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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 8 mars 2024, n° 22/01246

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCP BR Associés (ès qual.), ABV Diffusion (Sté)

Défendeur :

SFR Fibre (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de La Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Vignes, Me Dujardin

T. com. Meaux, du 23 nov. 2021, n° 20200…

23 novembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La société ABV Diffusion a signé trois contrats de partenariat avec la société Numericable afin d'assurer l'exploitation commerciale de ses produits et services, à savoir :

- un « contrat partenaire » du 18 juin 2012, couvrant la zone dite « [Localité 5] Ouest 4 » ([Localité 6]), modifié par avenant du 30 août 2013 ;

- un « contrat partenaire » du 7 mars 2013, couvrant la zone dite « [Localité 5] Est 1 » ([Localité 5], quartier dit La Capelette), modifié par avenant du 30 août 2013 ;

- un « contrat partenaire » du 2 octobre 2013, couvrant la zone dite « [Localité 5] Ouest 3 », ([Localité 5], quartier dit Saint-Louis).

Les clauses de ces contrats étaient identiques, à l'exception de la zone de chalandise confiée au distributeur, qui était spécialement stipulée dans chaque convention.

Conclus pour une durée déterminée de trois ans, incluant une période probatoire de six mois, ils prévoyaient que chacune des parties seraient libres de résilier son engagement, à l'issue de la période probatoire, sans indemnité, en respectant un préavis de trois mois.

Invoquant notamment des réclamations de la clientèle, la société Numericable a notifié, le 19 mars 2014, à la société ABV Diffusion la résiliation du contrat du 2 octobre 2013, à effet au 2 juillet 2014, pour tenir compte du préavis contractuel de trois mois intervenant à compter de la fin de la période probatoire du contrat. 

Puis, par lettre du 5 novembre 2014, la société Numericable a notifié à la société ABV Diffusion la résiliation immédiate des contrats des 18 juin 2022 et 7 mars 2013, pour des motifs d'ordre  similaire.

Par jugement du 10 janvier 2019, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL ABV Diffusion, la SCP BR Associés représentée par maître [Y] [SP] ou maître [O] [V] étant désignée mandataire judiciaire.

Suivant exploit du 9 mai 2019, la société ABV Diffusion en présence de la SCP BR Associés ès qualités de mandataire judiciaire a fait assigner la société SFR Fibre venant aux droits de la société Numericable devant le tribunal de commerce de Meaux, afin d'obtenir sa condamnation à l'indemniser des préjudices subis, en raison de la résiliation abusive des contrats, ainsi qu'à lui régler le montant des rémunérations contractuellement prévues.

Le 21 juin 2019, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence a converti la procédure en liquidation judiciaire, en désignant la SCP BR Associés représentée par maître [Y] [SP] ou maître [O] [V] en qualité de liquidateur.

Par jugement en date du 23 novembre 2021, le tribunal de commerce de Meaux a :

- Reçu la SCP BR Associés, prise en Ia personne de maître [Y] [SP] ès qualités de mandataire Iiquidateur de la société ABV Diffusion, en ses demandes, 'ns et conclusions, les a dites au fond mal fondées et I'en a déboutée,

- Reçu la société SFR Fibre, en sa demande reconventionnelle, au fond l'a dite bien fondée, et I'y recevant,

- Fixé à titre chirographaire au passif de Ia liquidation judiciaire de la société ABV Diffusion au titre du préjudice total subi par la société SFR Fibre Ia somme de 1.252.000 € à titre de dommage et intérêts,

- Fixé à titre chirographaire au passif de Ia liquidation judiciaire de Ia société ABV Diffusion Ia somme de 3.000 € au titre de I'article 700 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu à ordonner I'exécution provisoire,

- Dit que tous Ies dépens comprenant Ie coût de l'assignation s'élevant à 70,05 € T.T.C., ainsi que Ies frais de greffe Iiquidés à 120,83 € T.C., en ce non compris le coût des actes qui seraient Ia suite du jugement resteraient à la charge de la SCP BR Associés, prise en Ia personne de maître [Y] [SP] ès qualités de mandataire Iiquidateur de Ia société ABV Diffusion.

