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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 12 mars 2024, n° 22/00843

BORDEAUX

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

AQUILIA (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Vice-président :

M. Gettler

Conseiller :

Mme Goumilloux

Avocats :

Me Silva, Me Leroy-Maubaret, Me Maubaret

TJ Bordeaux, du 20 janv. 2022, n° 15/049…

20 janvier 2022

EXPOSE DU LITIGE:

La SCI du [Adresse 1] (ci-après désignée la SCI ou le bailleur) était propriétaire d'un ensemble immobilier situé à [Localité 4] [Adresse 1], composé de trois ailes distinctes, dont une partie a été louée selon bail verbal à la société Aquilia, qui y exploitait une activité ayant trait aux décors muraux, tentures murales et papiers peints.

Par acte en date du 05 mai 2015, la SCI du 17 avenueGustave Eiffel SCI a fait assigner la société Aquilia devant le tribunal de grande instance de Bordeaux pour obtenir son expulsion sous astreinte d'une partie des locaux, occupée selon elle sans droit ni titre, et le paiement d'une indemnité d'occupation.

Par acte d'huissier du 25 juin 2015, la SCI a fait délivrer congé avec offre de renouvellement à la société Aquilia, pour une nouvelle durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2016 aux conditions et clauses antérieures à l'exception du loyer, qui serait porté à la somme de 70 000 euros par an.

La preneuse a accepté le renouvellement du bail mais s'est opposée au déplafonnement du loyer.

Par jugement contradictoire en date du 06 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- sur le fond,

- dit que la société Aquilia occupe sans droit ni titre la superficie de 1000 m² située dans l'aile centrale,

- ordonné à la société Aquilia de libérer dans les huit jours de la signification du jugement cette partie centrale de 1 000 m2 de tous biens et occupants de son chef sous astreinte de 500 euros par jour de retard courant pendant un délai de 45 jours,

- ordonné l'expulsion de la société Aquilia ainsi que celle de tous occupants et biens de son chef de l'aile centrale de cet ensemble immobilier avec le concours de la force publique,

- condamné la société Aquilia au paiement d'une indemnité correspondant à l'occupation illégitime de l'aile centrale depuis le 1er janvier 2012 jusqu'à sa parfaite restitution et libération dont le montant a été provisoirement fixé à la somme de 3 750 euros HT (4 500 euros TTC) dans l'attente du rapport d'expertise et jusqu'à complète libération des lieux,

- fixé le loyer provisionnel annuel HT et HC à la somme de 62 000 euros à compter du 1er janvier 2016 dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,

- sursis à statuer sur les autres demandes,

Avant dire droit au fond,

- ordonné une expertise confiée à M. [S] (ensuite remplacé par Mme [J] [T] par ordonnance du 23 janvier 2018) pour déterminer notamment le montant de la valeur locative et de l'indemnité d'occupation de chaque partie des lieux loués et faire les comptes entre les parties,

- renvoyé l'affaire à la mise en état du 20 décembre 2017.

La société Aquilia a relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 11 août 2017.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 14 mai 2019.

Par acte du 25 septembre 2019, la société Aquilia a donné congé pour la date du 31 mars 2020, en faisant valoir que l'immeuble était très dégradé et qu'il existait un risque amiante pour ses salariés.

Les lieux ont été restitués le 10 septembre 2020.

Par arrêt en date du 29 juin 2021, la cour d'appel de Bordeaux a:

- confirmé le jugement rendu le 06 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Bordeaux, sauf en ce qu'il a ordonné la libération des lieux sous astreinte par la société Aquilia,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamné la société Aquilia aux dépens d'appel.

La société Aquilia a formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation en date du 16 mars 2023, non spécialement motivé, au visa de l'article 1014 alinéa 1er du code de procédure civile.

