesse exposait que le 17 décembre 2014, la société TDF lui avait confié un mandat de vente d'une parcelle de terrain lui appartenant et située à [Localité 5] (Tahiti), et qu'elle lui avait présenté des acquéreurs dont un représentant de la Polynésie française, mais soutenait avoir été évincée de la vente pourtant passée avec ce territoire au prix initialement convenu de 960'000'000 XPF. Elle réclamait donc le paiement de la commission qui devait lui être réglée au titre des stipulations contractuelles.
En défense, la société TDF soulevait l'incompétence du tribunal de commerce en raison de la nature mixte du mandat, puis invoquait la nullité du mandat renouvelé le 6 juillet 2016 ou sa résiliation par l'agence immobilière elle-même, faisant valoir enfin, le manque de diligence du mandataire.
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Suivant jugement n° 51 rendu contradictoirement le 11 mars 2022 (RG 2020 000 901), le tribunal a condamné la société TDF à payer à l'agence IAP, la somme de 108'480'000 XPF avec intérêts légaux à compter du 18 mars 2020, ordonnant l'exécution provisoire de sa décision, en plus d'une indemnité de procédure de 350'000 XPF et des entiers dépens.
Pour parvenir à sa décision le tribunal :
- a rappelé que le juge de la mise en état avait déjà rejeté l'exception d'incompétence par ordonnance du 27 août 2021,
- a rejeté le moyen de nullité, en retenant que le mandat a bien été mentionné sur le registre des mandats qui a été côté et paraphé par le président du tribunal mixte de commerce de Papeete,
- a considéré que si le mandat avait bien été résilié par la société TDF, pour autant, à la date de résiliation, le mandat avait déjà produit ses effets puisque la vente était parfaite, jugeant ainsi que la commission résultant de l'accord contractuel était due car exigible à la date de signature de l'acte authentique de vente.
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Suivant requête déposée au greffe le 29 mars 2022, la SAS TDF a relevé appel du jugement en intimant la société IAP ainsi que l'office notarial.
Aux termes d'une ordonnance rendue le 15 juin 2022 à la requête de la société TDF, le premier président de la cour d'appel a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire qui lui était présentée, puis a ordonné la consignation de la somme de 930'754,40 € jusqu'à l'issue de la procédure d'appel du jugement du 11 mars 2022.
En ses dernières conclusions du 23 février 2023, la SAS TDF appelante, demande à la cour de recevoir son appel partiel et statuant à nouveau,
- de dire et juger nul et de nul effet le mandat du 6 juillet 2016 à défaut de comporter le numéro d'inscription au registre des mandats de l'agence IAP et ce par application combinée des dispositions de la délibération 90-40 AT du 15 février 1990 réglementant l'exercice de la profession d'agent immobilier et de son arrêté d'application pris en conseil des ministres le 15 février 1994,
- de dire et juger que le mandat a été résilié le 3 janvier 2018 par la mandante,
- de dire et juger la clause pénale contenue au mandat, nulle et de nul effet à défaut de limitation dans le temps et de stipulations en caractères suffisamment apparents,
- de débouter en conséquence l'agence IAP de ses prétentions,
subsidiairement,
- de dire et juger que l'agence IAP ne justifie pas des diligences qu'elle aurait accomplies dans le cas de l'exécution du mandat du 6 juillet 2016, et qu'elle ne justifie d'aucun préjudice,
- de dire et juger qu'il y a lieu de réduire la clause pénale, compte tenu de son caractère manifestement excessif à défaut de justification des diligences faites par la SARL IAP,
- la débouter en conséquence au titre du quantum de ses demandes présentées au titre de la cause pénale,
- la condamner à payer à l'appelante la somme de 500'000 XPF sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile, lui faire supporter les entiers dépens.
En ses dernières conclusions du 9 décembre 2022, la SARL IAP, entend voir la cour, au visa de l'article 1134 ancien du code civil, de l'offre d'achat du 24 janvier 2017 acceptée le 10 mars 2017 et de l'arrêté 130 CM du 10 février 2020, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, subsidiairement, condamner la société TDF à lui verser la somme de 97'632'000 XPF outre intérêts légaux à compter de la vente passée à l'étude notariale, et celle de 800'000 XPF en vertu de l'article 407 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, de la procédure, des prétentions des parties, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. Se conformant aux dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, la cour répondra aux moyens par les motifs ci-après.
L'office notarial n'a pas été assigné.
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'dire et juger' ou de 'constater' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.