La SCP BR Associés, prise en la personne de maître [SP] ès qualités de mandataire liquidateur de la société ABV Diffusion a formé appel du jugement, par déclaration du 11 janvier 2022.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 3 août 2022, la SCP BR Associés, représentée par maître [O] [V] ès qualités de mandataire liquidateur de la société ABV Diffusion demande à la cour, au visa des articles 5 et 455 du code de procédure civile et des articles 1134, 1147 et 1174 du code civil, de :

« JUGER l'appel de la SCP BR ASSOCIES recevable en la forme et bien fondé ;

JUGER que la décision des premiers juges manque en motivation et que ces derniers n'ont pas répondu aux chefs de demandes outre qu'ils ont statué ultra petita en accordant une indemnité à la Société SFR FIBRE non réclamée par cette dernière ;

Et en conséquence :

ANNULER le jugement du Tribunal de Commerce de Meaux et le déclarer nul et de nul effet ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

INFIRMER le jugement en toutes ses dispositions et :

STATUANT A NOUVEAU

JUGER irrecevables les demandes indemnitaires de la Société SFR FIBRE ;

ORDONNER la remise de l'instrument de mesure de satisfaction des abonnés intitulé MASC sur la période des relations contractuelles ; à défaut, en tirer toutes les conséquences utiles ;

I.SUR LA RESILIATION

JUGER que la société SFR FIBRE anciennement NUMERICABLE a résilié abusivement les contrats conclus les 18 juin 2012 ([Localité 5] Ouest 4 [Localité 6]) 7 mars 2013 ([Localité 5] Est 1 La Capelette) et 2 octobre 2013 ([Localité 5] Ouest 3 Saint Louis) et qu'elle a engagé à ce titre sa responsabilité à l'égard de la société ABV DIFFUSION ;

ET EN CONSEQUENCE :

- CONDAMNER la société SFR FIBRE anciennement NUMERICABLE à verser à la SCP BR ASSOCIES ès-qualité la somme de 561.969 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre du contrat du 2 octobre 2013 (Marseille Ouest 3 Saint Louis) ;

- CONDAMNER en conséquence la société SFR FIBRE anciennement NUMERICABLE à verser à la SCP BR ASSOCIES ès-qualité la somme de 185.780 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre du contrat du 18 juin 2012 (Marseille Ouest 4 Salon-de-Provence) ;

- CONDAMNER en conséquence la société SFR FIBRE anciennement NUMERICABLE à verser à la SCP BR ASSOCIES ès-qualité la somme de 577.156 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre du contrat du 7 mars 2013 (Marseille Est 1la Capelette) ;

- CONDAMNER la société SFR FIBRE anciennement NUMERICABLE à verser à la SCP BR ASSOCIES ès-qualité une somme de 60.543,48 € à titre de dommage et intérêts correspondant aux frais de licenciement du personnel des trois boutiques exploitées par la société ABV DIFFUSION ;

II.SUR LES REMUNERATIONS

- CONDAMNER la société SFR FIBRE anciennement NUMERICABLE à payer à la SCP BR ASSOCIES ès-qualité, les sommes suivantes pour un montant de 123.806,89 € :

o Sur les ventes offres CABLE/ADSL sur nouveaux abonnés raccordés :

Pour la zone Ouest 4, à [Localité 6], sur la base du contrat du 18 juin 2012 de : 10 492,51 € TTC ou 8773 € HT,

- Sur la zone de [Localité 5] Est 1 (boutique de la Capelette) sur la base du contrat du 7 mars 2013 un montant de 14.220,44 TTC (11.890 € HT)

- Sur la zone [Localité 5] Ouest 3 (boutique Saint Louis) sur la base du contrat du Zef octobre 2013, ont respectivement ouvert le bénéfice d'une rémunération d'un montant de 3970,20 € TTC.

o Au titre des primes trimestrielles sur atteinte du volume minimum au sein de la zone de diffusion :

- 8.970 € TTC (5382 € +3588 €) au titre du contrat du 18 juin 2012 (zone Ouest 4 [Localité 6]

- 17.940 € TTC (3588 € + 5382 €+ 5382 € +3588 €) au titre du contrat du 7 mars 2013 (zone Est 1 La Capelette)

- 14.382 € (5382 € +5382 € + 3588 €) au titre du contrat du 1er octobre 2013 (zone Ouest 3 Saint Louis)

o Au titre au titre du bonus sur conservation des nouveaux abonnés raccordés :