Par jugement du 20 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a statué comme suit :

- condamne la société Aquilia à payer à la SCI du [Adresse 1] une somme de 260 833,33 euros, hors-taxes, avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2015, au titre de l'indemnité d'occupation du bâtiment central, sur la période du 1er janvier 2012 au 10 septembre 2020,

- fixe le loyer du bail commercial renouvelé au 1er janvier 2016 à la somme annuelle de 55 000 euros, hors-taxes et hors charges, correspondant à la valeur locative, pour la partie du bâtiment ainsi que la partie droite de l'entrepôt,

- condamne la société Aquilia au paiement des intérêts au taux légal avec application de l'article 1 154 du Code civil devenu l'article 1343-2 du même code, de la différence entre le loyer réglé et celui judiciairement fixé à compter du 5 mai 2015,

- condamne la SCI du [Adresse 1] à payer à la société Aquilia une somme de 80 000 euros en réparation de son préjudice économique, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- déboute les parties du surplus de leur chef de demande,

- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais engagés non compris dans les dépens,

- condamne la société Aquilia aux dépens,

- ordonne l'exécution provisoire.

Par déclaration en date 17 février 2022, la société Aquilia a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués.

La société SCI [Adresse 1] a formé appel incident.

Par ordonnance en date du 24 mai 2022, la société appelante a été déboutée de sa demande tendant à voir ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire.

Par dernières conclusions notifiées par message électronique du 16 mai 2023, la société Aquilia demande à la cour de:

Vu les articles 1147, 1382, et 1719 anciens du code civil,

Vu l'article L. 145-34 du code de commerce ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Recevoir la société Aquilia en son appel et l'y déclarer bien-fondée,

Révoquer l'ordonnance de clôture agendée au 22 mai 2023 et la fixer au jour des plaidoiries ;

En conséquence,

Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 20 janvier 2022 en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau,

En premier lieu,

Reformer les chefs du jugement portant sur le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Aquilia au titre de la moitié de l'aile centrale, en la fixant, au maximum, entre le 1 er avril 2013 et le 29 février 2020, à la somme de 69.167euros HT ;

Ordonner sa compensation avec les loyers trop perçus par la société Gustave Eiffel, à hauteur de 70.295,38 euros ;

Condamner la société Gustave Eiffel à verser le solde, soit 1.128,38 euros ;

En deuxième lieu,

Fixer le loyer du bail commercial renouvelé au 1er janvier 2016, à la somme annuelle de 21.060 euros hors taxes hors charges, correspondant à la valeur locative de l'aile gauche du bâtiment ;

En troisième lieu,

A titre principal,

Condamner la SCI 17 AvenueGustave Eiffel au paiement de dommages intérêts à la société Aquilia en réparation des préjudices subis par les manquements à ses obligations de bailleresse, à hauteur de 73.176 euros euros au titre du préjudice de jouissance ;

En toute hypothèse,

Condamner la SCI 17 AvenueGustave Eiffel au paiement de dommages intérêts à la société Aquilia en réparation des préjudices subis par les manquements à ses obligations de bailleresse, à hauteur de :

- 56.828,25 euros en réparation du préjudice économique subi par la perte de marchandises ;

- 234.967,95 euros en réparation de la perte de gain sur les marchandises détériorées - 362.800 euros au titre des frais et pertes subies par son déménagement,

En tout état de cause,

Condamner la SCI 17 AvenueGustave Eiffel au paiement d'une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées par message électronique du 3 janvier 2024, la SCI du [Adresse 1] demande à la cour de:

- débouter la société Aquilia de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions.

