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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-4, 7 mars 2024, n° 23/03179

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Maison de l'Immobilier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laville

Conseillers :

Mme Casini, Mme Molies

Avocats :

Me Court-Menigoz, Me Simon-Thibaud, Me Setton, Me Ehrenfeld

Cons. prud'h. Nice, du 27 janv. 2023, n°…

27 janvier 2023

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Le 1er août 2011, Mme [O] [U], née en 1946, et la société Maison de l'Immobilier ont conclu un contrat de mandat de négociateur immobilier à statut d'agent commercial pour une année renouvelable par tacite reconduction.

Il a été prévu que Mme [O] [U] est chargée de:

- procéder à la recherche d'acquéreurs d'immeubles, fonds de commerce, locaux commerciaux et d'habitation;

- chercher à obtenir les mandats de vente, de location, de gestion;

- présenter les affaires aux acquéreurs et locataires éventuels;

- susciter les offres d'achat, de location, de gestion;

- provoquer la réalisation de l'accord entre les parties.

Les parties ont convenu au profit de Mme [O] [U] du versement de commissions sur le montant des honoraires perçus par la société Maison de l'Immobilier à hauteur de 80 % TTC pour les transactions ventes et locations apportées et réalisées, et de 50 % TTC pour les mandats de gestion apportées et réalisés, Mme [O] [U] s'engageant à ne recevoir aucun fonds dans le cadre des transactions. 

Par courrier du 22 avril 2021, la société Maison de l'Immobilier a notifié à Mme [O] [U] la résiliation du contrat d'agent commercial pour ses graves manquements commerciaux (refus de formation; péremption de la carte professionnelle; détention unilatérale de clés, de documents et de fonds).

Le 14 mars 2022, Mme [O] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Nice pour voir juger qu'elle est liée à la société Maison de l'Immobilier par un contrat de travail et voir l'affaire renvoyée au fond pour être jugée.

La société Maison de l'Immobilier a soulevé une exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Nice.

Par jugement rendu le 27 janvier 2023, le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nice, a débouté Mme [O] [U] de ses demandes, a débouté la société Maison de l'Immobilier de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a dit que chaque partie conserve la charge de ses propres dépens.

Le 28 février 2023, Mme [O] [U] a fait appel du jugement.

Par ordonnance du 6 mars 2023, la présidente de la chambre l'a autorisée à assigner à jour fixe à l'audience du 9 octobre 2023.

L'assignation a été délivrée le 22 mars 2023.

Par ses dernières conclusions du 16 janvier 2024 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme [O] [U] demande à la cour de:

INFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de Nice du 27 janvier 2023 (RG F22/00206) en ce qu'il :

- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nice ; - a débouté Mme [O] [U] de l'ensemble de ses demandes ;

En conséquence et statuant à nouveau :

DECLARER les demandes de Mme [O] [U] recevables et bien fondées,

DEBOUTER la SARL MAISON DE L'IMMOBILIER de son exception d'incompétence tendant à voir déclarer le Conseil de prud'hommes de Nice incompétent au profit du tribunal de commerce de Nice.

JUGER que le Conseil de prud'hommes de Nice est seul compétent pour statuer sur la relation contractuelle entre les parties,

En toute hypothèse,

DEBOUTER la SARL MAISON DE L'IMMOBILIER de l'ensemble de ses demandes,

RENVOYER la présente affaire devant le Conseil de prud'hommes de Nice,

CONDAMNER la SARL MAISON DE L'IMMOBILIER aux entiers dépens d'appel et au paiement au profit de Mme [O] [U] de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Par ses dernières conclusions du 28 août 2023 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Maison de l'Immobilier demande à la cour de:

CONFIRMER le jugement du Conseil des Prud'hommes de NICE du 17 janvier 2023,

DEBOUTER Madame [J] [O]-[U] de l'ensemble de ses demandes,

JUGER Le Conseil des Prud'hommes de NICE incompétent au profit du Tribunal de Commerce de NICE.

Vu l'article 76 du CPC,

Dans l'hypothèse où votre Cour s'estimerait compétente, il y aura lieu d'inviter la SARL MAISON DE L'IMMOBILIER à conclure au fond.

Y ajouter :

CONDAMNER Madame [J] [U] à verser à la SARL MAISON DE L'IMMOBILIER la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

CONDAMNER Madame [J] [U] aux entiers dépens.

L'affaire a été retenue à l'audience de renvoi du 22 janvier 2024.