- 2.400 € TTC en exécution du contrat du 1er octobre 2013 (boutique de Saint Louis) au titre du Bonus mensuel sur le volume de ressources commerciales :

- 15.515,15 €TTC au titre du bonus mensuel sur le volume de ressources commerciales en exécution du contrat du 18 juin 2012 (boutique [Localité 6]),

- 6.154,98 ETTC au titre du bonus mensuel sur le volume de ressources commerciales en exécution du contrat du 7 mars 2013 (boutique de La Capelette),

- 8.780,86 €TTC au titre du bonus mensuel sur le volume de ressources commerciales en exécution du contrat du 1er octobre 2013 (boutique de Saint Louis),

o Au titre des redevances mensuelles :

- 3.190,94 € au titre de la redevance mensuelle en exécution du contrat du 18 juin 2012 (boutique [Localité 6]),

- 7,178,68 € TTC au titre de la redevance mensuelle en exécution du contrat du 7 mars 2013 (boutique de La Capelette),

- 8.488,35 €TTC au titre de la redevance mensuelle en exécution du contrat du 1 er octobre 2013 (boutique de Saint Louis),

o Au titre de la prime volume minimum annuel :

- 1.961,44 €TTC au titre de la redevance mensuelle en exécution du contrat du 7 mars 2013 (boutique de La Capelette),

II.SUR LES DEMANDES INDEMNITAIRES DE LA SOCIETE SFR FIBRE

JUGER que la Société SFR FIBRE n'a pas déclaré sa prétendue créance au passif de la société ABV DIFFUSION,

JUGER en conséquence que les demandes indemnitaires de la Société SFR FIBRE sont irrecevables et en tout état de cause mal fondées ;

En tout état de cause, JUGER que la demande de la Société SFR FIBRE à hauteur de 100.000 € au titre de la prétendue atteinte à son image commerciale ne pouvait être accueillie par le Tribunal laquelle avait été abandonnée par l'intimée faute d'être reprise dans le dispositif de ses écritures ;

Et en conséquence, LA DEBOUTER de l'ensemble de ses prétentions ;

- CONDAMNER la société SFR FIBRE à verser à la SCP BR ASSOCIES la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société SFR FIBRE aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Marie-Catherine VIGNES pour les frais avancés par elle. »

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 16 mai 2022, la SAS SFR Fibre venant aux droits de la société NC Numericable demande à la cour de :

« CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement du 23 novembre 2021 rendu par le Tribunal de commerce de Meaux ;

En conséquence,

DEBOUTER de toutes ses demandes Me [SP] représentant la SCP BR Associés, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société ABV Diffusion ;

FIXER au passif de cette dernière les créances suivantes au bénéfice de la société SFR Fibre :

- 100.000 € au titre de l'atteinte à l'image commerciale,

- 1.252.000 € à titre d'indemnité réparant la perte de chiffre d'affaires,

- 50.000 € au titre de l'article 700 CPC,

Y AJOUTANT,

Fixer au passif de la société ABV Diffusion, la somme complémentaire de 50.000 € au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.

Mettre tous dépens à la charge de la société ABV Diffusion, dûment représentée par l'organe compétent en charge de sa liquidation judiciaire. »

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité du jugement,

Enoncé des moyens,

Maître [O] [V] ès qualités de mandataire liquidateur de la société ABV Diffusion sollicite l'annulation du jugement pour défaut de motivation et défaut de réponse à ses conclusions ; elle ajoute que le tribunal a statué ultra petita en fixant au passif de la procédure collective une créance de dommages et intérêts de la société SFR Fibre, au titre d'une atteinte à son image.

La société SFR Fibre réplique que les premiers juges ont respecté les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Réponse de la cour,

Dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, la nullité invoquée concerne non pas la saisine des premiers juges, mais une défectuosité de la procédure suivie devant eux, à savoir un défaut allégué de motivation du jugement, auquel est assimilé le défaut de réponse à conclusion, outre le fait que le tribunal aurait statué ultra petita, l'effet dévolutif de l'appel joue pleinement, de sorte que la cour, saisie de l'entier litige, est tenue de se prononcer sur le fond du droit sans même devoir statuer préalablement sur le moyen pris de l'irrégularité du jugement (Soc., 9 janvier 2008, n° 06-45.168 ; Com. 10 juillet 2001, n° 98-19.491).

