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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 12 mars 2024, n° 22/02751

BORDEAUX

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Imagerie Médicale Euska-B (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Vice-président :

M. Gettler

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocats :

Me d'Amiens, Me Loupien-Suares, Me Chevallier

TGI Bayonne, du 5 avr. 2018, n° 14/00976

5 avril 2018

EXPOSE DU LITIGE:

Par acte sous seing privé en date du 11 mai 2004 a été constituée entre plusieurs médecins radiologues la SELARL Larroude, [R], [Y], [L] et [C] devenue par la suite ensuite SELARL Imagerie médicale Euska B (Imeb), ayant son siège social à [Localité 5], et pour objet l'exercice en commun, à titre exclusif, de la profession de médecin spécialisé en radio-diagnostic et radiothérapie.

Par acte sous seing privé en date du 2 avril 2009, le docteur [P] [Z], médecin radiologue, est devenu associé de cette société par acquisition de parts sociales du docteur [R].

A la suite du départ des docteurs [R] et [L], le capital social de la société d'un montant de 5850 euros s'est trouvé réparti comme suit :

- docteur [P] [Z]: 195 parts,-

docteur [I] [Y]: 195 parts,

- docteur [K] [C]: 195 parts.

Par délibération en date du 23 juillet 2012, l'assemblée générale extraordinaire des associés a exclu le docteur [Z] pour exercice, au sein des locaux de la société, d'une activité de soin par acupuncture auriculaire, et orientation d'une partie de la clientèle vers son cabinet extérieur établi en Espagne, constitutive d'une activité externe illicite.

La société ayant refusé le prix de cession des parts proposé par le docteur [Z], ce dernier a obtenu sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, par ordonnance rendue en la forme des référés le 6 novembre 2012, la désignation d'un expert, en la personne de M. [W], qui a déposé son rapport le 31 janvier 2014 en fixant la valeur unitaire des parts sociales à 557 euros.

Par acte d'huissier en date du 13 mai 2014, le docteur [Z] a fait assigner la SELARL Imeb devant le tribunal de grande instance de Bayonne afin d'obtenir une nouvelle mesure d'expertise, le versement d'une provision, et subsidairement la condamnation de la société à lui payer la somme de 695661 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux.

Par ordonnance en date du 11 décembre 2014, le juge de la mise en état a alloué à M. [Z] une indemnité provisionnelle de 100 000 euros à valoir sur ses droits sociaux, outre une indemnité de procédure.

Par jugement en date du 4 avril 2016, le tribunal de grande instance de Bayonne a estimé que le rapport de l'expert [W] était entaché d'une erreur grossière, et a ordonné une nouvelle mesure d'expertise, confiée à M. [A].

Celui-ci a procédé à sa mission et a déposé son rapport le 30 novembre 2016, en estimant que la valeur des parts sociales était de 195 585 euros.

Par jugement en date du 5 avril 2018, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Bayonne a :

- condamné la SELARL Imeb à payer à M. [Z] la somme de 195000 euros au titre de la valeur de ses parts sociales,

- dit que la provision de 100 000 euros devra être déduite de la somme de 195 000 euros qui a été fixée pour la valeur des parts sociales de M. [P] [Z], de sorte que c'est la somme de 95 000 euros qui reviendra à M. [P] [Z],

- dit que l'exclusion de M. [Z] repose sur des motifs légitimes et ne présente aucun caractère abusif,

- débouté M. [Z] de ses demandes au titre des frais d'installation liés à l'exclusion abusive, des dommages-intérêts pour exclusion abusive, du préjudice moral lié à l'exclusion, atteinte à l'honneur et réputation, et du préjudice professionnel lié à l'obligation d'installation dans un pays limitrophe,

- débouté M. [Z] de sa demande au titre du remboursement ses cotisations sociales,

- dit que les frais de huissier et les frais d'avocat exposés par M. [P] [Z] constituent des frais irrépétibles dont l'indemnisation relève des condamnations éventuellement prononcées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les frais d'expertise judiciaire font partie des dépens,

- débouté la SELARL Imeb de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

- condamné la SELARL Imeb à payer à M. [P] [Z] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SELARL Imeb de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fait masse des dépens en ce compris les frais d'expertise et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties.