- confirmer le jugement sur la condamnation de la société Aquilia au paiement de la somme de 260 833,33 euros HT outre intérêt ainsi que sur la fixation du loyer du bail commercial renouvelé au 1er janvier 2016 à la somme annuelle de 55 000 euros HT et HC outre intérêt,

- le réformer sur la condamnation prononcée à l'encontre de la SCI du [Adresse 1] au paiement à la société Aquilia d'une somme de 80 000 euros,

- condamner la SARL Aquilia à 15 000 euros de dommages et intérêts,

- condamner la SARL Aquilia au paiement d'une indemnité de 6 000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, première instance et d'appel qui comprendront notamment les frais d'expertise judiciaire.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

La clôture a été prononcée le jour de l'audience, avant les plaidoiries.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur la demande d'indemnisation du bailleur liée à l'occupation sans droit ni titre de la partie centrale de l'ensemble immobilier:

1- Se fondant sur les dispositions des articles 480 et 482 du code de procédure civile, la société Aquilia soutient en premier lieu que le dispositif du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 6 juillet 2017, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 29 juin 2021, ne tranche pas au principal et n'est donc pas revêtu de l'autorité de chose jugée, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal judiciaire de Bordeaux dans le jugement du 20 janvier 2022.

Elle expose que l'indemnité doit donc être fixée en fonction de la surface réellement occupée de la partie centrale soit 500 m² et non 1000 m² comme retenu à tort par le tribunal.

Elle ajoute qu'elle ne peut être tenue au paiement d'une indemnité d'occupation qu'à compter du 1er avril 2013, et jusqu'au 31 juillet 2020, date à laquelle elle a annoncé aux propriétaires se tenir à sa disposition pour sa remise des clés.

Elle estime en conséquence que le montant total de l'indemnité d'occupation exigible ne saurait excéder la somme totale de 69 167 euros qui doit être en partie compensée avec le trop-perçu de loyer dont a bénéficié la SCI Gustave Eiffel, dans la mesure où la partie droite des locaux était inexploitable depuis le premier trimestre 2013, pour un montant de 70'295,38 euros.

2- La SCI du [Adresse 1] réplique que le jugement confirmé par l'arrêt du 29 juillet 2021 est définitif en ce qui concerne la surface occupée sans droit ni titre et la durée de l'occupation, et qu'il convient de retenir la valeur de l'indemnité d'occupation proposée par l'expert aux termes de son rapport, soit 30 euros hors-taxes par mètre carré et par an de sorte que l'indemnité s'élève à 30'000 euros hors-taxes par an (36000 euros TTC).

Sur ce:

3- Selon les dispositions de l'article 480 du code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4.

4- Selon les dispositions de l'article 1355 du code civil, l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elle et contre elle en la même qualité.

5- Il résulte des dispositions précitées que le jugement mixte rendu le 6 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Bordeaux, dans l'instance opposant la SCI du [Adresse 1], demanderesse, à la SARL Aquilia, défenderesse, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 29 juillet 2021 (ayant fait l'objet d'un pourvoi en cassation rejeté), a autorité de chose jugée entre ces mêmes parties, en ce qu'il a tranché pour partie le principal, en disant (sans aucune forme d'ambiguité ou difficulté d'interprétation) que la société Aquilia occupait sans droit ni titre la superficie de 1000 m² située dans l'aile centrale, et en ce qu'il condamné la SARL Aquilia au paiement d'une indemnité correspondant à l'occupation illégitime de l'aile centrale depuis le 1er janvier 2012 jusqu'à sa parfaite restitution et libération.

6- L'appelante ne peut utilement invoquer le fait que dans les motifs de l'arrêt, qui n'ont pas autorité de chose jugée, la cour a, par suite d'une erreur matérielle, indiqué: 'c'est à bon droit que le tribunal a considéré que la société Aquilia occupait illégitimement l'aile centrale pour 500 m²'.

7- C'est donc en vain que l'appelante entend dans le cadre de la présente instance, voir juger à nouveau le même litige, quant à la surface occupée, et au point de départ de l'indemnité d'occupation.

En revanche, ni le jugement, ni l'arrêt précités n'ont statué, dans leur dispositif, sur la date de restitution du local occupé sans droit ni titre.

8- Il résulte de l'article 1240 du code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice que l'occupant sans droit ni titre doit réparer l'intégralité du préjudice qu'il cause au propriétaire par son maintien illicite dans les lieux.