A supposer même que le jugement soit entaché des vices invoqués, il convient donc de se prononcer sur le fond de litige, sans qu'il y ait lieu de prononcer une annulation dudit jugement.

Sur l'irrecevabilité des demandes indemnitaires de la société SFR Fibre,

Enoncé des moyens,

Maître [O] [V] ès qualités prétend que les demandes indemnitaires de l'intimée sont irrecevables, faute d'avoir déclaré sa créance au passif de la procédure, née antérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société ABV Diffusion.

La société SFR Fibre réplique que les indemnités dont elle sollicite le paiement sont nées de la décision qui les a ordonnées, après le jugement d'ouverture, de sorte qu'elles n'avaient pas à être déclarées antérieurement.

Réponse de la cour,

L'article L. 622-24, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa version antérieure au 24 mai 2019, applicable aux faits de la cause, dispose qu'à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat.

Il précise, en son alinéa 4, que la déclaration des créances doit être faite alors même qu'elles ne sont pas établies par un titre et que celles dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées sur la base d'une évaluation.

L'article R. 622-24 du même code prévoit que le délai de déclaration est de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC.

Enfin, selon l'article L. 622-26, dans sa version antérieure au 1er octobre 2021, la créance non déclarée est inopposable à la procédure collective.

Afin de déterminer la date de naissance de la créance, il doit être tenu compte, non de sa date d'exigibilité, mais de son fait générateur.

Les créances indemnitaires nées d'une inexécution ou d'une mauvaise exécution du contrat, ou nées d'un délit ou d'un quasi-délit, trouvent leur origine dans la commission du fait générateur de responsabilité, peu important qu'il n'ait été révélé ou n'ait donné lieu à condamnation que postérieurement.

En l'occurrence, la société SFR Fibre n'invoque aucun fondement juridique au soutien de ses demandes de dommages et intérêts. Il résulte, toutefois, de ses explications qu'elle revendique des créances indemnitaires en lien avec des fautes commises par la société ABV Diffusion ayant contribué à dégrader son image commerciale, également source de pertes financières, et que les agissements de la société ABV Diffusion ayant justifié la résiliation des contrats, notifiée à la date des 9 mars et 5 novembre 2014, ont été commis non seulement durant le cours des contrats, mais aussi postérieurement, selon ses dires, jusqu'au 14 novembre 2014.

Les créances indemnitaires de la société SFR Fibre trouvent ainsi leur origine dans la commission des faits générateurs de responsabilité de la société ABV Diffusion, commis au plus tard le 14 novembre 2014.

La procédure de redressement judiciaire ayant été ouverte à l'égard de la société ABV Diffusion, par jugement du 10 janvier 2019, rendu par le tribunal de commerce de Salon-de-Provence, il appartenait, en conséquence, à la société SFR Fibre de déclarer ses créances dans le délai de deux mois, prévu par l'article R. 622-24 du code de commerce, à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC.

Il importe peu, conformément à ce que prévoit l'article L. 622-24, alinéa 4, du code de commerce, que la société SFR Fibre n'ait pas été en possession d'un titre exécutoire, au jour de la naissance de ses créances.

A défaut d'avoir procédé à cette déclaration, les créances de la société SFR Fibre sont, dès lors, inopposables à la procédure collective, de sorte que les moyens afférents à leur bien-fondé ne seront pas examinés. Le jugement sera corrélativement infirmé en ce qu'il a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société ABV Diffusion une somme de 1.252.000 € de dommages et intérêts, au titre du préjudice subi par la société SFR Fibre.

Sur la résiliation des contrats,

Enoncé des moyens,

Maître [O] [V] ès qualités se prévaut d'un contexte de dépendance économique de la société ABV Diffusion à l'égard de la société SFR Fibre, pour dénoncer une rupture brutale des relations contractuelles.