La société Imeb a formé appel principal, et M. [Z] un appel incident, en contestant les motifs de son exclusion, en réitérant ses demandes au titre des frais d'installation, et du remboursement de ses cotisations sociales, outre des dommages-intérêts.

Il a également demandé à la cour de condamner la SELARL Imeb à lui verser les dividendes auxquels il avait droit depuis 2012.

Par arrêt en date du 6 décembre 2019, la cour d'appel de Pau a :

- rejeté le moyen tendant à voir déclarer non avenu l'article 13 alinéa 2 des

statuts de la SELARL Imeb,

- débouté M. [Z] de sa demande d'annulation de la résolution ayant prononcé son exclusion suivant assemblée générale extraordinaire du 23 juillet 2012, comme prise en vertu d'une clause statutaire réputée non écrite,

- débouté M. [Z] de sa demande tendant au rejet de la pièce numéro 8 adverse, consistant en un rapport de détective privé espagnol,

- confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- soulevé d'office la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté de la demande de M. [Z] tendant à voir condamner la SELARL Imeb à lui verser des dividendes sociaux depuis l'année 2012 à ce jour, et invité les parties à faire des observations sur cette fin de non recevoir, sans réouverture des débats ni révocation de l'ordonnance de clôture,

- renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoirie du 4 février 2020 à 14 heures,

- sursis à statuer sur cette demande, les dépens et frais irrépétibles.

Par arrêt en date du 19 mai 2020, la cour d'appel de Pau a déclaré cette demande irrecevable.

A la suite des pourvois interjetés par les parties, la cour de cassation a, par arrêt en date du 21 avril 2022, joint les pourvois et cassé et annulé en toutes leurs dispositions les arrêts précités de la cour d'appel de Pau, en renvoyant l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux.

La cour de cassation a retenu :

- que selon les termes de l'article 13 des statuts, sur le fondement duquel était intervenue la résolution du 23 juillet 2012, l'exclusion est décidée par les associés à la majorité prévue pour les décisions extraordinaires, calculée en excluant l'intéressé, ce dont il résultait que l'associé concerné se trouvait privé de son droit de vote, de sorte que la cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles 1844 et 1844-10 du code civil,

- que la cassation du premier arrêt du 6 décembre 2019 entraînait la cassation de l'arrêt du 19 mars 2020 qui s'y rattachait par un lien de dépendance nécessaire.

Par déclaration en date du 7 juin 2022, M. [Z] a saisi la cour de Bordeaux en qualité de juridiction de renvoi.

Par arrêt mixte en date du 20 février 2023, la cour d'appel de Bordeaux a:

Vu l'arrêt de la cour de cassation en date du 21 avril 2022,

Déclaré les demandes de M. [P] [Z] recevables,

Infirmé le jugement, en ce qu'il a :

- condamné la SELARL Imagerie médicale Euska B à payer à M. [P] [Z] la somme de 195000 euros au titre de la valeur de ses parts sociales,

- dit que la provision de 100 000 euros devra être déduite de la somme de 195 000 euros qui a été fixée pour la valeur des parts sociales de M. [P] [Z], de sorte que c'est la somme de 95 000 euros qui reviendra à M. [P] [Z],

Statuant de nouveau de ce chef,

- Fixé la valeur des parts sociales de M. [P] [Z] à 195 585 euros,

- Donné acte à M. [P] [Z] que cette somme lui a été réglée,

- Confirmé le jugement pour le surplus de ses dispositions,

Avant dire droit sur la demande en paiement des dividendes sociaux depuis 2012,

- Ordonné la réouverture des débats, la révocation de l'ordonnance de clôture et le renvoi de l'affaire devant la conseiller de la mise en état,

Invité les parties à conclure sur la recevabilité de cette demande en paiement des dividendes sociaux depuis 2012, nouvelle devant la cour,

Invité les parties à justifier de la date à laquelle est intervenue le paiement complet de la valeur des droits sociaux à M. [Z], cette date étant susceptible de constituer celle de la perte de sa qualité d'associé,