Il résulte des pièces versées aux débats les éléments suivants :
- le 17 décembre 2014, la société TDF a consenti à l'agence IAP - titulaire d'une carte professionnelle n°2014-4 délivrée le 12 novembre 2014 - un mandat exclusif de vente d'une parcelle de terre cadastrée section E[Cadastre 2] à [Localité 5] d'une contenance de 72'595 m² moyennant un prix total minimum de 960 millions XPF commission du mandataire incluse,
- le 16 mars 2016, le président du tribunal mixte de commerce de Papeete a côté et paraphé le registre des mandats de l'agence contenant 50 feuillets numérotés de 1 à 50,
- le 6 juillet 2016, un nouveau mandat exclusif de vente du même terrain a été signé par la société TDF au bénéfice de l'agence IAP pour une durée de six mois tacitement renouvelable, les parties stipulant que la commission sur la vente était d'un montant de 108'480'000 XPF TTC inclus dans le prix de vente,
- le 21 septembre 2016, l'agence IAP a présenté à la société TDF un acquéreur en la personne de la Polynésie française,
- le 21 septembre 2016, un courrier du ministre du logement et de la rénovation urbaine a confirmé à l'agence IAP que l'achat avait recueilli l'avis favorable de la commission du domaine en date du 8 septembre 2016 et que la transaction serait passée aux conditions du mandat,
- le 24 janvier 2017, le président de la Polynésie française a officiellement accepté l'offre de vente du bien qui lui était soumise par l'agence IAP mandataire de la société TDF au prix de 960 millions XPF,
- le 10 mars 2017, la société TDF a validé l'acquéreur et les conditions de paiement qu'il proposait,
- le 20 mars 2017, le conseil des ministres de la Polynésie française a validé le principe de l'acquisition du bien de la société TDF au prix de 960 millions XPF,
- le 9 août 2017, le ministre 'du développement des ressources primaires, des affaires foncière, de la valorisation du domaine et des mines' a informé l'agence IAP de ce que dans sa séance du 22 mars 2017, le conseil des ministres avait pris acte du principe d'acquisition par la Polynésie française du bien de la société TDF à [Localité 5],
- le 17 novembre 2017, la société TDF a établi une procuration au profit de son directeur général délégué, M. [R] [V], pour procéder à la vente du terrain au profit de la Polynésie française, stipulant expressément que le paiement des frais de commission dus à la société IAP doit être effectué dès le règlement effectif de la première partie du prix payé comptant à la signature de l'acte authentique de vente,
- le 1er décembre 2017, une visite de la parcelle à vendre a été organisée en présence du président de la Polynésie française,
- Par courrier du 22 décembre 2017 directement adressé à la société TDF, le ministre des ressources primaires, expliquant que le conseil des ministres avait examiné le projet d'acquisition avec grand intérêt mais qu'il apparaissait que le terrain était illégalement occupé par de nombreuses familles, a écrit à la société TDF en lui demandant de lui faire retour sur la possibilité de reprendre les négociations sur le montant de la vente,
- Suivant lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 3 janvier 2018, la société TDF indiquant que le ministre du développement des ressources primaires lui avait indiqué renoncer à l'acquisition dans les conditions stipulées dans le projet de vente, a notifié à la SARL IAP qu'elle remettait fin au mandat exclusif de vente qui les liant,
- Par courrier de son avocat du 1er juin 2018, la SARL IAP a indiqué qu'elle était fondée à obtenir d'une part, la confirmation écrite de la reconduction de son mandat et d'autre part, l'assurance du règlement de la commission fixée contractuellement.
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Par arrêté n°130 CM du 10 février 2020, le président de la Polynésie française a autorisé la collectivité à procéder à l'acquisition de la parcelle section E [Cadastre 3] dépendant de la terre dénommée 'ancienne propriété [E]' d'une superficie de 72000 m2 et des bâtiments y édifiés à [Localité 5], appartenant à la commuend e [Localité 5].
Suivant acte authentique reçu en l'étude Clemencet et Pinna, notaires associés, le 18 mars 2020, la vente de la parcelle litigieuse a été passée entre la société TDF et la Polynésie française.
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N'ayant pas obtenu le règlement de sa commission, la SARL IAP a sollicité par requête et obtenu l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire de la somme de 108'480'000 XPF correspondant au montant de sa commission sur le prix de vente de la parcelle ayant appartenu à la société TDF, sur les sommes détenues par la SCP Clémencet-Pinna notaire.
Cette saisie a été validée par une ordonnance du 17 juin 2020 qui a été rétractée par ordonnance de référé du 14 décembre 2020 confirmée en appel par un arrêt du 28 janvier 2021 motivé par l'absence de preuve d'urgence ou de péril.
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L'appelante fait valoir au soutien de son appel les moyens suivants :
- le mandat est nul par manque de conformité aux formes prescrites par l'arrêté n°135 CM du 15 février 1994 portant application de la délibération n°90-40 du 15 février 1990 réglementant l'exercice de la profession d'agent immobilier,
- le mandat a été résilié par elle-même en sa qualité de mandante par courrier du 3 janvier 2018 alors que la vente n'était pas parfaite entre la Polynésie française et TDF, et qu'elle ne s'est réalisée que deux ans plus tard,
- la clause pénale est nulle car elle est sans limite de temps et insuffisamment apparente,
- la cour doit user de son pouvoir souverain de modérer la clause pénale car l'agent immobilier ne prouve pas avoir accompli de diligences en vue d'exécuter le mandat.