Elle fait valoir que l'article 13 du contrat prévoyant une période probatoire, sur le fondement duquel a été prononcée la résiliation de la convention du 2 octobre 2013, présente un caractère illicite, en raison de son caractère potestatif et du déséquilibre significatif créé entre les droits et les obligations des parties en contradiction avec les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce. Elle soutient, par ailleurs, que la société SFR Fibre ne peut exciper de manquements à ses obligations justifiant l'application de la clause résolutoire prévue à l'article 14-2 du contrat, dès lors que la résiliation été prononcée sur le fondement des stipulations de l'article 13. Elle prétend que les manquements graves qui lui sont reprochés ne sont, en tout état de cause, pas démontrés.

L'appelante considère que les contrats conclus les 18 juin 2012 et 7 mars 2013 ont fait eux-mêmes l'objet d'une résiliation abusive, dans le but d'évincer la société ABV Diffusion, sans mise en demeure préalable et au mépris de la médiation qui avait été ordonnée. Elle ajoute que les motifs sur lesquels reposent la résiliation présentent un caractère artificiel.

S'agissant du contrat du 2 octobre 2013, la société SFR Fibre réplique que la clause de résiliation pour convenance est licite. Elle rappelle que l'abus d'un état de dépendance économique est sanctionné par la loi, lorsqu'il génère des pratiques anticoncurrentielles, et que la mise en œuvre d'une clause significativement déséquilibrée ouvre droit à réparation lorsque ce déséquilibre cause un préjudice, aucune de ces conditions n'étant remplies en l'espèce. Elle soutient que la gravité des fautes commises par le distributeur sont exclusives de la qualification de rupture brutale et de tout préjudice indemnisable.

L'intimée prétend que la résiliation des contrats des 18 juin 2012 et 7 mars 2013 est, quant à elle, justifiée au regard de la gravité des manquements contractuels de la société ABV Diffusion, qui s'est rendue coupable d'agissements frauduleux à l'égard de la clientèle, ce dont témoignent de nombreuses réclamations. Elle considère que la résiliation n'impliquait pas l'envoi préalable d'une mise en demeure et qu'il ne peut lui être reproché non plus d'avoir refusé de participer à une médiation.

Réponse de la cour,

- Sur la résiliation du contrat du 2 octobre 2013,

L'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version antérieure au 8 août 2015, applicable aux faits de la cause, dispose que le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé,

La caractérisation d'un déséquilibre significatif, au sens de ces dispositions, nécessite de démontrer, d'une part, une soumission ou une tentative de soumission de la part de l'une des parties à des obligations et, d'autre part, l'existence d'obligations créant le déséquilibre significatif, lesquelles résultent de leur caractère illégitime, de la disproportion entre les droits et obligations des parties, de l'absence de contrepartie et de l'absence de rééquilibrage de la situation.

Dans le cas présent, l'article 13.1 du contrat signé le 2 octobre 2013, inséré dans un paragraphe intitulé « Durée et résiliation pour convenance », prévoit que le contrat entre en vigueur à la date de sa signature et qu'il est conclu pour une durée initiale et ferme de trois ans. Il stipule que : « D'un commun accord entre les Parties, la Période Initiale inclut une période probatoire de six (6) mois qui permet à chacune des Parties de s'assurer de l'adéquation de ses attentes avec la pratique du Contrat (ci-après dénommé « la Période Probatoire »). A l'issue de la Période Probatoire, chacune des Parties pourra décider, par envoi à l'autre Partie (sic) une lettre recommandée avec accusé de réception, de ne pas poursuivre le Contrat et de résilier son engagement de plein droit et sans indemnité, avec un préavis de trois (3) mois.»

Si la structure du marché sur lequel interviennent les opérateurs peut constituer un indice de l'existence d'un rapport de force déséquilibré, ce seul élément est en soi insuffisant à établir la soumission ou la tentative de soumission et doit être complété par d'autres indices établissant l'absence de possibilité de négociation (Com., 29 novembre 2019, n° 18-12.823, publié au Bulletin ; plus récemment, Com., 6 décembre 2023, pourvoi n° 21-23.288).

Or, la société ABV Diffusion n'apporte aucun élément de contexte sur les conditions de négociation du contrat qu'elle prétend déséquilibré, cependant qu'elle ne prétend pas qu'il s'agirait d'un contrat-type, ni aucun élément de preuve manifestant une absence de négociation du contrat, de sorte que la première condition de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce tenant à une soumission ou une tentative de soumission n'est pas remplie.