Enjoint à la SELARL Imagerie Médicale Euska B - Imaeb de communiquer l'ensemble des bilans, comptes de résultat, et délibérations de l'assemblée générale ordinaire annuelle, pour les exercices postérieurs à la décision d'exclusion de M. [Z] du 23 juillet 2012, et toute autre pièce (telle qu'attestation d'expert-comptable) de nature à démontrer l'existence ou l'absence de distribution de dividendes depuis le 23 juillet 2012,

Sursis à statuer sur les demandes formées au titre des frais irrépétibles et des dépens d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 15 décembre 2023, M. [Z] demande à la cour de:

- déclarer ses demandes (qui ne sont pas nouvelles) recevables,

Vu le paiement total de la valeur de ses droits sociaux le 17 septembre 2018,

- constater la réponse partielle de la Société Imeb à la demande de communication de pièces de la cour,

En tirer toutes conséquences de droit,

Vu les pièces de M. [Z],

- ordonner la condamnation de la SELARL Imeb au paiement des dividendes dus au Docteur [Z] au titre des années 2012 jusqu'au 17 septembre 2018, soit a minima la somme de 153.149 euros;

- condamner la Selarl Imagerie Medicale Euska b - Imeb à verser au Docteur [Z] la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens, y compris les dépens de première instance en ce compris les frais d'expertise.

Par dernières conclusions notifiées le 27 novembre 2023, la société Imeb demande à la cour de:

- déclarer M. [P] [Z] irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes, et l'en débouter,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- dit que les frais d'huissier et les frais d'avocat exposés par M. [P] [Z], constituent des frais irrépétibles dont l'indemnisation relève des condamnations éventuellement prononcées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les frais d'expertise judiciaire font partie des dépens,

Et y rajoutant, de :

- débouter M. [P] [Z] de ses demandes relatives à la condamnation de la SELARL Imeb au paiement de dividende au titre des années 2012 à 2018,

- condamner M. [P] [Z] à payer la somme de 7 500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [P] [Z] aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION:

1- Seules demeurent en débat, à ce stade du litige, la recevabilité et le bien-fondé de la demande de M. [Z], tendant au paiement de dividendes, en qualité d'associé de la Selarl Imeb.

Concernant la recevabilité de la demande:

2- En application de l'article 633 du code de procédure civile, la recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée.

3- Ainsi que M. [Z] le fait valoir à bon droit, sans être utilement contredit par la société intimée, ses demandes en paiement de dividendes devant la cour de renvoi sont la conséquence de celles formées devant le tribunal, en indemnisation des conséquences de son exclusion de la SELARL Larroude, [R], [Y], [L] et [C] devenue par la suite ensuite SELARL Imagerie médicale Euska B (Imeb).

Elle seront dès lors déclarées recevables en application de l'article 566 du code de procédure civile.

Concernant le bien-fondé de la demande:

4- Au visa de l'article 1869 du code civil, M. [Z] soutient qu'il a conservé les droits patrimoniaux attachés à sa qualité d'associé jusqu'au 17 septembre 2018 (date à laquelle il a perçu le remboursement de la valeur de ses droits sociaux), de sorte qu'il demeure créancier de la société au titre des dividendes des années 2012 à 2018, qui ne lui ont jamais été versés.

Il estime que les pièces communiquées par la société intimée après l'arrêt mixte sont insuffisantes et caractérisent le comportement dilatoire de la Selarl Imeb qui cherche à dissimuler la réalité.

Il soutient qu'il est inimaginable que depuis 2018, aucun dividende n'ait été versé aux associés,et il ajoute que la cour devra tirer les conséquences de l'absence de communication de bilans et de répartition des comptes d'associés, malgré diverses sommations de communiquer.

Au vu des documents qu'il a lui-même pu retrouver , il estime que sa créance s'élève au minimum à 153 149 euros entre 2012 et son exclusion illégitime.

5- La société Imeb réplique que M. [Z] a perdu sa qualité d'associé dès le 22 juillet 2012, date à laquelle il a été valablement exclu de la société, en cessant toute activité en son sein, de sorte qu'il n'a aucun droit au paiement des dividendes éventuellement votés en mis en paiement après cette date.

Elle ajoute qu'en toutes hypothèses, sur l'ensemble des exercices clos du 31 mars 2012 au 31 mars 2018, les associés ont voté en faveur d'une mise en réserve des résultats de la société et non en faveur d'une distribution de ces résultats à titre de dividendes.