9- Il ressort des productions que les clés ont été restitués au bailleur le 10 septembre 2020, ainsi que constaté par procès-verbal d'huissier (page 2 du constat).

10-Toutefois, l'entrepôt de l'aile centrale ne pouvait plus être exploité à compter du 19 mai mai 2020, date à laquelle des mesures sur site par la société BATSAM ont révélé la présence dans l'air d'un nombre anormalement élevé de fibres d'amiante (soit 41.2 fibres par litre d'air, alors que la limite haute est de 5 fibres par litre d'air), ce qui rendait impossible la présence de salariés dans cette zone.

A compter de cette date jusqu'au 10 septembre 2020, l'indemnité d'occupation ne peut inclure la contrepartie de la jouissance des lieux par l'occupant, et ne peut indemniser que l'impossibilité dans laquelle se trouvait la SCI de récupérer les lieux pour y effectuer des travaux ou pour les faire démolir (ce qui a d'ailleurs été le cas en 2021).

11- Par ailleurs, il apparaît que l'expert judiciaire n'a pas tenu suffisamment compte de l'état de dégradation et de vétusté de cette partie centrale de l'immeuble, au regard des observations qu'il avait lui-même opérées sur place (murs bruts de briques, cassés par endroits, toiture en tôle éverite, vitres cassées, végétation pénétrant les locaux).

12- Pour cette partie de local particulièrement dégradée, il convient de prendre comme élément de comparaison le loyer le plus bas observé dans les environs immédiats soit 20 euros par m² (local situé [Adresse 3] à [Localité 4] - page 18 du rapport [J] [T]). L'indemnité d'occupation sera ainsi fixée à 20 euros par m² et par an du 1er janvier 2012 au 19 mai 2020, puis à 10 euros par m² et par an du 20 mai 2020 au 10 septembre 2020.

13- Il est dû en conséquence:

- une somme de 8 x 1000 x 20 = 160 000 euros HT du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2019

- une somme de 4/12 x 1000 x 20 = 6666.67 euros du 1er janvier 2020 au 30 avril 2020

- une somme de 1055.55 euros du 1er mai au 19 mai 2020

- une somme de 3110.94 euros 20 mai au 10 septembre 2020 (10 euros par m²).

Soit un total de 170 833.16 euros HT.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Sur la demande de compensation:

14- La société Aquilia sollicite une compensation partielle de cette indemnité d'occupation avec un trop-perçu dont aurait bénéficié la SCI, et dont elle sollicite le remboursement, concernant la location la partie droite de l'immeuble, qui était selon elle vide et inexploitable depuis le 1er trimestre 2013.

15- Mais, ainsi que l'a relevé la cour dans son précédent arrêt du 29 juillet 2021, la preuve n'est pas rapportée qu'un accord soit intervenu entre les parties, pour un échange entre l'aile droite (aile 'décor discount') et une partie de l'entrepôt central.

Il sera relevé à cet égard que le bailleur n'a pas donné de réponse favorable à un courrier du 15 mai 2013 ni au courriel du 6 octobre 2014, par lesquels la société Aquilia demandait cet échange.

Il en résulte que les parties étaient demeurées simplement liées par l'accord verbal prenant effet au 1er janvier 2012, faisant suite au courrier du preneur du 2 novembre 2011 (pièce 11 de la SCI) au terme duquel la société Aquilia restituait les 1000 m² de l'aile centrale, sur les 2053 m² auparavant loués, et ne demeurait donc locataire que de la partie gauche (1053 m²) et de 500 m² de la partie droite, ce que confirme en toutes hypothèses la facture rectificative dressée le 1er février 2012 par le bailleur pour un montant de 7622.50 euros HT, ainsi que sa note manuscrite récapitulant les divers changements d'assiette du bail (pièce 32 de la société Aquilia).