Les explications de la société ABV Diffusion afférentes à une inégalité de rapport de force entre les parties, en lien avec un état de dépendance économique, tenant à l'impossibilité dans laquelle elle se serait trouvée de développer des partenariats avec d'autres opérateurs du même secteur d'activité, sont dès lors inopérantes.

En tout état de cause, la clause de résiliation anticipée litigieuse confère à chacune des parties le même droit de mettre fin au contrat et dans les mêmes conditions, notamment sans justification d'une faute, les intérêts de l'une comme de l'autre étant susceptible de varier en fonction de l'évolution de leur situation respective et de la conjoncture économique (v. Com., 12 avril 2016, n° 13-27.712). La clause dont il s'agit instaure ainsi une réciprocité des prérogatives contractuelles des parties, exclusive d'un déséquilibre significatif.

Il suit de là que la société ABV Diffusion ne peut prétendre non plus que l'article 13.1 du contrat, qui institue une faculté conventionnelle discrétionnaire de résiliation, stipule une condition potestative au sens de l'article 1174 du code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016. Au demeurant, contrairement à ce que soutient l'appelante, la clause 5.3 dudit contrat prévoyait que la réalisation de travaux d'agencement et d'aménagement n'était qu'une simple faculté pour le distributeur, qui pourrait solliciter, s'il l'estimait nécessaire, une assistance pour rendre cohérente la structure de diffusion fixe avec le Concept, ce dont il résulte qu'elle restait libre d'user, à sa convenance, de la faculté de résiliation.

Les moyens tirés de l'illicéité de la clause querellée seront donc écartés, étant souligné que la société ABV Diffusion ne sollicite pas son annulation.

La résiliation du contrat a été notifiée, par la société Numericable à la société ABV Diffusion, par courrier du 19 mars 2014, à effet au 2 juillet 2014, pour tenir compte du préavis contractuel de trois mois, intervenant à compter de la fin de la période probatoire du contrat, soit le 2 avril 2014. Il n'est pas contesté que la résiliation est intervenue dans les délais prévus par l'article 13.1 du contrat, dans les formes contractuellement prévues.

Les trois contrats de partenariats étaient, par ailleurs, indépendants, de sorte que la société ABV Diffusion n'est pas fondée à prétendre que la société Numericable ne pouvait pas résilier le contrat litigieux, alors que les deux autres conventions continuaient à être exécutées.

Il résulte de la teneur du courrier du 19 mars 2014 que la société Numericable s'est prévalue expressément de la clause de résiliation « pour convenance », susceptible de recevoir application durant la période probatoire de six mois du contrat, et non pas de la clause résolutoire sanctionnant des manquements contractuels, prévue par l'article 14 du contrat, peu important qu'elle ait estimé utile d'expliciter les raisons de sa décision, en faisant état de manquements graves de son cocontractant.

La société Numéricable a pu ainsi exercer valablement son droit de résilier le contrat, sans avoir à justifier d'une faute de la société ABV Diffusion. En conséquence, le moyen afférent à la résiliation abusive du contrat ne saurait prospérer. Le jugement sera, de la sorte, confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation de l'appelante au titre de la rupture du contrat litigieux.

Enfin, bien qu'elle évoque une « rupture brutale des relations contractuelles », la société ABV Diffusion invoque uniquement le bénéfice des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, sans pour autant, se prévaloir d'une violation des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.

- Sur la résiliation des contrats des 18 juin 2012 et 7 mars 2013,

Il résulte des pièces versées aux débats que la société Numericable a notifié, par lettre datée du 5 novembre 2014, transmise également par courriel, la résiliation immédiate des contrats des 18 juin 2022 et 7 mars 2013, à la société ABV Diffusion.

La société Numericable se prévalait, aux termes de ce courrier, des articles 14.2 des contrats, rédigés en des termes similaires, prévoyant que : « le Contrat sera résilié immédiatement et de plein droit par l'OPERATEUR, sans indemnité au profit du PARTENAIRE, moyennant une simple notification par lettre recommandée avec accusé de réception, dans les cas suivants : (') infraction à la législation et/ou réglementation commise par le PARTENAIRE liée aux conditions de diffusion des Services et/ou à ses relations avec le public et les Abonnés, et ayant donné lieu à une réclamation, recours, procédure de tout tiers à l'encontre de l'Opérateur ».