MOTIFS

1 - Sur la reconnaissance d'un contrat de travail

L'article L.134-1 du code de commerce, figurant au chapitre IV du titre III du livre Ier dans sa rédaction applicable dispose:

« L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières. »

L'article L. 8221-6 du code du travail dispose:

I.-Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;

(...)

II.-L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

(...)'.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

L'article 4 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce prévoit dans ses diverses rédaction applicables à la cause que toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s'entremettre ou s'engager pour le compte de ce dernier justifie de sa qualité et de l'étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat; que les dispositions du chapitre IV du titre III du livre Ier du code de commerce sont applicables aux personnes visées au premier alinéa lorsqu'elles ne sont pas salariées.

Le lien de subordination, élément constitutif du contrat de travail, est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l'espèce, une présomption de non-salariat pèse sur Mme [O] [U] compte tenu de son statut d'agent commercial qui découle du contrat de mandat conclu par les parties le 1er août 2016.

Pour soutenir sa demande de reconnaissance d'un contrat de travail, Mme [O] [U] invoque pêle-mêle dans ses écritures un premier moyen tiré de l'article 4 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, et soutient que la nature des tâches que lui a confiées la société Maison de l'Immobilier lui confère la qualité de salariée.

La cour dit que Mme [O] [U] n'explique pas en quoi les dispositions légales dont elle se prévaut permettent de dire que l'agent immobilier est tenu de confier à un salarié les tâches de rédiger des actes sous seing-privé, de conclure des contrats de vente ou de location d'immeubles ou de fonds de commerce d'une part, et de collecter et de remettre les fonds liés à l'activité de l'agence d'autre part.

Il s'ensuit que ce moyen n'est pas fondé.

Dans un second moyen, Mme [O] [U] entend renverser la présomption de non-salariat qui pèse sur elle en rapportant la preuve d'un lien de subordination avec la société Maison de l'Immobilier.

A cet effet, elle fait valoir les éléments suivants:

- la société Maison de l'Immobilier a été son unique contractant durant plus de 28 ans;

- le contrat du 1er août 2011 a prévu à sa charge une interdiction de traiter avec d'autres agences sans limitation de secteur;

- elle a été l'unique interlocutrice des clients au sein de l'agence immobilière;

- elle a été contrainte de rédiger des compromis de vente, des baux, des états des lieux, des contrats de garantie des loyers impayés, et plus généralement des dossiers de locations, Mme [O] [U] signant les états des lieux pour ordre de la société Maison de l'Immobilier, correspondant avec les assureurs garantie des loyers en utilisant des papiers à en-tête de la société Maison de l'Immobilier en signant pour ordre de la société Maison de l'Immobilier, étant précisé que ces tâches ne peuvent être confiées par l'agent immobilier qu'à ses salariés;

- elle a été contrainte de collecter et de remettre à la société Maison de l'Immobilier les paiements des locataires par chèques ou en espèces en établissant des listings des règlements que contrôlait la société Maison de l'Immobilier et en suivant les impayés avec les locataires, étant précisé que ces tâches ne peuvent là encore qu'être confiées par l'agent immobilier à ses salariés;

- elle a participé à l'établissement des comptes-rendus de gestion des biens en location, collecté des chèques destinés aux propriétaires;

- elle a participé à l'organisation des appels de fonds adressés à la société Maison de l'Immobilier par les syndics de copropriété et a collecté des fonds entre les mains des propriétaires débiteurs, étant précisé que ces tâches ne peuvent là encore qu'être confiées par l'agent immobilier à ses salariés;

- elle a établi et suivi des dossiers contentieux en cas d'impayés de loyers en lien avec l'huissier et l'avocat de la société Maison de l'Immobilier;

- elle a rédigé et signé pour ordre de nombreux courriers à en-tête de la société Maison de l'Immobilier;

- elle a établi des régularisations de charges locatives annuelles pour les locataires et des calculs de taxes foncières, et elle a collecté des assurances locatives et procédé à des relevés de compteurs;

- elle a veillé à l'entretien des biens et a eu la charge de contacter les entreprises pour établissement de devis de travaux;

- elle a envoyé chaque mois à tous les locataires des appels de loyers et des quittances outre des relances;

- elle a été placée dans une disponibilité totale à l'égard de la société Maison de l'Immobilier sans pouvoir poser de congés;

- elle recevait des instructions de la société Maison de l'Immobilier en ce qu'elle n'a pas accompli les tâches précédemment décrites de sa seule initiative.