16 - Il ressort certes des attestations précises et circonstanciées de [N] [E], en date du 25 septembre 2021, de [H] [D], en date du 27 septembre 2021, de [Y] [L], en date du 22 septembre 2021et de [R] [V] en date du 20 septembre 2021, que l'aile droite du bâtiment a, de fait, été libérée par la société Aquilia en mai 2013, à la demande du bailleur, qui souhaitait y faire réaliser en urgence des travaux.

17- Il n'est pas pour autant démontré que cette partie droite des locaux, ait été rendue de manière permanente indisponible pour le preneur.

Il sera en outre relevé que la société Aquilia a participé aux opérations d'expertise judiciaire sans former aucune contestation sur la superficie des locaux loués, qui ont été mesurés à 1572.67 m² ce qui correspond à l'aile gauche et à la partie droite à usage d'entrepôt (500 m²).

Le rapport de l'expert judiciaire comporte d'ailleurs des photographies de la partie droite de l'entrée à usage d'entrepôt sur lesquelles on voit des divers matériaux stockés sur palettes, ce qui démontre que la société Aquilia en avait bien la jouissance.

18- L'impropriété de ce local à sa destination n'est donc pas démontrée, de sorte que la demande de remboursement d'un indû de loyers doit être rejetée.

Concernant la fixation du loyer renouvelé:

19- Le preneur, appelant, soutient que les parties ont été liées par des baux verbaux successifs, et qu'il n'y avait pas lieu à déplafonnement du loyer à sa valeur locative en 2016, dès lors que les parties ont convenu d'une novation en 2012, moins de douze ans auparavant.

Subsidiairement, il fait valoir que la partie droite de l'immeuble ne pouvait être incluse dans l'assiette du bail commercial renouvelé, et que le loyer ne saurait excéder la somme de 21 060 euros HT et HC, sur la base d'un prix de 20 euros par m², compte tenu de la vétusté avancée des locaux.

20 - La SCI réplique que le jugement du 29 juillet 2021 est définitif en ce qu'il a retenu la fixation du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2016 à la valeur locative.

Elle entend voir fixer le loyer du bail renouvelé sur la base du rapport d'expertise judiciaire qui n'encourt selon elle aucune critique sérieuse.

Sur ce:

21- Le jugement du 6 juillet 2017, confirmé par arrêt du 29 juillet 2021, a autorité de chose jugée sur ce point, dès lors qu'il a, par des motifs décisoires, expressément indiqué en page 6 que 'du fait de la prolongation tacite de ce bail depuis plus de 12 ans, le loyer doit être déplafonné et doit être fixé de droit à la valeur locative à compter du 1er janvier 2016", avant de fixer en son dispositif un loyer provisionnel annuel HT et HC dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise; l'expert ayant notamment pour mission de rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant de la valeur locative et de l'indemnité d'occupation de chaque partie des lieux loués.

22- Par des motifs pertinents, qui ne sont pas utilement critiqués en cause d'appel et que la cour adopte, le tribunal a retenu à juste titre que la valeur du loyer renouvelé, pour les parties données à bail, devait être fixé à 55 000 euros, sur la base du rapport d'expertise judiciaire, qui a tenu compte de la bonne situation des locaux, dans la partie sud de Pessac, de la proximité d'une importante zone commerciale et du réseau routier, des caractéristiques des locaux, de l'assez bon état général des bureaux, mais également des travaux nécessaires, et de l'absence de terrain, en effectuant une comparaision avec les loyers pratiqués dans les environs pour ce type de biens.

23- Le rapport non contradictoire réalisé par le cabinet Dyèvre après démolition du bâtiment ne permet pas de contredire utilement les conclusions de l'expert judiciaire.

24- Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le loyer du bail commercial renouvelé au 1er janvier 2016 à la somme annuelle de 55'000 euros hors-taxes et hors charges correspondant à la valeur locative pour la partie gauche du bâtiment et la partie à droite de l'entrée à usage d'entrepôt.