Comme le souligne à juste titre l'intimée, la faculté de résiliation prévue au titre des articles 14.2 des contrats, sur lesquels elle fondait sa décision, n'était pas subordonnée à une mise en demeure préalable, à l'inverse du cas de résiliation envisagé par l'article 14.1 sanctionnant l'inexécution de l'une des quelconques obligations contractuelles des parties.

Il sera rappelé que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier, en tout état de cause, que l'autre partie y mette fin de manière unilatérale à ses risques et périls, sans être tenue de mettre préalablement son cocontractant en demeure de respecter ses obligations ni de caractériser une situation d'urgence (Com., 9 juillet 2019, n° 18-14.029).

Aussi, la société ABV Diffusion n'est-elle pas fondée à opposer l'absence de mise en demeure ayant précédé la décision de la société Numéricable de résilier les contrats litigieux. Au demeurant, celle-ci lui avait envoyé, à tout le moins, plusieurs courriers préalables, datés des 29 octobre 2013, 3 et 18 avril et 9 mai 2014, lui enjoignant de modifier certaines pratiques.

La première mise en garde du 29 octobre 2013 a été adressée à la société ABV Diffusion avant à la fusion entre les sociétés Numericable et SFR Fibre, dont il n'est pas contesté qu'elle est intervenue au mois de novembre 2014, soit près d'une année après, quand bien même l'appelante justifie, au vu d'articles de presse, que le rapprochement de deux sociétés était antérieur de plusieurs mois. L'argument de la société ABV Diffusion, selon lequel elle aurait été victime d'une stratégie d'éviction de la part du fournisseur, dans le cadre d'un contexte de fusion entre la société Numericable et la société SFR Fibre, n'est donc pas pertinent.

Pour le reste, la résiliation des contrats est intervenue, à l'initiative de la société Numericable, le 5 novembre 2014, après l'échec d'une tentative de conciliation, à laquelle la défenderesse n'était pas tenue de participer, quoiqu'elle ait accepté de suspendre temporairement les effets de la résiliation du contrat du 2 octobre 2013, dans le cadre d'une précédente instance en référé.

Pour être justifiée la résiliation unilatérale des contrats doit être fondée sur des manquements suffisamment graves de la société ABV Diffusion et correspondre aux agissements visés aux articles 14.2 des contrats, tels que dénoncés par la société Numericable, la charge de la preuve reposant sur l'intimée.

Ces stipulations contractuelles visent une infraction à la législation et/ou à la réglementation liée aux conditions de diffusion des services et/ou à ses relations avec le public et les abonnés, ayant donné lieu à une réclamation, recours, procédure de tout tiers à l'encontre de l'Opérateur.

La société SFR Fibre justifie précisément de nombreuses réclamations de ses clients, s'étant plaints de pratiques frauduleuses de la société ABV Diffusion.

Ces réclamations sont afférentes notamment à des souscriptions frauduleuses d'abonnement, comme en attestent, entre autres exemples, les courriers des clients suivants, reçus par la société Numericable :

- Mme [P] [B] (renouvellement d'un abonnement sans avoir jamais reçu le matériel correspondant) ;

- M. [I] [U] (modalités de contrats enregistrées plus onéreuses que celles figurant sur l'écrit signé par le client) ;

- Mme [BJ] [A] (idem) ;

- Mme [L] [T] (souscription d'un abonnement à son insu) ;

- M. [F] [W] (idem) ;

- M. [KK] [G] (idem) ;

- M. [LH] [E] (idem).

D'autres réclamations ont été transmises par l'intermédiaire d'une association de consommateurs, comme celle de Mme [S] [Z] (souscription d'un abonnement sans avoir jamais reçu la prestation correspondante / réclamation UFC Que Choisir).

Certains clients ont, d'ailleurs, déposé des plaintes pénales, comme Mme [M] [R] ou Mme [H] [C], pour des faits de faux et usage de faux ou de prise du nom d'un tiers pouvant déterminer des poursuites pénales.

Il a également été mis en exergue des anomalies tenant au financement par des tiers des abonnements souscrits par Mme [J] [K], M. [KW] [N] et M. [D] [X], ne permettant pas de s'assurer de la réalité de leur consentement.