La société Maison de l'Immobilier conteste la reconnaissance d'un contrat de travail en faisant valoir que Mme [O] [U]:

- a le statut d'agent commercial pour être inscrite au registre du commerce et des sociétés de Nice ainsi qu'au registre spécial des agents commerciaux;

- règle elle-même ses cotisations sociales;

- exerce son activité dans un local commercial qu'elle loue et qui est distinct de celui de la société Maison de l'Immobilier;

- émet des factures;

- fixe les horaires d'ouverture et de fermeture ainsi que les jours de congé de son local commercial;

- n'a perçu aucun salaire de la société Maison de l'Immobilier;

- n'est soumis à aucun pouvoir de sanction de la société Maison de l'Immobilier;

- n'a reçu aucune instruction de la société Maison de l'Immobilier.

La société Maison de l'Immobilier ajoute qu'elle dispose de salariés qualifiés pour effectuer la gestion des comptes bailleurs/locataires.

La cour relève après analyse des pièces du dossier que Mme [O] [U] dresse la liste avec force détails des très nombreuses tâches qu'elle a accomplies pour le compte de la société Maison de l'Immobilier.

Pour autant, Mme [O] [U] ne justifie par aucun élément la réalité de la contrainte qu'elle allègue et donc le fait qu'elle a exécuté ces tâches sous l'autorité de la société Maison de l'Immobilier qui aurait eu le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner ses manquements.

En effet, d'une part, Mme [O] [U] se borne à soutenir qu'elle n'a pu accomplir l'ensemble des tâches précitées que sous le contrôle et la hiérarchie de la société Maison de l'Immobilier, alors qu'elle s'abstient de préciser dans ses écritures l'identité des personnes susceptibles d'exercer ladite hiérarchie.

D'autre part, Mme [O] [U] verse aux débats:

- un courriel adressé le 11 février 2020 par M. [E], directeur de l'agence au sein de laquelle la société Maison de l'Immobilier exploite son activité, à Mme [O] [U] à son adresse électronique, qui se trouve sans lien avec la société Maison de l'Immobilier, afin de lui rappeler la nécessité d'envoyer une attestation de fin de locataires par lettre recommandée avec accusé de réception, la correspondance s'achevant comme suit: "Merci de respecter mes instructions!";

- un courriel adressé le 14 février 2020 par M. [E] à la même adresse que précédemment, en réponse à un courriel de Mme [O] [U] faisant état de plaintes de locataires relatives à la surfacturation des relances, dont l'analyse ne permet pas de dire qu'il s'agit d'un rappel à l'ordre, la circonstance que M. [E] a rappelé à Mme [O] [U] que les tarifications sont décidées par la société Maison de l'Immobilier étant dépourvue de pertinence pour caractériser la subordination alléguée.

La cour dit qu'il résulte seulement de ces pièces que les relations entre les parties s'inscrivent dans le cadre du contrat de mandat qu'elles ont régulièrement conclu.

Enfin, il convient de retenir qu'il n'est pas contesté que Mme [O] [U] exerce son activité non pas au sein des locaux de la société Maison de l'Immobilier mais au sein de ses propres locaux situés à [Adresse 3].

Or, aucun élément dans le dossier ne vient étayer l'affirmation de Mme [O] [U] selon laquelle les locaux accueillant son activité se trouvent rattachés à l'agence de la société Maison de l'Immobilier, la circonstance que les locaux de Mme [O] [U] se trouvent dans le même quartier que ceux de la société Maison de l'Immobilier étant inopérante.

Il s'ensuit que Mme [O] [U] ne justifie pas de l'existence d'un lien de subordination avec la société Maison de l'Immobilier et échoue donc à renverser la présomption de non-salariat qui pèse sur elle.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme [O] [U] au statut d'agent commercial est mal fondée en sa demande de reconnaissance d'un contrat de travail.

Dès lors que la reconnaissance d'un contrat de travail ressort de la compétence exclusive de la juridiction prud'homale, la cour, en retenant qu'elle est seulement saisie d'une demande de ce chef, dit que la société Maison de l'Immobilier n'est pas fondée à réclamer la compétence du tribunal de commerce de Nice.

En conséquence, la cour, infirmant le jugement déféré, rejette la demande de reconnaissance d'un contrat de travail avec la société Maison de l'Immobilier et dit n'y avoir lieu à statuer sur l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Nice soulevée par la société Maison de l'Immobilier.

2 - Sur les demandes accessoires

Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par Mme [O] [U].

L'équité et les situations économiques respectives des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

STATUANT à nouveau,

Y AJOUTANT,

REJETTE la demande de reconnaissance d'un contrat de travail avec la société Maison de l'Immobilier,

DIT n'y avoir lieu à statuer sur l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Nice,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel,

CONDAMNE Mme [O] [U] aux dépens de première instance et d'appel.