Sur la demande reconventionnelle de la société Aquilia en paiement de dommages-intérêts:

25- Se fondant sur les dispositions des articles 1719 et 1147 du code civil, la société Aquilia soutient qu'elle est fondée à solliciter des dommages et intérêts pour troubles de jouissance, préjudice économique et perte de marge sur les marchandises détériorées, compte tenu de l'état très dégradé de l'immeuble donné en location et de la présence d'amiante dans la toiture, qui l'ont mise dans l'impossibilité d'exercer son activité commerciale dans des conditions normales.

26- La SCI du [Adresse 1] réplique que le locataire ne démontre aucun manquement à son obligation de délivrance ni préjudice économique, puisqu'il n'était pas nécessaire d'entreprendre des travaux de dépose de la toiture en amiante, et qu'aucun préjudice de jouissance n'a été subi .

Sur ce:

27- En application des dispositions de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

28 - Selon les dispositions de l'article 1720 alinéa 2 du code civil, le bailleur devra faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.

29- Ces dispositions sont applicables en l'espèce dès lors que les parties n'ont pas conclu de contrat écrit qui y dérogerait par des clauses expresses.

30- Il convient d'examiner en premier lieu la demande de la société Aquilia tendant au remboursement de la somme de 73 176 euros, au titre de la quote-part de loyers versés pour la location de l'aile centrale, entre 2008 et 2011.

31- Il résulte des nombreuses productions (constats d'huissier, photographies, attestation du colocataire Klik&Art, attestation de MM. [V], [D], attestation de Mme [W]) que les locaux n'étaient étanches ni à l'air ni à l'eau, dans la mesure où ils avaient une couverture en tôles onduline en fibrociment, dont plusieurs étaient cassées et laissaient passer la pluie. L'expert judiciaire a également consté l'existence de briques cassées dans les murs, des vitres et menuiseries cassées, avec de la végétation pénétrant dans les locaux.

Le bailleur n'a donné suite à aucune des lettres et mises en demeure adressées par le locataire, notamment le 26 janvier 2009, alors que les conditions d'occupation étaient rendues difficiles.

32 - La cour fixera à la somme de 30 000 euros l'indemnisation du préjudice de jouissance subi par la locataire durant la période de trois ans considérée.

33- La société appelante sollicite par ailleurs par voie d'infirmation du jugement la condamnation de la SCI Gustave Eiffel au paiement de la somme de 56'828,25 euros correspondants aux dommages occasionnés à ses marchandises stockées dans le local affecté de désordres.

34- Elle produit à l'appui de cette demande une pièce n°36 comportant un extrait de compte Casse Usine, correspondant à des enlèvements de marchandises (essentiellement des rouleaux de papiers peint) pour mise à la benne, entre 2015 et 2018; le transport étant assuré par la société Larroudé.

Elle a en outre communiqué un audit qualité dressé par Leroy Merlin, le 12 octobre 2020, dont il ressort que ses conditions de stockage étaient hors standart, que l'état des locaux de production étaient considérés comme 'bloquants', du fait des poussières et de l'humidité présentes. L'audit précise que les lieux présentent des causes de non-conformité liées à l'humidité (bobines matières, cartonnages, films, étiquettes), avec de la poussière présente partout (cartonnages rouleaux) et de la casse de palettes lors des déplacements en raison de la mauvaise qualité des sols; la zone de stockage des produits Leroy Merlin est considérée comme non-conforme.

35- L'appelante a en outre produit, en annexe à des plaintes adressées par la société Aquilia à son bailleur, les 26 janvier 2009, 23 juin 2014, 2 mars 2020, des photographies qui attestent de ruissellements ayant endommagé plusieurs rouleaux.

36- Il convient en conséquence de faire droit à la demande sur ce point, pour un montant de 56 828.25 euros, à titre d'indemnité pour la perte de marchandises, du fait du manquement persistant du bailleur à son obligation d'assurer le clos et le couvert.

37- La société appelante sollicite en outre paiement de la somme de 234 967.95 euros, au titre de la perte de marge sur les marchandises détériorées.