Sur la validité du mandat du 6 juillet 2016 :
La société TDF invoque la nullité du mandat qu'elle a accepté et signé.
Le moyen de nullité du mandat qu'elle soutient ne porte pas sur le contenu des stipulations contractuelles ni sur la forme qu'elle n'a jamais remis en cause sauf pour les besoins de la présente procédure.
Les dispositions réglementaires qui sont visées par le moyen de nullité, à savoir l'arrêté n°135 CM du 15 février 1994 portant application de la délibération n°90-40 du 15 février 1990 prévoient que les mandats sont mentionnés par ordre chronologique sur un registre tenu par l'agent immobilier titulaire de la carte professionnelle et que ce registre est coté et paraphé sans discontinuité par le président du tribunal de commerce, le numéro d'inscription étant reporté sur l'exemplaire qui reste en possession du mandant.
Le registre a été coté et paraphé par le président du tribunal de commerce. En outre, le n° d'inscription figure bien sur le mandat initial.
En tout état de cause, l'arrêté en question n'édicte pas de cause de nullité. Or, il n'y a pas de nullité sans texte. Et la jurisprudence concernant l'application d'une loi (dite Hoguet) qui n'est pas en vigueur en Polynésie française ne constitue pas un élément d'argumentation pertinent.
Sur les conséquences de la résiliation notifiée le 3 janvier 2018 par TDF :
L'article 1583 du code civil dispose que la vente est parfaite entre les parties dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.
Au regard de l'historique des relations entre les parties rappelé ci- dessus sur la base des multiples pièces produites par la société IAP, il apparait manifestement que le tribunal a fait une exacte appréciation des faits, en jugeant que la vente était parfaite entre la société TDF et la Polynésie française, bien avant que la société TDF envoie le courrier de résiliation du mandat à la société IAP car, en effet,
- la société TDF ne conteste pas que l'acquéreur, la Polynésie française, lui a été présenté par la société IAP au titre de l'exécution du mandat,
- l'offre d'achat émise par le président de la Polynésie française a reçu la validation du conseil des ministres le 22 mars 2017,
- s'il est vrai que l'arrêté du président l'autorisant à procéder à l'acquisition est postérieur au courrier de résiliation, il est venu officialiser et rendre exécutoire l'accord de vente,
- l'ensemble des échanges avec les représentants de la Polynésie française concernant la vente du bien ont été effectués avec l'agence IAP sauf - curieusement et sans que rien ne l'explique - le courrier de demande de renégociation du 22 décembre 2017.
Il apparait que le motif de la rupture des relations contractuelles exprimée dans la lettre du 3 janvier 2018 est totalement erroné puisqu'il ne résulte d'aucun courrier, la preuve de ce que la Polynésie française aurait à un quelconque moment du processus de la négociation, rétracté son offre d'achat. Du reste, l'accord de vente n'a été remis en cause par aucun obstacle de fait ou de droit : si, dans son courrier du 22 décembre 2017, le ministre demandait s'il était possible de reprendre les négociations sur le prix, rien n'indique que les parties se soient engagées dans de nouveaux pourparlers et au contraire, il apparait que la vente s'est faite aux conditions initialement stipulées.
Dès lors que la vente était parfaite dès l'accord des autorités décisionnaires de la Polynésie française, la résiliation notifiée le 3 janvier 2018 n'a eu aucune incidence sur le droit de l'agence IAP d'obtenir les honoraires contractuellement fixées avec la société TDF dans le contrat de mandat signé le 6 juillet 2014.
Le jugement doit donc être confirmé sur le rejet des moyens et prétentions de la société TDF.
Sur l'application de la clause pénale :
L'agence IAP a intenté une action pour réclamer l'exécution des obligations contractuelles résultant du mandat signé par la société TDF et non pour se prévaloir de la clause pénale. Sa demande est juridiquement fondée car son droit à honoraire était acquis antérieurement à la résiliation du mandat notifiée par la société TDF. La société TDF débitrice de l'obligation de payer les honoraires correspondant à la prestation fournie par le mandataire, doit exécuter son engagement de s'acquitter de l'intégralité de la commission convenue à l'égard de l'agence IAP et ce, conformément aux dispositions des articles 1134 et 1135 du code civil applicable en Polynésie française.
Dès lors, les moyens tenant à la validité de la clause pénale sont sans emport. Il est également inopérant que l'appelante prétende que l'agence IAP n'a subi aucun préjudice puisque sa demande concerne l'exécution des obligations conventionnelles de la partie adverse.
La société TDF doit donc être déboutée de l'ensemble de ses prétentions.
Sur les frais du procès :
L'appelante succombant en son recours, devra supporter les entiers dépens et verser une indemnité de procédure d'appel à l'intimée.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant non contradictoirement et en dernier ressort ;
Vu l'appel de la société Télé Diffusion de France,
Déboute l'appelante de l'ensemble de ses prétentions,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Condamne la société TDF au paiement des entiers dépends d'appel outre une indemnité de procédure d'appel de 300 000 XPF sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de Polynésie française.