Deux « audit »s, réalisés les 9 juillet et 30 octobre 2014 ont, par ailleurs, révélés que les codes d'identification des vendeurs avaient été parfois détournés, afin de permettre de réaliser, sous couvert de ventes en magasin, des ventes à domicile, ne respectant pas les règles de démarchage.

C'est en vain que l'appelante conteste le bien-fondé des plaintes et la responsabilité des agissements dénoncés, celles-ci portant sur des abonnements dont elle avait la gestion. Loin de constituer des réclamations isolées, leur nombre important accrédite, au contraire, la véracité des propos tenus par les plaignants quant aux falsifications reprochées, cependant que la société ABV Diffusion omet de préciser, dans ses écritures, l'identité des clients qui auraient, selon elle, témoigné, en sa faveur ; celle-ci n'établit pas non plus que les contrôles réalisés par la société Numericable auraient permis à l'opérateur de déceler les fraudes, en validant les contrats.

Il est indifférent que les faits reprochés n'aient pas donné lieu à des poursuites pénales, dès lors que les articles 14.2 des contrats ne soumettent pas la résiliation des contrats à une telle condition.

Ces agissements, qui ont persisté malgré l'envoi de plusieurs courriers de mise en garde, revêtent un caractère de gravité certain, en ce qu'ils portent atteinte à l'image de l'opérateur, associée auprès de la clientèle à des pratiques pénalement répréhensibles, quelles qu'aient été les zones commerciales où ils ont été commis, y compris celle contractuellement attribuée par le contrat du 9 octobre 2013.

De ce point de vue, il importe peu que la société ABV Diffusion ait pu répondre, aux objectifs quantitatifs et qualitatifs contractuellement fixés, qui n'avaient qu'un impact statistique, et que le pourcentage de dossiers litigieux ait été minime au regard de l'ensemble des actes de vente.

La résiliation des contrats était donc parfaitement justifiée, au vu des agissements dénoncés.

Pour le reste, il n'y a pas lieu d'examiner les autres manquements allégués par la société SFR Fibre, tels que l'intervention de la société ABV Diffusion en dehors des zones contractuellement attribuées pour réaliser des ventes, qui ne correspondent pas à l'hypothèse d'infractions prévue par les articles 14.2 des contrats, visés dans la lettre de résiliation du 5 novembre 2014, non plus que les griefs non repris dans les dernières écritures de son conseil.

Par suite, la société ABV Diffusion ne pourra être que déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive des contrats.

Par hypothèse, faute d'avoir loyalement exécuté ses obligations, pour attendre les objectifs fixés, les prestations de la société ABV Diffusion n'apparaissent pas conformes aux conditions contractuelles, de sorte qu'il convient de rejeter également les demandes de paiement formées à ce titre, de même que la demande portant sur la remise de l'instrument de mesure de satisfaction des abonnés.

Le jugement sera, par suite, confirmé en ce qu'il a débouté le liquidateur judiciaire de la société ABV Diffusion de l'ensemble de ses demandes.

Sur les autres demandes,

La société ABV Diffusion succombant partiellement au recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d'appel, la cour fixera au passif de la procédure collective de la société ABV Diffusion la moitié des dépens et condamnera la société SFR Fibre à payer l'autre moitié desdits dépens dont distraction au profit de maître Marie-Catherine Vignes.

Eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties, il n'y a pas lieu, en cause d'appel, à application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

DIT n'y avoir lieu à prononcer l'annulation du jugement entrepris,

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :

- Reçu la société SFR Fibre, en sa demande reconventionnelle, au fond l'a dite bien fondée, et I'y recevant,

- Fixé à titre chirographaire au passif de Ia liquidation judiciaire de la société ABV Diffusion au titre du préjudice total subi par la société SFR Fibre Ia somme de 1.252.000 € à titre de dommage et intérêts,

STATUANT A NOUVEAU des chefs infirmés,

Y AJOUTANT,

DECLARE inopposables les créances indemnitaires de la SAS SFR Fibre à la procédure collective de la société ABV Diffusion,

FIXE au passif de la procédure collective de la société ABV Diffusion la moitié des dépens d'appel,

CONDAMNE la SAS SFR Fibre à payer l'autre moitié des dépens d'appel, dont distraction au profit de maître Marie-Catherine Vignes

DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.