38- Toutefois, cette demande est fondée exclusivement sur un tableau interne à la société (Soldes pour offre Futura finance - suite déréférencement de LM: été 2011).

Ce seul document est insuffisant pour démontrer que les remises consenties sur ces produits étaient dues à l'état des rouleaux, dégradés par suite de l'humidité.

39- La société appelante soutient par ailleurs qu'elle a dû supporter d'importants frais de déménagement et d'aménagement de son nouveau local (pour un montant de 233457 euros), ainsi qu'une perte de marge brute de 73 996 euros au cours de la période de fermeture imposée par le tranfert de son activité.

40- Le congé donné par le bailleur le 25 juin 2015 portait offre de renouvellement du bail de sorte que le preneur n'avait aucune obligation de quitter les lieux.

Le déménagement fait suite au congé donné par la société Aquilia le 25 septembre 2019 pour le 31 mars 2020, dont les effets ont ensuite été repoussés à sa demande jusqu'en septembre 2020.

41- Dans son rapport déposé le 14 mai 2019, l'expert judiciaire avait indiqué que les travaux de dépose des matériaux amiantés tels que sollicités par la locataire n'étaient pas justifiés, au vu du rapport de la société Equation architecture du 4 octobre 2018, selon lequel il était seulement recommandé de réaliser une évaluation périodique, et d'avertir toute personne pouvant intervenir sur ou à proximité des matériaux et produits concernés.

42- La zone centrale affectée par le taux anormalement élevé de fibres d'amiante par litre d'air, mesuré en mai 2020, était celle occupée sans droit ni titre, dans laquelle étaient tombées plusieurs plaques en fibrociment de la toiture ainsi que signalé par la société Aquilia le 2 mars 2020.

Il n'est pas démontré que les parties données à bail (partie gauche et entrepôt à droite de l'entrée) étaient pareillement concernées par cette présence d'amiante dans l'air, ni qu'elles étaient devenues impropres à leur destination au moment du déménagement.

43- La preuve n'est pas rapportée d'un lien de causalité certain entre les manquements du bailleur à ses obligations et la décision prise par la locataire de déménager, avant même que la juridiction statue au fond sur les obligations respectives des parties, et les éventuelles demandes de condamnation du bailleur à effectuer les réparations nécessaires.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

Sur la demande de dommages-intérêts formés par la SCI [Adresse 1]:

44- La SCI ne démontre nullement le caractère abusif de l'action intentée par la société Aquilia, dès lors que la cour fait droit partiellement à ses prétentions aux fins d'indemnisation. Elle sera donc déboutée de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 15'000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires :

45- Il est équitable d'allouer à la société Aquilia une indemnité de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d'appel, dès lors qu'elle a obtenu en partie gain de cause devant la cour.

Il convient de faire masse des dépens d'appel, et de dire que chaque partie en supportera la moitié.

PAR CES MOTIFS:

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Infirme le jugement, en ce qu'il a:

- condamné la société Aquilia à payer à la SCI du [Adresse 1] une somme de 260 833,33 euros, hors-taxes, avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2015, au titre de l'indemnité d'occupation du bâtiment central, sur la période du 1er janvier 2012 au 10 septembre 2020,

- condamné la SCI du [Adresse 1] à payer à la société Aquilia une somme de 80 000 euros en réparation de son préjudice économique, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne la société Aquilia à payer à la SCI du [Adresse 1] la somme de 170 833.16 euros hors taxes, au titre de l'indemnité d'occupation du bâtiment central, sur la période du 1er janvier 2012 au 10 septembre 2020,

Condamne la SCI du [Adresse 1] à payer à la société Aquilia:

- la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice de jouissance,

- la somme de de 56 828.25 euros, en réparation de son préjudice économique pour perte de marchandises,

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SCI du [Adresse 1] en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Condamne la SCI du [Adresse 1] à payer à la société Aquilia la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.