Le quantum allégué par M. [Z] serait donc injustifé, comme ne reponsant sur aucune réalité.

Sur ce:

6- La Selarl Imeb se fonde à tort sur les dispositions de l'article 14 des statuts, selon lesquels la cessation d'activité entraîne de plein droit la parte de la qualité d'associé.

En effet, ces dispositions ne concernent que l'hypothèse où un associé décide de cesser son activité au sein de la société, avec un préavis d'un mois, et non l'hypothèse d'une exclusion de l'associé en raison d'un manquement aux règles de fonctionnement de la société, dont les conséquences sont prévues exclusivement à l'article 13 des statuts.

7- Selon l'article 13 des statuts (Exclusion- Suspension) , l'intéressé conserve ses droits et obligations d'associé, à l'exclusion de la rémunération liée à l'exercice de son activité professionnelle, lorsqu'il fait l'objet d'une interdiction temporaire d'exercer ou de dispenser des soins, sauf lorsqu'il a fait l'objet d'une décision d'exclusion.

8- Il en résulte a contrario, qu'en dehors de ce cas précis, les associés ayant fait l'objet d'une décision d'exclusion pour violation des règles de fonctionnement de la société déterminées par le réglement intérieur de la SELARL perdent dès la décision d'exclusion la qualité d'associé, ce qui se trouve confirmé par l'article 13 alinéa 4 qui énonce: 'Les parts de l'associé exclu sont soit achetées par un acquéreur agréé par les associés subsistant (Souligné par la cour) dans les conditions de l'article 11 ci-dessus, soit achetées par la société qui doit alors réduire son capital'.

9- Cette clause ne déroge à aucune texte d'ordre public à la date de constitution de la Selarl Imeb, société commerciale par la forme; bien qu'ayant un objet civil.

La société intimée peut en conséquence s'en prévaloir à juste titre, pour s'opposer à la demande en paiement de dividendes formée par M. [Z] pour la période postérieure à son exclusion.

10- Surabondamment, il sera relevé que la distribution de dividendes aux associés ne peut être décidée que dans le cadre d'une délibération de l'assemblée générale, conformément à l'article 24 des statuts (affectation et répartition des bénéfices); l'autre option ouverte aux associés étant d'affecter, sur proposition de la gérance, les bénéfices distribuables sur des fonds de réserves, avec ou sans destination spéciale.

11- La société intimée justifie, par production des délibérations des assemblées générales des 28 novembre 2012, 27 novembre 2013, 23 novembre 2014, 1er décembre 2015, 8 novembre 2016, 22 novembre 2017 et 5 décembre 2018 que les

associés ont décidé, pour chacun de ces exercices, d'affecter les résultats (pertes ou bénéfices) au compte 'Autres réserves'.

12- Contrairement à ce que soutient M. [Z], les pièces ainsi communiquées, en exécution de l'arrêt mixte du 20 février 2023, suffisent à démontrer l'absence de distribution de dividendes, et les allégations de l'appelant relatives à l'existence de comptes 'occultes' ne sont confortées par aucun élément probant.

13- M. [Z] ne peut utilement tirer argument du montant des rémunérations de gérance versées durant les années 2012 à 2018 pour prétendre qu'il y aurait dû y avoir des également des distributions de dividendes, puisque précisément telle n'a pas été la décision des associés.

14- Il convient en conséquence de rejeter la demande formée par M. [Z] en paiement de la somme de 153149 euros.

Sur les demandes accessoires:

15- Chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.

Il n'est pas inéquitable de laisser en outre aux parties la charge de leurs frais irrépétibles d'appel; les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel seront donc rejetées.

Il convient par ailleurs de rappeler que l'arrêt du 20 février 2023 a confirmé le jugement entrepris en ce qui concerne les dépens de première instance, incluant les frais d'expertise, et les demandes au titre des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Vu l'arrêt en date du 20 février 2023,

Déclare recevable, mais mal fondée, la demande de M. [Z] en paiement de la somme de 153 149 euros à titre de dividendes, entre 2012 et le 17 septembre 2018,

En conséquence, rejette la demande de M. [Z] en paiement de la somme de la somme de 153 149 euros,

Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel,

Rejette les autres demandes,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel, en ceux compris ceux de l'arrêt cassé.